Les yeux défendus - Anne-Sophie Dixneuf Tissier - E-Book

Les yeux défendus E-Book

Anne-Sophie Dixneuf Tissier

0,0

Beschreibung

Le verdict est sans appel : la rétinite pigmentaire condamne Julie, à seulement 18 ans, à voir son univers sombrer lentement dans l’obscurité, sans espoir de guérison. Cependant, plutôt que de se résigner, elle décide de vivre pleinement chaque instant qui lui reste en lumière. Ainsi naît sa liste des « choses à faire » : un inventaire intime et audacieux des expériences à saisir, des moments précieux à immortaliser avant l’inévitable. Portée par une volonté farouche, Julie se lance dans une quête vibrante où chaque minute devient une victoire sur le temps, chaque vision un triomphe sur l’ombre. Les yeux défendus vous emporte au cœur d’une aventure humaine bouleversante, un hommage au courage, à la résilience et à la beauté de l’instant présent.

À PROPOS DE L'AUTRICE

Inspirée par des auteurs tels que Delphine de Vigan, Albert Camus, Pat Conroy, Paul Auster ou encore Anna Gavalda, Anne-Sophie Dixneuf Tissier signe ici son septième ouvrage. Avec une sensibilité particulière, elle le dédie à sa tante ainsi qu’à toutes les femmes et les hommes touchés par la rétinite pigmentaire, offrant à travers ses mots un hommage empreint de profondeur et d’humanité.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 105

Veröffentlichungsjahr: 2025

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


Anne-Sophie Dixneuf Tissier

Les yeux défendus

Roman

© Lys Bleu Éditions – Anne-Sophie Dixneuf Tissier

ISBN :979-10-422-5325-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

De la même auteure

Alice au pays des grands, Éditions Amalthée, 2010 ;

Éditions Edilivre :

Brèves de chemin, 2014 ;

Lucien est riche, 2014 ;

Tout en haut, 2016 ;

Les goûts et les couleurs, 2017 ;

Des illusions, 2020.

À Maé, notre tata Monique.

À son courage et à sa tête dure.

L’aveugle vous regarde de toutes ses oreilles.

Gilbert Cesbron

1

Je suis vieille, seule, et aveugle, abandonnée sur ce maudit lit d’hôpital depuis huit jours.

Ça fait trois fois que je sonne pour que l’infirmière me ramène de l’eau, mais elle n’est pas encore venue.

Je fixe l’obscurité à l’affût du moindre bruit.

J’écoute sans relâche les gémissements du patient de la chambre d’à côté depuis ce matin. Parfois il hurle. Je ne sais pas ce qu’il a.

J’ai demandé à l’infirmière, mais elle m’a juste dit d’essayer de me reposer un peu et m’a amené des petits tampons pour me boucher les oreilles.

Je les ai posés sur ma table de nuit.

J’étais pourtant tranquille chez moi jusqu’à la semaine dernière, enfin jusqu’à ce que je fasse cette chute.

Je suis vieille, c’est tout. Il ne faut pas être diplômé pour comprendre ça non ? Ma cécité n’arrange pas les choses, même si jusque-là je me suis bien débrouillée sans personne pour me guider.

Pourtant, ça fait une semaine qu’ils me gardent enchaînée à ma perfusion, comme si ça allait me rajeunir. Et ils y croient.

Tous les matins, les médecins et leur troupe passent, très sérieux, inspectent mon « tableau de bord », accroché aux barreaux du lit, et disent :

« Vous vous sentez mieux, madame Dublanc ? Vos analyses sont meilleures chaque jour. »

Ça, je voudrais bien y croire.

Vous croyez vraiment qu’à quatre-vingt-huit ans, on peut avoir de bonnes analyses ? Tu parles d’une blague. Ils devraient me conseiller une bonne séance d’aérobic pendant qu’ils y sont.

Je donnerais cher pour rentrer chez moi et mourir tranquille, sans ces aiguilles qui me lacèrent les bras et ces tubes qui m’irritent la gorge.

Je n’ai rien demandé à personne moi. Ça fait déjà près de quinze ans que je vis seule, dans l’obscurité totale, et je n’ai jamais eu besoin que l’on m’assiste.

J’avais droit à une aide trois fois par semaine pour faire les courses et le ménage, et tout allait parfaitement bien.

Bien entendu, j’entendais ses soupirs quand je fonçais dans les gens au supermarché, ou quand elle me trouvait dans le jardin en train de tailler mes rosiers. Évidemment, parfois je coupais le bout de mes gants, mais je sais que mes roses étaient bien mieux entretenues que celles de la voisine. Elle n’a jamais eu la main verte, celle-là. Elle ne savait même pas différencier une tulipe d’un hibiscus. Elle pouvait se vanter d’avoir un grand jardin. Un vrai fouillis plutôt. Partout, des mauvaises herbes. Entremêlées les unes sur les autres. Je voyais bien, enfin j’imaginais, le tableau.

Il y a eu une journée fatidique.

J’étais dans le garage, en train de chercher mes bocaux de tomates, j’ai avancé trop vite vers la porte de l’escalier, que je pensais avoir laissée ouverte, et paf, je suis rentrée dedans. Bon, c’était un sacré coup, mais j’ai bien senti que je ne saignais pas, et je me suis vite appliqué de la glace pour que ça ne gonfle pas trop.

C’était justement le jour où venait mon aide.

Quand j’ai entendu son ton monter et qu’elle s’est mise à hurler : « Mais, madame Dublanc, qu’est-ce qu’il vous est arrivé ? », j’ai compris que je devais avoir un sacré bleu. Je sentais mon arcade sourcilière un peu enflée, mais comme le miroir restait noir devant moi, je ne me suis pas inquiétée. Elle a tenu à m’emmener d’urgence chez le médecin, lequel m’a, bien entendu, tenu le même discours que toujours.

« Vous devriez avoir quelqu’un à domicile en permanence, vous ne pouvez plus vivre seule. Ou au moins, prenez un chien, et patati et patata… »

Moi j’écoutais, sans ciller, en finissant parfois ses phrases, parce que son baratin je le connaissais par cœur.

Muriel, mon aide, m’a ramenée à la maison, en insistant intensément sur ce que le docteur m’avait dit, mais là je n’écoutais plus. Je pensais à mon rôti, que je n’avais pas encore décongelé, et je me demandais ce que j’allais bien pouvoir manger à la place.

Manque de chance, le soir même, alors que je me passais sur mon œil amoché la crème que m’avait prescrite mon ange gardien, j’ai entendu frapper à la porte. J’ai pris peur et je me suis lancée dans le couloir en oubliant la serpillière que je venais de passer et que j’avais laissée en travers. Je me suis écroulée dans le couloir encore glissant.

Mais cette fois-ci je ne me suis réveillée que dix heures plus tard sur ce maudit lit d’hôpital.

Quand j’ai appris que cette visite importune n’était autre que ma voisine qui venait s’assurer que tout allait bien, parce que la petite Muriel lui avait demandé de venir jeter un coup d’œil, vous imaginez ma rage.

Depuis, je suis ici. Sur ce lit dur. Personne ne vient me voir. J’ai peu parlé depuis mon arrivée.

« Et vos enfants, madame Dublanc, ils ne pourraient pas s’occuper de vous ? »

Ah mes enfants !

Mes deux grands sont venus me voir. Une fois. Le premier jour.

« Ah ben maman, tu nous as fait une sacrée peur. »

C’est sans doute pour cela qu’ils ne sont pas revenus.

Je ne devrais pas être si dure avec eux. Ils aimeraient me rendre visite plus souvent, mais leur vie est déjà une course permanente donc, y rajouter une visite à l’hôpital n’est pas aisé.

Ils travaillent beaucoup et leurs petits ont aussi besoin d’attention. Ils sont tellement vivants, pleins d’énergie et de malice. Ils ne venaient pas beaucoup chez moi, mais maintenant ils m’appellent régulièrement. Lionel le plus grand est à Dunkerque et Rémi à Lyon. Je vis à Dole. Ce n’est pas la porte à côté ni pour l’un ni pour l’autre.

Quant à ma petite dernière, Lucie, elle et son mari se sont installés en Amérique depuis huit ans. Ils attendent leur troisième enfant. Un garçon qui s’ajoutera aux deux chipies qu’ils ont déjà. Marine et Lola, deux petits bouts de femme que j’adore, mais que je ne vois pas assez souvent. Enfin « voir » n’est pas le mot exact dans mon état.

Heureusement les frères ont rassuré leur sœur pour qu’elle ne saute pas dans le premier avion. Bien entendu, j’ai senti son inquiétude quand elle m’a appelé et je l’ai rassurée comme je l’ai toujours fait. Elle me passe un coup de fil tous les jours vers 18 heures, ce qui fait midi où elle est.

Bon, j’ai vraiment soif maintenant !

Je resonne.

La porte grince.

« Qu’est-ce qu’il y a, madame Dublanc ? »

« J’ai soif ! »

« Ben, fallait sonner, je vous apporte de l’eau tout de suite. Vous avez besoin d’autre chose ? »

« Quand est-ce que je peux rentrer chez moi ? »

« Ah ben ça, il faudra voir ce que disent les médecins, mais profitez-en. On vous bichonne bien ici non ? »

« … »

Qu’est-ce qu’elles m’agacent les infirmières ! « Et comment va madame Duchemol, et monsieur Dutruc ? Oh, mais vous avez bonne mine aujourd’hui ! ». Je les entends qui sautillent sans arrêt. Elles ressemblent à des petits rats de l’opéra un peu lourds.

J’essaie d’écouter la télé pour passer le temps, mais les programmes d’aujourd’hui sont d’une incroyable débilité. Il n’y a pas une seule chaîne qui offre quelque chose d’intéressant et d’un peu instructif.

La solitude et l’ennui font ressurgir ma vie dans mon esprit si lucide. Elle revient tout doucement, comme si je revivais, chaque jour, un de ses chapitres, les périodes de mon existence, une par une, en attendant que la lumière s’éteigne à nouveau. Je me rappelle très peu les années où je voyais encore. Ma vue a dégénéré très vite, et passé le choc initial, j’ai appris à vivre autrement. L’obscurité a semblé rendre mon cerveau plus attentif au moindre détail et ma mémoire est plus performante que celle du meilleur disque dur de chez Apple, je vous le dis.

C’est drôle comme le passé paraît plus proche quand on est aux portes de la fin.

Je ne parle à personne, je mange peu.

Je pense.

2

Je m’appelle Julie. Julie Dublanc. J’ai cinq ans.

Tout le monde dit que je suis une petite poupée survoltée.

Normal, je n’arrête pas de bouger, de parler et de toucher tout ce que je vois et tout ce que je trouve.

Nous vivons dans une immense maison à la campagne avec un grand jardin. Ça m’arrange parce qu’au moins j’ai de quoi faire dans ces 250 mètres carrés de construction et ces 4000 mètres carrés de terrain. Et tout ça pour moi seule !

Je suis fille unique.

Maman n’a jamais voulu d’autre enfant après le travail que je lui ai donné dès ma naissance.

Je suis née un 14 juillet et mon arrivée a été une véritable révolution pour mes parents.

L’accouchement a été rapide mais douloureux. Maman n’a pas voulu de péridurale, parce qu’elle disait que c’était son premier enfant et qu’elle préférait le vivre à cent pour cent.

Je suis sortie tout ébouriffée, un peu joufflue et j’ai hurlé pendant longtemps après avoir quitté le ventre maternel. Les infirmières m’ont fait passer de bras en bras, mais aucune n’a été capable de comprendre ce que j’avais.

Pour cette raison, les médecins ont préféré me garder pendant une semaine pour faire des examens. Avec maman bien entendu. Leurs études n’ont rien donné, et mes cris ne cessaient que lorsque je m’accrochais avec frénésie au téton de ma pauvre mère. Rassurée, je tétais sans répit en accrochant mes petits poings à son sein meurtri.

Mon poids n’augmentait pourtant pas démesurément, et les docteurs s’inquiétaient de voir ce petit bout de chou, nerveux et agressif, trépigner entre leurs doigts lors de leurs recherches médicales.

Au bout d’une semaine, ils ont lâché prise sur mon cas et m’ont laissé connaître mon véritable foyer. Un petit appartement au troisième étage, sans ascenseur, avec vue sur Auchan. Nous habitions à Bordeaux.

Maman a préparé ses affaires, un peu inquiète de se retrouver seule avec moi, m’a enchaîné à son téton, et nous avons quitté l’hôpital dans la voiture de papa, qui était venu nous chercher.

Pendant tout le trajet, j’ai gardé ma bouche occupée, accrochée à ma tétine maternelle. Dès que maman s’est levée pour descendre de la voiture, mes pleurs hystériques ont repris de plus belle. Ce vacarme a manqué de faire revenir mes parents sur leur pas, et de déposer ce petit paquet, bien emmailloté dans ce tissu tout blanc, dans un endroit perdu, pour que personne ne puisse entendre ces cris incessants.

Toutefois, ils ont pris leur courage à deux mains, ont grimpé les étages en priant pour qu’aucun voisin ne sorte voir qui créait un tel raffut, et m’ont installée, toujours hurlante, dans mon joli berceau, décoré de peluches et de mobiles musicaux.

Je dois reconnaître que mon arrivée avait été bien préparée. De nouveaux objets ont accaparé toute mon attention. Le plafond brillait, mon lit chantait, mes doigts cherchaient à attraper l’ensemble. Ma bouche a continué son concert, et mes mains ont commencé à s’agiter. Elles n’ont depuis que rarement cessé.

Mon envie d’attraper ces nouvelles choses était telle que mon minuscule corps se trémoussait avec tant de force que maman était obligée de me surveiller, jour et nuit, pour que je ne passe pas par-dessus les barreaux, pourtant élevés, de mon lit de bébé.

Les deux semaines qui ont suivi mon retour ont été bouleversantes pour toute la famille.