Madame Barentin - Denys Grenat - E-Book

Madame Barentin E-Book

Denys Grenat

0,0

Beschreibung

Dans le Paris des années 70, au cœur du quartier des Halles, une vieille dame vit seule et, par nécessité, accueille des locataires, principalement des hommes, dans son appartement. Avec eux, elle tisse des liens solides, parfois tendres, parfois abrupts, mais toujours empreints d’une affection sincère. Grand-mère pittoresque, elle se distingue par ses répliques pleines de gouaille et son humour caustique, qui dissimulent sa solitude. Son caractère bien trempé et sa générosité lui valent d’être une figure incontournable, à la fois respectée et aimée, auprès de son entourage et des commerçants de « son village ». À travers elle, c’est tout un pan de Paris populaire qui reprend vie, vibrant de chaleur, de rires et d’émotion.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Denys Grenat commence à étudier le violoncelle avec son père, professeur au conservatoire, avant de poursuivre ses études musicales à Paris. Sa passion pour l’écriture naît de son amour des mots, de leur sonorité et de leur agencement, qu’il compare à celui d’une phrase musicale. "Madame Barentin" est son premier ouvrage publié.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Veröffentlichungsjahr: 2025

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


Couverture

Titre

Denys Grenat

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Madame Barentin

Nouvelle

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Denys Grenat

ISBN : 979-10-422-7371-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

Madame Barentin

 

 

 

 

 

Debout derrière son comptoir, Mme Barentin s’affairait à ses rangements, indifférente au brouhaha des voyageurs, dont le plus gros du flot jaillissant du métro inondait le trottoir sous la marquise abritant son étroit magasin, avant de s’engouffrer dans le hall de la gare d’Austerlitz.

À deux pas sous ses yeux, le va-et-vient incessant et bourdonnant des taxis en cette période des vacances de Pâques encombrait la cour de départ sans se soucier de l’insistance rageuse de quelques klaxons impatients. Dans un piaillement continu, ils laissaient choir pêle-mêle sur la chaussée les sacs, les valises et les marmots d’une clientèle pressée.

« S’il vous plaît, la consigne, Madame ?

— C’est là-bas, deuxième porte à gauche, répondit-elle machinalement d’une voix forte, tendant le bras dans la direction. Dites donc vous, vous n’allez pas rester plantés là ! lança-t-elle à un groupe de jeunes qui s’installaient juste au pied de sa boutique. J’ai besoin de travailler, moi ! Dégagez ma devanture s’il vous plaît ! Et même si ça ne vous plaît pas, renchérit-elle comme ils protestaient. Allez, oust ! Du balai !

— Please? Can I look at this Eiffel tower, and how much? demanda un touriste en lui montrant du doigt une clinquante tour thermomètre.

— Yes sir, fifty francs. Thank you and have a nice travel, lui adressa-t-elle en lui remettant son paquet.

— You speak a good English, s’étonna-t-il en s’éloignant. »

Depuis plus de quinze ans qu’elle vendait des souvenirs, la moindre allusion à son anglais lui rappelait cette chance unique d’avoir séjourné, adolescente, en Angleterre. Pourtant ce séjour linguistique comme fille au pair imposé par ses parents lui avait été pénible ; mais elle reconnaissait aujourd’hui lui devoir son salut.

Sans ressources et sans métier à la mort prématurée de son mari, mandataire aux Halles, pour lequel elle avait travaillé en tant qu’épouse sans être salariée, elle avait retroussé ses manches en se disant comme elle le contait si bien : « Ma p’tite Suzanne, t’es pas manchote, tu prends ton courage à deux mains et au boulot ! »

Sa pratique de l’anglais lui avait alors permis d’obtenir son emploi de vendeuse. Et depuis, bien qu’elle accusât maintenant une bonne soixantaine d’années, elle travaillait avec une telle ardeur que sa bonne mine semblait n’offrir aucune prise au temps – peut-être dans l’espoir inconscient de le tromper et de laisser passer l’heure d’une retraite moralement et pécuniairement redoutée.

 

Portée par de fines, mais infatigables jambes, la courte silhouette au ventre rebondi de Mme Barentin arrondissait les angles de son parler franc, voire bourru, dont la surdité malgré son appareillage accentuait la rudesse. Son visage d’un abord sévère derrière sa rondeur – rondeur un peu molle de grand-mère appréciant la bonne chère – s’éclairait d’un regard d’une malicieuse tendresse lorsqu’il souriait. Il révélait alors ses yeux légèrement saillants, d’un gris bleuté et d’une extraordinaire vivacité. Une coiffure sagement ondulée aux cheveux blancs clairsemés couronnait son chef d’une aura de sagesse. Son nez, quoiqu’assez fort, se faisait aussi discret que ses lèvres étroites lorsque ses pommettes arboraient, dans l’activité, le feu de son tempérament sanguin. Sa nature était simple, saine et solide.

 

***

 

« Bonjour Suzanne, comment vas-tu ?

— Ça va, Ginette, entre ! »

Sa collègue venait prendre la relève. Étant du soir cette semaine, elle embauchait à dix-sept heures.

— Et alors, qu’est-ce que ça donne aujourd’hui ?

— Tu verras : pour le service de renseignements, ça marche, mais pour les affaires c’est maigre. Ils sont beaucoup trop pressés.

 

Elle accrocha sa blouse bleu pâle à la patère au dos de la porte d’entrée, enfila la veste de son tailleur puis son manteau, tout en signalant à Ginette tel ou tel détail concernant la boutique et fila d’un pas alerte.

 

« À demain ! »

 

Elle passa, comme d’habitude, prendre au tabac le France Soir qu’on lui prêtait, rendit son salut à Benoît, un porteur d’Austerlitz, et se dirigea vers le métro. Elle n’aimait pas traîner à la gare.

 

***

 

Lorsqu’elle sortit avenue Victoria, le trafic était si intense sur le quai de Gesvres voisin que le vent léger venant de la Seine ne pouvait lui parvenir sans un relent de pot d’échappement. Mais telle une plante acclimatée à la vie citadine dès ses premières pousses, elle semblait puiser la quintessence de cet air parisien comme d’une bouffée de grand large, retrouvant d’un coup toute sa vigueur à le respirer voluptueusement avant de traverser.

 

Longeant le square Saint-Jacques, elle ne put empêcher son regard de caresser distraitement la tour, véritable clocher de son village, avivant inconsciemment le plaisir de se sentir pleinement chez elle.

 

Depuis son veuvage, elle ne s’éloignait guère de son Paris affectif, sinon par obligation, pour une visite à un proche ou pour son mois de vacances rituel en famille à Hendaye. Franchir les frontières de son quartier était pour elle presque un exil qu’elle ne supportait que par nécessité.

 

La rue Saint-Martin fort calme en cette fin d’après-midi et la douceur du temps ne l’incitaient pas à se presser de rentrer. Elle en profiterait pour faire ses courses tranquillement. À la boulangerie, elle prit sa baguette, bien cuite, échangea quelques politesses, puis se dirigea vers son épicerie familière, tout près, rue de la Verrerie. Le garçon, dehors devant son étalage, un cageot dans les bras, svelte dans son grand tablier gris à poche ventrale, l’accueillit goguenard.

 

— Alors Madame Barentin, on se balade ?

— Tu crois vraiment que j’ai que ça à faire, mon p’tit Marcel ? répondit-elle rudement, mais sur un ton empreint de complicité. Je me passerais bien d’entendre tes bêtises, tu ferais mieux de me servir !

— Et pour votre service, ce sera ? Un chou-fleur peut-être ? Les tout derniers ! Regardez comme ils sont beaux !

— Pourquoi pas ? Mais gare à toi s’il n’est pas bon ! Donne-moi aussi des carottes et des navets, et un kilo de pommes s’il te plaît.

— Et un kilo de pommes pour Madame ! Et ce sera tout ? cria-t-il à la cantonade en décrochant le crayon perché sur son oreille.

 

Elle entra dans la boutique.

 

Ce ton bon enfant lui plaisait, lui rappelait les Halles disparues, et l’épicerie avait conservé un parfum d’antan : son étalage des quatre saisons aux planches patinées et usées par les intempéries, son intérieur exigu aux murs recouverts par les marchandises, ses vitres poussiéreuses obstruées par des étagères surchargées qui rendaient plus intimes les relations avec la clientèle des habitués. Seule concession au « modernisme », une machine à calculer déjà ancienne occupait le dessus du tiroir-caisse, juste à côté d’un casier à monnaie en bois, noirci comme par les milliers de mains d’où s’échappent les pièces. Les épiciers n’utilisaient cette machine que pour les longues listes des livraisons hebdomadaires, lui préférant au quotidien leur inséparable carnet à souches. Pour tout éclairage, une unique ampoule trop faible, pendant au bout d’un fil avec son abat-jour en opaline presque jaune, diffusait tristement dès la nuit tombante sa maigre lumière blafarde sur ce coin de passé qu’elle semblait envelopper d’un halo protecteur.

La gentillesse et l’empressement qu’on lui manifestait ici l’emportaient sans hésitation chez Mme Barentin malgré le coût supérieur, sur les néons indiscrets, le bruit et l’anonymat froid des nouvelles « grandes surfaces » du quartier. Et puis surtout, elle pouvait, sans être bousculée, ranger ses achats selon son gré dans les multiples sacs en plastique qu’elle gardait toujours soigneusement pliés au fond de son cabas de similicuir noir.

 

***

 

Chargée de ses emplettes, elle poussa péniblement la porte du bâtiment face à l’épicerie pour emprunter le couloir menant à l’église Saint-Merry sa paroisse.

 

L’église étant peu fréquentée à cette heure, elle en savoura la quiétude et s’assit au bord de la travée centrale. Dans ce silence hors du temps, ponctué du ronronnement lointain de quelque moteur, se détachaient parfois des pas sur le dallage, le glissement feutré d’une étoffe, la plainte aiguë d’une chaise dérangée, une toux contenue, un murmure, autant de bruits familiers à ses oreilles dont la résonance au cœur de cet édifice faisait vibrer le sien par sympathie et la rassérénait.

 

Elle s’agenouilla.

 

Loin d’être bigote, elle manquait néanmoins rarement d’aller se recueillir dans ce lieu, ne serait-ce qu’un instant, avant ou après son travail. Elle vivait sa foi spontanément par un besoin de son âme, comme elle mangeait par appétit.

 

Lors de ces courtes visites, rien ne lui échappait. Elle remarquait le moindre changement, la moindre anomalie dans cette église dont elle connaissait tous les recoins, pour en faire part au curé si elle le jugeait nécessaire. Quand elle avait un peu de temps comme aujourd’hui elle passait de chapelle en chapelle, et là où pleurent les cierges, elle aimait en nettoyer les larmes pour rendre service, récoltant de véritables chapelets qu’elle déposait pour la refonte. Satisfaite, elle se signa une dernière fois en direction du maître autel et se dirigea vers la sortie rue Saint-Martin.

 

***

 

Alors qu’elle remontait la rue portant ses provisions, le regard au sol, la tête dans ses pensées, elle sursauta.

 

« Bonjour la mère ! On est pas bien réveillée ? On m’salue pas ? »

 

Un grand gaillard sanglé dans un tablier blanc maculé de taches rougeâtres l’apostrophait du seuil de sa boutique.

 

« Laissez-moi le temps de souffler avant de m’embêter, grogna-t-elle. »

 

Le boucher la connaissait et, pince-sans-rire, il éprouvait un malin plaisir à la faire marcher, à la provoquer, d’autant plus qu’elle avait du répondant. Ni l’un ni l’autre n’était dupe, mais ils se prenaient volontiers à ce jeu, chacun tenant son rôle, lui, le taquin, elle la râleuse, avec tant de naturel que la clientèle d’abord amusée, parfois prise à témoin se trouvait embarrassée ne sachant pas si c’était du lard ou du cochon – un comble pour une boucherie affichée « chevaline ».

 

Il lui céda le passage.

 

« Un beau steak ?

— Vous n’auriez pas plutôt de l’araignée ?

— Pourquoi, vous voulez les pattes ?