Mémoires scellées - Brigitte Chartier - E-Book

Mémoires scellées E-Book

Brigitte Chartier

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Beschreibung

Le secret ancestral de Mina gît enfermé dans l’obscurité d’une crypte. Pourtant, des indices discrets et des non-dits éveillent sa curiosité. Dès lors, elle s’attelle à dénouer le fil de l’hostilité que lui voue sa mère. Entre réminiscences et instants présents, la jeune femme entreprend un périple introspectif, déterminant pour élucider les origines du conflit familial. Progressivement, les Mémoires scellées se dévoilent, lui offrant ainsi l’opportunité de reconstituer le puzzle de l’histoire de sa famille…




À PROPOS DE L'AUTRICE

Brigitte Chartier associe avec finesse ses plus grandes passions : la littérature et la psychologie humaine. Ses écrits sont le réceptacle de ses expériences personnelles et professionnelles. Dans Mémoires scellées, elle décrit l’impact des passifs familiaux qui hantent notre arbre familial et qui se manifestent par des évènements traumatiques.

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Brigitte Chartier

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mémoires scellées

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Brigitte Chartier

ISBN : 979-10-422-2418-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Que sont nos enfants que ces maîtres venus nous accoucher de notre enfance !

 

Je vais vous le dire : le plus difficile pour un enfant est de sortir de son enfance.

Christiane Singer

Chapitre 1

 

 

 

 

 

Parfois, j’ai l’impression de vivre sur la planète solitude. De même qu’il y a des journées vide-greniers, j’ai mes journées vides des autres. Il neige. Je suis seule avec moi-même. Quelle drôle d’expression ! « Être seul avec soi-même », comme d’autres sont seuls avec quelqu’un. En l’occurrence, je suis en compagnie de moi.

« Je » et « Moi » discutent, rigolent, s’engueulent, se complimentent. Qu’ai-je à dire à Moi qu’il ne sache déjà ? Que quand j’étais enfant j’ai usé et abusé de ce magique paradoxe ? Cela n’a rien d’étonnant, tous les enfants parlent seuls en s’adressant à eux-mêmes ou à une poupée, un nounours, un compagnon imaginaire. Qui ne l’a jamais fait au temps de tous les possibles ? J’avais sept ans, j’étais pensionnaire dans une école catholique et je mangeais de la religieuse chaque jour que Dieu fait.

Sœur Marie-Joseph, très sourde à sa voix intérieure, m’avait affirmé haut et fort que seuls les fous parlent tout seuls. Cette révélation me perturba quelque temps. Une religieuse assermentée par Dieu ne pouvait mentir ; alors, même si je me considérais comme saine d’esprit, je devais être folle. « Je » et « Moi », ne l’entendant pas de cette oreille, continuèrent de discuter et de tempêter à voix haute. Je préférai ma folle nature bavarde à la sage nature muette de sœur Marie-Joseph, poussant le vice à feindre de m’adresser à un compagnon imaginaire dès que je la croisais. Elle finit par comprendre mon manège. Jugée comme insolente, mon châtiment tomba : deux week-ends de colle. Je feins d’être contrariée, afin qu’elle ignore que mon dérangement était plutôt un arrangement.

Que celui ou celle qui ne vit jamais des journées de bavardage solitaire me jette la première pierre.

Trois ans plus tard, mon père fut muté à Paris et nous quittâmes Quimper. Finie la pension. Finies les bondieuseries hypocrites. Finie la mise aux normes de notre cerveau pâte à modeler. Peu m’importèrent les arguments dont il se servit pour convaincre ma mère, le collège public m’ouvrait ses portes.

Chapitre 2

 

 

 

 

 

Il est peut-être temps que je me présente, mais pas trop. J’ai l’âge d’avoir assez vécu des heures creuses et des heures pleines, et encore le temps, si le Dieu de Sœur Marie-Joseph me prête vie, de profiter pleinement de la vie.

 

Mariée ? Divorcée.

Des enfants ? Un fils, Tom.

Un chat, Mystic.

Chapitre 3

 

 

 

 

 

Il neige. Les toits sont blancs, les rues sales, les trottoirs glissants. Le souvenir amer d’une glissade incontrôlable. En état d’alerte maximale, « Je » tenta de m’avertir d’une humiliation imminente : Oh bop-bop, attention, Mina ! Tu détestes marcher sur la neige et tu t’es comme déjà étalée plusieurs fois. La pensée ouvre le chemin, je me retrouvai étalée sur une neige jaunâtre et fondante. Rien de grave heureusement, juste un sentiment de honte d’être tombée aussi bas devant des passants indifférents, ou le sourire en coin, ou riant carrément. Maudits soient-ils !

Cependant, si tomber du haut de sa hauteur est humiliant, assister à une chute est drôle et libère le rire. « Tomber de haut » au sens propre fait toujours écho au sens figuré. Nous tombons tous de haut un jour ou l’autre, mais cela ne contribue-t-il pas à l’apprentissage de la vie avec son lot de joies, de désillusions et de leçons de vie ? À chacun son rythme d’apprentissage et d’intégration.

Installée sous la couette, j’ai agrémenté ma solitude dominicale de quelques films en DVD prêtés par une amie. À défaut de quelque beau mâle dévoué à ma personne, envoyé par le service S-O-S urgence solitude, j’y ai retrouvé Mystic, mon gros chat paresseux. Seule sous ma couette, rires et pleurs en regardant le magnifique film : Dialogue avec mon jardinier, de Jean Becker. L’amitié se nourrit et s’enrichit des différences. Tout oppose en apparence trompeuse « Dujardin », le terrien candide et « Dupinceau », l’artiste intellectuel en mal d’amour et de vérité. « Dupinceau » a trouvé chez « Dujardin » l’authenticité, la sincérité, capables de lui redonner l’inspiration et le goût de peindre. Dans le film précédent, Fragiles, le génial Darroussin incarnait un homme blasé et meurtri par la vie, avec toujours ce sentiment de recul, de moquerie et de candeur. Son sourire est magnifique. Ensuite, pour la énième fois, j’ai regardé mon film comique préféré : « Les aventures de Rabbi Jacob », à consommer sans modération pour le moral en berne. Ringarde, moi ? J’assume ! Quand mon estomac a crié famine, « Je » et « Moi » ont discuté pour savoir si je préférais manger chinois ou kebab. Le souvenir gustatif du sandwich grec a mis fin à la discussion, pour passer à l’action de ramener la pitance pour estomac affamé.

La nuit est tombée. Confortablement calée dans mon lit, Mystic blotti contre moi sous la couette, je me dis que l’évidence du monde se résume à la douceur de son ronronnement apaisant et essentiel. Délice de lire avant de m’endormir. Parfois, je suis si fatiguée que les mots se délitent, se morcellent (scellent leur mort), s’envolent et retombent avant que je n’aie pu saisir le sens de la phrase. Parfois, surenchère de mots, parenthèses, brisures de rythme, bombance de vocabulaire, comment une phrase peut-elle être tout à la fois belle et indigeste ? Après avoir relu plusieurs fois une même phrase, il est temps de plonger dans une autre histoire, celle de mes rêves en couleurs.

Ce matin, dans la salle de bain, j’ai levé les mains à hauteur de visage et je les ai contemplées dans la glace. Les doigts en sont longs, assez fins, comme ceux de ma mère. Les ongles, bof ! Pas rongés, mais anarchiques. Une manucure ne serait pas du luxe. L’ongle du pouce droit est plus court que celui du pouce gauche, celui de l’index gauche ras et celui de l’index droit assez beau. Le doigt du secret, l’auriculaire, garde jalousement le sien, car les ongles en sont presque parfaits. Belles et redoutables, telles étaient les belles mains de ma mère, et cinglante la gifle. Les mains larges et rassurantes de mon père étaient douces, et chaudes. Il s’est longtemps rongé les ongles. Ceux de ma mère étaient longs et courbés, telles des griffes prêtes à vous égratigner. Les mains, instruments de douceur ou de terreur, selon que l’intention est bonne ou mauvaise. Quand ma mère se mettait en colère, je fixais ses mains pour tenter de parer aux coups. La réconciliation avec les mains s’est faite bien plus tard, entre d’autres mains aux massages doux, caressants, relaxants.

Chapitre 4

 

 

 

 

 

En rentrant du travail, arrêtée à un feu rouge, mon attention s’est portée sur un homme qui discutait avec quelqu’un sur son portable. Son air heureux et son sourire m’ont laissé supposer qu’il discutait avec une femme. Si c’était un plan drague, l’affaire s’annonçait plutôt bonne. Je l’ai envié. J’aurais tant aimé être aussi dans cet état de désir, de sûrement, plutôt que de peut-être. Mon palpitant a palpité à l’idée d’imaginer sa soirée en tête-à-tête avec elle, à parler de tout et de rien, d’eux, à refaire le monde en rose. Dans un autre temps, je fus cette femme désirée, aujourd’hui dans le besoin d’être désirée. Entre-temps l’anéantissement : mon divorce. J’aimais toujours mon mari, quand il me quitta pour une autre. Le sevrage affectif fut long et douloureux. J’entretins ma douleur comme un trésor. Elle avait un visage, le sien. Une odeur, la sienne. Des saveurs, des sons, des lieux aux souvenirs aigres-doux. Puis, parachutage d’un amant aviateur. De femme légitime, devenue incolore, inodore, sans saveur pour mon mari, je devins une femme cachée et ersatz sexuel pour mon amant marié, devinez à qui… Bravo ! à une hôtesse de l’air. Au bout de six mois environ, Je et Moi, en total désaccord, s’entendirent pour faire exploser en vol cette relation peu planante. En plein divorce, en pleine déprime, mon amant n’aimait que mon cul et se foutait de mes états d’âme. Tandis que mon ex jouait la mélodie du bonheur, j’en jouais la parodie.

Sur les conseils d’une amie, je pris enfin la décision d’appeler « le psy spécialisé dans la femme quittée qui ne s’en remet pas. » Plaisanterie médiocre d’une désabusée que je servais à qui voulait m’entendre. Son calme et son écoute attentive me firent un moment douter de ses facultés auditives, tant mes lamentations finissaient par m’exaspérer moi-même. L’océan de larmes tari se remplit de rires à éclater, de dérives dans les paradis artificiels, de folles nuits à rire sans joie, boire sans soif, baiser sans plaisir. Tu vas encore être malade, Mina, à t’anesthésier dans lesvapeurs d’alcool, m’avertissait « Moi » le sage. Résultat : Tête migraineuse dans la bassine à vomir, à regretter de ne pas l’avoir écouté.

Il est temps de faire connaissance avec l’amour de ma vie. Tom avait deux ans et demi quand nous divorçâmes son père et moi. Je commençai par refuser l’idée de la garde alternée. Rien que d’imaginer que mon Tom puisse partager une partie de sa vie avec une autre femme me révulsait. La peur au ventre, je craignais qu’elle prenne ma place et, plus encore, que Tom l’apprécie. Mariée pour le meilleur, je connaissais le pire. J’aimais encore mon ex-mari qui en aimait une autre et j’allais être séparée de mon fils une semaine sur deux.

La première fois que Tom alla chez son père et sa nouvelle compagne, dans le cadre de la garde alternée, je ruminai toute la nuit, puis je tournai, virai, et ruminai de plus belle toute la sainte journée. À son retour, ni visage fermé, ni larmes au bord des yeux, mais un Tom tout sourire me disant tout de go : « Elle est très zentille Beatriz… », avant de se jeter dans mes bras pour retrouver une maman encore plus « zentille », et tac ! La peur de l’abandon m’avait fait craindre qu’elle prenne ma place et qu’il l’aime plus que moi, mais, malgré toutes mes craintes, je restai sa maman adorée. Il y a pire comme divorce. Comment avais-je pu douter de perdre l’amour de Tom ? Il venait de me faire comprendre que l’amour n’est pas à partager en parts inégales. Qu’il y a autant de gâteaux que de personnes.

Tom est né durant ma dernière année d’études. Je pus m’occuper de lui les premiers mois. Puis, lorsque j’obtins un poste dans le marketing publicitaire, Mathieu, son père, se retrouvant au chômage, à la suite d’un licenciement économique, prit le relais. Belle synchronicité au temps de l’union parfaite.

Par la suite, plongée dans ma débauche dépressive, il me menaça de récupérer la garde exclusive de notre fils, si je n’arrêtais pas mes conneries. Après ce coup de semonce radicalement efficace, choix d’une vie saine, un batifolage occasionnel et une priorité, Tom. J’aimais trop mon fils pour en perdre la garde et pas question qu’il soit la cause d’un conflit dont il aurait pu se sentir responsable. Après tout, c’est moi que son père avait quitté, pas lui. De toute façon, je n’aurais pas voulu qu’il reste pour lui. J’avais connu ça. Mon père, qui avait une maîtresse, était resté pour moi.

Dans la culpabilité de vouloir garder mon père auprès de moi, et lui de vouloir partir vivre à plein temps son amour, s’en suivirent de dures négociations entre « Je », qui revendiquait son droit légitime d’avoir la priorité, et « Moi » qui me culpabilisait, me reprochant de lui imposer un choix contraint. Enfin, la décision, le jour de mes quatorze ans, deux fois l’âge de raison, de lui dire que je savais qu’il aimait une autre femme, mais que surtout, je voulais son bonheur, même si cela devait nous éloigner. Quatre mois plus tard, il partit.

Ma mère le savait-elle ou fermait-elle les yeux pour satisfaire aux apparences d’une vie confortable où elle régnait en maître ? Mon père n’était-il plus qu’une option pratique ? Durant longtemps, la relation de mes parents resta une grande inconnue pour moi qui étais aux premières loges de la parodie de couple qu’ils se jouaient.

 

Tom a cinq ans. C’est l’enfant de l’amour qui a tourné court. Peut-être nous sommes-nous rencontrés et aimés juste pour permettre à notre petit ange de débarquer sur terre. Tom est l’anagramme de « Mot », m’avait fait remarquer mon psy. Ce choix inconscient de prénom avait soudain pris sens pour moi, dont la parole avait été muselée durant toute mon enfance.

Mon père, silencieux, parlait avec ses yeux, ses expressions corporelles. Ma mère pensait, parlait, décidait pour nous. Ado, j’ai maudit le mot « dire », car pour dire il faut être entendu. Ne l’étant pas, je hurlais. Le divorce de mes parents fut prononcé un an après le départ de mon père. Il emporta mon prénom avec lui, ma mère ne s’adressant à moi qu’en utilisant le « tu » ou l’impératif : « Tu viens, le dîner est prêt – descends, c’est chaud ! »

Durant quelques mois, avant qu’il n’obtienne sa mutation pour Marseille, je le revis régulièrement. Après l’avoir retenu si longtemps, j’étais heureuse qu’il puisse vivre sa vie avec une femme qui le comblait de bonheur. Nouvelle femme, nouveau lieu, nouvelle vie, un enfant. Un autre enfant de l’amour.

Plus jeune, je lui avais demandé : « Est-ce que je suis un enfant de l’amour, papa ? » Il m’avait souri tendrement, une pointe de tristesse dans le regard, avait pris mes mains dans les siennes, plongé ses yeux dans les miens et avait dit : « Oui bien sûr, ma chérie. » Il s’était tu quelques secondes, avant de poursuivre : « Mais je comprends que tu aies pu en douter. Pourtant, ta mère et moi, on s’est aimés passionnément. »

Plongé quelques instants dans ses souvenirs, il avait ajouté, les yeux humides : « Ta mère a été belle, joyeuse et sensuelle. Elle n’a pas toujours été la femme dure et triste que tu connais. » Le visage assombri, il m’avait prise dans ses bras, me disant, au bord des larmes : « Je t’aime, ma chérie, n’en doute jamais. »

N’avez-vous jamais ressenti que l’on vous cache quelque chose d’inavouable ? Je le ressentis si fort à ce moment-là que je me tus aussi, comme plombée par le poids d’un secret qui n’entendait pas d’être révélé.

Le secret n’aime pas le « pourquoi ? », préférant garder dans une zone obscure de l’oubli, le « parce que » libérateur. Tiens ! « Je m’étais tue », comme « tuer », le silence tue-t-il ? Voilà que je « m’autopsy ». « Monsieur Psy », sortez de ce corps !

Tom parle, pose des questions. Les enfants sont de merveilleux observateurs, sans filtres. J’aime leurs remarques innocemment pertinentes et dérangeantes parfois. Elles sont justes, spontanées, amusantes, imaginatives, intuitives.

« Maman, les nuages sont si bas qu’ils touchent la terre. Comment ils font les avions pour voler ? », « Maman, quand t’étais pas divorcée de papa, est-ce que tu pleurais jamais ? » « Maman ! pourquoi mamie elle m’a fâché parce que j’ai dit un gros mot, alors que papy il en dit plein ? » Et tant d’autres « Maman pourquoi… ? » et des « parce que » tantôt francs, tantôt hésitants, tantôt fuyants.

Enfant, j’observais. Pas de droit à la parole : « Toi, tu te tais, je parle à ton père. – Tais-toi, tu es trop jeune pour donner ton avis dans une discussion d’adultes. » J’ai été gavée de « Tais-toi ! » et de « Va dans ta chambre, tu me saoules ». Alors, avec mes Playmobil, j’avais mis en scène notre merveilleuse triade familiale. Au moins, je pouvais parler sans que l’on m’interrompe. J’en rejouais les scènes, sans parler trop fort, mais en y mettant le ton et l’intensité. Mes parents miniatures discutaient, je les interrompais pour donner mon avis. Ma mère m’ordonnait de me taire, je poursuivais en parlant plus fort. Au grand final, c’est elle qui finissait par se taire après s’être pris une raclée par mon père, sous mes applaudissements. Un jour, je fis exprès de parler très fort pour que ma mère m’entende. En colère, elle voulut ouvrir la porte fermée à clé. Contrariée, elle hurla un « Ouvre la porte immédiatement ! » auquel je répondis un « Non » ferme et sonore. De rage, elle donna un violent coup contre la porte, tout en me criant, « Tu es complètement folle ! Tu ne perds rien pour attendre. » Je m’en moquais, car enfermée dans ma chambre refuge, ses mains ne pouvaient pas m’atteindre. La porte se prit un ultime coup rageur, quand je lui répondis insolemment : « C’est ça, je suis folle, mais, au moins, je peux parler sans m’en prendre une ou que tu m’envoies chier. »

À partir de ce jour, je n’ai plus craint ma mère. J’avais imposé ma parole.

Elle profitait des repas pour transformer mon père en mur des lamentations et comme je me défendais avec vergogne, elle m’intimait l’ordre de me taire, ce qui avait évidemment pour effet de renforcer ma résistance. Il fallait que mon père intervienne fermement pour que nous nous taisions et mangions dans un silence monastique. Un soir, le geste de trop quand, exaspérée, elle me balança dans la figure l’assiette de soupe chaude qu’elle venait de se servir. Surprise par la violence de son geste, je n’eus pas le temps d’esquiver le coup et hurlai de douleur, tandis que mon père, sidéré, se portait à mon secours. Pétrifiée par son geste, elle nous regarda ahurie, avant de s’enfuir, affolée. Une fois rassuré sur mon état, il la rejoignit pour une explication sonore. Paix royale pendant plusieurs jours.

Quelques mois plus tard, mes quatorze ans et la libération de mon père.

Chapitre 5

 

 

 

 

 

« Maman, pourquoi tu cries très fort quand tu me fâches ? » Lorsque Tom me dit ça, tout à coup, prise de conscience horrifiée que j’avais agi comme ma mère. Honteuse et en colère contre moi-même, je le pris dans mes bras en lui demandant pardon de « l’avoir fâché si fort », tout en le couvrant de bisous.

Séparée de son père, le cœur en charpie et les nerfs à vif, j’étais au paroxysme de ma déprime et l’hospitalisation pour dépression nerveuse me guettait. « S.O.S Moi » puis plan d’urgence : largage de l’amant et prise de rendez-vous chez le psy que m’avait conseillé mon amie Christine.

 

Tom est reparti ce matin chez son père pour une semaine. La maison est silencieuse de Tom et pleine de lui. Un jouet traîne sur le tapis, ses dessins décorent la cuisine, le salon, sa chambre et les murs résonnent de ses éclats de rire, de larmes, de colère. Dieu merci ! Tom est un absent vivant et non un mort-vivant dans les cœurs de ses proches et dans les lieux imprégnés de l’absent éternel. Mystic s’approche de moi, tout câlinou. Ça te dirait une soirée DVD, ce soir, Mystic ?

Toute séparation est un deuil. Il faut apprendre à vivre sans l’être chéri. J’avais fait le deuil de mon mariage, puis le deuil de mon ex tendre aimé. Mon psy m’avait dit qu’il y avait neuf étapes du deuil : la peine (j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps mon amour mort), le déni (refusé qu’il me quitte pour l’autre), la révolte (colère contre ce salaud qui osait m’abandonner), la peur (qu’il me prenne Tom), le marchandage (tenté de différer le moment de la séparation), la tristesse (antichambre du lâcher-prise), la réflexion (prise de conscience que je me dirigeais droit vers la camisole de force), l’acceptation (finie la résignation et en route vers le dépassement salvateur), la résolution (la thérapie de la petite « Caliméra-Mina »).

Comme je m’enfermai dans mon état de victime plaintive : « Ne confondez pas l’acceptation avec la résignation. L’une vous permet d’avancer ; l’autre vous cloue sur place. » J’ai avancé, avancé à dos d’escargot. De moins en moins en colère contre mon ex, j’appris à connaître et à apprécier l’autre, l’intruse, la voleuse de mari, la mieux que moi. Signe indéniable de mes progrès, je parvins à la nommer par son prénom : Béatrice.

Quand Tom m’avait dit : « Papa a une amoueuse qui s’appelle Beatriz », les larmes m’étaient montées aux yeux et, incapable de lui répondre, j’avais feint de vaquer à mes occupations pour lui cacher mon émoi et la jalousie rageuse qui s’était emparée de moi. Tom venait innocemment de mettre définitivement fin à toute illusion d’un retour en flamme de son père, plein de regrets amers d’avoir voulu quitter la seule, la vraie femme de sa vie. J’étais vaincue, remplacée, une bientôt ex-épouse. Exaspéré de mes réticences à annoncer à Tom notre prochaine séparation, il lui avait parlé et expliqué que papa et maman allaient se séparer parce que son papa aimait une autre femme et que c’était pour cela qu’il était de moins en moins présent à la maison. J’avais inclus Tom dans mon déni, rassurée qu’il ne cherche pas à savoir pourquoi son papa était si souvent absent. Tom, qui avait compris qu’il se passait quelque chose d’anormal entre ses parents, avait choisi de faire écho à mon silence, pour ne pas me faire de la peine.

« Et toi maman, pourquoi t’as pas d’amoueux ?

— Tom, je n’ai pas d’amoureux parce que je n’ai pas d’amoureux, voilà », avant d’éclater en sanglots devant mon petit garçon qui me regardait incrédule.

— T’es triste parce que t’as pas d’amoueux, maman ? Comment lui dire que j’étais triste parce que son père avait une autre amoueuse que sa maman, que leur bonheur m’exaspérait, me ravageait ? Puis de le serrer dans mes bras en lui disant que sa maman l’aimait très fort et qu’elle n’avait pas besoin d’amoueux.

C’est moi ton amoueux, maman.

Chapitre 6

 

 

 

 

 

Quand Tom va chez son père, je fais le ménage à fond. Le ménage est mon antistress. Je lave, j’astique, je range, je trie, je jette et je prends une douche. Aux premiers temps de la garde alternée, je m’effondrais en larmes dès que Tom franchissait la porte. Je pouvais rester prostrée durant des heures ou végéter au lit la journée entière. C’était le temps du chaos. Je vivais l’enfer et mon mari (j’avais du mal à dire mon ex) était au septième ciel. Envieuse de son bonheur, je souhaitais qu’il souffre comme je souffrais. Merde ! Ce n’était pas juste.

« Et pourquoi ce ne serait pas juste qu’il t’ait larguée, ton mec », m’avait dit mon amie, Christine, que je bassinais de mes jérémiades.

— Et pourquoi ce ne serait pas juste que ton mec t’ait quittée ?

« La garce, comment ose-t-elle me dire une saloperie pareille ? »

— Il m’a trompée, le ciel m’est tombé sur la tête et je devrais le remercier, et trouver juste qu’il m’ait quittée pour une autre ? Mais je souffre bordel de merde. Évidemment, toi…

— Stop Mina ! Moi, c’est moi, d’accord ? Si tu as choisi l’option souffrance pour pouvoir te répandre en plaintes et complaintes, c’est ton choix, mais ne m’emmerde plus avec ta « victimite aiguë ». Tu as un fils heureux, candidat au bonheur et qui le vit dans l’instant présent. Toi, tu t’accroches à un passé révolu, à des « ça aurait pu », à des « Ce n’est pas juste, il est heureux et pas moi – il ne mérite pas d’être heureux, alors que je souffre à cause de lui », ça te mène où ? À force de ruminer, tu vas finir par devenir une vraie peau de vache.

— Merci de ton soutien, et pourquoi pas une harpie pendant que tu y es ?

— Ah ! serais-tu plus lucide que moi ? ajoute-t-elle, ironique.

— Oh ! C’est dégueulasse de me dire ça.

— C’est vrai quoi, Mina ! Tues une fille super qui est en train de se gâcher. Vraiment, si tu ne veux pas que Tom en ait un jour assez de voir sa mère se flétrir et larmoyer sans cesse, au point de se sentir mieux chez son père, eh bien secoue-toi, ma vieille ! Parce que là tu es mal barrée.

 

« Victimite » aiguë, « Pourquoi ce ne serait pas juste que ton mec t’ait larguée ? »

Électrochoc. Je me sentis soudain si ridicule que je pouffai de rire. Elle avait raison. Elle me conseilla alors son psy, « bien sous tous rapports », ajouta-t-elle malicieusement. Je n’insistai pas, préférant éviter les détails croustillants d’une libido effrénée qui aurait pu me rappeler la pauvreté de la mienne.

La lessive mise en route, je range le salon, puis la chambre de Tom, avant de m’atteler à passer l’aspirateur. Coup de sonnette. Bizarre, je n’attends personne.

« Le bel inconnu au portable m’aurait-il suivie ? » Cette illusion rend tout d’un coup ma vie meilleure. Ceci dit, je n’aime pas qu’on vienne sonner à ma porte à l’improviste. La dernière fois, c’étaient deux femmes, témoins de Jéhovah, qui faisaient du « porte à porte » pour nous annoncer l’apocalypse. Elles avaient entendu le bruit de l’aspirateur et insisté, jusqu’à ce que j’ouvre. À peine s’étaient-elles présentées que je leur fis savoir, presque aimablement, que j’avais déjà assez de mon apocalypse personnelle pour, en plus, partager celle du monde. Plutôt sympas et compréhensives, elles me laissèrent leur petit journal de propagande : « La tour de garde » que je feuilletai par curiosité après en avoir terminé avec le ménage. C’est édifiant en matière de révisionnisme et d’obscurantisme religieux.

L’évolution est-elle compatible avec la Bible ? Est-il possible que Dieu se soit servi de l’évolution pour créer l’homme à partir de l’animal ? A-t-il fait en sorte qu’une bactérie se transforme peu à peu au point de devenir un poisson, que le processus se poursuive avec l’apparition de reptiles et des mammifères, puis qu’une race de singes évolue en hommes ? Tant des scientifiques que des chefs religieux affirment croire à la fois à la théorie de l’évolution et à la Bible. Pour eux, le livre biblique de la genèse est allégorique. D’où cette question, que vous vous posez peut-être : La théorie selon laquelle l’homme a évolué à partir de l’animal est-elle compatible avec la bible ? Non seulement en tant que témoin de Jéhovah vous avez intérêt à vous la poser et surtout à ne pas adhérer à la thèse évolutionniste, car si nous doutons que Dieu soit notre créateur, il nous est impossible d’avoir de bonnes relations avec lui. Examinons donc ce que la Bible dit à propos de l’origine de l’homme, de son état actuel et de son devenir. (…). La Bible (…) indique que nous venons d’un homme, Adam, qu’elle présente comme un homme réel. Elle donne le nom de sa femme et celui de plusieurs de ses enfants. Elle fournit des détails sur ses actions et ses paroles.

Balayées par ces ménagères de Dieu, les théories évolutionnistes ne sont qu’une interprétation de scientifiques, plagiaires de Dieu, et de la fanfaronnade. L’évolution moléculaire n’est pas fondée sur l’autorité scientifique. Je me demande pourquoi Dieu nous a dotés d’intelligence, de raison, d’esprit analytique et d’un grand appétit de connaissances pour comprendre sa Création, alors qu’il suffit de faire une interprétation littérale des textes. C’est Dieu qui a créé les cieux et la Terre en six jours, puis a installé Adam et Eve, créés à son image. Si vous en doutez, vous êtes des suppôts de Satan qui veulent lui voler ses droits d’auteur-créateur et régner à sa place. Peut-être devraient-ils observer les enfants dans une cour de « re-création » qui recréent le monde à l’infini de leur imagination. Refaire le monde à notre image. Si votre vision du monde n’est pas la même que la mienne, quel bordel !

Et si c’était le singe qui descendait de l’homme ? Je me dis que si je les revoyais un jour, je leur proposerais cette théorie.

Tout en râlant intérieurement, je me dirige vers la porte d’entrée, colle un œil au judas et soupire en levant les yeux au ciel. Mon voisin ! « Qu’est-ce qu’il me veut encore, celui-là ? »Alcoolique de son état, il a toujours un sourire servile et des « excusez-moi » plein la bouche. Je l’aime bien, mais ça m’agace de le voir faire carpette à chaque phrase, comme s’il n’était qu’une merde ou un mégot à écraser.

Je lui ouvre la porte, tout sourire hypocrite. Il est venu m’apporter un paquet.

— Bonjour.
— Bonjour. Excusez-moi de vous déranger, mais… c’est vrai, je ne vous dérange pas au moins ?

Il tient une grosse enveloppe à la main et a suivi mon regard.

— Au oui, voilà, j’ai une grosse enveloppe pour vous.

— Mais pourquoi c’est vous qui l’avez ?

Il a dû sentir l’étonnement agacé de ma voix.

— Ben… Je l’ai trouvée dans la grande boîte aux lettres, alors excusez-moi, hein, je l’ai prise pour vous la donner. Excusez-moi, mais on ne sait jamais quelqu’un aurait pu la prendre.

« Quelle feignasse ce facteur, il aurait quand même pu me la monter. »

— Ah d’accord ! Merci.

— Excusez-moi hein.

« Mon Dieu qu’il est agaçant ! »

— Écoutez, vous avez bien fait, je ne pense jamais à regarder dans cette grosse boîte. Merci.