Maradona - Diana Linda - E-Book

Maradona E-Book

Diana Linda

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Beschreibung

Parti de Naples pour échapper à un avenir criminel tout tracé, un jeune garçon surnommé Maradona parcourt l’Europe à la fin des années 80. Drogue, sida, et débrouille font partie de son quotidien et des milieux interlopes qu’il fréquente. Il passe un certain temps à Bruxelles, où il exerce un métier insolite : « le Magliaro », terme italien presque intraduisible dans une autre langue. Ce mot regroupe l’idée de vendeur porte à porte et de petit arnaqueur qui se fait passer pour un représentant commercial. Bien souvent, il s’agit de vendre des contrefaçons. Le lien avec la Camorra, la mafia napolitaine, est inévitable. Parviendra-t-il à échapper à son destin ?


À PROPOS DE L'AUTEURE


Fascinée par l’humain et passionnée par les destinées improbables, réelles ou fictives, Diana Linda a commencé à écrire des poèmes à l’âge de treize ans. Engagée dans l’humanitaire, elle a séjourné dans de nombreux pays tels le Nicaragua, le Pakistan, ou l’Afghanistan. Depuis vingt ans, elle vit en Inde où elle enseigne dans les universités de Mumbai, Pune et Indore. L’écriture est restée présente toutes ces années et l’aide à combler cette inextinguible envie de comprendre les hommes et leurs histoires personnelles.

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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Diana Linda

Maradona

Le Magliaro

Roman

© Lys Bleu Éditions – Diana Linda

ISBN : 979-10-377-8648-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Dédié à mes amis de Bruxelles, Naples et Mumbai.

Grâce à eux, j’ai pu découvrir des univers fantastiques.

Ce livre, certes inspiré par la vie napolitaine, est une histoire de pure fiction. Les personnes et les événements sont fictionnels. Toute ressemblance avec des personnes ou des événements réels ne saurait être que fortuite.

1èrepartie

 

 

 

 

 

Chapitre 1

Enfin libre, papillon

 

 

 

Maradona regarda juste un instant les portes se refermer derrière lui. C’étaient d’imposantes portes en bois, peintes en vert canard, entourées de murs gris. Pensée fugitive qu’il ne fallait plus jamais passer par là. Enfin libre, après 5 longues années, et il avait juste envie de marcher, de courir droit devant lui. Il se sentait léger, toujours jeune, avec ses 28 ans. Pour l’occasion, il avait enfilé son jeans délavé et sa chemise noire qu’il portait avec les manches retroussées, semi-ouverte, laissant échapper une chaîne en or avec une croix. Une ceinture en cuir brun munie d’une étrange boucle argentée avec une tête de méduse retenait son jeans, un peu trop grand pour lui. Maradona devait son surnom illustre à ses cheveux châtain foncé, mi-longs et tout bouclés, qui, rebelles, retombaient sur l’avant droit de son visage. Son vrai nom était Maurizio Esposito, mais depuis au moins 10 ans, presque personne ne l’appelait plus ainsi.

Trois improbables bracelets en fine cordelette de cuir et perles noires se balançaient au rythme de ses pas et recouvraient en partie le tatouage d’un tout petit papillon, au poignet. Il retira de son sac de sport des lunettes rondes à la John Lennon et arbora finalement un sourire victorieux. Il se sentait beau et irrésistible, pour conquérir le monde, sa ville, son futur et les filles aussi.

Personne n’était venu le chercher en cette chaude après-midi d’août 1988 à sa sortie de la prison Poggioreale de Naples. Il n’avait averti personne sauf sa mère. Et sa mère l’attendait à la maison. Le reste du monde pouvait attendre. Bien sûr, il avait envie de revoir sa mère, et aussi son fils, qui probablement ne le reconnaîtrait pas. Mais ces premiers instants de liberté, tant attendus, il avait envie de les savourer tout seul, de respirer cette odeur si particulière de sa ville, de sentir la chaleur envahir son corps, de redécouvrir chaque rue, de reconnaître le bistrot où il allait jouer au flipper, le garagiste à qui il avait parfois revendu des motos volées, le glacier où il s’enfilait 5 boules de glace à la framboise après avoir fumé un joint.

Les rues étaient torrides et désertes, les Napolitains n’aimaient pas s’aventurer dehors durant les chaudes après-midis d’été. Par ailleurs, au mois d’août, Naples était presque une ville fantôme. Les habitants s’en étaient échappés pour aller peupler les nombreuses plages des îles ou de la Costiera Amalfitana. Un kilomètre et demi séparait la prison de Poggioreale de la maison de sa mère.

Maradona prenait tout son temps. Il avait cru que ce moment n’arriverait jamais. Il avait atteint la place Nationale, reconnut les bancs et les arbres, surtout son arbre à lui. L’arbre où il avait élu domicile, il y a plus d’une dizaine d’années. Il s’y réfugiait dans les hautes branches, quand il voulait rester seul. C’était en haut de son arbre qu’il allait écouter sa chanson préférée de Bob Dylan, « Men gave names to all the animals ». Là, qu’il allait écouter la musique populaire napolitaine et le dernier chanteur qui faisait rêver toutes les filles et les garçons de Naples : Nino d’Angelo. Nino d’Angelo avait une histoire particulière : il était parti de rien, avait quitté l’école encore enfant, avait grandi dans la misère, fait les petits boulots les plus divers comme glacier près de la gare centrale et puis grâce à son talent, il était parvenu au sommet des hit-parades. Nino d’Angelo et sa chanson « A storia mia » (mon histoire) racontait l’histoire d’un petit garçon qui avait volé un sac à main et qui s’était fait arrêter par la police. Pour sa défense, il avait expliqué que c’était pour essayer de sauver sa mère gravement malade. Une chanson très émotionnelle, mais qui rendait bien un certain vécu napolitain, où pour s’en sortir, beaucoup étaient acculés au crime. Nino d’Angelo était à la fois un héros et une fantaisie, il racontait la réalité en déchirant les cœurs et en leur donnant en même temps l’espoir que tout était possible : la réussite, l’argent et le succès.

Là-haut, perché sur ses hautes branches, Maradona avait l’habitude de lire le journal presque tous les jours, depuis la première page jusqu’à la dernière. C’était là qu’il avait fumé ses premières cigarettes, son premier joint, à juste 9 ans. Là aussi, où il s’était injecté ses premières doses d’héroïne, où il cachait sa dope et les premières chaînettes en or volées. Bref, son arbre, c’était un peu son parcours de vie. Les quelques planches qu’il avait jadis clouées pour faire une petite plateforme n’étaient plus là. Restaient juste les inscriptions gravées, témoins de ses premiers amours et de ses premières peines de cœur. Tout était comme il l’avait laissé. Il s’assit au pied de l’arbre pour fumer une cigarette. Des seringues usagées parsemaient le sol. La vie avait continué pareille à elle-même. Visiblement, l’héroïne continuait ses ravages. Mais il n’en avait pas envie. Il était clean, avec désormais comme seule addiction, ses cigarettes Marlboro. Il n’allait pas retomber dans tout ça. Il avait eu tout le temps pour penser, se remémorer ses erreurs, et comprendre qu’à n’importe quel âge, chaque erreur comporte son addition. Il n’y a pas de pardon dans cette putain de vie. Et il n’y a pas de pardon pour l’ignorance ou la naïveté non plus.

À dix ans, Maradona avait commencé à manquer régulièrement l’école. Sa mère ne s’aperçut de rien jusqu’à la fin de l’année et puis quand il lui avait promis qu’il n’allait plus recommencer, elle l’avait cru pour 10 mois de plus. Il avait pris l’habitude de se préparer chaque matin comme s’il devait aller à l’école. L’école n’était pas loin, à juste 15 minutes à pied. Sa mère ne l’accompagnait plus. Elle n’avait pas le temps. Maradona ne détestait pas l’école, il était turbulent, vif et intelligent. Il aurait sans doute pu faire de hautes études sans trop de problèmes, il retenait tout, était particulièrement doué pour les langues, et avait un réel talent pour l’écriture, la synthèse, et aussi la récitation. Cependant, l’aventure de la rue l’excitait bien plus que les livres et personne n’était là pour le rattraper ou l’obliger à étudier. Soigneusement, chaque matin, il s’habillait et mettait ses cahiers dans son sac. Il avalait ses tartines à la confiture de framboise et son chocolat chaud en vitesse comme s’il ne fallait pas se mettre en retard. Il jouait le parfait élève qui ne devait pas rater 5 minutes de classe. Il claironnait un ciao et dévalait les escaliers de son immeuble. Arrivé en bas, dans la cour de l’immeuble, il cachait soigneusement son sac dans une petite cave poussiéreuse et malodorante où personne n’entrait jamais.

Au début de ces années 70, sa mère était bien trop occupée avec son nouvel amour, Marco, qui deviendrait quelques années plus tard son mari. Marco était un avocat spécialisé en droit pénal, qui, en réalité, à l’insu des enfants, prenait soin de toute la famille Esposito même si la mère s’évertuait encore à vendre des sous-vêtements en dentelles à ses amies et connaissances. Quant à son vrai père, Siddar, Maradona ne l’avait jamais connu. Il savait juste ce que sa mère lui avait raconté. Un riche homme d’affaires en import-export de meubles, originaire du Rajasthan, vivant à Bombay, qui avait fait trois enfants à sa mère et n’en avait reconnu aucun. De l’autre côté du monde, dans la mégalopole indienne, son père avait une autre famille : deux garçons, deux filles et une femme qui ignoraient tout de l’existence d’une belle famille italienne. Un jour, piqué par une curiosité coupable, comme s’il trahissait l’amour de sa mère, il avait fouillé à son insu dans les tiroirs de sa table de nuit. Il avait trouvé quelques photos noir et blanc, jaunies par le temps, de sa mère et son père ensemble. Ils avaient l’air heureux. Il avait observé l’homme sur les photos avec un sentiment proche de la haine et se jura de ne jamais essayer de le retrouver. Pourtant, il ne put s’empêcher de se reconnaître derrière ses traits. Quelque chose de trop familier dans l’expression rieuse de ses yeux noirs, de la semi-courbe de ses lèvres, de ses cheveux bouclés. Sans savoir pourquoi, il garda une des photos, qu’il cacha dans sa chambre, à l’intérieur d’une pochette d’un disque des Pink Floyd, The Dark Side of the Moon.

Très tôt, Maradona était resté seul, livré à lui-même. Ses deux grandes sœurs, de 4 et 5 ans ses aînées ne s’occupaient guère de lui. Elles aimaient leur frère, mais ne s’aperçurent pas du moment de non-retour. Elles ne virent ni les signes ni les alarmes. Ainsi, à dix ans, Maradona avait commencé à fréquenter les garçons de rue, de son âge ou un peu plus âgés. D’abord, c’était relativement innocent, ils se retrouvaient pour jouer au ballon, aux cartes et écouter de la musique. Puis, plutôt par jeu, lui et ses quatre meilleurs amis, Nino, Ciro, Pino, et Enrico, avaient commencé à traficoter des cigarettes de contrebande. C’était les grands qui leur avaient proposé de gagner un peu d’argent de poche, sans risque, disaient-ils.

La contrebande était en quelque sorte un phénomène culturellement accepté à Naples même si le trafic était organisé par les bandes mafieuses locales, la Camorra et autres « Paranze »1 reliées et financées par la mafia sicilienne. En fait, Napolitains, Marseillais et Siciliens se partageaient le gâteau de la contrebande. Les routes de contrebande existaient depuis le 19e siècle. La majorité de ces navires naviguaient sous pavillon de complaisance et étaient immatriculés dans des entreprises off-shore. Dans les années 60-70, les navires avec en moyenne chacun 35 000 ou 40 000 caisses de cigarettes partaient de la Grèce, des Balkans ou d’autres ports de la méditerranée, et s’arrêtaient au large des côtes italiennes pour décharger leurs cargaisons sur des « motoscafi blu » (les vedettes bleues). Ces vedettes étaient appelées ainsi, car elles étaient toutes peintes en bleu marine, couleur de camouflage, pour échapper aux yeux vigilants des gardes côtières.

Les cigarettes de contrebande, c’étaient les cigarettes qui arrivaient, sur ces vedettes très rapides, à la nuit tombée. Les hors-bords s’approchaient au milieu de la nuit, à toute vitesse, des plages désertes où seuls les contrebandiers les attendaient. Ils balançaient les boîtes les unes après les autres, certaines n’arrivaient même pas sur la terre ferme et flottaient sur l’eau, bien emballées dans du plastique. Les gamins couraient et nageaient pour les rassembler et les charger sur des camionnettes qui les emmenaient dans des arrière-cours et dans des entrepôts à quelques dizaines de kilomètres des plages. La machine était bien rodée ! Dès les jours suivants, ces cigarettes se vendaient un peu partout à Naples, au coin des rues, sur les marchés, mais même dans des points de vente tout à fait inimaginables comme les hôpitaux et les écoles, presque à la moitié du prix officiel. Bref, la contrebande était partout et donnait à manger à quelque 50 000 familles. C’était une digne alternative au chômage avec le politique finement entrelacé à la Camorra. En fait, la Camorra profitait de la crise économique et quelque part permettait de contenir des troubles sociaux. Non seulement des pêcheurs se convertissaient en contrebandiers, mais aussi des personnes qui perdaient leur boulot dû à la désindustrialisation des années 70, des retraités, des étudiants, des mères de famille.

Maradona et ses copains ignoraient bien évidemment toutes ces considérations. C’était juste un boulot simple qui comportait la bonne dose d’adrénaline pour des enfants de 10 ou 11 ans. Avec l’argent qu’ils gagnaient, ils s’achetaient de l’herbe et de beaux t-shirts. Et puis, tous les cinq, se sentaient des boss. Ils se sentaient importants. Ils avaient des sous dans leurs poches, roulaient des mécaniques. Ils se sentaient des hommes.

Leur situation était bien différente de la chanson de Nino d’Angelo. Ils ne devaient sauver ni leur mère ni leur famille et l’argent gagné n’était certes pas donné à leurs parents pour leur survie. Tout au contraire ! Ils s’évertuaient à échafauder des plans de mensonges afin que personne ne se doute de rien. Leurs parents manquaient d’imagination ou d’intérêt. Quand ils devaient faire leurs virées nocturnes, ils s’organisaient tous pour dire qu’ils dormaient les uns chez les autres. Maradona expliquait à sa mère qu’il allait jouer avec son copain Ciro et qu’il serait plus pratique de rester dormir là-bas. Les autres garçons, Nino, Ciro, Pino, Enrico donnaient tous le même genre d’excuses et ils terminaient leur virée dans des entrepôts abandonnés, dormant à même le sol, se serrant les uns contre les autres dans de vieilles couvertures trouées.

Voilà, celles-ci étaient ses premières années de transgression, plutôt un jeu. Ça aurait pu être juste une petite erreur de parcours, sans conséquence. Mais les gosses avaient appris à fréquenter les caïds, voulaient les copier et faire les mêmes choses. Tout doucement, l’herbe ne leur suffisait plus.

Un jour, ils étaient avec les grands dans un hangar abandonné. Maradona avait 13 ans. Assis en cercle, le papier argenté passait de mains en mains, et eux aussi ont voulu essayer, ne fût-ce qu’une petite bouffée, qui paraissait bien innocente. La poudre rose brune, celle qui vous emmenait plus loin. Maradona vomit cette toute première fois sous le regard mi-amusé, mi-réprobateur des grands. L’un d’entre eux, Zaza, lui souffla même à l’oreille :

« Ne touche pas à cette merde, regarde où elle m’a emmenée ! »

Zaza lui montra son sourire édenté et son crâne à moitié chauve.

« Tu vois petit, ça, c’est dame héroïne, d’abord elle t’emmène au paradis et puis en enfer. Mais en enfer, tu y restes. Tu ne revois plus jamais le paradis. »

« Zaza, s’exclama Maradona, mais ne t’inquiète pas ! C’était juste pour voir ! D’ailleurs, c’est dégueulasse, j’aime pas. »

« Bien sûr, Maradona, tu n’aimes pas ! Ils disent tout ça la première fois ! Moi aussi j’ai dit ça. J’étais comme toi, il y a dix ans ! »

Puis Zaza ne parla plus, il s’enfonça dans son trip. Finalement, rien ne lui importait vraiment.

Maradona était toujours assis au pied de l’arbre, dans une sorte de méditation. Un vieil arbre, très grand, très fort. Un arbre, dont il ignorait le nom. C’était juste son arbre comme ses copains avaient l’habitude de l’appeler : l’arbre de Maradona. Il se rappelait tout ça avec un sourire en coin. Bien des années s’étaient écoulées depuis ce jour-là. Certes, il avait vécu des moments formidables. Mais Zaza avait eu raison ! Lui aussi était tombé dedans, et jusqu’au cou, on pourrait dire. Pas de merci. L’héroïne n’avait épargné personne ces années-là. Une génération décimée. Il regarda l’intérieur de ses bras, observa les anciennes cicatrices, et les longues traînées bleuâtres. Partiraient-elles un jour ? De la fumette à la paille, il avait vite basculé dans le plus hard, le plus redouté aussi : le shoot. Le paradis était fulgurant ! Ce n’était plus une lente ascension. C’est une fusée ! L’intensité se dédoublait. Il montait souvent dans son arbre pour cette bombe magique : parfois, il cachait cuillère, citron, seringue au sommet de l’arbre, dans les interstices. Il utilisait le citron jusqu’à la putréfaction, lorsque celui-ci exhalait une odeur pinçante, acariâtre. Mais voilà, la dame rose coûtait cher et la petite contrebande ne suffisait plus. Nino, Pino, Ciro, Enrico et lui y avaient tous succombé. Donc ils avaient dû s’organiser. Les chapardages se sont mués en vols. Et l’innocence s’envolait. S’ils ne réussissaient pas à se procurer leur dose à temps, leurs corps souffraient le martyre. Il fallait coûte que coûte trouver chaque jour l’argent de la came, par n’importe quel moyen. La seule chose que Maradona ne fit jamais, c’était voler sa mère. Il la vénérait comme une déesse. Il préférait voler dehors, courir le risque de se faire attraper par la police plutôt que de voler même une simple boucle d’oreille à la maison. Voilà, c’étaient ses principes. Il aurait pu mourir, mais il ne les auraient jamais transgressés. Il apprit l’art du pickpocket discret, puis du pickpocket forcé. Et puis, de fil en aiguille, il avait commencé à trafiquer, de l’herbe, des pilules, de la poudre. C’était tellement plus facile. Maradona repassait en vitesse éclair les étapes de sa vie. Puis retourna plus en arrière encore, quand il avait 8 ou 9 ans, aux jours où sa mère l’emmenait au cinéma de quartier, « la sala Iride » et le laissait là-bas avec un bisou sur le front.

« Je reviens te chercher dans deux heures, mon chéri, amuse-toi bien, c’est un film formidable. »

Et elle partait rejoindre son amant, Marco. À la fin du film, Maradona la guettait, assis sur les marches du cinéma. Invariablement, elle arrivait une ou deux heures en retard. C’est ainsi qu’il connut un jour son ami Nino, le fils de la caissière, qui traînait aussi autour du cinéma, en attendant sa mère. Est-ce à ce moment-là que le destin s’était mis en route ? Il ne saurait le dire. Ou peut-être, le destin avait démarré à sa naissance : Maradona né Maurizio, à Naples, le 15 octobre 1960, de père inconnu. Bâtard. Certainement, il haïssait son père avec la même vive intensité qu’il adorait sa mère. Perdu dans ses pensées et perplexe, il regardait le ciel bleu sans vraiment le voir. Puis, il se ressaisit, écrasa son mégot, et sauta sur ses pieds.

Il savait qu’il aimait l’argent facile et la liberté. Sans diplôme, sans même un certificat d’école primaire, la tâche allait s’avérer ardue. Mais le mot impossible n’existait pas dans son vocabulaire. Maradona avait de l’énergie à revendre et ne baissait jamais les bras. Il vivait dans ses rêves comme il avait vécu dans son arbre.