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Que sait-on des forces qui modèlent notre destin ?
Secrètement téléguidée par des mémoires anciennes en quête de réparation, une jeune femme va découvrir l’étrange rationalité des forces de l’invisible et se laisser prendre par la puissance de l’amour.
Entre Provence et Bretagne, un voyage initiatique tissé de beauté, de signes et de sens à savourer pas à pas.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Auteur d’"Un battement d’amour" (éditions La Cardère 2004) et de "L’enseignement de la crèche" (CLC éditions 2005),
Ilia Consolo a été l’un des 5 lauréats du Prix régional de la culture de Marseille en 1984 pour son roman "Les yeux de sel".
Une écriture lumineuse et sensorielle qui touche et fait sens.
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Seitenzahl: 160
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Les yeux desel
a fait partie des 5 romans lauréats
du Prix régional de la Culture de Marseille en1984
Propriété de l'auteur, le tableau utilisé en couverture
est de Jean Claude Campana, avec son aimable autorisation.
Ilia CONSOLO
LES YEUX DESEL
Un battement d’amour, Editions La Cardère,2004
(On peut en lire les premières pages sur le site de l’éditeur)
L’enseignement de la Crèche, CLC Editions,2005
(On peut le trouver entre autres à la boîte à livres)
Retrouvez l’auteur sur : https://www.iliaconsolo.com/
Un temps frileux, un ciel lourd de neige. Une lumière féerique. La nuit descend sur la ville. Elsa peut s’imaginer dans un conte norvégien. Sa tartine de roquefort tranche délicieusement sur le thé chaud et sucré qu’elle déguste par petites gorgées tandis que le froid se glisse partout au-dehors.
Des rais de lumière commençaient à fluer des fenêtres, transformant les immeubles en carroyages lumineux. On pouvait déjà se faufiler du regard dans leurs cellules secrètes, entrevoir un tapis, un espace mural, un bout d’étagère, des silhouettes…
Il fit bientôt nuit. Dehors, les bouches se mirent à lâcher des vapeurs grises. L’hiver approchait. Elsa aimait l’hiver. Elle aimait sa clarté, ses vitrines rutilant dans la précocité des nuits, la nudité de ses arbres, et ce plaisir qu’on y prenait à s’y réchauffer les mains autour d’un bol de thé ou de chocolat…
… Bonheur de savoir loin les pavés brûlés de soleil, le passant furtif cherchant le long des murs un recoin d’ombre, les immeubles accablés de chaleur, les corps qui collent…
Elle ouvrit la fenêtre. Un bruit tapotant d’allées et venues patrouillé de mots épars se répandit dans la pièce en même temps qu’un air frais. Instinctivement, elle se tourna vers photos de Bretagne exposées sur un grand panneau. Ses paysages évoquaient des odeurs si différentes, si pleines de vie ! Si sauvages…
La cloche de la cathédrale sonna. C’était l’heure. Elle décrocha sa vieille cape marine et sortit. Après cinq minutes de pavé froid et d’air vif qui chatouille entre deux mouvements de toile, elle poussa la porte vitrée, plongea dans un léger brouhaha et, tout en auscultant la salle, s’emplit d’un mélange fort aux narines – tabacs, cafés, alcools... – comme on n’en humait plus que dans ce bar rebelle.
Bien qu’elle ne l’eut croisé qu’une ou deux fois dans des soirées, elle repéra l’homme de dos. À peine l’avait-elle salué, il l’invita à s’asseoir du geste et, tête dressée, leva le bras pour commander deux bières avant de tirer de sa veste un papier plié qu’il lui tendit avec élégance. Elle le remercia d’un sourire. C’était l’adresse promise. Un petit silence flotta entre eux, dans le bruit de la salle. Puis l’homme – la quarantaine –, se mit à dire des choses, par petites touches, laissant sa voix vagabonder parmi les autres voix en un fil de confidences improvisées – ses relations, son travail, les vides et les pleins de l’existence… Agrémenté par les soucoupes apéritives que serveurs et serveuses venaient servir et desservir, un fil sensible qui finit par s’estomper les laissant dans un second flottement…
Elsa lorgna vers l’heure, au-dessus du bar. Piquée sur un mur jaune pâle, une pendule ronde marquait dix heures vingt-cinq. Elle n’avait pas vu le temps passer… La pendule lui évoqua un de ces vieux œilletons qu’une ancienne et puissante perception collective du temps avait, jusqu’à peu, répandus partout : sur les places, dans les cafés, les banques, les hôtels, les gares, autour des poignets…
Mais c’était leur fin. Cette pendule encore dotée d’aiguilles, encore pleine de rythme – « tic-tac, tic-tac, tu es vivante » – était une rescapée… Maintenant, l’heure ne tournait plus. Elle n’était plus que succession de chiffres secs. Un temps morcelé…
À l’extérieur, tout s’était mis au ralenti. C’était le début de la vraie nuit... Il fallait qu’elle bouge.
–Monsieur Albert, merci, se leva-t-elle. Je vais y aller... À la prochaine... ?
–Oui, bonsoir Elsa. Et bonne chance, cligna-t-il.
Passée la porte, elle hésita entre les cinq rues qui sortaient de la place, puis se lança droit devant. Elle aimait marcher la nuit dans la ville repliée. Dans cette souveraineté de la nuit... Tandis que son ombre s’amusait à allonger ou tasser sa silhouette au fil des lampadaires, le froid la saisit. Elle enfourna ses mains dans les poches de sa cape et tomba sur le bout de papier que l’homme lui avait passé. Elle n’avait même pas lu le nom de la rue…
Soudain avide de compagnie, elle bifurqua vers les boîtes de nuit de la rue du Fer blanc et l’enseigne lumineuse du Scoubidou dont elle aimait les caves et les tomettes rouges.
Quand elle y entra, un ensorceleur rythme de basses montait de l’escalier. En bas, tout n’était que balancements, jeu de bras, roulés de hanches, sueurs… Tandis qu’elle slalomait entre des corps, direction les coussins noirs au fond de la salle, un regard lumineux, vert bleu, toucha le sien. Une silhouette longue – pantalon rouge, pull ocre-terre, chevelure droite – la frôla et s’évanouit derrière...
Il faisait chaud. Elle ôta son chandail… Une immensité pressait sur sa peau. Elle ferma les yeux pour mieux la goûter, et le regard – gris-vert… ou bleu-vert… – qu’elle venait de croiser la pénétra d’une infinie douceur...
… C’était un vrai, un indicible, un immense mohair…
Elle attrapa son pull et replongea dans le flot. Une seule chose comptait : retrouver ce contact. Fixant tant bien que mal la silhouette de dos, son pull beige et sa chevelure droite, elle pagaya dans la masse, jouant des coudes pour garder le cap du pilier central du côté duquel la silhouette tressautait dans le feu du laser. Mais quand elle posa sa main sur la colonne rugueuse, plus de pull beige. L’inconnu s’était volatilisé...
Le lendemain, il était encore tôt quand Elsa ouvrit un œil. Il avait l’air de faire froid. Elle se renfonça pour essayer de se souvenir de son rêve, sans grand espoir. Depuis quelque temps, elle avait beau garder la même position et se tenir immobile, tout à la fois détendue et concentrée, rien à faire : ses rêves se refusaient. Même si par bonheur filtrait de ce trou noir un fil à remonter, une sensation, elle n’arrivait à rien. La sensation s’effilochait.
Déçue, elle rouvrit les yeux. Les rayures bleues et blanches des rideaux laissaient deviner une lumière de beau temps. Elle rabattit le drap sur sa tête. Ce jour lui volait sa nuit. Une brève concentration et elle retrouva le regard bleu, vert ou gris croisé la veille, intense et net comme si elle eut été une souris sous la garde d’un chat noir aux immenses iris verts, qu’elle aurait – ô folie ! –, envie de caresser...
Elle s’esquiva, sortit du lit et ouvrit la fenêtre. L’air fit durcir le bout de ses seins. En bas, quelques chevelures de femme, deux ou trois voitures arrêtées, un cycliste que la perspective déformait drôlement. Elle avait gardé en tête un pantalon rouge, un pull de mohair, une chevelure droite, et en avait conclu qu’il s’agissait d’un homme, mais était-ce bien sûr ? Tout était allé si vite... Agacée, elle prit une douche rapide, s’habilla presto, choisit, parmi sa collection de colliers, celui que lui inspirait la journée et sortit déjeuner. Cela lui arrivait rarement de déjeuner dehors, mais elle nourrissait, ce matin-là, l’espoir fou de rencontrer cet autre au regard dechat.
Elle s’installa dans le café de la place du palais.
Au-dessus de sa tasse de thé, une grande glace reflétait l’extérieur, ses étalages tortueux, le petit monde du marché. Les vendeurs, bras roulés sur le ventre, mains enfouies dans les manches, sautillaient sur place pour se réchauffer. Il était encore tôt, la foule était clairsemée. Elsa pouvait discrètement distinguer les visages des passants et saisir leurs mimiques… Et si l’aiguille bleue-verte perçait de ce lent flot d’humanité ? Elle l’espérait tant qu’elle crut plusieurs fois – chamade – reconnaître la silhouette brune.
Mais non.
Elle fixa son reflet. Devant elle, Elsa buvait du thé. Elle chercha un détail, quelque chose qui put lui indiquer ce qui, en elle, avait été… Quoi ? Piqué ? Accroché ?... Rien d’autre qu’un regard attentif, le sien, ne perçait de son double au-dessus de la tasse dethé…
Pourtant, là-bas, dans l’extrême douceur d’un regard de lumière, trônait une autre Elsa, elle le sentait. Sauf qu’une étendue indistincte l’en sépare qui dérobe le sol sous ses pas. C’est comme un seuil à franchir, et elle n’a qu’une seule piste : le regard phosphorescent de l’autre nuit...
Elle fit pensivement tourner l’anneau d’une de ses boucles d’oreille. En forme de lune, celles-ci donnaient à sa frimousse une nuance gitane qui lui allait bien mieux la nuit. Et puis, elles étaient vivantes. Le bleu de leurs pierres se teinterait, avec le temps, de verts, d’ocres et de jaunes comme les feuilles de l’automne…
Elle tressaillit. Ces lunes en turquoise vibraient du même mystère bleu-vert que sa rencontre au Scoubidou ! Inhabituellement à ses oreilles en plein matin n’en confirmaient-elles pas l’importance après coup, comme un reflet fulgurant donne au soleil sa place... ? Que cela vienne du dedans ou du dehors, ou des deux, cette fois elle en fut vraiment sûre, quelque chose qu’elle ne connaissait pas venait de s’emparer de son destin… Une force plus vaste la liait désormais à un autre monde, parallèle au sien. Elle était devenue l’un des pôles de deux univers adjacents, finement imbriqués… Une perspective aussi attractive qu’angoissante.
Elle eut besoin de bouger.
Dehors, une masse multicolore s’agglutinait maintenant autour des étalages. Les voix des marchands, claires et puissantes, tranchaient sur l’insaisissable des conversations – « Mandarines corses ! Les mandarines corses viennent d’arriver ! ». Elsa s’enfouit dans la cohue avec gratitude. Entre le monsieur très respectable penché dubitativement sur les oranges, la dame complètement tirée vers le haut fouillant par-delà les épaules, et l’éternel clochard haranguant la multitude dans la pâte de sa voix, rien de tel que cette foule contrastée baignant dans un incroyable méli-mélo d’odeurs et de couleurs pour se distraire d’elle-même. À l’autre bout de la grand place, elle s’acheta un bouquet et quelques légumes, et rentra...
La chambre sous les toits avait pris l’air du matin, mais l’heure était trop avancée pour le rayon de soleil. La jeune fille éprouva un soudain besoin d’ordre et, tout en rangeant, tomba sur le bout de papier avec l’adresse...
La rue était étroite, furtive et maladroite. Coupée du soleil, elle avait l’air triste. Au numéro huit, tranchait une grande porte en bois clair et comme trop bien entretenue. À l’intérieur, de larges escaliers, une rampe en bois ciré et un très haut plafond ouvert sur le ciel par une élégante coupe en vitrages, paraissaient destinés à une autre race qu’humaine. Un espace si… impérieux, qu’Elsa envisagea un instant de rebrousser chemin... Mais, un sursaut d’orgueil – elle n’allait pas avoir peur tout de même –, et la raison l’emporta. Elle grimpa jusqu’au second et appuya sur le carré de la sonnette... Après quelques bruits indistincts, la porte s’entrebâilla. Une chaînette barrait son ouverture. Au-dessus, une face de vieille dame l’examina.
–Bonjour, excusez-moi de vous déranger, mais je viens de la part de Mr Albert, qui m’a dit...
Le nom d’Albert eut l’effet d’une baguette magique. Tandis que la chaînette cédait le pas, les rides se multiplièrent sur le vieux visage et une voix rauque s’en éleva :
–Albert ? Oui, oui ! Entrez, entrez mademoiselle !
Elsa découvrit un salon propret. Napperons impeccables, bibelots lustrés… C’était vieillot. Elle avait à peine fait trois pas dans la pièce, que la vieille dame s’esquiva :
–Installez-vous. Si vous voulez fumer, le cendrier est sur la cheminée. Je reviens.
Etonnée par cette ouverture pour le moins incongrue à la cigarette, la jeune femme s’enfonça dans un vieux fauteuil en cuir. Autour, des rideaux un peu fanés, avares de lumière, un Christ qui s’ennuie sur sa croix, un éléphant en ivoire. C’était terne et sans vie. Pourtant, elle se sentit très vite observée. Elle sonda la pièce, guetta les bruits. Rien. Juste des roucoulements de pigeons, probablement nichés dans un creux de façade. La vieille tardait. Et si elle était en train de l’espionner ? On lui frôla la jambe. Elle sursauta. À ses pieds, un grand chat noir la fixait. À moitié rassurée, elle tendit la main pour le caresser.
–Il vous a fait peur ? C’est sa manie. Il entre sans se faire remarquer et tout à coup il est là, à se frotter contre vous. C’est un gentil chat. Et très malin. Hein Childéric ?
Elsa avait sursauté une seconde fois. Son hôtesse devait avoir la même manie que son chat ! Ses deux mains parcheminées posèrent un plateau sur la table basse et firent le service. Sur l’un des doigts, une belle bague, sans doute assez ancienne, formait un losange. Elle rimait avec la boucle qui ornait l’oreille gauche de la vieille dame dont, curieusement, l’oreille droite restait nue... Le tout évoqua à Elsa une obscure dame de pique. Après des paroles éparses autour d’Albert, son interlocutrice lui donna son prénom – Marguerite –, lui demanda le sien, passa au tutoiement parce « c’est beaucoup mieux » et, sans plus de cérémonie, lui présenta sa tâche de future dame de compagnie avant de conclure sur un bref : «Bon. Ces horaires devraient convenir à ton goût pour la nuit... Qu’en dis-tu ?»
Aussi surprise par le « tu » que par ce descriptif concis et efficace, Elsa accepta tout en bloc. Mais, une fois dehors, elle se sentit oppressée. Comment Marguerite avait-elle deviné qu’elle fumait et qu’elle adorait la nuit ? Pourquoi ne portait-elle qu’une seule boucle d’oreille à son âge ? Qu’avait son chat de si particulier ? Autant de bizarreries sans réponses... Tout en marchant, elle revit Mr Albert lui tendre le papier avec l’adresse. C’est parce que ce papier lui avait brûlé les doigts, qu’elle s’était retrouvée au Scoubidou. Et c’était encore à cause de lui qu’elle venait de s’engager auprès de Marguerite comme « dame de compagnie » – s’il vous plaît ! Est-ce qu’un seul geste pouvait vous faire un destin… ?
Quand elle prit, pour la seconde fois, la rue du Moulin, elle lui parut moins sinistre, bien que toujours tristounette. Elle grimpa quatre à quatre les grands escaliers et appuya sur le carré de la sonnette. De la musique filtrait. La porte s’ouvrit sur un « Ah ! C’est toi Elsa. Entre, entre !... » prononcé d’une manière si… si courtoise !, qu’Elsa aussi surprise par le « tu » que charmée par le ton se sentit gauche. Heureusement, Marguerite la mit tout de suite au travail : il fallait faire cet appartement à fond, comme cela ne lui était pas arrivé depuis longtemps.
Et c’est avec un certain plaisir que la jeune femme retroussa ses manches. Car une fois passé le salon morose qui servait d’entrée, l’on pénétrait dans un intérieur étonnant. Les meubles étaient charnus. Des tableaux ornaient les murs. Plantes et fleurs parsemées sur les guéridons, les bibliothèques et même au sol, rivalisaient de vitalité au milieu de musiques et d’auteurs innombrables. Elsa n’avait jamais imaginé que l’on puisse avoir autant de bibliothèques, qui plus est pleines à ras-bord…
Bref, tout alla pour le mieux. Seule tension : le chat, Childéric. Il ne cessait de la suivre dans ses allées et venues, la plupart du temps en douce. Elle ne se rendait compte de sa présence qu’au bout de quelques minutes, à cette même poisseuse impression sur la nuque que ce premier jour où elle s’était sentie observée. Car Childéric, lorsqu’il l’avait rejointe dans la pièce, s’asseyait dans un coin et la fixait des yeux...
La semaine s’écoula tranquillement. Tous les matins, Elsa passait par le marché pour arriver rue du Moulin les bras chargés de fleurs. Marguerite, toujours élégante, l’attendait, curieuse de la cueillette du jour avec laquelle rafraîchir et remanier ses bouquets... Elle intriguait énormément Elsa. Portant encore et à merveille les habits de sa jeunesse dont le style de nouveau à la mode la faisait ressembler aux jeunes femmes de la rue, elle paraissait aussi âgée que jeune. À ses côtés, Elsa en apprenait tous les jours, découvrait des musiques, des textes, des recettes de cuisine, le langage des fleurs, et s’habituait, peu à peu, à la lourde charge du regard de Childéric. À la fin de la semaine, elle s’était attachée à ce petit univers étrange et comme coupé du monde.
Le dimanche arriva et, avec lui, le plaisir d’une grasse matinée. Elsa jouissait de cette quiétude agréablement soulignée par le calme particulier des dimanches citadins, quand un visage sans traits aux prunelles bleu-vert s’imposa sans crier gare. Une impression si forte qu’elle se redressa vivement, certaine d’une présence dans la pièce.
Mais le studio était parfaitement tranquille. Rien de visible n’en troublait l’ordre, ni l’air. C’était comme si l’on avait toqué à sa porte, sans qu’il n’y ait personne derrière. Inquiète, elle prit les deux lunes cerclées d’argent posées sur la table de nuit et les tint au chaud dans ses paumes comme des moineaux avant de tirer les rideaux, faire chauffer de l’eau pour le thé et un brin de toilette. En ouvrant le placard pour un bol, une sensation poisseuse patina sur sa nuque. Instinctivement, elle chercha Childéric du regard, et se trouva stupide : elle n’était pas rue du Moulin, pas de Childéric chez elle !
Dehors, le ciel tissait un coton plein de neige. La luminosité comblait l’horizon des toitures d’une candeur de noël. Devant la fenêtre, Elsa laissait la quiétude des dimanches l’envelopper, savourant la chaleur du thé... Des pas montèrent de la rue. Une jolie cadence de pas solitaires. Sans raison, elle posa son bol et ouvrit la fenêtre : une longue silhouette en pantalon rouge marchait dans la rue déserte ! Ni une, ni deux, elle fila dans les escaliers et s’élança dehors. Trop tard. Il n’y avait plus personne… Elle eut comme un sanglot. Décontenancée, elle fit quelques pas et s’assit sur le trottoir, une main sur le front. Pourquoi cette affliction brutale ? Pourquoi cette course folle ? Que lui arrivait-il ? C’était incompréhensible. Pour se calmer, elle se remit à marcher. À force, elle retomba sur ses pas et remonta jusqu’au studio dont elle referma la fenêtre avant d’investir sa kitchenette histoire de s’occuper les mains et de se vider l’esprit en écoutant la radio. Elle passa ensuite le reste de la journée à lire bien au chaud dans son lit et finit par s’endormir.
Quand elle se réveilla, la nuit avait noirci le ciel. Ni lune, ni étoiles. L’air sentait l’anthracite. Sans le vouloir, elle avala un bout de cette nuit, son goût de charbon. Ses journées bien remplies le lui avaient masqué, mais une brèche s’était ouverte en elle. Une brèche dont rien que les bords lui faisaientpeur…
Elle se réfugia dans les paysages d’océan exposés sur ses murs. Elle y prit corps, inspira le vif relent des algues échouées, fila sur les rouleaux, entendit le cri de la mouette et sentit, sous ses pieds, le granulé du sable comme si elle y était, respirant à pleins poumons le petit vent du large.
Le bruit strident d’une jeune moto la ramena dans sa réalité... Les rideaux, l’épais tapis de laine, les boucles, les yeux de Childéric, ceux du Scoubidou