Lettres empoisonnées - Anas Boutchich - E-Book

Lettres empoisonnées E-Book

Anas Boutchich

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Beschreibung

Trois lettres, trois destinées. Dans chacune des nouvelles, un personnage reçoit un courrier qui ravive une douleur enfouie, intime, parfois insoutenable. Chaque lettre agit comme une faille qui s’ouvre, révélant les fragilités propres à chacun. Leurs réactions, modelées par leurs histoires personnelles, tracent des chemins divergents : l’un résiste, l’autre chancelle, un troisième cherche un sens. Ainsi se dessine un triptyque sensible sur la façon dont la douleur s’insinue, se vit, et parfois, se dépasse.

 À PROPOS DE L'AUTEUR

Nourri par un riche parcours professionnel et social, Anas Boutchich a toujours cheminé aux côtés de la littérature, qui l’a accompagné tout au long de son itinéraire académique. Après Une histoire inachevée, il revient avec ce second ouvrage.

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Seitenzahl: 119

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Anas Boutchich

Lettres empoisonnées

Nouvelles

© Lys Bleu Éditions – Anas Boutchich

ISBN : 979-10-422-7057-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Dans la vie, tout le monde est condamné à vivre des moments douloureux. De ces moments naissent parfois des états d’âme extrêmes que tout le monde n’appréhende pas de la même manière. Chaque personne dans ce monde a un vécu dont les chapitres sont uniques. Toute personne est une histoire unique. Et c’est de cette unicité que l’acceptation et ensuite l’adaptation ou la résilience à tout évènement extrême varient entre les êtres.

Seul le risque de souffrir, c’est-à-dire le point d’entrée, est un facteur en commun entre les êtres, car la suite, le point de sortie, peut différer d’un être à un autre. Ainsi, toute issue à la souffrance est unique, car elle dépend essentiellement de l’histoire de l’être en question. Pourquoi ? Parce que la vie est une continuité d’évènements qui condamnent le présent, trait d’union entre le passé et le futur.

Ce qui suit n’est pas un traité de la souffrance ni la synthèse d’une étude psychologique ou sociologique écrite de manière romanesque. Les trois histoires suivantes correspondent à trois types d’issues à une souffrance éprouvée par trois personnages qui ont trois vécus différents, trois historiques différents. Le point en commun entre les trois personnages ? Des lettres qui s’avèrent empoisonnées.

L’égarement

1

Les rideaux étaient fermés, la porte de la chambre aussi.

J’étais dans un noir absolu.

Il était presque minuit et cela faisait près de deux heures que j’essayais désespérément de dormir. Je fermais les yeux, regardais un noir encore plus sombre, prenais un grand souffle, et essayais de m’éloigner de la conscience. À chaque fois, c’était un échec. D’ailleurs, cela faisait plus d’un an que la même chose se répétait jusqu’à ce que l’insomnie de tous les jours devienne une routine.

À un moment de cette nuit, je me suis levé et j’ai allumé la lampe.

Dans la chambre à coucher, il y avait un canapé que j’avais acheté exprès pour m’asseoir à cette heure-ci de presque tous les jours. Après m’être levé, j’ai pris un verre d’eau puis je me suis assis sur le canapé. La lumière venant du plafond était tellement forte que mes yeux s’ouvraient de plus en plus, causant un mal profond à mon cerveau. J’ai alors éteint la lampe et allumé la bougie qui se trouvait sur la table de chevet.

Assis, je me suis mis à penser et comme à chaque fois, la seule chose qui me venait en tête était la scène que j’ai vue deux ans de là. Comme toutes les fois, ma tête commençait à tourner anarchiquement comme pour donner naissance à ce mal de tête qui venait quelques secondes plus tard. Comme toutes les fois, je me hâtai d’ouvrir le tiroir de la table de chevet, agenouillé par terre, la main droite sur ma tête et l’autre cherchant la boîte blanche que je sortais d’habitude. Mais cette nuit-là, ma main gauche sortit la boîte noire.

Lorsque j’ai vu la couleur de la boîte, je me suis rassis par terre, le dos contre la table de chevet et la main droite toujours sur ma tête. Je restai quelques minutes à regarder la boîte noire puis d’un geste instantané et brutal, je la jetai. Je me hâtai par la suite à me retourner vers le tiroir et lorsque ma main gauche s’y est glissée, je sortis la boîte de manière déraisonnée. Dans la boîte, il y avait mon médicament que je prenais dans de pareilles circonstances. Lorsque j’ai avalé la gélule, le verre d’eau me paraissait si lointain que je ne pouvais aller le prendre. Me contentant de ma salive pour pousser la gélule dans l’œsophage, je me suis allongé par terre en regardant au plafond les images que le mouvement de la flamme de la bougie produisait.

Puis, sans le sentir, je me suis endormi.

2

Le lendemain, lorsque nos yeux se sont croisés, je n’ai pas pensé aux mots bleus qu’elle allait prononcer quelques jours plus tard. Lorsque nos yeux se sont croisés, je lui ai souri, mais ce sourire pourtant sincère ne ressemblait pas à celui que j’allais lui faire quelques jours plus tard.

C’était un matin d’hiver, il faisait froidement triste alors que mon esprit ne survivait que par l’espoir du printemps qui allait venir. Cet hiver-là était triste parce que j’étais solitaire dans une solitude qui sentait la mort. L’hiver est fait pour être vécu à deux. C’était donc un matin d’hiver et la grisaille obscure m’inspirait un chagrin peuplé de désarroi. Je me réveillais dans le noir et me couchais dans le noir. Entre les deux, je vivais dans cette grisaille. Ce matin-là devait ressembler à tous les autres matins de cet hiver. Il devait être ennuyeux.

Pour aller au bureau, je prenais le train. Ce matin-là, comme tous les autres, j’ai pris le train. Durant le trajet, j’étais habitué à écouter de la musique. Les matins d’hiver sont faits pour écouter de la musique. Il pleuvait ce matin-là et comme j’étais seul, je n’aimais pas lorsqu’il pleuvait. La pluie est faite pour être partagée. On est mieux à deux sous la pluie que tout seul. Dans le train, écoutant la chanson « November rain » même si on était en janvier, je regardais la pluie à travers la fenêtre du wagon. Et puis, je ne me sentais plus seul. La musique est une compagne qui fait du bien.

Lorsque je suis arrivé à la gare, il pleuvait encore, mais je n’avais pas de parapluie.

Comme la pluie est faite pour être partagée, j’ai gardé ma compagne dans mes oreilles. Le bureau était à un peu moins de dix minutes à pied de la gare. Alors, je me suis choisi « Stairway to heaven » comme compagne.

En arrivant au bâtiment de l’entreprise, j’étais mouillé comme si je sortais de la douche. Alors, je me suis directement dirigé vers mon bureau pour prendre la serviette que je laissais pour une quelconque circonstance. On est mieux lorsqu’on est deux à être mouillés que tout seul. J’ai pris la serviette et je suis allé à la salle de bain pour me sécher.

Après avoir fini le séchage, je suis allé chercher mon café de ce « matin d’hiver » à l’espace de partage comme on l’appelait. Mais le café des matins d’hiver est fait pour être partagé.

J’étais seul dans l’espace de partage lorsque j’ai commandé un expresso à la machine. Il faisait froidement triste et seul, j’entendais un silence assourdissant. Quelques instants plus tard, le silence s’interrompu et comme des secouristes de l’âme, quatre personnes apparurent.

Elle était parmi les quatre. Elle était une secouriste parmi ces quatre. Mon regard croisa d’abord le sien et il se tourna ensuite vers les trois autres. Dans cet espace, il y avait désormais elle et moi, et puis les trois autres. À leur arrivée, le silence partit soudainement pour que les dialogues prennent place. Moi, je ne disais rien. Elle, non plus. Je me contentais d’écouter les autres, les trois. Elle, aussi. Seul, moi, et seule, elle, écoutions les autres, les trois. Et puis, nos regards se croisèrent. Lorsque nos yeux se sont croisés une deuxième fois, je n’ai pas pensé aux mots bleus qu’elle allait prononcer quelques jours plus tard. Lorsque nos yeux se sont croisés, je lui ai souri, mais ce sourire, pourtant sincère, ne ressemblait pas à celui que j’allais lui faire quelques jours plus tard.

C’était un matin d’hiver. C’était un mardi d’hiver.

3

Elle avait des yeux de lynx. Son sourire était machiavélique. Ses cheveux étaient « princessement » coiffés. Elle était d’une sveltesse idéale et d’une élégance remarquable. Lorsqu’elle souriait, le paysage autour d’elle changeait. Et lorsqu’elle riait, l’attention des Autres se perturbait. Sa manière de marcher était aussi remarquable, inimitable. Son corps, animé, était artistiquement parfait. Elle incarnait ce qui n’existait pas encore. Elle incarnait un art que je ne connaissais pas encore. Elle était le huitième art. Jusque-là, tout ce que je connaissais d’elle, était son corps animé.

Il était midi et quelque chose et comme tous les jours à cette heure-là, je passais devant son bureau pour descendre à la cantine. À dire vrai, je ne sais pas si je passais par son bureau pour aller à la cantine ou si j’allais à la cantine pour passer par son bureau.

Ce jour-là, à midi et quelque chose, je suis passé par son bureau pour aller à la cantine. Elle était là, dans ce bureau qui, sans elle, ne ressemblait à rien. Sans elle, ce bureau n’aurait peut-être pas existé dans ma tête. C’est grâce à elle qu’il existait. Il était midi et quelque chose, et lorsque je suis arrivé devant son bureau, mes jambes ont décéléré. Mon cerveau et mes yeux les ont suivis pour décélérer leur activité. Ainsi le « temps » change. Il est certain qu’à ce moment-là, ce n’est pas mon cerveau ou mes yeux qui avaient freiné leur activité, c’était juste l’effet de cette créature qui m’avait fait croire ainsi, mais cela je ne le pensai que plus tard.

Il était midi et quelque chose, elle était assise sur cette chaise que j’enviais, regardant l’écran de son ordinateur et posant sa main droite sur la souris, l’autre sur le clavier. Elle travaillait. Et puis, soudainement, son regard quitta l’écran pour se poser sur moi. Elle m’a regardé et puis elle m’a souri. Certainement, le paysage dont je faisais partie avait changé comme tous les autres sur lesquels elle posait ses yeux. Son regard fut tellement rapide que ma réaction ne l’avait pas suivi. Elle m’a regardé, elle m’a souri et le temps de lui sourire à mon tour, son regard m’avait quitté pour revenir se poser sur l’écran. À ce moment-là, je me suis senti stupide d’avoir raté l’opportunité de lui sourire et puis serrant mes dents, je continuai le chemin vers la cantine.

Dans l’ascenseur, regardant le miroir posé, je l’imaginais à côté de moi. Je lui ai souri maintes fois jusqu’à ne plus me sentir seul. Lorsque les portes de l’ascenseur se sont ouvertes, j’ai vu qu’il pleuvait. Ainsi je redevins seul. Je sortis les écouteurs de ma poche, les mis dans mes oreilles et continuai le chemin vers la cantine.

4

Le soir, vers dix-huit heures et quelque chose, j’ai quitté le bureau et lorsque je suis passé devant le sien, elle n’était plus là. Sans elle, l’endroit était vide et ne faisait aucun effet. Cette fois-ci, mes jambes, mon cerveau et mes yeux n’avaient fait aucune réaction. Toutefois, je me suis arrêté, regardé l’écran de l’ordinateur, la souris et le clavier et puis, je leur ai souri. Comme si elle avait légué une partie d’elle à ces objets. Pour moi, il y avait encore quelque chose d’elle dans ce bureau.

Quand les portes de l’ascenseur se sont ouvertes, il ne pleuvait pas, mais j’ai sorti les écouteurs de ma poche et les ai mis dans mes oreilles. Ce fut étrange et je le remarquai sur le moment. Parce que d’habitude, lorsqu’il ne pleuvait pas, je n’écoutais pas la musique.

Cela faisait deux ans que j’étais seul. Deux ans se sont écoulés depuis cette rupture dont la douleur s’est sédentarisée dans mon esprit. Je me sentais seul, mais lorsqu’on a été trahi, on se sent moins seul tout seul qu’avec quelqu’un. La trahison que j’ai vécue deux ans plus tôt m’avait éloigné des femmes.

Lorsque je suis monté dans le train, je gardais encore les écouteurs sur mes oreilles. Et lorsque je me suis assis, la chanson « Heaven » avait commencé. Écoutant la chanson et projetant mon regard depuis la fenêtre vers l’extérieur, j’ai pensé aux sourires, celui du matin et celui du midi et puis, j’ai souri. C’est à ce moment précis que je décidai de l’appeler, elle, Heaven, comme la chanson.

Ce n’était plus étrange désormais, la main qui s’est glissée dans ma poche pour prendre les écouteurs et les mettre sur mes oreilles pour que j’écoute de la musique, voulait me rappeler Heaven. Cette main, le pensai-je, voulait que je rejoigne Heaven.

5

Le vendredi suivant, il était convenu que je retrouve quelques collègues-amis dans un bar à Paris.

J’habitais à près de trois quarts d’heure de ce bar et je devais prendre le train pour m’y rendre. Vers vingt heures, j’ai pris le train pour y aller. Ce soir-là, il ne pleuvait pas. Mais lorsque je me suis assis dans le train, ma main s’est glissée dans ma poche pour sortir les écouteurs. J’ai compris à ce moment-là que Heaven allait m’accompagner durant les trois quarts d’heure de trajet. Durant celui-ci, je n’ai pas arrêté de penser aux sourires. Je me suis posé des myriades de questions et chacune me renvoyait vers un périple de réflexion où les réponses abondaient comme les étoiles dans le ciel d’été. J’essayais de décrire ce sourire, et puis de l’analyser, sans y parvenir. Et puis par moments, je me disais que je ne devrais pas essayer. La pureté de ces sourires résidait dans le fait qu’il n’y ait ni description ni analyse digne d’exister. La pureté de ces sourires était telle que ceux-ci échappaient à toute objectivité. Arrivant à cette conclusion, j’ai souri.

Trois quarts d’heure plus tard, je suis arrivé à l’adresse et avant d’y mettre les pieds, j’ai rangé mes écouteurs dans ma poche. Lorsque je suis rentré dans le bar, j’ai projeté mon regard à l’intérieur pour voir où étaient les collègues-amis et comme d’un effet éclair, mon regard croisa d’abord le sien. Je restai figé un moment, et puis son regard se tourna ailleurs. Heaven était là. Elle m’attendait aussi, avec les autres.