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Être chancelier à Fengé n’est pas chose facile. Il faut gérer une ville qui s’éteint à petit feu, accepter de voir des enfants être expulsés dès leur septième anniversaire vers l’extérieur, sans oublier la Sécurité Intérieure qui agresse régulièrement les habitants hors des murs. Déterminé à ne plus laisser la situation se dégrader, Malik Lizyl, l’actuel maître de Fengé, décide d’appeler les voyageurs du multivers au secours.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Mélangeant divers genres,
Aurélien Marnas entame, avec
Les voyageurs du multivers, un voyage entre les mondes et les époques qui conduira les lecteurs à bien de surprises.
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Seitenzahl: 309
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Aurélien Marnas
Les voyageurs du multivers
Roman
© Lys Bleu Éditions – Aurélien Marnas
ISBN : 979-10-377-6296-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Se réveiller, seul, dans un endroit inconnu, sans savoir qui l’on était ni pourquoi on se retrouvait allongé sous un lit, c’était ce qui était en train de lui arriver. Ajouté à cela, une sensation d’étouffement, un intense fourmillement parcourant la totalité de son corps et un bourdonnement sourd dans son crâne empêchant toute réflexion.
Toutefois, au fur et à mesure que les minutes passaient, sa respiration se fit moins compliquée et le bourdonnement disparut petit à petit, de même que le fourmillement. Cela lui permit de reprendre progressivement le contrôle de son corps et de son esprit. Un mouvement de tête à gauche puis un autre à droite lui permirent de se rendre compte qu’il était dans une pièce meublée. L’étiquette accrochée au sommier lui en apprit un peu plus : le code-barres et le prix (faramineux, selon lui) et le nom de la référence, « Lancaster » indiquaient clairement qu’il se trouvait dans un magasin.
Désireux de changer de position, le sol n’étant pas spécialement confortable, il décida de s’extirper de sa prison, lorsque des bruits de pas venant dans sa direction lui firent cesser tout mouvement. Il se remit précipitamment à sa place d’origine, et sa respiration s’arrêta lorsque le faisceau de la lampe balaya sa position. Toutefois, la lumière continua sa route sans s’attarder sur le lit Lancaster puis retourna éclairer d’autres endroits lointains. Une fois les battements de son cœur revenus à leur rythme normal, il opéra à nouveau un mouvement vers l’extérieur de sa cachette, guettant le moindre signe du retour du faisceau lumineux, symbole de problèmes.
Ne sachant toujours pas qui il était ni à quoi il ressemblait, il profita, une fois sur ses deux jambes, d’une armoire proche, munie d’une glace pour s’observer à la lueur des veilleuses éclairant les allées. Jeune, grand, les cheveux foncés, mi-longs, une veste longue tombant jusqu’à ses chevilles et une paire de converses sombres. Voici la première image qu’il eut de lui-même. Il ne savait pas dire s’il en était satisfait ou pas, mais pour l’instant il devrait s’en contenter. Soudain, une nouvelle étiquette, accrochée à la poignée de l’armoire, attira son attention. En compagnie d’un prix encore plus faramineux se trouvait une référence qui attira son regard. L’armoire ConnorFrisk devait jouer un grand rôle, ce soir-là, sans s’en rendre compte. Pour l’homme, ce fut une petite illumination. En effet, en associant le nom du lit et le début du nom de l’armoire, il trouva ce qui allait être un nom plutôt convenable en attendant de retrouver le sien. Il se baptisa donc Connor Lancaster, trouvant que ça sonnait bien.
Temporairement satisfait de sa nouvelle identité, il se décida enfin à chercher une sortie afin d’éclaircir un autre récent mystère : où avait-il bien pu atterrir ? Il partit donc dans la direction opposée à celle du vigile et remonta les allées, passant des chambres à coucher aux salons via le coin des cuisines. C’est dans cette dernière section que, finalement, il trouva le précieux sésame vers l’extérieur. Un vieux néon vert fatigué surmontait une porte coupe-feu noire. Il se prépara mentalement à prendre ses jambes courbatues à son cou, l’ouverture de la porte déclenchant sans aucun doute une alarme. Son instinct ne le trompa pas, et c’est poursuivi par la sonnerie stridente qu’il descendit les marches quatre à quatre afin de se retrouver dans les rues d’une ville qu’il ne connaissait pas. À demi en ruine, elle était accolée à un gigantesque mur, le magasin étant, lui, intégré à ce dernier. La pleine lune dégageait une aura malsaine. Toute la ville baignait dans une lumière sanglante qui émanait de l’astre. Il n’avait qu’une envie : fuir le plus loin possible.
C’est pourquoi il ne s’attarda pas à proximité du magasin, de peur que des patrouilles de police ne viennent le surprendre et ne l’emmènent il ne savait où. Il erra ainsi, une partie de la nuit, jouant à cache-cache avec les sirènes des voitures retentissant parfois dans les rues. Ce n’est qu’au petit matin, après avoir traversé une zone sans immeubles, à bonne distance du mur, qu’il trouva un abri potentiellement sûr. Il venait de pénétrer dans ce qui avait dû être un petit hameau et les ruines d’un petit établissement dont la pancarte branlante indiquait le nom d’Auberge des Voyageurs attirèrent son regard. Le nom, sans qu’il sache pourquoi, lui paraissait étrangement familier.
Il y trouva des conserves qu’il put ouvrir et dévorer, malgré le petit goût acide sur son palais qui resta un bon moment. Puis il s’effondra d’épuisement dans une chambre étrangement propre et avenante. Faisant fi de toute prudence, il s’endormit sans demander son reste sur cette pensée : mis à part les forces de l’ordre, où se trouvait la population ?
Le soleil était haut lorsqu’il émergea de son sommeil. Il lui fallut quelques instants pour se remémorer les événements de la veille et remettre son esprit en mouvement. Il découvrit un repas complet et chaud sur le bureau face au lit, sans savoir comment il avait bien pu arriver là. Faisant ce qu’il n’avait pas fait la veille, il regarda attentivement autour de lui, scrutant avec attention la pièce où il se trouvait. Les boiseries sur les murs étaient recouvertes d’une lasure claire et la peinture blanche qui l’accompagnait au plafond donnait à l’ensemble un ton calme et simple, reposant en somme. La chambre était meublée, elle aussi, simplement, un lit à deux places de bonne qualité, une armoire gigantesque et un bureau équipé d’une bibliothèque, contenant quelques ouvrages complétaient le mobilier. Connor se leva et marcha vers l’armoire qu’il ouvrit. Elle était remplie à ras bord de vêtements de toutes sortes et un miroir intérieur sur chaque porte amenait un aspect pratique indéniable. Il put enfin s’observer à la lumière du jour, ce qui était un progrès par rapport à sa précédente inspection. La vingtaine, des cheveux bruns, mi-longs, des yeux marron, un pantalon noir et une chemise blanche. Voilà le portrait définitif qu’il put faire de sa personne, bien qu’il ne puisse toujours pas dire si le visage qu’il voyait lui convenait vraiment. Toutefois, maintenant qu’il avait pu se regarder en détail, il remarqua qu’il portait, à la main droite, une chevalière en argent munie d’une opale couleur de feu en son centre. Un « V » était gravé dessus, les branches de la lettre formant un entonnoir autour de la pierre orange. En fouillant ses poches, il découvrit aussi une montre de gousset avec un affichage numérique. Cet affichage indiquait le 22 mai 2151, 12 h 30. Bien qu’intrigué par toutes ces découvertes, mais potentiellement incapable de s’expliquer leur présence et leur utilité, Connor finit par s’asseoir sur le lit pour dévorer le repas découvert à son réveil, pendant qu’il était encore chaud. Une fois rassasié, il posa le plateau sur le bureau et se dirigea vers la salle de bain attenante. Mais en passant devant la fenêtre, son regard fut distrait par deux silhouettes en mouvement cachées dans l’ombre dans la rue en face. Toutefois, cette apparition fut fugace et très vite il ne distingua plus rien. Après plusieurs minutes d’observation, lassé, il reprit son chemin initial vers la salle de bain.
Prendre une douche lui permit de se sentir à nouveau propre, après les événements de la veille qui l’avaient vu, parfois, se jeter dans les poubelles des rues afin d’échapper aux nombreuses patrouilles de police sans doute à sa recherche. Nu, il quitta la salle de bain pour se trouver des vêtements dans l’armoire, glissant au passage un petit coup d’œil par la fenêtre sans rien voir d’inhabituel cette fois-ci. Les rues restaient désespérément vides de gens… Il mit rapidement un pantalon noir, une chemise blanche et trouva un manteau à sa taille, réplique exacte de celui qu’il portait la veille, mais sans odeurs ni traces de saletés dessus. Ne souhaitant pas continuer à tourner en rond dans sa chambre, il ouvrit la porte et entra dans le couloir. Le contraste était saisissant. Autant la chambre était spacieuse, propre et lumineuse, autant l’extérieur était poussiéreux et délabré… Le papier peint se décollait de toutes parts, le crépi partait en lambeaux des murs, et par endroits, le plancher et le plafond laissaient place à des trous béants vers le ciel et la salle à manger de l’auberge un étage plus bas. La moisissure répandait quant à elle une odeur de soufre suffocante partout autour d’elle. Contrairement au blanc de la chambre, le couloir était gris et terne. Connor s’engagea dans l’escalier avec prudence, se souvenant des craquements inquiétants des marches, la veille. En bas, il eut la surprise de voir que tout un pan de la salle à manger avait disparu, laissant un point de vue imprenable, mais discret sur la rue adjacente. Une fois encore, il fut frappé par l’absence d’êtres humains… Pas un bruit indiquant une présence humaine ou animale, pas de piaillement d’oiseaux, aucun rat dans les décombres. Juste une absence de sons quelconques. À peine au loin discernait-on le murmure étouffé de moteurs de machines invisibles.
Bien décidé à en découvrir plus sur le monde où il se trouvait, il sortit de l’auberge par le trou dans le mur plutôt que par la porte et commença à marcher dans les rues adjacentes. Les immeubles sur sa route étaient noirs, certains avec leur façade défoncée, des trous béants défigurant leurs murs et fenêtres. Plus il marchait et plus son malaise augmentait tellement tout paraissait triste et sombre. Même les panneaux directionnels, tous bancals sur leurs pieds, lui jetaient au visage des noms de rues qu’il peinait à déchiffrer tant la langue écrite était déformée par rapport à celle qu’il connaissait. Soudain, il entendit s’approcher plusieurs vrombissements sourds. Pris de panique, il courut se réfugier dans la ruelle la plus proche, derrière un mur effondré (ce qui semblait être une normalité ici, pour la plupart des murs). À l’abri, et attendant que les véhicules passent devant lui, son regard se porta sur un papier qui traînait au sol. Veillant à rester caché, il se rua dessus et s’en saisit. Il s’agissait en fait d’un vieux journal qu’il tenta tant bien que mal de déchiffrer. Son titre semblait évocateur, La Maturité, puis la date, 2 avril 2151, et enfin, le gros titre, en compagnie d’une photo très parlante, Descente chez les rebelles : 16 jeunes exécutés par la Sécurité Intérieure. Nouvelle purge en prévision ? Et la photo montrait des hommes armés lourdement et portant des uniformes militaires sombres, un pied sur le corps d’une des victimes (qui ne devait pas avoir plus d’une quinzaine d’années selon lui), comme s’ils posaient avec des trophées de chasse.L’horreur de la situation le frappa en plein visage… Comment pouvait-on faire ce genre de chose à des enfants ? Il ne savait pas où il était ni qui il était, et pour couronner le tout, il se retrouvait au milieu d’une guerre civile…
De retour à l’auberge, le journal en main, Connor s’effondra sur le lit dans la chambre sans voir qu’un nouveau repas avait fait son apparition sur le bureau. Son cerveau tournait à plein régime, mais il était bien incapable d’avoir le moindre souvenir d’avant son arrivée dans le magasin. Et ses questions sur sa situation actuelle ne trouvaient pas plus de réponses, engendrant plus de frustration que d’enthousiasme. C’est le cœur lourd qu’il finit par sombrer dans un demi-sommeil…
Le soleil se couchait lorsqu’il se réveilla en sursaut. Des chuchotements et des bruits de pas approchant discrètement de l’endroit où il se trouvait. Il se leva précipitamment et vit le plateau-repas, se saisit du couteau à viande présent dessus et se prépara à faire face à il ne savait quelle menace. Il se positionna de manière à être caché par la porte, afin de pouvoir bondir sur ses éventuels agresseurs. Il se trouva désappointé lorsqu’on frappa à la porte. Aux aguets, il s’approcha lentement, regardant fixement la poignée qui ne tournait pas. Il finit par s’en saisir et ouvrit le battant. À sa grande surprise, deux personnes entrèrent et s’installèrent tranquillement sur le lit. Il referma la porte, abasourdi, et regarda avec méfiance ses deux invités impromptus, d’une jeunesse déconcertante. Prudent, il conserva tout de même le couteau à proximité en s’approchant d’eux.
« Salut, c’est donc toi qui fais partie du mythique ordre des Voyageurs ? Tu n’es pas très impressionnant. Je m’appelle Sasha et elle c’est Lola. Quel est ton nom ? D’où viens-tu ? C’est vrai que tu as de super pouvoirs magiques ? »
Le flot de paroles du jeune garçon le submergea, le laissant sans voix. Il s’agissait des premiers mots qu’il entendait depuis son arrivée. C’était réconfortant et en même temps un peu surprenant. C’est la jeune fille qui répondit à la place de Connor.
« Sasha, on n’est pas là pour l’embêter avec nos questions. On est ici pour lui transmettre l’invitation de l’Oncle. Excuse le Voyageur, c’est un vrai moulin à parole… Quand il est lancé, c’est presque impossible de l’arrêter. »
Elle se tourna vers lui, attendant calmement que l’homme face à elle reprenne ses esprits.
Il était sonné, littéralement. C’étaient les premières personnes qu’il voyait et entendait depuis son arrivée, et le son de leur voix lui fit du bien. Malgré son trouble, il put profiter de ce répit pour observer ces étranges enfants. Ils devaient avoir entre seize et dix-huit ans. Lola était une petite rousse menue aux yeux bleus, vêtue d’un pantacourt blanc et d’un tee-shirt bleu. Elle portait une sacoche en bandoulière bleue avec un rabat en cuir marron qui reposait actuellement sur ses genoux. Son camarade, blond comme les blés, avec des yeux verts, portait un jean bleu et un sweat orange. De plus, les deux adolescents portaient chacun un couteau à la ceinture. Finalement, se sentant prêt à parler et voyant les deux enfants impatients, il se décida à répondre.
« Je m’appelle Connor Lancaster pour le moment. Je n’ai aucun souvenir de qui je suis ni de pourquoi je suis là. Et je ne sais même pas où nous sommes. Qui est l’Oncle ? Et pourquoi êtes-vous les deux premières personnes que je croise ici ? Où sont les adultes ? Et qu’est-ce qu’un Voyageur ?
Méfiant, mais ayant obtenu un début de réponse, il décida de leur accorder une timide confiance. Alors, d’un signe de tête, il leur indiqua la sortie et il quitta la chambre à leur suite.
Il suivit les deux adolescents à l’extérieur, non sans jeter un dernier regard agacé vers le repas qu’il n’avait pas touché et qui resterait intact sur le plateau. Une fois dehors, ses guides le dirigèrent avec aisance à l’écart des quelques lampadaires qui restaient en état de fonctionner. De même, quelques caméras pendaient plus ou moins sur leur socle, mais la petite lumière rouge qui clignotait ne laissait pas de doute concernant leur état de marche. La lune pâle éclairait leur route, qui se faisait de plus en plus étroite et sinueuse au fur et à mesure qu’ils avançaient. Chemin faisant, il se rendit compte qu’ils quittaient la zone désertique pour un lieu où la vie se faisait nettement plus présente, même si l’ensemble dégageait une tristesse et une noirceur sordide. Les barres d’immeubles à moitié en ruine ne tenaient debout que parce qu’elles étaient proches les unes des autres. Leurs derniers étages étaient à moitié effondrés formant un toit de gravats au-dessus de leurs têtes ajoutant encore à la noirceur des lieux. Toutefois, ici et là, des lampes, à l’intérieur des bâtiments, diffusaient une lueur filtrée, mais bien présente, offrant un timide repère, bienvenue dans ce labyrinthe complexe de rues et de décombres.
Après ce qui lui sembla une éternité à errer dans ce dédale de plus en plus étouffant, ils finirent par accéder à la porte latérale d’un ancien hangar moins miteux que tout ce qui les entourait jusqu’à présent. À peine entrés, ils furent arrêtés par un jeune homme massif et sûr de lui. Sans trop savoir pourquoi, Connor pensa tout de suite à un rugbyman et ricana tant l’image lui parut criante de vérité. Avant de se rendre compte qu’il était incapable de donner une définition de ce qu’était un rugbyman. C’est finalement confus qu’il se retournât vers ses accompagnateurs qui le regardaient légèrement de travers. Celui qui les avait interceptés ne devait pas avoir plus de dix-huit ans. Ce dernier prit la parole d’une voix en cours de mue, tantôt grave, tantôt aiguë.
« Sasha, Lola, c’est à cette heure-ci que vous rentrez ? Je vous signale que le couvre-feu est en vigueur depuis presque deux heures. Vous auriez pu tomber sur une patrouille et vous mettre grandement en danger, ainsi que… ce type… »
Connor ressentit parfaitement bien le mépris dans les derniers mots de la brute. Il le ressentit même à un tel point qu’il ne rêva plus que d’une chose : faire taire ce gamin prétentieux !
« Je te signale que nous étions en mission pour l’Oncle donc ne sois pas inquiet, Jordy, on savait ce qu’on faisait, répondit Lola. De plus, nous connaissons le labyrinthe comme notre poche et jamais une patrouille ne pourra nous mettre la main dessus. Nous étions forcés de rentrer de toute façon. La Sécurité Intérieure était sur les traces de notre invité. Si l’on attendait plus longtemps, nous étions cuits… Et lui partait directement garnir les prisons de nos “chers” aînés…
Le ton méprisant de son interlocuteur agaça fortement Connor. Visiblement, la patience n’était pas son fort et il explosa. Il s’en voulut juste après pour son geste, mais sur le moment, cela lui permit d’évacuer une partie de sa frustration. D’un mouvement, il empoigna Jordy par le col et lui expliqua que s’il ne changeait pas de ton il aurait des problèmes. Immédiatement, Lola, Sasha et Connor furent encerclés et ils durent faire face à une bonne trentaine d’armes pointées sur eux par des gamins à peine plus âgés que les deux adolescents qui accompagnaient le Voyageur.
« Les enfants, baissez vos armes ! »
La voix claqua dans l’air. Instantanément, les adolescents obéirent à cette voix sèche et cassante et s’écartèrent, leurs regards dirigés vers le sol. Profitant du passage ouvert devant lui, un homme proche des quarante ans avança en boitant dans la direction du trio, canne à la main. Arrivant à leur hauteur, il posa ses mains sur les joues de Sasha et lui embrassa le front, chose qu’il reproduisit avec Lola. Puis il se tourna vers Connor et lui tendit la main.
« Bienvenue Voyageur, je suis fier d’être celui qui a enfin la chance d’accueillir l’un des tiens dans sa modeste demeure. Je suis l’Oncle. Et, enfin, nos prières ont été entendues ! Les enfants, dispersez-vous s’il vous plaît, je dois discuter avec notre hôte. Mais, je vous propose d’organiser une grande fête en son honneur demain soir. Ce n’est pas tous les jours que l’on accueille un Voyageur chez soi. »
Il se tourna alors vers le trio : « Suivez-moi jeunes gens, nous avons à faire. »
Il guida les trois jeunes gens vers un escalier sur la gauche qui les mena dans un long couloir courant sur la totalité de la façade du bâtiment. Il marcha une trentaine de mètres avant de s’arrêter devant une porte rouge qu’il ouvrit. Elle donnait sur une vaste pièce meublée sobrement de deux canapés, d’une table basse et d’une bibliothèque conséquente. Dans le coin gauche, une petite cuisine, équipée sommairement, occupait un espace restreint. Une autre porte, dans le fond, sur la droite était close. L’Oncle invita les trois jeunes gens à s’asseoir sur les canapés tandis que lui se dirigeait vers la cuisine. Il alluma la bouilloire et sortit des gâteaux. Il revint vers le trio qui n’avait ni parlé, ni bougé, attendant, qui dans la gêne, qui dans l’indifférence, que l’Oncle s’installât et prît enfin la parole. Il servit une tasse de thé à tout le monde et disposa les gâteaux dans une petite assiette avant de s’asseoir sur le fauteuil qu’il traîna depuis la bibliothèque.
Connor profita de ce temps de silence pour observer l’homme qui lui faisait face. Il était vêtu très simplement, mais le choix des couleurs laissait quelque peu à désirer puisqu’il portait un pantalon et une veste verte avec en dessous un polo violet. Il était chauve et portait de petites lunettes rectangulaires, lui donnant un air strict. Sa canne était de bonne facture, mais relativement ancienne laissant supposer que l’homme face à eux disposait d’une certaine richesse contrairement aux personnes sous sa responsabilité, qui semblaient vivre dans la pauvreté. Dans ses yeux brillait une petite lueur de curiosité et d’amusement de même que beaucoup de sagesse, mais quelque chose au fond de son regard le gêna. Se rendant compte qu’il était observé, il croisa le regard du Voyageur et fut surpris par son intensité. Bien que confus, il se rendit compte que son invité était résolu à trouver des réponses, comprendre le pourquoi de sa présence, et résoudre tous les problèmes se posant à lui sans hésiter. Satisfaits de leur inspection mutuelle, les deux hommes détournèrent le regard pour s’intéresser aux autres occupants de la pièce qui les observaient un brin tendu.
« Bien tout d’abord, sachez que je ne suis pas votre ennemi et que je ferais tout pour répondre à vos questions, quelles qu’elles soient. Je suis celui qu’on appelle l’Oncle. J’ai pris la tête de cette communauté il y a presque vingt ans et on me nomme ainsi, car je considère chaque enfant ou adolescent ici comme mon neveu ou ma nièce. Ils peuvent venir me trouver pour répondre à toutes leurs interrogations ainsi que leurs problèmes. Tâche dont j’essaye de m’acquitter avec la plus grande compétence et la plus grande bienveillance. J’essaye d’enseigner à tous ces enfants un certain nombre de valeurs qui me sont chères. Mais avant de me lancer dans un long monologue, je devrais tout d’abord vous demander votre prénom ?
L’Oncle se prit la tête dans les mains, après avoir prononcé ces dernières paroles sur un ton proche du désespoir… Sacha et Lola semblaient abasourdis par la réaction de leur guide. Connor, lui se contenta de digérer les informations qu’il venait de recevoir. Ainsi, il appartiendrait à quelque chose de plus grand, de plus puissant aussi peut-être. Mais effectivement, pourquoi lui ? Pourquoi un débutant ? Toutefois, devant la détresse des autres occupants de la pièce, il prit la décision de faire tout ce qu’il pourrait pour les aider.
« Monsieur, je comprends votre désarroi. Toutefois, si vous avez fait appel à mon ordre et qu’on m’a envoyé moi c’est que j’ai sûrement dû être jugé apte à remplir cette mission. Et sachez que je ferai le maximum pour vous aider.
Voilà deux jours que Connor était l’invité de l’Oncle. En soi, cela n’avait rien d’extraordinaire, mais il restait assez sceptique quant à son séjour. Alors oui, en effet, il pouvait aller et venir à sa guise, poser les questions qu’il voulait sur la vie des gens et le fonctionnement du quartier ou encore lire tous les livres de la bibliothèque de son hôte. Néanmoins, quelque chose le dérangeait grandement. D’une part, il était constamment chaperonné par Sasha et Lola dès qu’il faisait un pas en dehors de son logement, bien qu’ils aient été utiles à de nombreuses reprises pour lui ouvrir des portes autrement fermées. D’autre part, il avait beaucoup de mal à saisir le rôle de l’Oncle. Tantôt conseiller, tantôt juge, voire collecteur des impôts. Cette multiplication des fonctions le faisait réellement s’interroger sur la vie en ce lieu. Cela ressemblait plus à une microdictature de l’adulte sur les enfants qu’à une figure paternaliste bienveillante. Bref, on était bien loin de la société modèle qu’on essayait de lui vendre.
La visite du quartier à proximité de l’entrepôt central lui avait permis de découvrir que la vie était très difficile, l’approvisionnement en nourriture dépendait des petites plantations hors sols installées sur les toits des immeubles et l’eau potable, présente dans seulement un logement sur vingt en moyenne. Le nombre de puits était de plus limité et l’accès réduit selon les heures de la journée afin d’éviter les gaspillages. L’électricité, elle, fonctionnait parfaitement, même si elle était produite par un système de dynamo qu’il fallait régulièrement enclencher. Toutefois, la peur de la Sécurité Intérieure faisait que très peu de gens l’utilisaient en soirée, préférant de loin, utiliser une bonne vieille bougie au lieu d’une ampoule afin d’éviter les descentes, pillages et meurtres de ces hommes sans foi ni loi. De plus, faute d’un entretien conséquent, les bâtiments tombaient en ruines, donnant encore plus que tout le reste, un aspect miteux au quartier.
La contestation estudiantine de Fengé avait débuté pour une raison somme toute basique, mais d’une importance primordiale pour eux : le gouvernement de l’époque avait réduit à néant leur pouvoir d’achat. Bourses d’études, aides aux logements et couvertures médicales avaient été purement et simplement supprimées. Dans le même temps, les syndicats étudiants s’étaient vu retirer leurs droits d’exister et les leaders de ces syndicats avaient été enfermés dans des lieux tenus secrets.
Les premiers jours qui suivirent l’annonce du gouvernement, il régna un calme précaire. En effet, les étudiants souhaitant faire les choses correctement avaient demandé des autorisations de manifester qui leur furent refusées. De fait, cette interdiction mit le feu aux poudres et, dès l’annonce du refus sur les réseaux sociaux, un million de jeunes, entre quinze et vingt-cinq ans, envahirent les rues de la cité état, pancartes à la main, faisant de leurs slogans et chants leurs principales armes contre le gouvernement. Le défilé dura une bonne partie de la journée dans une ambiance pacifique. Mais alors que le cortège arrivait à proximité des lieux du pouvoir à Fengé, la police, aidée par des renforts militaires, bloqua les principales artères de la ville et notamment l’avancée des manifestants. Les rues menant à l’itinéraire du convoi furent verrouillées et petit à petit l’étau se resserra autour des jeunes qui sentirent la situation leur échapper. Un vent de panique s’empara de la tête du cortège lorsque les canons à eaux entrèrent en action. De plus, les forces spéciales de la police commencèrent à charger les premiers rangs, matraques à la main. La même chose se produisit dans les rues adjacentes.
Les manifestants, compressés et attaqués de toutes parts tentèrent de se dégager, mais leur nombre fut leur perte. En effet, les mouvements de foules se firent de plus en plus nombreux et la panique s’installa dans tout le cortège. Si certains trouvèrent l’opportunité de se cacher dans les immeubles autour d’eux, d’autres n’eurent pas cette chance et se retrouvèrent soit piétinés par leurs camarades, soient battus par la police qui ne faisait pas de quartier.
Cette première manifestation fut une hécatombe. Les hôpitaux furent rapidement débordés tant les blessés et les morts affluèrent en nombre. Les médias dénombrèrent plus trois cents blessés et deux cent vingt-sept morts. Ces chiffres horrifièrent la population qui trouvait la réaction de l’état disproportionnée par rapport au comportement pacifique des manifestants.
Ces derniers en colère lancèrent le soir même, sur les réseaux sociaux, un appel à la résistance armée et à une nouvelle manifestation dès le lendemain. Mieux préparés, et nettement moins pacifiques, les protestataires ripostèrent sans hésitations aux attaques de la police. Ainsi, ce jour-là, ce furent les forces de l’ordre qui reculèrent face aux étudiants, et le bilan humain s’alourdit, mais fut réparti entre manifestants et gardiens de la paix. Ce furent cinq cents blessés et cinquante morts qui s’ajoutèrent à la liste, déjà longue, de la veille.
Pendant près d’une semaine, il y eut des affrontements quotidiens, de jour comme de nuit, dans les rues de Fengé. Devant la violence des affrontements, les habitants du centre-ville commencèrent à déserter leurs logements pour se rendre dans la périphérie de la cité état tandis que le gouvernement lui ne quittait plus la vieille forteresse médiévale qui occupait les hauteurs de la ville. Lassé par toute cette violence et par un mouvement qui ne faiblissait pas, le chef de l’état prit la décision de faire intervenir l’armée afin de pacifier la ville et reprendre la main sur la contestation.
Dans le même temps, il chargea la police d’établir des barricades et des points de contrôle à des endroits stratégiques une fois les lieux sécurisés par l’armée. De plus, une branche de la police appelée Sécurité Intérieure commença à gangrener les manifestants et parvint en arrêtant les principaux leaders à déstabiliser le mouvement. Ainsi, par l’action combinée de l’armée, de la Sécurité Intérieure et de la police, et au prix de plusieurs dizaines de milliers de morts et de blessés le mouvement s’essouffla et fut repoussé hors des limites de la ville alors qu’un mur commençait à s’élever à l’entrée des faubourgs de la ville. L’armée poursuivit son bain de sang encore quelques semaines le temps d’envoyer les derniers manifestants à une trentaine de kilomètres du mur encerclant désormais la ville. Une fois définitivement sécurisée, le chef de l’état prit la décision d’exclure de la ville toutes les personnes ayant entre sept et vingt et un ans.
Si sa décision provoqua bien quelques remous parmi la population restante, les souvenirs encore frais de la violente contestation et les convois armés sillonnant les rues finirent de faire taire les voix dissonantes. C’est ainsi que la cité état de Fengé derrière son rempart se retrouva amputée de près d’un quart de sa population en quelques mois. La Sécurité Intérieure nouvellement créée suite aux événements acquit un prestige considérable et continua d’agir en sous-main pour éliminer toute tentative de rébellion. C’est ainsi qu’un certain nombre de potentiels candidats à la révolte furent aimablement conduits dans leurs geôles et on n’en entendit plus jamais parler.
L’armée, cantonnée sur le mur, eut pour consignes de tirer à vue sur toute personne s’approchant à moins de trente mètres de la fortification. Elle fit aussi raser toutes les constructions se trouvant dans le même périmètre afin d’avoir une vue dégagée sur les alentours. D’énormes projecteurs furent aussi installés en haut des murs pour éclairer le sol en toutes circonstances. Les militaires percèrent quatre portes aux points cardinaux leur permettant de faire des sorties dans les alentours pour massacrer toute personne se présentant à proximité ce qui arriva de moins en moins fréquemment au cours des dix années qui suivirent.
Néanmoins, après presque une décennie, les autorités se rendirent compte que les habitants de la ville étaient destinés à vieillir et s’éteindre, s’ils ne faisaient pas une petite place aux jeunes qu’ils avaient relégués à l’extérieur. Ainsi naquit dans leur esprit l’idée de faire passer à tous les jeunes de plus de dix-neuf ans un test de maturité. Chaque jeune avait trois chances de le passer : lors de sa dix-neuvième année, de sa vingt et unième et enfin de sa vingt-troisième. Dans le cas où le jeune n’aurait pas réussi, il serait alors, en théorie, obligé de finir sa vie dans le ghetto. Même si, bien souvent, les recalés à vingt-trois ans réapparaissaient rarement à l’extérieur sans qu’on sache réellement ce qu’il était advenu d’eux. Une simple mention « refusé » sur les panneaux d’affichage extérieurs suffisait à faire comprendre la situation du candidat. De même, il fut décidé que, les enfants, nés dans l’intervalle, et, passés l’âge de sept ans, seraient envoyés vivre à l’extérieur des murs de la ville. Il fut aussi décidé de reprendre de manière régulière les expéditions dans le no man’s land sous l’autorité de la Sécurité Intérieure pour éliminer le plus de jeunes possible, afin de limiter leur afflux lors des tests de maturité. Ainsi, les populations extérieures furent soumises à nouveau à la mort et la destruction après une décennie de calme relatif.
En effet, une fois qu’ils eurent compris qu’ils ne rentreraient jamais à Fengé, il y eut un moment de flottement puis d’anarchie. Les leaders de la contestation tentèrent bien de garder unis les jeunes qui les entouraient, mais, devant la situation, les avis divergèrent et petit à petit, de manière plus ou moins violente, de petits chefs de gangs quittèrent le groupe principal pour s’installer de plus en plus loin, mais toujours à une distance raisonnable du mur afin de garder l’espoir d’un retour. Ainsi des microsociétés plus ou moins autocratiques virent le jour et subsistèrent comme elles purent, tout en subissant les assauts de la Sécurité Intérieure qui détruisait tous les ghettos qu’elle croisait sur sa route.