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"Love and light" est le récit d'Angèle qui se confronte au défi d'affronter les difficultés de la vie. Armée de courage et de résilience, elle donne un nouveau sens à son existence et décide, malgré tous les obstacles qu’elle doit surmonter, de réinventer sa réalité, tout en gardant espoir en un avenir meilleur.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Solène Lopez, enseignante de profession et diplômée en lettres, puise son inspiration dans les échanges quotidiens avec les adolescents, en particulier leur manière de voir le monde et leur résilience face aux défis. Son premier roman, "Love and light", a pris forme pendant le confinement en 2020.
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Veröffentlichungsjahr: 2024
Solène Lopez
Love and light
Roman
© Lys Bleu Éditions – Solène Lopez
ISBN : 979-10-422-1412-8
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
To Paige Turco, my Fairy Godmother,
who inspires me and sends me so much love and light.
À mamie Colette,
qui m’a transmis le goût de la lecture et de l’écriture.
La résilience
La résilience, c’est fleurir dans une terre acide ou après un hiver long et rigoureux.
Autour de nous, il y a de nombreux résilients silencieux, comme celui qui a survécu à une grave maladie ou qui a repris sa vie en main après un traumatisme effroyable.
Un être résilient, c’est quelqu’un qui ne s’est pas laissé abattre par les épreuves, mais qui est devenu plus fort grâce à elles.
C’est un combattant courageux qui se tient debout alors que d’autres finiraient par baisser les bras.
C’est un enfant maltraité qui devient un adulte droit et compatissant à la douleur des autres.
C’est quelqu’un à qui on dit de se taire toute sa vie et qui finit par prendre la parole, SA parole.
C’est un enfant du divorce et des conflits qui persiste à croire à l’amour et au couple.
C’est l’oiseau à l’aile amochée qui réapprend à voler.
Nous sommes tous des êtres résilients. Nous avons tous survécu à nos propres guerres.
Souvenons-nous-en lorsque nous rencontrons une autre épreuve.
Nous sommes capables de survivre. Nous l’avons déjà fait.
Diane Gagnon
Angèle était assise sur l’une des chaises alignées contre le mur, face au bureau du commissaire. On lui avait dit d’attendre ici. Qui lui avait dit ça ? Elle ne s’en souvenait plus très bien. Peut-être était-ce la femme à l’accueil avec ces longs cheveux roux, ou alors cette autre femme, plus âgée, qui courait dans tous les sens, paraissant être submergée par la dose de travail qu’on lui avait attribuée. Au fond, ça n’avait pas d’importance. Tout le monde semblait très occupé, mais chaque fois qu’une personne passait devant elle, cette dernière lui adressait un regard compatissant, accompagné d’un sourire bienveillant, comme pour la rassurer, quelque chose qui voulait dire « ça va aller ».
Ce regard, cet air se voulant rassurant, cela faisait quatre jours qu’Angèle le voyait partout où elle allait. Elle n’y prêtait presque plus attention. Elle observait l’agitation du commissariat comme si elle se trouvait devant un écran, ayant perdu toute notion du temps qui passe. D’ailleurs, quelle heure pouvait-il bien être ? Tard… il commençait à faire nuit. La voix d’un jeune homme à sa droite attira son attention. Sans tourner la tête, Angèle tendit l’oreille :
— C’est elle la gamine qui a découvert son père pendu dans le salon ? Pauvre gosse ! Quel âge elle a ? Seize ans ?
— Chut ! Parle moins fort enfin ! Elle a quatorze ans, répondit la femme rousse de l’accueil.
Il est vrai qu’Angèle faisait plus que son âge et, bien souvent, les gens lui donnaient seize ou dix-sept ans. Elle n’était pas particulièrement grande, mais par son air et ses expressions, on lui attribuait une certaine maturité. Ses yeux, d’un bleu azur, attiraient aussitôt le regard. Elle avait un teint légèrement rosé, et ses cheveux bruns, plutôt souples, entouraient son visage ovale jusqu’à hauteur d’épaules.
— Et la mère est morte, c’est ça ? L’accident de voiture, il y a quatre jours, dans le ravin ? reprit le jeune homme.
— Oui… il y en a sur qui le sort s’acharne on dirait.
Angèle ne réagit pas. Les mots qu’elle venait d’entendre semblaient avoir le même effet sur elle qu’une musique d’ambiance en fond sonore : présente, mais insignifiante.
Elle tenta de se remémorer cette journée. Son réveil, ce matin, lui semblait déjà si loin. Elle retournait au collège pour la première fois depuis l’accident et, étrangement, cette idée la soulageait. Elle savait qu’elle allait devoir endurer les regards curieux de ses camarades et les phrases toutes faites du style « je suis désolé pour ta mère », « j’espère que tu tiens le coup », auxquelles on ne peut que répondre le fameux « merci » de courtoisie ; mais rester à la maison en compagnie de son père était insupportable. Cela faisait quatre jours qu’il n’avait pas quitté le canapé et qu’il n’avait quasiment pas parlé.
Angèle était partie de bonne heure afin de faire le trajet à pied. En ce jour du mois de mai, le soleil du matin, accompagné d’une légère brise, rendait la ville de Grasse très agréable et le collège se trouvait à vingt minutes de marche. La suite de la journée lui semblait floue. Elle revoyait quelques scènes apparaître comme des flash-back dans sa tête : le cours de français interminable, le cordon bleu de la cantine, les conversations de ses amis à la récréation dont elle ne se souvenait même plus le sujet… Puis, le retour à la maison : l’ouverture de la porte d’entrée et la silhouette sombre, au bout du couloir, pendue à la balustrade de la mezzanine du salon.
Angèle s’était avancée, prudemment, partagée entre le besoin impérieux de vérifier ce qu’elle pressentait, et la terreur inspirée par la scène qu’elle s’apprêtait à découvrir. Arrivée à l’entrée du salon, elle avait alors aperçu le visage de son père et son corps pendant au bout de la corde. Un sentiment de panique l’avait envahie et elle était sortie de la maison en courant, refermant la porte derrière elle. Il lui avait fallu quelques minutes pour reprendre ses esprits, ne pouvant y chasser la vision qu’elle venait d’avoir. La rue était déserte. Guidée par une lucidité qui l’avait surprise elle-même, Angèle avait sorti son téléphone et appelé le numéro 17.
Une voix grave et imposante détourna Angèle de ses pensées. Le commissaire venait d’arriver et s’était assis sur la chaise à côté d’elle.
— Bonsoir Angèle.
La jeune fille tourna la tête vers lui. Il avait un visage fin, sympathique, et des lunettes rondes derrière lesquelles se trouvaient des yeux verts émeraude. Angèle lui trouva un faux air de Harry Potter ; elle sourit intérieurement.
— Viens avec moi à mon bureau. Madame Vitrac, l’assistante sociale, va nous rejoindre.
Angèle se leva et suivit le commissaire. Elle s’assit à son bureau et l’écouta parler. Les mots résonnaient comme un écho lointain dans sa tête. Tout ce qu’elle entendait passait sur elle sans s’attarder et rien de ce que disait le commissaire ne prenait sens dans son esprit. Ce dernier semblait reprendre les faits qui s’étaient passés depuis son appel de l’après-midi, mais en constatant l’absence d’Angèle, il finit par lui dire :
— Peut-être devrions-nous nous arrêter là. Je comprends que tu sois bouleversée.
— Non, rétorqua alors la jeune fille, comme revenue à la réalité du moment.
C’était les premiers mots qu’elle prononçait depuis son arrivée au commissariat, sa voix était un peu enrouée.
— Non ? s’étonna le commissaire. Tu sais, c’est normal de ressentir de la peine ou de la colère…
— Je ne suis pas en colère, répondit simplement Angèle. Mon père était triste, il ne supportait pas la mort de ma mère. C’était prévisible.
Elle ne cherchait pas à paraître forte ou courageuse, mais elle put lire dans le regard du commissaire des interrogations quant aux mots qu’elle venait de prononcer.
Madame Vitrac arriva à ce moment-là et se présenta au commissaire en lui tendant la main, puis elle prit une chaise d’un des bureaux voisins pour s’installer à côté d’Angèle. C’était une belle femme, grande, élancée, avec des cheveux blonds et bouclés jusqu’aux omoplates. Elle portait un chemisier blanc et une jupe vert bouteille, ainsi que des escarpins noirs qui lui donnaient une allure très élégante, ce qui attira tout de suite les faveurs de l’adolescente.
L’assistante sociale lui expliqua qu’elle l’accompagnerait ce soir dans un foyer, en attendant l’arrivée de sa famille, le lendemain, pour les obsèques de sa mère. Angèle resta perplexe. L’arrivée de sa famille ? Sa mère, Helen Dowell, était Américaine. Elle était venue en France à l’âge de vingt et un ans pour ses études et avait rencontré Patrick Rosier, le père d’Angèle, lors d’une soirée étudiante. Ils étaient tombés amoureux l’un de l’autre et Helen avait pris la décision de rester. Toute sa famille vivait aux États-Unis et n’avait jamais traversé l’Atlantique pour leur rendre visite. Cependant, Angèle avait eu l’occasion de rencontrer ses grands-parents, ainsi que son oncle maternel quand elle était petite et que sa mère retournait encore au pays, avec elle, pour fêter Thanksgiving. Le dernier en date remontait à huit ans en arrière. Quant à son père, il ne lui restait plus personne, du moins, pas à sa connaissance. Elle savait qu’il était né ici, à Grasse, et que ses parents, son grand-père et sa grand-mère étaient décédés tous les deux avant sa naissance. Son père était fils unique, Angèle n’avait donc ni cousin ni cousine.
— Il n’y a que nous ici : ma mère, mon père et moi. Aucune famille ne va venir, déclara la jeune fille à l’assistante sociale.
— Nous avons contacté tes grands-parents aux États-Unis. Ton père les avait appelés il y a quatre jours pour leur annoncer la mort de ta maman. Leur état de santé ne leur permet pas de venir, malheureusement, mais ton oncle a déjà pris son avion et doit arriver demain matin.
— L’oncle Jake ? s’étonna Angèle, tant surprise par le fait que son père ait contacté la famille de sa mère que par la décision de celle-ci de venir aux obsèques.
— Oui, Jake Dowell, c’est ce que j’ai noté. Nous nous entretiendrons ensemble pour évoquer les options possibles qui s’offrent à toi.
Angèle ne comprit pas vraiment ce à quoi Madame Vitrac faisait allusion, mais elle ne demanda pas d’explication. Le sort que la vie lui réservait pour la suite lui importait peu, ou du moins, ne lui importait pas ce soir. Elle y penserait plus tard.
Le trajet avec l’assistante sociale et son arrivée au foyer lui sembla appartenir à une autre réalité. Elle avait le sentiment de se retrouver dans une dimension parallèle : les gens lui parlaient, elle répondait, mais avec cette impression de n’être que la projection d’elle-même, comme si son corps était présent, mais que son esprit s’était échappé. Et où se trouvait son esprit en ce moment ? Ailleurs… ou éteint tout simplement, « mode stand-by activé » comme elle se plaisait souvent à répéter quand on lui reprochait d’être « dans la lune ».
Dans son lit, Angèle se mit à penser à son oncle. Allait-il vraiment venir demain pour les obsèques de sa mère ? Elle avait du mal à y croire et n’arrivait même pas à se projeter la scène tant ses souvenirs de cet homme étaient loin dans son esprit. La dernière fois qu’elle avait vu l’oncle Jake, Angèle avait six ans. Elle et sa mère avaient pris l’avion pour passer Thanksgiving chez ses grands-parents qui vivaient dans le Connecticut, à l’est de l’État de New York. Elle conservait le souvenir d’un jeune homme qui jouait à la dînette avec elle quand sa mère et ses grands-parents s’éternisaient à table, dans des discussions dont Angèle ne comprenait pas un mot, mais qui semblaient mettre tout le monde sous tension. La jeune fille se demanda comment elle allait aborder cet oncle, quasiment étranger à ses yeux. Dans ses souvenirs, aucun membre de sa famille américaine ne parlait français et Angèle, de son côté, ne possédait que les notions d’anglais qu’on lui avait enseignées au collège. Jamais sa mère ne lui avait parlé sa langue maternelle, et à chaque fois qu’Angèle faisait allusion à ses origines américaines, ou quand elle lui demandait de l’aider pour un devoir d’anglais, celle-ci esquivait la conversation et trouvait autre chose à faire.
À dire vrai, Angèle n’avait jamais eu de « vrais échanges » avec sa mère. Leur relation était réduite aux principes les plus basiques de l’éducation : Helen Dowell s’assurait que sa fille était sérieuse dans ses études, qu’elle avait des amis, une bonne hygiène de vie et qu’elle se montrait polie en société. L’adolescente avait souvent envié cette relation complice et fusionnelle mère-fille qu’on perçoit dans les films ou qu’elle avait pu observer chez quelques-unes de ses copines. Sa mère se serait peut-être prêtée au jeu si Angèle en avait fait la demande, mais une certaine pudeur régnait entre elles et les avait empêchées de tenter une quelconque approche l’une envers l’autre. Jamais Angèle n’avait réussi à se confier à sa mère. Il était trop tard désormais.
L’épuisement la gagna et elle finit par s’endormir. À son réveil le lendemain, tous les évènements de la veille lui semblaient encore irréels. Elle décida de laisser les choses floues dans sa tête et d’avancer étape par étape : elle devait se préparer pour assister aux obsèques de sa mère.
C’est l’un des éducateurs du foyer, Grégory, qui accompagna Angèle aux obsèques. Il était plutôt discret et pas très bavard, ce qui convenait parfaitement à la jeune fille. Le trajet fut silencieux, Angèle regardait les rues défiler par la fenêtre. Cette ville dans laquelle elle avait grandi lui paraissait aujourd’hui étrangère, elle ne savait même pas où la cérémonie devait avoir lieu. La voiture quitta la ville et prit l’autoroute. L’éducateur dut percevoir ses interrogations, car, de lui-même, il prit la parole pour lui annoncer que la crémation aurait lieu à Nice. Une montée d’angoisse la saisit sur le moment. Angèle n’aimait pas cette ville, elle la trouvait bruyante, agitée, trop grande. Elle y ressentait toujours de l’insécurité. Une petite voix dans sa tête lui dit « Courage ! Vivement que tout ça soit fini ».
Lorsqu’elle arriva enfin, elle fut accueillie par un petit groupe d’amis avec qui ses parents passaient quelques soirées les uns chez les autres. Il y avait aussi Nolan et Gabrielle, les enfants d’une collègue de sa mère, qui étudiaient dans son collège. Ils se montrèrent tous soucieux de l’état d’Angèle, adoptant une attitude compatissante qui, au lieu de l’apaiser, lui donnait envie de craquer. La jeune fille s’éloigna, ressentant le besoin de s’isoler. C’est alors qu’elle remarqua un homme, à l’écart, qui attendait à l’ombre d’un arbre : l’oncle Jake. Malgré le peu de souvenirs qu’elle avait de lui, Angèle le reconnut immédiatement. Il devait mesurer environ un mètre quatre-vingt, de corpulence moyenne, il avait les cheveux châtains clairs, courts et bouclés. Son allure générale lui donnait un air avenant et une certaine assurance.
Angèle ressentit le devoir d’aller vers lui et, en s’approchant, elle remarqua aussitôt ses yeux d’un bleu familier, ils étaient exactement comme les siens. Son oncle l’observa s’avancer, esquissant un sourire d’encouragement.
— Bonjour, je suis Angèle, dit timidement la jeune fille dans un anglais peu assuré.
Jake élargit son sourire et s’adressa à elle en anglais :
— Oui, je t’ai reconnu.
Il lui tendit la main.
— Jake, je suis le petit frère de ta maman. Tu ne dois pas te souvenir de moi, tu n’étais qu’une petite fille la dernière fois que l’on s’est vus, et tu as beaucoup grandi ! Je suis désolé que nos retrouvailles se fassent dans de telles circonstances.
Angèle n’avait pas saisi l’intégralité de ce que venait de dire son oncle, mais elle avait compris quelques mots comme « petit frère », « souvenir », « petite fille » et « beaucoup grandi », ou encore « désolé », ce qui lui paraissait être l’essentiel pour déchiffrer l’ensemble du message. Elle lui adressa un sourire timide.
— Je crois qu’ils nous attendent à l’intérieur, et elle se dirigea vers le bâtiment, laissant son oncle lui emboîter le pas.
Quand elle arriva dans le hall, Angèle rejoignit Grégory puis se laissa guider par le groupe des amis de ses parents jusqu’à une porte qui se trouvait sur la droite. La pièce dans laquelle elle venait d’entrer n’était pas particulièrement spacieuse, mais le peu d’éléments qui la composaient la rendait beaucoup plus grande qu’elle ne l’était réellement. Les murs étaient blancs et de longues fenêtres verticales alignées sur celui du fond faisaient entrer une belle luminosité. Des bancs en bois clairs de chaque côté de la salle formaient une allée vers un autel où était déjà disposé le cercueil de sa mère. Tout était très clair, un peu comme la vision qu’Angèle se faisait du paradis, s’il existait. L’ambiance de la pièce lui procurait une certaine sérénité et le sentiment que le temps était suspendu. Il y avait aussi une odeur florale, peut-être de la rose… c’était agréable. Apaisée, Angèle s’installa sur le premier banc. Elle se retourna pour chercher son oncle : il était assis à l’arrière, seul, mais remarqua le regard de sa nièce et le lui rendit avec un sourire bienveillant.
La cérémonie fut courte. C’était le père d’Angèle qui aurait dû parler pour l’éloge funèbre. Alicia, la meilleure amie d’Helen prit la parole à sa place et raconta quelques anecdotes : leurs années d’étudiantes, son mariage avec Patrick et la naissance d’Angèle.
— Ce que nous retiendrons principalement d’Helen Dowell-Rosier, c’est la douceur et l’écoute dont elle faisait preuve pour son entourage. C’était une mère tendre, une épouse aimante et une amie fidèle.
Angèle n’écoutait qu’à moitié le discours d’Alicia, elle ne retrouvait pas l’image de sa mère dans ces phrases. Son esprit s’échappa vers ses propres souvenirs : le trajet en voiture pour aller au collège et les douces chamailleries pour décider laquelle d’elles deux allait choisir la station de radio, le chocolat chaud qu’elle lui apportait dans son lit chaque fois qu’elle était malade, et son parfum qui flottait derrière elle partout où elle allait… C’est alors qu’Angèle ressentit pour la première fois un grand vide au creux de l’estomac. Elle réalisa que tous ces moments passés ne se reproduiraient plus, que sa mère était partie, définitivement. Elle se sentit seule. Certes, elles n’avaient pas été proches, mais c’était sa mère, la seule qu’elle n’aurait jamais. Et maintenant, qu’allait-il se passer ?
Cette question ne cessait de se répéter, tel un écho, dans sa tête. La réponse qui, hier encore, n’avait que peu d’importance devenait à cet instant précis une obsession. Sa vie, telle qu’elle l’avait vécue jusqu’à présent, allait changer du tout au tout. Elle devait savoir. Elle se tourna alors vers Grégory et lui demanda : « Qu’est-ce qu’il va se passer maintenant ? ». La question lui parut à la fois enfantine et stupide, mais elle fixa tout de même l’éducateur avec l’espoir qu’il saurait quoi lui dire.
— Et bien, ils vont conduire le cercueil dans une pièce spéciale pour l’incinération. Tu peux choisir d’y assister et de regarder par un écran, mais tu n’es pas obligée. Tu peux aussi rester ici, le temps que cela soit fini, c’est ton choix.
— Non, je voulais dire, qu’est-ce qu’il va se passer pour moi ? Où je vais aller ?
— Oh… euh, et bien je dois te conduire chez l’assistance sociale après la cérémonie. Ton oncle nous accompagnera et Madame Vitrac parlera de tout ça avec toi.
Angèle ne répondit pas.
— Ça va aller, ajouta-t-il maladroitement.
Elle hocha la tête et murmura :
— Je ne veux pas regarder le cercueil brûler.
— Tu n’as pas à le faire. C’est personnel et il n’y a que toi qui décides. Nous allons attendre ici.
Lorsqu’ils reprirent la voiture, Angèle s’installa à l’arrière, laissant son oncle sur le fauteuil passager avant, à côté de Grégory qui conduisait. L’éducateur ne semblait pas maîtriser l’anglais et le trajet était silencieux. La jeune fille se sentait mal à l’aise dans cette situation, ses mains devenaient moites. Mille pensées se bousculaient dans son esprit : Pourquoi l’oncle Jake était là ? Était-ce à lui qu’on allait la confier ? Après tout, il représentait la seule famille qui lui restait… mais elle ne le connaissait pas. Elle ne parlait même pas sa langue ! Elle observa son oncle. C’était un inconnu. Un sentiment de peur vint en elle. Angèle ferma les yeux et prit une grande inspiration. Ça va aller.
Madame Vitrac sortit de son bureau pour les accueillir à leur arrivée et demanda à Angèle d’attendre sur une chaise dans le couloir, le temps qu’elle parle à son oncle. Une interprète était présente et les suivit, ainsi que Grégory. L’adolescente se retrouva seule, se posant de nouveau tout un tas de questions et imaginant toutes sortes de réponses possibles. Allait-elle rester au foyer ? Ce ne pouvait être que temporaire… Peut-être serait-elle placée dans une famille d’accueil ? L’idée l’angoissa davantage… Et l’oncle Jake, quel rôle jouait-il dans tout cela ? Lui demanderait-on de s’occuper d’elle désormais ? Est-ce qu’elle devrait le suivre aux États-Unis ? Cette pensée était à la fois effrayante et excitante… Toutes ces incertitudes lui donnaient l’impression de se noyer dans sa propre tête. L’attente lui parut interminable. Enfin, la porte du bureau s’ouvrit et madame Vitrac fit un pas dans le couloir.
— Tu peux entrer maintenant Angèle, nous allons discuter tous ensemble.
Angèle se leva, entra dans la pièce et s’installa sur la chaise que l’assistante sociale lui indiqua par un signe de main, à côté de son oncle. Elle se sentit observée de tous, et se demanda si on s’attendait à ce qu’elle parle en premier. Jake lui adressa un sourire.
— Are you alright1 ? lui demanda-t-il tout bas, juste pour elle, sur un ton paternel.
— Yes, répondit timidement Angèle.
Elle retrouva un peu de courage dans le regard de son oncle. Ces yeux bleus, similaires aux siens, créaient un lien particulier entre eux.
— Bien, commença madame Vitrac en s’asseyant à son bureau. Nous avons discuté avec ton oncle et plusieurs possibilités s’offrent à toi. Nous sommes d’accord sur le fait que le choix te revient, un choix que nous ne pouvons pas faire à ta place.
Angèle écoutait, ressentant à la fois de l’appréhension et de la curiosité au sujet de ces différentes « possibilités ». On allait enfin lui dire concrètement ce qu’on comptait faire d’elle. Elle eut le sentiment étrange de se retrouver face à une porte représentant une étape essentielle de sa vie, et dont l’ouverture allait déterminer son avenir. Ses mains, moites, commençaient à trembler. Elle fixa madame Vitrac du regard, comme pour l’encourager à poursuivre ses explications.
— Voilà, ton oncle est prêt à s’occuper de toi et à devenir ton tuteur légal. Il représente la famille la plus proche qu’il te reste et maintenir les liens familiaux est toujours ce que nous souhaitons privilégier dans des cas comme le tien.
Madame Vitrac fit une courte pause, laissant à Angèle le temps d’assimiler ses propos. Constatant que l’adolescente était réceptive, mais ne souhaitait pas encore réagir, elle poursuivit.
— Cependant, monsieur Dowell, vivant aux États-Unis, ton placement chez lui représenterait un changement culturel important pour toi et des bouleversements quant à ta scolarité et le rythme de vie que tu as connu jusqu’ici. C’est pourquoi nous avons envisagé deux options.
Là encore, madame Vitrac s’arrêta de parler. Angèle continuait à la fixer du regard. Qu’attendait-elle ? Qu’allait-on lui proposer ?
— Tu peux, si tu le souhaites, être placée dans une famille d’accueil, ici, à Grasse. Ton oncle subviendrait à tes besoins, à distance, mais tu garderais contact avec lui et pourrais lui rendre visite pendant les vacances. Cette possibilité te permettrait de poursuivre ta scolarité au collège et de conserver le lien que tu as avec tes amis et l’entourage de tes parents.
En entendant les mots « famille d’accueil », Angèle avait ressenti une montée d’angoisse qui lui avait fait perdre le fil du reste des explications données par madame Vitrac.
— Et sinon ? demanda la jeune fille d’une voix chevrotante.
— Sinon, ton oncle Jake et sa femme, Paige, acceptent volontiers de t’accueillir chez eux, aux États-Unis. Tu emménagerais à la fin de l’année scolaire, ce qui te laisserait les deux mois d’été pour t’adapter à ta vie là-bas avant de commencer les cours au lycée américain. C’est un grand changement Angèle, tu dois bien y réfléchir. Cependant, il me semble important de te faire savoir que lors de notre entretien, ton oncle et sa femme, qui était présente en visioconférence, ont fait preuve d’enthousiasme à cette idée et semblent vraiment disposés à aider ton intégration.
Angèle tourna la tête vers l’oncle Jake. Il n’avait sûrement pas compris un seul mot de ce qui venait d’être dit, mais sachant d’avance ce qu’Angèle allait entendre, il lui sourit et lui dit en anglais :
— C’est ta décision Angèle. Je comprendrais que tu souhaites rester ici, mais sache également que tu es la bienvenue à la maison.
La jeune fille comprit et prit le temps de mettre ses idées en ordre. Partir aux États-Unis… quitter Grasse et démarrer quelque chose de nouveau, fuir. Ou bien rester, poursuivre sa vie dans cette ville, avec les mêmes gens, mais dans le foyer de parfaits inconnus… Le choix lui sembla alors évident. C’était facile, et ça ne semblait plus effrayant.
— Je ne veux pas vivre dans une famille d’accueil ni rester ici à Grasse. Je veux partir aux États-Unis, annonça Angèle avec assurance à l’assistance sociale.
— Tu n’es pas obligée de donner ta décision aujourd’hui, tu peux prendre le temps d’y réfléchir. C’est important Angèle.
— Je sais que c’est important. C’est ce que je veux, je ne souhaite pas rester ici.
Elle se tourna de nouveau vers son oncle et lui dit « I want to go with you2 ». Jake lui adressa un grand sourire et posa sa main sur son épaule : « With pleasure3 ! », lui répondit-il.
Angèle se sentit soulagée, libérée du poids de l’incertitude. La porte qu’elle avait visualisée au début de l’entretien venait de s’ouvrir et lui offrait de nouvelles perspectives d’avenir auxquelles elle pouvait s’accrocher et concentrer toute son énergie. Elle allait partir. Les États-Unis… là-bas, elle pourrait démarrer une nouvelle vie.
Les minutes paraissaient des heures et le cours de maths n’en finissait pas. Angèle regarda sa montre, l’aiguille n’avait pas bougé depuis la dernière fois qu’elle l’avait observée. Trois jours s’étaient écoulés depuis les obsèques de sa mère, et celles de son père devaient avoir lieu le lendemain. Elle avait souhaité retourner au collège, pensant ainsi que le temps passerait plus vite… Raté ! Les journées s’éternisaient et ne représentaient à ses yeux qu’une grotesque comédie destinée à simuler un semblant de normalité à sa vie. Elle sortit discrètement son agenda et l’ouvrit à la page du calendrier annuel : un cercle, tracé au stylo rouge, entourait la date du 28 juin. Encore trente jours, compta Angèle. C’est à cette date qu’elle prendrait l’avion avec l’oncle Jake pour partir aux États-Unis : un nouveau départ, une nouvelle vie. Son regard se fixa sur l’agenda. Pourquoi le mois de juin contenait-il autant de jours ? C’était interminable… tout comme le cours de maths !
— Hey, tu me prêtes ton rapporteur ?
Angèle tourna la tête vers Laura, sa voisine de table, et lui tendit le rapporteur d’un geste machinal.
— T’as compris son histoire des angles inscrits et des angles au centre ? J’suis larguée ! se lamenta Laura.
— Non, répondit simplement Angèle en jetant un coup d’œil au tableau et en y découvrant un schéma mystérieux composé d’un cercle et de plein de traits qui se croisaient.
— Pffff, galère ! Ah au fait, je voulais te dire : après les cours, on va au parc. Il y aura Mélissa, Caro et Lise. Tu viens ?
— Non, je peux pas. Je retrouve mon oncle.
— L’Américain ? Cool ! Vous allez faire quoi ?
— J’sais pas trop, chuchota Angèle pour ne pas se faire surprendre par la professeure. Je crois qu’il veut qu’on fasse plus connaissance, me parler de sa famille, ces choses-là. On va sûrement prendre un verre quelque part.
— Ça doit faire bizarre quand même ! Tu vas vivre avec lui alors que tu le connais à peine !
Angèle resta silencieuse. Laura venait de pointer du doigt un aspect qui la tourmentait. Pouvait-elle vraiment se fier à l’oncle Jake ? Il faisait preuve de gentillesse et de bienveillance avec elle, mais… comment leur relation allait-elle évoluer ? De toute façon, c’était lui ou la famille d’accueil, se dit Angèle. Au moins, avec son oncle, elle allait quitter Grasse.
La journée se poursuivit et seul le cours d’anglais éveilla l’intérêt d’Angèle, pour lequel elle se montra particulièrement active et consciencieuse dans les activités demandées. À seize heures, quand la sonnerie retentit, elle rassembla rapidement ses affaires et fut la première à sortir. L’oncle Jake était là, à quelques mètres des arrêts de bus, adossé à un lampadaire et, semblait-il, en visio-appel avec son téléphone portable. Avec un peu d’appréhension, Angèle avança vers lui, essayant de répéter dans sa tête toutes les nouvelles formules qu’elle avait apprises en anglais.
— Salut, prononça-t-elle, ne sachant quoi dire de plus et ressentant un léger malaise face à la situation.
Jake lui sourit, mit fin à sa conversation et rangea son téléphone. D’un air décontracté, il lui tendit la main :
— Salut Angèle. Comment te sens-tu aujourd’hui ?
— Je vais bien, merci, répondit Angèle, rassurée et satisfaite d’avoir compris sans la moindre difficulté la question de son oncle.
— Tant mieux. Je suis content que nous passions un peu de temps ensemble. Il fait très chaud aujourd’hui, que dirais-tu d’aller prendre une glace et de se promener dans le parc ? Ça nous permettra de discuter un peu. J’aimerais apprendre à te connaître et, de ton côté, tu dois sûrement avoir des questions sur notre famille et ce qui t’attend aux États-Unis.
Aïe ! Ça devenait plus compliqué… L’oncle Jake avait parlé très vite, mais Angèle avait tout de même réussi à saisir les principales informations. Prendre une glace au parc lui semblait une bonne idée, mais elle se rappela que ses amies avaient également prévu de se retrouver là-bas après les cours et, sans qu’elle puisse l’expliquer, leur présence au même endroit la dérangeait. C’était comme si deux mondes différents se croisaient. Cependant, elle n’osa rien dire à Jake et, ne sachant pas quoi lui proposer d’autre, elle se contenta de répondre « OK ».
L’oncle et la nièce quittèrent la rue du collège pour se diriger vers le centre-ville. Ils marchaient l’un à côté de l’autre, en silence. Angèle cherchait comment démarrer une conversation, mais rien ne lui venait en tête hormis des banalités qui n’engageaient pas d’autres réponses qu’un « oui » ou « non ». Elle se contenta donc de guider son oncle vers son marchand de glaces préféré en lui indiquant le trajet par des gestes de la main. Arrivés devant le comptoir, la traduction par Angèle des différents parfums désamorça un peu les échanges entre eux et leur permit de se sentir plus à l’aise. Ils poursuivirent ensuite leur chemin vers le parc qui se trouvait juste en face et s’installèrent sur un banc situé à l’ombre d’un châtaignier. Angèle regarda autour d’elle, pas de signe de ses amies, seulement quelques mamans accompagnées de leurs enfants et un couple de retraités qui lisaient sur le banc d’en face.
— Alors, dis-moi, commença l’oncle Jake, que ressens-tu à l’idée de partir vivre aux États-Unis ?
Angèle prit le temps de chercher ses mots. La question n’était pas facile, car elle avait du mal à exprimer ce qu’elle ressentait, déjà en français. L’oncle Jake l’observait et semblait comprendre ses difficultés, lui laissant le temps nécessaire pour préparer sa réponse.
— Je ressens excitation et motivation. Je travaille mon anglais pour parler avec les gens. Je suis très impatiente de partir.
— Vraiment ? J’imaginais que tu éprouverais plutôt de l’appréhension ou une certaine tristesse de quitter ton pays…
— Non, répondit Angèle sans hésitation.
Jake eut un léger sourire et sortit un portefeuille de sa poche. Angèle l’observa avec curiosité prendre une photo pliée en deux et la tendre vers elle. C’était une photo de famille. La jeune fille reconnut son oncle, posant dans un jardin, devant la façade d’une maison, accompagné d’une très belle femme qui portait un bébé dans les bras. L’enfant devait avoir à peine un an.
— Voici ma femme, Paige, et notre fils, David. Il a quinze mois. Nous sommes devant notre maison, à Manchester, dans le Connecticut.
Angèle examina la photo et chaque membre de la famille avec attention. La femme, Paige, attira en premier son regard. Elle avait une silhouette fine, de longs cheveux châtains qui lui tombaient jusqu’à la taille, un visage souriant et un regard pétillant. L’adolescente la perçut comme une femme douce, mais aussi dynamique. Elle ressentit une certaine curiosité et l’envie de la connaître.
— Ta femme est jolie ! Elle semble gentille.
— Paige est formidable ! répondit Jake avec un large sourire. Je suis certain que vous allez bien vous entendre toutes les deux !
Angèle sourit puis porta de nouveau son attention sur la photo et sur l’enfant que Paige portait dans les bras. Il avait un visage rond, entouré de cheveux blonds et bouclés. Ses yeux étaient du même bleu que ceux d’Angèle et de Jake. Derrière son expression innocente, Angèle remarqua un regard malicieux qui la fit sourire et lui rendit le petit garçon sympathique. Elle pensa immédiatement au personnage d’un de ses livres préférés.
— David ressemble au Petit Prince de St Exupéry ! dit-elle à Jake sur un ton attendrissant.
— Vraiment ? Je n’y avais jamais pensé… mais maintenant que tu le dis… peut-être, oui ! En tout cas, il se montre tout aussi curieux, s’amusa Jake.
La jeune fille n’avait compris que quelques mots dans ce que venait de dire son oncle, mais « peut-être, oui » et « curieux » lui semblaient suffisants pour saisir l’idée générale et poursuivre l’échange.
Du coin de l’œil, elle aperçut ses amies avancer dans l’allée du parc et lui faire des signes de la main. Jake les avait également repérées et les observait s’approcher. Les quatre adolescentes s’arrêtèrent à leur hauteur et avec un grand sourire et un faux air innocent, dirent « salut » à Angèle.
— Euh… salut, répondit Angèle en français.
Elle se tourna vers son oncle et lui dit en anglais : « Voici mes amies, Laura, Mélissa, Caroline et Lise ».
— Bon… Bah… on ne fait que passer. « Good bye », lança Laura.
Elles partirent en pouffant de rire et en lançant des regards en arrière pour observer leur amie et son oncle. Angèle se sentit gênée et en voulait aux filles d’être venues les voir. Jake, lui, semblait amusé de la situation et dit à sa nièce :
— Tes amies étaient curieuses de connaître l’oncle américain, semble-t-il.
— Je suis désolée, répondit Angèle.
— Pas moi. Ça me fait plaisir de voir tes amies. Et le fait qu’elles se montrent curieuses prouve qu’elles tiennent à toi. Tout s’est passé si vite : le décès de tes parents, la décision de partir aux États-Unis… Tes amies doivent se poser des questions.
— Hum… se contenta de répondre Angèle.
Elle ne souhaitait pas penser aux filles, ayant déjà ses propres émotions à gérer. Laura, Caroline, Mélissa et Lise étaient les seules personnes qui allaient réellement lui manquer une fois installée chez son oncle. Angèle sentit un nœud se former dans son estomac et préféra changer de sujet pour en savoir davantage sur l’oncle Jake.
— Je ne sais pas ton office, qu’est-ce que tu travailles ?
— Tu veux dire « quel est mon métier ? » la corrigea Jake avec un sourire bienveillant.
— Oui. Quel est ton métier ? répéta Angèle, en essayant de retenir la formulation.
— Je suis architecte. C’est un travail qui me passionne ! J’ai pas mal de déplacements, mais mon secteur reste dans l’État du Connecticut, donc je peux rentrer tous les soirs à la maison. C’est l’essentiel ! Paige est agent immobilier et travaille principalement dans les environs de Hartford. C’est la capitale de l’État et c’est tout près de Manchester, là où nous habitons.
Angèle ne connaissait pas le mot « agent immobilier ». Il sonnait comme « agent d’état », ce qui la fit penser au métier d’espion, mais cela lui parut improbable… Elle répéta donc le mot à son oncle afin qu’il lui explique : « C’est une personne qui cherche des maisons pour ceux qui veulent acheter ».
— Ce qui nous tient à cœur, à Paige et à moi, continua Jake, c’est de faire le métier qui nous plaît, mais de rester disponibles pour notre famille. C’est le plus important. Je souhaite profiter de chaque moment avec ma femme et mon fils ! Le temps passe si vite !
Jake fit une pause et reprit :
— Tu sais Angèle, je regrette sincèrement que nous n’ayons pas eu plus de liens ta mère et moi. Je n’étais encore qu’un ado quand elle est partie en France, et ses retours occasionnels à la maison créaient souvent des tensions avec les parents.
Il s’arrêta de nouveau.
— Mais la famille reste ce qu’il y a de plus précieux et je suis à la fois ravi et touché que tu aies accepté de venir vivre avec nous à Manchester. Je veux que tu te sentes chez toi là-bas.
Angèle écoutait parler son oncle, à la fois concentrée pour déchiffrer les mots de chaque phrase, mais aussi, désemparée par son débit de parole qui ne lui laissait pas le temps d’analyser le peu d’éléments qu’elle retenait. Elle se rendit compte qu’elle avait la bouche ouverte et la referma aussitôt, se sentant ridicule. Elle avait saisi que Jake lui parlait de la famille et, ce qui lui permettait de comprendre que cela était important pour lui, c’était l’intensité qu’elle ressentait dans le ton de sa voix et l’émotion qu’elle lisait dans son regard. Certes, les trois quarts de son discours n’avaient été qu’un flot de mots inintelligibles pour l’adolescente, cependant, elle fut émue par la sincérité qui transparaissait de son oncle à ce moment-là. Elle lui adressa un sourire. Jake le lui rendit et regarda sa montre : « je dois te ramener au foyer à dix-sept heures trente, on ferait mieux de se mettre en route. Je ne voudrais quand même pas être celui qui t’empêche de finir tes devoirs », lui dit-il avec un clin d’œil et un sourire complice qui amusa Angèle.
Le soir, dans son lit, la jeune fille se remémora ces instants passés dans le parc. Elle se sentait rassurée par l’environnement que lui avait décrit Jake : la maison du Connecticut et Paige et David pour qui elle éprouvait déjà une certaine sympathie. Mais la barrière de la langue et les moments de gêne qu’elle avait ressentis avec son oncle lui faisaient comme un nœud dans la gorge. Elle se promit de redoubler d’efforts pour améliorer son anglais d’ici la fin du mois de juin et qui sait… cela l’aiderait aussi à se sentir plus à l’aise.
Angèle se tourna sur le côté droit et ferma les yeux, prête à s’endormir, quand soudain une pensée lui revint : demain, elle devait assister aux obsèques de son père. Les évènements de la journée avaient réussi à lui faire oublier cette réalité, et la brutalité avec laquelle elle réapparaissait lui provoqua un moment de panique. « Ça va aller, c’est un dernier mauvais moment à passer », et elle se recroquevilla dans ses draps, essayant de trouver le sommeil.
Angèle regardait son assiette : aujourd’hui, c’était hachis parmentier à la cantine du foyer. Quelle idée ! Avec cette chaleur ! Deux semaines étaient passées depuis les obsèques de son père et l’adolescente endurait patiemment sa nouvelle routine en barrant chaque matin sur son calendrier les journées qui la rapprochaient de son départ aux États-Unis. Le mercredi, elle rentrait au foyer pour le déjeuner, puis elle avait son rendez-vous hebdomadaire avec la psychologue du centre, Madame Sabaire, une vieille femme à l’allure stricte et dont la monture des lunettes lui donnait un air de chouette hulotte.
Alors qu’elle mangeait les tomates vinaigrette de son entrée, Angèle se demandait quel sujet elle évoquerait cette fois-ci. C’était le troisième entretien. L’assistante sociale avait insisté pour qu’elle soit suivie une fois par semaine jusqu’au jour de son départ : « C’est important que tu puisses évoquer les récents évènements et les changements que cela entraîne dans ta vie ». Parler… se confier… Angèle n’était pas douée pour ces choses-là. Mettre des mots sur ses émotions lui était difficile et les échanges avec la psychologue l’angoissaient plus qu’ils ne la soulageaient. Ce dont elle avait besoin en ce moment, ce n’était pas de blablater sur les évènements : ce qui était arrivé était arrivé, et on ne pouvait rien y faire de toute façon. À quoi bon revenir dessus ? Ce qu’il lui fallait, c’était de l’action ! Aller de l’avant, oublier le passé et démarrer sa nouvelle vie ! Voilà ce qu’elle dirait à la vieille chouette ! Elle mangea sa crème vanille, sans toucher au plat principal, et débarrassa son plateau avant de se diriger vers le rez-de-chaussée où Madame Sabaire l’attendait.
Fidèle au poste, la psychologue était assise dans son fauteuil, jambes croisées, son cahier posé sur le guéridon situé à sa droite. Angèle s’installa dans le deuxième fauteuil, en face, et attendit. Elle ne voulait pas être la première à parler.
— Bonjour Angèle, commença Madame Sabaire, comment te sens-tu aujourd’hui ?
— Bien, répondit la jeune fille.
Un silence s’installa. Angèle attendait que la chouette lui pose une question, mais celle-ci ne semblait pas disposée à reprendre la parole. Ce moment de flottement persista et elle chercha quelque chose à ajouter :
— C’est dans treize jours que je pars aux États-Unis.
— Oui. treize jours. Ça te fait quoi ? lui demanda la psy.
Angèle prit une inspiration. Quitte à être bloquée ici quarante-cinq minutes, autant jouer le jeu et répondre sincèrement. Qu’est-ce que ça lui faisait ?
— J’sais pas trop. Une partie de moi a hâte de partir et ces treize derniers jours me paraissent super longs. Puis… j’me dis aussi qu’il ne me reste plus que treize jours pour voir mes amies et ça… ça me fait bizarre. J’arrive pas à réaliser qu’après je ne les verrai plus. J’me rends pas compte. Du coup, j’arrive pas à être triste.
— Et ça te dérange de ne pas être triste ?
— Bah… c’est bizarre quand même ! rétorqua Angèle, comme une évidence. Mes copines, elles, elles sont tristes que je parte.
Elle se donna le temps de mettre en ordre ses idées et de réfléchir à ce qu’elle voulait dire. Elle repensa au discours qu’elle avait préparé pendant le déjeuner.
— J’ai pas spécialement envie d’être triste en pensant au passé et à ce que je laisse derrière moi. Je préfère penser au futur et me concentrer sur la vie que je vais démarrer aux États-Unis. Ça, ça me motive !
— Tu la vois comment ta vie là-bas ? l’interrogea Madame Sabaire.
Angèle s’installa plus confortablement, repliant ses jambes en tailleur sur le fauteuil. Elle aimait imaginer sa vie américaine. Les nombreuses photos que son oncle lui avait montrées ces dernières semaines lui avaient permis de se projeter.
— J’arrive pendant les vacances, et l’oncle Jake m’a dit que je suivrai des cours de langue pour améliorer mon anglais avant la rentrée. Ce sont des cours d’été. Que le matin je crois, puis il y aura d’autres étrangers comme moi, c’est plutôt cool. J’espère vraiment progresser à fond sur place pour pas être larguée en septembre et pouvoir m’intégrer plus facilement. Pour le moment, je parle un peu anglais avec l’oncle Jake, mais c’est super compliqué… j’comprends pas tout et surtout j’arrive pas à m’exprimer. Je cherche trop mes mots, c’est chiant !
Angèle s’arrêta et se demanda si elle n’avait pas été trop familière face à la vieille chouette… Elle regarda la psychologue qui lui sourit et lui répondit :
— Et avec ton oncle justement, malgré cette barrière de la langue, tu te sens bien avec lui ?
Et voilà, on y était ! Le retour de la psychanalyse ! À tous les coups, c’était l’assistante sociale qui lui avait dressé une liste des points à aborder avant son départ. Bien sûr qu’il y avait des moments de mal-être avec son oncle… elle le connaissait à peine et ils ne parlaient pas la même langue ! Puis, ils ne se voyaient jamais plus d’une heure ou deux, le plus souvent dans le parc ou dans un café. Mais bon… Jake se montrait gentil avec elle et il faisait toujours de son mieux pour formuler clairement ses propos et comprendre ce qu’elle essayait de lui dire. Angèle eut alors une pensée angoissante : et si elle ne donnait pas les bonnes réponses ? Était-il possible que les services sociaux changent d’avis et l’obligent à rester ici ? Cette idée lui fit froid dans le dos. Non ! Il ne fallait surtout pas que cela arrive !
— Ouais, l’oncle Jake est super cool. Ça se passe super bien nous deux ! Puis il me parle beaucoup de sa femme, Paige, et de son fils, David. Ils ont l’air adorables ! Je vais être vraiment bien avec eux ! assura Angèle avec un enthousiasme bien prononcé pour ne laisser aucun doute à la chouette.
La veille de son départ, Angèle s’isola dans le dortoir afin de faire le point sur tous les préparatifs du voyage. À cette heure-ci, tous les jeunes étaient dans le jardin ou dans la salle commune, ce qui lui permit d’avoir un peu de calme et d’intimité. Elle avait préparé une liste de toutes les affaires qu’elle souhaitait emporter, mais la restriction du poids des bagages l’obligea à en sacrifier une bonne partie. Elle rangea tout ce qu’elle laissait en France dans un grand carton qu’elle destinait à Laura, Mélissa, Caroline et Lise et leur envoya un message pour les avertir de venir le récupérer au foyer dans la semaine. Son portable sonna à plusieurs reprises, lui signalant les messages des filles. La gorge nouée, et les larmes au bord des yeux, Angèle le mit en mode silencieux et le rangea dans le tiroir de la table de chevet sans regarder les notifications. L’envie de pleurer se faisait de plus en plus forte. Elle prit une profonde inspiration et souffla doucement par la bouche. « Ça va aller, se dit-elle, ne pleure pas. N’y pense pas. Va de l’avant ! ».
Elle se répéta ces phrases deux fois dans sa tête, puis, d’un geste décidé, elle boucla ses valises et les plaça près de l’entrée avec son sac à dos et les vêtements qu’elle prévoyait de porter. Tout est prêt ! Une nouvelle vie commence !
Arrivée le lendemain à l’aéroport de Nice, accompagnée de Grégory, l’éducateur, Angèle retrouva son oncle dans le grand hall, devant le tableau des départs. Grégory fit signer quelques papiers à Jake puis se tourna vers Angèle pour lui souhaiter un bon voyage et « tout ce qu’il y a de meilleur aux States ». L’oncle et la nièce se retrouvèrent seuls.
— Nous y voilà, c’est le grand jour ! annonça Jake, en anglais.
— Oui, répondit Angèle. C’est le grand jour !
Le ton qu’elle avait employé n’était pas aussi enthousiaste qu’elle l’aurait voulu. Quelque chose en elle était en train de s’installer : une sorte de pression qui lui serrait la poitrine et la gênait pour respirer. Ne voulant rien laisser paraître à son oncle, elle lui sourit. Ce dernier affichait un air réjoui et semblait plein d’entrain malgré l’heure matinale.
— Le trajet va être long avant d’arriver à la maison. Nous avons une escale à Paris, puis, direction New York ! Il me tarde de retrouver Paige et David !
— Oui, je comprends, dit Angèle, essayant de puiser dans l’euphorie de son oncle un peu de courage pour ne pas se laisser envahir par cette pression de plus en plus pesante. Ils doivent beaucoup te manquer !
— Tu n’as pas idée ! affirma Jake avant de se diriger vers les guichets d’enregistrement.
Angèle le suivit, pensant au sacrifice de son oncle ces dernières semaines. Il était resté en France pendant un mois afin de faire connaissance avec elle et de régler avec l’assistance sociale tout un tas de démarches administratives. Avait-il eu, lui aussi, des rendez-vous avec la psy ? Angèle n’avait pas osé lui poser la question. En tout cas, le fait qu’il ait laissé sa femme et son fils pour s’occuper d’elle la touchait énormément en même temps que cela l’interrogeait. Elle se sentait redevable. Allait-il attendre quelque chose d’elle en retour ? Comment allaient se passer la vie commune et le quotidien dans le Connecticut ? Angèle laissa toutes ces questions en suspens et tendit son passeport à l’hôtesse du guichet pour enregistrer ses bagages.
Le premier vol jusqu’à Paris fut rapide. L’oncle Jake avait laissé Angèle occuper le siège près du hublot et elle avait regardé les nuages tout en écoutant ses morceaux de musique préférés, principalement du pop rock, alors que Jake avait lu le Times et s’était endormi. Les pensées de la jeune fille ne cessaient de faire des allées et venues dans sa tête, se chevauchant, se bousculant à une vitesse incontrôlable, tel un trafic routier trop dense et chaotique. Quel temps faisait-il à Manchester en ce moment ? Est-ce que le lycée ressemblerait à ceux que l’on voit dans les séries américaines ? Prendrait-elle les fameux bus scolaires jaunes ? Serait-elle amie avec un groupe de pom-pom girls ? Et si elle n’avait pas d’ami du tout ?
La pression dans sa poitrine augmentait, les battements de son cœur et sa respiration s’accéléraient. Elle était assise dans la salle de transit, attendant aux côtés de l’oncle Jake le prochain vol qui les conduirait aux États-Unis. Soudain, l’écran au-dessus du guichet s’alluma affichant en gros « NEW YORK JFK » et l’hôtesse annonça le début de l’embarquement. Jake se leva, mais Angèle resta pétrifiée dans son fauteuil, ne pouvant détacher son regard de l’écran. Ses mains se mirent à trembler et sa respiration se fit de plus en plus difficile. Jake la regarda, l’air soucieux, puis s’accroupit face à elle. Il orienta sa tête pour intercepter le regard de sa nièce. On pouvait lire dans les yeux d’Angèle la détresse d’une enfant perdue. Prenant soin de parler en anglais très lentement, en détachant et en articulant chaque mot choisi avec soin, Jake s’adressa à elle :
— C’est normal d’avoir peur, il ne faut pas lutter. Continue d’avancer doucement en laissant cette peur marcher à tes côtés. Avec le temps, tu prendras confiance et tu marcheras plus vite qu’elle en la laissant derrière toi.
Angèle avait compris le message de son oncle et, ses mots, son regard, ainsi que son attitude bienveillante réussirent à l’apaiser. Oui, elle avait peur. Mais Jake avait raison, il fallait aller de l’avant et accepter la présence de cette peur. « Ça va aller », se répéta mentalement l’adolescente tout en se levant et en accompagnant son oncle vers l’avion.
Lors du décollage, Angèle réalisa qu’elle observait la France pour la dernière fois. Ce pays, ses rues, ses bâtiments, ses paysages… tout cela s’éloignait d’elle pour devenir de plus en plus petit et se perdre à travers les nuages. C’était fini, elle ne reviendrait pas.
New York sentait le goudron chaud. La chaleur humide faisait transpirer Angèle qui rêvait de prendre une douche après plus de huit heures de vol. Elle espérait que le taxi que venait d’interpeller l’oncle Jake serait climatisé. Le trajet allait encore être long. Ils devaient se rendre à la Penn Station, dans le quartier de Manhattan, pour ensuite prendre le train qui les conduirait à Hartford, dans le Connecticut.
L’excitation de l’adolescente était à son comble, elle n’avait quasiment pas dormi dans l’avion. Elle monta dans le taxi aux côtés de son oncle, impatiente de rouler dans la ville. Le chauffeur rangeait les bagages dans le coffre. La banquette arrière était en cuir, et Angèle apprécia la sensation de fraîcheur qu’elle ressentit dès l’instant où elle ouvrit la portière : Ouf… il y avait la clim !
New York défilait sous ses yeux ébahis. C’était comme elle l’avait imaginé ! Elle s’émerveillait à chaque taxi jaune qu’elle voyait, à chaque panneau « One way », à chaque escalier de station de métro et se projetait au milieu de la foule dans ces rues débordantes d’activités. Elle sentit le regard de Jake sur elle. Il se rapprocha de son côté de la banquette pour lui indiquer par la vitre plusieurs bâtiments dont elle ne comprit pas la fonction. Se collant contre la portière, Angèle resta le visage fixé à la fenêtre sans dire un mot.
Après trois heures de train, ils arrivèrent enfin à Hartford. Jake semblait aussi euphorique qu’un enfant qui entrait dans un parc d’attractions. En descendant sur le quai, Angèle aperçut aussitôt l’élégante femme à la longue chevelure qu’elle avait vue sur les photos, accompagnée du petit garçon blond, au visage rond, dans la poussette. Son oncle accéléra le pas pour les rejoindre. Il prit sa femme dans les bras avant de l’embrasser, puis il s’agenouilla devant son fils pour le détacher de sa poussette et le serrer contre lui.
Angèle était restée en retrait, se sentant « de trop » dans ces retrouvailles familiales. Elle observait Jake, Paige et David avec attendrissement et envie. Ils étaient si beaux, si heureux, si parfaits, l’image même de la famille idéale ! Jamais elle n’avait vu son père et sa mère si proches l’un de l’autre. Dans leur famille, tout n’était que pudeur et non-dits. Quel gâchis ! pensa Angèle en souvenir de ses parents. L’oncle Jake se tourna vers elle, lui faisant signe de les rejoindre.
Avec un sourire timide, la jeune fille s’approcha en se demandant comment elle devait saluer sa tante. Devait-elle l’embrasser ? Lui serrer la main ? Non… Peut-être simplement dire « Hello » ? Mais Paige ne lui laissa pas le temps de réfléchir davantage à la question, elle se dirigea spontanément vers elle et s’exclama « Angèle ! Je suis si heureuse de te rencontrer enfin ! Bienvenue parmi nous ! », puis elle prit la jeune fille dans les bras. L’adolescente fut surprise par cette étreinte, mais la reçut avec confiance. Il se dégageait de cette femme une douceur et une affection maternelle naturelle. Son anglais était clair et articulé, et Angèle lui répondit avec aisance :
— Moi aussi je suis très contente ! Merci beaucoup !
L’oncle Jake s’avança vers elles, avec son fils dans les bras, et s’adressa à sa nièce :
— Et voici David.
— Hello Petit Prince, prononça Angèle dans une phrase mi-anglais, mi-français, en regardant le jeune garçon qui lui fit aussitôt un grand sourire et lui tendit les bras.
La jeune fille regarda son oncle, comme pour avoir la permission de prendre le garçon, et celui-ci acquiesça tout en lui tendant l’enfant. David semblait à satisfait dans les bras d’Angèle et commença à jouer avec ses cheveux. Ils se dirigèrent ensuite vers l’extérieur de la gare et prirent la voiture pour rentrer à la maison.
Angèle reconnut immédiatement la grande bâtisse, avec sa façade bleu pastel et son perron en bois blanc. Grâce aux photos de Jake, elle avait la sensation de déjà connaître cet environnement et cela la rassurait.
David ne la quittait pas d’une semelle. Le petit garçon, qui marchait encore avec la maladresse et le déséquilibre des premiers pas, la prit par la main et la dirigea vers la porte d’entrée. En ouvrant, Jake s’adressa à sa nièce et lui dit :
— Bienvenue chez toi.
Avec un mélange d’excitation et de curiosité, Angèle passa la porte et entra directement dans la salle de séjour. La pièce était immense et éclairée. Il y avait une large baie vitrée à gauche qui donnait sur le jardin et laissait passer toute la luminosité extérieure. La décoration était claire, épurée, et une odeur florale imprégnait l’espace, provenant certainement du bouquet de fleurs posé sur la grande table. Des escaliers longeaient le mur d’entrée pour accéder à l’étage. Sur la droite, on pouvait distinguer le « coin télé ». Le canapé et les deux gros fauteuils semblaient si confortables que la jeune fille s’y projeta aussitôt, lovée avec un bon bouquin.
— C’est très joli ! dit Angèle à son oncle et sa tante qui affichaient un visage flatté.
La visite se poursuivit par la cuisine puis ils montèrent à l’étage pour découvrir les chambres. Dans l’escalier, Jake se tourna vers Angèle :
— Paige prépare ta chambre depuis deux semaines. Elle n’arrêtait pas de m’interroger sur tes goûts, tes couleurs préférées… J’avoue que je ne lui ai pas été d’une grande aide et j’ai préféré lui laisser carte blanche. Enfin, tu l’aurais vue en visio, elle était tout aussi excitée et exigeante que si c’était sa propre chambre !
Angèle n’avait pas saisi le moindre mot de ce que venait de dire son oncle. La fatigue du voyage la rendait incapable de se concentrer suffisamment pour communiquer dans un anglais fluide. Elle avait vaguement repéré le mot « chambre » et avait compris qu’il parlait de Paige. La première chambre qu’ils voyaient face à l’escalier était-elle celle de Paige ? Cela signifiait-il qu’ils faisaient chambre à part, ayant chacun la leur ? L’adolescente fut déconcertée par cette annonce et observa Paige qui lui fit un grand sourire.
— J’espère qu’elle te plaira, ajouta cette dernière.
Quoi ? Ça ne collait pas, pensa Angèle qui attendit d’ouvrir la porte pour comprendre la situation. Elle entra alors dans une chambre, plutôt spacieuse, éclairée par deux fenêtres dont les voilures de rideau, d’un mauve très clair, donnaient une teinte pastel aux murs blancs. Les meubles étaient en bois, peints avec un blanc vieilli qui leur procurait beaucoup de charme. Il y avait une grande armoire sur sa droite, un bureau d’angle dans le coin de la pièce et une belle commode sur laquelle étaient déposés un miroir sur pied et des bougies parfumées de couleurs claires. L’ensemble était très harmonieux et très « girly », pensa Angèle. Puis, elle fixa son attention sur le lit, drapé d’une parure rose cendré, et sur lequel on avait laissé une carte où l’on pouvait lire « Welcome Angèle ». La jeune fille prit conscience qu’il s’agissait de sa chambre et que c’était à Paige qu’elle devait cette décoration et cette ambiance si agréables. Elle se retourna vers sa tante :
— Je l’adore ! Très merci beaucoup ! lui dit-elle avec enthousiasme.
Paige se mit à rire.
— « Merci beaucoup » est suffisant, la corrigea gentiment sa tante avec un ton amusé. Je suis contente qu’elle te plaise ! Il ne reste plus qu’à la personnaliser avec tes propres affaires.
Angèle lui sourit. Oui…, elle se sentirait bien ici. L’appréhension qu’elle ressentait depuis son départ de France s’était atténuée, laissant place à un sentiment d’espoir et d’optimisme.
Alors qu’elle prenait une douche, l’oncle Jake monta les bagages et déposa ceux d’Angèle à l’entrée de la chambre. Malgré la fatigue, l’adolescente ressentit le besoin de tout déballer maintenant et de s’installer. Laissant sa porte ouverte, elle commença à ouvrir la première valise et à sortir, une à une, ses affaires. Paige passa dans le couloir et lui demanda :
— Tu as besoin d’aide ?
— Oui, c’est gentil ! Tu peux entrer.
Elle s’introduisit dans la chambre et s’assit sur le lit, à côté de la valise ouverte d’Angèle.
— Tu as beaucoup de livres ! constata la tante devant l’amas de bouquins que contenait la valise.
— Oui, répondit Angèle. J’adore lire ! Je trouvais mal pour choisir les livres qu’emporter ici.