Mayra ou le bonheur dans la secte - Alfred Carayol - E-Book

Mayra ou le bonheur dans la secte E-Book

Alfred Carayol

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Beschreibung

"Mayra ou le bonheur dans la secte" relate l’épopée d’un architecte tombant amoureux d’une femme sous l’emprise d’un gourou hindouiste, plongeant ainsi dans une romance enflammée. Au cœur de ce tourbillon s’entremêlent spiritualité orientale et héritage chrétien, suscitant des défis existentiels et passionnels qui captiveront les lecteurs jusqu’à la dernière page.




À PROPOS DE L'AUTEUR

Vice-président du Salon des Poètes de Lyon, Alfred de Loyarac a été honoré du Grand Prix International de Poésie Francophone de Caluire-et-Cuire (Rhône). Son écriture reflète son engagement en faveur de la francophonie.

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Alfred de Loyarac

Mayra ou le bonheur dans la secte

Roman

© Lys Bleu Éditions – Alfred de Loyarac

ISBN : 979-10-422-1734-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Car il s’élèvera de faux Christs et de faux prophètes ; ils feront de grands prodiges et des miracles, au point de séduire, s’il était possible, même les élus.

Matthieu 24:24

Du même auteur

– En collaboration avec Maryse Carayol, Enlacés, Éditions les grilles d’or, 2012 ;

– …d’avant mes dix ans : recueil de souvenirs de petite enfance, AFNIL, 2020 ;

– Les demoiselles d’Aphrodite : poésies amoureuses, Independently published, 2020 ;

– La Chambre – Autobiographie imaginaire, Autoédition, 2020.

Préface

Jean-Charles est un enfant du baby-boom d’après-guerre.

Comme beaucoup de petits Français de l’époque, il a reçu de sa famille une éducation traditionnelle, empreinte de religion catholique, qui ne le distingue pas particulièrement de ses contemporains.

On sait peu de choses de son enfance et de son adolescence à Lyon si ce n’est qu’il a bénéficié à fond de l’ascenseur social des « trente glorieuses ».

Et justement, à la trentaine, lorsque commence cette aventure, ce qui semble le définir le plus justement, ce sont ses réussites, personnelle et professionnelle.

Le voilà donc bien installé dans le confort que lui apportent son métier de « Maître d’Œuvre » et son mariage avec Marie-Claire.

Tout va bien pour lui, même si les convenances héritées de son milieu le freinent parfois pour assouvir dans son couple certains de ses fantasmes sexuels.

Tant pis, il se satisfait à l’extrême auprès de prostituées, tout en rêvant peut-être de « conquêtes » moins faciles…

Car Jean-Charles est un conquérant, un séducteur ! C’est d’ailleurs nécessaire à la pratique de sa profession, tant auprès des clients à convaincre que des partenaires professionnels à diriger.

Et cette faculté de séduire, il l’utilise dès que l’occasion se présente.

Ainsi commence l’histoire qu’il nous raconte ; par le grand jeu de séduction qu’il propose à Mathilde – une camarade de classe de son épouse – et qu’elle semble accepter, ce qui provoque en lui un profond désir, au point de chercher à la revoir, et plus si affinités.

Et il y a affinités…

« 68 » étant passé par là avec son lot de contestations et de remises en cause des autorités morales, religieuses, familiales et politiques, les femmes ayant enfin acquis – de haute lutte – la liberté de disposer de leur corps, tout semble permis aux amants « libérés »…

Les tabous ont sauté, les parents se montrent nus à leurs enfants, parfois même lors de leurs ébats amoureux, et les relations sexuelles sont de plus en plus variées, en actes, en positions, voire en partenaires de tous sexes, de tous âges…

Le cinéma, les romans, les documentaires s’emparent de ce sujet avec la même liberté de ton et d’écriture qui choque souvent les âmes bien-pensantes.

Jean-Charles n’est pas en reste dans sa narration réaliste et « crue » de son aventure avec Mathilde ; il semble même s’y complaire, la banaliser… tout en prévenant le(s) lecteur(s) de cette vigueur du propos.

L’histoire aurait pu s’arrêter là, sur un adultère somme toute commun, d’autant que Mathilde, qui va devoir quitter Lyon pour un temps assez long, lui fait bien comprendre que c’est fini entre eux…

Mais voilà notre homme « mordu » qui ressasse ses souvenirs, croit la voir partout et finit par lui écrire, en quête de nouvelles et pourquoi pas de retrouvailles.

Et elle répond ! Seulement, voilà, après deux années de séparation, Jean-Charles va découvrir une Mathilde un peu changée, devenue Mayra sous l’influence d’un gourou, et en recherche permanente de « Soi » dans tous ses actes, y compris les plus basiques : se nourrir, se vêtir et même faire l’amour…

Tout doit être pensé et réalisé dans ce but d’élévation, pour que le bonheur découle, finalement, de l’approche du « Nirvana »…

Cette béatitude du corps et de l’esprit, Jean-Charles la recherche parfois, lui aussi, dans sa religion, lors de séjours dans un monastère retiré du monde. Loin des bruits de la ville et plus proche de la nature, il peut alors entrer en méditation par les prières, ou à l’écoute des chants de ses amies moniales…

Au retour, cependant, il revient vite aux réalités matérielles…

Mayra voudrait bien l’entraîner avec elle plus loin, plus haut, vers cet absolu de l’hindouisme où l’appropriation de l’autre et le désir sont transcendés.

Pour la satisfaire, lui plaire, bref l’aimer vraiment, ira-t-il jusque là, lui pour qui le désir est un moteur, voire « le » seul moteur de ses réussites, familiale et professionnelle ?

Et, si oui, pourra-t-il encore en profiter ainsi que de la notabilité, et du confort douillet qu’elles lui apportent.

Son amour pour Mayra est si fort, oserais-je dire si puissant, qu’il lui semble impossible de ne pas envisager de la suivre, malgré la nécessité de devoir se débarrasser de bien des convenances et complexes hérités de son éducation, de sa culture ou de sa foi chrétienne. Souvent, malgré la gêne, pour son grand plaisir !

Mais ce « chemin de Katmandou » pour trouver « sa » raison de vivre, il est bien mal balisé, et beaucoup en sont revenus plus « perdus » que « trouvés », égarés, coupés de leurs racines et errants tels des zombies. C’est un peu ce que craint Jean-Charles, à force de séparations et de retrouvailles que lui impose Mayra.

Alors, suivez-les, et laissez-vous emporter dans leurs délires respectifs, celui ésotérique et philosophique de Mayra, et celui plus matériel et prosaïque de Jean-Charles… Peut-être trouverez-vous dans leurs pérégrinations quelques similitudes avec des situations que vous avez connues…

Dans cet ouvrage, Alfred de Loyarac nous dépeint les paradoxes d’une décennie qui a vu beaucoup de dérives et de laxismes s’installer dans nos sociétés occidentales opulentes, errements qui ont parfois occasionné des drames professionnels et familiaux sous le prétexte de recherche d’identité personnelle.

Le texte est attrayant, d’un style au vocabulaire simple et descriptif, facilitant la lecture des péripéties amoureuses, et reste cependant très philosophique.

Je qualifierais volontiers ce roman de picaresque, ne pouvant m’empêcher d’imaginer Jean-Charles comme un Don Quichotte contemporain, à la poursuite de ses chimères, un peu comme Jacques Brel dans « l’homme de la Mancha » dans sa quête, par-delà sa désespérance et au risque de se damner pour l’or d’un mot d’amour… pour atteindre, à s’en écarteler… l’inaccessible étoile…

Georges Varillon

8 mars 2023

Tantrisme : il ne s’agit pas ici de cette branche de l’Hindouisme que l’on peut tenter de définir comme une démarche ésotérique sous les directives d’un gourou dépositaire d’une longue lignée de maîtres : les adeptes y suivent une préparation de plusieurs années (rituels à forte symbolique sexuelle, ascèse, vénération de la déesse Shatki – l’énergie créatrice féminine –) avant de visualiser puis réaliser un acte sexuel destiné à atteindre les sommets de la spiritualité où l’ego est dissous et libéré de l’illusion du monde. Le tantrisme, selon Bhagwan Shree Rajneesh, qu’il appelait « néo-tantrisme », a repris la terminologie hindoue, en en inversant les fondements « pour le rendre acceptable par les Occidentaux » ; c’est une démarche hédoniste prenant la sexualité libérée comme point de départ de la connaissance de soi et d’une éventuelle quête spirituelle. Dans le contexte de libération des mœurs en Occident des années 70, le « yoga tantrique » est devenu un produit d’appel par sa forte connotation sexuelle.

Chapitre I

1979

Comment aurais-je pu éteindre complètement le feu d’un penchant irrésistible qui avait attaché mon corps à son corps onze années durant dès la première relation sexuelle, véritable addiction en devenir, nécessaire à l’exaltation des sens, vécue de surcroît dans le mirage d’une spiritualité au mysticisme inédit ? Oh, j’avais donc été amoureux à ce point, amoureux fou ou damné, de cette femme elle-même envoûtée par son attachement à un gourou indien, m’enveloppant à mon tour du magnétisme de son enseignement.

Et puis son corps m’avait séduit, et je n’ai rapidement pas pu vouloir ne pas jouir, et jouir encore de ce qu’il m’offrait. Née à la campagne, à l’époque des dernières grandes familles paysannes, élevée au milieu d’une tribu de dix frères et sœurs, sa corpulence appartenait à la lignée des femmes bâties pour procréer dans le bruissement, le tapage, voire le brouhaha domestique d’une ferme au travail. Sa silhouette semblait avoir été dessinée par un artisan consciencieux, appliqué à bien différencier la partie génitrice du dessous de la taille à la préciosité d’une dame distinguée animant le haut du corps. Large bassin, sur des cuisses robustes, mollets parfaitement galbés, puis taille fine, poitrine étroite, un long cou portant un visage de madone auréolée d’une longue chevelure châtain clair, voici ce corps tant caressé, cajolé, à me combler tel que je le revois toujours dans mes souvenirs. Cette dissymétrie harmonieuse m’apparut au sortir de notre premier acte d’amour, dans la griserie de l’extase comme la plus excitante de mes connaissances du corps féminin. Et pourtant, cette étreinte s’était abstenue de tout confort. La belle m’avait ouvert sans que j’eusse sonné, m’ayant aperçu traversant le parc boisé de la coquette résidence où son appartement se trouvait en rez-de-chaussée. Dès le hall, elle se plaquait contre moi, s’emparait de mes lèvres d’une bouche impatiente, soulevait d’une main une longue et vaste robe noire, entraînant de l’autre la mienne afin que je puisse constater la nudité de son sexe. Toujours enlacés, nous titubions vers la grande salle où elle m’attirait sur la moquette drue du sol, en relevant la robe jusque sous le soutien-gorge. Le temps de tirer pantalon et sous-vêtement et je me sentais happé par sa vulve tandis qu’elle attrapait un coussin non éloigné à placer sous sa tête. Et puis, sans que je puisse esquisser quelque caresse préliminaire, ne serait-ce qu’au niveau de la poitrine, l’affaire ne fut pas très longue à se développer, juste le temps de découvrir de tout près la beauté de ses yeux gris bleu et son visage botticellien transformé par le plaisir que lui donnait un homme encore inconnu, il y avait une trentaine d’heures. Elle avait eu un long gémissement en secouant vigoureusement la tête de gauche à droite plusieurs fois. Je ne me retenais pas, jouissais et roulais sur le sol à ses côtés, étrangement déconnecté de mes petits savoirs jusque là du plaisir sexuel féminin. Cette rapidité à me prendre, comme celle de trouver l’orgasme après quelques mouvements, sans préliminaire, sauf celui de glisser étonnamment et ridiculement son doigt dans mon anus, m’apparaissait très étonnante. N’était-ce pas le fait d’hommes jeunes, souvent desservis d’une éjaculation précoce, de frustrer leurs compagnes ?

Je restais ainsi allongé près d’elle de longues minutes, un peu inquiet, les yeux clos. Je m’habituais à l’odeur de ce petit deux-pièces, lieu, et je ne le savais pas alors, où je vivrai une période de mon futur. Pas un bruit. L’immeuble entrait silencieusement dans sa soirée et, de la rue éloignée par la profondeur du parc, ne parvenait que le son haché et sourd de la circulation.

Finalement, je ne craignais pas du tout ce qui se passerait. Elle se levait, je l’entendais ôter la robe, le chemisier et dénuder les seins. J’ouvrais les yeux et elle m’apparaissait si magnifique, si grande au-dessus de moi, et elle souriait de toute la bienveillance que je découvrirais d’elle. Nous nous disions bonjour en souriant, et son rire avec jolies fossettes éclatait, sublime comme celui qui m’avait séduit toute l’après-midi d’hier.

Oui, c’était la veille. Où, nous éclations de rire, à chaque mot prononcé de l’un ou de l’autre, et souvent à propos de tout et de rien. Hier, c’était la fête des conscrits au village voisin de celui natal de mon épouse. Qui m’avait présenté son ancienne amie d’école : Mathilde, célibataire. Une poignée de main, deux regards qui s’accrochent, une belle femme de ma taille aux cheveux mi-longs, vêtue sans ostentation, le cœur qui s’emballe, j’étais fait. La pendule, de onze heures à l’apéritif, jusqu’à minuit, heure du départ pour beaucoup et pour nous en particulier, me voyait magistralement à l’œuvre dans le registre de la séduction au plus près. D’abord, durant les discours d’usage sur le perron du château pendant lesquels je m’arrangeais pour ne jamais me situer hors de sa vue, ensuite à table, pratiquement de face puisqu’elle était placée à droite de mon épouse Marie-Claire en vis-à-vis de moi, puis souvent dans mes bras lors du bal organisé l’après-midi, ou encore pendant nos apartés pour des confidences sur nos vies respectives dans le parc du château, loin de la foule et de ma femme occupée à retrouver et discuter avec ses amis, enfin près d’elle au dîner, ma jambe touchant sa jambe qui ne se dérobait pas.

Elle donnait son adresse et numéro de téléphone à Marie-Claire. Peu à peu, les convives quittaient le château. C’était l’heure de partir, et c’était celle des au revoir, des bises et la mienne dérapait comme par inadvertance de la joue à ses lèvres, pour un attouchement furtif, mais décisif. Plus tard, elle évoquerait ces quelques secondes comme déterminantes dans l’éveil de son désir pour moi.

Durant la nuit, je retrouvais furtivement le numéro de téléphone dans le sac à main de Marie-Claire. Au matin, dès mon arrivée au bureau, j’entendais son répondeur m’invitant à laisser un message, et à dix-sept heures, deux mots dans mon combiné : viens-vite !

Ce premier épisode d’une série dont je ne me doutais pas du nombre qui m’attendait pour les années à venir dura une quinzaine de jours.

En formation d’éducatrice, après avoir travaillé comme secrétaire dans un cabinet d’architecture, elle devait quitter Lyon pour une spécialisation destinée aux accompagnements de non-voyants. L’école était située à Chambéry. Excité par le mystère de notre étreinte sur la moquette, et compte tenu de l’occupation de ses journées en tant que stagiaire d’une maison d’accueil pour personnes atteintes de handicap, ma seule opportunité de la rejoindre dans cet appartement de Sainte-Foy-lès-Lyon, se trouvait d’abandonner après notre dîner, Marie-Claire et ma fille Myriam, alors âgée de neuf ans. Je prétextais retourner au bureau où m’attendaient, ce que dans notre jargon on désigne, les dossiers urgents à terminer, de « charrettes ». C’était tout à fait plausible. Le risque encouru, d’importance pourtant, consistait en un appel téléphonique pour une raison ou une autre de mon épouse, trouvant la sonnerie du téléphone sonnant dans le vide des bureaux. Mais cela ne se produirait pas lors de mes moments d’absence de trois heures maximums, compris le voyage aller-retour d’une bonne heure, où je me retrouvais chez elle avant son départ pour Chambéry.

Je vivais ces instants nouveaux dans une excitation inconnue qui irait en croissant très rapidement. Celui de l’adultère, jamais connu depuis notre mariage. Je faisais l’amour avec l’émotion des premières fois, sans scrupule. Ma vie sexuelle avec Marie-Claire, certes devenue plus routinière et moins surprenante après dix ans de vie commune, ne me laissait pas insatisfait. Néanmoins, je me surprenais à regarder les professionnelles des rues et à consommer leurs charmes de temps à autre. Mon Dieu, que tout cela confine le sujet bateau et pourtant cela m’arrivait ! Alors ? N’était-ce pas finalement les phéromones de cette femme douce et semblant un peu timorée, me dévorant comme une frustrée, qui m’avaient jeté sur les chemins de la dépravation ? Ou le sentiment du secret provoqué par l’interdit. Doublé de celui du péché devant l’Éternel. D’ailleurs, elle ne paraissait pas du tout gênée par la situation, sachant son départ imminent, semblant prendre son plaisir avec fougue, toujours aussi rapidement, comme se débarrassant d’une corvée, et me laissant fatalement, et malgré de fortes jouissances au goût nouveau, un sentiment de frustration. C’était ensuite beaucoup de parlotes pour meubler le reste du temps que je m’étais imparti. Consécutivement à des pauses de son stage, il y avait eu aussi dans un hôtel du sixième arrondissement, deux après-midi bien diserts. Mais malgré tout, mon rôle d’amant se trouvait comme amputé d’un peu plus de tendresse à donner.

Une ultime rencontre en fin d’après-midi eut lieu à Villeurbanne chez l’une de ses amies absente de son appartement. Cette rencontre s’avéra un véritable fiasco, gâchée par sa volonté d’en finir là-dessus, de ne plus nous revoir après son départ pour Chambéry. La porte de la chambre à coucher n’avait pas été franchie. Si j’eus envie de pleurer, ce n’était pas le cas pour elle, étonnamment déterminée à fermer cette parenthèse de sa vie, et à l’oublier. Pas de téléphone, pas de courrier à l’avenir, c’était fini, m’assura-t-elle. Bien fini.

— Sais-tu mon envie de figer cette histoire par écrit ? Tellement elle m’apparaît incroyable pour moi, fidèle des fidèles dans le respect des lois du mariage ? hasardais-je en voulant me rendre intéressant et atténuer mon dépit. Je ne te l’ai pas dit, mais l’écriture me passionne.

— Fou que tu es, il n’en est pas question. Quelle histoire ? Je te supplie de ne pas me dévoiler d’une façon ou d’une autre, ni toucher à mon intimité dans quelques écrits qui soient. Franchement, ce ne sont pas cinq, six rencontres ratées qui font une histoire ! Et surtout pas une histoire d’amour.

— Pourquoi ratées ? Nos discussions s’accordant sur le dégoût de notre société et de nos envies d’ailleurs m’ont beaucoup touché.

— Utopiques. De simples utopies d’exaltés par le sexe du moment. Et ne te leurre pas, je n’éprouve aucun sentiment amoureux pour toi.

Et elle ferma la porte sur moi sans un dernier baiser. Claquement sec de la serrure comme une porte de prison qui se ferme.

Dans la rue, KO debout, l’enfer citadin avait redoublé d’intensité, tournant autour de moi, dans un manège sans nom. Était-il possible de vivre ainsi, aussi inconsciemment ? Je titubais presque pour rejoindre un bar miteux au coin de la place des Maisons Neuves. Il y avait une table inoccupée près de la porte des toilettes. M’affalant sur la chaise en bois et devant un demi de bière brune, j’entrais en prostration. Cette séparation, semblable à un rejet méprisant, touchait cruellement ma sensibilité de mâle. Mon désir de son corps à peine assouvi, se doublait de celui d’approfondir sa personnalité pour le moins bien secrète et étrange. Ne la reverrais-je donc plus ? Ma libido réveillée ne pouvait pas l’admettre. Ni mon caractère de gagneur, sans pour autant me défendre de tomber amoureux ?

Au bout d’un long moment, je me réveillais, conscient soudainement de mes devoirs professionnels… et personnels. À quoi bon se torturer ainsi ? Ma vie, à l’avenir assuré, ne devait pas basculer dans l’aventure pour un coup de cœur, ou comme on dit vulgairement une « histoire de cul ». Depuis longtemps, j’avais trouvé réponse à mes pulsions sexuelles sans mettre en danger l’équilibre réussi de ma jeune vie. Il suffisait de m’en tenir à cette alternative. « Va au diable salope ! » grommelais-je, en démarrant ma belle « Jaguar » qui me rendit aussitôt puissance et fierté.

À ceux qui vont lire mon récit, je vous salue aimablement et vous demande toute votre indulgence, autant pour le style pas toujours bien académique que pour la description précise de situations érotiques, propres à l’atmosphère engendrée par la pratique du culte tantrique. Bonne lecture.

Chapitre II

1981

La moustache

Cette première séparation dura deux années. Loin de ma résolution à l’oublier, deux années pendant lesquelles, incapable de mettre un terme à mes souvenirs, à mes ruminations, à ma frustration, il me semblait l’apercevoir partout, à tous les coins de rue. Jamais les grandes femmes blond châtain ne m’avaient paru aussi nombreuses. Pratiquement, je la cherchais et ne perdais pas l’occasion, grâce aux déplacements professionnels sur mes chantiers du côté des Alpes, d’aller perdre du temps dans Chambéry, sans d’ailleurs jamais ne vouloir l’admettre vraiment, et de tenter de trouver l’école où elle était censée étudier. Dans ces moments-là, je croyais à la bienveillance du hasard.

Le moment vint où, lors d’une déprime provoquée par des difficultés dans ma vie d’architecte, du papier à lettres vierge se retrouvait sur le bureau. Ma missive transiterait, puisqu’il le fallait, par la ferme de ses parents dont je connaissais très bien l’adresse. Pour un retour, oh combien espéré ! J’avais précisé les coordonnées du cabinet qui, par la suite, je ne le savais pas encore, deviendrait dans un premier temps, l’habitude de toute notre correspondance.

Je ne dirais pas que je tremblais lorsque deux mois plus tard apparaissait une enveloppe écrite manuellement d’une petite et fine couleur bleue, tranchant avec la froideur des caractères typographiés des lettres de mon courrier professionnel. Je ne le dirais pas, mais le cœur s’emballait. Une enveloppe rectangulaire normalisée, dont, en tâtant l’épaisseur, je savais que je n’y trouverais certainement pas un faire-part. Avec le coupe-papier, délicatement, je la tranchais du haut, comme tout le monde fait, mais très délicatement par crainte de détruire ou d’écorner les feuilles nichées à l’intérieur. Ces feuilles tellement attendues. Et en effet, il y en avait six dont deux écrites recto verso. Dans le bureau de dessin, beaucoup d’agitation, certes mon associé était absent, mais ce n’était ni le lieu ni le moment, surtout le moment, de les lire. J’attendrais de me retrouver seul.

À la pause du déjeuner, tout le monde s’égayait dans la nature. Et calé dans mon fauteuil, plus fébrile que troublé, je lisais une première fois, le sourire s’épanouissant ligne après ligne. La nouvelle espérée m’explosait en plein cœur. Mon appel l’avait touchée. Elle ne voyait aucun inconvénient à nous revoir. Je relisais une deuxième fois, puis m’attardais ensuite sur le curieux passage de son appartenance à une association (pas une secte précisait-elle, plutôt un mouvement) développant une spiritualité hindoue. Cela lui convenait très bien, disait-elle, me rappelant ses soucis existentiels évoqués lors de nos rencontres. Soucis franchement oubliés si ce n’étaient jamais ressentis, tellement a priori submergé en ce temps-là plutôt par sa douce sensibilité, voire sa voracité sexuelle. À présent, elle portait le nom de Mayra, choisi par le « maître » de l’association, et semblait très flattée de connaître la signification qu’il lui en avait donnée : La Bien Aimée ! J’en restais là, ne cherchant plus à approfondir cette bonne nouvelle, et me félicitais par contre de découvrir la période de sa prochaine venue chez ses parents, l’été prochain. J’aurais à la contacter au numéro de téléphone joint, dès le début du mois d’août. Rapidement, je comptais quatre-vingt-dix jours et des poussières à attendre. Beaucoup de temps, mais après deux ans d’atermoiement, je pouvais relativiser sa lointaine arrivée.

À cet instant, cher lecteur, je me sens obligé de vous demander une nouvelle indulgence concernant cette fois, le plan de ce récit. Ne vous attendez à aucune figure de style appliquée aux thrillers et autres romans à tiroirs, où souvent les chapitres se trouvent enchevêtrés afin de ménager du suspense ou surprendre. Car vous allez découvrir une œuvre au déroulement absolument linéaire, sans gros coups de théâtre. Quoique !

J’espère que cette platitude dans le déroulement narratif des faits n’entamera pas l’intérêt particulièrement curieux auquel je vous recommande, sans forfanterie, d’apporter votre attention.

Je continue donc. Avec l’évènement des retrouvailles qui me plongerait littéralement dans un autre univers inattendu. Celui d’une secte.

À l’exemple du monde du travail, mon associé et moi-même délivrions des congés à l’ensemble de nos collaborateurs pendant trois semaines du fameux mois d’août. Nous deux, assurant une permanence sur quelques chantiers d’urgence comme les rénovations, les agrandissements des groupes scolaires et autres établissements publics. Permanence en fonction de nos prévisions personnelles pour quelques jours de détente bien nécessaires. Marie-Claire et moi-même louions une ferme au pied du mont Pilat. Par choix, femme à la maison, en rupture d’occupation professionnelle, elle y séjournait avec notre fille durant les vacances scolaires. Je les rejoignais en chaque fin de semaine, ouvrant les portes aux amis pour de rencontres festives. Cette année-là, mon tour tombait sur la troisième semaine.

Je priais évidemment le ciel que Mathilde ne débarquât pas à cette période. Lorsqu’en début de mois, comme entendu, je l’appelais un lundi en fin de journée, la poitrine oppressée ; je reconnaissais aussitôt la douceur de sa voix :

— Je suis à Biarritz !

— Mais tu t’éloignes de Lyon ?

Son rire retentissait, sonore comme le pépiement des oiseaux, joyeux et magnifique.

— Ne t’inquiète pas, je serai à Perrache, ce mercredi !

Je visualisais comme un fou. Deux jours à attendre.

— À quelle heure ?

— Je te rappelle.

Je me retenais de gambader dans la maison. La vie s’annonçait belle. Je plongeais au creux du fauteuil, le téléviseur diffusait un film. Ne m’en demandez ni le thème ni la fin.

Vingt heures vingt-cinq, l’heure d’arrivée en provenance de Toulouse. Dès dix-neuf heures, je me trouvais à l’intérieur de la gare, après avoir réservé une chambre au hasard de l’un des deux ou trois hôtels de la place Carnot.

Grande première d’une pratique jusqu’alors inimaginable de mon esprit que de réserver ainsi pour une nuit au but d’une relation sexuelle adultérine ! Attablé dans un coin du buffet, je passais le temps dans l’excitation de ce que j’imaginais pour dans une heure, pour dans une demi-heure, pour dans un quart d’heure. Comment se déroulerait l’instant décisif ? Je ne voulais pas me souvenir du claquement de la porte à Villeurbanne, le jour de notre séparation. J’avais l’estomac noué, la gorge serrée. Il restait cinq minutes, je me levais quand la voix nasillarde annonçait en même temps l’arrivée du train express en provenance de Toulouse.

Pour ceux qui connaissent Lyon aujourd’hui, je vous précise que c’était encore l’ancienne gare. Tout le complexe autoroutier actuel n’existait pas encore complètement dans la forme définitive, et le bâtiment, construit au XIXe, ne bénéficiait pas d’un hall central qui aurait regroupé en un seul endroit les flux des départs et des arrivées. Seule une porte canalisait les voyageurs en partance. Sans accès au quai où j’aurais pu la reconnaître, elle pouvait déboucher par trois issues différentes. Au sud, au centre, ou au nord.

Le bâtiment s’emplissait du grondement du convoi qui grinçait horriblement en freinant. Tout tremblait, la structure du bâtiment et mon corps d’appréhension et d’excitation. Il fallait choisir, je jouais la porte centrale. Et ce fut le défilé des voyageurs. Une parade de gens plus ou moins abasourdis par le voyage, par le lieu que certains découvraient, ou ravis de retrouver celui ou celle qui l’attendait. Quant à moi, celle que j’attendais n’apparaissait pas. Je revenais dehors, tournais la tête vers la porte du sud, ne reconnaissais rien, puis vers la porte du nord… si !

Cette grande femme aux longs cheveux châtain clair, à ne pas reconnaître sur le coup, enveloppée de vêtements d’été, chemisier en coton blanc décolleté, sur une longue robe en tissu orange tombant pratiquement au sol, si, si c’était bien elle ; m’apparaissant comme toute nouvelle née, tellement sa beauté éclatait dans cette allure style beatnik. Elle me vit et je la vis sourire. Ne vous moquez pas. À partir de cet instant, plus rien n’exista. Non, ne riez pas, mais c’était comme au cinéma.

Deux corps qui s’élancent l’un vers l’autre, qui s’enlacent, en tournant sur eux-mêmes, encore, encore et encore sans tenir compte des quolibets envieux de jeunes passants. Puis les corps se détachent, parce que les yeux veulent se contempler en se souriant éperdument.

— Que tu es belle !

— Tu as rasé la moustache, mais tu n’as pas changé !

— Dieu, que tu es belle ! Cette nouvelle longueur bouclée de tes cheveux te va à merveille !

— Tu as peut-être un peu grossi !

Parce que les lèvres n’en peuvent plus de vouloir s’unir. Et puis, il y a le cœur battant la chamade qui me confisque les bras durant ce long premier baiser pour la serrer contre moi comme un fou.

Bhagwan Shree Rajnnesh

Je vous en prie, je le répète, ne vous moquez pas, ne riez pas, car ce n’est que le début, et c’est incongru, malveillant de se moquer de l’amour.

Rapidement, la question de savoir si de manger était nécessaire fut évacuée. Il y avait tellement le désir de se retrouver comme la première fois, de parler, de parler, de raconter, de combler ce vide du temps sans nous deux. De savoir pourquoi de belle, elle était devenue très belle, même curieusement sans ses fossettes disparues de ses joues et aussi, me semblait-il immédiatement si sûre d’elle. Je l’avais laissée quelque peu timorée, refermée par des blocages venus de son enfance, de ses origines, à l’image de ceux de Marie-Claire, qui malgré les ans et ma bienveillance ne la quittaient pas. Son visage exprimait une joie de vivre étonnante, sa douce voix semblait prendre des intonations de composition théâtrale, voire musicale, selon la fluctuation de ses émotions. Avec un grand étonnement, je découvrais une Mathilde transformée, séduisante à me transformer moi-même pour rejoindre cette ivresse de se raconter, de partager notre vécu au-delà de toute mesure. Je n’avais aucune peine ni crainte de lui annoncer qu’une chambre nous attendait à l’hôtel du coin de la place. Elle me serrait tout simplement la main un peu plus fort.

Car oui, nous marchions main dans la main, ou enlacés au niveau de la taille, seuls au monde comme tous les amoureux, au hasard des rues s’illuminant depuis le complet coucher du soleil, guidés seulement par le rythme de nos pas à l’unisson. J’ai entendu ainsi son bonheur d’une rencontre si improbable, alors qu’elle s’ennuyait et végétait dans cette école de Chambéry, mais où l’un de ses jeunes instructeurs, en voulant la séduire, lui apprit l’existence d’un lieu, d’une communauté capable d’épanouir la personnalité de chacun par l’apprentissage, la connaissance profonde de Soi. Ce dont elle se reconnaissait un grand besoin. Il m’était inutile de relancer ce flot de paroles, de mots enthousiastes tellement elle rayonnait du plaisir de les formuler. Et moi, j’écoutais, j’écoutais comme un étudiant sur les bancs d’un amphithéâtre.

— Tu sais… j’utilise des paroles, des mots, comme dit Bhagwan Shree Rajneesh, seulement pour t’amener, nous amener au-delà des mots.

— Qui est ce… je ne sais quoi, qui ?

— Bhagwan Shree Rajneesh, un Indien d’une très grande culture, philosophe et religieux. Son enseignement à l’encontre de tout ce qui me bloquait, me convient à merveille.

Et elle continuait à parler de méditation, de tantrisme, d’ashram, des mots, tout un vocabulaire à comprendre. J’écoutais pourtant, fasciné de la voir dans une sérénité loin de la véhémence que sa passion aurait pu supposer. Puis, je n’écoutais plus, j’entendais seulement le son de sa voix, transporté par un plaisir nouveau, flottant dans l’espace du merveilleux. La ville en ce mois d’août, transparente comme le cristal, brillante de diamants inconnus, nous tressait un écrin de douceur parfumé des derniers effluves des marronniers de la place Bellecour.

— Appelle-moi désormais Mayra. D’accord ?

— D’accord !

— Tu sais, je ne t’ai pas oublié lorsque je me trouvais à Chambéry.

Étonné par cette révélation, elle pourrait à jamais tout me dire. La vérité et son contraire. Je l’avais retrouvée, la terre pouvait s’arrêter de tourner.

La chambre de l’hôtel sentait le triste, l’impersonnel, chichement éclairée d’un lustre central. Mais quelle importance ? Dans le coin droit en rentrant, il y avait un rideau dissimilant avec difficulté une douche, un lavabo et une cuvette de WC.

Pour tout bagage elle possédait un sac besace tissu patchwork qu’elle portait en bandoulière.

Elle le posait sur le lit, cherchait une trousse de toilette et disparaissait derrière le rideau. Mon émoi avait été à son comble en franchissant la porte contrairement au sien qui me semblait imperturbable. Mais peut-être me trompais-je. Je profitais de ce temps de latence pour me déshabiller, ôter le dessus du lit, tirer les draps et m’allonger, bras et jambes écartés, le sexe déjà tendu le long du ventre, étourdi, amusé par cette force archaïque du séducteur vainqueur. Il y avait eu le fracas de la chasse d’eau, l’écoulement de la douche, encore quelques instants, puis enfin elle tirait le rideau.

Elle traversa rapidement l’espace jusqu’au lit, trop vite pour que je ne la retrouve dans son entière nudité comme dans mes souvenirs. Mais le sourire était là, ne m’attardant pas plus que lors de son arrivée, de la disparition des fossettes de ses joues que j’avais gardées en mémoire. Elle s’allongea contre moi, je l’enserrai. Son corps était frais et parfumé. Un instant, je me demandai alors si je n’aurais pas dû me doucher aussi. Un instant seulement, car je me levai d’un bond jusqu’au rideau et elle éclata de rire. Lorsque je revins, à peine séché, je la trouvai couchée en chien de fusil, le regard canaille. Je passai de l’autre côté du lit et me collai à son dos. Ma volonté chercha à vouloir faire durer les préliminaires. Fini de la laisser me prendre comme une folle. Elle se laissa explorer recto verso de la racine des cheveux aux doigts de pieds, par mes mains et par mes lèvres, de mes caresses et de mes baisers, qui s’attardaient sur les zones érogènes, sur les seins, sur le pubis, mais aussi partout. Mon désir débordait d’un bonheur capable de m’entraîner et de m’évanouir aux confins de ce corps, s’abandonnant, de plus en plus frémissant, gémissant doucement. Au bout d’un moment, soudain je me retrouvai en elle, comme si de rien n’était. Elle m’enserra de ses bras, m’attira vers son visage. Je croisai ses yeux voilés de plaisir et m’affalai dans le creux de son cou. Elle souffla dans mon oreille :

— On a le temps, ne bouge pas.

Mon cœur battait à l’unisson du sien, très fort après l’agitation précédente. Je ne sentais plus mon sexe. Et là, vint certainement la première expérience de tout ce qui m’attendait à l’avenir dans cette relation.

— Ne bouge pas, écoute nos respirations, ne pense à rien !

Les yeux fermés, nos souffles se rejoignaient, sur un même rythme, doucement, se calmant, et la matérialité de mon être semblait se confondre avec le sien comme dans une allégorie sans contour, sans consistance. De violents éblouissements zébraient le dessous de mes paupières. Je n’existais plus. Combien de temps, cette immobilité ? Pourquoi savoir ?

— Viens maintenant !

Je me dressai sur les avant-bras et l’accouplement archaïque nous emporta. De mon souvenir, je ne lui avais vu un visage aussi transporté, de tous mes souvenirs je n’avais connu visage aussi sublime dans l’amour ! La peau diaphane, tendue comme reposée, les lèvres de plus en plus pincées sur de petits gémissements.

— Regarde-moi ! implorai-je.

Le regard teinté d’émeraude pénétra doucement au plus profond de mon âme, lui rendant une immanence que j’avais oubliée. Quelle folie ! Déclenchant l’accélération de mes hanches, ses yeux se fermèrent, ses lèvres en même temps se pincèrent encore plus fort, elle gémit longuement avec son mouvement de va-et-vient de la tête, elle jouit, je laissai mon sexe jouir aussi ne cherchant pas à atténuer mes propres cris.

Nous avions créé l’amour !

Je restais ainsi sur mes avant-bras quelques minutes au fond de cet être qui m’attendait pour m’entraîner vers un ailleurs inconnu de mes sens. Ses yeux demeuraient clos. Son visage gardait sa couleur diaphane. Je me retirais doucement, remplaçant dans son vagin mon sexe par deux, trois doigts pour adoucir le retrait et m’allongeais près d’elle. Je voulais garder un brin de conscience pour ne rien effacer de cet acte sexuel de puceau, de première fois. Mais l’homme ne résiste pas à l’extase, et réussissant malgré tout à ne pas m’endormir, je profitais d’entendre dans une douce léthargie ses nouvelles paroles, ses nouveaux mots. Toujours de cette intonation douce, qui pouvait passer pour inaudible et qui ne l’était pas.

— C’était super, je sens que tu as apprécié cette façon de faire l’amour. Pendant quelques instants, notre acte sexuel s’est confondu avec une méditation. Une méditation à moitié réussie, car tu as voulu jouir. Je ne te reproche rien. Mais tu n’as pu retenir ton énergie sexuelle que tu aurais pu transformer en énergie transcendantale. Si nous continuons à nous voir, tu comprendras beaucoup de choses. Tu vas me trouver bien changée, car depuis que j’ai connu mon maître, ce maître et pas un autre, qui m’a choisie, je ne vis plus dans la peur, je vis dans l’amour. Et je t’apprendrai ce que veut dire l’amour.

Doucement, sa voix disparaissait de ma conscience. Je m’endormais. Dans la nuit, je me réveillais. La lumière était restée allumée. Elle ne dormait pas. Le visage tourné vers moi, elle m’observait dans mon sommeil. Elle me souriait, et je bandais. Nous faisions l’amour doucement, comme dans un autre rêve.

J’avais pensé qu’elle n’avait pas trouvé d’orgasme, car elle n’avait pas bougé la tête.

Au matin, je m’éveillais dans un état de gaieté comme seule l’enfance peut en donner. Je me précipitais sur le téléphone de chevet et commandais le petit déjeuner dans la chambre. Je sautais du lit et gambadais à poil sur le parquet en poussant des cris d’animal en furie. Elle me regardait en riant, me traitant de fou, me rappelant mon boulot et je répondais toujours en sautant.

— Je m’en fiche, je m’en fiche, c’est le mois d’août et après le petit déjeuner je vais te baiser, je vais te baiser.

Après le petit déjeuner donc, qu’elle appréciait particulièrement – je n’ai rien mangé depuis hier matin – il y avait eu en effet une nouvelle séance, mais cette fois sous la douche où, agenouillé entre ses jambes, je la faisais jouir de la langue (elle bougeait la tête dans tous les sens) avant de la prendre debout contre la faïence. L’eau coulait, ruisselait sur nos corps, augmentait le degré de nos plaisirs de la puissance du jet mis à fond. La honte nous prenait en constatant les flaques d’eau ayant largement débordé du strict périmètre de fausse salle d’eau de la chambre. Nous n’avons pas tardé à prendre la poudre d’escampette.

À la porte de l’hôtel :

— Veux-tu que je t’emmène chez tes parents avec ma voiture ?

— Non, merci, je vais prendre le car à la gare du quai Fulchiron.

— Bon, eh bien, je t’emmène jusque là.

Je regardais partir l’autobus. Au bout d’un moment, nos signes de la main n’avaient plus lieu d’être.

Springsteen

Je la revoyais dès le surlendemain en fin d’après-midi, après avoir traité une affaire en cours. Elle m’avait appelé au bureau. À l’entrée du village, carrefour orné d’une grande croix de pierre, je prenais la petite route jusqu’au hameau où se trouvait la ferme de ses parents. Hameau que je n’avais jamais atteint ni à pied, et encore moins en automobile depuis mon mariage dans ce village avec Marie-Claire. En arrivant sur la placette de l’exploitation agricole, encombrée de poules et de canards, une nuée d’enfants curieux entourait la voiture silencieusement. Je voyais Mathilde, euh… Mayra descendre l’escalier du bâtiment principal. Vêtue comme l’autre jour, belle comme un matin de printemps.

En prenant place à mes côtés :

— Quelle arrivée avec ta grosse voiture ! Tout le monde va se demander qui est ce Monsieur si riche qui vient me chercher ! J’ai honte !

Je traversai le village, passai rapidement devant la porte de chez mon beau-père et empruntai la route vers Saint-Symphorien. La conversation ne tarda pas, et contrairement à notre première rencontre deux ans plus tôt, son côté timoré avait effectivement disparu. Elle sortit d’une poche de sa robe un collier de perles en bois muni en son bout d’une photographie sans protection, enserrée dans un boîtier rond de trois ou quatre centimètres de diamètre. Elle le mit autour de son cou.

— Je le mets hors de la vue de mes parents, ils ne comprendraient pas. Autrement, je ne le quitte jamais. Cela s’appelle un mala, un mot sanskrit qui veut dire collier de méditation. C’est un peu notre chapelet chrétien, mais les perles sont plus grosses, mon collier en compte vingt au lieu des cent huit de la tradition bouddhiste ou tibétaine. Elles sont fabriquées soi-disant de bois sacré. Je ne sais pas trop ce que cela veut dire. Et la photographie est celle de Bhagwan.

Elle approcha le boîtier sans protection de ses yeux, eut un petit sourire, et le baisa.

— Il est beau. Il veille en permanence sur moi.

Lorsqu’elle me le montra un peu plus tard, je le trouvai plutôt vilain, grosse barbe noire, yeux légèrement globuleux, bonnet sur la tête, sourire énigmatique. Elle me parla de la communauté où elle se trouvait actuellement dans les Pyrénées et qu’elle rejoindrait le lendemain après s’être rendue le soir même chez une amie très chère, habitant une maison d’un village voisin, situé à quelques kilomètres de la ferme de ses parents. J’enfilai un chemin de terre à droite de la route qui s’enfonçait le long d’une ravine très étroite. Je stoppai la voiture quelques centaines de mètres plus loin. Aussitôt, elle bondit dehors et entreprit d’escalader le talus pour sortir de l’ombre des arbres nourris au ru de la ravine qui se jetait au gros ruisseau longeant la départementale. Le soir arrivait et pourtant il faisait encore chaud. Je la suivis, surpris par son agilité à grimper, à sauter de cailloux en pierraille, évitant les mottes de terre instables, les grosses touffes d’herbe, et s’accrochant à quelques arbustes pour ne pas glisser en arrière et relancer son rythme. Sa robe hippie ne la gênait nullement. Je restai derrière elle, m’essoufflant sans fatigue. Arrivés au sommet, un grand pré en faux plat s’étendait sur des hectares. Dans son fond, quelques vaches à tâches noires paissaient méthodiquement.

— Regarde comme c’est beau ! s’exclama-t-elle en levant les bras.

En tout cas, le contraste avec le paysage boisé du bord de la route pouvait surprendre. Après avoir ainsi gravi quelques dizaines de mètres, une étendue de vert pâturage nous faisait cligner les yeux presque à perte de vue.

— Ce pré appartient à mon oncle.

Puis elle se jeta sur moi en criant de joie. Comme à la sortie de la gare, nous tournoyâmes à perdre haleine. À chacun des tours, le soleil m’aveuglait et je hurlai plus fort. Jusqu’au moment où nous nous abattîmes sur le sol, essoufflés, éperdus de bonheur.

— Tu vois, voilà comme j’aime vivre. Libre, sans penser à rien. Ou simplement à l’essentiel, le dormir, le coucher. Bien sûr, le manger aussi. Mais je ne jette pas ma vie aux orties. Bien au contraire. J’écoute l’enseignement de Bhagwan et je suis persuadée du chemin parcouru déjà pour me libérer de l’emprisonnement subi par mon éducation et le monde qui m’entoure, nous entoure. Toi aussi, d’ailleurs ? Es-tu heureux ?

Elle fixa de ses yeux interrogateurs mon embarras, ne sachant que répondre immédiatement. Elle reprit :

— Je ne veux pas t’influencer, mais moi aussi j’ai vécu ce que tu vis. Je te l’avais dit il y a deux ans. Dans un cabinet comme le tien, en tant que secrétaire. Tu parles d’un plaisir ! Sans aucun esprit créatif, à la botte du patron et souvent des dessinateurs qui profitaient de ma gentillesse.

— Tu étais draguée ?

— Bien sûr, mais j’étais timide et ne répondais pas à leurs avances. Sauf un, qui s’arrangeait pour me surprendre par derrière et lorsqu’il me touchait dans le cou, mon corps se hérissait de frissons !

— Tu as couché avec lui ?

— Je t’en pose des questions ? répondit-elle en riant. Et puis tu m’as déjà posé la question de savoir si j’avais des amants… il y a deux ans !

Je constatai cette affirmation comme inconnue à mon souvenir !

Je me penchai sur elle pour lui prendre les lèvres et ma main chercha à se glisser dans l’échancrure du chemisier. J’avais déjà remarqué qu’elle ne portait pas de soutien-gorge.

Je retrouvai aussitôt le satin de ses seins.

— Tu ne m’as pas répondu ?

Je me redressai.

— Je ne peux pas dire que je suis malheureux… mais non plus, que je sois heureux.

— Tu vois, tu ne te connais pas ! Il te faut travailler sur toi, faire des psychothérapies de groupe. C’est à Chambéry que j’ai commencé à faire des stages. Avant même que je rencontre celui qui m’a fait connaître le monde des néo-sannyasins, les disciples de Bhagwan. Dernièrement, j’ai aussi expérimenté le jeûne pendant un mois. Ma vie a changé, et va changer de plus en plus.

Je me repenchai sur son visage pour l’embrasser encore, poussé par mon désir de faire l’amour. Elle se redressa à son tour.

— Tout à l’heure, je te l’ai déjà dit, je vais rejoindre Christiane. Mon amie de toujours. Une fille incroyable, formidable à tous points de vue, elle est psychologue et sexologue. Je sais qu’elle m’attend avec impatience pour savoir où j’en suis. Je lui écris régulièrement, mais ce n’est pas suffisant. De plus, elle garde des enfants en difficulté. Sa maison est très grande.

Elle se leva, me tendit la main pour m’aider à me lever.

— Ne fais pas cette tête, on se reverra. Je reviendrai et puis tu viendras me rendre visite à notre ashram des Pyrénées. Je vais repartir, je ne peux pas rester plus longtemps ici. Chez mes parents, c’est trop dur.

— Mais tu pars demain. Une seule nuit ! Tu vas aller chez cette Christiane comment ?

— Avec ma 2CV. J’ai une 2CV à moi, tu ne te souviens pas, qui reste parquée à la ferme.

Elle m’enserra, m’embrassa, me câlina. Je protestai :

— Arrête ou je te viole !

Elle s’échappa en riant et partit en courant vers la pente.

Il n’allait pas être question que je l’accompagne chez son amie. Une autre fois, m’avait-elle promis. Elle ne m’informait pas non plus de l’heure de son départ du lendemain, et refusait ma proposition de venir la chercher pour l’emmener à la gare. L’aller-retour ne me dérangerait pas, avais-je insisté. En vain, alors je la ramenais à la ferme – je t’écrirai ou te téléphonerai – et je retournais tristement à Lyon. Le jour ne s’était pas encore complètement couché et il persistait une lueur rosée du côté de l’ouest. C’était ce qu’on appelle une belle soirée pour profiter de l’été. Je conduisais en état second, assommé par la déception, et souffrant de mon désir inassouvi. Je ne parvenais pas à comprendre sa manière de s’éloigner subitement de moi. Pour la deuxième fois, je me sentais comme méprisé, renié. De quelle femme étais-je donc en train de tomber amoureux ? Car le fait ne s’infirmait d’aucun doute sur mes pensées continues à son endroit, d’une densité coupable, et ce, depuis l’après-midi déjà lointain où je l’avais tenue dans mes bras au rythme de la valse du « Beau Danube Bleu ». Oui ! Je tombais amoureux, comme on dit communément. Mais ne me jouait-elle pas une comédie ? Que voulait-elle de moi ? M’entraîner dans sa secte ? Sans aucune portion d’autoroute, il fallait à cette époque trois quarts d’heure pour faire le trajet. La nuit était tombée. À la sortie de La Mulatière, je ne tournais pas pour m’engager sur le pont Pasteur, la direction pour rentrer directement chez moi. Tel un zombie, je filais tout droit. La clarté blanchâtre des réverbères espacés d’une centaine de mètres le long du quai du marché-gare ménageait des espaces sombres permettant l’intimité nécessaire au travail de ces filles consolatrices des frustrations masculines, et de l’une de ces dernières que je cherchais. Que périodiquement depuis quelque temps je rejoignais. Enveloppé généralement de tristesse. Ce soir, par chance, elle se trouvait là, cambrant dès mon approche, sa forte poitrine dans le halo de son lampadaire attitré, alors que régulièrement, il fallait faire plusieurs fois le tour du quartier dans l’attente de sa disponibilité. Et il était vrai que mon choix était sans appel, malgré les signes d’invites précises de ses semblables à moitié nues aguichant le client tout au long du bord du trottoir.

À sa vue, mon pénis bougea. Je ralentis la voiture à sa hauteur. Elle ouvrit la portière droite, pencha la tête et me reconnut.

— Salut !

Sans autre forme d’approche, elle se glissa dans l’habitacle. Suffoquant déjà de désir, je la regardai s’installer sur le siège près de moi, mini-jupe découvrant ses cuisses blanches, ses seins débordant du corsage.

— Tu vas bien ? me demanda-t-elle de cette voix chantante un peu rauque venue du sud de la Corse, comme me l’avait-elle confiée un soir de confidence, inondé de pluie diluvienne crépitant sur la carrosserie.

— Pas trop.

Et je raclai en même temps le fond de ma gorge très asséchée. Pendant que je nous conduisis vers son lieu de travail, elle me palpa le sexe à travers la braguette dans le but, mais inutile, de me faire bander rapidement ; quant à le faire davantage, c’était peine perdue compte tenu de l’espace très étroit laissé par le blue-jean à cet endroit. Je contournai le quartier des docks du long de la Saône.

— Gare-toi là, dit-elle, en désignant un emplacement plus sombre contre le mur d’une entreprise de conserves se mirant dans les reflets d’argent de la rivière sous la lune.

Au-dessus, squelettes métalliques, les grues semblaient se pencher sur nous, menaçantes. J’éteignis lanternes et contact, sortis de mon portefeuille le billet de cent francs qu’elle exigeait pour une fellation. Sans attendre, elle fit jaillir son opulente poitrine du corsage étriqué en implorant de manière directive :

— Caresse-la, ça me fait mouiller, et j’aime ça !

Paroles en l’air de professionnelle, car avant que je n’esquissasse un geste vers ces seins laiteux qui me fascinaient, elle empoigna le phallus que j’avais rapidement dégagé du pantalon et l’engloutit sans autre protection jusqu’au plus profond de sa gorge.

Je me retins de gémir, tant la douceur de sa bouche se mêlait à la violence de son action, et je laissai sans retenue et sans attendre, l’éjaculation l’emplir de mon plaisir rassasiant. Elle se redressa, ouvrit la portière et cracha au-dehors le sperme qui la souillait.

— Hé bien, dis donc, quelle envie !

Mon cœur battit la chamade. Je fermai les yeux à l’écoute de mon corps calmé, meurtri de jouissance… mais se répétant néanmoins mentalement : « Pourquoi Mayra, m’as-tu abandonné ? »

Ses yeux brillèrent comme chatte en chaleur.

La honte comme à chaque fois m’envahit.

— Une autre fois, tu me donnes cinq cents francs et tu me sodomises. Mon cul t’attend. Et en plus, je t’emmène chez moi, voulut-elle m’assurer.

Pourquoi pas ? J’imaginai aussitôt son postérieur… et la touffe de son sexe. Tout en me reboutonnant, je lorgnai une fois encore cette poitrine éblouissante, lourde et proportionnée à la fois, en me retenant d’y porter la main de peur de me faire gentiment remettre à l’ordre. Quand c’est fini, c’est fini. À son tour, elle se rajusta, replaçant ses seins dans le peu de corsage qui les couvrait, tira sur la jupe et alluma une cigarette. Nous revînmes en nous disant à une autre fois sous son réverbère. Les autos noires tournaient autour.

L’autoradio à fond sur la dernière cassette de « Springsteen », je fonçais, zigzagant entre les camions encombrant encore malgré l’heure tardive le bitume du périphérique, vers mon « chez moi ». Quelle plaie, pensais-je dans un moment d’aigreur, tous ces poids lourds de plus en plus nombreux sur les routes, porteurs de menaces, tuant sans vergogne fautifs ou non de l’irrespect du Code de la route. J’avais mal au ventre, j’avais mal au dos, j’avais la gorge sèche et une envie de mourir à me faire pleurer. Qu’est ce que je foutais dans cette vie du paraître et de la frime ; à quelle fin m’étais-je destiné ? Vers quelle débauche me livrerais-je pour combler le vide ? Je revoyais un instant, comme pour me donner bonne conscience, le monastère que je fréquentais périodiquement dans le massif central pour retrouver, grâce à mon éducation religieuse, la sérénité qu’un Dieu énigmatique pourrait m’offrir. Quelques gouttes de pluie s’écrasaient sur le pare-brise, luminescences tristes d’un monde de solitude. Après avoir fermé le portail du garage en sous-sol de ma maison cossue, dessinée par moi-même, je me glissais jusqu’aux pièces du rez-de-chaussée.

Marie-Claire et ma fille assises devant le téléviseur me lançaient du canapé un bonsoir laconique. Je n’en demandais pas tant et me dirigeais vers la chambre, décidé de me coucher et de vite oublier, si possible, le désastre de cette fin de journée.

Médor

Une autre parenthèse, cher lecteur. Pour la première fois, mon récit vous a transporté jusque chez moi. Vous auriez pu attendre une première discussion, voire une dispute dans mon milieu familial.

Serai-je honnêtement précis pour dévoiler des sentiments négatifs parce que honteux et culpabilisant face au bonheur extraordinaire de ma passion ? Pour ne garder dans l’ensemble qu’une image extrêmement bénéfique de ma personne ? Je ne sais. Connaissant la curiosité bienveillante d’amateur d’histoires troubles, il faudra bien que vous puissiez vous repaître aussi en contrepartie, des souffrances subies par mon couple, ma petite, trop petite famille. Je ne vous promets pas le meilleur, ou mieux le pire, de ce côté-là, tellement mon régal reste la narration d’un amour fou qui, peu à peu, va s’installer, mais surtout m’ouvrir les yeux sur un aspect de l’espèce humaine.

Plusieurs mois s’écoulaient.

Deux ? Trois peut-être. Durant lesquels courriers et surtout appels téléphoniques circulaient peu. Le quotidien des journées de Mayra attisait toujours davantage ma curiosité, comme mon désir de la voir, de la découvrir réellement. J’ai su ainsi que de Biarritz, elle avait déménagé en Ariège, du côté de Foix. Puis quelque temps plus tard, dans les parages de Tarbes. Un vrai pigeon voyageur qui m’interrogeait sur l’importance du mouvement semblant particulièrement implanté dans le sud-ouest. À mes demandes de rencontres ou de visites, il y avait peu d’empressement à répondre. Je me contentais donc à travers ses quelques lettres d’appréhender la vie de ces communautés qui apparemment la comblait, au-delà des épreuves du travail sur elle-même. Il m’intéressait en fait de découvrir aussi le côté farfelu de ces gens en désaccord total avec la société actuelle. En cette fin des années soixante-dix, j’en déduisais un ersatz de l’époque dite « de soixante-huit ». Quoique, le mot d’ersatz me parut rapidement inadapté à ce mouvement ou cette secte – le mot commençait à poindre dans mon esprit – dépassant les frontières nationales, implanté depuis Poona en Inde et atteignant tout le monde occidental. En particulier les États-Unis et l’Europe. Des gens à la recherche de spiritualité orientale, avides d’un monde différent, attirés, dans leur cas, par la curiosité d’un enseignement tantrique.

L’appel physique de cette femme et la curiosité m’accaparaient l’esprit continuellement. Le courant de mes vies, professionnelle et privée, ne semblait pas encore trop souffrir de mes ruminations. Lorsqu’un courrier attendu ou espéré me parvenait, je restais plus longtemps le soir au bureau pour le lire et le relire tranquillement avant de répondre. L’usage du téléphone compte tenu de ses déplacements incessants se limitait à quelques communications toujours frustrantes. Le ton de son écriture ou celui de sa voix n’indiquaient pourtant pas un rejet de mon attachement pour elle. Outre quelques informations sur le lieu où elle se trouvait, les mots ne débordaient pas non plus de sentiments enflammés à mon encontre, s’attardant plutôt sur les ressentis de sa communication avec les autres, de ses doutes lorsqu’un groupe de thérapie se passait mal, ou alors la confiance en sa foi pour le gourou lors d’une lecture de l’un de ses livres. Mes retours n’embrassaient pas les mêmes profondeurs d’illuminisme, pauvrement éclairés par une routine qui ne l’intéressait pas. Je ne m’étais pas non plus dévoilé sur mon éducation catholique qui subsistait malgré le raz de marée ambiant du moment, destructeur de toute croyance religieuse. Je m’en tenais alors à composer des poèmes élogieux sur sa beauté, magnifiant notre relation. Soit de forme classique, soit de forme libre. J’inventais aussi des nouvelles, tirées de mes rêves, de mes cauchemars. Parfois, lorsque ma libido se faisait pressante, je me laissais aller à évoquer l’érotisme, sagement en général afin de ne pas abîmer cette aura de douceur ingénue qu’elle donnait à paraître. Et d’ailleurs, nos ébats n’avaient jamais dépassé, si ce n’est sous la douche le lendemain matin de son arrivée, le stade des pratiques sexuelles, fiévreuses certes, mais dénuées de toute perversité. Je pouvais envoyer ainsi un court courrier deux ou trois fois par semaine.

À mi-octobre de cette année-là, en début de semaine, enfin, j’explosais de joie. Un – tu vas pouvoir venir me voir – commençait la missive. Un plan détaillé suivait pour me faciliter l’accès au lieu de l’ashram. Un château situé dans un village à quelques kilomètres de Tarbes.

— Appelle-moi à ce numéro, à vingt heures.

Le numéro suivait.

À l’heure fixée, je pénétrais dans une cabine téléphonique du quartier. Elle décrochait immédiatement, certainement placée proche de son appareil. Je lui proposais d’arriver le jeudi soir pour repartir aussitôt le samedi matin, coincé entre mon boulot et le week-end familial.

— D’accord ! concluait-elle.

Je rentrais chez moi, excité comme un pou, et je devais improviser le choix d’un de nos dossiers auprès d’un maître d’ouvrage pour leurrer Marie-Claire sur mon contentement et mon déplacement. Le maître d’ouvrage était tout trouvé, son usine installée en zone industrielle de Tarbes.

Ce qui allait devenir le début d’une habitude dans notre liaison commençait donc ce jeudi-là. Double mensonge. Une fois à Marie-Claire, une fois à l’agence. La première fois inventer de faux déplacements souvent complètement farfelus, la deuxième fois choisir et allonger les dates des rendez-vous de mes chantiers ou de mes démarches commerciales. Pour ce coup, le choix d’une rencontre avec un nouveau client, dans le sud-ouest, suffisait à dégager ma secrétaire de toute interrogation sur l’emploi du temps de cette journée non prévue. Elle aurait pu me communiquer une urgence téléphonique éventuelle durant mon absence, aussi lui promettais-je de l’appeler ce jeudi en fin de journée et le lendemain en fin de matinée.

Une réunion de chantier au matin m’empêcha de partir aux aurores et je m’élançai à douze heures sur l’autoroute pour atteindre Toulouse. Ensuite, ce serait la route nationale jusqu’à Tarbes, puis certainement une départementale pour finir. Près de huit heures de conduite m’attendaient. D’une seule traite, sinon un arrêt pour remplir le réservoir d’essence sur une aire de Castelnaudary, et d’où, comme convenu, je téléphonai au bureau et ensuite à Mayra. J’arrivai à la grille du château à dix-neuf heures trente. La nuit n’avait pas encore tout recouvert de son obscurité. L’impatience ayant gommé quelque fatigue. En guise de château, je découvris une grosse maison bourgeoise.

Mayra surgit comme une diablesse de derrière la grille, se jetant littéralement sur le véhicule. Je freinai brutalement pour l’éviter, elle se faufila à l’intérieur de la voiture, posa sa main sur ma cuisse.

— Suis le chemin, tu pourras la garer derrière la maison.

Je contournai la bâtisse comme elle me le demandait et rangeai le véhicule auprès de cinq ou six autres.

— Oh ! Comme je suis contente !

Après avoir littéralement sauté hors de la voiture, nous nous étreignîmes une fois encore tels des fous. Ses longs cheveux bouclés en cascade sur les épaules et dans le dos suivaient le mouvement de notre tournoiement éperdu. Un chien venu, on ne sait d’où, tournait lui aussi en aboyant, je ne sais pourquoi.

— Oh ! Comme je suis heureuse ! en répétant tu es venu, tu es venu. Viens vite, je vais te présenter. Lui, c’est Médor, le chien de la maison. Si son nom ne défrise pas, regarde plutôt le pedigree. Un vrai labrador.

— Je suis un peu intimidé !

Elle rit, de son sourire éclatant qui me séduisait tant. Une longue robe rouge l’enveloppait du cou jusqu’aux pieds. Et elle portait le mala autour du cou. Je la retrouvai délicieusement attirante.

— Tu ne fermes pas la grille ?

— Pas le temps, je reviendrai tout à l’heure !

Une maison bourgeoise dans le sud-ouest ou pas ressemble à une autre maison bourgeoise. Surtout du style XIXe. Au rez-de-chaussée, schématiquement, il y a la grande entrée avec l’escalier monumental en face, d’un côté la cuisine, et de l’autre la grande salle. Parfois, les pièces continuent et se suivent en enfilade, créant les ailes pour y aménager des bureaux, des bibliothèques, et autres pièces d’agrément ou de service. À l’étage, les chambres. Tout est vaste et haut de plafond permettant l’accrochage de grands et scintillants lustres en cristal. Les murs sont tapissés de tableaux aux portraits prétentieux ou représentant de scènes de chasse dont les têtes empaillées de quelques spécimens d’animaux abattus apparaissent parfois au détour d’un couloir.