Mélasse - Marjussiot Joëlle - E-Book

Mélasse E-Book

Marjussiot Joëlle

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Beschreibung

Sur certaines côtes bretonnes, les algues vertes tuent des animaux et des humains. Comment en est-on arrivé là ? C’est ce que tente de découvrir Agnès, une journaliste. Elle rencontre donc tout un monde : agriculteurs, villageois, médecins, enseignants et élèves touchés de près ou de loin par la pollution. Son investigation dérange et sa vie se trouve menacée, car les intérêts des uns se heurtent à ceux des autres. Parviendra-t-elle à démêler l’écheveau de cette affaire ?


À PROPOS DE L'AUTEURE


Poussée par un trop-plein d’émotions, de colère, d’amour et de sentiments, Marjussiot Joëlle écrit Mélasse. Son récit, tiré de faits réels, se veut un porte-parole fictionnel de gens conscients du danger de l’immobilisme.

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Seitenzahl: 166

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Marjussiot Joëlle

Mélasse

Roman

© Lys Bleu Éditions – Marjussiot Joëlle

ISBN : 979-10-377-9071-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Les algues vertes sont un fléau. Pourquoi ? Comment ?

Tous les personnages de cette histoire ont quelque chose à défendre. Ils racontent, ils parlent, ils témoignent, ils dénoncent, ils soutiennent les victimes, ils se lancent dans la bataille.

Tirés de faits réels, ces personnages de fiction se débattent dans une mélasse malodorante qui peut surprendre et tuer le promeneur en quête de nature.

L’histoire est soutenue par ses différents acteurs comme sur les planches d’une pièce de théâtre ; ils sont présents, en face de nous, pour marquer l’urgence de la situation : il faut se réveiller pour sauver la nature à laquelle nous appartenons.

Nina et Fidélio

La mer est loin, au moins à un kilomètre, peut-être deux.

Impossible de mesurer la distance, il n’y a pas de repères, juste une étendue de sable trempée par la marée qui était haute il y a six heures. Tout là-bas, on devine un liseré blanc, celui des vagues imperceptibles.

Pour ma monture et moi, c’est l’appel du grand large, l’envie d’une course au galop dans un espace libre de tout obstacle. Je lance Fidélio à toute allure vers la mer en projetant dans l’espace des cris de sioux.

Je voudrais une caméra pour éterniser ces quelques minutes d’euphorie. Spectacle classique, crinières au vent et là-bas, loin, le friselis des vagues. Le pur-sang anime la carte postale, signe son passage d’une empreinte profonde de ses sabots dans le sable puis ralentit son allure à l’approche de l’eau.

Pas question de retourner sur nos pas. À cause du temps, souvent pluvieux pendant les grandes marées, Fidélio est resté enfermé dans son box pendant deux jours. La mer a trempé la plage jusqu’aux dunes. Le beau sable chaud et doré de l’été a été lessivé, plus aucune trace du passage des vacanciers des deux derniers mois. Je me sens propriétaire des lieux, de l’immensité du paysage et même du vent chargé d’odeurs fortes.

Sortant de l’écume, on fonce vers l’extrémité inexplorée de la plage. La mer remonte et va bientôt atteindre les rochers qui nous font face et nous barrent l’horizon. Un étroit passage de sable s’y devine. On accélère l’allure pour devancer la mer qui remonte rapidement. Quelques gouttes de pluie me surprennent et me font frissonner.

Le goulet une fois franchi, on se retrouve sur une plage bordée de dunes dans lesquelles se dessine un passage au centre. Le ciel s’est obscurci et les premières grosses gouttes commencent à nous tremper.

Le sable est un peu mou et Fidélio se montre réticent à maintenir son allure. Je l’encourage de la voix pour parcourir sans traîner les trois cents mètres à franchir. Il secoue la tête de droite et de gauche en soufflant très fort par les naseaux et s’effondre brusquement. Ses quatre pattes se sont enfoncées profondément dans une sorte de vasière.

Je saute à terre pour le libérer, mais je me retrouve prisonnière à mon tour d’une sorte de mélasse qui dégage une odeur pestilentielle d’œuf pourri. J’attrape les rênes, mais ils sont inutiles. Fidélio a les quatre pattes emprisonnées dans le marécage. Je vois son œil immense, fixe, où se lit la terreur. Dans mon effort pour le sortir de là, mon corps s’est enfoncé un peu plus. Avant de perdre conscience, je comprends que Fidélio est mort, le museau posé sur la vase.

***

Nina à l’hôpital

J’ai l’impression d’avoir un masque sur le visage, un tube dans la gorge, des engins dans les narines. J’entends des voix étouffées comme on voit flou. J’ai très envie de dormir. La somnolence l’emporte, je sombre sans résister et sans être renseignée sur ma situation.

Bonjour, mon cœur, tu es à l’hôpital, tout va bien ne t’inquiète pas. Ne force pas ta voix, elle va revenir tout doucement. Tu peux chuchoter si tu veux. Est-ce que tu as envie que je te raconte ce qui s’est passé ? Voilà, tu faisais la côte avec Fidélio, tu te souviens ? Il y a plus d’une semaine maintenant. Oui, une semaine ! Les pompiers t’ont retrouvée dans une vasière, immergée jusqu’à la taille. Hélas, Fidélio a succombé.

Oui, il est mort d’un arrêt cardiaque, certainement dû à la panique. Mais le médecin qui t’a accueillie aux urgences n’est pas aussi catégorique. Veux-tu que je m’arrête ? Je vois bien que tu es triste… Bon alors je continue.

Ce médecin m’a dit qu’en arrivant tu étais cyanosée et que tu convulsais. Il était très inquiet. Pour avoir vu des cas semblables de patients pris de malaises à l’issue de footing sur une plage, il m’a confié qu’il pensait à une asphyxie due à de l’hydrogène sulfuré. Tu étais imprégnée de cette odeur quand tu es arrivée à l’hôpital m’a-t-il dit. Ce sont les algues vertes les responsables a-t-il ajouté. Les pompiers lui ont dit que tu étais dans une vasière et qu’un hélicoptère a été nécessaire pour te dégager ainsi que Fidélio.

Non, tu ne pouvais pas t’en apercevoir. Je suis allé m’en rendre compte il y a quelques jours. J’ai grimpé sur les rochers qui dominent cette espèce de plage. Le temps était clair et la plage miroitait au soleil. Mais peut-on appeler plage ce terrain recouvert d’une couche sèche, lisse et blanche ? Rien ne peut mettre nos sens en alerte. La plage s’étale comme si la marée venait de la lessiver. Mais c’est une croûte nue, juste une apparence de sable sans danger. Et pourtant à quelques centimètres de la surface, des algues en décomposition se multiplient, se régénèrent, croissent pouvant atteindre 1,50 m de profondeur.

Non, je n’ai vu aucun panneau avertissant du danger. L’accès n’y est possible par le rivage qu’au moment des grandes marées quand la mer se retire très loin, à des kilomètres. Et apparemment, d’après les cartes IGN, aucun chemin n’y conduit. Seul un ruisseau se déversant sur la plage est mentionné.

Tu veux vraiment savoir ce qui s’est passé ? Quand vous vous êtes enfoncés dans le marécage Fidélio et toi, vous avez libéré brusquement une grande quantité de gaz, de l’hydrogène sulfuré. C’est lui qui vous a asphyxiés. Le médecin, dont je t’ai parlé, a demandé à suivre l’autopsie du cheval le plus vite possible pour en tirer des conclusions fiables.

Sachant que Fidélio se trouvait à la caserne des pompiers, je m’y suis rendu dès le lendemain de votre accident. Je suis d’abord tombé sur M. Hugues, le maire qui s’est lamenté à propos de cette triste et regrettable histoire, dit-il. Ensuite il t’a mise en accusation pour inconscience et imprudence. Très vite, j’ai pris la mouche et lui ai fait remarquer que rien ne signale le danger de cette plage. Il m’a rétorqué que des panneaux ont été emportés par la marée. Je lui ai répondu que ce devait être insuffisant comme installation s’il suffisait d’un coup de vent ou d’une vague pour disparaître. Il me coupe pratiquement la parole pour déclarer qu’on ne laisse pas sa femme faire du cheval toute seule dans un lieu inconnu. Sur ce, il a tourné les talons et s’est éloigné.

J’ai serré les poings me retenant de lui en mettre un dans la figure. À ce moment-là est arrivé un tracteur tirant une remorque et j’ai entendu le maire dire que le canasson partait à l’équarrissage. Ce sont ses termes.

J’ai réagi tout de suite en hurlant qu’un médecin allait venir pour pratiquer une autopsie et faire des prélèvements. Vous n’avez rien à dire, me répondit-il, ce sont les autorités qui décident dans ce genre de situation et il s’est dirigé vers le tracteur. Un pompier qui suivait en voiture est sorti de son véhicule et est venu vers lui. Il y a eu un échange de deux minutes entre eux, à la suite de quoi le maire est remonté dans sa voiture et le tracteur, suivi du pompier, est retourné dans le hangar dont le rideau métallique s’est abaissé rapidement. Je me suis retrouvé tout seul, j’ai tambouriné sur une porte, mais au bout d’un quart d’heure j’ai abdiqué.

Voilà, je pense que grâce à mon intervention, le moment de l’équarrissage aura été retardé pour permettre au médecin et au vétérinaire de faire leur travail d’investigation.

Quand tu sortiras de l’hôpital, tu devrais aller te reposer chez Delphine, à la campagne. Par ailleurs, elle a toujours des tas de choses à faire avec tous ses animaux, et ses clients pourraient t’aider aussi à te changer les idées.

Après les cours, je te rejoindrai chez elle. Cela nous rappellera le temps des vacances, celui de notre première rencontre.

***

La mort du ramasseur d’algues

À quatre kilomètres de la côte bretonne, rochers roses et plage de sable doré, la vie s’anime dans la maison en terre de Roger et Marie-Louise. Roger verse un seau de charbon dans la cuisinière encore tiède de la nuit. L’atmosphère se réchauffe rapidement et Marie-Louise peut utiliser l’eau de la bouilloire pour faire le café.

Tu fais quoi aujourd’hui ? Encore la salle des fêtes ?

Non, j’ai fini d’installer les tables et les chaises pour le loto de dimanche. J’espère qu’on va gagner le gros lot cette fois-ci, le beau téléviseur avec un écran tout plat.

Mais alors aujourd’hui, tu vas où ?

Aujourd’hui, c’est le grand ménage sur la plage. Le maire m’a dit de prendre le tracteur pour tirer la remorque dans laquelle je jetterai les algues. Ensuite j’irai les répartir dans un champ. C’est peut-être bon pour la terre, mais pas pour le tourisme, m’a dit le maire. Ils ont eu des plaintes, paraît-il, à la mairie au mois d’août, des estivants qui voulaient se faire rembourser leur location. Bien sûr quand ils ont fait leur réservation au mois de mars ou avril, personne ne les a avertis que la plage était verte ! Ils avaient loué une superbe villa à 300 mètres de la plage ! Alors ils ont dû prendre leur voiture tous les jours pour pouvoir se baigner et trouver du beau sable.

Mais donc, il y en a dans l’eau ?

Bien sûr, c’est la marée montante qui vient les déposer sur la plage. Quand la mer redescend, elle laisse une plage entièrement recouverte d’algues vertes qui vont sécher. Au soleil, ça sent très mauvais. Je vais avoir du boulot parce que personne n’a nettoyé depuis les grandes marées de septembre. Comme les vacances scolaires sont à la fin du mois, je dois me dépêcher. Ne m’attends pas pour déjeuner.

Franchement, je préfère la bonne odeur de l’iode que cette odeur pestilentielle ! Forcément, avec le soleil qui donne depuis huit jours, c’est devenu de la mélasse là-dessous ! J’aurais dû rentrer déjeuner, ça me coupe l’appétit ! En plus, avec toutes ces mouettes, j’imagine qu’il y a une charogne à la sortie du ruisseau. Elles sont au moins une cinquantaine, on dirait des vautours. J’arriverai jamais à tout nettoyer aujourd’hui. Je suis fatigué et la tête me tourne.

Allô, bonjour, je suis la femme de Roger, celui qui travaille pour la commune. Aujourd’hui, il ramasse les algues sur la plage. Normalement, il a fini à 17 heures, mais là il est 18 heures et il n’est pas rentré. Savez-vous qui pourrait me renseigner pour savoir s’il a fini son travail ? Bon, je vous remercie. Je raccroche et j’attends.

De toute façon, il peut pas continuer comme ça. C’est plus un travail pour lui. Encore trois ans comme ça avant la retraite, il tiendra pas le coup. Dans quel état il sera à 62 ans ? C’est pas marche ou crève, c’est marche ET crève !

Madame Dupuy ? C’est Guillaume à la mairie. Roger n’est pas rentré. On va envoyer les pompiers. On vous rappelle.

Allô madame Dupuy ? C’est l’hôpital. Votre mari a fait un infarctus. On va tout faire pour le sauver. On vous rappelle.

Madame Dupuy ? On est désolés, on n’a pas pu le réanimer. Oui, vous pourrez le voir demain après la visite du médecin légiste.

Madame Dupuy ? Avez-vous choisi la société de pompes funèbres qui devra se charger du corps ?

Nadège ? C’est Marie-Louise. Roger est mort. Je n’arrive pas à le croire. Crise cardiaque. Il faut que je le voie ! Tu peux m’emmener à l’hôpital demain ? Pourquoi tu me demandes si ça va ? Je te dis que Roger est mort !

***

La ferme-gîtes de Delphine

Delphine a transformé la ferme de ses grands-parents en gîtes ruraux. Les bâtiments sont tous de plain-pied et s’ouvrent sur un grand pré bordé d’une rivière.

« La ferme du tilleul » doit son nom à l’arbre tricentenaire qui apporte parfums et ombre bienfaisante en été. Au-delà de la rivière caracole un poulain de 6 mois, un descendant de Fidélio, tandis que paissent ses frères plus âgés, à l’écart des plus jeunes.

Un couple de retraités s’est attardé en ce lieu redevenu paisible après les deux mois de vacances scolaires. Les deux jeunes enfants dont ils avaient la charge demandaient à retourner à la ferme pour s’occuper des animaux et faire des balades en carriole et en barque tout en taquinant l’eau avec un bâton.

Deux étudiants en biologie prennent leur dernier petit-déjeuner dans la grande salle avant de reprendre le chemin de leur université à Rennes.

Delphine, accompagnée de Nina, les salue en entrant :

Pas trop dur de repartir, même si les études à votre niveau c’est encore du plaisir ? On vous reverra certainement encore deux ou trois fois dans l’année pour vos recherches en biologie. Ils étudient l’impact des polluants sur les sols et les cours d’eau. Intéressant, non ? Nina, je t’offre un café et tu nous racontes ta mésaventure ?

C’est allé très vite. Fidélio s’est enfoncé jusqu’à l’encolure dans une vasière et moi jusqu’à la taille. Ensuite, je ne me souviens plus de rien.

Excusez-moi de vous interrompre, s’agissait-il de sables mouvants ?

Non, une sorte de marécage, mais en apparence le sol est lisse, formant une sorte de croûte blanche qui s’affaisse sous la pression ; on ne voit pas les algues ; elles sont en dessous, se nourrissant les unes des autres, se développant en pourrissant et fabriquant ce gaz toxique à l’odeur d’œuf pourri.

Oui de l’hydrogène sulfuré d’après votre description. Et ça se passait où ?

À une demi-heure d’ici sur une plage à la sortie d’un ruisseau.

Cela me rappelle la mort du ramasseur d’algues il y a deux ans. On l’avait retrouvé inanimé sur la plage ; d’après le maraîcher bio que je vois sur le marché, la veuve aurait porté plainte contre le maire pour négligence. Le tribunal a fait savoir à son avocat que les échantillons de l’autopsie auraient été mal conservés, ne permettant pas d’affirmer que la mort soit due à une asphyxie par les algues en putréfaction. Il penche pour une crise cardiaque et l’affaire est classée « accident du travail ». Je sais tout ça par l’intermédiaire d’Erwan le maraîcher. Il livre des légumes à la veuve et lui donne un coup de main de temps en temps ; l’affaire intéresse la population et les clients l’interrogent quand il est sur le marché.

Pensez-vous, madame, qu’il existe un rapport entre la mort du ramasseur d’algues et votre accident ?

Oui, certainement. Lors de mon hospitalisation, le médecin rencontré a parlé lui aussi d’hydrogène sulfuré. Il travaille avec le cabinet vétérinaire.

Ce sont des gaz qu’on rencontre plutôt dans des milieux semi-ouverts ou bien fermés comme les grottes ou les égouts. Leur présence sur une plage est étonnante ou alors leur concentration est tellement importante que l’asphyxie est inévitable.

Mon cheval a succombé en quelques secondes, les naseaux échoués sur le sol. L’attitude du maire nous incite à porter plainte contre lui en raison de son attitude. Il ne se sent pas responsable, il nous accuse d’inconscience alors qu’il n’a pas su protéger ses concitoyens. Rien ne protège cet endroit, aucun panneau n’indique le danger et il tourne le dos aux causes de la formation des algues vertes. Il est en colère et refuse de s’impliquer. Nous irons jusqu’aux tribunaux s’il le faut.

Dommage que nous devions partir Léo et moi ; nous étudions la biodiversité dans le cadre du développement durable à la fac de sciences de Rennes. Votre histoire va intéresser certains profs ! Peut-on échanger nos coordonnées pour se tenir au courant de l’avancée de vos recherches ?

Bien sûr. De votre côté, vous me direz si mon histoire a profité à la science !

Je pense que vous n’imaginez pas encore le retentissement qu’elle aura !

***

Agnès journaliste

Bonjour, ici Agnès sur votre radio-libre « Hippiespip » en direct du bourg de Montoutou où se sont rassemblées 200 personnes environ devant la salle communale. Nous allons demander à un manifestant pourquoi ce rassemblement. Je me dirige vers un monsieur vêtu d’un caban bleu marine, portant bonnet et collier de barbe.

Bonjour monsieur. Je suis Agnès de radio Hippiespip, pouvez-vous dire à nos auditeurs l’objet de ce rassemblement.

Vous tombez bien. Il faut informer les gens de ce qui se trame. À quelques pas d’ici, dans la campagne, un projet révoltant va sortir de terre. Il s’agit d’implanter des hangars pour un élevage intensif de poulets. Ce sera de l’élevage en batterie bien sûr, pas de la volaille élevée en plein air. Cela va défigurer le paysage et apporter des odeurs comme de l’ammoniac. Quand le vent viendra du nord, on s’en prendra plein les naseaux. Il y a des habitations à proximité. Le paysage sera défiguré et l’air va être pollué.

Et vous, madame, que dites-vous ?

Il n’y a pas que l’air qui sera pollué, les sols aussi. Tenez, allez interroger les cols blancs qui sortent de la mairie. Vous en saurez peut-être plus.

Merci, j’y vais. Pardon, excusez-moi. Monsieur le maire, s’il vous plaît, monsieur le maire. Ils font semblant de ne pas me voir. Je suis à deux mètres d’eux, avec mon micro. Maintenant le maire me tourne le dos. Bonjour, monsieur le maire, pour Hippiespip, pouvez-vous dire à nos auditeurs qui vous entendent en quoi consiste le projet qui, manifestement, ne convient pas à tout le monde ?

On ne peut pas plaire à tout le monde, mais tout le monde a besoin de se nourrir. Cette ferme nourrira non seulement la Bretagne, mais aussi toute la France et peut-être même au-delà de nos frontières.

Mais pourquoi ne pas envisager un volume moins important, n’impactant pas le paysage et ne perturbant pas la vie des gens d’ici ?

Le problème c’est que le poulet élevé en plein air et nourri grassement nécessite aussi plus de main-d’œuvre. Il sera donc plus cher. Le consommateur n’a pas envie de payer plus cher. Il en faut pour tous les goûts.

Mais alors, à qui appartient ce projet, monsieur le maire ?

C’est la coopérative. Elle permet déjà le travail de plusieurs exploitants. Voilà, maintenant on a à faire. Au revoir.

C’était Agnès, à vous les studios.

Mademoiselle, s’il vous plaît, on va passer à la télé ? Moi j’ai mon mot à dire. Je voulais vendre ma maison qui est perchée sur la butte. Quand on est à l’étage, on peut voir la mer, un peu. Autour de chez moi, c’est la campagne avec quatre cinq maisons par-ci par-là. Mon mari a travaillé pour la coopérative. Il était au service entretien ; il s’occupait d’évacuer des choses, des résidus, des détritus avec des bidons ; alors avec son collègue ils allaient jeter ça un peu plus loin, tous les jours, sans que personne ne leur donne d’indications ; c’était leur travail de débarrasser la coopérative de ses déchets ; il pourrait vous raconter comme ça puait quand il déversait les liquides sur le sol. Même ses habits étaient imprégnés par cette odeur.

Oui ça m’intéresse. Je veux bien enregistrer votre mari. Si vous voulez, je peux vous ramener chez vous en voiture. Il n’est pas venu à la manifestation ?