Les voies insondables du Seigneur - Carlos Mbaye - E-Book

Les voies insondables du Seigneur E-Book

Carlos Mbaye

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Beschreibung

Les 11 nouvelles ici rassemblées donnent, toutes, à percevoir des tranches de vie, de façon plus ou moins nette. Les situations qui y sont imaginées sont des réalités dans nombre de pays d’Afrique sub-saharienne depuis les années 1970, qu’elles aient trait aux règles générales qui régissent le fonctionnement de la société ou aux principes de la gouvernance politique. Même si elles sont majoritairement dures à vivre en raison de leur absurdité ou de leur injustice, et peuvent conduire au pessimisme, le rejet qu’elles suscitent est source d’espoir pour la survenue d’heureuses perspectives.
L’ambivalence qui se dégage ainsi des 11 nouvelles est due à la place qui y est faite au rêve et à la providence, à l’amour et à Dieu, ainsi qu’à la force de la foi en l’État.
Au total, des voies s’ouvrent dans toutes les situations imaginées, même si elles ne sont pas celles qui étaient attendues et même si certaines d’entre elles ne semblent mener nulle part. En définitive, l’évocation des différentes réalités est une invite implicite à essayer de les changer sans s’attarder à d’abord jauger l’ampleur des difficultés à surmonter, quelle qu’en soit la nature.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Carlos Mbaye est un ancien diplomate de carrière, avec une formation académique de juriste. Il a occupé dans son pays, pendant de longues années, d’importantes fonctions comme celles de Conseiller diplomatique du Président de la République, de Secrétaire général de la Présidence et d’Ambassadeur.
L’auteur a également été fonctionnaire international dans des fonctions de diplomate et de responsable de contrôle interne.
Dans son adolescence, l’auteur rêvait de devenir écrivain, poète de préférence. Mais, sans avoir entamé son amour pour l’écriture, sa vie active a mis cet amour au seul service des fonctions qu’il a eu à occuper.
Dans sa nouvelle vie de retraité, l’ancien serviteur de l’État semble vouloir vivre sa première passion, dans toute sa pureté.

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CarlosMBAYE

LES VOIES INSONDABLES DU SEIGNEUR

(NOUVELLES)

Adieu Dékaya ! Bienvenue Demba !

Les circonstances dans lesquelles le ministre DEKAYA a quitté ses fonctions ont, pendant de longues semaines, fait l’objet de nombreuses supputations. C’est que l’homme, dont la longévité en tant que membre du Gouvernement a battu tous les records dans son pays, passait jusqu’alors, pour le collaborateur le plus apprécié du Chef de l’État. Ainsi, à l’occasion de la cérémonie organisée le 27 décembre dernier pour commémorer, avec solennité, le retour de son illustre grand-père de son lieu de déportation, le Chef de l’État a tenu à évoquer la part importante qu’étaient en train de prendre, à ses côtés, dans l’entreprise de restauration de la vérité sur l’histoire de son pays, des hommes comme le ministre DEKAYA. Ce dernier, qui était assis tout près de lui, était rayonnant d’une fierté d’autant plus compréhensible que le Chef de l’État l’avait ostensiblement montré du regard.

À beaucoup d’observateurs, cet hommage a, sans doute, semblé naturel de la part de son auteur et mérité pour son destinataire. Au demeurant, quelques jours plus tard, le Président de la République eut un geste certes moins spectaculaire, mais tout aussi significatif, qui pouvait attester du bien-fondé de ce sentiment. En effet, à l’occasion de la traditionnelle cérémonie de réception des vœux de Nouvel An du Corps diplomatique, il appela le ministre DEKAYA devant l’Ambassadeur du Nigéria, et lui demanda de regrouper la documentation qu’il avait promis de faire tenir à son homologue de ce pays et de réfléchir, avec son haut représentant dans le plus puissant pays d’Afrique de l’Ouest, à des initiatives que les deux Chefs d’État pourraient prendre conjointement pour contribuer à l’accélération du processus d’intégration politique de leur sous-région.

Dans ces conditions, il était difficile, même à un observateur des plus avertis, de voir dans l’hommage public du 27 décembre, comme certains le font aujourd’hui, le signe avant-coureur du « limogeage » d’un collaborateur trop brillant et qui devenait chaque jour plus populaire au niveau national ainsi qu’auprès des principaux partenaires du pays. Ceux qui suggèrent ainsi que M. DEKAYA était peut-être en train de devenir, aux yeux du Chef de l’État, un sérieux adversaire potentiel, de rappeler que ce ne serait pas la première fois que ce dernier se séparerait, de la sorte, de vieux compagnons ou d’amis fidèles dont le maintien à des postes de responsabilités lui semblait constituer une menace pour sa propre longévité politique. Ils n’ont pas tort et on peut même convenir avec eux que, compte tenu du peu d’emprise que les différentes notabilités tant religieuses et traditionnelles que politiques du pays ont sur lui, l’ancien ministre pouvait avoir des ennemis aussi nombreux que puissants tapis dans l’ombre.

Mais considérer ces raisons comme suffisantes pour expliquer le départ du gouvernement de M. DEKAYA serait oublier que ce dernier n’aurait jamais pu prétendre accéder à la « station » suprême de l’État : né d’un père originaire de la partie centrale de l’Afrique, il appartenait, de surcroît, par sa mère, à l’une des castes les plus basses dans l’échelle sociale traditionnelle. Ce serait également ignorer que le Chef de l’État, même s’il se montre très conciliant avec les animateurs des nombreux groupes de pression du pays, ne leur a jamais rien cédé sur des questions fondamentales, parmi lesquelles il classe le choix des membres de son gouvernement et de ses collaborateurs directs.

À ces idées qu’il avait notées pour le projet de dépêche à soumettre à l’Ambassadeur, le Premier conseiller Ousmane ne pouvait s’empêcher d’ajouter que, selon un vieux « coopérant » dont on dit qu’il lit dans le jeu politique local comme à livre ouvert, le Président de la République ne devrait pas vouloir se passer, face à l’agressivité de ses adversaires, des conseils aussi avisés que désintéressés de son ancien ministre des Relations extérieures. Il se permit également de dire qu’à son avis, il n’était pas exclu de voir celui-ci investi, avant longtemps, de nouvelles responsabilités grâce auxquelles il pourrait continuer de contribuer à l’entreprise de construction nationale. Le « coopérant » se fondait sur la belle sérénité que le ministre sortant affichait lors de la passation de service à son remplaçant à la tête de la diplomatie et qui, selon la presse, a également frappé tous ceux qui ont pu l’approcher depuis l’annonce de la fin de ses fonctions. L’Ambassadeur trouva ce point de vue pertinent et demanda à Ousmane d’en faire la conclusion de la dépêche et de veiller à ce que la version finale de celle-ci soit présentée à sa signature dans la demi-heure qui suivait, pour envoi à l’Administration centrale. Le Premier Conseiller fut surpris par l’empressement avec lequel le Chef de poste voulait rendre compte. Ce n’est que le surlendemain qu’il crut comprendre, à la suite du message à la nation du Président de la République, pourquoi la dépêche n’avait fait l’objet que de deux moutures.

Le Président venait encore de surprendre toute la classe politique du pays ainsi que tous les observateurs étrangers. En effet, alors que tout le monde s’attendait à ce qu’il renforçât son emprise directe sur sa formation politique, le Rassemblement des patriotes qu’il a lui-même porté sur les fonts baptismaux avec un groupe d’amis, il y a maintenant 32 ans, c’est tout le contraire que laissait penser une des idées forces du message qu’il a adressé à la Nation, à la veille du 30e anniversaire de l’accession du pays à la souveraineté internationale : il proposerait au prochain congrès prévu dans quelque 45 jours, de le décharger de la gestion quotidienne du Parti et de le laisser occuper des fonctions purement honorifiques, pour lui permettre de mieux jouer son rôle de rassembleur des filles et fils du pays autour de l’essentiel.

Le Chef de l’État a également insisté sur le travail et la discipline auxquels il voulait voir les citoyens de tous âges et de toutes conditions, vouer un véritable culte.

Les premières réactions des partis d’opposition furent prudentes, car elles ont consisté à accueillir favorablement la volonté déclarée du Chef de l’État de s’éloigner du combat politicien, et à laisser entendre, clairement, que ce dernier serait jugé à ses actes ; les plus radicaux ont même rappelé que ce qui était avancé était encore bien en deçà de ce que l’opposition n’avait cessé de réclamer depuis longtemps.

Dans les chancelleries, le sentiment le plus largement partagé était la surprise. Certes, certains Ambassadeurs, comme ceux de France et des États-Unis d’Amérique ou le Délégué de l’Union européenne, laissaient discrètement entendre depuis quelques semaines que la situation politique du pays devrait connaître une évolution notable dans le courant de ce premier semestre. Mais, aucun d’entre eux ne pouvait s’imaginer qu’elle aurait l’ampleur que suggérait l’annonce faite par le Président de la République. De même, ils étaient tous loin de penser que ce que leurs différentes sources leur indiquaient comme une quasi-certitude, allait se confirmer aussi rapidement : l’ancien ministre Demba DEKAYA occuperait un poste important, central même, dans le nouveau dispositif politique qui serait mis en place.

Au demeurant, comme pour mettre fin aux supputations faites à ce sujet, un décret nommant l’intéressé en qualité de Conseiller personnel du Chef de l’État, avec rang et appellation de ministre d’État, fut lu en pleine édition du Journal télévisé, trois jours après l’adresse du Président de la République à la nation. Le fait était inhabituel, presque insolite, la nomination des collaborateurs du Président de la République ayant toujours été annoncée, jusqu’alors, par voie de presse. Les commentaires des quotidiens du lendemain et des jours suivants dont certains étaient alimentés par des indiscrétions obtenues à bonnes sources indiquaient que le fils de Coumba LÔM était en pole position pour accéder à la tête du Rassemblement des patriotes, avec la bénédiction et l’appui du Chef de l’État. Le changement eut lieu comme prévu et planifié par ce dernier. S’il ne fit pas le bonheur de tous, surtout chez les membres fondateurs, il rendit le plus vieux parti du pays attractif pour de nombreux citoyens, majoritairement jeunes, y compris des militants d’autres formations politiques. Le changement ouvrait une nouvelle page dans la vie déjà riche de l’enfant de « Guy texe1 ». En particulier, ce dernier ne devrait pas tarder à s’employer à aider cette localité qui l’a vu naître, à pouvoir jouir de tous les grâces et bienfaits qu’invoque le baobab plusieurs fois centenaire auquel elle doit sonnom.

1 Prononcer « Gouye tékhé » ; Baobab de la Miséricorde divine

Entre foi et amertume

Sa conversation avec Sakina était bien terminée, mais Siaka avait toujours le téléphone collé à l’oreille. C’est qu’il était encore à mille lieues de la moiteur de sa chambre d’hôtel de Niamey où il séjournait depuis quelques jours pour participer, en tant que consultant, à un atelier sur l’Examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme de l’ONU. La conversation lui avait permis d’avoir confirmation de la complicité affectueuse qui lie sa fille à Bakri, son jeune frère. Elle lui avait également permis de revoir sa fille. Oui, il avait vu Sakina, comme en chair et en os, assise sur son lit, entourée des bagages qu’elle n’avait pas rangés en partant le matin au cours ainsi que des bagages qu’elle s’apprêtait à défaire pour préparer sa « colle » du lendemain. Il l’avait surtout vue assaillie par la nostalgie, mais déterminée à ne pas laisser celle-ci la détourner de l’objectif qu’elle s’était fixé pour l’année académique en cours. Naturellement, il avait eu envie de la serrer dans ses bras pour, ainsi, lui dire bon courage et lui exprimer sa fierté. Sakina avait dû sentir tout cela, même si la voix de Siaka n’avait pas eu une chaleur particulière. Il est vrai qu’atteindre au cœur, par des mots, n’avait jamais été son fort. Ni même avoir le mot qui enchante ou emballe. Mais, il y avait aussi que sa femme lui avait révélé qu’à chaque fois qu’elle avait une conversation téléphonique avec leur fille, celle-ci lui avait demandé si sa situation administrative à lui avait changé, si aucune responsabilité ne lui avait encore été confiée. Cet intérêt le touchait et le réconfortait tout à la fois. Mais l’inquiétude qui s’y manifestait l’attristait et l’aurait grandement perturbé s’il ne savait Sakina assez forte pour faire face. Au reste, il se disait que celle-ci avait raison, car, en définitive, il n’y avait, pour eux, aucune raison de ne pas rester sereins.

En se disant cela, Siaka pensait surtout au fait qu’il n’avait été demandeur, pour aucune des positions qu’il avait eu à occuper à la Présidence de la République depuis qu’il y avait pris service dans les premiers mois de ce qu’il était maintenant convenu d’appeler la Troisième République. Il croyait également qu’à chaque fois, la décision de lui confier des responsabilités n’avait été motivée que par un préjugé favorable quant à sa capacité à s’en acquitter efficacement et loyalement.

À ce propos, il se souviendra toujours de l’assurance avec laquelle le Directeur de Cabinet du Président de la République lui avait demandé au téléphone s’il pouvait être au pays dans un délai de trois mois, pour occuper, à ses côtés, le poste de Conseiller technique, Adjoint au Directeur de Cabinet du Chef de l’État. Certes, il avait été surpris ; mais il avait été davantage intrigué. En effet, l’intéressé, dont il était sûr qu’il ne le connaissait pas personnellement, avait aussitôt enchaîné en lui indiquant que le choix était celui du Président lui-même, sur la base d’avis et de suggestions qu’il avait sollicités. Il apprendra, plus tard, que ces avis et suggestions étaient venus aussi bien de connaisseurs de la haute Administration que d’amis personnels et de partenaires politiques du Chef de l’État, et qu’ils tenaient compte de la volonté de rupture de ce dernier et de son souci de consolider les acquis du pays. De la lecture des journaux en ligne du pays quelques jours après son entrée en fonction, il avait pu déduire que le Chef de l’État avait tenu à montrer aux populations de l’est du pays qu’il ne leur en voulait pas d’avoir clairement préféré voter pour son principal adversaire lors des dernières élections présidentielles. En tout état de cause, le Directeur de Cabinet ne s’était pas inquiété, lors de leur conversation téléphonique, de savoir s’il aurait eu quelque objection à quitter son relatif confort matériel en Ambassade, à Madrid après Kuala Lumpur, pour aller affronter les nombreuses sujétions et difficultés qui l’attendaient au pays.