Marianne et les brigades du vent - Nicolas Vidal - E-Book

Marianne et les brigades du vent E-Book

Nicolas Vidal

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Beschreibung

En 2080, dans un monde hyper connecté, les individus sont divisés en deux catégories : les simples citoyens et les élus qui gouvernent la société. De grandes crises sanitaires accélèrent le recueil d’informations de toutes les personnes par la mise en place de passeports de santé. C’est ainsi qu’un nouveau stockage de données, nommé Marianne, se développe. Implantée en chaque individu, Marianne est au cœur du système et est reliée au grand réseau Agora et au gouvernement de l’Union. Face à ce monde du contrôle et de la surveillance généralisée, les brigades du vent, groupes de résistance, se forment pour en finir avec Marianne et son monde.


A PROPOS DE L'AUTEUR
Dans un contexte de confinement dû à la crise sanitaire liée à la Covid-19, Nicolas Vidal s’est laissé imaginer l’évolution de la société si les pouvoirs en place instrumentalisaient la santé pour accentuer le contrôle social et favoriser davantage l’enrichissement des classes dirigeantes.

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Seitenzahl: 297

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Nicolas Vidal

Marianne et les brigades du vent

Roman

© Lys Bleu Éditions – Nicolas Vidal

ISBN : 979-10-377-5573-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

1

Quelque part à Toulon en 2080

« Il est sept heures et sans plus attendre la météo de ce dimanche 21 janvier… »

Les yeux d’Arthur s’ouvrent puis se referment. Il soupire, se recroqueville dans son lit.

« Il va faire très froid dans le sud-est mais le soleil sera présent. »

Ses doigts palpent, touchent le radio-réveil, s’agitent autour de l’appareil en cherchant à atteindre le bouton pour l’arrêter. Enfin il le trouve. Le silence revient.

Arthur s’agace d’avoir oublié la veille de l’éteindre.

Il essaie de se détendre afin de retrouver le sommeil. Ses yeux se ferment, son corps se relâche mais ça s’active déjà dans sa tête. Des pensées, des questions se bousculent dans son esprit. Sachant dorénavant qu’il ne réussira pas à se rendormir.

Il se lève, se rend vers le frigo, ouvre une bouteille de jus de fruits, en boit une gorgée et s’assoit.

Il hésite à se recoucher puis pose ses coudes sur les genoux et se prend le visage dans les mains. Se demandant comment occuper cette journée de repos.

Ses yeux observent cet habitat exigu qui lui sert de lieu de vie. Une pièce aux murs blancs d’environ vingt mètres carrés composée d’un lit clic claque, d’une table, de quatre chaises, d’un meuble contenant quelques bibelots, une armoire pour ses vêtements et une cuisine équipée. À côté une petite salle de bains avec un lavabo et une baignoire que surmonte une petite fenêtre.

Ce matin-là, il se sent à l’étroit dans son corps. Se sentant étouffer. Il voudrait déchirer ses chairs, sortir de cette prison corporelle, s’échapper de son être, de chez lui, de son travail, de son quotidien.

Marre de moisir ici.

Envie de respirer.

Peut-être que c’est son esprit contestataire qui l’a toujours rendu mélancolique. Il n’en sait trop rien.

Il a conscience que ses pensées alimentent des rêves donnant à son ordinaire vécu un goût d’amertume.

Apprendre à se résigner et à se contenter de cette routine de vie.

Sachant qu’au final c’est comme cela que ça se passera. Quoi que l’on fasse, la vie nous rattrape et monsieur Arthur Caserio ne le sait que trop bien.

Il se lève de sa chaise, va dans sa salle de bain, s’observe dans le miroir au-dessus du lavabo. Sa tête de quarantenaire paraît bien fatiguée. Ses cheveux courts grisonnants sont en bataille. Des cernes sous ses yeux marron témoignent de ses nuits d’insomnie tandis que son corps frêle d’un mètre quatre-vingt le ramène aux maigres repas qu’il avale.

Après s’être rincé la figure, il s’habille. Un jeans, un pull et sa grande veste parka feront l’affaire.

Il s’empare d’un petit appareil muni d’un écran tactile, son communicateur. C’est une machine rectangulaire de la longueur d’une main. Il l’a toujours sur lui afin de communiquer, recevoir des informations professionnelles, des appels personnels, de connaître les actualités.

2

Arthur ouvre la porte de chez lui, se retrouve dans le couloir et le longe.

Les murs blancs sont lézardés et rappellent la vétusté du bâtiment.

Les lumières du plafond, grâce au détecteur de mouvements, s’allument automatiquement et diffusent une faible lueur jusqu’au bout de l’allée.

Le voilà devant les escaliers.

Il s’empresse de descendre les trois étages qui le séparent du rez-de-chaussée.

Arrivé en bas, il pousse la porte d’entrée de son immeuble et se retrouve dehors.

Ce dimanche il y a peu de monde dans la rue Vincent Allègre où il habite.

Tout est uniforme. Le gris du béton présente une couleur homogène. Les rues sont entourées d’édifices cubiques qui se ressemblent tous. Tous ces bâtiments, dont le sien, sont des logements citoyens.

Sur les murs, de nombreux écrans affichent des publicités. Les variantes de couleurs qu’elles étalent rompent la monochromie grise du quartier. Les annonces se succèdent les unes aux autres en de multiples images, vantant les mérites de tels produits du quotidien.

Sur la chaussée quelques lumières de couleur verte clignotent. Arthur se dirige vers l’une d’elles. Sur place se dressent des cubes gris d’environ un mètre cinquante de haut. Un petit carré situé au sommet de la structure diffuse des rayons verts qui décrivent des lettres. On y lit : Borne citoyenne.

Arthur retrousse alors la manche de son pull, colle son avant-bras devant le carré vert pour activer celle sans qui il ne pourrait sortir.

Il se souvient souvent du jour de sa rencontre avec Marianne.

Aussi loin qu’il remonte dans sa mémoire, c’est un de ses souvenirs les plus marquants.

Il avait sept ans, l’âge pour la recevoir. Ses parents l’avaient mené à pied jusqu’au Centre Citoyen, là où ont lieu les implants. Sur le chemin, ils le félicitaient car dorénavant il ferait partie de la communauté citoyenne.

Le Centre Citoyen est un grand bâtiment en verre sur plusieurs étages. De l’extérieur, on aperçoit des ascenseurs qui montent et descendent entre les différents niveaux tandis que des masses de personnes sont entassées dans plusieurs pièces. Le tout semble une grande fourmilière dont l’entrée est une porte transparente à ouverture automatique.

De longues files d’individus attendent pour rentrer.

Une fois à l’intérieur du Centre, différentes salles sont remplies de monde.

Les adultes demeurent à l’écart dans le bureau d’accueil. Ils passent devant une boîte rectangulaire projetant au fur et à mesure les noms de famille sur un écran situé contre le mur.

Arthur se retrouve avec les autres enfants à attendre dans une enceinte à part. Chacun observe ses parents à travers les baies vitrées.

Parfois les parois de verre paraissent se mouvoir, onduler, prendre vie en faisant apparaître des images en 3D. Des corps, des silhouettes se distinguent en dessin puis le tout se colore. Ça s’anime alors et l’on voit des familles. Tous sont joyeux et se prennent la main. Tous ont un signe en commun, une marque verte sur le bras.

Rompant le silence, une voix forte et grave se fait entendre :

— Caserio, Arthur !

Restés derrière la vitre, ses parents le regardent en souriant, puis lui font un mouvement de balancier avec la tête de haut en bas pour le tranquilliser et lui donner confiance.

Deux personnes, habillées de blanc, le teint pâle, s’activent autour de lui.

On l’allonge sur une couchette, puis on relève la manche de son pull jusqu’au coude.

L’un d’eux sort d’un immense tiroir un tout petit bout de métal avec une aiguille.

Puis il approche une machine posée sur roulettes.

Elle a comme une sorte de mâchoire formée par deux plateformes métalliques.

L’infirmier soulève le bras d’Arthur pour le glisser entre les blocs de métal.

Se souvenant alors qu’on lui chantait une chanson d’enfant tandis qu’on piquait son avant-bras.

Le membre engourdit, ne sentant plus rien, il a juste le temps de voir l’homme en blanc avancer vers la machine, prendre une petite lame ressemblant à un scalpel puis une sorte de capsule dans laquelle il glisse un petit bout de métal.

L’autre infirmier prend sa main et d’une voix douce et apaisante lui dit :

— Alors Arthur, si tu le souhaites, tu peux poser toutes les questions que tu veux sur cette copine que tu auras toujours avec toi. Tu pourras tout lui dire.

— Qu’est-ce que je peux lui dire ?

— Tout ce que tu veux.

Il était allongé et regardait maintenant le plafond tout en écoutant l’individu. Des motifs circulaires captaient son attention au-dessus de lui. Ces courbes entremêlées formaient une écriture. Il pouvait deviner les lettres :

M… A… R… I… A… N…

— Elle ne parle pas. Te répondra pas mais elle saura tout de toi, ton nom, ton âge, ce que tu aimes, tout… lui annonce la personne.

Et lui coupant la parole d’un ton enthousiaste, Arthur rétorquait :

— Wouah ! C’est génial. Et comment s’appelle-t-elle ? demandait-il d’un air innocent.

— Cette copine s’appelle Marianne. Elle te suivra tout le temps. Nous aussi nous l’avons, ainsi que tes parents, tout le monde l’a. C’est elle qui veillera sur toi. Le rond vert que tu as sur ton avant-bras indique qu’elle est à tes côtés. Tout cela est pour ton bien-être.

— Et j’aurais toujours ce vert sur mon bras ?

L’infirmier pouffa de rire et lui mit la main sur le genou pour le rassurer.

— Juste quand tu sors de chez toi. Lorsqu’elle est activée par les bornes citoyennes, elle émet une couleur verte qui te permet de pouvoir montrer que tu es bien un citoyen à part entière de l’Union.

L’infirmier parlait d’une voix presque mécanique comme s’il récitait un texte appris par cœur.

Ainsi pour la société, tu n’es pas un inconnu. Des entreprises auront accès à tout ce que tu aimes et des publicités dans la ville te seront proposées suivant ce que leur aura fourni ta Marianne. Puis après tu la désactives à la borne quand tu reviens chez toi. Puis le regardant en affichant un large sourire : « C’est plutôt bien non ? »

Arthur répondit l’air enthousiaste :

— Oui. Comme ça je pourrais avoir de nouveaux jouets qu’on me proposera ?

— Exactement.

Ensuite l’individu, prenant un air sérieux en se grattant le menton, lui dit sur le mode de la confidence en étant cette fois bien réfléchi et appliqué sur ses mots :

— Mais tout cela est pour ta sécurité et ton bien-être. Les sociétés et le gouvernement de l’Union Mondiale veillent sur chacun d’entre nous. Tu sais, tu ne t’appelles pas que Arthur Caserio, tu es avant tout un Citoyen possédant des droits démocratiques garantis par l’Union. Et maintenant, tu dois savoir qu’il y a des endroits où tu ne dois pas aller.

— Ah bon lesquels ?

— Les zones clés. C’est-à-dire les lieux où sont présents ceux qui dirigent notre société. Ce sont les personnes qui ont de l’argent et que l’on appelle les élus.

— Les zones clés ?

— Oui, les zones clés. Les citoyens comme toi ne doivent pas les franchir à moins d’avoir des autorisations spéciales ou de payer. Il y en a deux sortes. Celles qui se trouvent dans les centres de certaines grandes villes. On les appelle les zones clés économiques. C’est là où est gérée l’économie mondiale. Puis il y a des zones clés qui se situent à l’extérieur des villes. Ce sont les zones clés d’habitation.

— Des zones clés d’habitation ? Qu’est-ce que c’est ?

— Eh bien ! Tu en poses des questions ! C’est bien tu es curieux. Les zones clés d’habitation sont les domaines où vivent les Élus. Toutes ces zones clés sont seulement réservées aux Élus.

Puis remarquant sûrement qu’il s’emballait un peu trop dans ses explications, l’homme en blanc se ressaisit et d’un ton lapidaire conclut :

— Enfin bref, tu comprendras davantage de choses plus tard quand tu seras plus grand.

Arthur pouvait enfin récupérer son bras. Une lumière verte se diffusait maintenant sous la peau de son avant-bras.

Tout cela s’était déroulé il y a bien longtemps, mais il s’en souvenait comme si c’était hier.

3

Après avoir activé sa Marianne à la borne, Arthur marche le long des bâtiments.

Un vent frais l’incite à remonter le col de son pull pour s’emmitoufler la moitié inférieure du visage.

Le ciel est dégagé. Les quelques petits cumulus restant s’effritent en légères paillettes blanches. La météo ne s’était pas trompée, le temps est au froid malgré les rayons du soleil qui illuminent le bitume.

La clarté du jour le fait d’ailleurs mal distinguer le vert de sa Marianne sous sa peau.

La bleutée céleste contraste avec le paysage urbain grisâtre. Seules les couleurs des annonces publicitaires colorent un peu les rues.

Il presse le pas afin de rejoindre l’ancien jardin Alexandre.

Arrivé en bas de sa rue, il tourne à gauche et emprunte l’avenue du Maréchal Foch. Entourant l’avenue, les façades de vieux bâtiments servent de support pour l’affichage d’écrans où se succèdent les publicités qui défilent les unes après les autres.

Au loin un groupe de personnes habillées de bleu. Leurs vêtements sont de la teinte des uniformes des pacificateurs de l’Union. Un pantalon, un blouson et un képi de couleur azur. Le drapeau français est visible sur l’épaule et de l’autre côté, la lettre U de l’Union est inscrite en noir sur le tissu. Ils vérifient l’activation des Marianne. Arrivés à leur hauteur, un des hommes du groupe le dévisage et le toise d’un air suspicieux. Les yeux noirs du personnage se plissent en le regardant de manière insistante. Puis au moment de se croiser, l’inquiétude de l’individu s’efface lorsque Arthur met en évidence le rond vert apparent sur son avant-bras.

Arthur emprunte une petite allée qui l’amène devant un grillage complètement défoncé. À travers celui-ci il peut apercevoir les premiers arbres de l’ancien parc Alexandre.

Se faufilant par un trou du grillage, Arthur se hisse jusque de l’autre côté.

Il se retrouve dans un semblant de chemin en terre battue bordé de buissons d’iris suivi de platanes et de pins. Au bout, il aperçoit une grille en fer forgé. Il pousse le portail resté entrebâillé, rentre, escalade un petit portillon et déambule à travers la végétation dense.

L’accès n’est pas simple. Il faut sans cesse écarter les broussailles, les branches de pin. C’est la raison pour laquelle peu de monde fréquente ce lieu. Arthur y est sûr d’être tranquille.

Les quelques bancs ayant survécu au temps sont envahis et dévorés par les ronces.

Arrivé assez vite à son repère habituel, un siège formé par une souche de platane, il s’assoit.

Il a enfin l’impression d’être loin de tout, d’être enfin seul.

Des arbres, des buissons, tout un monde végétal comme seul décor. Regardant autour de lui, il se sent bien.

Fermant les yeux, il inspire et expire, profite de cette solitude pour sentir son corps. Humant les différents effluves qui arrivent à ses narines. Écoutant les battements de son cœur qui ralentissent, il fait complètement le vide dans sa tête. Restant de longs moments à bénéficier de ce bien-être.

Puis rouvrant les yeux et regardant le sol, quelque chose attire son attention. Il distingue sur des broussailles une sorte de carré blanc.

Il se rapproche, c’est en fait un bout de papier.

S’en emparant, il y découvre une écriture de couleur bleue dont l’encre a coulé et s’est diffusée en grande partie sur la petite feuille. Le tout étant difficilement lisible. Néanmoins il arrive à lire :

« Ce soir parc Alexandre… »

Il le roule délicatement entre ses doigts et le glisse dans la poche de sa veste.

Arthur respire un grand coup, se lève de son siège de fortune et s’enfonce dans le parc.

Le terrain est long d’une centaine de mètres. Il le traverse de part en part.

Soudain il sent vibrer quelque chose dans la poche de son parka. C’est son communicateur. Il le récupère.

Une figure apparaît sur son écran.

C’est Emma, sa mère.

Elle a le visage fin, des yeux noirs.

Des cheveux bruns coupés au carré.

Une jolie soixantenaire malgré une mine fatigué affichant des traits marqués par la vie. Sa peau est d’une blancheur presque translucide pouvant lui donner un air presque maladif.

— Comment va mon fils ?

— Je vais bien et toi ?

Le regard d’Emma traduit le besoin de se confier. Son visage laisse transparaître de l’anxiété.

— Oui ça peut aller. Je voulais avoir de tes nouvelles. Depuis que nous avons déménagé à Marseille, ton père et moi avons moins l’occasion de te voir. Le temps passe si vite.

— C’est vrai que ça fait longtemps que l’on ne s’est pas vu. En ce moment je suis au parc Alexandre. J’avais besoin de bouger, d’être au milieu d’arbres, de me changer les idées.

Arthur tend alors son bras en dirigeant l’écran de son communicateur face à l’extérieur puis effectue un mouvement de balayage horizontal autour de lui.

Emma sourit devant les arbres qu’elle aperçoit à travers son appareil.

— C’est beau !

— Ah au fait, attend ! Regarde !

Arthur grimace en fouillant dans sa poche. Il sort le petit bout de papier découvert tout à l’heure. Il le présente devant l’écran.

— D’où ça sort ? demande-t-elle.

Son fils affiche une expression sereine.

— Je viens de le trouver ici ! Un de plus pour ma collection.

— Encore ! Alors ça, c’est complètement fou car c’est pas le premier que tu as. Fais très attention à toi !

— Oui je sais, maman.

Les traits d’Emma se crispent.

— Depuis longtemps déjà, le gouvernement de l’Union avait interdit tous les supports papier. Et tu sais bien que le fait d’en posséder est totalement illégal ! Tu risques gros !

Arthur, l’air irrité, souffle et dit d’une voix monotone, sans intonation particulière :

— Oui, l’Union avait décrété que la culture doit être stockée sur le grand réseau mondial Agora.

Puis Arthur remonte son avant-bras devant ses yeux, observe la lumière verte apparente tout en parlant : « Nos Marianne et nos communicateurs sont connectés aussi à Agora. Par le système des algorithmes, ils savent tout de nous. Tout ! Oui, on connaît tout ça, maman ! »

Emma, le visage toujours tendu.

— Et d’ailleurs, rien que le fait d’en parler à distance avec nos communicateurs nous met en danger. Enfin bref tu le sais de toute façon !

Il avoue le regard fuyant :

— Oui tu as raison.

Puis Emma confie :

— En tout cas, tu as bien de la chance de pouvoir aller dans un endroit où se trouve encore un peu de végétation. Et encore plus à côté de chez toi. Tous les autres anciens parcs de la ville ont été bétonnés. Enfin bref, profites-en bien car ils ne tarderont sûrement pas à détruire cet endroit aussi.

— Je suis d’accord, et c’est bien pour ça que dès que je peux, je m’y rends. Je veux profiter d’une vision autre que le béton.

Arthur quitte sa mère des yeux pour lancer des regards sur le paysage.

— D’ailleurs heureusement qu’il y a ce lieu car on sait que les seules forêts qui subsistent encore se situent dans les zones clés où résident les Élus.

— C’est incroyable même que tu puisses avoir de la végétation à côté de chez toi. C’est même dingue ! déclare Emma, aucun citoyen n’a normalement accès à tout ce qui ressemblerait de près ou de loin à un arbre. Donc franchement, tant mieux pour toi qu’il y est cet endroit laissé à l’abandon.

Regardant vers le bas, elle a l’air soucieuse.

— Quand je repense à ce qu’est devenu ce village du Revest où j’ai grandi ! C’était encore la campagne quand tu étais petit et on pouvait encore y vivre. Maintenant ils ont rasé une grande partie des bois pour y installer de grandes infrastructures de fournisseurs d’énergie solaire. L’entreprise d’énergie Arena exploite et possède toute la commune pour Agora.

— C’est privatisé et connecté au réseau mondial comme tout ! déclare son fils de manière évidente.

Emma a les paupières baissées et parle sur un ton morose.

— Derrière ce qu’était jadis le village, ils ont aménagé sur le mont Caume d’immenses centrales solaires pour alimenter en énergie une partie de la région. Ces centrales tailladent telle une cicatrice tout un pan de la montagne en arrière-plan. Et à côté du barrage est installée une grande usine hydraulique. Mais sinon, l’ancien village a disparu, il ne reste que des maisons en ruine. Voilà, c’est tout ce que c’est ! Tout a été rasé, l’ancien pigeonnier, même la tour médiévale du village a disparu.

L’air nostalgique d’Emma se transforme en une tristesse qui lui fait apparaître de légères larmes sur le coin des yeux.

— Et une partie du Revest, celle qui est encore boisée, au-dessus de l’ancien quartier des arrosants, sert de zone clé d’habitation pour les Élus. Ils y ont leurs belles baraques avec piscine, terrain de sport, coin de promenade !

Arthur prend la parole pour aller dans son sens.

— C’est sûr que de toute façon le peu d’arbres qui subsistent sont contenus dans les zones clés. Ça a été la même chose pour tous les endroits forestiers dans la région. Regarde ce qu’est devenu le massif des Maures, ou tous les endroits comme Collobrières, Méounes, Pierrefeu où l’on pouvait balader il y a encore quelques dizaines d’années. Tout est privé maintenant. Les Élus y ont leurs propriétés !

Puis il s’arrête un petit instant de parler, regarde les traits tristes d’Emma et s’inquiète.

— T’as l’air bien soucieuse. Qu’est-ce que tu as ?

Un silence s’installe puis, d’une voix hésitante :

— C’est… Mathias… euh enfin ton père qui est toujours dans le même état.

— Son état ne s’est pas amélioré ?

— J’espérais qu’avec le temps ton père irait mieux mais il ne dit toujours rien. Les médecins sont incapables de savoir ce qu’il a. Il reste des journées assis, le regard dans le vide. Il n’a aucune conscience du monde qui l’entoure. Deux longues années que ça dure.

— Je sais. C’est arrivé en plus de manière très soudaine. Et on s’est malheureusement habitué à son état.

— Oui tu as raison on s’y est habitué, habitué, hab…

Elle s’arrête de parler comme pour méditer sur ce dernier mot.

— Mais c’est vrai que la dernière fois quand même je l’ai trouvé fatigué.

Les yeux de sa mère révèlent de l’inquiétude.

— Et en plus c’est de pis en pis ! Puis…

Emma s’interrompt soudainement et changeant d’attitude, elle esquisse un sourire en regardant son fils.

— Bon, je n’ai pas envie de te saper le moral avec ça alors que c’est ton jour de repos !

— Je m’en fous ! c’est mon père et…

Le coupant de nouveau dans sa phrase :

— On parlera de tout ça une autrefois si tu le veux bien. Alors dis-moi, comment se passe ton travail dans la classification des livres pour le réseau ?

— Je ne me plains pas. Déjà, j’ai de la chance de pouvoir exercer une activité. Et encore plus en zone clé. Et puis là, je peux toucher du papier ! Et j’ai quand même le privilège de voir des livres et d’en manipuler. Bon après ce boulot, c’est du court terme. Mais sinon ça se passe plutôt bien depuis un an que j’y travaille.

Arthur reste évasif car il n’aime pas parler de lui d’autant plus qu’il reste sur sa faim concernant son père.

Emma, à la vue de sa réaction, s’apercevant de sa gêne, n’insiste pas davantage et clôt l’échange.

— Bon, je vais te laisser pour que tu profites de ta promenade. Il faudra que tu passes nous voir prochainement.

— J’y compte bien. À bientôt, maman et fais des bisous à papa.

Après avoir posé son communicateur au sol, il s’allonge sur un tapis de feuilles et scrute la cime des arbres. Regardant les branches et souriant au spectacle des feuilles dansant au gré du vent.

Ses yeux se perdent dans l’immensité du ciel azur.

De l’air frais lui caresse le visage, ça le détend encore davantage. Ses mains, posées à plat sur la terre lui font ressentir des vibrations, des sensations.

Il veut faire corps avec la nature qui l’entoure. Pouvoir retarder au maximum son retour chez lui.

Se métamorphoser en un petit animal microscopique et rester ici.

Mais la réalité le rattrape, il pense à son père.

Pourquoi Emma ne veut pas en parler ?

Quelles sont les raisons qui l’ont mis dans cet état ?

C’est un sujet qui reste tabou et un jour peut-être obtiendra-t-il des réponses…

Son communicateur se manifeste de nouveau dans sa poche.

Il peut lire sur l’écran :

« Ce soir à 18 h M. Henri, président de la France, pays membre de l’union démocratique mondiale, prononcera un discours. Tous les citoyens de l’union sont tenus d’être informés de toutes nouvelles informations et mesures du gouvernement. Celles-ci seront diffusées sur tout le réseau Agora. »

Arthur retrousse alors la manche de sa veste et s’aperçoit que Marianne est vert clignotant. Elle le restera jusqu’à l’heure de l’allocution.

Pour le moment, il sait qu’il va falloir maintenant rentrer.

Reprenant le même chemin qu’à l’aller, il retourne chez lui.

À la sortie du parc, il croise quelques personnes du quartier qui lui sont familières. Ils s’échangent mutuellement de petits signes amicaux de la tête.

Le long du trajet, comme à l’accoutumée les rues sont calmes. Seuls quelques pacificateurs circulent au loin.

Les écrans d’affichage dans les rues exhibent des accessoires. Des lampes frontales, des chaussures de randonnées, la géolocalisation de sa Marianne indiquant qu’il a marché en forêt. Tout ça a été transmis à Agora qui a relayé ces informations aux annonces publicitaires. Ces images se présentent sur les moindres recoins des rues qu’il emprunte.

Arrivé non loin de son bâtiment, il se dirige vers une borne citoyenne. Il tend son avant-bras devant le capteur. Le bip qu’il entend lui signifiant que Marianne est maintenant désactivée. La couleur verte s’est effacée.

4

De retour chez lui, Arthur ouvre son meuble et récupère une grande pochette noire. Il l’ouvre, y plonge sa main pour en sortir une tablette rectangulaire.

C’est son communicateur de maison. Il est plus grand que celui qu’il a toujours sur lui. L’appareil forme comme un petit plateau qu’il pose sur la table. Enfin il s’assoit sur une chaise face à sa machine.

Il passe doucement son avant-bras dessus car, même désactivée, Marianne reste lisible pour les machines du réseau.

Un écran apparaît. Dans le fond les noms des entreprises travaillant pour Agora s’affichent furtivement. Arena, Ucultura, Vici, Lafarne…

Une voix féminine se fait entendre.

— Bienvenue dans Agora citoyen Caserio, je suis Sabrina, en quoi puis-je vous aider ?

L’élocution est douce, suave, mais le rythme trop régulier et mécanique du débit trahit l’origine robotique de la voix.

Elle est celle que tous entendent dès qu’une connexion est établie avec le réseau. Sabrina est l’identité donnée à cette liaison. Elle est en quelque sorte la porte-voix d’Agora. Tout le monde est donc familier avec elle.

Arthur répond :

— Livre « Robinson Crusoé » de Daniel Defoe.

Sur l’écran, des couleurs apparaissent, des sons se diffusent. Tout cela résonne en lui. Une forme se dessine alors. Une sorte de cercle de couleur verte s’affiche, puis l’intérieur du rond se précise. On y distingue différentes nuances de colorations, puis des troncs et des arbres se profilent. Une forêt se forme devant ses yeux. Agora est resté sur la géolocalisation du parc ou il s’est promené aujourd’hui.

Puis la voix de Sabrina se fait entendre.

— Nous espérons que vous avez fait une belle promenade au parc Alexandre.

Les lignes du livre apparaissent sur l’écran.

— Livre accessible ! Bonne lecture ! énonce Sabrina.

S’évadant à travers la vie de Crusoé, Arthur apprécie d’être avec Robinson et suivre ses aventures. Dévorant les pages une par une. Il aimerait se retrouver à bord de la Virginie, puis sur cette fameuse île à l’embouchure de l’Orénoque avec vendredi, côtoyer la nature sauvage, construire une cabane. Pouvoir déambuler à travers Speranza, s’enfoncer dans les forêts, avoir des animaux comme compagnon à l’image de Tenn le chien, le perroquet mardi… Être loin de Marianne, d’Agora…

Mais le réel vient s’immiscer dans ses pérégrinations auprès de Robinson et vendredi. La voix de Sabrina se fait de nouveau entendre :

— Je vous rappelle qu’il est 17 h 55, dans cinq minutes le président français de l’Union, monsieur Henri prononcera son discours.

Arthur se lève, saisit le papier trouvé au parc et le pose dans le tiroir de son meuble avec les autres récupérés au même endroit.

L’esprit toujours dans « Robinson Crusoé » Arthur se dit que l’ancien parc Alexandre est un peu son île Speranza, et les petits bouts de papier qu’il trouve quelques fois dans ce lieu des messages envoyés comme des bouteilles contenant des énigmes lancées à la mer par de mystérieux personnages du passé. Sauf qu’ici la mer est remplacée par un petit square au milieu d’une jungle de béton.

Après avoir refermé le meuble, il se rassoit face à l’écran.

Apparaît un personnage d’une trentaine d’années, brun, les cheveux coupés en brosse, des yeux verts regardant devant lui.

Le président Henri est vêtu d’un costume noir et d’un foulard bleu.

Sa posture est droite et figée. Ses mains sont posées sur un pupitre.

En arrière-plan, sur la gauche, le drapeau tricolore français, et à droite, celui de l’Union Démocratique Mondiale représenté par les lettres U et M écrites en noir. Elles sont entourées dans un cercle jaune sur un fond bleu.

Il prononce d’une voix grave :

— Citoyennes et citoyens français de l’Union Démocratique Mondiale. Je me présente devant vous ce soir afin de vous annoncer quelques nouvelles et mesures importantes. Il est nécessaire que je vous rende des comptes après m’avoir apporté votre soutien lors des dernières élections. J’ai rencontré au cours du sommet pour la paix les autres dirigeants des pays de l’Union.

Sa voix est monotone, grave, sans expression particulière mais toujours ferme.

— Avec la crise économique, les temps sont durs. Il a donc été décidé notamment d’augmenter la taxe sur les déplacements dans les zones clés. Une partie de l’argent récolté par l’État financera les grandes entreprises du réseau Agora. Elles permettront de créer notamment davantage d’emplois car le travail permet de sortir de la précarité. Mais l’Union s’engage à toujours verser aux citoyennes et citoyens sans travail un revenu universel que les concernés recevront sur leurs Marianne.

Puis prenant un ton davantage solennel :

— Autre chose, nous avons décidé d’un commun accord de renforcer notre sécurité. Il en va de la stabilité de notre patrie, de nos sociétés et de nos si belles démocraties. À l’extérieur de nos frontières, des personnes venant de pays non membres de l’Union essaient régulièrement de rentrer sur notre territoire. Ces migrants ne peuvent pas rester. Certains peuvent s’intégrer à notre culture nationale et il faut pouvoir les accueillir. L’Union Mondiale doit pouvoir rester une zone d’hospitalité, mais il faut comprendre que l’on ne peut pas recevoir tout le monde. Il faut donc mettre en place les moyens pour prévenir ces flux migratoires afin d’éviter entre autres d’être débordés. Nous allons donc renforcer les contrôles aux frontières !

Puis il monte un peu sa voix.

— Concernant la sécurité intérieure nous allons intensifier les contrôles sur les zones clés. Nous ne pouvons tolérer que des individus non habilités rentrent dans ces espaces réservés seulement aux Élus et aux quelques citoyens autorisés à s’y introduire dans un cadre bien défini.

Là, le ton se fait beaucoup plus grave. Ses mains jusqu’à présent fixes et posées à plat sur le bureau se soulèvent et se tortillent légèrement afin d’accompagner ses paroles.

— De plus, la surveillance sur Agora va se développer pour éviter notamment tout piratage de données. Comme vous le savez, l’an dernier le réseau a été saboté. Un nombre incalculable de données ont été perdues et ne sont plus disponibles. Et bien sûr, c’est vous les premières victimes de ces agissements de quelques-uns ! Il ne faut pas que cette situation se reproduise !

Et revenant sur sa voix posée du début.

— Ainsi pour la sécurité de toutes et de tous, je vous demande de bien respecter les validations de votre Marianne dès que vous sortez de chez vous afin de faciliter le travail de nos pacificateurs. Elle permet le lien entre vous, Agora et l’Union. Il est très important de toujours l’activer.

Sa voix varie en intensité suivant certaines parties de son discours. Quelques fois, il hausse le ton pour appuyer des passages qu’il estime importants. La plupart du temps, ce sont ceux en lien avec la sécurité.

Arthur connaît ce discours par cœur. Le président Henri parle au moins trois à quatre fois par mois. La teneur de son allocution est sensiblement la même à chaque fois. La sécurité est la principale thématique abordée. Il y rajoute parfois des petites nouveautés mais le plus souvent, le pouvoir aime rappeler les lois et les règles qui organisent la société de l’Union.

Écoutant chaque discours venant de l’Union, Arthur sait qu’Agora est au courant de tout. Les personnes ne se connectant pas aux annonces du gouvernement risquant les jours suivants de se faire davantage contrôler par les pacificateurs. Et si les situations se réitèrent de se retrouver condamnés et classés comme « citoyens indésirables ». C’est-à-dire comme éléments voulant porter atteinte à la sécurité de la société. Dans ce cas-là le danger est d’avoir à faire sérieusement à la cour de justice de l’Union.

5

Le matin n’est jamais simple pour Arthur. Comme souvent après la sonnerie du réveil, il reste allongé sur le dos et reste quelque temps dans cette position.

Ses bras étendus le long du corps, la paume de ses mains tournée vers l’extérieur. Le visage vide d’expression, sa bouche entrouverte.

Ses yeux fixent le plafond.

Ses pensées vont vers son père, se demandant si son état va continuer à se dégrader ?

Puis, des images du quotidien se bousculent en lui : Marianne, Agora, l’Union… avant que ne se déroule déjà dans sa tête la journée de travail qui l’attend.

En se levant, il sent au fur à mesure ses membres engourdis reprendre vie. Il rentre dans sa salle de bain, regarde l’extérieur par sa petite fenêtre.

Déjà la rue commence à s’activer.

Des voitures circulent, des personnes se pressent pour rejoindre leur travail. Des files d’attente se forment aux bornes citoyennes.

Après s’être tranquillement vêtu de son jeans, son pull et sa parka, il descend et sort de son immeuble.

À son tour de faire la queue pour valider sa Marianne. Il jette un rapide coup d’œil circulaire autour de lui. Beaucoup marchent les yeux rivés sur leur communicateur.

La plupart des citoyens que l’on croise sont habillés de la même manière. En ce moment le costume noir prédomine. C’est la mode actuelle présentée sur le réseau.

Des pacificateurs arpentent la rue en faisant des allers-retours tout en surveillant l’activation des Marianne et forment des taches bleues au milieu des gens. Autour circulent les voitures et les bus solaires et électriques qui roulent silencieusement.

Les écrans font défiler des annonces. Le regard des citoyens oscille entre leurs communicateurs et les publicités présentées sur les murs. Ainsi on entend régulièrement dans la rue les sons des vrombissements de leur écran portatif.

Arthur prend la direction opposée au parc Alexandre. Se dirigeant vers la zone clé du centre-ville de Toulon.

Plus il s’en rapproche et plus nombreux sont les pacificateurs.

— Arthur !

Une voix aiguë provenant de derrière l’interpelle.