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"Lynaë", jeune héritière du puissant clan Eldúlfaætt, ne ressemble à aucune autre. Marquée par la grâce énigmatique d’un phénix aux plumes iridescentes, elle détient un don qui la lie aux mondes oubliés de la mythologie nordique. Contre la volonté farouche de son père, elle se lance dans une quête audacieuse : découvrir les vastes horizons qui l’appellent, aux côtés de son fidèle ami d’enfance, Henrik. Pourtant, les ombres de sa lignée tissent autour d’elle un filet inexorable, la poussant vers un destin aussi sombre qu’inéluctable. Parviendra-t-elle à déjouer cette fatalité ou succombera-t-elle aux forces qui la menacent ? Le temps joue contre elle, et le mystère demeure.
À PROPOS DE L'AUTRICE
L’écriture se révèle pour
Manon Domange comme une véritable vocation, nourrie au fil des années par une assidue pratique de la lecture. Héritière du talent littéraire de son grand-père, elle entreprend la rédaction de son premier roman, "Lynaë – Tome I – L’aube de la liberté", donnant ainsi naissance à une saga épique qui marque le début d’une grande aventure littéraire.
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Seitenzahl: 249
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Manon Domange
Lynaë
Tome I
L’aube de la liberté
Roman
© Lys Bleu Éditions – Manon Domange
ISBN : 979-10-422-4686-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À mon grand-père maternel,
qui a attisé en moi une braise bourgeonnante d’écrivaine.
À mes parents, qui ont su la faire éclore en flamme ardente.
À mon ami lyonnais, qui l’a alimentée sans qu’elle flétrisse.
À mes grands-parents paternels,
qui l’ont observée croître par des étincelles de bienveillance.
À ma propre imagination, qui l’a préservée dans un vase éternel sans craindre sa flamboyance créatrice de vie.
Enfin, à toi, lecteur, lectrice,
qui tiens ce vase entre tes mains et qui t’apprêtes à découvrir
un univers vivant telle une fleur fragile cherchant sa survie dans son intime combustion…
« Og einn daginn færði dögg guðanna, viðkvæm en hugrakkur, visku og þekkingu til manna, á kostnað blóðs hundruða hreinna sála og eigin sakleysis... »
« Et un jour, la Rosée des Dieux, fragile, mais courageuse, apporta sagesse et savoir aux Hommes, au prix du sang de centaines d’âmes pures et de sa propre innocence… »
Voici un extrait de l’histoire de notre clan, mon préféré…
925 après J.-C., 69e jour de la saison du Grand Froid, région de Husavik
Husavik, magnifique région de l’Ísland connue pour offrir à ses voyageurs de grandes plaines herbacées et mousseuses, des forêts sombres de conifères et d’arbres divers, des montagnes enneigées ainsi qu’une ouverture sur la mer de Noregi. Un paradis idyllique pour la faune et la flore du Grand Nord. Au milieu de cette nature sauvage où soufflait un air polaire se trouvait le témoignage d’une présence humaine : un drapeau flottait allègrement au gré du vent. Sur un fond rouge sang encerclé par un pli doré de passementerie viking se dressait fièrement un loup tenant dans sa gueule la rune Fehu, représentant le feu. Cet emblème empreint de fierté est celui du clan viking Eldúlfaætt, plus communément appelé « Loups de Feu », s’étant imposé dans cette partie des terres quelques années auparavant.
Fort de sa localisation aux abords de la mer de Noregi, Husavik devint rapidement un point important du commerce maritime pour les Eldúlfaættiens qui en tiraient facilement profit. La petite communauté s’agrandit rapidement, développant diverses spécialisations : travail de la ferme, orfèvres, armuriers, pêcheurs, commerçants… et bien entendu, guerriers. C’est dans cette spécialisation qu’Herulf, un Viking imposant et fier d’ordinaire, décida de faire carrière. Marié à une Norsewoman venant d’une autre région, Malena, et père de la jeune Lynaë, grand guerrier et grand homme respecté par la communauté, bras droit du Jarl et chef de clan, il ne pouvait qu’être heureux de sa vie.
Cet après-midi, Herulf passa la porte du grand skali, une salle de réception ô combien imposante située au centre du village. En ce jour important qu’est le Conseil Ættir, il revêt une superbe tunique bleu cobalt en lin s’arrêtant à hauteur des cuisses, assortie d’un pantalon ajusté à sa carrure. Une ceinture de cuir marron comportant l’emblème du clan entourait son imposante taille. Un petit sac discret en peau de mouton noir contenant quelques pièces y était accroché, ainsi que sa hache la plus prestigieuse par ses quelques gravures. Il portait également des bottes en peau de cerf, doublées de semelles en cuir de vache. Enfin, l’ensemble était garni d’une magnifique cape doublée de laine de mouton. L’on pouvait observer une particularité dans sa tenue : une peau de loup bien conservée ornait son dos, en signe d’appartenance au clan Eldúlfaætt.
À chaque fois qu’il hissa cette peau sur ses omoplates, un souffle de mélancolie asphyxia ses pensées. Effectivement, il a dû prouver sa valeur et sa virilité pour récupérer ce trophée à la seule force de ses bras, lors d’une nuit sans lune. C’est un des nombreux rites de passage vers l’âge adulte qu’on pouvait rencontrer durant cette période si particulière.
Bien que les vêtements de couleurs foncées soient notablement rares car extrêmement coûteux à tanner, la position dans la hiérarchie des participants au Conseil ainsi que l’importance de ce dernier obligèrent l’usage de ce style vestimentaire. Quant à la présence d’une peau de bête, ce n’était point le signe d’une pauvreté comme on pourrait l’entendre dans les couches sociales les plus démunies, mais elle faisait partie des coutumes ancestrales du clan Eldúlfaætt.
« Ah Herulf, content de te voir ! Prends une corne et viens t’asseoir à mes côtés. » Asulf, le visage rayonnant, se présenta comme le Jarl et, de fait, chef du clan Eldúlfaætt. Il avait nommé Herulf au rang de son bras droit à la suite de sa victoire écrasante contre le redoutable clan Fálki. Observant la gigantesque table en bois soutenant les mets des plus raffinés, Herulf prit une corne remplie à ras bord de cervoise avant de prendre place auprès d’Asulf. La tablée accueillait des Jarls de différentes contrées islandaises ainsi que leurs seconds ; le clan Stríðsbjörn (ours guerriers, mené par Björn), le clan Villtur Fálki (faucon sauvage, mené par Aren), le clan Einir Stríðsmenn (guerriers solitaires, mené par Magnus) et le clan Blóðugir Hvalir (baleines sanglantes, mené par Strom).
L’assemblée étant au complet, les discussions ne se tarirent point. Parmi les fortes voix, quelques rires se firent entendre. L’ambiance typique des tablées est au rendez-vous ; sous la chaleur d’un foyer ardent, les hommes s’attroupent, certains racontent leurs plus grandes victoires sous les cris et applaudissements de ceux qui écoutent, l’alcool coulant à flot parmi une odeur boisée, humide et braisée. En dépit de cette ambiance joviale, Herulf ressentit une certaine tension régnant dans la salle. Et il n’avait pas tort… Après une dizaine de minutes, Björn, le chef le plus expérimenté, se leva et annonça l’ouverture du Conseil. À l’ordre du jour : le renouvellement du Pacte de Paix, assurant la garantie d’échanges commerciaux honnêtes ainsi qu’une vie paisible aux habitants.
Durant plusieurs heures, les différents partis au conseil débattirent sur les alliances diverses, les offres de mariage, de bétail et d’armes, la répartition des territoires conquis, la reformulation des cartes à la suite des comptes-rendus des nombreux voyages et raids… Tout ce qui faisait la renommée d’une tribu était minutieusement examiné. Herulf écouta attentivement les propositions de transactions pendant qu’Asulf imposa ses directives. Soudain, Aren, un léger sourire masquant un visage narquois, s’adressa directement à lui : « J’ai une proposition à faire à ton chef, mais j’aimerais te l’exposer avant, car elle te concerne. » Soudain, il régna une ambiance électrique, associée au sentiment d’étonnement et de curiosité de l’assemblée. C’est bien normal, quelques années auparavant, sur ordre du commandant de guerre antérieurement nommé Herulf, le clan Fálki, une annexe de la communauté d’Aren fut décimée et pillée un soir de tempête, ne laissant aucune chance à l’ennemi. Cette violente déculottée avait provoqué la perte en pouvoir et en estime d’Aren, tant dans son propre clan que dans toute l’Ísland.
Ce qu’il s’apprête à proposer, il l’attendait depuis longtemps avec une certaine joie sadique de la future souffrance psychologique qu’il occasionnera. Cette offre marquera sa vengeance personnelle pour laver l’outrage subi. « Comme tu dois le savoir, je possède de très nombreuses terres et une armée bien supérieure à ton clan, que ce soit en nombre d’hommes ou en matériel de guerre. Mon peuple souhaite ardemment que je lave l’honneur des habitants Fálkiens en pratiquant une vengeance coulant dans le sang, les tripes et la violence… Je suppose que ce plan ne vous sied guère, c’est pourquoi j’ai un arrangement à te proposer. Pour préserver la paix entre nos deux clans et ainsi former une alliance épurée des actes du passé, à ses seize années, je veux que tu offres ta fille en mariage à mon fils aîné. Bien entendu, elle devra répondre aux critères d’une bonne épouse de foyer si elle ne veut pas… subir les conséquences de son incompétence fixées par les règles de mon clan. »
Le silence fut désormais assourdissant, chaque homme retint sa respiration en observant tour à tour les deux protagonistes. Devant une telle situation aux fragrances dramatiques, le choix est épineux et ne peut se faire attendre. Herulf le sait, la décision appartient au chef lors des conseils. Cependant, Asulf le fixa en attente d’un avis. Le choix est cornélien : s’il acceptait la proposition, il serait humilié devant l’assemblée et condamnerait sa fille qu’il aime plus que tout à un avenir funeste, mais assurerait en contrepartie la survie de sa communauté. Au contraire, s’il la déclinait, il condamnerait son clan à la torture et à une mort violente assurée…
Après quelques minutes qui semblèrent interminables, Herulf, le cœur serré par la tristesse et la haine, paraissant pourtant impassible afin de couvrir sa vulnérabilité, se tourna vers son Jarl et marqua un douloureux accord. Asulf fit de même en observant d’un air grave Aren. Ce dernier, le regard pernicieux habité par des yeux luisants de victoire et un sourire froid, tendit un accord écrit pour preuve de l’approbation des deux impliqués. Après lecture, tous les protagonistes impliqués signèrent de leur prénom avant de rendre le parchemin à son propriétaire. L’assemblée reprit le cours des discussions et des offres, mais Herulf ne suivait plus : il venait d’offrir sa fille, sa raison d’être, à son ennemi. En d’autres termes, il venait de condamner Lynaë à un avenir des plus sombres…
C’est en fin d’après-midi, lorsque le soleil côtoya lentement l’horizon, que le Conseil Ættir se termina globalement sur des notes acceptables. Le Pacte de Paix fut renouvelé avec succès jusqu’à la prochaine séance. Les participants se saluèrent, parfois poliment, parfois avec de grandes accolades avant de prendre congé. Asulf et son second se retrouvèrent seuls dans le skali. « Herulf, la décision que tu as prise… Sache que peu de Vikings auraient eu la sagesse d’esprit d’éviter une guerre au prix d’un membre de leur famille. Je te suis hautement reconnaissant pour ton sacrifice et je ne l’oublierai pas… Cependant, il y a une chose qui m’inquiète tout particulièrement. Il paraît que ta fille n’a qu’une idée en tête : partir à la conquête du monde en brandissant une hache. Tu sais tout comme moi que ce n’est pas accepté par les lois – et je ne compte pas t’en faire davantage la remarque – mais qu’en plus, ce n’est pas le talent qu’une bonne femme de foyer se doit de développer… Ce qui m’amène à te demander : es-tu certain que Lynaë sera prête pour son rôle d’ici cinq ans ? Je te conseille également de surveiller les liens qu’elle entretient avec Henrik, le fils de fermier, si tu ne veux pas qu’il y ait une rivalité inutile. » Les yeux suintant de désespoir, Herulf observa son Jarl avant de détourner son regard vers le sol tout en expirant bruyamment, impuissant. « Je vais te laisser maintenant. Prends encore quelques minutes pour te ressaisir et rejoins ta famille. J’ai ouï dire que Lynaë s’amuse avec Henrik à l’étable. Tu ferais mieux d’aller la chercher. »
***
Herulf fustigea de colère en voyant sa petite fille âgée de dix ans jouant l’équilibriste sur une poutre de l’étable, tout en brandissant une précieuse épée chapardée une trentaine de minutes plus tôt dans son coffre personnel. Sa fureur est légitime. En effet, d’après la Grágás, livre des lois vikings islandaises, aucune fille ou femme n’a le droit de porter ainsi que d’utiliser une arme de guerre. Il lui a pourtant rappelé cette interdiction des centaines de fois… en vain.
Résignée par la persévérance et les remontrances de son père, Lynaë finit par descendre de sa « salle d’exercice », accompagnée de son meilleur ami Henrik. Ce dernier ne put retenir un regard d’empathie souhaitant implicitement bon courage à la jeune fille avant d’arriver à la hauteur d’Herulf.
Sur un ton froid, Herulf enchaîna : « Henrik, peux-tu avertir tes parents que ma femme passera chercher le lait demain ? Lynaë, nous rentrons, tout de suite ! »
Avant même que les deux enfants puissent échanger un mot, il prit sèchement la main de sa fille et l’entraîna hors de la ferme. Lynaë le sait bien, elle a enfreint les règles et s’attend aux reproches de son père par des phrases moralisatrices qu’elle connaît, hélas, par cœur. Mais qu’importe, à cet âge-là, elle n’avait qu’une chose en tête : partir à la découverte du Vaste Monde. Et elle s’y préparait depuis que ses deux petits pieds ont foulé pour la première fois la terre battue, au grand désespoir de sa famille.
Une fois arrivés chez eux, Lynaë salua rapidement sa mère avant de se précipiter dans sa chambre. La skalar, maison traditionnelle viking, n’était pas très grande. Cependant, elle avait le luxe de posséder trois pièces principales séparées par un imposant rideau en tissus et peaux de bêtes cousues, tradition héritée de leurs ancêtres. Dès l’entrée construite principalement avec du chêne, une première pièce présentait un espace de vie chaleureux où étaient disposés une table principale, un carré de terre et de cendres servant de foyer et un espace que l’on pourrait assimiler à une cuisine très sommaire. Herulf avait pris l’initiative d’accrocher aux murs quelques casques et armes rapportés de ses batailles. Il était particulièrement fier d’une hache de bonne facture, gravée discrètement d’un aigle sortant ses griffes, trônant près de la table de réception. Cette arme représentait sa plus belle victoire jusqu’à ce jour : la chute du clan Fálki, situé au sud de la région d’Husavik. Il appréciait conter cette victoire arrachée au sang et aux tripes de l’ennemi, rapportant de précieuses babioles et victuailles ainsi qu’une renommée incontestable à son propre clan. Cependant, lorsqu’il regardait dorénavant ce trophée, le goût de la victoire savourait des relents bien amers… Pour accéder à la chambre d’Herulf et Malena, il fallait traverser la pièce principale afin d’atteindre une entrée située à droite. Cette seconde pièce était moins spacieuse, mais comportait tout de même un large lit de paille et de laine couvert d’un épais drap bleu ciel en lin et en coton, toujours surplombé de peaux. Un imposant coffre en bois de pin contenait les divers vêtements et accessoires du couple. On pouvait également observer la rare présence d’une petite table de nuit incrustée d’un plat en bronze légèrement creusé, dans lequel était disposé un minuscule vase en terre cuite contenant de jolies fleurs sauvages fraîchement cueillies. Enfin, un second coffre en métal était entreposé à proximité du lit, du côté du père. La troisième et dernière pièce de la skalar était réservée à la chambre de Lynaë. Celle-ci se situait directement en face de la chambre de ses parents, au fond à gauche de la pièce principale. Cette chambre n’était guère différente de la précédente, à l’exception de la présence d’une large pierre plate, grossièrement sculptée pour représenter divers symboles religieux ou décoratifs. Lynaë aimait disposer divers objets du quotidien dessus et, plus particulièrement, des broches, bijoux, peignes, chandelles en suif d’animaux et autres accessoires. Une peau de loup trônait fièrement au-dessus de l’encadrement de la porte d’entrée, symbole de leur clan et de leur renommée.
« J’espère que le Conseil s’est passé sans encombre. » Debout devant la table familiale, Malena s’employait à évider des poissons pêchés quelques heures auparavant. Lorsque son mari s’approcha d’elle, elle lui tendit ses lèvres afin de l’embrasser tendrement. Dans sa jeunesse, elle avait appris les arts ménagers avec sa propre mère. Rapidement, elle fut reconnue par son village natal comme une cuisinière hors pair ainsi qu’une épouse fidèle et douée dans son rôle. Elle en est fière et apprécie la vie qu’elle mène. Cependant, une mission lui échappe encore : l’éducation de sa fille. En effet, Lynaë, malgré ses dix ans, ne s’intéresse guère aux arts ménagers. De cela, Malena a beaucoup de difficultés à l’accepter sachant qu’à son âge, elle était capable de tenir la propreté d’un ménage entier. Elle avait donc pris la décision de se montrer plus sévère envers sa fille, sans succès ; cette dernière ne put s’empêcher de trouver les arts ménagers ennuyeux et répétitifs. Malena ne put rester stoïque bien longtemps, car elle aussi avait des rêves d’enfants… Le repas du soir, que l’on nomme nattmal, est prêt : poisson pêché du jour, légumes de saison cuits à l’eau, fromage et vin de fruits sont au menu.
Une fois toute la petite tribu autour de la table, le repas commença. Herulf ne put réprimer son envie de houspiller sa fille. Tout en attaquant son poisson dégageant un doux fumet de braise ardente, il entama son discours avec un ton froid et réservé, dissimulant ainsi ses émotions : « Lynaë, je ne veux plus voir le comportement que tu as eu aujourd’hui se reproduire. Comme tu le sais, ma place de guerrier au sein du clan tend à devenir de plus en plus importante et cela entraîne des devoirs et des obligations que toute la famille se doit de respecter. Tu es une petite fille intelligente et tu grandis à vue d’œil, je pense que tu peux comprendre ce que ta mère et moi-même ressentons… » Herulf jeta un regard vers sa femme qui en disait long sur la situation critique qui s’annonçait. Malena comprit instinctivement et acquiesça sans plus de réflexion. Après quelques secondes, il reprit :
Lynaë n’en croyait pas ses oreilles. Comment ses parents pouvaient-ils prendre de telles décisions du jour au lendemain ? Désemparée, victime d’un accès de colère incontrôlable, elle se leva brusquement en envoyant valser au sol un plat en bois contenant son repas. « Vous ne pouvez pas m’interdire de faire ce qui me plaît ! » En larmes, elle observa un instant sa famille qui resta calme et impassible. « Ma chérie, ton père et moi ne voulons pas que tu sois malheureuse. C’est pourquoi nous prenons ces décisions afin de te garantir un avenir meilleur. »
C’en était trop. Lynaë en avait plein les bottes d’entendre toujours la même chose : « une femme se doit de tenir parfaitement un ménage », « une femme doit obéir au chef de famille afin d’assurer le respect du clan », « une femme doit se marier et avoir des enfants », « une femme ne peut pas s’habiller comme les hommes ni porter d’armes », « une femme ne peut pas s’immiscer dans la vie politique du clan », « une femme n’a aucun pouvoir décisionnaire quand il s’agit des articles de loi »… En plus de ne pas pouvoir exercer librement les arts qu’elle désire et suivre sa propre destinée, ses parents lui interdisaient désormais de fréquenter son meilleur ami.
Soudainement, elle ressentit un profond vertige provenant d’un mélange d’émotions, ce qui embrouilla toutes ses pensées. Elle doit fuir la skalar au plus vite, trouver du réconfort dans la solitude impassible de la nuit islandaise.
Sans plus attendre, Lynaë sortit de la skalar en courant vers la forêt, particulièrement lugubre à cette heure tardive. Les yeux remplis de larmes et l’ouïe altérée par les bourdonnements sourds des émotions, elle ne prit aucune précaution face à la nuit d’encre glaciale qui s’étalait tout autour d’elle. Elle courut pendant de longues minutes jusqu’à ne plus apercevoir que les milliards de petites lueurs dans le ciel. À bout de souffle, elle se laissa tomber dans la neige, à genoux, complètement épuisée et désorientée. La brise glacée qui vint lui effleurer la joue telle une douce caresse eut un effet apaisant. Au fil des minutes, ses pensées s’éclairèrent à nouveau tel l’éclat de la lune perçant une brume passagère.
Lynaë ne reconnut point l’endroit où elle s’était arrêtée ; plongée dans l’abîme noirceur de la forêt de pins, d’épicéas et de chênes, le temps semblait s’être arrêté. Malgré l’absence de source lumineuse, elle décela toutefois de grosses pierres disposées autour d’elle en cercle dans un petit espace épargné par la végétation luxuriante. Étrangement, elle se sentit béate dans cet environnement, comme si la forêt tout entière avalait progressivement sa peine, sa détresse et sa fureur.
Entre la cime des arbres, la jeune fille aperçut ces étoiles qui scintillaient telles des lueurs d’espoir. Où suis-je ? Cet endroit me semble si terrifiant, mais étrangement apaisant. D’un coup, elle sentit ses forces diminuer lentement et s’allongea entre les pierres tout en continuant d’observer le ciel. Quelques minutes s’écoulèrent puis, subitement, elle ressentit une violente aspiration dans la noirceur céleste, hors du temps, de l’espace et de la réalité qu’elle connaissait. Surprise et effrayée, Lynaë essaya de se mouvoir, en vain. L’environnement ainsi que les ombres attestant de la présence des sapins fusionnèrent les unes après les autres avec l’abîme, abandonnant la jeune fille seule, flottant dans ce qui s’apparentait à l’espace, entourée des milliards d’éclats astraux. Comme inspirée par l’esprit invisible de la nature céleste, des nuées de couleurs aussi diverses et intenses que possible vinrent s’agglomérer devant la jeune fille, ébahie et choquée. Elles virevoltèrent et dansèrent dans un rythme désynchronisé, augmentant de cadence et se rapprochant entre elles à chaque expiration.
Au neuvième souffle de vie expulsé par ses jeunes poumons, Lynaë ressentit une brusque suffocation. Les nuages en forme d’altostratus colorés se condensèrent lentement, formant ainsi un somptueux phénix déployant ses larges ailes flamboyantes, évaporant au passage quelques brumes irisées. Le spectacle fut tellement merveilleux et intense que la jeune fille ne put réfréner ses larmes malgré sa détresse respiratoire ; tous les muscles de son corps commencèrent à se contracter et se raidir à la recherche désespérée d’air. Le phénix l’observa un court instant et se mit à hurler d’un cri si perçant qu’elle crut que sa tête explosait. À bout de force, elle convulsa douloureusement et perdit lentement conscience, une agréable chaleur parcourant son corps la fit frissonner. Ça y est, je vis mes derniers instants… pensa-t-elle. Les larmes roulant sur ses joues, elle émit son dernier cri. Celui-ci semblait si insignifiant dans cette réalité altérée, mais cela ne lui importait peu ; plus rien n’a d’importance ni de sens désormais. Elle attendit l’arrivée de la déesse Hel afin de l’accompagner sur le chemin de la mort, les Valkyries étant préoccupées par le sort des hommes morts au combat.
Cependant, la jeune fille ne la vit pas apparaître, non. Elle observa le flamboyant phénix l’entourer de ses ailes. Peu à peu, le corps de l’oiseau légendaire et le sien ne firent plus qu’un par la fusion des brumes colorées avec la chair, dans une symbiose parfaitement maîtrisée. Lynaë se sentit encore plus apaisée, la présence du phénix la rassurait. À l’apogée de la symbiose, l’unification complète des deux corps provoqua une explosion de couleurs dans tous les spectres possibles ; la jeune fille put enfin respirer à pleins poumons. Elle inhala un air chaud, doux, rassurant…
Toujours en apesanteur, Lynaë reprit ses esprits et, dans cette continuité, l’angoisse prit le dessus sur la sérénité. « Mais que se passe-t-il ici ? Que m’est-il arrivé ? Comment… » Sans pouvoir achever sa phrase, elle fut comme projetée vers le sol. Elle ressentit dès lors une vive pression physique insoutenable et, à quelques millisecondes de heurter le sol, elle s’évanouit.
***
Lynaë ouvrit lentement les yeux, complètement épuisée par ses expériences ainsi que par la douleur irradiant son corps. La première chose qu’elle vit, ce sont les yeux de son meilleur ami en train de la fixer, le regard mélangeant inquiétude et soulagement. « Malena, venez vite ! Elle s’est réveillée ! » À son grand étonnement, elle n’était plus dans la mystérieuse forêt, mais bien chez elle, allongée dans son lit. Se rappelant subitement le conflit avec ses parents, elle entreprit de demander à Henrik ce qu’il faisait dans sa skalar, mais les forces lui manquèrent. Elle ne put qu’observer la scène qui se déroula devant ses yeux, non sans ressentir une multitude d’émotions contradictoires.
« Eir, déesse de la guérison, je te remercie du fond du cœur pour avoir soigné mon unique fille ! Ma chérie, je suis là, ne t’inquiète pas. Tu es en sécurité maintenant. Nous t’avons retrouvée en bas d’un ravin et tu as été blessée dans ta chute. Cela fait maintenant deux jours que tu es endormie. » Perplexe et confuse, Lynaë observa le visage de sa mère, puis celui d’Henrik pour, enfin, repasser sur celui de Malena.
« Oh, j’ai profité de l’absence de ton père pour inviter Henrik à te rendre visite. Cela est contraire à ses décisions, mais j’ai tenu à faire une exception à la suite de cet événement. Je te raconterai tout cela quand tu iras mieux. Pour l’heure, tu dois te reposer. » Malena se leva et invita Henrik à la suivre hors de la chambre. Le regard des deux amis se croisa une dernière fois et Lynaë sombra dans un profond sommeil.
69e jour de la saison du Grand Froid, région d’Husavik, cinq ans plus tard…
Aujourd’hui est un jour particulier pour Lynaë. Il y a cinq ans, elle vivait l’expérience la plus impressionnante de sa vie. Elle en porte d’ailleurs encore les stigmates ; quelques cicatrices, des souvenirs tantôt flous et tantôt limpides, des questionnements à n’en plus finir… Des signes bien futiles comparés aux empreintes les plus spectaculaires, qu’elle veillait à garder pour elle. Qui pourrait bien croire une histoire si abracadabrante sans mettre sa folie sur le compte du traumatisme ? La seule personne avec qui elle pourrait en discuter est son meilleur ami. Cependant, depuis que son père est rentré d’un voyage « d’affaires » comme il le nomme, elle ne pouvait en aucun cas avoir de contact avec Henrik… Non, elle avait fait le choix de conserver le secret, du moins, pour l’instant.
C’est une matinée radieuse à Husavik. Les premiers rayons du soleil luisent sur les imposantes montagnes bordant les côtes ouest opposées à l’embarcadère, distinguant ainsi les terres du clan Eldúlfaætt de la mer de Noregi. Au loin, des cloches tintèrent signifiant l’arrivée d’un des langskips de la communauté. Lynaë, chargée de rapporter du bois pour alimenter le foyer de sa skalar, plissa les yeux en observant le large, le soleil se reflétant sur les timides vagues. Probablement une livraison de victuailles, pensa-t-elle. Après quelques secondes, elle balaya les alentours du regard. Du haut de la colline surplombant Husavik, elle possède une vision presque totale de ce qui l’entoure. Au nord et à l’est d’Husavik, il ne s’y trouva pas grand-chose hormis les côtes de la mer de Noregi. Elle aperçut des pêcheurs en plein travail ainsi que quelques enfants jouant au bord de l’eau, insouciants. Cette scène l’attrista ; elle regrettait ces belles années à imaginer partir à la conquête de l’inconnu avec Henrik. Henrik… Son cœur se serra dans sa poitrine, elle ne put retenir un sourire mélancolique teinté d’un profond chagrin. Elle préféra détourner à nouveau son regard, cette fois-ci vers le sud, direction le Vaste Monde. Elle était si insignifiante face à l’immensité des parcelles de forêts et des plaines qui surplombaient sa vue. Elle sourit, mais cette fois d’un sourire franc et déterminé. Sa liberté de choisir son destin lui a été arrachée, sans pour autant que cela ait un impact sur son loisir de rêver comme une enfant. Ce fut même le contraire ; la jeune fille s’est promis de découvrir le Vaste Monde, peu importe le prix que cet acte lui coûtera. Elle y travaillait depuis toutes ces années en cachette de ses parents, écoutant discrètement les histoires des voyageurs lorsqu’ils rentraient d’expédition et écrivant soigneusement les informations qui lui seraient un jour utiles lors de son départ.
Quand Lynaë repensa à cette idée, une brise venant du sud lui apporta une sublime odeur de bois humide et d’herbe gelée, promesse divine d’un destin au-delà des frontières de son clan. Revigorée, elle ramassa les bûches disposées au sol, rangea sa petite hache de travail dans le panier en osier et descendit en direction du village.
Après un kilomètre et demi de marche, la jeune fille rentra chez elle où sa mère l’attendait avec une impatience que l’on pourrait qualifier de nerveuse.