Marie-Line - Carole Tchero - E-Book

Marie-Line E-Book

Carole Tchero

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Beschreibung

Animée par le désir de se dépasser, Marie-Line s’engage dans l’écriture d’un roman comme on entre en résistance : sans repères, mais avec une détermination farouche. Face à ses propres vertiges – la peur de l’échec, celle des vérités enfouies –, elle convoque une voix complice, une présence fictive pour ne pas sombrer dans la solitude. De cette lutte naît Nœud coulant maux passants, une œuvre portée par une bande de jeunes âmes en quête de lumière au milieu des turbulences sociales, familiales et intimes. Ensemble, ils découvrent que prendre la parole, c’est déjà se libérer. Oser le mot, c’est oser vivre.

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Carole Tchero est l’auteure du recueil "Moi moi mon toit", publié en 2019 aux Éditions Baudelaire. Aujourd’hui, elle se lance dans l’écriture d’un roman, pour déjouer l’ennui, pour se réinventer, pour le panache. Parce que c’est élégant et un peu magique aussi

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Seitenzahl: 153

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Carole Tchero

Marie-Line

Roman

© Lys Bleu Éditions – Carole Tchero

ISBN : 979-10-422-7121-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À ma sœur Camille

[…]Les mots, les mots, je crois qu’on en fait trop. Après tout, où est le sens de demain quand la nuit perd le sien ? Nous ne sommes que de faux-monnayeurs. Tu peux saluer la lune en pleine journée, dire stop alors que t’en veux encore, rester tout en rêvant partir, dire pardon quand tu n’es pourtant que victime et le duo papa/maman arracher comme un méchant piment.

« La grammaire est une chanson douce » ? Personnellement, j’en doute. Chante plutôt avec moi « Sur le pont d’Avenir, on y tremble, on y tremble, en silence, seuls ensemble, on y tremble ». Alors sur le pont d’Avenir on prie une main pour trembler un peu moins face à l’inconnue qu’est l’autre rive. Les mots, on s’y agrippe à défaut, lorsque les pieds crient dans le vide.

Nœud coulant maux passants ? De qui de quoi pourquoi et pour quoi ? Tu y liras ce que tu voudras. Moi je suis partie telle une voyageuse dans une longue nuit d’hiver. Dans ma valise : cerveau curieux et sens avides, de sacrées torches, quelques rimes, encre couleur vertige, et tu sais quoi Marie ? J’ai même Dieu, et le pire c’est que je ne fais pas exprès, la Chose me suit à la trace ! Et à cette Vie que je tutoie, que je salis ; à cette Vie que j’adore, qu’au plus bas je renie, j’écris que sur Avenir, il me faut une autre moitié que toi, tu ne me suffis pas.

Line, ici Marie

Je profite que tu dormes un peu. Dieu sait que ça n’a rien d’évident. Je ne suis même pas certaine que tu m’entendes, tu ronfles si fort que j’ai moi-même du mal à me concentrer.

En parlant de sommeil, tu devrais ralentir sur le café. Un brin sexy l’image de l’artiste maudit, tantôt victime, bourreau plus que tantôt, interdit de repos. Mais un peu moins de ta mixture là et je parie que t’en ferais un ami.

Ce n’est pas moi qui fronce les sourcils, ce n’est pas moi qui te gave de reproches. Je ne suis pas cette voix.

Des ombres sont venues te causer, qui en résumé se sentent coincées. Sois sympa, rends-nous service, libère-les. Et les portes dont tu me parles, du moins un temps, cesseront de claquer.

Une nage essoufflée oui, parfois un peu grossière, mais de là à évoquer le grotesque de ces boutiques de donuts, oui de donuts m’as-tu dit, aux murs surchargés de fausses fleurs, revêtus de ce rose agressif qui dégouline. Tout de même Line, tu exagères…

Tout à l’heure, tu salueras à travers la fenêtre un dimanche qui se respecte, le ronchon, le blanc de froid ; le propice à regarder ailleurs si on y est, à travailler.

Tu écriras : il était une fois tant d’autres fois, avec cette moitié dont il s’agit d’apprendre à te contenter. Ce n’est pas suffisant, rien ne suffit jamais, ni les mots, ni l’autre, ni même l’idée que l’on s’en fait.

Juste une chose, un banc. Je voudrais un banc s’il te plaît, un banc d’humour et d’amour. Et de soleil. Évidemment.

1

LCLB

Samedi matin ensoleillé. Merci. Le soleil a de ces pouvoirs… Comme cette faculté de consoler un peu des larmes versées dans le sommeil, retrouvées asséchées aux recoins des yeux le matin suivant.

Les premiers mouvements de sa journée s’exécutent dans la sécurité, parce que ce sont toujours les mêmes, pas toujours dans le même ordre menés, mais tout de même toujours les mêmes : elle regarde l’écran du portable pour répondre à cet impérieux besoin de se situer et de voir s’il y a quelqu’un, se lève, aère, allume la radio, prépare la cafetière, va aux toilettes, pense ou oublie de se laver les mains. De retour dans son bistro intime, elle verse le café dans une tasse de couleur sélectionnée en fonction de l’humeur et se recroqueville en elle-même, ainsi mieux disposée à gérer l’invasion désordonnée de pensées incontrôlables. La première tasse accompagnera un débarbouillage, retour à la surface, un état des lieux ; la deuxième un tri en fonction des impératifs, des motivations, des prières de la veille, et toutes les autres tasses feindront barrage au défilé de pensées ; à la prolifération de bébés de pensées, balayés écartés reportés.

Vanessa se fait la réflexion, souvent lorsqu’elle se réveille comme ça, toute seule, à son rythme, lorsqu’elle peut s’étirer, avoir mauvaise haleine, sentir mauvais de partout sans risquer d’assommer qui que ce soit; lorsque le silence de la nuit dépasse encore sur les premières heures de sa journée, elle se dit souvent : le bonheur c’est pourtant pas si compliqué…

La veille, elle avait tenté une ultime approche. « Je vais l’appeler, simplement pour prendre des nouvelles. Non, pas que. Aussi, surtout, avant tout pour lui dire que franchement ça suffit les conneries, allons boire plusieurs verres, j’ai des confidences à te faire, faut que tu comprennes et je t’assure qu’après tout s’arrangera, fais-moi confiance. » Elle avait bien réfléchi, s’était sentie prête.

Sonnerie. Son assurance était devenue panique, comme la personne sur le point de sauter dans le vide. « Sa voix, sa voix, je vais perdre tous mes moyens, tout mélanger, il va me trouver ridicule, ridicule… Calme-toi, t’as bien réfléchi, tu sais exactement ce que tu veux lui dire… Non, je sais plus, qu’est-ce que je voulais lui dire déjà ? Merde par quoi je commence ? Mais t’es sérieuse ? Ce n’est qu’un coup de fil, un simple coup de fil… Arrête, un coup de fil n’est jamais simple… Allez… Réponds, je t’en supplie ré… Non en fait ne réponds pas… j’ai mal au ventre… Si si réponds, allez s’il te plaît, s’il te plaît… »

Non. Honoré n’avait pas répondu. Et pour ne pas céder aux eaux boueuses de la frustration, du ressentiment, de la tristesse, Vanessa s’était agrippée à la bouée des fausses excuses que l’on s’invente lorsqu’on ne veut pas admettre une vérité trop amère : « Il est tout simplement occupé, il n’a pas entendu l’appel, en voyant mon prénom sur l’écran quelque temps après il ne pourra pas s’empêcher de me rappeler, ma voix aussi doit lui manquer, ou pour être certain que je vais bien, ou pour se montrer correct… »

Les minutes puis les heures avaient percé sa bouée, Vanessa était engloutie.

Ses yeux s’étaient fixés sur une petite photographie de son père. « Ma fille, ma fille… ». « Quoi ? J’suis foutue, c’est ça ? Tu connais quelqu’un qui ne l’est pas toi ? Et puis tout ça c’est de ta faute papa, c’est de ta faute si je m’accroche comme ça, fallait toujours que je te coure après ». Puis au tour du portrait de son fils de discuter avec ses yeux : « T’en fais pas maman, je te protégerai » et ses yeux lui avaient répondu « Faudrait d’abord que je te protège de moi fiston… J’espère que tes réactions n’auront pas toujours raison de ta raison, petit bonhomme… ».

Voilà ! Voilà ce qu’elle aurait tant aimé lui dire ! « Mon amour, je sais désormais comment t’aimer, je sais mieux qui je suis, ce que je ne veux plus être, j’ai toujours su qui tu es, sans me leurrer, je te trouve magnifique sans pour autant ignorer le pas beau qui t’agite, tu es mon monstre charmant, on peut enfin s’aimer tranquilles. Je t’en prie, cesse de te taire. »

Tout son corps, chargé de regrets, de silences forcés, s’était allongé découragé sur le canapé, là où elle dort lorsqu’elle juge sa vie nullement ce qu’elle devrait être, et elle avait regardé Manchester By the Sea. Les belles mains de Casey Affleck… L’histoire d’un type qui commet une « petite » erreur, erreur qui conduit à un feu de drame. Drame, glacial vacarme. Mort debout, le type se punit, ne peut plus s’autoriser le moindre bonheur, se saoule se donne aux rixes, espérant tomber sur plus forts que lui « Défoncez-moi ! Pitié, fracassez-moi ! C’est tout ce que je mérite… ». Triste. Vanessa en avait profité pour pleurer, tout pleurer.

Souvenirs souvenirs… Rencontre, bousculade, énorme vague, tourbillon tourbillon, savoure la noyade. Miroir malade, c’est toi le plus beau. Terre ferme, frayeur. Tiens, croche-pattes, moi aussi j’ai peur. Silences, défenses, essoreuse à salades. Fou rire et rires de fous, trop saouls, effluves électriques, silences, jouissances. Espoirs, dessins, mots doux. La peur rend sourd, les portes se ferment. Fin de la danse. Silence.

Peau, cheveux manies, sur eux Vanessa s’était endormie, sans prêter attention aux larmes, larmes dont le sommeil n’avait pas stoppé le flux.

Lorsque l’artisan d’histoires s’endort la tête entre les livres, entre les phrases flairant ses personnages, c’est au milieu de mots que le réveil lui rend sa tête, comme c’est au milieu de notes et d’accords que s’éveille l’oreille affamée du musicien endormie plus tôt sur coussin d’harmonies.

Lorsque le cœur de tout un chacun s’endort sur du blessé sur du meurtri, la blessure au matin a fait tant de chemin qu’elle s’est muée en être-chagrin. Tout, tout dans le malade est malade, jusqu’à l’air qu’il respire, et tout est lourd et tout étouffe, tout n’est rien, rien que du chagrin.

Mais les semaines étaient passées et le temps éponge un peu le sang. Nous retrouvons donc une Vanessa, larmes asséchées aux recoins des yeux, un samedi matin ensoleillé, une Vanessa armée de son café dans une tasse dont le violet lui assure, quand le réveil affiche 9 : 10, que l’heure de tourner la page a sonné.

« Bon… j’efface son numéro… T’es sûre ? Aucun doute… Allez hop, ça c’est fait. J’ai pas besoin de lui. Enfin… Si… mais je peux faire sans, j’y arrive très bien. Regarde, trois mois et franchement, je fais du bon boulot, je me marre, j’évolue bien… Oui, mais sois honnête, tu fais tout en imaginant qu’il te regarde… Non non c’est pas vrai, je le fais d’abord pour moi… Petite menteuse… ».

Pensées malgré soi, pensées à soi-même étrangères, pensées abattues de points au fusil d’interrogation, faussement indicatives, futilement conditionnelles, quand elle y pense, Vanessa pense qu’elle aurait préféré être une chèvre.

« Allez un petit café… J’ai un petit article à écrire moi ! Alors qu’est-ce qu’il me demande le damoiseau ? Je vous en supplie, pas un truc sur les guirlandes de Noël ! »

La veille elle avait reçu par mail la commande de son patron (« le damoiseau », parce qu’il l’appelle toujours « mademoiselle »), celui qui dirige le bimestriel littéraire LisonsChichis, Lisons Blablas. Elle n’avait pas trouvé le courage d’affronter la commande, craignant soi-disant que lui soit demandé un texte sur les guirlandes de Noël ou sur tout autre chose se rapportant aux féeries.

« Ben voyons ! Fallait que ça tombe sur moi ! Mais c’est pas vrai ?! Tant que vous y êtes, demandez à un homme du désert de parler de la mer ! ».

La photo de son père lui tire les oreilles : « Ne sois pas de mauvaise foi, ma fille, l’enfant des sables peut bien imaginer les berceuses d’une autre mère ». « Oui, c’est vrai papa, mais bon, là c’est un sujet… Comment veux-tu que j’écrive un texte sur la Saint-Valentin ? Moi ?! Écoute ça : “Mademoiselle, nous vous prions de secouer votre plume ou plutôt votre clavier pour nous faire l’honneur d’un article sur la Saint-Valentin. Nous avons toute confiance en votre talent et restons en contact. Bien à vous, Monsieur Rivaldi.” Moi ! Mais regarde-moi sérieux papa ! Elle est nulle cette fête en plus ! L’amour, ça me gave, tu comprends ça ?! Bon… ça me saoule, je vais essayer de me noyer sous la douche… »

Nous avons envie de dire que certains bains sont comme certaines nuits, messagers de conseils. Donc nous le disons : certains bains sont comme certaines nuits, l’eau revigore comme le sommeil nettoie de parasites, elle favorise une vision moins trouble du chantier, elle dévoile, agit en encre sympathique. C’est pour cela que souvent, après une bonne douche, on remplit plus facilement la grille de mots fléchés qui nous regardait presque choquée de notre incapacité à trouver des mots qu’après la douche nous trouvons évidents, honteux de ne pas y avoir songé plus tôt.

Bref, tout en se barbouillant de gel douche tout aussi néfaste pour sa peau que pour la planète, tout en laissant l’eau, couler l’eau trop longtemps alors que ce n’est pas du tout correct là non plus vis-à-vis de la planète, Vanessa s’écrie « Mélissa ! ». Oui, son amie Mélissa saurait la mettre sur une piste.

Vanessa et Mélissa ont pris l’habitude d’échanger par voie postale, un petit délire qui leur procure un certain plaisir. Ces deux-là aiment prendre le temps pour se raconter leur vie et vous devriez les voir devant la boîte aux lettres lorsque, au-dessus d’un fréquent néant, ou entre les publicités de tranches de poulet biologique, de lessives écologiques, et les factures survivant encore sur papier, elles tombent sur une enveloppe qui ne ressemble à aucune autre et sur laquelle se reconnaît l’écriture manuscrite de l’une ou l’autre. Dit simplement, elles sont très contentes et elles sourient.

Mais bon, le temps, on ne se donne pas souvent le droit de le prendre donc on s’en remet à la technologie et on utilise son GSM (nous aimons dire « GSM » même si nous ne sommes pas belges) :

« Salut, ma belle, ça va ? C’est la loose, je dois pondre un article sur la Saint-Valentin… Oui, je sais, quelqu’un se moque de moi… Faut que tu m’aides là.

— La Saint-Valentin ? Mais on est en décembre ! Quoi que tu me diras, ils ont installé les guirlandes de Noël en octobre, donc bon…

— Oui, mais c’est pour le bimestriel, le LCLB, donc faut bien anticiper…

— Ah oui, c’est vrai. Mais faut que ça parle de cette fête précisément ou de l’amour en règle générale ?

— Pfff, faut toujours que ça tourne autour de l’amour, j’imagine que c’est un bon prétexte… Tte façon je peux aller un peu partout, si y a bien un truc qu’on peut accorder à Rivaldi, c’est qu’il me laisse pas mal de libertés.

— Ouais… Je sais pas, tu pourrais parler du fait que cette fête est vraiment devenue un business, non ?

— Pas faux. Mais terriblement classique. De toute manière l’amour en général, non, est devenu business ? Avec tous ces sites de rencontre…

— C’est clair, on se faisait cette réflexion avec Camille la dernière fois, il me faisait remarquer que les gens ont du mal à rester seuls, c’est presque comme si on nous l’interdisait… à croire qu’il y a une guerre contre le célibat !

— T’es royale ma poule !

— Oui, c’est ce que je n’arrête pas de me répéter. On n’est jamais mieux servi que par soi-même !

— J’en suis pas si sûre… Mais en tout cas merci ! Au fait, je viens de capter pourquoi la voisine de palier me regarde toujours chelou… Je passe te voir bientôt !

— Ah ouais ? Elle t’a parlé ?

— Non c’est juste que j’étais en pleine conversation avec la photo de mon père…

— Ah ba oui… Je pensais que t’avais arrêté avec ça…

— J’ai des rechutes…

— OK, on en reparle… Mais pense à m’envoyer ton texte hein !

— Ouais, je te tiens au courant. Gros bisous.

— Bisous, bon courage ! »

Du courage ? Vanessa aurait plutôt besoin de recul, de clairvoyance. Il serait dommage, minable, d’utiliser cet article pour se venger, pour cracher qu’elle n’y croit plus, pour ridiculiser tous les blaireaux qui continuent d’y croire. Il serait nul de médiocrité d’en faire un ramassis d’amertume. Comment écrire quelque chose censé célébrer l’amour alors que voici plusieurs mois qu’elle regarde en elle et tout autour d’elle pour n’y voir que des gens désolés, comme assoiffés, à la poursuite effrénée d’une sorte d’oasis, d’un miraculeux remède aux difficultés de vivre : l’amour ? Aux terrasses des cafés, dans la queue à Monoprix, dans les livres, à la radio, dans les films, les publicités, tout lui semble reposer sur cette quête : l’amour. Un véritable film d’horreur : des zombis en pleine errance, à la recherche maniaque de l’autre zombi qui saura leur rendre apparence humaine.

Debout devant une fenêtre ouverte, face au ciel bleu, face au soleil, yeux fermés, grosse inspiration.

Quelques semaines après sa fausse rupture, Vanessa avait conclu, après un minutieux examen de conscience, qu’elle serait désormais seule et s’était interdit de faire de cette solitude un esseulement. Elle ne serait pas zombi. Elle avait pactisé avec elle-même pour ne plus déposer entre les mains de qui que ce soit le pouvoir de la rendre vivante. Certains jours, il lui arrivait d’être fière d’elle. Tous les soirs, l’absence d’Honoré lui donnait l’impression d’échouer lamentablement. « Rien n’est tout noir ou tout blanc », lui avait-il souvent répété. Elle se rassurait alors comme ça, en se disant qu’elle faisait bonne route, qu’elle avait néanmoins le droit de ressentir du manque, que feindre ne pas souffrir de son absence la rendrait plus aigrie que positive. Ainsi, s’efforçait-elle à un travail de longue haleine.

Assise maintenant à son poste de travail, l’écran de son portable lui dit « 10 : 22 » et la petite photographie « Surtout ma fille, n’écris pas comme tu marcherais sous la pluie, tu sais, sans parapluie ».

Ses pensées s’arrêtent sur ses potes cachés derrière Tender, sur ceux bercés et/ou tordus et/ou cadenassés en couple, sur ceux rêvant de l’être, sur ces filles toujours à l’affût du regard les faisant exister, sur ces types souvent persuadés d’avoir un truc à prouver, « Ah tiens, on peut aussi inverser les sujets… ». La Saint-Valentin… Fête dévoyée, amoureux fourvoyés agissant telles des marionnettes au profit d’achats, de tables de restaurants, au lieu d’en sourire et de surprendre. Fatalement, ses pensées s’agrippent à Honoré, au seau d’eau bien glacée qu’elle lui lancerait volontiers en plein visage, aux nuits si tendres dont le rêve était de l’envelopper.

Pas de poème, pas de chiffre, pas d’historique, elle penche pour une lettre. Pas un courrier du cœur, ce cœur qu’on aime à imaginer naïf réceptacle, irréfléchi, mielleux, fragile, juste bon à pleurnicher. Si, finalement si, un courrier du cœur, mais d’un cœur attentif, lucide et affranchi.