Marie-Rose au couvent - Jeanne Leroy-Allais - E-Book

Marie-Rose au couvent E-Book

Jeanne Leroy-Allais

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Beschreibung

Après un cliquetis aussi discret que peut le fournir un très gros trousseau de clés, la porte s’ouvre, tirée par une main invisible ; — c’est une lourde porte, massive jusqu’à mi-hauteur et dont le panneau supérieur est occupé par une grille épaisse que protège encore un rideau en damas grenat — une toute petite fille, un bébé presque, en franchit le seuil. La porte se referme aussi mystérieusement qu’elle s’était ouverte, le cliquetis se fait de nouveau entendre : Marie-Rose est au couvent.
Le « tour » est tellement obscur que l’enfant ne peut discerner à qui appartient la main qui saisit la sienne et la voix qui lui dit d’un ton encourageant :
— Venez, ma petite fille, faire connaissance avec vos nouvelles compagnes.
C’est seulement au sortir du « tour » que Marie-Rose lève les yeux et reconnaît la religieuse qui vient de causer longuement avec sa grand’mère.
On fait beaucoup de chemin à travers des jardins fleuris et de grandes cours solennelles, on suit un long passage voûté très sombre, fermé aux deux extrémités par une grosse porte et qui effraye un peu l’enfant ; finalement, on débouche sur un large espace rempli de soleil et de chants d’oiseaux. Là, on s’arrête.

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Veröffentlichungsjahr: 2024

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J. LEROY-ALLAIS

MARIE-ROSE AU COUVENT

© 2024 Librorium Editions

ISBN : 9782385747152

MARIE-ROSE AU COUVENT

PREMIÈRES IMPRESSIONS

I L’ENTRÉE

Après un cliquetis aussi discret que peut le fournir un très gros trousseau de clés, la porte s’ouvre, tirée par une main invisible ; — c’est une lourde porte, massive jusqu’à mi-hauteur et dont le panneau supérieur est occupé par une grille épaisse que protège encore un rideau en damas grenat — une toute petite fille, un bébé presque, en franchit le seuil. La porte se referme aussi mystérieusement qu’elle s’était ouverte, le cliquetis se fait de nouveau entendre : Marie-Rose est au couvent.

Le « tour » est tellement obscur que l’enfant ne peut discerner à qui appartient la main qui saisit la sienne et la voix qui lui dit d’un ton encourageant :

— Venez, ma petite fille, faire connaissance avec vos nouvelles compagnes.

C’est seulement au sortir du « tour » que Marie-Rose lève les yeux et reconnaît la religieuse qui vient de causer longuement avec sa grand’mère.

On fait beaucoup de chemin à travers des jardins fleuris et de grandes cours solennelles, on suit un long passage voûté très sombre, fermé aux deux extrémités par une grosse porte et qui effraye un peu l’enfant ; finalement, on débouche sur un large espace rempli de soleil et de chants d’oiseaux. Là, on s’arrête.

— C’est cela, le couvent ? interroge la petite.

— Oui, c’est le Pensionnat ; c’est là qu’habitent nos chères filles, et que vous habiterez vous-même.

— Où sont donc mes cousines Louvière ?

— Elles sont en classe, vous les verrez sortir tout à l’heure, quand sonnera la collation.

— Qu’est-ce que c’est, la collation, madame ?

— C’est ce que vous appelez probablement le goûter.

— Ah ! oui, le goûter…, je sais, alors.

Sur le pas d’une porte enguirlandée de vigne, musarde une fillette de treize à quatorze ans, vêtue d’un tablier de cotonnade bleue et qui, au bruit que fait le portail de la voûte en se refermant, disparaît dans les profondeurs de l’appartement.

— Coudert, dit la religieuse, sans trop de sévérité, ne vous cachez pas, c’est inutile ; j’ai très bien vu que vous perdiez votre temps. Allez au Noviciat dire à la mère Maîtresse qu’elle m’envoie la petite sœur d’Ailly.

La jeune Coudert, qui n’est autre que l’orpheline de semaine au Pensionnat, s’éloigne pour exécuter l’ordre qui lui est donné. Mais, avant de s’engouffrer dans le passage, elle se retourne deux ou trois fois pour bien examiner la « nouvelle » ; et le geste qui traduit son impression signifie clairement : « Qu’elle est petite !… oh ! mais qu’elle est petite !… »

Sœur d’Ailly arrive peu de temps après, sous la figure d’une postulante habillée de mérinos noir, avec un bonnet également noir qui lui emboîte étroitement la tête et les oreilles. Malgré son vilain costume, elle est très gentille, sœur d’Ailly. Elle paraît douce, un peu timide, mais remplie de bonne grâce.

— Ma petite sœur, dit la religieuse, voici notre nouvelle enfant, Marie-Rose Gourregeolles. Vous allez la promener dans les jardins et tâcher de la distraire jusqu’à la collation.

— Bien, mère Préfète.

Mais Marie-Rose, qui commence à s’habituer à son introductrice, prononce, d’une petite voix posée, point du tout pleurnicheuse :

— J’aimerais mieux rester avec vous, madame.

— C’est que je n’ai pas le temps de me promener aux jardins, moi. J’ai affaire dans mon cabinet.

— J’irai bien dans votre cabinet, si vous voulez, madame.

— Bon, Marie-Rose, il ne faut pas vous contrarier pour le premier jour. Ma petite sœur, tenez-vous dans la classe de couture, où mère Sainte-Rosalie trouvera bien à vous employer. Cette jeune personne changera peut-être d’avis.

Le cabinet de la mère Préfète est très clair et très gai. La religieuse campe Marie-Rose devant la fenêtre dont elle relève le store afin que la petite puisse juger de sa nouvelle habitation : d’abord, de chaque côté d’un escalier de pierre dont les marches se sont creusées sous les petits pas qui les martellent depuis si longtemps, deux terrasses en pente, toutes fleuries de boules-de-neige et de lilas ; au-dessus, un vaste berceau de chèvrefeuille ; puis deux autres terrasses plus petites pleines de corolles épanouies ; et, à l’infini, des jardins très verts d’où s’envolent les pétales blancs ou roses des arbres fruitiers.

L’impression que reçoit la petite fille est si charmante et si douce, que sa figure, demeurée un peu grave, s’éclaire d’un sourire. Sa voix prend une intonation câline pour dire :

— Il est très joli votre couvent, madame, et j’aimerais bien me promener dans les jardins avec ma petite sœur d’Ailly. Voudriez-vous envoyer Coudert la chercher, s’il vous plaît ?

La religieuse s’arrête d’écrire, un peu stupéfaite que cette toute petite fille de trois ans et demi ait retenu d’emblée, non seulement les noms, mais les attributions de gens qu’elle vient de voir pour la première fois.

— Oh ! dit-elle avec un sourire de satisfaction, je vois que nous sommes largement pourvue d’observation et de mémoire ; c’est très bien, cela. Maintenant, écoutez-moi, Marie-Rose, il ne faut pas appeler les religieuses madame, il faut les appeler ma mère. Vous apprendrez bien vite à distinguer celles qu’il faut appeler ma bonne sœur ou ma petite sœur.

Souriante et entrant de la meilleure grâce du monde dans le rôle tout nouveau pour elle de pensionnaire, la fillette répond après une légère hésitation :

— Oui… ma mère.

Les voilà donc parties toutes deux pour les jardins, Marie-Rose et la jeune postulante ; celle-ci se dépensant en amabilités, celle-là tout oreilles, écoutant les explications qui lui sont faites sur la vie et les hôtes du couvent. De temps à autre, elle réclame un supplément d’information au sujet des choses et des mots qui la touchent pour la première fois.

— Qu’est-ce que c’est ?… qu’est-ce que cela veut dire ?…

Sœur d’Ailly répond en termes clairs, précis, et sans concession trop marquée à la toute petite intelligence de son interlocutrice. C’est pour l’enfant la première initiation à ce langage qu’elle doit entendre pendant treize ans, langage sérieux, élevé, si simple pourtant dans sa noblesse, qu’après un court entraînement, il est accessible aux esprits les plus jeunes et les moins développés.

Soudain, une cloche qui sonne quinze coups, vient troubler la paix des jardins fleuris.

— Voici la collation, Marie-Rose, descendons.

Elles sont au haut de l’escalier quand, d’une large baie cintrée, sort en brouhaha un groupe de fillettes en tablier noir où tranche une ceinture de laine bleue, puis un second groupe en ceinture jaune, puis un troisième en ceinture rouge, un autre encore, celui-là beaucoup plus grave, où se mêlent des ceintures blanches et des violettes ; puis un dernier groupe de toutes petites avec une ceinture verte.

Marie-Rose n’a pas encore eu le temps de se reconnaître dans ce joyeux tumulte que, déjà, des cordes tournent, des cerceaux roulent, des ballons rebondissent. Dans un angle de la cour, une queue s’organise et les enfants de toute ceinture défilent devant la table où l’on distribue des tartines.

— Ce sont les pensionnaires ? interroge Marie-Rose.

— Oui, ma petite fille, ce sont les pensionnaires, nos enfants.

Et cette expression maternelle « nos enfants » est charmante dans la jeune bouche qui la prononce.

Marie-Rose semble un peu désillusionnée. Elle a assisté à la dernière distribution des prix, et elle a conservé le souvenir d’une élégance qu’elle ne retrouve plus.

— Pourquoi n’ont-elles pas leurs robes blanches et leurs beaux rubans ? demande-t-elle.

— On met les robes blanches et les ceintures de soie seulement aux grandes fêtes. Aujourd’hui, c’est jour de classe, on est en sarrau.

— Ah !

D’un groupe jaune, cette exclamation retentit soudain :

— Marie-Rose !… Te voilà donc au couvent !…

A quoi l’interpellée répond :

— Camille !… ma cousine Camille Louvière !… Laissez-moi aller avec elle, ma petite sœur d’Ailly.

La Jaune s’est déjà emparée de Marie-Rose et l’entraîne vers la « distribution ».

— Dépêchons-nous, il n’y a presque plus personne à la queue. Si nous arrivions trop tard, nous aurions du pain sec.

En route, on croise une Verte, déjà pourvue de sa tartine.

— Françoise !… Crois-tu ?… Marie-Rose que voilà au couvent. Va chercher Denise pour qu’elle la voie.

Mais, au lieu d’aller chercher Denise, suivant l’ordre de son aînée, Françoise Louvière s’empare de la main restée libre de la petite cousine. Denise, avertie par la rumeur, vient bientôt se joindre au trio. Comme Marie-Rose n’a pas trois mains, ainsi que le fait remarquer judicieusement Camille, la dernière venue s’empare d’un pan de sa robe, et, triomphalement, on arrive à la « distribution ».

Une religieuse, debout devant une grande corbeille remplie de pain, donne à chaque enfant une tartine sur laquelle elle a posé un petit tas de confiture noire.

— C’est du cirage, déclare Marie-Rose.

Et les trois jeunes pensionnaires se mettent à rire de ce que la petite nouvelle a, d’elle-même, trouvé le mot qui, au couvent, sert à désigner la compote de raisin.

La récréation bat son plein : des cordes tournent pour le « passe-passe », se balancent mollement pour le « bateau », cinglent au « vinaigre », se raidissent aux « doubles-tours ». Quelques petites enragées, afin de ne pas perdre une seconde de plaisir, ont confié à de plus jeunes qu’elles, très honorées de rendre service à une ceinture supérieure, leur tartine dans laquelle elles mordent une bouchée à la hâte, quand le jeu le leur permet.

Des Bleues jouent au ballon. L’une d’elles, perchée sur le bord de la terrasse, lance la sphère de caoutchouc qui rebondit et que l’on rattrape en bousculade.

A travers le tout, passe une partie de cligne-musette que produit le désarroi et amène des protestations indignées. Mais le conflit ne dure pas ; on est trop pressé de jouer.

Les plus paisibles se sont réfugiées dans une petite avenue à l’écart, où elles jonglent avec des balles de peau cousue.

Çà et là, des duos se forment : une grande et une petite. La grande rectifie un détail de toilette, passe l’inspection des mains et des ongles, rattache des cheveux en désordre, gronde quelquefois et plus souvent câline.

Au passage des quatre cousines, une Violette interpelle Denise qui se rend docilement à la convocation.

— Voyons ce bobo… Cela va mieux, mais il ne faut pas toucher à la terre jusqu’à ce que le petit doigt soit entièrement guéri. Vous ferez votre jardin plus tard.

— Oui, Colette, répond Denise avec une affectueuse soumission. Savez-vous, Colette, notre petite cousine Marie-Rose est au couvent ; la voilà. Elle est toute jeune, mais on l’a prise quand même parce que sa maman est morte.

Camille tire la manche de l’indiscrète.

— Grand’mère a dit qu’il ne faut pas lui parler de sa maman parce qu’elle pleurerait.

La Violette répond, sur un ton de grande sœur raisonnable :

— Non, elle ne pleurera pas, parce qu’on l’aimera bien. Elle est mignonne au possible, et elle va être le chouchou de tout le monde.

On se sépare après une tournée de baisers sonores.

— C’est Colette Champbourg, c’est ma « petite mère », explique Denise.

— Non, déclare péremptoirement Marie-Rose, ta petite mère, c’est tante Renée.

— Voilà, j’ai une petite mère dans le monde et une autre au couvent.

— Allons boire, propose Françoise, j’ai soif, moi ; c’est bourrant, la confiture de cirage.

Sur le seuil de l’appartement où Coudert flanait lors de l’entrée de Marie-Rose, des fillettes en groupe attendent leur tour.

Coudert prend l’une des timbales qui baignent dans une grande terrine, la présente à la bonne sœur, qui la remplit d’eau, puis la tend à la main la plus proche. La timbale vidée est remise plus ou moins brusquement dans la terrine, d’où Coudert la tire de nouveau, et ainsi de suite jusqu’à ce que toutes les soifs se trouvent apaisées.

Des protestations s’élèvent de temps en temps :

— Coudert, vous ne rincez pas les timbales, c’est dégoûtant !

— Ma bonne sœur, dites à Coudert de changer l’eau de la terrine ; elle lave tout dans la même.

Pendant que la jeune orpheline renouvelle l’eau suspecte, une Rouge offre à la cruche un verre particulier. Mais sœur Saint-Placide relève comme il faut cette infraction au règlement.

— Mademoiselle Charost, vous savez bien que ces « gailleries-là[1] » sont défendues ; je ne peux pas vous verser à boire dans ce verre. Servez-vous des timbales comme vos compagnes.

[1] Délicatesses.

— Coudert met ses doigts dedans.

Quelques enfants, pressées de retourner au jeu, s’impatientent de ces retards.

— En voilà des histoires ! Coudert, passez-moi bien vite une timbale, n’importe comment.

Coudert reçoit l’avalanche avec une placidité qui témoigne d’un sérieux entraînement. Que l’on proteste, que l’on supplie, que l’on s’indigne, elle n’accélère pas ses mouvements d’un iota.

Marie-Rose commence à s’effarer un peu, à trouver la vie du couvent très bousculante et tapageuse, quand la cloche envoie trois coups d’avertissement. Un calme relatif s’établit. Puis, après une volée de quinze coups, le silence se fait, les groupes se rangent par couleurs, et tout le monde défile en ordre.

La mère Préfète est descendue dans la cour pour assister à la rentrée. Au passage de la classe blanche, elle touche le bras d’une grande fillette blonde, fraîche, à l’air très éveillé.

— Anne de Thézy, restez en arrière, j’ai à vous parler.

Quand la cour, tout à l’heure si joyeuse, est redevenue calme et déserte, la mère Préfète dit à la grande élève :

— Anne, vous m’avez souvent demandé une « fille » et j’ai refusé jusqu’ici parce que vous êtes loin d’être un modèle de docilité ; mais comme, après tout, vous avez bon esprit et que vous aimez les enfants, je vais vous confier cette petite Marie-Rose qui a grand besoin de sollicitude et d’affection.

D’un coup d’œil, la Préfète désigne la robe noire de l’enfant.

— Oh ! pauvre mignonne ! dit Anne, la voix subitement émue.

Et, se baissant pour mettre sa tête au niveau de celle de la petite.

— Comprenez-vous, Marie-Rose, désormais je suis votre petite mère. Chaque fois que quelque chose vous ennuiera ou vous chagrinera, c’est à moi que vous viendrez le conter.

Marie-Rose demeure un instant songeuse, puis elle reprend :

— J’avais une autre petite mère, moi…, comme mes cousines…; mais elle est partie avec le bon Dieu.

— … D’où elle continue à veiller sur sa petite fille. Et nous ferons en sorte, nous toutes qui aurons à nous occuper de Marie-Rose : Anne que voici, sœur d’Ailly et moi-même, que la chère maman n’ait aucun reproche à nous faire quand on se retrouvera toutes ensemble.

Marie-Rose ne comprend pas très bien ; mais la voix qui lui parle est calme, doucement persuasive ; la jolie Anne a pour elle un regard plein d’affection, ses cousines Louvière qu’elle aime beaucoup sont là tout près… Par une grande baie vitrée, elle aperçoit des Bleues qui écoutent attentivement une explication de leur maîtresse et semblent heureuses de leur sort… Des oiseaux innombrables, que le départ des fillettes a remis en possession de la cour fleurie, chantent, gazouillent, pépient… L’air est embaumé par les ravenelles qui poussent au pied des murs et les lilas qui balancent leurs grappes sous la brise fraîchissante… Tout : êtres et choses, paraît à l’enfant paisible, accueillant, protecteur.

La petite orpheline se sent adoptée par le couvent. A défaut du foyer, elle y trouvera un refuge, à défaut de maman, des mères et des sœurs.

II MARIE-ROSE HORS CADRES

Il y avait longtemps déjà que la jeune existence de Marie-Rose était bouleversée. Sa maman, malade, ne pouvait plus s’occuper d’elle comme par le passé ; et le coquet logis parisien où elle était née n’avait plus cet aspect soigné qui donne une impression si bienfaisante de sécurité et de paix. Au couvent, elle retrouva l’ordre, la quiétude, la ponctualité en tout, une vie sereine, sans à-coups, sans bruits, ni mouvements exagérés. Aussi se plut-elle tout de suite dans sa nouvelle demeure.

Non seulement elle aima les grandes pelouses ensoleillées, les allées ombreuses, les terrasses fleuries surplombant les cours et les jardins, les petites chapelles éparses dans la verdure, la cloche grave qui appelait aux offices et le gai carillon qui sonnait les heures, mais elle aima encore le langage élevé, correct, choisi qui était celui de toutes les maîtresses et de presque toutes les élèves : elle aima la franchise, la cordialité des manières et la générosité des sentiments qui étaient de règle au couvent.

Trop jeune pour regretter longtemps et profondément la mère qu’elle avait perdue, elle s’abandonna avec délices à la douceur qui l’entourait ; et l’affection qu’elle prit alors pour les êtres et les choses de son couvent ne se démentit jamais.

Marie-Rose a trois ans et demi, et c’est à cinq ans seulement qu’on entre au couvent. Mais sa grand’mère paternelle, des tantes et de nombreuses cousines y ont été et y sont encore élevées, il est tout naturel qu’on l’ait admise par concession après la mort de sa mère. Toutefois, comme elle ne saurait encore suivre aucune classe, elle est considérée comme « hors cadres ».

Elle passe ses journées aux jardins, surveillée tantôt par l’une, tantôt par l’autre, au hasard des occupations de chacune. En attendant qu’elle travaille sous la direction de doctes maîtresses, elle vit dans la compagnie des bonnes sœurs.

Elle accompagne souvent la jardinière dans son domaine et s’intéresse à la culture. Il faut voir le petit air entendu qu’elle prend pour tâter la pomme des choux et le cœur des laitues. Elle cueille des petits pois et sarcle les jeunes plants. Il lui arrive bien quelquefois d’enlever une tige pour avoir une cosse, ou d’arracher les fanes de légumes croyant que ce sont de mauvaises herbes. Mais la bonne sœur Saint-Éloi ne se formalise pas pour si peu.

D’autres fois, c’est la sœur de la basse-cour, qui réclame Marie-Rose. La basse-cour est très plantureuse. Outre une multitude de poules, de coqs, de pintades, on y voit quelques beaux faisans et un paon. On y trouve encore un clapier rempli de lapins de toutes robes, deux chèvres, Gloriette et Marjolaine, et un cochon désigné sous le nom immuable de « le monsieur », Dieu sait ce qu’il en a défilé de cochons, depuis que le couvent existe, mais c’est toujours « le monsieur ».

Pendant que la sœur procède aux opérations nécessaires, la petite fille se roule dans la paille destinée à la litière, ou plonge ses bras dans les sacs de grain blond, ou balaye la cour avec un balai approprié à sa taille. Ces divers exercices ne vont pas sans amener dans la toilette un peu de désarroi que les bonnes sœurs réparent de leur mieux tout en s’inquiétant.

— Qu’est-ce que Mlle de Thézy va dire de voir sa fille en pareil état ?

Mais le grand amour de Marie-Rose est Nazareth.

Au fond des jardins du Gros Poirier, sous les grands arbres, parmi les corolles blanches, toujours épanouies, se trouve une petite maison carrée, un bijou de chapelle rustique : c’est Nazareth.

Le fond de l’autel, peint à fresque, représente la Sainte Famille dans une scène de la vie journalière : saint Joseph, aidé de l’Enfant Jésus, travaille à son établi, pendant que la Sainte-Vierge met sécher du linge sur une corde tendue entre deux palmiers. L’ornementation de la chapelle est des plus simples : des flambeaux de cuivre naïvement ciselés, des vases de grosse faïence où s’épanouissent les fleurs les plus modestes, des corbeilles de jonc remplies de mousse et de fougères.

Mais ce qui, par-dessus tout, charme les enfants, c’est la crèche : une vraie crèche avec un toit de chaume, une mangeoire accrochée au mur et une litière de paille sur laquelle repose un petit Jésus à la mine rougeaude, bien serré dans ses langes.

Marie-Rose est dans les meilleurs termes avec les habitants de Nazareth. Elle leur parle et, grâce à son imagination très vive, elle est persuadée qu’ils la comprennent et lui répondent. Elle s’inquiète auprès de la Sainte Vierge de la santé du petit Jésus, s’informe s’il a bien dormi et, quand il fait froid, veut, à toute force, lui porter une couverture de tricot. Puis elle gourmande saint Joseph de ce qu’il ne soigne pas ses animaux auxquels elle-même porte des poignées d’herbes fraîches.

Elle en use tout autrement avec le saint Jean-Baptiste du Vieux Cloître. Il est très beau, ce cloître, mais un peu assombri par une épaisse retombée de houblon, et Marie-Rose ne s’y sent pas à l’aise. De plus, il s’y trouve une statue du Précurseur auquel sa grande barbe et la peau de mouton qui le recouvre donnent un aspect hirsute et rébarbatif. Aussi l’enfant déclare-t-elle volontiers qu’elle « aime bien les petits saints Jean, mais pas les vieux ».

Toutefois, elle est très polie envers ce vieux-là. Quand elle passe devant lui pour chercher un ballon égaré sous le cloître, elle lui fait une belle révérence et dit avec un empressement timide :

— Bonjour, monsieur saint Jean ; je viens chercher mon ballon, s’il vous plaît.

Le couvent renferme des coins où les enfants ne pénètrent jamais, que même elles ignorent de toute leur vie de pensionnaire, mais que Marie-Rose connaît bien, et où elle est traitée comme une petite reine, notamment la boulangerie et la suifferie.

La sœur boulangère lui fait, tous les jours de cuisson, une bonne galette au beurre. A la suifferie, on lui moule de jolis cierges à dessins qu’elle porte à son cher petit Jésus afin qu’il n’ait pas peur la nuit.

Quelquefois, la mère Préfète dit :

— Marie-Rose aura du mal à se plier au règlement ; elle est trop gâtée ici.

Mais les bonnes sœurs qui sont en admiration permanente devant la fillette, devant ses façons de jeune Parisienne, son babil incessant et joyeux, même devant ses caprices et ses petites colères, s’exclament les mains jointes :

— Elle est si petite, notre Mère, si petite… si petite !… Et puis, elle n’a plus de maman.

Quand il fait trop mauvais temps et que les jardins sont impraticables, Marie-Rose réside à l’« appartement ». C’est là que se fait le ménage classique du pensionnat ; il en résulte un va-et-vient permanent qui n’est pas toujours recueilli, mais dont Marie-Rose est néanmoins très impressionnée.

Après les leçons quotidiennes d’arithmétique, une élève de chaque division vient avec la sébile de bois et l’éponge blanchie de craie, faire le nettoyage de son matériel. Marie-Rose est pleine de respect pour cette manifestation de science ; et, confondant l’effet et la cause, elle prononce avec un orgueilleux espoir :

— Quand je serai grande, moi aussi, je blanchirai des éponges.

Si la bonne sœur doit quitter pour un moment son service du pensionnat, elle dépose la petite fille dans la classe blanche.

— Est-ce que Mlle de Thézy ne pourrait pas garder sa fille un moment ?

On donne alors à Marie-Rose un crayon et du papier pour qu’elle dessine des bonshommes ; ou bien, on lui prête des livres à images qui l’intéressent toujours et qui parfois l’étonnent.

C’est ainsi qu’un jour, elle trouva dans une histoire naturelle, la représentation d’un squelette. Effarée d’abord, elle regarda longuement, attentivement ; et, reconnaissant enfin la silhouette d’une vague personne, elle prononça à haute voix :

— Où donc que cela demeure, ces gens-là ? On n’en voit jamais dans la rue.

Mais ces incartades sont rares. Tout au contraire, elle est pleine de recueillement dans ce temple du savoir ; et, par sa sagesse, elle édifie les grandes pensionnaires et jusqu’à la religieuse.

Ce régime de grand air et de calme parfait fut extrêmement propice à Marie-Rose. La petite Parisienne nerveuse, à la chair délicate, à la peau transparente et veinée de bleu, prompte à l’émotion, à la joie excessive, à la colère, au chagrin, devint rapidement une solide petite bonne femme au teint bruni, aux muscles résistants, au sommeil profond, à l’humeur presque égale.

 

III JOUR DE RENTRÉE

Anne de Thézy boutonne le tablier d’escot tout neuf ; puis elle le tire par le bas, y donne quelques tapes pour lui faire perdre un peu d’apprêt et dit :

— La ceinture, maintenant.

Marie-Rose, très fière, mais d’une fierté un peu recueillie, tend une longue tresse de laine vert foncé terminée par deux glands.

— Faites bien attention, ma petite fille…; là, sur l’épaule gauche…, non pas remontée dans le cou…, ni glissant sur le bras, ce qui est tout aussi laid, mais bien d’aplomb…, le sautoir ni trop tendu ni trop lâche…, un tour de taille et le nœud à double rosette avec les deux pans sur le côté droit. Vous avez compris ?

— Oui, Anne.

— A la façon dont elle porte sa ceinture, on juge tout de suite une pensionnaire. Vous voilà donc consacrée Verte… Je suis sûre que vous allez me faire honneur.

— Oui, Anne.

— Embrassez-moi ; vous êtes une bonne fille quand vous le voulez… Qu’allez-vous faire, maintenant ? votre classe doit être fermée, les petites « Croix de par Dieu » ne rentrent que demain matin.

— J’ai vu Stéphanie Boucheron.

— Mais Stéphanie doit être chez les Bleues avec sa sœur. On ne peut pas immobiliser une maîtresse exprès pour vous deux. Voulez-vous venir avec moi ? Vous m’aiderez à ranger mon pupitre.

— Oh ! je veux bien, Anne.

Anne introduit sa fille dans la classe violette.

— Je vous présente une nouvelle pensionnaire, dit-elle.

Après une minute d’examen, cette exclamation part de tous les coins :

— Marie-Rose !… non, ce n’est pas possible !…

On a si bien pris l’habitude de la considérer comme un bébé qu’on a du mal à se la représenter dans sa nouvelle incarnation.

— C’est maintenant une grande personne, explique Anne, elle aura bientôt cinq ans.

— Et elle a l’air joliment sage.

Le fait est que le tablier qui l’engonce un peu, la ceinture qui lui serre l’épaule, ce titre officiel de Verte qui lui appartient désormais : tout cela donne à Marie-Rose un petit air réfléchi qui la change entièrement.

On est très en l’air dans toutes les classes.

Après les congratulations mutuelles, les poignées de main et les embrassades ; après le récit schématique des vacances, il faut songer aux affaires sérieuses, c’est-à-dire à l’installation et au rangement du matériel.

C’est une allée et venue continuelle des études à l’« armoire », de l’« armoire » aux études. Les nouvelles de chaque division reviennent avec des paquets de livres neufs ; les anciennes se contentent de provisions de papeterie ; mais tout le monde est pressé, tout le monde veut être servi en même temps, et il en résulte quelque désarroi.

Les religieuses n’en paraissent point très mécontentes. Pour un jour de rentrée, elles préfèrent un peu d’animation, voire même de bousculade, à une trop grande sagesse. La transition est ainsi moins pénible entre la liberté dont on vient de jouir et la discipline qu’il va falloir reprendre.

Le tohu-bohu a gagné jusqu’à la classe violette. On s’y agite beaucoup, on y parle très fort et la petite sœur Moutier, qui « garde » pendant que les maîtresses sont au parloir appelées par les parents de leurs élèves respectives, est un peu débordée.

— Bon ! fait Anne de Thézy, j’ai deux « Pères de l’Église » et pas de grammaire générale. Marie-Rose, allez donc à l’« armoire » prier mère Saint-Boniface de me faire l’échange. Saurez-vous vous expliquer ?

Marie-Rose a beaucoup de mémoire ; elle parle très bien et s’exprime clairement. A l’admiration de toutes, elle répète, sans embarras, la difficile commission de sa petite mère.

— Attendez, Verte, ajoute Madeleine Charost, vous profiterez de l’occasion pour rendre ce « Pautex ». Un livre de Jaunes, je vous demande un peu, pourquoi pas un syllabaire ?

Au bout d’un instant, Marie-Rose revient avec une grammaire générale ; elle reçoit des remerciements et des éloges qui la rendent toute fière, et attend avec une impatience respectueuse que l’on réclame de nouveau ses bons offices.

— Heureusement que j’ai demandé avec insistance des « becs d’oiseau », prononce une voix fâchée. On m’a donné des « lances » que je ne peux pas souffrir, parce qu’elles sont trop dures. Petite Gourregeolles, faites-moi changer ces « lances » en « becs d’oiseau », à la rigueur en « têtes de mort ». Vous me connaissez bien… Geneviève Mourley.

La jeune pensionnaire commence tout de même à s’effarer sous le flot de connaissances nouvelles qu’on lui impose. Des lances ! des becs d’oiseau ! des têtes de mort ! tout cela dans le pupitre d’une Violette… Elle est bien étonnée quand on lui remet une simple boîte de plumes.

En descendant le grand escalier, hier encore silencieux et désert, aujourd’hui plein de mouvement et de tapage, Marie-Rose rencontre Berthe Aubugeau, une Bleue très délurée, qui l’examine avec une curiosité indiscrète.

— Mais c’est Marie-Rose que voilà en uniforme !… Ah bien ! c’est un événement, cela !… Venez donc que je vous « montre ».

La porte des Bleues est en face de l’escalier ; il n’y a qu’un pas à faire pour la présentation.

— Devinez qui c’est, la Verte toute neuve que je vous amène ?… Gourregeolles…

— Faites voir ? crie-t-on à l’envi.

Marie-Rose se trouve un peu humiliée d’être accueillie en phénomène. Mais la situation se dénoue rapidement. La maîtresse intervient avec vivacité.

— Reconduisez cette enfant où vous l’avez prise. On est assez dissipé comme cela.

Cette fois, Marie-Rose se fâche tout rouge. Après l’avoir considérée en bête curieuse, voici qu’on la traite en colis encombrant.

D’une voix perçante qui domine la rumeur, elle prononce avec un dédaigneux orgueil :

— Je suis chez les Violettes, je fais leurs commissions.

Non, mais ces Bleues qui se croient quelque chose d’important.

Les pensionnaires sont maintenant dans la cour aux Terrasses, réunies en groupe serré autour de la mère Préfète qui passe en revue son jeune bataillon.

— Qui est-ce qui manque encore ?… chez les Blanches ?…

— Frédérique Berthaud.

— Chez les Rouges ?…

— Germaine Aubry et Marguerite Toutain.

— Le monde de la culture à ce que je vois.

— Tant qu’il restera un gâteau en ville…

— Comment Gilberte, voilà que vous manquez de charité pour le premier jour… Allons, qu’on me raconte ce que l’on a fait pendant les vacances… Antoinette…

— De l’équitation, ma mère, tous les jours et par tous les temps.

— C’est très bien, cela… Anne aussi, je suppose ?…

— Oui, mère Assomption, et très souvent avec Antoinette, dont le frère est à Saumur.

Mère Saint-Boniface, présente au rapport, lève les yeux au ciel avec indignation.

— Et Geneviève ?

— Je suis allée dans le Berry chez ma nourrice et j’ai gardé les moutons avec ma sœur de lait.

— Bon ! voilà encore des vacances bien employées.

Les comptes rendus se poursuivent sans que la mère Préfète soit obligée d’interroger. Il arrive même que l’on parle plusieurs à la fois.

L’une a passé six semaines à Brighton, chez Lizzie Acford, une ancienne compagne du couvent. L’autre a accompagné sa mère à La Bourboule. Une troisième a fait les vendanges en Bourgogne. Les petites Champbourg ont canoté avec leurs frères et leurs cousins.

La mère Saint-Boniface, que deux heures d’« armoire » ne poussent pas à la tolérance, prend sa mine la plus revêche, la plus exaspérée. Passe encore pour la vendange et les moutons,… mais l’équitation !… le canotage !… les cousins !… Oh ! les cousins ! si l’on pouvait les exterminer jusqu’au dernier…

La mère Préfète, qui devine ces pensées, dit, en manière de réfutation préventive :

— Mais voyez donc les bonnes mines qu’elles nous rapportent… Et vous, Isabelle, qui n’avez rien dit ?…

— J’ai aidé ma cousine Trêves à broder une nappe d’autel.

— C’est pour cela que vous rentrez avec une figure de papier mâché. Et, dans quelque temps, ma cousine Trêves nous encombrera de médicaments variés pour « cette pauvre Isabelle bien pâle, bien délicate… » Si vous couriez au grand air, vous n’auriez pas besoin de pilules… Je suis sûre qu’il y a encore dans votre poche quelque dentelle en chantier…

Docilement, Isabelle exhibe un tout petit paquet blanc dont la vue cause une hilarité générale.

— C’est de la frivolité, explique-t-elle sur un ton d’excuse.

— Un nom bien choisi… Mais, ma petite Isabelle, c’est une maladie chez vous. Je vais vous faire surveiller, et si vous ne jouez pas consciencieusement aux récréations, je vous enverrai pendant les heures de couture, travailler aux jardins avec la bonne sœur Saint-Éloi.

Et, se tournant vers la surveillante générale qui est manifestement d’un avis contraire :

— J’aime bien, moi, quand il y a dans les familles des garçons pour secouer un peu ces petites demoiselles.

La nuit commence à tomber, et la mère Assomption se méfie de ce premier crépuscule. Elle craint qu’il n’apporte la tristesse.

— Allons, mes petites filles, dit-elle d’un air engageant, assez causé. Que l’on organise quelques défilés de « rubans ».

L’entrain n’est pas considérable, mais on obéit.

C’est nous qui sommes les rubans blancs.

Nous demandons pour compagnons

Les rubans bleus, les rubans bleus,

chante-t-on en rythmant la marche.

Tout d’abord, la course est un peu molle, les voix un peu sourdes. Mais, petit à petit, le pas devient plus ferme et le ton plus clair. Des rires éclatent pour un accroc au défilé, une chute sans conséquence, pour rien. Il n’y a pas de mélancolie qui résiste à une partie de « rubans » bien organisée.

Le souper de rentrée manque de gaieté. Entre la salle à manger familiale bien close, doucement éclairée, et le grand réfectoire aux recoins sombres ; entre la nappe, douce au contact, la faïence gaie, les cristaux étincelants, et le marbre dur, la porcelaine d’un blanc cru, les timbales un peu bossuées ; entre la causerie joyeuse des dernières semaines et le silence monacal auquel il faut brusquement s’astreindre, la comparaison est trop désavantageuse.

Le menu habituel ne subit aucune addition, aucun changement.

A huit heures, le dortoir froid où tremble une veilleuse reçoit les petites filles, choyées depuis six semaines.