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Après la disparition de Mara, Jo se retrouve seul face à la douleur de la séparation. Depuis sa planète, elle communique uniquement par messages. Dans l’abri secret, elle lui a légué une partie d’elle-même pour l’aider à vivre et à affronter les difficultés de la vie terrestre en attendant son retour : Aram. Reflet de Mara, image en miroir, complice et protectrice, Aram lui permet de subsister et d’explorer la Terre, sa beauté et sa fragilité. Peu à peu, cette complicité évolue sous l’influence de l’amour qui les transcende. Que se passera-t-il lorsque la « vraie Mara » reviendra ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Dans l'ensemble de ses productions littéraires,
Jean-René Caroff associe la romance aux éléments de science, de culture, de sociologie, de politique et d’environnement, tout en valorisant la tolérance et la non-violence.
Mara - Le retour est le deuxième volume de la saga Mara.
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Seitenzahl: 505
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Jean-René Caroff
Mara
Le retour
Roman
© Lys Bleu Éditions – Jean-René Caroff
ISBN :979-10-377-9343-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Albert Camus : « C’est ainsi, par exemple, qu’un sentiment aussi individuel que celui de la séparation d’avec un être aimé devint soudain, dès les premières semaines, celui de tout un peuple, et, avec la peur, la souffrance principale de ce long temps d’exil. »
Jo s’était retiré dans son abri souterrain pour réfléchir. À la sortie du poste de gendarmerie, il avait traversé le village et ressenti une certaine méfiance de la part des habitants. Les regards s’étaient détournés. Certaines personnes avaient changé de trottoir ou s’étaient éclipsées. Aux fenêtres, des rideaux retombaient à son passage, sans communication possible. Il venait de croiser une voiture de police dans le cadre d’une filature peu discrète. Quels ragots avaient été colportés à son sujet pendant son absence ? Il ne voulait pas le savoir. Il était en souffrance, très affecté par cette ambiance de défiance, lui qui avait été habitué à un contact simple et courtois avec son entourage. Il n’était pas destiné à vivre sur cette planète. Le peuple virgo souffrait de n’avoir pas pu s’y établir.
Dans son réduit, il repensait à toute cette histoire. Revivre comme avant devenait une nécessité. Il avait quelques réserves de nourriture, conserves, gâteaux et fruits secs. Le souvenir de Mara le hantait. Profondément, il ressentait ce sentiment cruel que provoque la séparation de l’être aimé, Mara, emportée dans la tourmente de l’exode de son peuple à des années-lumière. Où était-elle à présent ? Au-delà de Mars, en route vers le nuage d’Oort1, vers les confins du système solaire. Son voyage retour se passait-il sans encombre ? Il avait toute confiance dans la technologie virginale2. Mara était une femme de caractère, capable de faire face à toutes les difficultés de la vie. Cependant, un imprévu avait modifié le cours de sa vie : un amour hors du commun, une grossesse et l’arrivée prochaine de leurs six enfants. La stabilité de Mara n’en serait-elle pas perturbée ? Rongé de remords, il aurait voulu être auprès d’elle pour la soutenir et partager une vie de couple normale. Pensait-elle à lui ? Était-elle heureuse ? Impossible de le savoir ; c’était toute la complexité de cette situation absurde qu’il n’avait pas choisie.
La réalité s’imposait à lui. Il fallait vivre, reprendre son activité professionnelle. Il n’avait pas le choix. Il occupait à nouveau sa maison, plus confortable que l’abri souterrain. Vu le climat de suspicion qu’il avait ressenti dans le village, il valait mieux régulariser sa situation au conseil de l’ordre des médecins et trouver un travail à distance. Il fit ces démarches dès le lendemain. Par chance, sa voiture fonctionnait encore. Elle démarra au quart de tour. Il fut reçu par la secrétaire qui lui proposa de saluer le président du conseil. Il le connaissait bien : ils avaient fait leurs études dans la même faculté. Il lui exposa les raisons de sa visite, son désir de reprendre son activité après un arrêt qui n’était pas de sa volonté. Le président voulut en savoir davantage. Jo lui résuma son histoire, l’enlèvement par des extra-terrestres, la séquestration dans le vaisseau spatial. Son confrère souriait en coin, ne croyant pas un mot de son récit. Pour preuve, il lui montra sa cicatrice abdominale, mais elle ne prouvait rien. Le président conclut qu’il avait fait un « burn-out », horrible anglicisme désignant un épuisement professionnel, et que ce récit lui permettait de ne pas perdre la face. Il s’assura, par un échange prolongé, qu’il allait bien sur le plan psychologique. Finalement, il lui proposa un remplacement régulier à partir du lundi suivant. Jo se sentit soulagé. Son dossier mis à jour, il reçut sa nouvelle carte professionnelle.
Il n’avait rien perdu de ses connaissances médicales ni de sa maîtrise technique. Il aimait le contact avec les patients. Il était à leur écoute, prenait son temps. Il s’impliquait entièrement dans ce travail passionnant, tentant d’oublier l’absence de Mara. Elle lui manquait terriblement. Bien sûr, il s’était fait enlever, mutiler dans son intimité sans son accord ! Cependant, la suite du séjour dans le vaisseau spatial avait pris une tournure imprévue, dans une sorte de valse envoûtante, responsable d’un vertige incessant, lui accordant des sentiments inconnus, le partage d’un amour insensé et inespéré.
Depuis cette aventure, il relativisait toutes les situations, remettant à leur juste niveau les plaintes banales des patients. Il accueillait leurs symptômes légers, révélateurs d’un mal-être, d’une dépression, de l’absence de reconnaissance dans la société ou d’un manque d’amour dans le couple. La communication était essentielle. Aucune journée ne se ressemblait. Une urgence bouleversait le programme et justifiait une adaptation immédiate. La première se manifesta par le malaise d’un patient en salle d’attente, avec les cris apeurés et angoissés de son épouse. Il s’était écroulé de son siège, sans signe annonciateur, cyanosé, sans respiration et le regard fixe. L’auscultation permettait de percevoir quelques bruits cardiaques légers et irréguliers malgré l’absence de pouls. Jo entreprit un massage. La secrétaire apportait le défibrillateur et appelait le SAMU. Par chance, la défibrillation fut efficace. Le rythme cardiaque se normalisa, permettant l’installation d’une oxygénothérapie en attendant les secours médicalisés. Ce patient fut sauvé et reprit sa vie normale après une hospitalisation de quelques jours. Son infarctus avait nécessité la désobstruction d’une coronaire et la pose d’un stent.
Les jours suivants furent plus calmes : vaccinations d’enfants, renouvellement d’ordonnances, épidémies virales. Une autre urgence se présenta : une patiente enceinte venait de « perdre les eaux ». À son arrivée au domicile, l’accouchement était imminent. Comble de malchance, une coupure d’électricité intempestive privait la maison de l’éclairage nécessaire. Il accompagna le travail de la parturiente à la lumière d’une lampe tenue par le mari. L’accouchement se déroula correctement, mais une complication survint lors de la délivrance. L’expulsion du placenta entraîna une hémorragie importante avec chute de tension, nécessitant à nouveau l’appel des services de secours pour hospitalisation. Les suites furent favorables, mais cet événement lui fit craindre une complication pour l’accouchement de Mara. Il l’imaginait, baignant dans le sang, dans une cabine en impesanteur où rien ne coule. Très vite, il chassait cette idée, confiant dans les capacités de Specula. Elle était entre de bonnes mains.
Jo travaillait dur pour tenter d’oublier l’absence de sa bien-aimée, mais rien ne comblait ce manque. Il se mit en congé. Il fit le plein des réserves alimentaires, tant dans le frigidaire et le congélateur que dans le local réservé au stockage des conserves. Il n’avait pas la tête à regarder la télévision. Pour se détendre, il faisait de longues marches dans les chemins creux et en forêt, observant l’évolution de la végétation et guettant l’apparition d’un animal sauvage, source de bien-être et de joie.
Spécial Espace 2023 : « Les astéroïdes sont des épées de Damoclès, en orbite autour du soleil. Mais les catastrophes terrestres ne viennent pas forcément de ce qui est attendu. »
Au retour d’une promenade, il se rendit à l’abri souterrain au risque de réveiller des souvenirs douloureux. Sur le toit végétalisé, les plantes s’étaient épanouies, dissimulant les limites du local. Il ouvrit la trappe et descendit l’escalier qui menait au dravione. Il fut saisi d’un sentiment étrange à la vision de cet appareil majestueux couvert de poussière. Il se souvint du dernier vol, du spectre coloré et du visage radieux de Mara sur le pare-brise, comme un mirage imprimant pour toujours le souvenir de sa bien-aimée. Deux planches volantes étaient accrochées à la paroi avec leur harnais.
Il ouvrit la porte de la chambre. Le lit était resté en l’état, la couverture tirée de travers. Le cathéter veineux traînait sur le sol près de la combinaison grise. Ce désordre révélait son état de confusion quand il avait quitté le local. La lettre de Mara était toujours dans le tiroir du bureau et l’ordinateur portable sous le lit, entre le cube de roche lunaire et l’échantillon de Spiraloïde3. Il mit le cathéter à la poubelle, fit le ménage et un peu de rangement.
Il déplaça le lit et ouvrit la trappe qui menait au sous-sol. La surprise fut de taille. La lumière s’était allumée dès qu’il y avait posé le pied. La pièce contenait un moteur, une chaudière avec sonde de température extérieure, des tuyauteries, des turbines et des fils électriques. Il s’agissait de la centrale à fusion miniature que Mara évoquait dans sa lettre. Un lavabo, une table, une chaise, un réfrigérateur et un congélateur constituaient le mobilier.
Il repensa à la lettre de Mara. Elle avait terminé sa description par les mots suivants « … où d’autres surprises t’attendent ». Que voulait-elle dire ? Jo explora les parois où étaient accrochés divers outils laser, aux multiples longueurs d’onde, des outils de coupe, d’éclairage, un appareil de géolocalisation. Pourquoi tout cet attirail ? Elle ne faisait rien par hasard. Avait-elle une vision de l’avenir ? Était-ce une simple précaution en prévision de dangers éventuels ? Ce n’était pas rassurant.
Il explora les parois du sous-sol. Soudain, il aperçut une lumière bleue, clignotant à la base d’une porte sans poignée. Intrigué, il s’en approcha et la porte coulissa, lui faisant découvrir une pièce au parquet ciré. Il découvrit deux tenues d’astronautes suspendues à la paroi de gauche avec une inscription de la main de Mara : « Voici deux combinaisons spatiales, les plus modernes et sophistiquées. Au cas où ! » Elles paraissaient légères et élégantes. Plus loin se trouvaient un cylindre transparent et, contre la paroi de droite, une structure similaire munie d’une ouverture. Sur la diagonale était placé un jeu de multiples miroirs, en panneaux juxtaposés, un rail circulaire et d’autres rails entrecroisés, à la manière d’un train électrique pour enfant. Un ordinateur se trouvait sur une table. Une chaise attendait un visiteur. Enfin, une autre structure cylindrique, sorte de cabine transparente, était posée à l’horizontale contre la paroi opposée.
Il s’assit devant l’ordinateur, l’ouvrit et appuya sur la première touche apparente. Quelques instants plus tard, une page écrite par Mara apparut sur l’écran. Son rythme cardiaque s’accéléra. Il s’attendait à tout, mais son contenu était énigmatique : « Bonjour, Jo. Je ne t’ai pas abandonné. Je suis présente à tes côtés sur terre. Je t’ai laissé mon amour. Prends-en bien soin. Il te guidera jusqu’à mon retour. Appuie sur le lien suivant. Je t’aime. »
Il cliqua. Aussitôt, une sonnerie retentit. Il se leva et se figea. Le caisson cylindrique entreprit un redressement vertical, puis un mouvement de rotation sur son socle. C’était une combinaison de deux cylindres incomplets emboîtés qui, en coulissant, révéla son contenu, éclairé par une lumière bleuâtre tamisée, comme celle qui diffusait sous la porte. Le fond de la cabine était un miroir qui révélait l’image d’une jeune femme qui lui tournait le dos. Dans un premier temps, il fut saisi de stupeur, puis d’une grande joie. La belle jeune femme, souriante, vêtue d’une combinaison blanche, n’était autre que Mara. Dans le miroir se reflétait quatre lettres écrites sur sa poitrine dont la troisième déformée par un pli : MAЯA. Sous le coup de l’émotion et de la joie, il voulut se précipiter pour la prendre dans ses bras, mais elle leva la main droite, l’arrêtant dans son élan. Elle s’exprima d’une voix faible et lente, à peine audible :
— Bonjour, Jo ! Enfin, te voilà ! J’attendais ta visite. J’avais hâte de te voir et je craignais que tu ne viennes pas.
— Bonjour, Mara, je suis tellement heureux de te revoir.
— Moi aussi, Jo, je suis contente d’être là, et que tu m’aies trouvée. Je commençais à m’ennuyer dans ce caisson. Son ouverture était programmée et liée à l’ouverture de l’ordinateur. Maintenant, il te faudra patienter un peu pour la programmation des paramètres indispensables à ma survie ici-bas.
Jo respecta son désir tout en s’interrogeant. Mara ne lui avait jamais parlé ainsi. Il ne comprenait pas cette notion de paramètres. Il était tellement surpris et content de la retrouver, de reconnaître son sourire, qu’il se soumettait volontiers à cette attente pour enfin l’embrasser. Au bout d’un moment qui lui parut interminable, le dos toujours tourné, elle reprit la parole d’une voix un peu plus fluide :
— Avant toute chose, je te dois quelques explications. Je suis restée plusieurs mois dans ce caisson, tel un animal en hibernation. C’est ma cabine énergétique qui permet une oxycytosynthèse sous rayonnement infrarouge, c’est-à-dire la production d’oxygène dans mes cellules sous l’effet bienfaisant de ce rayonnement. Ce processus biochimique est une suite de réactions permettant la transformation du CO₂ en oxygène. Ce procédé utilise une protéine particulière et des enzymes associés, à l’instar de la photosynthèse végétale. La cabine était réglée sur un mode minimal de vie léthargique avec un métabolisme ralenti. Je vais modifier sa programmation. Il me faudra un certain temps pour retrouver toutes mes facultés, rétablir ma mémoire et mes fonctions physiologiques complètes. Ensuite, je vais entreprendre l’entretien de toutes les structures techniques du sous-sol, le réglage de la centrale à fusion et celui des pièces mécaniques qui lui sont reliées. Ce travail sera long. Il te faudra de la patience avant de me retrouver. Tu meurs d’envie de me prendre dans tes bras, mais je ne suis pas en état. Je ne supporte pas l’image que je te donne à voir en cet instant. J’espère que tu me le pardonnes. Reviens lorsque j’aurai retrouvé toute ma puissance et mon éclat pour fêter nos retrouvailles.
— Que sont ces deux structures adossées aux murs ?
— Ce sont des cabines de communication électromagnétique. Mais je n’ai pas assez de force pour poursuivre cette conversation. Il me faut acquérir beaucoup plus d’énergie afin d’assurer ta protection. Je te demande donc de me laisser et je te promets d’être plus dynamique et réceptive lors de ta prochaine visite. À bientôt Jo. Prends bien soin de toi !
— J’ai hâte de te retrouver telle que je t’ai connue.
Jo se retira avec un sentiment de tristesse et d’inquiétude. La porte fermée, la lumière bleue se mit à clignoter avant de s’éteindre. Il s’allongea sur le lit pour tenter de faire le point. Il était heureux de retrouver Mara, mais ressentait une impression d’étrangeté. Elle lui était apparue telle qu’il la connaissait, souriante, svelte et fine, une chevelure courte et irisée. Elle avait évoqué sa protection comme au premier jour. Sa combinaison blanche et brillante était une distinction, mais la vraie différence portait sur cet accueil neutre et distant, malgré son sourire spontané et sa douce voix, si familière. Ce comportement ne lui correspondait pas et cela l’angoissait. Elle n’avait même pas évoqué la naissance de ses enfants. De plus, sa présence dans cette armoire en hibernation était en totale contradiction avec son retour vers Virginia dans le vaisseau spatial. Qu’était-il advenu de sa grossesse, de l’accouchement prévu et des bébés ?
Avait-il des hallucinations dues au surmenage ? Il ne concevait pas ainsi ses retrouvailles avec Mara. Une explication s’imposait, mais elle ne dépendait pas de lui. Il devait manquer de sommeil. Celui-ci ne tarda pas, mais le réveil fut brutal au cours d’un cauchemar où Mara lui fermait la porte au nez. N’ayant pas la clef de l’énigme, il lui fallait reprendre ses activités, retourner au cabinet médical et attendre que Mara lève le voile sur ce mystère.
Article du CNRS du 30/06/2023 : « La prédiction de la terre boule de neige refait surface. En raison des gaz à effets de serre, ce scénario catastrophe n’est pas pour demain. »
Jo reprit son travail, tentant d’oublier cet épisode troublant. Son attitude, face aux patients, aux secrétaires et à ses confrères, restait identique. D’ailleurs, comment aurait-il pu évoquer un seul élément de cette situation ? Il serait pris pour un fou et deviendrait sujet de moquerie, encore plus lourde à supporter. Il assistait aux réunions, aux journées de formation continue, prenait les gardes de nuit et de week-end à son tour. À l’abri, il trouvait toujours porte close.
Un soir, il décida d’observer le ciel. La lune n’était pas encore levée. Il s’éloigna, gravit la colline pour avoir un ciel bien dégagé et sans nuage. C’était l’été. Il faisait bon. Il s’allongea sur l’herbe sur un terrain légèrement pentu de manière à découvrir une vaste étendue céleste. Les premières étoiles apparurent. Il put admirer une pluie d’étoiles filantes constituant l’essaim des Perséides qui devint plus intense vers minuit. Ces débris de la comète Swift-Tuttle4 traversaient l’atmosphère terrestre et se consumaient en traînées lumineuses semblant provenir de la constellation de Persée.
Jo était détendu dans le calme de la nuit. Il pensait à Mara. Scrutant la voûte céleste, il lui adressa une supplique :
— Mara, envoie-moi un signe.
Il lui faisait confiance. Elle ne l’avait jamais trahi. Il était en parfaite communion avec sa bien-aimée. Il retrouvait sa tranquillité d’esprit face à cet espace infini, ce ciel d’une pureté absolue parsemé d’étoiles scintillantes et filantes. Soudain, des lueurs colorées et mouvantes apparurent en direction du nord, recouvrant la voûte de draperies luminescentes aux teintes variées, vertes, roses, rouges et indigo. Il était fasciné par cette aurore boréale, phénomène exceptionnel à cette latitude, lié à un orage magnétique au décours d’une éruption solaire projetant ses particules chargées vers l’ionosphère. Le spectacle était fabuleux, exposant ses volutes enroulées en spirale ou en hélice, tantôt rapides, tantôt lentes, mais toujours gracieuses et captivantes. Était-ce un signe ? Il était en résonance avec l’esprit de Mara.
Il se faisait tard, mais il n’avait pas sommeil. Il se dirigea vers l’abri souterrain, descendit au sous-sol. La porte du local technique était ouverte. Mara était debout dans la cabine bleutée, rayonnante et souriante. Elle prit la parole :
— Bonjour Jo. En signe de reconnaissance et de pardon, donne-moi le mot de passe, le code unique et symbole de notre union.
— Je t’aime, Mara, fit Jo.
— Moi aussi, je t’aime. J’avais peur que tu l’aies oublié.
Aussitôt, elle sortit de l’habitacle, se dirigea vers Jo en lui tendant les bras. Jo s’y précipita, la serrant très fort contre lui. Il voulut l’embrasser. Mais les lèvres qu’il rencontra n’étaient pas celles de Mara. Semblables en apparence, leur contact n’avait pas la douceur qu’il avait connue. Déçu, il voulut en avoir le cœur net :
— Tu n’es pas Mara !
Elle hésita, recula un peu. Jo aperçut l’inscription sur la combinaison : ARAM.
— Je m’appelle Aram, fidèle de Mara. Elle m’a créée à son image, et à son image je suis, tout comme elle est identique à moi. En ma personne, elle te confie son amour. Tu devais prononcer le mot de passe pour que la reconnaissance se fasse. Elle m’a chargée de te seconder sur terre et de te protéger en attendant son retour. Elle a précisé qu’il n’était pas bon que tu sois seul.
— Si je comprends bien, tu es un robot.
— Attention Jo ! Ne prononce plus jamais ce mot. C’est une insulte à moi-même et donc à Mara. Tant que Mara n’est pas de retour, tu dois me considérer comme elle. Je pense et j’agis comme Mara. Elle m’a transmuté5 ses connexions neuronales, ses pensées, ses sentiments, par une méthode de transfert connue du peuple virgo et expérimentée depuis des siècles. Je suis le résultat ultime de ces avancées scientifiques, unique modèle virgo d’exclusivité totale. Nul ne peut faire la différence entre nous, si ce n’est par un baiser révélateur. Maintenant, tout est clair. Je suis Aram et je suis Mara. Depuis notre première rencontre, j’ai fait une révision systématique de toutes les structures techniques de ce local. À part quelques ajustements nécessaires, tout est en parfait état.
Par ailleurs, j’ai installé une antenne rétractable qui aboutit à l’air libre par cet orifice au plafond. Elle reçoit à des fréquences spécifiques aux Virgo. Cela pourrait servir un jour. Enfin, j’ai effectué les branchements sur les cabines transparentes qui t’intriguaient. Elles servent aussi à la communication interstellaire. J’espère avoir répondu à ta curiosité. Maintenant, l’essentiel de mon devoir est accompli. L’avenir sera une simple surveillance, une assistance et une présence affective. Quand tu auras besoin de mes services, il te suffira de m’appeler à l’aide de cet émetteur que je te confie. Je peux utiliser tous les engins de transport : dravione, navette, planche volante et autres véhicules terrestres. Pour l’instant, je vais rester dans ce local. Je n’ai pas de gros besoins et je suis formée à la patience et à la solitude. Ma seule exigence est d’avoir l’énergie à disposition et donc de pouvoir rejoindre ma cabine si nécessaire.
— Cela fait beaucoup de surprises qu’il me faudra intégrer. Mais je m’adapterai à la situation.
— Pour confirmer notre entente et notre pacte de collaboration, je t’offre un baiser.
Elle tendit ses lèvres. Jo s’approcha d’Aram et lui déposa un baiser sur la joue. Elle se para de son plus joli sourire. Elle n’était plus un robot aux yeux de Jo ; elle était le double de Mara, son image ; elle serait sa nouvelle complice et protectrice sur la Terre.
— Il me reste deux éléments importants à contrôler : l’état du moteur à fusion du dravione et le fonctionnement de l’antenne. Il nous faudra donc sortir pour faire les tests. Je te propose de m’accompagner. Il fait encore nuit, mais ce n’est pas un handicap, au contraire !
Ils montèrent à l’étage. Jo actionna l’ascenseur. Aram prit les commandes du dravione. Elle démarra le moteur et l’engin s’envola dans les airs. Tandis qu’Aram contrôlait les divers paramètres, Jo surveillait le sol, craignant d’être espionné, mais l’aéronef avait pris très rapidement de l’altitude à une vitesse fulgurante. Mara l’avait rarement poussé à ce niveau.
— Il faut bien que je teste ses capacités au maximum de sa puissance !
Elle fit un demi-tour serré, monta en altitude, fit un looping. Jo n’avait pas eu de sensations aussi fortes depuis longtemps. Cette manœuvre lui provoqua des vertiges et des nausées. Aram coupa le moteur et se mit en mode planeur. Elle redémarra pour atterrir en douceur, tandis que Jo activait l’ascenseur pour assurer la discrétion.
— Tout va bien. Il suffira de contrôler les batteries et de réviser tous les raccords électriques. Maintenant, allons inspecter l’antenne.
Ils sortirent par la trappe du toit végétalisé. Jo avançait en titubant, à peine remis de cette voltige acrobatique. L’antenne, éclairée par la lune, était de forme parabolique et montait à plus de trente mètres pour dépasser le sommet des arbres.
— Comment as-tu fait pour sortir une parabole par ce petit orifice ?
— C’est une parabole aux lames adjacentes qui se déploient comme les éléments d’un éventail. Il faudra la rétracter après chaque utilisation et s’en servir de préférence la nuit. La parabole est reliée à l’ordinateur pour que les données se concrétisent en son et en image.
À l’aide d’une commande manuelle, elle manipula plusieurs fois la parabole, la repliant et la déployant, puis rétracta l’ensemble qui disparut dans le local technique. Tous les deux se retirèrent au sous-sol. Jo exprima son inquiétude sur le fonctionnement de cette antenne, son utilité et sa sécurité. Aram avait réponse à tout. Elle expliqua que cette antenne, réceptrice et émettrice, transmettait les données à plusieurs niveaux de longueur d’onde.
— Les Virgo utilisent les ondes radio, habituelles sur terre, mais aussi les transmissions s’appuyant sur la lumière des lasers, à des fréquences plus élevées, avec un plus grand débit et une meilleure sécurité, en combinant la puissance des ondes acoustiques et lumineuses. Le faisceau laser, plus étroit, diverge moins et offre un pointage plus précis et une meilleure confidentialité. À l’occasion d’une prochaine transmission, je te donnerai plus de renseignements.
Après ce petit cours de physique élémentaire, Jo prit congé de sa protectrice, lui promettant de venir de temps en temps et de la contacter grâce à l’émetteur. Il était soulagé de la résolution de l’énigme qui l’avait tant troublé.
CNRS du 10/07/2023 : « Les tremblements de terre sont dus aux plaques tectoniques qui se meuvent en raison de la chaleur du magma en convection. »
Jo avait repris son travail dans un état d’esprit plus serein. Il prenait plaisir à connaître de nouveaux patients qui évoquaient leur vie, leurs difficultés, leurs joies. Chaque consultation était source de découverte. La formation continue l’avait initié à la pratique de l’écho-doppler, de la téléconsultation et de la télésurveillance pour les patients connectés. La détection virale par test PCR devenait courante, ainsi que les séquençages génomiques. La médecine évoluait sans cesse.
Un soir, l’émetteur vibra. Il se dirigea vers l’abri. Souriante, Aram lui annonçait une bonne nouvelle. Un signal électromagnétique indiquait une communication prochaine depuis le vaisseau spatial, vers 22 h, selon la procédure prévue. Aram vérifia l’écran récepteur et les connexions pour cette première tentative de communication entre le vaisseau spatial et la Terre. En raison de son éloignement, celle-ci datait de plusieurs mois ; elle était unidirectionnelle, sans réponse possible et sécurisée à l’aide de la cryptographie virginale. Selon Aram, ses coordonnées évoquaient une station relais que Mara aurait pu placer en orbite lunaire. C’était une avancée exceptionnelle des relations interstellaires, un grand saut pour l’humanité universelle.
À l’heure dite, des rayures zébrées apparurent sur l’écran. L’image se stabilisa et le miracle se produisit. Mara apparaissait toute souriante et détendue. Jo était excité et très ému. Attentif, il ne perdit pas un seul mot, un seul regard, une seule expression.
— Bonjour, Jo. Je pense bien à toi. Je t’aime. J’espère que tu as repris une vie normale sur Terre. Bonjour, Aram, et merci pour ta coopération. Jo, tu as fait la connaissance d’Aram et je vous confie l’un à l’autre. Je viens vous donner quelques nouvelles…
Jo l’avait écoutée passionnément et quelques larmes coulèrent au coin de ses yeux. Il avait mémorisé chaque phrase qu’il pouvait restituer intégralement. Mara avait fait le récit du voyage qui se déroulait comme prévu. Le vaisseau spatial filait dans l’espace. Il avait échappé à la gravitation du système solaire. Son accélération avait permis de retrouver une certaine pesanteur, proche de la normale. Chacun connaissait son rôle, la routine d’un voyage, au retour de la terre promise vers la planète où le peuple Virgo les attendait avec l’espoir d’un nouvel exode. Le bouclier métallique avait été déployé à l’avant du vaisseau. La navigation se faisait selon les paramètres numérisés, intégrés au logiciel de vol. Le champ magnétique circonférentiel et protecteur avait été poussé à son maximum. Tout était calme. En communion avec Jo, Mara prenait le temps d’écrire dans son journal personnel.
Après avoir quitté le point de Lagrange L26 du système Terre-Lune, elle avait été très absorbée par les manœuvres du départ. Elle contrôlait le moindre détail : la puissance des moteurs, les pressions internes du vaisseau, les paramètres directionnels et la vie de l’équipage. À l’adresse de Jo, elle précisa combien il lui manquait. Penser à lui la remplissait de nostalgie et d’une douce mélancolie, mais aussi de joie, autant de sentiments inconnus avant ce voyage. La future naissance de leurs enfants la comblait de bonheur, sans crainte pour l’accouchement. Optimiste, elle avait confiance en la nature. Le bébé bougeait de plus en plus. Il se calmait au son de la musique transmis par les écouteurs qu’elle appliquait sous son nombril. Le soir, elle s’endormait dans le sac de couchage de Jo et rêvait souvent de lui.
Trois mois après le départ, elle avait perçu les premiers signes annonciateurs de l’accouchement. Elle garda son calme. Quand les contractions devinrent régulières, elle se dirigea vers la salle réorganisée pour l’occasion et appela Specula. Celle-ci avait pris du galon depuis son stage sur Terre. Nommée responsable du service de gynéco-obstétrique, elle avait surveillé la fin de grossesse de son unique patiente de façon assidue et rigoureuse. Aussi, elle gardait toute sa maîtrise, partageant une très grande complicité avec sa commandante. Tous les instruments de contrôle étaient opérationnels, mais Mara avait souhaité un accouchement le plus naturel possible. Specula avait formé deux assistants pour l’utilisation des échographes, du monitoring, des perfusions, et leur avait appris les principaux gestes techniques, y compris la collecte du liquide amniotique par aspiration. Une bulle de toile imperméable gonflable avait été disposée dans la pièce, englobant toute la table, laissant un espace suffisant pour les aides et les instruments. Elle devait permettre une récupération des liquides et des débris organiques pour éviter leur dispersion dans le module. Mara s’était allongée sur la table d’accouchement, à l’intérieur de cette bulle.
Specula avait réalisé l’examen gynécologique, confirmant la dilatation avancée du col utérin. Elle se préparait à faire une échographie, mais les événements s’étaient précipités. La poche des eaux s’était fissurée, entraînant une fuite de liquide amniotique non teinté. Mara avait ressenti le besoin de se lever, de faire quelques pas pour se détendre. Les contractions étaient violentes, mais peu efficaces. Specula se demandait si l’impesanteur n’avait pas réduit la tonicité musculaire. Elle avait refait une échographie rapide. Tout semblait correct sauf la dilatation qui ne progressait pas beaucoup.
Au bout de deux heures, Specula avait préparé le matériel et l’anesthésie en vue d’une césarienne. Mara avait insisté pour attendre. Les constantes du bébé restaient normales. Soudain, les contractions s’étaient faites plus violentes. Mara s’était relevée. Specula souhaitait qu’elle s’allongeât, mais instinctivement Mara s’était accroupie. La tête du bébé était apparue. Mara l’avait saisie d’une main sans l’aide de Specula. Tout alla très vite et l’expulsion se fit en quelques secondes. Mara se releva et s’allongea, son bébé dans les bras. Specula dégagea la bouche et le nez de leurs mucosités. Le bébé poussa son premier cri. C’était un garçon. Specula prit ses responsabilités pour la suite des événements, section du cordon et délivrance du placenta, tandis que Mara se détendait. Elle était heureuse et épanouie. Elle eut une pensée émue pour Jo, mais aussi pour son peuple. Cet accouchement était un acte fondateur, le retour d’une pratique oubliée depuis des millénaires, le symbole du renouveau.
Le destin du peuple Virgo pouvait en être bouleversé. Avec son autorité naturelle, Mara orientait l’avenir. Elle était l’initiatrice de la première grossesse naturelle virgo, dans un vaisseau spatial, par union avec un Terrien. Elle inaugurait le premier accouchement spontané non vécu par son peuple depuis des lustres, et envisagé comme impensable. De plus, sa descendance retrouvait les caractères physiques primitifs, des aspects génétiques à la fois espérés et redoutés. Mara ne souhaitait pas donner à ses enfants une éducation différente de celle des autres enfants. Néanmoins, elle savait qu’elle serait une mère attentive et affectueuse. Le bébé fut apprêté. Specula le lui apporta dans ses bras. Instinctivement, elle lui offrit le sein et le réflexe de succion opéra. Mara quitta la salle d’accouchement, son bébé dans les bras. Elle laissa le soin à ses équipiers d’enlever la bulle de toile gonflable et de remettre l’endroit à l’identique. Elle attendait le moment favorable pour présenter le nouveau-né à tout l’équipage. De retour dans sa cabine, elle reprit son journal intime, relatant son accouchement, ses sentiments de bonheur. Elle espérait que Jo s’habituait à sa nouvelle vie et qu’il avait retrouvé une activité professionnelle. Elle y inscrivit le nom qu’elle proposerait à l’équipage : Manovo. En virgo, cela signifiait « le fils de l’homme ». Dans un langage terrien, il pouvait signifier « l’homme nouveau ».
Quelques jours plus tard, il y eut une effervescence dans le service de néonatalogie. Les cinq bébés de Jo et Mara furent extraits à tour de rôle de leurs incubateurs, trois filles et deux garçons. Tous se portaient à merveille. Mara et Specula avaient assisté à leur naissance. Leurs noms avaient été déterminés selon les règles habituelles du peuple virgo : Polinia, Fidelio, Delicia, Bonati, Nobilia. Les jours suivants, chaque bébé avait bénéficié de la pose chirurgicale du boîtier abdominal, geste routinier pour les chirurgiens virgo. Mara exprima à nouveau ses sentiments de bonheur et tout l’amour qu’elle éprouvait pour Jo, en espérant des retrouvailles futures. Elle finissait son message sur cette note optimiste, promettant un contact ultérieur avant la fin du voyage.
Jo fut très touché par ce message émouvant. Il était très heureux de la naissance de ses six enfants et de la bonne santé de Mara. Il constatait qu’elle gérait le voyage retour avec son assurance habituelle de commandante. Aram avait assisté à la communication, sans parler, souriante et en admiration devant les progrès techniques exceptionnels de la télécommunication interstellaire, son domaine favori. Jo était joyeux, ému par cette première apparition de Mara.
« Ouest-France du 20/07/2023 : tsunami sur les côtes de Sumatra et de java. Dégâts importants. Nombreuses victimes. »
Pour fêter la naissance de ses six enfants, Jo mit une bouteille de champagne au frais. Les actualités télévisées n’apprenaient rien de bien nouveau. Le climat politique était le reflet de la grogne générale. Les Français râlaient, ce qui était bon signe. Un Français qui ne râle pas est un Français mort ou endormi. Grèves et manifestations jalonnaient le pays, se terminaient par des violences, orchestrées ou pas, avec des groupes extrémistes infiltrés ou non. Les élections présidentielles approchaient. Les candidatures se multipliaient. Les débats télévisés se succédaient. Mais Jo se tenait éloigné de cette agitation pour garder sa sérénité.
À l’échelon mondial, ce n’était guère plus réjouissant. Chaque jour, une nouvelle catastrophe faisait la une. Tantôt un ouragan générait des dégâts matériels et de nombreuses victimes, tantôt un volcan se réveillait et nécessitait l’évacuation de populations. Ce soir-là, un séisme en Indonésie avait provoqué un tsunami sur les côtes de Sumatra et de Java. Des conflits armés faisaient rage en Afghanistan, au Sahel, en Irak et au Yémen, opposant les forces étatiques et les rebelles extrémistes. Jo se contentait des titres, car les informations étaient tous les jours du même acabit. Il regarda un documentaire animalier tout en dégustant son verre de champagne, à la santé de Mara et de leurs enfants.
Quelques jours plus tard, il reçut la visite de la gendarmerie nationale et des services secrets. Trois techniciens qualifiés faisaient partie de la structure Frenchelon, système français de surveillance de l’espionnage des télécommunications sous l’égide de la DGSI. Ils voulaient explorer sa propriété pour des raisons de sécurité. Jo subit un interrogatoire très poussé avec enregistrement des échanges. Son dossier relatait une affaire internationale en relation avec un prétendu vaisseau spatial et une civilisation extra-terrestre. Leur enquête était liée à l’interception d’un message inhabituel centré sur son domaine avec des caractéristiques insolites. Le contenu du message n’avait pu être décrypté. La localisation ne faisait aucun doute. Jo fit l’innocent, faisant valoir son ignorance des systèmes de transmission.
La maison fut fouillée et contrôlée de la cave au grenier : les arrivées des câbles au sous-sol, le smartphone, l’ordinateur, la box, les activités Internet, les mots de passe, la messagerie. Un spécialiste de cybersurveillance s’intéressa au réseau Télécom et électrique. Il analysa les fréquences wifi, cherchant des preuves d’anomalies. Après plusieurs heures de recherche, ils inspectèrent le terrain avec des capteurs d’ondes pour étudier le flux entrant, des détecteurs de balises GPS, des micros émetteurs, des caméras. Ils passèrent le terrain à la caméra thermique et cherchèrent des paraboles et autres radars sur les arbres et dans les buissons.
Cette inspection dura plus de six heures. Le résultat fut négatif. Les gendarmes et les techniciens de la DGSI repartirent sans même s’excuser, précisant qu’ils continueraient à surveiller la zone. En montant dans la fourgonnette, un inspecteur leva les yeux vers le sud en montrant à son collègue une station relais de transmission qui se trouvait à 500 mètres. Ils allaient s’y rendre aussitôt.
À la nuit tombée, Jo se dirigea vers l’abri souterrain pour tenir Aram au courant de l’inspection de la DGSI. Elle minimisa l’affaire. L’antenne était rétractée et le local protégé de toute détection par une isolation sur le plan électromagnétique. Quant à la surveillance ultérieure, en l’absence de communications régulières, les services secrets abandonneraient rapidement leur vigilance. Mara ne ferait sans doute pas d’autres interventions avant plusieurs mois.
Jo profita de cette soirée calme pour converser avec Aram. Depuis son extrusion de la cabine, il était intrigué par la constitution physique de sa protectrice. Elle avait déclaré que Mara l’avait créée à son image, lui accordant la même constitution par un procédé ingénieux et complexe. Cette explication troublante lui évoquait un dédoublement de la personnalité. N’était-ce pas plutôt une production imaginaire de son propre esprit troublé par l’absence de Mara, une tentative désespérée de faire revivre son amour perdu, une thérapie inconsciente de la souffrance liée à la séparation de l’être aimé ? Mara l’accompagnait et son amour l’aidait à vivre ! Il voulait comprendre. Il la regarda dans les yeux :
— Aram, j’aimerais comprendre ta nature. Sur terre, une personne à l’image d’une autre, cela n’existe pas. Les plus similaires sont des sosies, des jumeaux ou des clones. Des techniques d’intelligence artificielle sophistiquée pourraient évoquer ce que les humains appellent un être bionique, voire humanoïde, un corps amélioré ou augmenté. J’ai du mal à classer ta constitution dans cette mouvance accélérée de l’évolution qui me donne le vertige.
— Je ne suis ni sosie, ni clone, ni bionique, ni humanoïde. Je suis simplement humaine, terriblement humaine, et toujours virgo.
— Explique-moi ce qu’est l’oxycytosynthèse et ses avantages.
— Littéralement, cela veut dire formation d’oxygène dans les cellules. Comme les plantes ont des chloroplastes pour faire de l’oxygène par la photosynthèse grâce à la chlorophylle sous l’action de la lumière, mes cellules contiennent une protéine qui capte l’oxygène du CO₂ pour le transférer aux mitochondries, centrale énergétique cellulaire, et libère le carbone. Son action se fait grâce aux rayons infrarouges. Une fois utilisé, l’oxygène redonne du CO₂, et ainsi de suite. Cet apport est en surplus de l’oxygène respiré et me donne une autonomie supérieure, une fonction musculaire plus importante, une capacité d’apnée prolongée, une production moindre de déchets et d’autres avantages.
— D’où te vient cette fonction que Mara ne possède pas ?
— Ne cherche pas à comprendre, car c’est impossible. Même en réalisant une autopsie ou une dissection de mon organisme, cette compréhension est hors de la compétence des Terriens. Seule Mara pourra te faire cette révélation. Il s’agit d’un domaine classé « secret majeur » dans notre peuple. Néanmoins, tu pourras découvrir peu à peu quelques aspects de ma physionomie. Je t’ai déjà donné quelques éléments qui n’ont pas éveillé ta curiosité. Je t’accorde aujourd’hui la faveur de découvrir la partie superficielle de mon anatomie, ma peau.
Sans aucune pudeur, elle se dénuda, laissant tomber au sol sa combinaison d’une blancheur immaculée. Jo se remémora la découverte initiale du corps de Mara quand elle avait changé de combinaison en sa présence. Le corps d’Aram était identique au sien avant sa métamorphose7. Aram mit ses mains sur les hanches, invitant Jo à explorer sa peau. Il avait été déçu par le contact de ses lèvres et craignait la même déception. Il lui saisit la main. Elle avait une peau lisse, d’une douceur comparable à celle d’un enfant, sans pilosité, parsemée de veines bleutées. Ses ongles étaient fins, d’une couleur rosée qui virait au blanc par une pression dosée. Elle possédait donc une circulation interne. Jo explora les bras et les avant-bras. Il caressa légèrement cette peau qui lui rappelait tant celle de Mara. Aram tressaillit à ce contact. Sa peau avait une sensibilité, une souplesse, une chaleur. Elle n’était pas factice.
— Tu vois bien que je ne suis pas artificielle ! dit-Aram.
Jo poursuivit son examen minutieux par le dos, fit un palper-rouler comme lors du massage de Mara. La peau avait la même élasticité et reprenait son aspect sans laisser de pli.
— Mara appréciait beaucoup cette technique, et moi aussi, j’adore.
— Elle t’en a donc parlé !
— Pas du tout ! Mara est discrète, mais cela fait partie des données de transmutations neuronales que j’ai reçues. Si ma mémoire est bonne, cette notion date des deux massages précédant sa transformation corporelle. Je n’ai pas eu l’occasion de bénéficier de ce genre de soins qui semblent si agréables. Un jour, peut-être ! Quant à la métamorphose, je suis encore trop jeune. La stimulation hormonale se fait vers 100 ans, c’est-à-dire bientôt.
— De toute façon, les spécialistes de la fécondation in vitro ne sont plus là ! De plus, la transformation de Mara était liée à son origine terrienne par sa mère, ce qui ne semble pas être ton cas.
— Cela reste à définir. Qu’entends-tu par origine ? J’aurais pu être sa sœur jumelle, mais ce n’est pas le cas. Par contre, les Virgo utilisent à merveille la technique RAPTER-mis8, que tu connais, pour l’introduction d’un gène d’utilité. Je ne sais pas si j’ai bénéficié de cette nouveauté. Je n’ai pas ces éléments en mémoire. Soit Mara a gardé les secrets de ma conception, soit ils m’échappent. Tu as aidé Mara à découvrir ses origines. Peut-être m’aideras-tu aussi à comprendre les miennes.
— Peux-tu me montrer tes pieds ?
— Tu es bien curieux, mais je n’ai rien à cacher.
Aram s’appuya contre le mur pour lui présenter ses plantes de pieds. Jo lui caressa la voûte plantaire. Elle était chatouilleuse et éclata de rire. Il put constater leur normalité, tant pour l’aspect que la texture. Il avait imaginé que l’apport d’énergie nécessitait une porte d’entrée, une sorte de prise ou de connexion. Il en fit la remarque, ce qui provoqua une réaction de dégoût et de désapprobation :
— Quelle horreur ! Je tiens à l’intégrité de mon organisme. Il n’est nul besoin de raccordement électrique. Les ondes ont la capacité de traverser la peau, et c’est tellement agréable !
Jo finit par l’observation du thorax et de l’abdomen. Aram n’avait pas de seins, mais elle avait un nombril. Cela voulait dire que sa conception avait nécessité un cordon ombilical, donc l’utilisation d’un incubateur, à moins d’une reconstitution de la peau à partir de cultures cellulaires sur un modèle d’impression 3D. Jo n’oserait jamais lui évoquer cette éventualité sous peine de subir ses foudres. Il lui demanda malgré tout si elle était le résultat d’une fécondation in vitro ou d’une culture de tissus cellulaires réassociés en organes spécialisés. Elle se contenta de répondre qu’elle n’avait pas assisté à sa conception, pas plus que lui-même. Elle ne connaissait donc pas ses parents. Elle considérait Mara comme sa conceptrice, son modèle, son autre moi. Seule Mara pourrait répondre à sa question, mais pour elle, cela n’avait aucun intérêt.
Par cette exploration de la peau d’Aram, Jo avait acquis un certain nombre d’éléments concernant ce qu’elle n’était pas, sans lui apprendre sa véritable nature. Il devait se résoudre à la découvrir peu à peu, comme elle l’avait annoncé. Pour montrer sa bonne foi et son désir de coopération, Aram lui proposa un premier indice :
— Toutes mes cellules sont de nature biologique.
« Télégramme de Brest, 12/12/2030 : De multiples incendies ravagent le brésil. »
Les mois passaient. Jo poursuivait sa profession sans relâche. Ayant peu de loisirs, il se retrouvait souvent dans l’abri souterrain. Aram lui tenait compagnie, surtout en fin de semaine et pendant les périodes de repos. Lui ayant laissé entendre qu’elle appréciait les massages, Jo lui en faisait régulièrement et il bénéficiait en retour de l’expertise grandissante de sa protectrice. Pour meubler le temps, Jo s’était offert une table de billard en pièces détachées qu’il avait installée dans la chambre à l’aide d’Aram. Elle était escamotable au plafond grâce à un système sophistiqué de câbles et de poulies. Après le jeu, le lit reprenait sa place habituelle. Ainsi, Jo avait initié Aram au snooker qui lui rappelait le temps passé dans le vaisseau spatial en compagnie de Mara. À sa grande surprise, les progrès de la jeune novice furent très rapides. Il la félicita. Elle répondit aussitôt :
— Je n’ai aucun mérite. J’ai les connexions neuronales de Mara qui était très expérimentée en la matière. Il me suffit de raviver les circuits mnésiques8 en adaptant la gestuelle du jeu.
Au cours du jeu suivant, les billes se trouvèrent dans une configuration identique à celle qu’il avait connue dans une partie contre Mara. Il mit Aram à l’épreuve :
— Je sais parfaitement ce qu’a fait Mara dans une telle circonstance. Tu devrais donc pouvoir jouer comme elle. J’écris sur ce papier le déroulement de l’action prévue pour contrôler après coup la similitude de la frappe et son résultat.
— Homme de peu de confiance, fit-elle. Pourquoi doutes-tu de Mara et de nos capacités communes ?
Elle se mit en position de frappe. La bille blanche rebondit sur une bande avant de percuter une rouge qui heurta une autre rouge. Cette dernière fut empochée après une trajectoire dans la diagonale. Tout s’était déroulé selon les prédictions de Jo, comme Mara avait joué dans le vaisseau. Il fut obligé d’admettre l’unicité des connexions cérébrales des deux jeunes femmes.
Une alarme retentit, annonçant une communication prochaine. Tous les instruments étaient en mode de réception, comme dans une routine familière. Vers 22 h, la transmission débuta sans difficulté. Le visage de Mara apparut en gros plan, resplendissant de son sourire éclatant et naturel. Comme lors du premier message, elle exprimait son amour à l’homme de sa vie, lui témoignant toute son affection malgré l’éloignement. Elle précisait que grâce à la présence d’Aram, elle restait en communion totale avec lui. Elle prenait soin des enfants, leur apprenant la langue française en plus de la langue virginale. Ils recevaient la même éducation de base que les autres enfants virgo. Ils avaient maintenant quatre ans. Elle leur passa la parole. Jo reconnut l’aire de repos, plaque tournante du vaisseau spatial.
Les six enfants étaient assis en cercle sur la surface, jouant et devisant entre eux. Leur position assise suggérait la présence d’une pesanteur liée à l’accélération du vaisseau. Chacun portait la combinaison grise usuelle sur laquelle était imprimée la première lettre de leur prénom. Quand la caméra se centra sur eux, ils se tournèrent instinctivement pour saluer leur père en clamant en chœur un joyeux « Hello papa ». Manovo menait les débats. Chacun tenait entre les mains son jouet préféré, fait de petites briques à tenons s’imbriquant les uns aux autres, aux multiples formes, tailles et couleurs. Manovo faisait une démonstration de son vaisseau spatial voyageant entre deux systèmes stellaires à 60 % de la vitesse de la lumière. Fidelio présentait sa navette spatiale, essentielle pour le transfert planétaire. Polinia tenait des figurines en forme de spationautes, Bonati, un moteur à fusion. Delicia et Nobilia avaient la responsabilité des services de néonatalité et de génétique en modèle réduit. Manovo prétendait que son vaisseau était le plus rapide de l’univers, tandis que Fidelio pensait en fabriquer un plus moderne, propulsé par un moteur fonctionnant à l’antimatière et capable de dépasser la vitesse de la lumière.
— Maman dit que c’est impossible. D’abord, l’antimatière se détruit au contact de la matière, et personne ne sait la stocker.
— Pourquoi rien ne peut aller plus vite que la lumière ?
— Dis, maman, pourquoi la fusion nous a sauvés ?
Les enfants étaient dans leur monde, posaient des questions sans attendre les réponses qu’ils avaient déjà reçues de nombreuses fois. Ils faisaient plaisir à voir, spontanés et impliqués dans leurs jeux innocents, mais déjà révélateurs des acquisitions intellectuelles d’un niveau élevé. Manovo lui révéla que Mara l’avait choisi pour être leur père en raison de son intelligence et de ses qualités affectives et de communication.
— Être humain et pas virgo, est-ce possible ? interrogea Bonati.
— Les Virgo sont plus humains que les Terriens, dit Fidelio.
Mara rappela à ses enfants qu’elle avait une ascendance terrienne et virgo, ainsi qu’eux-mêmes. Ils parlaient sans cesse :
— Pourquoi ne vivons-nous pas ensemble ? Pourquoi papa n’est pas là ? Pourquoi est-il resté sur la Terre ?
— Parce qu’il n’a pas de vaisseau spatial ni la fusion.
— Je peux lui prêter le mien.
— Dis, maman, pourquoi sommes-nous séparés par l’espace, mais proches par le cœur ?
— Parce que l’amour nous unit au-delà des distances !
— Pourquoi l’amour est dans le cœur ? demanda Nobilia.
— Moi, je crois qu’il est dans notre esprit, dit Delicia.
— Tu veux dire dans notre cerveau ? interrogea Polinia.
— Peut-être dans les neurotransmetteurs, fit Bonati.
— Moi, je crois que l’amour est dans notre personne tout entière, conclut Fidelio.
La conversation prenait une tournure délicate. Le cadreur fit un gros plan sur chaque visage avant de faire une vue générale de l’aire de repos. Jo aperçut brièvement Secunda et Specula qui lui souriaient en arrière-plan. Tous le saluaient et envoyaient des bisous qui allaient voyager à la vitesse de la lumière pour parvenir sur son récepteur quatre ans plus tard. Jo était en pleurs. Lui qui n’avait jamais pleuré de tristesse pleurait maintenant de joie. Aram partageait son bonheur, les bras autour de son cou. Elle lui déposa un baiser sur la joue.
Tandis que Jo se remettait de ses émotions, Aram rétracta l’antenne. Elle revisionna le message qu’elle avait enregistré, faisant des pauses sur image. Elle réalisa quelques captures d’écran transmises à l’ordinateur sous forme de photographies. Jo pourrait les visionner à loisir. Chaque enfant était représenté en gros plan. Mara avait bénéficié de nombreux clichés. Plusieurs photos de groupe immortalisaient le message.
« Le Monde du 22/09/2040 : Une éruption volcanique en Islande paralyse toute l’Europe. »
Après quelques années, Jo cessa son activité initiale pour se consacrer à des remplacements successifs dans diverses régions et à des formations spécialisées. Il ne parvenait pas à oublier Mara. Seul un soir, il rêvassait et pensait avec nostalgie au temps passé, espérant son retour prochain avec ses enfants. Craignant l’échec de la thérapie génique, il écrivit un poème adressé à son amour absent :
Quand tu seras bien vieille, au seuil de cette vie,
Reposée, allongée sur un moelleux divan,
Tu diras aux enfants, à l’heure du bilan :
« Il me courtisait hier et me trouvait jolie.
Il m’adorait vraiment, m’aimait à la folie.
Voyez ce qu’il reste de cet amour d’antan :
Quelques vers et lettres imprimés sur l’écran
Que je lis chaque soir avec mélancolie.
Son âme a libéré sans le moindre remords
Ses organes, ses os, les restes de son corps… »
Et tu seras alors, très belle vieillissante,
Heureuse à la pensée de le voir revenir,
Un instant, réveiller un si beau souvenir,
Aux pieds de son aimée, âgée, mais ravissante.
Par ces quelques vers, inspirés de Ronsard et en hommage au poète, Jo exprimait ses craintes de ne jamais revoir Mara ni de connaître ses enfants. Il lui adressait ce message posthume qu’elle pourrait leur communiquer, lui déclarant la persistance de son amour. Son inquiétude était réelle. Mara reviendrait-elle ? Définitivement ou non ? Avec ou sans les enfants ? Serait-il encore vivant ? La greffe de cellules souches avec allongement des télomères9 serait-elle un succès, lui conférant une prolongation de vie, semblable à celle de Mara ? N’avait-elle pas envisagé la conception d’Aram comme un succédané en raison d’un retour impossible ?
Pour se rassurer, il se dirigea vers l’abri souterrain, espérant recueillir l’éclairage d’Aram. Elle sortait de son armoire énergétique où elle venait de faire sa cure de jouvence. Elle le reçut aimablement, lui faisant comprendre que ses visites lui manquaient et qu’elle aimait sa présence. Au sujet de la thérapie génique, elle accordait toute sa confiance aux Virgo. Cette méthode avait eu de très bons résultats sur d’autres mammifères. Il n’avait aucune raison de s’inquiéter. Mara ne faisait jamais rien à la légère. Il suffisait d’être patient. Plus le temps passerait, plus le succès serait vérifié, formule digne de La Palice qu’Aram ne connaissait pas.
Jo l’interrogea à nouveau sur sa constitution et son rôle de protectrice. En quoi avait-il besoin d’être protégé et quelles capacités avait-elle pour cette fonction ? Elle répondit que pour l’instant tout s’était bien passé, mais l’inspection de la DGSI aurait pu engendrer des problèmes. Elle était persuadée qu’il fallait se méfier de l’avenir, car Mara l’avait mise en garde sur plusieurs points : sa fragilité, les difficultés de la vie, les agressions imprévues, l’insécurité de la planète, la versatilité des Terriens.
— Fais-moi confiance, mon ami ! Je ferai face à la situation.
Nouvelle surprise, Aram le qualifiait d’ami. Voyant la perplexité de Jo, elle précisa.
— Nous sommes unis pour le pire et le meilleur. L’avenir nous le montrera. Ton baiser sur la joue était le signe de l’amitié. Pour confirmer ce lien, je te propose de sortir de l’abri et de faire un tour sur la planète pour nous changer les idées, demain au lever du jour.
Jo passa la nuit dans la chambre secrète, dans ce lit où Mara l’avait déposé. À son réveil, il perçut une présence à ses côtés, une main qui lui caressait les cheveux, très légèrement, d’un geste doux. Elle souriait. Ce n’était pas Mara.
— Je t’ai entendu appeler Mara dans ton sommeil. Je suis venue vers toi. Tu étais agité, mais tu t’es calmé dès que j’ai pris ta main. Ton sommeil est devenu serein. À présent, il est temps de partir.
Aram se leva, lui conseilla de manger quelques gâteaux et d’emporter quelques aliments. Jo voulut boire un jus d’orange, mais son local ne disposait pas de couverts, ni de vaisselle, ni de presse-citron, tout juste un verre. Il devrait y remédier. Sans hésiter, Aram saisit l’orange et le verre. De sa main droite, elle pressa le fruit mûr pour en extraire tout le jus sans l’éplucher, sous le regard étonné de Jo. Il pensa aussitôt à leur discussion de la veille. Aram le regarda dans les yeux. Il lut dans son regard l’expression des capacités qu’elle pouvait déployer pour l’aider. Ce petit geste n’était qu’une infime démonstration de ses aptitudes. Dès l’envol, Jo actionna la commande de l’ascenseur et le local disparut sous terre.
Il exprima ses craintes d’être repéré par les radars. Aram lui montra le voyant rouge de protection active du champ magnétique. Il pouvait observer la planète à loisir. En cette fin d’été, le soleil était déjà haut sur l’horizon est. Aram avait-elle un but précis ?
— Où m’emmènes-tu ?
— Nous nous dirigeons vers l’Islande et le Groenland. J’aimerais observer un ours polaire, symbole des espèces en voie de disparition.
— Rien que cela ! Mais comment connais-tu la direction à prendre ? Tu n’as jamais quitté le réduit souterrain ni visité la Terre.
— Je possède les données neuronales de Mara. De plus, j’utilise mes longues journées à m’instruire pour compléter mes connaissances. Mara a eu la bonne idée de m’attribuer un ordinateur dernier cri. Enfin, ce tableau de bord possède un système de géolocalisation.
Le dravione évoluait à grande vitesse. Il venait de traverser le courant-jet polaire dont les vents circulaient d’ouest en est, créant par endroits des tourbillons violents. Ces conditions extrêmes de vol ne perturbaient aucunement la pilote qui poursuivait son objectif. Ils survolaient déjà le plus vaste glacier d’Islande, entre un stratovolcan et un massif volcanique. Une éruption explosive venait d’avoir lieu. Un grand panache de cendres, de fumerolles et de gaz s’élevait à plusieurs centaines de mètres. Jo soupçonnait Aram d’être au courant de cet événement et ne croyait pas au hasard de se trouver là au bon moment. Les retombées brûlantes faisaient fondre une grande partie du glacier, provoquant des torrents bouillonnants d’eaux boueuses, charriant des blocs de roches et de glaces en contrebas. D’immenses lacs se constituaient en aval. Ils s’éloignèrent rapidement pour éviter les projections explosives vers des régions plus calmes.
En quittant le Détroit de Danemark où ils avaient pu observer le déplacement gracieux d’un groupe de baleines, ils aperçurent les côtes sud du Groenland. Sur la carte de géolocalisation, Aram indiqua une zone dénommée Kulusuk. Le dravione perdit de l’altitude pour l’observer. Un énorme glacier se dressait devant eux. La paroi de glace blanche était parsemée de zones aux couleurs terreuses. Le champ glaciaire était strié de crevasses profondes, de pics acérés, de rivières et de torrents aux couleurs bleutées, creusant de profonds moulins pour rejaillir plus loin et se jeter dans la mer. Le dravione fit face à la paroi abrupte du glacier. Aram annonça sa rupture prochaine :
— Les Virgo ont une vision élargie dans l’infrarouge proche. Grâce à cette aptitude, je distingue des fissures. La petite différence de température les rend perceptibles. Regarde bien la partie centrale.
Le dravione fit du surplace. Ils observèrent pendant quelques minutes. Soudain, dans un fracas assourdissant, un bloc de glace énorme se détacha de la paroi pour plonger dans la mer, provoquant une immense vague. Les débris étaient ballottés à la surface de l’eau au gré des ondulations. Cette fracture laissait sur la paroi verticale une grande cicatrice aux reflets bleutés contrastant avec le reste du glacier. La fonte des glaces se poursuivait, s’accélérait. Le constat était terrible. Pour se remonter le moral, Aram avait décidé de rechercher l’ours polaire. Elle dirigea le dravione un peu plus au nord, vers une banquise repérable à distance. Réduisant la vitesse et l’altitude, ils scrutèrent la surface pendant vingt minutes avant d’apercevoir un mouvement. Aram le reconnut aussitôt à sa démarche calme et lente. Sa couleur crème le dissimulait dans cette vaste étendue de glace. Il se dirigeait vers le bord de la banquise pour plonger dans l’eau, sans doute à la recherche d’un phoque pour apaiser sa faim. Ils le suivirent des yeux quelques instants et s’éloignèrent en direction de leur abri souterrain, espérant l’atteindre avant la tombée de la nuit.
— Jo, je suis heureuse d’avoir fait ce voyage avec toi. Je désirais ce partage depuis longtemps. C’est ma première exploration de ta planète et je ne suis pas déçue. Je la trouve très belle et troublante.
— C’est aussi mon avis. Je te trouve très belle et troublante.
La réponse avait été spontanée. N’allait-il pas le regretter ? Il s’était demandé le but de ce voyage. Était-ce pour admirer la beauté de la terre ? Le trajet en dravione paraissait démesuré pour assouvir le simple désir de découvrir l’ours blanc. Certes, cet animal majestueux était en voie de disparition. La fonte des glaces aggravait la situation, mais c’était une réalité connue de tous.
L’ours polaire, se dandinant sur la banquise,
Cherchant à survivre dans cet espace blanc,
Monde d’eaux et de neige à la blancheur exquise,
Accusait les hommes qui n’avaient pas de plan.
L’observation d’un volcan en éruption était un spectacle grandiose et captivant. Voulait-elle lui faire prendre conscience des conséquences sur l’environnement ? Bien sûr, il avait été très impressionné par la fracture du glacier, impliquant son recul et la montée progressive des eaux. Il était conscient de tous ces éléments connus du monde entier, consultables sur Internet, transmis et retransmis en boucle à la télévision. Le phénomène n’était plus un secret, même si l’humanité fermait les yeux. Voulait-elle mener son enquête et transmettre à Mara les données actualisées sur l’évolution de la planète ? Elle n’avait pas besoin de sa présence pour cela. Était-ce pour sceller cette nouvelle amitié comme elle l’avait exprimé la veille au soir ? Aram lui en fournit la réponse. Elle se tourna vers lui, lui prit la main avec douceur.
— Mara aimait te prendre la main, et réciproquement, me semble-t-il.
Jo ne fit pas de commentaire. L’abri souterrain était proche.