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Extrait : "Bien que le Prophète ait absolument interdit l'usage des ornements d'ornements d'or, et bien que la masse des musulmans dévots ait observé cette prescription, il est impossible qu'il n'y en eût pas qui l'aient enfreinte, et dont les goûts fastueux n'aient étouffé les scrupules de conscience. D'ailleurs n'y avait-il pas les femmes, et peuvent-elles, quelles qu'elles soient, résister au goût des bijoux?..."
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Seitenzahl: 394
Veröffentlichungsjahr: 2016
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Bien que le Prophète ait absolument interdit l’usage des ornements d’or, et bien que la masse des musulmans dévots ait observé cette prescription, il est impossible qu’il n’y en eût pas qui l’aient enfreinte, et dont les goûts fastueux n’aient étouffé les scrupules de conscience. D’ailleurs n’y avait-il pas les femmes, et peuvent-elles, quelles qu’elles soient, résister au goût des bijoux ?
Les annalistes arabes nous ont fait connaître les extraordinaires quantités de pierres précieuses que recélaient les trésors des khalifes et des princesses de la cour. Abda, la sœur du khalife fatimide el-Mouizz, laissa à sa mort des boisseaux d’émeraudes et de rubis. Le khalife el-Moustansir, son neveu, laissa des quantités de pierres précieuses, en dehors de celles qui avaient servi aux montures de merveilleux objets d’orfèvrerie. Il est évident que toutes ces pierres étaient utilisées non seulement dans la décoration d’objets d’orfèvrerie, où elles se trouvaient incrustées, mais aussi dans des bijoux montés en or. Il pourrait paraître assez surprenant qu’aucun voyageur arabe ne nous ait décrit des bijoux de ce genre, si nous ne réfléchissions que les demeures des femmes étaient closes, et qu’il n’était guère facile de connaître les bijoux qui s’y trouvaient.
Pour les imaginer, M. Stanley Lane Poole a eu une idée qui pourrait paraître ingénieuse, si elle ne devait être fertile en erreurs certaines. Si les objets anciens nous manquent, dit-il interrogeons les bijoux modernes, ceux qu’on vend actuellement dans les bazars : ils représentent d’anciens modèles que les artistes se sont repassés de pères en fils, et dont les traditions se sont perpétuées. Malheureusement ce raisonnement ne tient aucun compte des influences occidentales plus facilement transmissibles de nos jours, et qui nécessairement ont bien souvent modifié les formes anciennes.
Les plus anciens historiens orientaux, qui narraient les merveilles qu’ils avaient sous les yeux, ne sont jamais à court d’éloges sur les travaux en métal de leur époque. Nasiri Khosrau, dans son Sejer Nameh (1035-1042), s’arrête complaisamment sur les œuvres que son voyage lui révéla : ce sont les lustres d’or et d’argent de la ville de Tyr, et aussi les portes du Haram de Jérusalem, revêtues de plaques merveilleusement travaillées et toutes couvertes d’arabesques.
Le même voyageur visitant la mosquée el-Aksa, à Jérusalem, y remarqua une porte dont la beauté et la richesse étaient surprenantes. Le cuivre était couvert d’incrustations d’argent niellé ; on y lisait le nom du khalife el-Mamoun, qui l’avait envoyée, disait-on, de Bagdad. M. de Vogüé a donné copie de l’inscription que le khalife el-Mamoun fit graver en 261 (831) sur quelques-unes des portes de la mosquée. Moukaddassi parle aussi de la grande porte en cuivre qui, Jérusalem, se trouvait en face du mihrab, et dont les plaques de cuivre qui la recouvraient étaient dorées.
Quand Nasiri Khosrau entra au Caire dans le palais des sultans fatimides, il demeura stupéfait du trône du jeune sultan el-Moustansir. En pur métal d’or et d’argent, il était couvert d’inscriptions et de charmantes scènes de chasse.
Que penser des richesses qui se trouvaient dans ces palais, en lisant l’inventaire que l’historien Makrizi nous a laissé du Trésor des Fatimides, pillé par la soldatesque du khalife el-Moustansir ? Ibn Abd el-Aziz, inspecteur du Trésor, déclara dans son rapport que plus de cent mille objets précieux et deux cent mille pièces d’armures avaient été adjugés en sa présence. L’énumération des pièces d’orfèvrerie qui s’y trouvaient (3 000 pièces d’orfèvrerie d’argent) donne la plus haute idée du degré de perfection auquel était parvenue l’industrie du métal en Égypte à cette époque, c’est-à-dire vers l’an 1000. Tout en tenant compte des pièces d’autres arts, et même anciennes, qui pouvaient s’y trouver, il n’est pas douteux que la plupart étaient d’industrie locale et sortaient des ateliers si florissants qui travaillaient pour la cour des Fatimides éprise d’un luxe fou.
Chez les khalifes de Cordoue, même faste ; une des portes de la mosquée était d’or pur ; le plafond en argent de la maksoura était supporté par des colonnes incrustées d’or et de lapis-lazuli. Au palais d’Ez Zahra une fontaine était formée d’un lion entre une antilope et un crocodile, en or rouge orné de perles et de pierres précieuses ; un dragon, un aigle, un faucon d’or lançaient de l’eau par le bec.
Nous avons conservé un témoignage de cette somptuosité en Perse dans la porte plaquée d’argent ciselé de la grande mosquée d’Ispahan (fig 212).
De tout cela il ne nous est pour ainsi dire rien parvenu, les matériaux précieux étant toujours sujets aux pires destructions par la convoitise qu’ils excitent, et par la valeur même des matières dont on peut tirer avantage immédiat. Cependant ne nous reste-t-il pas quelques monuments que nous pourrions, à cet égard, interroger avec intérêt ?
Il semble que les objets d’orfèvrerie musulmane étant demeurés très rares, un essai de classement sur un si petit nombre d’objets portant presque tous des inscriptions aurait dû tenter un archéologue-épigraphiste. Il n’en a rien été, et nous demeurons toujours devant le jeu des hypothèses.
Il existe au Musée de l’Ermitage, à Pétrograd, quelques pièces archaïques des plus intéressantes, que M. Smirnoff a publiées, mais sans avoir pu nous donner aucun avis personnel. Certaines dénotent des influences sassanides évidentes. Les deux agrafes en argent estampé dans lesquelles des oiseaux tiennent aux becs une branchette dans les bras d’une croix fleuronnée, rappellent beaucoup une belle plaque d’or repoussé du Musée du Louvre (XIIe siècle) (fig 213-214).
Un petit plateau, trouvé en Sibérie, rectangulaire et creux, en argent avec une sorte de fleuron central en saillie, porte sur le rebord des inscriptions coufiques gravées et, dans les angles, des petits médaillons en cœurs, gravés de canards, dont le style est passé des tissus sassanides dans le répertoire décoratif du Turkestan occidental aux XIe ou XIIe siècles.
Certains vases en argent, avec des têtes d’oiseaux se détachant en relief des flancs des vases, sont les prototypes des cuivres de Mossoul des XIIe et XIIIe siècles avec leurs couronnes de lions ou d’oiseaux en relief repoussé. – Du même groupe sont aussi des plaquettes et des agrafes en argent repoussé et ajouré. Deux portent des griffons (Musée Friedrich de Berlin) (fig 215).
Max van Berchem, analysant l’ouvrage de Smirnoff, s’est appliqué à étudier ces intéressants objets ; il voyait dans le beau vase en forme de lampe de mosquée (n° 127) une pièce abbasside ou fatimide à rapprocher des monnaies de Mouktadir (295-320), premier quart du Xe siècle. Avec la collection Stroganoff sont entrés à l’Ermitage : un magnifique vase d’argent à décor estampé, avec oiseaux à queues ocellées, déployées, dans des médaillons tressés, et inscription coufique à l’épaulement, – et un curieux petit plateau oblong, gravé de rosettes et d’oiseaux, avec deux anneaux plats sur les côtés formés d’hippocampes fantastiques.
Au Musée ethnographique de Pétrograd est un bien curieux vase d’argent, gravé de médaillons d’oiseaux à têtes de femmes sur un fond quadrillé, avec une frise d’inscriptions coufiques. Parmi les très nombreux fragments en argent venant de l’Asie centrale et recueillis au Musée de l’Ermitage, on devrait découvrir des documents du plus vif intérêt ; ils restent à étudier.
Une aiguière en or repoussé est apparue, il y a une quinzaine d’années, sur le marché européen, qui éveilla l’attention et la surprise des connaisseurs. Sa matière précieuse, échappée à la convoitise des fondeurs, sa conservation surprenante (bien que l’or incorruptible ne soit jamais altéré par le séjour souterrain), la beauté de sa décoration de gazelles et d’oiseaux à queues ornementales (comme dans un petit bijou disque d’or du Musée du Louvre), très respectueuse des règles traditionnelles du décor musulman, la correction et le style de ses inscriptions en très beau coufique, avaient profondément intéressé Max Van Berchem prié de l’examiner. C’eût été une pièce d’orfèvrerie faite pour un personnage de la dynastie Bouyide en Perse à la fin du Xe siècle, avant les Seldjoukides, époque dont aucun monument historique ne nous est connu, si ce n’est trois, inscriptions gravées à Persépolis, et relevées par Silvestre de Sacy. Cette pièce est demeurée mystérieuse (fig 216).
Retenons ici deux fragments précieux de la collection du Dr Martin : un chameau chevauché par deux personnages, – et un petit personnage assis de face, avec une face large et un costume à détails très fins, qui me semble offrir de bien curieuses analogies avec la plaque d’ivoire archaïque du Musée du Louvre, décorée de personnages des deux côtés.
Une petite aiguière d’argent gravé et ciselé d’animaux, rapportée de Perse par M. Vignier, qui la trouva, à Reî (Rhagès) (fig 217), et acquise ensuite par le Musée Friedrich de Berlin, ne saurait éveiller aucun doute. C’est un remarquable spécimen de l’orfèvrerie d’argent de la Perse au XIIe ou au XIIIe siècle, dont les frises décoratives en léger relief sont en étroite liaison de style avec les mêmes représentations de courses d’animaux dans les cuivres incrustés persans ou mossouliens de la même époque. Cette pièce d’orfèvrerie est vraiment admirable.
Un célèbre coffret d’ivoire est à la cathédrale de Baveux (fig 218). Longue de 0m, 42 sur 0m, 27 de large, cette boîte d’ivoire rectangulaire, à couvercle plat, montée sur quatre pieds, est garnie d’armatures, d’écoinçons, de charnières et de bandeaux en argent ciselé et doré, portant une décoration de paons et d’oiseaux affrontés par couples. Une inscription coufique gravée sur la plaque de serrure, lue jadis par le professeur Hammer de Vienne, ne nous apprend rien : « Au nom de Dieu, dément et miséricordieux, sa justice est parfaite et sa grâce immense. » Autrefois le coffret de Baveux passait pour très ancien, parce qu’il servait renfermer les ornements épiscopaux de saint Regnobert († vers 668) ; on en faisait alors un objet d’époque mérovingienne, ce fut l’avis formulé dans les Mémoires de Trévoux (1714). Le P. Tournemine y voulut voir plus tard un objet du butin de Charles Martel sur les Sarrasins. Interrogeons l’histoire ; la cathédrale de Baveux fut pillée en 1106 par Henri Ier, roi d’Angleterre : il y a donc de grandes probabilités pour que le coffret y soit entré postérieurement à cette date. On peut supposer qu’il a été rapporté d’Orient au XIIe ou au XIIIe siècle. À quel art se rattache-t-il ? Voilà ce qu’il est plus difficile d’affirmer. Je n’y vois aucun rapport avec l’art de l’Espagne, et je me rallierais volontiers à l’opinion de Longpérier qui pensait que la cassette avait pu être apportée de Sicile en Normandie. Nous aurions donc à un spécimen précieux de l’art des orfèvres arabes de l’époque fatimide, dont nous parlions un peu plus haut.
Le coffret de la cathédrale de Coire, un peu plus petit (33 × 21) par sa similitude de forme et de monture, doit en être étroitement rapproché. La décoration de toutes les armatures d’argent est formée de feuillages, de rinceaux stylisés et d’animaux fantastiques, moitié dragons, moitié oiseaux, adossés ou affrontés de chaque côté d’une tige végétale, alors que dans le coffret de Baveux ce sont des paons.
Deux coffrets d’ivoire ont tous deux des ferrures très analogues d’argent niellé, l’un au Trésor de Saint-Servais de Maestricht, l’autre au Musée Valencia à Madrid venant de la collection Chabrières-Arlès Ce dernier a une garniture de tiges et de bandeaux absolument simple ; le premier, plus curieux, a sur son couvercle un poisson avec des écailles ajourées, et sur la partie antérieure quatre petits cadrans portent des aiguilles devant tourner sur des lettres arabes (probablement mots de convention déterminant l’ouverture).
Un petit coffret tout en argent niellé est d’un intérêt plus grand encore, puisque nous avons là un objet de pure orfèvrerie et d’une beauté sans égale. Il se trouve dans le Trésor de Saint-Marc à Venise (fig 219). Sur le dessus sont représentés deux personnages assis jouant de la harpe ou de la guitare ; des arabesques et des bandeaux de caractères coufiques encadrent la composition ; sur les côtés sont gravées des rosaces enfermant les unes des arabesques disposées en croix, deux autres rosaces des sirènes ou des oiseaux à têtes de femmes. C’est une pure merveille, par la volonté et la sûreté avec lesquelles un artiste arrivé à la plénitude de ses moyens d’exécution a présenté et exécuté les sujets. À en juger par les inscriptions, un chef-d’œuvre tel que celui-ci n’a pu sortir que d’un atelier fameux travaillant en Mésopotamie au XIIe siècle. Par les sujets et le style, il se rattache intimement aux deux splendides plaques d’ivoire qui se trouvent au Bargello de Florence dans la collection Carrand, dont l’une porte la place d’attaches à monture analogues.
Les objets d’orfèvrerie d’argent ou d’or, sortis des ateliers des Maures de l’Espagne, ont été un peu plus épargnés par le sort et se trouvent encore assez nombreux dans les Trésors des églises d’Espagne pour que nous puissions en concevoir quelque idée.
Un beau coffret aujourd’hui encore conservé dans la cathédrale de Gérone, est exposé sur le maître-autel (fig 220). Sur une âme de bois sont appliquées des plaques d’argent doré décorées au repoussé de feuilles entourées de cercles de perles. Sur le bord du couvercle court une inscription niellée en écriture coufique : « Au nom de Dieu, bénédiction, bonheur, prospérité, joie permanente au serviteur de Dieu el-Hakam, le prince des croyants, el-Moustansir Billah, pour avoir fait faire ce coffret pour Abd el-Walid Hicham, héritier du trône des Maures. Il fut achevé par les mains de Djuden, fils de Botsla. » Donc pour l’avènement d’Hischam II (976).
Deux autres coffrets d’argent, provenant de l’ancien Trésor de Saint-Isidore de Léon, sont au Musée archéologique de Madrid, mais d’un moindre intérêt ; l’un, de forme elliptique, est décoré de feuilles et de vrilles de vignes. Une inscription mentionne le nom d’un possesseur, Abou-Chakir. – L’autre coffret, de forme carrée, est en argent doré et d’une assez pauvre ornementation ; il porte deux inscriptions coufiques louangeuses.
Un troisième coffret d’argent avec des médaillons à figures, ayant contenu les reliques de sainte Eulalie, se trouve encore au Trésor de la cathédrale d’Oviedo.
Enfin deux coffrets d’argent doré, offrant entre eux quelque analogie et pouvant dater à peu près du XIIe siècle, sont conservés, le premier, décoré d’entrelacs, au Trésor de la cathédrale de Trêves (fig 221) ; le second avec rosaces et figures géométriques exécutées en très fins filigranes, au Trésor de l’abbaye de Roncevaux.
Les origines de l’émaillerie cloisonnée sont parmi les questions qui ont le plus préoccupé les archéologues occidentaux, et parmi eux plus particulièrement Ch. de Linas. L’origine persane aujourd’hui n’en paraît pas douteuse, et le caractère oriental donne bien un air de famille à une série d’objets tels que le vase d’Ambleteuse (au British Museum), la patère de Pyrmont (au Musée de Sigmaringen), le vase de Bartlav (en Angleterre), le gobelet de Benevent (de l’ancienne collection Al. Castellani), la gourde et le mors de Piguente (au Cabinet des Antiques de Vienne). L’hypothèse a pu être acceptée d’ouvriers nomades venus d’Orient aux IIe et IIIe siècles de l’ère, dispersés dans l’Empire romain, d’où ils auraient été éliminés lors des invasions barbares. Les Persans auraient transmis les procédés à l’Empire byzantin et à l’Europe méridionale, tandis que les barbares les auraient véhiculés par les routes du Nord, dont nous repérons les étapes par les trouvailles faites au Caucase, en Russie et dans la vallée du Danube.
Quelques objets d’orfèvrerie à verroterie cloisonnée avaient déjà apporté leur témoignage : le bijou du Musée de Wiesbaden porte une inscription en caractères pehlvis du IIIe siècle de l’ère chrétienne, et la pratique de l’émaillerie cloisonnée s’affirme dans l’écritoire hexagonal si précieux entré au Musée du Louvre avec la collection Metsassoudis, et sur la magnifique aiguière du Trésor de Saint-Maurice-d’Agaune dans le Valais. Ce splendide vase d’or fin, avec ornements ciselés et filigranes, est formé de plaques d’émaux cloisonnés translucides d’un étonnant éclat vert, rouge et bleu foncé, représentant deux lions dressés, affrontés de chaque côté d’un arbre (hom persan) incompris par l’artiste qui l’a si mal interprété. On est évidemment là devant une œuvre d’un atelier européen, peut-être balkanique, région si riche en orfèvreries barbares orientalisées, que le sol a restituées.
Enfin par des transmissions encore mal connues, et dont les recherches fourniraient un beau sujet de thèse, le travail de l’émail cloisonné est techniquement remarquable sur un délicieux médaillon recueilli dans les fouilles de Foustat, et déposé au Musée arabe du Caire (fig 222) – et dans le grand bassin, qui se trouve au Musée Ferdinandeum d’Innsbruck (fig 223). Peu profond et très évasé, il est décoré, face et revers, en émail cloisonné sur cuivre de compartiments renfermant en un médaillon central un souverain assis et trônant, un sceptre dans chaque main (type très byzantin), flanqué de deux griffons cabrés, représentation qui semble avoir trait à la légende d’Alexandre en son voyage aérien, sujet déjà traité dans l’antique mosaïque de la Cathédrale d’Otrante. Dans des médaillons disposés sur une deuxième zone concentrique se retrouvent des griffons et des aigles, une lionne attaquant une gazelle. Les fonds sont toujours garnis de rinceaux ou de tiges à chevrons. Le revers porte également flans les médaillons des sujets semblables. Sur deux frises circulaires courent une inscription persane et une inscription arabe déjà signalées par J. Karabacek. L’inscription historique arabe donnerait le nom du prince seldjoukide ortokide d’Amida et de Hisn Kaïfa (Mésopotamie). « Roukn-ed-daula Daoud ibn Soukman ibn Ortouk » (qui régna jusque vers 543 (1144). Historiquement, le monument est de première importance, puisqu’il fournit à l’épigraphie un document nouveau sur un souverain dont on ne connaissait encore aucune inscription. Artistiquement, la pièce n’est pas moins précieuse, puisque c’est l’unique objet d’orfèvrerie émaillée à date certaine qui nous soit parvenu des peuples musulmans. Un seul peuple, à cette même date du XIIe siècle, était capable de faire des travaux d’émaillerie cloisonnée où il se jouait de toutes les difficultés : c’était le peuple chinois. Et nous voici, une fois de plus, ramenés à cette question des influences indubitables exercées à partir d’une certaine époque par la Chine sur les arts de l’Asie Centrale. Les Turcs en furent les agents de transmission, et nous savons quels rapports étroits entretenaient avec les empereurs de la Chine toutes ces dynasties turcomanes, les Seldjoukides, les Ortokides, les Zenguides, qui, parties des confins de l’Asie désertique, vinrent fonder de si brillantes royautés dans l’Asie Centrale et dans l’Asie Mineure. Ces influences, on les trouve dans l’architecture, dans l’enluminure des manuscrits, dans les cuivres. Et voici que le grand bassin du Ferdinandeum d’Innsbruck vient nous les révéler dans l’orfèvrerie en émail cloisonné.
On fit également en Espagne quelques très beaux travaux d’émaillerie moresque, en appliquant le procédé du cloisonné sur cuivre aux XIIIe et XVe siècles à la décoration des ceintures et des harnachements. Le décor est généralement formé d’entrelacs dans les colorations blanches et vertes. La collection de M. Sigismond Bardac possédait une ceinture complète de ce genre ; il en existait quelques fragments dans la collection de M. Boy, et au Kunstgewerbe Museum de Cologne.
Mais là où l’art de l’émailleur espagnol réalise surtout des merveilles, c’est dans les émaux translucides dont il orna les gardes d’épées des souverains maures de Grenade au XVe siècle, et les bouts de courroies. La technique parfaite et le splendide éclat de ces émaux si purs contribua beaucoup à la richesse unique de ces armes merveilleuses que nous avons étudiées à leur place.
Les plus anciens bijoux musulmans que nous connaissons nous révèlent les deux procédés de l’ajourage et du repoussé ou estampé dans la feuille d’or ou d’argent, employés séparément ou simultanément ; on a retrouvé de magnifiques bracelets et bagues, d’aspect lourd, d’un superbe caractère dans le décor, dans les tombeaux d’époque fatimide de l’Égypte (fig 224) ; le filigrane n’en est pas toujours absent, et une belle parure en or (collier) est conservée dans la collection Carrand, au Bargello de Florence. La collection Harari du Caire possède une série de bagues d’or d’époque fatimide tout à fait remarquables.
On n’a conservé que fort peu de spécimens de la bijouterie musulmane, et la plupart des bijoux que nous connaissons doivent être d’époque assez basse, quel que soit le caractère archaïque de leur décoration. Les formules, en effet, se sont perpétuées sans que leur évolution soit souvent bien perceptible. Il est certain que les bijoux kabyles, par exemple, doivent avoir conservé assez purement le caractère artistique particulier à l’art du Maghreb aux époques anciennes ; il est toutefois fâcheux que ces régions pour les arts somptuaires aient été très pauvres en réalisations vraiment artistiques et originales ; le style de tous les bijoux que l’on rencontre encore chez les populations du Maghreb est extrêmement composite et diffère peu de ceux que l’on rencontre dans toute l’Asie antérieure en Syrie, en Arabie et dans toutes les provinces de la Turquie.
L’Espagne a conservé quelques types de bijoux des derniers temps de la domination mauresque. Assez intéressants sont un bracelet, des fragments de collier et des boucles d’oreilles, possédés par le Musée archéologique de Madrid. Ils sont en or, couverts d’un ornement géométrique ou repoussé, et d’un filigrane. Ces bijoux, probablement du XIVe siècle, proviennent d’une fouille faite à Andujar. Une semblable décoration se retrouve sur un bracelet et des plaques ovales et rectangulaires en argent doré, exposés au Victoria Albert Museum sous les nos 1447 1455/70.
Les monuments bien certains de l’industrie du cuivre incrusté chez les Musulmans ne nous permettent guère de remonter plus haut que le XIIe siècle, et plutôt à son déclin. Toutefois, on ne saurait douter, d’après la surprenante habileté du travail dès cette époque, que cette industrie d’art n’ait eu antérieurement une longue période de perfectionnement dans les régions de la Perse et de la Mésopotamie.
Et, dans ces régions, la défense coranique de représenter les formes vivantes avait perdu très vite son caractère absolu, auprès des Persans chiites, adhérents au schisme d’Ali, et auprès des Turcs, qui, dans les cours khalifales, prenant peu à peu l’autorité, se répandaient ensuite dans les provinces comme gouverneurs, y fondaient des dynasties au sein desquelles l’art musulman prit un magnifique essor dans l’est, aux Xe, XIe et XIIe siècles. Il est du plus haut intérêt de rapprocher les monnaies des dynasties Ortokides ou Zenguides, où apparaissent les premières figures humaines, des représentations qu’offriront ensuite en grand nombre les bassins, les écritoires et les chandeliers en cuivre incrusté.
Mais il conviendrait de serrer la question de plus près, en admettant, comme pour les autres arts, que cette industrie se rattache par des liens plus ou moins étroits aux arts du métal pratiqués par les peuples qui avaient précédé les musulmans sur les terres désormais soumises à l’Islam. C’est dire que, comme pour la céramique, l’art des peuples iraniens plus anciens doit être attentivement interrogé. Il est sans doute assez difficile d’établir la transition d’un art à un autre, mais il semble probable que les premiers cuivres d’esprit nettement musulmans ont dû être précédés de pièces à décor franchement estampé et repousse (à la façon des orfèvreries d’argent des Sassanides), ou bien gravés avec ou sans adjonction de motifs ornementaux obtenus en relief par l’estampage.
Nous connaissons un certain nombre de ces objets de cuivre, sans doute des premiers siècles qui suivirent la chute de l’Empire sassanide, où ne se trouve encore aucune trace des matières précieuses (or ou argent) dont on enrichira plus tard les objets de cuivre. Le décor y est le plus souvent simplement gravé.
C’est tout ce groupe d’objets, où presque jamais l’épigraphie n’apporte d’éléments de précision, dont il conviendrait d’établir le corpus, par l’étude des formes et des éléments du décor, étude aussi difficile que celle que tenta le regretté Pézard pour la céramique proto-islamique.
L’exposition qui eut lieu à Munich en 1910 eut le très grand avantage, par la quantité des monuments présentés, certains étant préislamiques, de permettre ainsi des rapprochements utiles, devant l’évolution évidente de l’art sassanide à l’art musulman. En suivant l’ordre du magnifique album de planches (II), ne négligeons pas les trois aiguières à anses des collections Sarre et Martin (pl. CXXVT), dont les formes sont celles des aiguières d’argent sassanides (fig 225) ; de même que celles des collections Bobrinsky (pl. CXXVII) ou Polowtzoff (pl. CXXIX, CXXX), toutes pièces du Ve ou du VIe siècle. Elles annoncent plastiquement et décorativement la splendide aiguière de la collection Bobrinsky à Pétrograd du VIIIe ou du IXe siècle, avec son grand bec horizontal, gravée ou modelée d’oiseaux-paons tenant une grosse branche au bec, qui deviendront habituels dans les arts de l’Islam.
Puis voici une magnifique aiguière à long col ajouré dans sa partie supérieure, avec une belle anse en volute, la panse gravée d’arcatures avec arbustes ou feuillages ; sur l’épaule un oiseau en ronde-bosse sert de versoir. Cette pièce de la collection Polowtzoff à Pétrograd, sans doute de la Perse du VIIIe ou du IXe siècle, dérive directement d’un type d’aiguière sassanide absolument analogue avec un coq au versoir (la confrontation ne permet pas un doute) qui se trouve au Musée égyptien du Caire (salle copte, au premier étage), provenant d’une tombe d’Abusir el-Malak (fouilles allemandes de 1903). M. Harari, au Caire, possède une aiguière musulmane avec ce même coq au versoir (fig 226). Notons, dès maintenant, que cette manière de modeler un animal sur l’épaule de la pièce se retrouvera dans les pièces de cuivre de Mossoul au XIIe siècle, avec leurs couronnes de petits lions assis ou d’oiseaux. Le petit lion posé en ronde-bosse sur l’anse se retrouve même sur une autre aiguière de la collection Harari, de forme tout à fait archaïque persane (inspirée du Sassanide) (fig 227).
Une autre série du plus vif intérêt est constituée par des cuivres gravés de motifs d’un très grand style largement traités, accompagnés parfois d’inscriptions coufiques dont le décor des lettres devrait, par ses éléments, pouvoir être rapproché des inscriptions monumentales des Xe et XIe siècles. M. S. Flury eut récemment l’occasion d’étudier, entre les mains de M. Martin, un bol de cuivre godronné, dont le bord avait une bande d’inscription coufique intérieure et extérieure, et dont le fond intérieur était gravé d’une scène de chasse, tout à fait sassanide, le cavalier chargeant une bête, les caractères de l’inscription étant nettement du XIe siècle.
Le Victoria Albert Museum présente quelques spécimens très importants, provenant tous de l’Asie centrale :
1° Un bassin très creux (n° 948/1899) en cuivre pur, légèrement incrusté de cuivre rouge, où intérieurement est gravé un magnifique sphinx à tête de femme sur un fond de rinceaux, et extérieurement une frise d’inscription interrompue par des médaillons à entrelacs : il provient des ruines d’Aphrodisiah (Samurcande).
2° Un plateau creux également en pur cuivre (n° 558/1905), très rongé, porte au centre, en un grand médaillon, un lion ailé sur un fond de rinceaux. Une inscription circulaire en coufique dit : « Gloire éternelle ».
3° Une aiguière de cuivre, à alliage devenu vert, porte gravées des bandes étroites à motifs tressés et une frise à inscriptions ; des médaillons d’oiseaux se relient par une bande à rinceaux (trouvée à Khokand) (nos 758/1889).
4° Une coupe à pied en bronze vert porte une bande circulaire d’inscriptions, et sous le pied, au revers, des médaillons (trouvée au Turkestan) (n° 543/1911).
5° Un petit vase à pans coupés, de cuivre vert, est décoré de médaillons. Il porte une très curieuse petite grille sur le goulot droit.
6° Rattachons à cette série des cuivres gravés deux magnifiques mortiers de bronze, l’un à pans coupés, l’autre rond. Ce dernier, en bronze rouge, ne porte qu’une seule petite anse partant d’un bucrane en bronze rouge, et de gros boutons saillants au milieu d’un décor gravé de rinceaux, et de bandes d’inscriptions coufiques (trouvés à Rhagès) (n° 466/1876). – Le Friedrich Museum de Berlin a aussi une remarquable série de ces cuivres gravés du XIIe siècle persan (brûle-parfums ajouré et aiguière, sur lesquels apparaît ce détail ornementât de l’oiseau en ronde-bosse ; et la salle de physique, à Dresde, a un très curieux plateau gravé d’une carte du ciel avec constellations
Cet art des cuivres simplement gravés a donc dû se poursuivre en Perse, où l’on en a retrouvé bon nombre au Khorassan et à Hamadan, toujours d’un très beau caractère. Une grande coupe sur pied en cuivre altéré (rouge et vert), qu’on dit avoir été trouvée à Foustat, porte une inscription (qui serait datée de 1341 ?) avec deux bandeaux étroits gravés de tresses et de larges médaillons allongés (Victoria Albert Museum, n° 857/1901). Le Musée du Louvre possède deux vases de cuivre gravé du plus beau caractère (fig 228 et 229) et la collection de M. A. Curtis un seau à anse, gravé d’animaux dans le style le plus pur, et du dessin le plus sûr (fig 230).
La collection de M. Harari, au Caire, renferme toute une série de ces vases, aiguières, brûle-parfums ou lampes il l’antique, à décor gravé ou légèrement modelé tantôt d’un lambrequin, de tresses, de rosaces, tantôt de frises d’inscriptions coufiques, ou même de médaillons enfermant des oiseaux et têtes de femmes, qui marquent très certainement les étapes par où ces industries artistiques du cuivre ont passé dans toutes ces régions iraniennes du IXe au XIIe siècle, avant d’en arriver aux pratiques plus précieuses de l’incrustation en feuilles d’argent ou d’or, telles qu’elles seront courantes au XIIIe siècle.
On pourrait peut-être expliquer l’extraordinaire diffusion dès cette époque des cuivres gravés en ces régions mésopotamiennes par le grand développement industriel d’exploitation minière, particulièrement à Argana Maden. Dans le bassin supérieur du Tigre occidental se trouve encore un centre minier très important, Maden Khapour ; la montagne voisine, le Magarat, fournit en abondance du minerai de cuivre que les ouvriers grecs, arméniens ou turcs, fondent en partie sur place, et dont la plus forte part est expédiée après extraction aux cités de la Turquie d’Asie, Diyarbekir, Erzéroum et Trébizonde. La production en a fort diminué, mais naguère tous les Orientaux, de Constantinople à Ispahan, s’approvisionnaient de cuivre et même d’ustensiles de cuivre battu à Khapour et à Argana. Diyarbekir, dans la vallée du Tigre supérieur, et Mossoul, sur le Tigre moyen, cités puissantes et riches, durent au Moyen Âge utiliser largement les minerais de cuivre de Khapour. Il y a d’ailleurs un fait remarquable, c’est qu’au XIIe siècle les monnaies d’argent avaient tout à fait disparu de Mossoul et avaient été remplacées par des monnaies de cuivre repoussé, et déjà dans ces monnaies l’artiste commence à prendre ses sujets dans la vie qui l’entoure ; aux légendes du champ commencent à se substituer des figures, même des scènes composées. Le souverain est parfois représenté assis à l’orientale, coiffé du turban. Les monnaies portent aussi souvent des cavaliers.
Il semble bien, en rapprochant les monuments, que l’ornement gravé et en relief repoussé fut le premier mode de décoration des objets de cuivre, de même que sur les monnaies ; l’incrustation précieuse d’argent ou d’or n’y intervient qu’un peu plus tard, et d’abord timidement.
L’art mésopotamien, ou plus précisément d’après le nom de la principale ville, l’art de Mossoul, cité célèbre vantée par Ibn Saïd, se caractérise par la décoration prédominante de figures d’hommes et d’animaux. Des cavaliers, souvent nimbés, y pratiquent divers modes de chasses auxquelles les Persans étaient adonnés, avec la lance ou l’arc ; des cavaliers portant un léopard dressé en croupe, un faucon sur le poing, accompagnés par des lévriers, poursuivent l’ours, le lion ou l’antilope. Des princes couronnés ou nimbés, assis à l’orientale sur leurs trônes bas, flanqués de pages, tenant la coupe de vin en main, occupent des médaillons ; des danseurs, des musiciens les divertissent. Les figures du zodiaque enfermées dans de petits médaillons diversifient un peu les sujets. Il n’en est guère de plus beaux que les combats entre hommes, oiseaux et animaux. De longues frises de bêtes se poursuivant, lions, panthères, antilopes, lévriers, oiseaux et lièvres, au milieu de rinceaux à enroulements, divisent les diverses zones de décoration pendant que les espaces intermédiaires sont souvent occupés par des canards ou oiseaux d’eau volant. Les fonds sont enrichis de hardies et souples arabesques ou d’une sorte de crochet ou fer à T. Des inscriptions en étroites bandes courent en caractères naskhis ; quelquefois, mais moins souvent, les hampes des lettres finissent en têtes humaines, comme dans le jeu de jonchets.
Longpérier avait déjà constaté jadis combien ces sujets de chasse, flans leur esprit décoratif et leurs formes de dessin, rappellent les bas-reliefs assyriens, comme aussi la décoration des portes de Balawat, celle des bas-reliefs sassanides de Tak-i-Boustan ou les coupes d’orfèvrerie de la même civilisation.
La technique particulière à ces primitifs travaux du cuivre est celle de l’incrustation d’argent (l’or au début ne fut pas employé) et parfois, mais plus rarement, de cuivre rouge. Chaque trait du dessin, préalablement gravé, était rouvert d’une feuille d’argent, et les espaces intermédiaires enduits d’une couche de composition bitumineuse noire, qui cachait le fond de cuivre et faisait d’autant mieux ressortir le vif éclat de l’argent. L’argent est posé à la surface même du cuivre, sans soudure ; l’apposition en est si délicate, si superficielle, que le temps et l’usage l’ont facilement fait disparaître, et qu’il est assez difficile d’observer exactement la méthode du travail. Elle consistait à entailler la feuille de cuivre selon les formes du décor et, dans la rainure ménagée par l’outil, à faire entrer en la forçant la feuille d’argent, en rabattant ensuite les bords de l’évidement sur la feuille d’argent incrustée, qu’ils grippaient. Ce procédé était appelé par les Arabes kaft, et Makrizi en parle assez fréquemment.
Quand il y avait à couvrir d’argent d’assez larges surfaces, comme nous le verrons dans les grandes inscriptions d’Égypte, les rainures étaient non seulement évidées, mais aussi pointillées ; la feuille d’argent posée à plat était alors martelée au marteau et adhérait à toutes les petites pointes que la molette avait ménagées à la surface du cuivre ; ce procédé n’est pas l’indice de la fabrication la plus curieuse.
Dans les pièces lourdes, à alliage de bronze, le travail est analogue à celui des émaux champlevés, les fonds étaient réservés, et le dessin formé par des creux, où l’argent était déposé, puis tassé et poli, jusqu’à ce que la surface présentât un aspect absolument uni.
Quand la feuille de cuivre avait été ainsi évidée à l’outil et que la feuille d’argent y avait été introduite et fixée, le travail de l’artiste n’était qu’à demi terminé. Il lui fallait reprendre la surface de chaque feuille d’argent ; les têtes et les vêtements des personnages, le pelage des animaux, le plumage des oiseaux devaient être finement gravés, avec un soin qu’ignorent les artisans modernes et une minutie exempte de toute négligence. Mahmoud le Kurde, pur artisan oriental, qui vint travailler à Venise, poussait si loin ses scrupules qu’il traçait son premier pointillé sur un fond de rinceaux et d’enroulements, bien qu’il sût que la feuille d’argent allait masquer ce premier travail. Si les accidents n’avaient pas fait disparaître certaines de ces feuilles d’argent, on n’aurait jamais soupçonné pareille conscience. Tous ces détails techniques s’appliquent aussi bien aux travaux de cuivre incrusté syro-égyptiens qu’à ceux de la primitive École mésopotamienne.
La renommée des premiers artisans de Mossoul dut être immense, car de nombreux objets de cuivre incrusté, portant des inscriptions, nous apprennent les noms d’ouvriers de Mossoul attirés en Égypte et en Syrie par les Sultans Mamlouks, et y poursuivant un art qui ne se dégagea jamais de ces premières influences. Sans doute le décor s’y modifia légèrement ; les sultans Mamlouks d’Égypte, et leurs suites, ayant préféré aux sujets abondant en personnages et en animaux, les grandes inscriptions rayonnantes sur les plateaux, qui rappelaient leurs titres ; les cuivres syriens d’Alep ou de Damas, tout en conservant les personnages et les bêtes, attestent le goût pour les oiseaux affrontés, les groupes de canards présentés circulairement les têtes se touchant, la rosette de feuilles et de fleurs (que M. Stanley Lane Poole considère comme essentiellement caractéristique de la Syrie), et l’emploi de l’or dans les incrustations, décor favori des Damasquins.
Comme l’a très bien dit Max Van Berchem : « Ce n’est qu’en classant un très grand nombre de monuments à inscriptions bien lues qu’on pourra, par un examen comparatif, chercher à en tirer une synthèse provisoire, point de départ d’une nouvelle analyse. »
Voilà la facon dont la question des cuivres orientaux se pose, en ses termes les plus simples ; mais, à l’aborder d’un peu plus près, elle apparaît bien plus complexe.
Ce classement provisoire par inscriptions déchiffrées, qu’a partiellement tenté M. Max Van Berchem, lui a permis de rattacher les cuivres les plus anciens, ceux de la fin du XIIe et du XIIIe siècle, à deux groupes principaux :
1° Un groupe oriental persan (provinces orientales et septentrionales) et mésopotamien-arminien de la région du Haut-Tigre, de Mossoul et Diyarbekir du XIIe et du XIIIe siècle ;
2° Un groupe occidental, peut-être déjà syro-égyptien, auquel on devrait rattacher tous les beaux cuivres ayyoubides de la première moitié du XIIIe siècle.
Une attentive étude comparative permettra seule de voir les différences qui peuvent distinguer ces deux groupes, et auquel des deux il conviendra de rattacher tant de beaux monuments anonymes.
Ces deux groupes de monuments occupent donc la fin du XIIe siècle et la première moitié du XIIIe. On peut constater un arrêt brusque de toute production de cuivres gravés à la date approximative de 1250. Cette date coïncide avec l’invasion des Mongols et la chute du khalifat en 1258, qui entravèrent en Asie toute production artistique et déterminèrent l’exode des artisans de Bagdad au Caire. C’est sur ces ruines que s’édifient de nouvelles dynasties, et que Baïbars fonde le régime des Mamlouks en Égypte ; il construisit beaucoup, laissa un grand nombre d’inscriptions monumentales ; mais les arts industriels semblent, sous son règne, être demeurés bien négligés. On ne peut expliquer que de cette façon la médiocrité de bien des objets de cette époque de 1250 à 1270.
L’éclipse fut heureusement de courte durée, et la floraison nouvelle fut merveilleuse sous les règnes de Kalaoun et ses successeurs. L’art des cuivres incrustés se releva comme les autres et produisit cette belle école syro-égyptienne des XIVe et XVe siècles, qu’on peut dénommer des Mamlouks et qui nous a laissé des monuments si nombreux qu’il serait difficile de les énumérer tous. La seule lecture attentive des inscriptions nous montrera là encore combien l’art et l’influence des artistes mésopotamiens, surtout mossouliens, furent prépondérants en Égypte et en Syrie. Puis une floraison de cette industrie est probable aussi aux cours des souverains ottomans de Brousse au XIVe siècle.
Cette Renaissance mésopotamienne, rayonnante à l’ouest, semble avoir fait surgir à l’est une nouvelle école persane, s’affirmant par un style assez nouveau dans les personnages ; les figures enfermées dans les médaillons, procédé décoratif abandonné à l’Ouest, se sont allongées et amincies. Le costume est autre : on ne retrouve plus guère le costume arabe, ni la robe serrée à la taille par une ceinture, ni le turban enserrant la tête ; ce sont des robes lâches et demi-flot tantes, et fréquemment de longs rubans noués autour des têtes et retombant de côté. Ce sont, en outre, des inscriptions protocolaires persanes anonymes, mais parfois déformées.
De ces deux écoles syro-égyptienne et persane, prolongées jusqu’à nos jours, se détachèrent, vers le XVIe siècle, à l’ouest l’école vénitienne et à l’est l’école hindoue.
La pièce la plus curieuse est vraisemblablement le petit cadran de poche du Cabinet des médailles de la Bibliothèque Nationale au nom de l’Atabek Nour ed-Din Mahmoud ibn Zengi, signé Abou’l-Faradj-Isa et daté 554 (1159). Une écritoire de la collection orientale de M. Siouffi aurait porté la signature d’Oumar, fils d’Abou’l-Ala, fils d’Ahmad, d’Ispahan en 569 (1174), d’après une note manuscrite de feu M. Siouffi. Malheureusement les cuivres de cette collection furent dispersés à Paris, avant que M. Max Van Berchem n’ait pu relever et contrôler cette inscription si précieuse.
Le cuivre le plus important, et déjà d’une grande richesse et d’une grande beauté avec ses hautes frises d’inscriptions en argent dont les hampes finissent en têtes humaines et ses magnifiques bandes de scènes animées de personnages et d’animaux est le seau à anse de la collection Bobrinsky à Pétrograd, exposé en 1910 à Munich, au nom d’un personnage de Zendjan, capitale des Zenguides, à l’ouest de Kazwin ; il y fut fait en 559 (1163) par un artiste d’Hérat (fig 231).
Bien modeste est, à côté, la petite aiguière léguée par M. Piet-Lataudrie au Louvre (fig 232), qui est un document certain d’un vif intérêt). Car elle porte sur la panse deux bandes d’inscriptions, donnant le nom du propriétaire Outhman, fils de Soulaïman, de Nakhitchivan (Perse), et la date du mois de Chaban 586 (septembre 1190). Cette petite aiguière au bec en forme de lampe antique gravé d’un lion ailé à tête féminine, légèrement incrusté en argent, portant sur l’anse un lion couché faisant saillie, est un document de la plus grande importance, avec sa date certaine. Il peut être intéressant de rappeler que les deux plus anciens édifices de Nakhitchivan sont datés de 557 (1162) et 582 (1186). – Une petite aiguière de la collection Peytel, identique de forme, avec le même bec, porte de petits médaillons gravés et incrustés, et deux frises d’inscriptions au nom d’Ali d’Isfaraïn, donc aussi de la Perse occidentale au XIIe siècle.
Une demi-sphère côtelée, incrustée de cuivre rouge, avec des médaillons décorés de canards, et au milieu une sorte de médaille soudée représentant un sphinx dans des rinceaux, porte une inscription circulaire coufique : « Fait par Abd er-Razzak de Nichapour ». – Une astrolabe du Musée de Nuremberg, faite à une époque peut-être moins ancienne pour un sultan ayyoubide de Hama en Syrie, porte aussi la signature d’un artiste de Nichapour (Perse).
Une sphère céleste sur axe mobile et pied, au Musée du Louvre, est gravée d’animaux (Zodiaque) et de constellations en points d’argent incrustés, avec leurs noms gravés en coufique dit astronomique, d’après le livre des constellations d’Abou-l-Houseïn es Soûfi ; elle porte l’inscription : « Fait en 684 (1285) et gravé par Mouhammad, fils de Mahmoud, fils d’Ali, de Tabaristan » (Perse).
En fin une petite coupe (Collection J. Peytel) indique par son inscription qu’elle fut faite pour Amiranchah, que ses titres protocolaires révèlent comme un personnage important du Khorassan. Très analogue de forme et de style à une grande coupe de la collection Sarre, au nom et titre de Malik Mouazzam Mahmoud, fils de Sandjar Chah, atabek zenguide de Mésopotamie (1208-1212) ; les deux pièces peuvent être attribuées au début du XIIIe siècle.
Bien qu’aucune des pièces qui vont suivre ne porte une seule inscription à signification précise, c’est bien aux ateliers du nord de la Perse ou de la Haute-Mésopotamie, au début du XIIIe siècle, qu’il convient d’attribuer une assez nombreuse série de chandeliers et d’aiguières très singuliers, décorés en ronde-bosse ou en bas-relief repoussé, de couronnes ou de frises d’animaux, lions ou oiseaux, de rinceaux curieux et quelquefois d’inscriptions dont les hampes de caractères s’épanouissent en têtes humaines.
L’élément caractéristique, l’ornement en relief, se trouve à l’état isolé, un petit lion couché en relief sur l’anse de la curieuse aiguière de M. Piet-Lataudrie (fig 232).
Cette intervention d’un élément décoratif en forme d’animal, modelé en ronde-bosse sur l’épaule des aiguières, nous l’avions notée sur la superbe aiguière Polowtzoff, au début de cette étude ; elle était héritée des bronzes sassanides.
Nous allons le retrouver maintenant en rangées d’animaux sur des pièces de transition, où le décor des panses ou des cols reste plutôt encore simplement gravé comme dans les trois belles aiguières des collections F. Sarre au Musée Friedrich de Berlin, et Polowtzoff, avec leurs couronnes de petits lions ou d’oiseaux en ronde-bosse originaires de la Perse du Nord-Ouest ou de l’Arménie au XIIe siècle.
Puis la formule va s’épanouir sur le grand chandelier célèbre légué par Piet-Lataudrie au Louvre (fig 233), qui offre une décoration en relief bien plus fournie. Sur la base court une large frise d’ornements floraux entre deux frises de lions assis en relief très accusé, sur un champ gravé de figures de lièvres et d’oiseaux. L’épaule porte une couronne d’oiseaux exécutés en ronde-bosse. Une inscription en petits caractères coufiques au-dessus de la frise inférieure des lions présente de très minces incrustations d’argent, de simples filets qui n’occupent pas la largeur de la lettre. M. le professeur Hartmann a cru y lire une inscription en arménien, opinion qui a été reprise par M. Sarre. Mais cette inscription arménienne paraît avoir été ajoutée après grattage de la primitive, au XVIIe siècle par un possesseur arménien, qui dit avoir fait cadeau du chandelier à son église.
Deux superbes aiguières de l’ancienne collection du duc de Blacas au British Museum présentent également cette couronne d’oiseaux en ronde-bosse sur l’épaule, et les lions assis en relief repoussé sur le col.
Il en est de même des quatre surprenantes aiguières (fig 234, 235) du legs Delort de Gléon au Louvre, du Musée de l’École d’art décoratif du baron Stiéglitz, et de la collection Polowtzoff à Pétrograd et de M. Sarre à Berlin. Il faut remarquer que la première (Musée du Louvre), avec sa rangée de canards en ronde-bosse à l’épaulement et au col, indique une survivance tardive de ce procédé, par son inscription du col : « Le pèlerin Mouhammad, fils d’el-Amouli, fit en l’an 709 (1309) ».