Lui rêvait d’une Ferrari et elle d’une bague en diamant - Yves Le Quéré - E-Book

Lui rêvait d’une Ferrari et elle d’une bague en diamant E-Book

Yves Le Quéré

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Beschreibung

Alice et Lucas, inconnus l’un de l’autre, remportent un séjour tout compris de 21 jours dans une suite au Carlton de Cannes grâce à un jeu télévisé. Chaque jour, ils vivent une nouvelle aventure qui leur apporte des leçons de vie, mais ils se demandent qui les guide dans ces expériences mystérieuses et dangereuses. Sauront-ils déjouer les pièges et percer les mystères pour trouver le sens de ces épreuves et en sortir indemnes, tout en découvrant les préceptes de vie cachés derrière ?


À PROPOS DE L'AUTEUR

Notaire retraité, Yves Le Quéré a consacré sa vie à manier les mots avec précision. Pour lui, l’écriture est semblable à un instrument de musique produisant une mélodie harmonieuse qui narre des histoires captivantes. À travers ce livre, il aspire à captiver l’attention du lecteur avec des aventures palpitantes, tout en lui offrant des clés pour trouver le chemin vers le bien-être.

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Yves Le Quéré

Lui rêvait d’une Ferrari

et elle d’une bague en diamant

Roman

© Lys Bleu Éditions – Yves Le Quéré

ISBN : 979-10-422-2466-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À Laure

À Catherine

Mes muses

Mes amours

Mon essentiel

Avant-propos

Quelques années auparavant…

Sorti de piste après avoir heurté un obstacle au commencement d’un virage, il subit un traumatisme crânien grave, en partie dû à l’attache de la Go Pro fixée sur son casque qui lui perfora le crâne.

Évacué d’urgence à bord d’un hélicoptère médicalisé des secours aériens, son pronostic vital était engagé.

Les hommes en blanc le placèrent dans un coma artificiel en hypothermie, sous anesthésie générale. Le commun des mortels n’aurait pas survécu. Lui résistait encore, montrant une fois de plus l’incroyable force qui l’habitait.

Mais il laissa soudainement planer le pire des suspens : celui de revenir à la vie et de son improbable retour à la normalité.

Le destin d’un homme est étrange. Celui qui a voulu faire de sa vie un suspens permanent laissait en l’occurrence le monde entier suspendu au résultat de son dernier combat.

Mais cette fois-ci, ce n’était plus une question de victoire, mais une délicate question de survie.

Prologue

Elle venait de la ville d’Arcachon où elle était née. Dans ses yeux bleu océan, l’on pouvait apercevoir la mer, tellement elle l’avait contemplée. Son musée préféré s’appelait la dune du Pilat, la plus haute dune de sable d’Europe (110 m), située en bordure d’un massif forestier des Landes et le long de l’océan Atlantique. Depuis sa tendre enfance, elle rêvait d’une bague en diamant. Elle avait 20 ans. Elle « montait » à Paris, sur convocation.

Il était né à Lille il y a 20 ans. Ses yeux brun foncé lui donnaient un regard intense et mystérieux, de même que son attitude pouvait apparaître comme étant secrète et impénétrable. Sa cour de récréation n’était rien d’autre que la rue, sauvage et menaçante, où il passa l’essentiel de son enfance. Exposé aux autres et à tous les dangers, il se forgea un caractère fort et trempé. Il avait toujours rêvé de piloter une Ferrari. Il « descendait » à Paris où on lui avait fixé rendez-vous.

— Nous accueillons nos deux derniers candidats qui vont profiter de la toute dernière chance de gagner un séjour de trois semaines en pension complète au Carlton de Cannes pour deux personnes, dans une superbe suite avec vue sur la mer, annonça le présentateur de la télévision.

Il y avait de nombreux jeux télévisés. Le présentateur faisait son travail qui consistait à faire jouer des candidats tirés au sort sur la liste où ils s’étaient inscrits, un job tout à fait ordinaire et banal qu’il éprouvait du plaisir à faire. Pour les deux candidats, il s’agissait d’une réelle opportunité très importante qui pouvait transformer leur vie du tout au tout pour au moins quelques semaines.

— Allez ! Venez donc, Mademoiselle et jeune homme. Bonsoir et bienvenue ! Comment vous appelez-vous ?

— Je m’appelle Alice. J’ai vingt ans. Je fais des études de droit.
— Bien, bien ! Papa et maman ne sont pas très loin, n’est-ce pas ?
— Ils sont tous deux décédés, il y a 5 ans dans un accident d’automobile.
— Pardonnez-moi, je ne…

— Pardonner, Monsieur, quoi ?

— Euh… oui, bien sûr. Et votre ami ?

— Il n’est pas mon ami. Nous ne nous connaissons pas. Nous nous sommes trouvés là à l’entrée des studios télé au même moment, par hasard.

— Ah oui ! Alors jeune homme, parlez-nous de vous.

— Moi, c’est Lucas. J’ai vingt ans. J’ai arrêté mes études l’année dernière. Je cherche un emploi mais je n’ai rien trouvé à ce jour.

— Bien, c’est enregistré. La France nous regarde, que toute personne intéressée pour embaucher Lucas veuille bien se faire connaître en contactant le 0800130130. Maintenant, nous allons commencer notre jeu. Vous connaissez le principe. Je ne vous poserai qu’une seule question. Si la réponse donnée par l’un de vous deux est bonne, vous avez gagné le séjour à Cannes pour tous les deux. Si votre réponse est fausse, vous êtes définitivement éliminés. Est-ce bien clair ?

— Ah oui, dit Lucas. Soit on donne la bonne réponse et go ! On prend l’avion, direction Cannes, arrivée sur la plage, champagne, installation dans notre suite et repas aux chandelles. Et si on perd, retour dans le métro, direction la banlieue lilloise, montée au 15e étage de ma tour, soirée foot bières et burger frites entre copains.

— Vu les règles, on n’a pas droit à l’erreur, s’esclaffa Alice, il nous faut absolument gagner au premier coup.
— Je vais maintenant vous poser la question, reprit le présentateur. Une seule question, une seule bonne réponse et hop ! Vous partez tous les deux demain matin à 9 h pour Cannes. Êtes-vous prêts ?

Elle sourit, ça voulait dire oui. Le garçon hocha la tête, il était déjà parfaitement concentré.

— Donnez-moi un chiffre entre un et sept.

Leurs yeux se croisèrent aussitôt. Lucas s’inclina. Elle misa sur son chiffre porte-bonheur.

— La régie ! Envoyez la question numéro 7.

Sur l’écran, s’afficha aussitôt cette bien curieuse question :

« Qui battit le record du monde de vitesse du kilomètre lancé sur piste à moto et à quelle vitesse il y a 35 ans de ça ? »

— Allez, les jeunes, à vous de jouer, vous avez une minute, précisa le présentateur.

Alice se mit brusquement à paniquer, car elle n’avait aucune idée de la réponse à donner à cette foutue question. Elle regarda Lucas désespérée, les yeux grands ouverts, espérant qu’il soit capable de réaliser un miracle.

Lucas avait fermé les yeux afin d’atteindre un niveau de concentration maximum. Alice prit sa main et la serra fortement pour lui transmettre, à défaut de son savoir, toute son énergie positive. Lucas apprécia la manifestation physique de cet esprit d’équipe. Il cherchait à puiser, au plus profond de sa mémoire, les éléments d’information qui lui permettraient de répondre à la question qui venait d’être posée. L’effort de réflexion était intense, car l’évènement recherché était très lointain et il fallait retrouver un chiffre précis de la vitesse réalisée.

— Il vous reste encore 30 secondes ! Allez ! Dépêchez-vous.

Alice, de plus en plus inquiète, appuya si fort l’ongle de son pouce sur son index qu’elle se fit saigner. Pourquoi, se lamenta-t-elle, à la télévision dans les émissions de jeu, posait-on toujours des questions saugrenues dont seuls la chance ou le hasard pouvaient conduire à connaître la réponse ?

— Attention, jeunes gens, vous n’avez plus que quinze secondes !

Lucas gardait les yeux fermés, paraissant absent ou endormi. Alice avait déjà rageusement massacré la totalité de ses ongles.

— 7, 6, 5…
— Je ne sais pas, dit Alice, au bord de la crise de nerfs. Lucas restait immobile et impénétrable.

— 4, 3, 2…

À cet instant, Lucas ouvrit les yeux, semblant sortir d’un rêve lointain et interminable.

— 1…

— Coluche ! 252,087 km/h, le 29/09/1985, sur une moto : 750 OW31.

Alice, abasourdie, regarda ce garçon qu’elle ne connaissait pas. Ils allaient vivre vingt-et-un jours ensemble, dans l’hôtel le plus luxueux de la Côte d’Azur. Vingt-et-un jours de rêve à partager avec un inconnu qui répond aux questions les plus insolites. Mais qu’est-ce qu’elle allait bien pouvoir mettre dans sa valise ?

1er jour

Prise de risque

Aéroport de Nice, à 8 h 55, l’avion en provenance de Paris atterrit. Alice et Lucas humèrent le bon air de la Côte d’Azur. À leur sortie, un chauffeur les attendait et les conduisit jusqu’à une limousine Rolls-Royce Phantom série II. Il s’agissait de la limousine Stretch de Rolls-Royce, voiture particulièrement luxueuse de six mètres de long. Alice était impressionnée par le gigantisme de l’automobile et par le luxe démesuré de son intérieur. Le cuir de haute facture, les essences de bois précieux et les tapis en laine d’agneau laissaient planer une atmosphère typiquement britannique. Lucas vivait l’expérience limousine comme toute expérience mécanique. Il demanda à voir le moteur avant de monter dans la fascinante automobile. Un régal assurément !

Une fois bien installés à bord, le chauffeur démarra.

— Bonjour Alice, et bonjour Lucas. Je m’appelle Régis. Vous pouvez tout me demander, j’aurai plaisir à vous servir. Face à vous, il y a un réfrigérateur : il y a du champagne à votre attention. Servez-vous, s’il vous plaît.

Lucas ouvrit des yeux gourmands et montra sa joie par un petit cri. Alice regarda Lucas et se mit à sourire, enjouée du bon accueil dont ils étaient l’objet.

Nous allons au Carlton de Cannes, confirma Régis. Mais je vous propose de faire quelques détours pour vous permettre d’apprécier des endroits tels que Cagnes-Sur-Mer, Villefranche-Sur-Mer, Antibes, le cap d’Antibes, Juans-Les-Pins, entre autres.

Le voyage commença et défilèrent les stations balnéaires ayant chacune leur propre charme.

Alice, de plus en plus excitée, avait déjà répété trente fois en moins de dix minutes : « Oh ! Regarde comme c’est beau ! » Lucas, quant à lui, préférait regarder Alice en pensant : « Comme tu es belle ! »…

Ils s’étaient retrouvés ce matin à Orly à cinq heures. Ils s’étaient fait la bise pour la première fois. Ils n’avaient presque pas parlé ensemble. Ils ne connaissaient rien l’un de l’autre. Ils étaient comme deux étrangers rassemblés par une seule obligation : vivre vingt-et-un jours en toute intimité dans l’une des plus belles suites du Carlton de Cannes.

Ils arrivèrent à leur hôtel. La limousine s’arrêta devant le porche du palace, situé face à la Méditerranée, au cœur de la baie de Cannes, sur le prestigieux boulevard de la Croisette. Un voiturier s’empressa de leur ouvrir la porte de la limousine. Le bagagiste s’occupa de leurs effets personnels et fut étonné du peu de choses qu’ils transportaient, soit une petite valise et un vanity pour Alice et un sac à dos pour Lucas. À l’accueil, ils n’avaient aucune formalité à accomplir : tout était payé d’avance, quel que soit le niveau de leur consommation. Le bagagiste les accompagna jusqu’à leur chambre.

Ils entrèrent dans leur suite panoramique de prestige de 300 m2 au 6e étage avec une vue entièrement dégagée sur la Méditerranée. L’intérieur était impressionnant : un grand séjour double, une salle à manger, une magnifique chambre avec un grand lit, une salle de bains en marbre, deux WC, un home cinéma, un frigo américain, un coffre-fort, un climatiseur réversible.

Lucas alluma la télévision. Puis elle posa la question qui tue.

— Lucas.
— Oui.
— Où vas-tu dormir cette nuit ?

Lucas ne s’était pas posé cette question qui pour lui allait de soi. Il tenta subtilement cette réponse :

— Ne t’inquiète pas, Alice, je ne ronfle pas.

Alice fit semblant de ne pas comprendre. Des questions laissées sans réponse, comme dans une vie de couple ponctuée par ses silences.

Alice fit remarquer à Lucas un tableau fixé sur le mur. Il représentait un parchemin recouvert de quelques lignes d’écriture. Elle lut le texte à Lucas comme s’il avait été analphabète.

« Et si l’essentiel de ce que nous vivons dépendait uniquement de notre capacité à penser et à décider nous-même des choses de la vie, alors il suffirait d’agir et de s’adapter aux changements du monde. »

Alice, surprise par ce texte, dit à Lucas que c’était inattendu de trouver cela dans une chambre d’hôtel, et encore plus dans un palace et que cette pensée était indubitablement remplie de vérité. Lucas bougonna, ce qui signifiait qu’il se désintéressait totalement de la question.

À ce moment-là, l’on frappa à la porte.

— Oui, dit Alice. Qui est-ce ?
— Le room service, Madame.

Lucas ouvrit la porte de la chambre. L’employé d’étage poussa un chariot et le plaça contre la petite table près de la fenêtre. Le garçon fit sauter le bouchon de la bouteille de champagne, remplit deux coupes, déposa la corbeille de fruits sur la petite table ainsi qu’une bonbonnière pleine de chocolats.

— Désirez-vous autre chose ? demanda le garçon d’étage.
— Ça ira pour le moment, répondit Lucas d’une voix faussement assurée.

Alice se leva. Elle n’en croyait pas ses yeux. Elle montrait à Lucas un visage radieux devant tant d’attentions. Submergée par ses émotions, elle ne savait pas quoi dire. Elle se sentait vivre un rêve dans lequel se mélangeaient réalité et fiction, envies et passions, tout en ayant conscience que ce rêve allait s’arrêter brutalement dans trois semaines.

Lucas tira une chaise et s’adressa à Alice :

— Si Madame la Comtesse veut bien se donner la peine de s’asseoir !

Elle sourit. Lui aussi. Elle s’assit. Lui de même. Ils soulevèrent leur coupe de champagne et trinquèrent en se regardant intensément dans les yeux. Il y eut à ce moment-là comme un éclair entre eux, comme un sentiment d’amour partagé, puissant et rapide, chargé d’électricité.

— À toi, Alice, lança-t-il.

— À nous, osa-t-elle.

Après avoir dévoré, avec envie, plusieurs fruits et bu deux coupes de champagne, ils s’accoudèrent à la fenêtre et s’émerveillèrent ensemble du spectacle que leur offrait la vue depuis leur chambre. La profondeur bleutée de l’horizon marin et la mer calme et lisse comme du verre où se miroitent les nuages blancs en forme de coton qui contrastaient avec la vie animée et bruyante de la croisette.

Ici le soleil règne en maître absolu, réduisant l’horizon à un fil de lumière qui sépare imperceptiblement la mer du ciel et nul ne peut affirmer lequel donne sa couleur à l’autre, tellement la mer et le ciel se confondent à l’infini.

Là des touristes distraits en errance croisent des banquiers affairés, courant, affublés de leur costume-cravate, pendant que les cyclistes et rollers doublent des joggeurs si rapides que leurs pieds ne semblent jamais toucher le sol.

Drôle d’équilibre périlleux et instable entre les éléments, la mer et le ciel paisibles et assemblés et les hommes, passants ou sportifs excités, préoccupés d’eux-mêmes.

Alice avait perdu toute notion du temps. Elle s’extasiait devant la beauté du site et se laissait emporter par la magie des lumières, des reflets et du scintillement offert par le soleil sur la mer. Mais Lucas se lassa vite de cette contemplation et commença à montrer des signes d’une vive impatience.

— Bon. C’est très joli tout ça, mais, dis-moi, qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

— Attends, Lucas ! Admire cette vue exceptionnelle et profite de cette chance rare de te trouver dans de tels lieux magiques !

— On ne va pas passer des heures à regarder par la fenêtre quand même. C’est bon pour les vieux !

— Oh, Lucas ! Regarde ! Là juste en dessous de nous. Quelque chose qui vient de tomber. Oh ! Ça brille, je ne sais ce que c’est.
— Hein ? De quoi s’agit-il ?
— Mais regarde sous notre fenêtre. Il y a l’échafaudage des travaux de ravalement, et dessus il y a… on dirait comme une pièce.
— Ah oui ! s’exclama Lucas. T’as raison. C’est effectivement une pièce. Je vais la chercher.
— Quoi ? Mais t’es fou ! Allons, tu ne vas pas prendre de tels risques pour une malheureuse pièce ?
— Si !

Aussitôt Lucas enjamba la fenêtre. L’échafaudage s’arrêtait deux mètres juste en dessous de leur fenêtre. Lucas se tint avec ses deux mains sur le rebord de la fenêtre, se laissa tomber et prit appui d’un pied sur la barre la plus élevée de l’échafaudage, puis sauta à pieds joints sur la plateforme de l’échafaudage.

Il ramassa la pièce. Avec un large sourire, il annonça à Alice triomphalement :

— Nous sommes riches de 2 € !
— Bouh ! T’es vraiment fou. Fais bien attention à toi, en remontant.

Lucas, avec l’agilité d’un chat et la souplesse d’un acrobate, sauta pour attraper la barre supérieure de l’échafaudage, se hissa à la force de ses bras, mit un pied sur la barre, puis l’autre et d’un seul coup rapide se redressa jusqu’au bord de la fenêtre qu’il escalada avec une aisance rare.

— Yéééééh ! T’es un OVNI ou quoi ? dit Alice en soufflant. Tu m’as bien fait peur, monsieur Musclor. Mais quelle idée de faire toutes ces acrobaties dangereuses pour une malheureuse pièce de deux euros ?

— Quand tu nais avec des dettes pour seul héritage, tu apprends vite à ne pas faire la fine bouche. Si bien que lorsqu’on te donne quelque chose, tu le prends. Sinon, le jour où tu auras vraiment besoin de cette chose, tu regretteras ton manque d’audace.

— De l’audace à 2 € ? Excuse-moi, Lucas, mais j’estime que c’est quand même du grand n’importe quoi !

— Je ne t’approuve pas. Connais-tu cette folle histoire du banquier Jacques Laffitte ?

— Non.

— Assieds-toi et écoute-moi. En 1788, à l’âge de 21 ans, Jacques Laffitte se vit refuser un premier emploi dans une banque, chez le riche banquier suisse Perregaux, au motif que toutes les places de ses bureaux étaient complètes. En traversant la cour, triste et le front penché, Jacques Laffitte se baissa et ramassa une simple épingle et l’attacha sur le parement de son habit. Il ne pouvait pas se douter que ce geste, somme tout insignifiant et banal, allait lui ouvrir les portes de la fortune. En effet, debout devant la fenêtre de son bureau, le banquier suisse avait suivi nonchalamment la retraite du jeune homme. Mais monsieur Perregaux était un fin observateur qui connaissait le prix des petites choses et, présentement, il remarqua ce détail anodin en apparence, mais qui pourtant valait son pesant d’or : le fait de ramasser une simple épingle. Le banquier suisse considéra que le seul fait que ce jeune homme se baisse pour une si petite chose était une garantie d’ordre et d’économie et que, par conséquent, il avait toutes les qualités pour faire un bon financier. Pour le banquier suisse, un homme aussi jeune qui prenait le temps et faisait l’effort de ramasser une simple épingle devrait être un excellent commis, mériter la confiance de son patron et parvenir à une haute prospérité. Monsieur Perregaux lui offrit immédiatement une place dans ses bureaux. Le jeune Jacques Laffitte fut un excellent commis et devint tour à tour caissier, puis associé dans la banque, puis maître de la première maison de banque de Paris, puis député, et enfin président du Conseil des ministres le 2 novembre 1930. Voilà l’histoire réelle de Jacques Laffitte, le banquier qui avait ramassé une simple épingle.
— C’est une bien jolie histoire, à la fois surprenante et inspirante.
— Exactement. Imagine maintenant, avec mes 2 € en poche, je vais peut-être racheter 50 % du capital de la BNP et devenir président de l’Union européenne !

Alice remarqua que Lucas était érudit et s’intéressait aux grands hommes. Elle se souvenait de son professeur de philosophie qui disait qu’en lisant la biographie de ceux qui ont réalisé de grandes choses, l’on apprenait les grands principes qui mènent à la réussite, puis à la sagesse.

— Lucas savait prendre des risques et avait de l’audace. Ces traits de caractère plaisaient énormément à Alice. Elle regarda Lucas, de plus en plus pensive. Elle se dit alors qu’il était temps d’agir.
— Lucas, veux-tu sortir avec moi ?
— Quoi ?
— Euh !... Oui je veux dire… on va se promener, si tu veux ?
— Ah ! Oui, bien sûr. On ne va pas rester enfermés dans cette taule !
— Une suite au Carlton, quand même.
— Oui, tu veux dire une illusion d’optique pour grands bourgeois bourrés de fric, myope et presbyte.
— Rigolo, mon Lucas.
— Le luxe, c’est pour les vieux ! Ils payent ça très cher alors il faut que ça brille, sinon ils ne remarquent même pas que c’est beau.

— On y va ?

— Mais oui, Comtesse, le peuple nous attend !

Il ne pouvait pas mieux dire. La rue les attendait avec ses expériences et ses surprises bonnes ou mauvaises.

Ils descendirent dans le hall. On leur proposa un taxi. De toute façon, ils ne pouvaient même pas se le payer (avec seulement 2 €). Ils sourirent. La croisette, c’est fait pour marcher et rencontrer du monde. Ils commencèrent par longer les plages de sable blanc. Puis ils rejoignirent les commerces de luxe. Alice s’excita vite en regardant les magasins de marque tels Yves Saint Laurent, Christian Dior, Léonard, Cartier, Boss, Christian Lacroix. Elle remarqua que tous les commerces inaccessibles en prix avaient été regroupés dans le même quartier avec des vitrines alléchantes, indécentes et sans complexe. Ici le luxe était synonyme de folie, d’extravagance et de prix démesuré. Ceux qui avaient trop d’argent venaient acheter la singularité, la marque, et le prix cher qui en faisait un produit rare. S’habiller avec des vêtements si chers, c’est comme s’ils s’offraient à eux-mêmes une médaille de la richesse pour l’installer sur eux bien en évidence. Les Porsches, Mazerati, Ferrari, Aston Martin garées devant les palaces, de même que les magasins de haute couture, et les bijouteries de luxe semblaient tous s’être alliés pour mieux se moquer de leur petite condition. Mais que faisaient-ils au Carlton, ces enfants égarés dans un palace, alors que normalement ils n’auraient pu entrer que par la porte de derrière réservée au petit personnel ? Lucas chantait « Il ne faut pas jouer les riches quand on n’a pas de sou » et il avait vraiment raison, pensait amèrement Alice en se rappelant la chanson de Jacques Brel. Elle mesurait le fossé qui sépare des jeunes gens sans le sou comme eux ainsi que la grande majorité des gens souvent appelés classe moyenne de ces quelques rares personnes richissimes qui disposent de moyens financiers colossaux leur permettant de tout se payer : bijoux, villa, voitures sportives, yacht, etc.

Lucas, quant à lui, était impressionné par les voitures sportives et de luxe, mais surtout par la relative jeunesse de leurs propriétaires. Par quel miracle, par quel tour de passe-passe, avaient-ils trouvé l’argent, si tôt dans leur vie, pour se payer des voitures qui valaient entre 100 000,00 € et 1 000 000,00 € au minimum ?

Plus loin, sur le port, ils passèrent devant un mendiant, au teint brûlé par le soleil et par l’alcool. Ce pauvre homme n’avait pas d’âge. Il paraissait vieux par sa barbe, ses rides et surtout son regard éteint, dépourvu du moindre espoir.

— Tu vois, Lucas, constata Alice, on est toujours le milliardaire de quelqu’un.
— Oui, Alice, tu peux penser ça parce que tu baisses les yeux pour regarder la misère. Mais lève plutôt la tête ! Vois ces Ferarri, tiens là cette extraordinaire Lamborghini, et là admire le style de cette élégante Aston Martin DB9. Contemple un peu plus loin sur le port ces yachts et leur équipage, avec cette mythique 911 garée juste devant. Regarde cet homme qui descend de son yacht en complet veston blanc, cravate mauve, pochette assortie et boutons de manchettes en or. Est-ce que tu perçois la force de son regard, la puissance qui émane de lui et la vivacité de sa démarche ? Nous sommes jeunes, encore bien jeunes, mais tellement éloignés de tout ce qu’ils sont et de tout ce qu’ils possèdent. Ils vivent sur une autre planète à une distance hors de notre portée. Ils ont tout. Tout ! Tu comprends ?
— Peut-être pas tout à fait, car eux ils ne m’ont pas ! Et ça fait quand même une sacrée différence ! Ils n’ont pas ta chance d’être avec une fille aussi jolie et rigolote que moi, ne crois-tu pas ?
— Mais tu mélanges la richesse avec les sentiments !
— Justement. La richesse n’achète pas l’amour, car l’amour n’a pas de prix. Il n’est nul besoin de richesse pour être heureux, il suffit d’aimer et d’être aimé.

Lucas ne répondit pas. Il ne percevait pas ce qu’elle essayait de lui dire. Lucas découvrait que beaucoup de personnes possédaient une importante richesse alors que lui, avec ses études ratées et venant d’un milieu modeste, n’avait aucune chance d’amasser une telle fortune. Plus qu’un simple sentiment d’injustice, c’était une forme d’amertume qui l’envahissait, à cause de sa croyance erronée qu’il lui serait impossible d’atteindre un tel niveau de richesse. À l’âge où l’on est riche que de ses rêves, Lucas se demandait tristement quel miracle pourrait lui permettre de faire fortune.

Alice ressentit cette soudaine tristesse qui assombrissait le visage de Lucas. Brusquement, elle l’attrapa par le bras et l’entraîna sur la plage et tous deux s’assirent sur le sable. Alice goûta le vent qui caressait ses joues. Elle mit timidement une main sur l’épaule de Lucas. Il tourna son regard vers elle, soupçonnant que le moment était important. Comme elle, il scruta l’horizon.

Son cœur s’arrêta de battre au moment où Alice joignit son regard au sien en adoptant des expressions faciales séductrices. Leurs yeux étaient maintenant connectés comme par une magie type Bluetooth. Ils esquissèrent en même temps un léger sourire beaucoup plus parlant que de simples mots. Alice se demandait s’il allait comprendre son invitation. Lucas s’interrogeait s’il n’était pas trop tôt. Puis, doucement et amoureusement, ils s’embrassèrent avec passion, faisant ainsi réponse à leurs questions. Leur baiser s’éternisait. Alors il l’examina intensément, à la fois ébloui et amoureux. Elle pouvait à cet instant lire dans ses yeux ô combien elle était belle. Ils s’étaient mis en apesanteur, n’étant plus là ni nulle part ailleurs. Ils ne possédaient rien, n’avaient aucune obligation, ne dépendaient d’aucun programme. Ils n’étaient riches que de 21 jours à profiter de leur suite au Carlton. À vingt ans, ils vivaient l’instant présent, libres et amoureux, le reste pouvait attendre. Ils ne savaient pas encore que le bonheur se résumait le plus souvent à vivre des tels moments, égarés par la passion, plongés dans le lointain, éloignés de toute attache, ayant tout oublié du monde réel.

— Jeunes gens, ça va ? Je m’appelle Esmeralda.

Surpris et dérangés à la fois, ils ne répondirent pas. Qui pouvait bien être cette personne effrontée et provocante qui venait soudainement les réveiller, alors qu’ils étaient tombés dans un grave coma idyllique par suite d’une bien trop grande quantité d’amour ingéré ?

— Allons, ne soyez pas aussi timides. Je lis les lignes de la main. Et je sais déjà qu’il y a beaucoup de choses curieuses et cachées qui sommeillent en vous. Je vous ai vu vous embrasser. Il y a eu une étincelle à ce moment-là. Je suis sûre que c’est votre premier baiser d’amour. Ce phénomène n’est-il pas étrange ?

Alice et Lucas s’interrogèrent mutuellement sur l’attitude à observer pour se débarrasser de l’intruse.

— Je peux vous dire beaucoup de choses sur votre vie, sur l’argent dont vous manquez, sur votre avenir terriblement indécis, sur votre amour fragile, et même sur la mort imprévisible, insista Esmeralda.

— Madame, passez donc votre chemin ! Nous ne sommes pas pressés de savoir, dit catégoriquement Alice qui voulait voir Esmeralda déguerpir au plus vite.
— Mais attends un peu, coupa Lucas. Je veux savoir. C’est sûr, votre truc ?
— La fiabilité de mes prédictions dépend en grande partie de toi et de la confiance que tu donnes à mes propos. Si tu m’écoutes bien, sois assuré que tu pourras réaliser une grande quantité de choses grâce à des pouvoirs qui existent en toi et dont tu ne soupçonnes même pas l’existence.
— Cool ! dit-il. On y va, ça m’intéresse.
— Mais ça ne va pas, Lucas, tu ne vas pas croire à ces sornettes ! Elle va te raconter n’importe quoi, empocher le fric que d’ailleurs tu n’as pas et tu auras été roulé dans la farine.
— Que risque-t-on ? Si les prédictions se révèlent exactes, nous serons informés de ce qui va venir et pourrons agir en conséquence. Dans le cas contraire, nous aurons seulement perdu un peu de notre temps. Esmeralda, dis-nous comment ça marche !
— Alors il faut me donner 2 €.
— Nous ne les avons pas, dit sèchement Alice.
— Dans ce cas, vous ne saurez rien !
— Mais enfin, Alice, réagit Lucas, tu sais très bien que nous avons une pièce de…
— Tais-toi ! cria Alice. Ne gaspille pas ta modeste richesse !
— Bon. Je comprends. Vous n’avez pas d’argent. Je vais vous dire une seule chose, mais vous devez faire très attention. Posséder 2 € ou une fortune, une Ferrari ou une bague en diamant, ce n’est pas important. En revanche, prenez soin de votre amour naissant car il est déjà en danger.
— Vous faites l’intrigante, en plus ! s’énerva Alice.
— Mais laisse-la parler, enfin.
— Je vous ai observé tout à l’heure, reprit Esmeralda. Vous vous êtes assis sur le sable en même temps. Vous avez regardé ensemble l’horizon mais ne l’avez pas vu de la même façon. Pour toi, jeune fille, il est bleu, calme et limpide. Tu es consciencieuse, organisée et précise. Tout travail doit être fait selon les règles de l’art. Tu respectes les règles et il n’est pas question de s’en départir. Tu es un modèle d’organisation et de prudence. Tu vis l’instant présent, la minute même et tu te moques du lendemain. Tu veux croquer la vie, vivre à fond chaque moment, sans regarder hier et sans craindre demain.

Elle s’arrêta une seconde pour reprendre son souffle. Alice commençait à bouillir d’impatience et d’énervement. Puis elle reprit :

— Pour toi, garçon, l’horizon est rouge ! Tu n’y vois qu’un champ de bataille aussi loin que tu puisses imaginer. Tu es une personne dominante, pleine d’énergie, qui doit sans arrêt accomplir des actions et être en mouvement. Pour toi, seul le résultat compte. Tu aimes la compétition, le pouvoir et l’autorité. Tu ne penses qu’à l’avenir, qu’à grandir, qu’à devenir. Tu te moques du présent, simple point de passage pour la réalisation de tes défis personnels et de tes challenges.

— Madame, laissez-nous ! cria Alice à bout de nerfs. Vous avez tout à fait raison. Il faut cueillir aujourd’hui les roses de la vie, dixit Pierre de Ronsard. Eh bien, sachez que je vis tout à fait au présent et que présentement vous me cassez les pieds !

Esmeralda sourit devant tant de pugnacité, mais aussi tant d’ingénuité.

— Vous vivez l’un à côté de l’autre sans être véritablement ensemble. Faites attention à vous, les enfants : il ne suffit pas de regarder sans le même sens, il faut voir la même chose. Apprenez qu’il vaut mieux cultiver son bonheur dans l’instant présent, plutôt que de se plaindre du passé dont on ne peut plus rien changer ou de s’inquiéter inutilement de l’avenir dont on ne sait rien par avance. Je vais maintenant vous quitter. Prenez cette carte et lisez là avec attention !
— Vous m’intriguez, dit Alice. Laissez-moi lire cette carte.

« Vis comme si tu devais mourir demain. Apprends comme si tu devais vivre toujours. (Mahatma Gandhi) »

— Mais pourquoi vous nous remettez cette citation ?
— Je ne sais pas. Je ne suis qu’une messagère…
— Esmeralda les quitta rapidement et disparut comme si elle était un personnage imaginaire.
— Elle est complètement folle, celle-là, déclara, désemparé, Lucas.
— C’est moi qui suis folle !... Absolument folle de toi. Et ils s’embrassèrent… à l’instant présent.

2e jour

Jeu de hasard

Elle était déjà entrée dans leur chambre depuis un petit moment. Elle avait d’abord pénétré par la fenêtre du salon qu’ils avaient laissée ouverte. Et, petit à petit, elle avait entièrement investi les lieux. Elle rayonnait avec intensité. Insistante, la lumière du jour éclairait maintenant leurs visages qui ne laissaient rien apparaître d’autre qu’une douce insouciance.

Alice avait sa joue sur son épaule et l’entourait de son bras. Lucas dormait sur le dos, sa main posée au creux de sa cuisse. Elle était blottie contre lui comme si elle voulait le garder à jamais. Il était complètement abandonné, ne faisant qu’un avec elle.

La lumière, bien qu’elle fût si intrusive et provocante ce matin, n’y changerait rien. Ils vivaient un moment intemporel que rien ni personne ne pourrait troubler.

Les heures défilèrent encore paisiblement sans que l’un ou l’autre bouge vraiment. À 20 ans, l’on est tellement riche du temps dont on dispose qu’on peut le laisser s’écouler sans état d’âme, comme un robinet qu’on laisserait innocemment ouvert.

Et pourquoi ces deux-là se préoccuperaient-ils d’autre chose que de jouir de leur bonheur ! Ils savouraient à cette seconde, sans le savoir vraiment, un moment précieux, un moment rare qui n’arrive que lorsque deux êtres sont à l’unisson, jeunes et enthousiastes, libres et remplis d’énergie. Ils s’abandonnaient l’un à l’autre jusqu’à s’oublier eux-mêmes, acceptant le risque de devoir en souffrir.

— Tu es beau ! souffla-t-elle.

Alice avait ouvert un œil, puis deux et ressentait l’énorme plaisir d’être là, contre Lucas, encore endormi, qui respirait lentement et profondément. Elle caressa sa poitrine, puis son ventre. Il se retourna sur elle et l’enlaça encore somnolant, perdu entre rêve et réalité. Elle profita du fait qu’il était encore sous l’anesthésie de sa nuit pour l’embrasser. Avec une certaine inconscience, Lucas se laissa entraîner dans ce jeu amoureux. Comme elle continuait à l’exciter, il revint rapidement à la vie. Ils firent l’amour un long moment comme deux amoureux déjà bien expérimentés.

Il était 14 heures lorsque Lucas se leva le premier. Il se jeta sous la douche. Elle le rejoignit aussitôt dans la douche, prolongeant ainsi leur étreinte. À 15 heures, ils commandèrent leur petit déjeuner, sans se rendre vraiment compte qu’ils avaient entamé l’après-midi. L’employé d’étage leur apporta immédiatement un copieux petit déjeuner avec des œufs brouillés, du poulet à la vanille, des saucisses, du bacon. Il y avait aussi des pommes de terre, des tomates, un wok de légumes. Côté poisson, il était mis à leur disposition de l’espadon, du hareng et du saumon. Le plateau contenait également une coupe de fruits, des céréales et diverses croissanteries. Visiblement, le personnel du Carlton était habitué à ce que leurs clients se trouvent, régulièrement, en total décalage horaire.

Elle mangea une salade de fruits frais, quelques céréales avec du lait de soja ainsi que quelques pâtisseries légères, et elle but un thé vert. Lui préféra des œufs brouillés avec bacon et poulet à la vanille accompagnés de légumes, une banane et un kiwi, deux petits pains au chocolat, et savoura un double expresso. Ils dégustèrent en silence leur succulent petit déjeuner.

Lucas se mit alors à la fenêtre.

— Oh ! Alice, il y a quelque chose en bas.
— Ah non, tu ne vas pas encore descendre. Tu risques de te rompre le dos.

Mais il ne l’écouta pas. Il descendit rapidement avec une grande agilité quasi féline. Il rapporta une enveloppe et la présenta à Alice d’une manière élégante, en posant un genou à terre, à la façon d’un chevalier. Elle l’ouvrit.

— Lucas ! Nous partons au casino avec deux bons prépayés pour retirer des seaux de jetons.

— Ah ! Génial ! On va faire sauter la banque !

En bas, un taxi de l’hôtel les attendait. Ils se glissèrent sur la banquette arrière. Ils n’avaient rien besoin de dire. Le chauffeur savait où il devait les conduire. Après avoir passé le vieux port, ils arrivèrent devant le casino. Ils montrèrent leurs bons prépayés et reçurent deux seaux de jetons, sans même que l’on contrôlât leur identité.

— Voilà vos seaux de jetons. Vous ne devez pas quitter la table de jeu sans avoir obtenu chacun la valeur de trois seaux.
— Il faudrait que nous ayons beaucoup de chance, Madame, s’enquit Alice.
— C’est exact, mais il faut jouer pour gagner, ce n’est pas un simple jeu d’amusement, répondit la caissière.
— Soit, dit Alice, mais dites-moi combien d’euros représentent trois seaux ?
— Chaque seau a une valeur de 2000 €. Si vous gagnez trois seaux chacun, vous aurez à vous deux 12 000 €, ce qui est déjà une somme très importante.
— Et ça vaut le coup, dit Lucas, ce sera un super gain pour nous.
— Et si l’on perd tous nos seaux ? demanda Alice.
— Dans ce cas, revenez vers moi, dit la caissière, personne ne perd impunément.

Ils allèrent aussitôt vers la salle de jeu. En chemin, Alice s’émerveilla devant le grand aquarium et, en particulier, en regardant les poissons tropicaux et les coraux. Ils passèrent par la salle des machines à sous.

Là, il y avait une femme, ridée, tristement habillée sans le moindre éclat, les yeux vitreux et de gros cernes. Elle mettait une pièce et actionnait frénétiquement la poignée de la machine. Elle regardait pleine d’espoir les cinq rouleaux tourner, rêvant de voir s’afficher une combinaison de symboles. Pendant que les rouleaux tournaient, elle buvait les dernières gouttes de son whisky.

Ce genre de personne jouait pendant des heures entières sans se rendre compte qu’elle s’enfermait dans la solitude et la dépendance au jeu. Elle cumulait également son addiction au tabac et à l’alcool. Elle ne touchait pas à la drogue parce que sa dépendance au jeu ne lui en laissait pas les moyens financiers. Si l’on faisait un zoom sur son visage, l’on trouvait des lèvres pincées comme si elle avait le mépris d’elle-même, des plis particulièrement creusés qui s’étendent de chaque bout de son nez jusqu’aux commissures de ses lèvres lui donnant un air fatigué et triste, et des yeux complètement secs par manque de larmes, dû à l’assèchement de son cœur.

Et les rouleaux tournaient et ralentissaient. Et le résultat s’affichait. Pas de combinaison réussie, pas de Jackpot. Juste quelques pièces qui tombaient lentement, un pourboire sans alcool, un minimum de gain pour te pousser à croire encore et encore qu’il te faut jouer pour peut-être gagner.

Son visage à cette pauvre dame ne montrait pas le moindre sourire, car elle n’ignorait pas au fond d’elle-même qu’elle perdait et qu’elle perdra de toute façon. Tristesse de la société qui intoxique, misère de l’homme qui s’abandonne, déchéance humaine à petit feu.

La joueuse regardait son verre de whisky vide. Elle allait fatalement en commander un autre. À voir son air à moitié éméché, elle n’en était certainement pas à son premier verre. Alice ne put s’empêcher de faire une réflexion qu’elle glissa au creux de l’oreille de Lucas.

— Celle-là, elle ne respire pas le bonheur. D’ailleurs respire-t-elle encore quelque chose de bon, enfermée dans ses sales manies.
— C’est mami-manie !
— C’est mamie décadente, mamie au bord du gouffre, mamie en pleine dégénérescence.

Alice et Lucas s’installèrent à la table de roulette du casino. Alice plaça beaucoup de jetons sur la case des numéros impairs. Lucas mit des jetons sur la couleur rouge. La première fois, ils perdirent tous les deux. La deuxième fois également. La troisième, ils gagnèrent ensemble en même temps leur mise, en ayant joué le 9 impair et rouge.

Dans un casino, tout est fait pour amener les clients à croire qu’ils vont gagner. Les joueurs portent cette croyance en eux et les casinos incitent les clients à miser toujours plus en leur offrant un environnement accueillant et confortable. L’une des façons d’amener les clients à continuer de jouer est de leur faire perdre la notion du temps : c’est pourquoi l’on ne trouve pas d’horloge dans les casinos. L’on remarque également que les croupiers ne portent pas de montre. De même, les établissements de jeux sont dépourvus de fenêtre : d’une part, cela évite aux joueurs de voir l’obscurité de la nuit tomber et empêche leur horloge interne de leur intimer l’ordre d’aller dormir ; et d’autre part, les joueurs ne sont plus tentés par des stimuli visuels venant de l’extérieur qui pourraient leur donner l’envie de sortir du casino.

Les joueurs subissent aussi l’illusion du contrôle, c’est-à-dire la tendance à croire que nous avons le pouvoir de contrôler des évènements alors qu’ils nous échappent totalement. Ainsi des joueurs jettent leurs dés très doucement lorsqu’ils espèrent avoir un chiffre bas et les jettent beaucoup plus fort lorsqu’ils veulent obtenir des chiffres plus hauts. De même à la roulette, la persuasion du joueur que son chiffre fétiche va absolument gagner n’est qu’illusion.

Les joueurs, en général, ont tendance à croire qu’un évènement extérieur peut influer sur celui d’après. Par exemple, si la roulette s’arrête cinq fois de suite sur le rouge, les joueurs vont présumer qu’elle tombera sur le noir la fois d’après. En réalité, les tirages étant indépendants les uns des autres, la probabilité reste toujours la même : une chance sur deux !

Alice et Lucas rejouèrent et reperdirent tout ce qu’