Mémoires secrètes - Thierry Bidault - E-Book

Mémoires secrètes E-Book

Thierry Bidault

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Normandie – 6 juin 1944 – Omaha Beach – Secteur Fox Green Dans le fracas du débarquement alliés, le jeune caporal allemand Franz Wittmann reçoit un ordre de mission signé de la main même du « Führer » Adolf Hitler : « Partez sur le champ, suivez cette carte et ramenez-moi l’un des trésors les plus légendaires de l’histoire. » De l’autre côté, en bas de la plage, le lieutenant américain William Hooper reçoit le même ordre signé du commandant suprême des forces alliés, le général Dwight Eisenhower. La guerre se termine et emporte avec elle l’un des plus grands mystères de l’humanité. Allemagne – juin 2044 – Cologne La vie de la journaliste Helen Wittmann changera en quelques minutes, elle sera entraînée dans une quête terrifiante qui va bouleverser ses certitudes. Avec l’aide de l’arrière-petit-fils d’un vétéran américain, elle va se trouver confrontée à un groupuscule néonazi sur les plages de Normandie, là où, il y a cent ans, une génération entière de soldats a sacrifié leur jeunesse en quelques minutes pour libérer l’Europe.


A PROPOS DE L'AUTEUR
Passionné d’histoire et guide touristique sur la bataille de Normandie, Thierry Bidault rend hommage, par le biais de Mémoires secrètes, à une génération qui a sacrifié tout ou partie de leur vie pour la liberté de leur peuple. Cet ouvrage qui renferme également une part de l’histoire familiale de l’auteur s’inscrit, au-delà de son aspect romanesque, comme un réel devoir de mémoire.

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Seitenzahl: 479

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Thierry Bidault

Mémoires secrètes

Roman

© Lys Bleu Éditions – Thierry Bidault

ISBN : 979-10-377-5631-2

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À ma famille et mes parents,

À ma femme Christelle et mes filles Andréa, Pauline et Mailynn pour leur support indéfectible.

Chapitre I

Mémoires secrètes

Au nom des sanglots longs…

L’histoire nous a donné rendez-vous. Le signal hurle à la mort. Je croyais à un nouvel exercice, comme ce fut le cas depuis des semaines, mais cette fois c’est pour de bon, je le sens. Je dois m’extirper au plus vite de notre abri. Dehors, le jour se lève difficilement. Je lève rapidement les yeux. Il n’y a pas d’étoiles dans le ciel. Le temps est couvert et le vent souffle sur la côte. Je cours, je cours. Je cours de plus en plus vite. C’est le moment de mettre en pratique toutes les répétitions de ces dernières semaines. Nous devrons jouer notre partition la plus juste possible pour nous en sortir. Nous sommes tous dépendants les uns des autres. Il n’y a que comme cela que l’on s’en sortira. Savoir qui est à sa gauche, qui est à sa droite, et pouvoir compter dessus. Je descends, je descends encore la colline, le long du serpentin creusé il y a un an maintenant. Mes genoux amortissent mes sauts. Je saute et je glisse dans les trous. Je suis agile, l’adrénaline circule dans mes veines, mais je sens mon cœur qui bat à tout rompre, comme s’il voulait sortir de ma cage thoracique. Soudain, je lève la tête et je prends conscience que l’horizon est noirci de milliers de navires de toutes les tailles. Je vois un compagnon commencer à rendre coup pour coup. Tout explose autour de moi. Les arbres se déchirent, la terre explose, la fumée encombre mes poumons. Le ciel se met à hurler. L’enfer est venu prendre possession de cet horizon qui était si beau hier. Je sens la mort frôler mes oreilles, j’entends ses hurlements me vriller les tympans. Je la vois déverser ses chimères par centaines et emporter mes camarades dans l’autre monde. Elle fait déferler des vagues de fer et de feu devant moi. Hors d’haleine, j’ai peur. J’ai tant prié, tant imploré le Seigneur de m’apporter sa protection. Je cours encore, je vois mon but, ma position. Je suis vif. Tous mes sens sont maintenant en éveil. Voilà, j’empoigne ma mitrailleuse, et je tire. Je tire à n’en plus finir, c’est comme un réflexe de survie. Les mottes de terre volent autour de moi. Et puis, je vois ces combattants du nouveau monde tomber par grappes à peine les portes de l’enfer entrouvertes. Ce matin, la mort est venue faire son marché et elle a un très grand panier…

Cologne – hôtel Hilton, centre-ville – vendredi 3 juin 2044

Helen Wittmann se réveilla en sursaut. Son Smartphone affichait 2 : 33 du matin. Le souffle court, elle peinait à reprendre ses esprits. Des gouttes de sueur perlaient sur ses tempes. Elle regarda à gauche puis à droite. Des images de cauchemar lui revenaient vaguement en mémoire ; des bribes de guerre. Elle se frotta les yeux et s’essuya la nuque avec la serviette qu’elle avait mise sur son oreiller.

— Mon dieu mais qu’est-ce que je fais ici ! se dit-elle. Elle ne reconnaissait pas l’endroit et se trouvait dans un de ces états dans lesquels on se trouve après avoir dormi profondément pensant se réveiller dans sa propre chambre.

— Ah… C’est vrai… se dit-elle. Elle reprit ses esprits peu à peu. Puis elle se leva et alla en direction de la fenêtre qu’elle avait laissée ouverte cette nuit pour laisser entrer le peu de fraîcheur qu’il y avait à l’extérieur. Elle avait préféré laisser au repos la climatisation de l’hôtel. Dehors la nuit était chaude et calme. Le vent léger faisait onduler les rideaux et venait caresser la pointe de ses cheveux blonds sur ses épaules nues. Un couple qui sortait de la discothèque un peu plus loin en contre bas s’embrassait langoureusement sur le trottoir d’en face sous le regard inquiet d’un chat, qui guettait sa proie près des poubelles. Cet été s’annonce caniculaire pensa-t-elle, tout comme il y a quatre ans, où le puits chez ses parents était à sec.

Les courbes savoureuses de sa silhouette élancée se découpaient dans la lumière que la lune envoyait au travers de la fenêtre. Helen se dirigea alors vers le petit réfrigérateur pour y prendre une bouteille d’eau minérale. Elle croisa son propre regard dans le petit miroir de la salle de bain.

« Oh, ma pauvre Ely, t’as vraiment besoin de partir en vacances », dit-elle en se frottant le visage. Puis elle retourna dans son lit pour tenter d’y retrouver le sommeil interrompu par cet étrange cauchemar qu’elle n’expliquait pas. Peut-être était-ce dû au surmenage ou bien à cette journée qui justifiait sa présence à Cologne ?

Helen Wittmann est rédactrice en chef du Der Spiegel, l’édition régionale de l’hebdomadaire allemand. Elle a fait ses études de journalisme à Cologne. Fille unique de 34 ans et célibataire depuis 7 mois, elle vit dans un loft du centre-ville de Düsseldorf. Mais c’est à Cologne qu’elle se réveilla en sursaut. Elle doit y couvrir l’inauguration d’une stèle commémorative de la Seconde Guerre mondiale, installée dans le hall de l’hôtel de ville de Cologne. De nombreuses chaînes de télévision seront présentes également puisque la sculpture célèbre le souvenir et le rapprochement entre les peuples dans le cadre des commémorations du centenaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les commémorations doivent s’étaler sur un an, du 6 juin 2044 au 8 mai 2045, pour que plus jamais l’humanité ne revive un tel chaos.

Helen est très respectée dans son métier ; pour son professionnalisme, mais aussi très jalousée pour son talent, et son succès auprès de la gent masculine. Certains de ses collègues l’appelaient « Déesse Diane », au regard de son visage ressemblant à la comédienne allemande Diane Krüger. Helen a toujours été sportive, elle aimait la performance physique. Elle se destinait à une carrière d’athlète. Bourrée de talent, à 16 ans elle intégrait le pôle « sport étude athlétisme » de Cologne pour devenir championne de saut en hauteur. Malheureusement, pour l’Allemagne, à 21 ans, après plusieurs titres régionaux et trois titres de championne d’Allemagne universitaire, une blessure à la cheville l’écarta de son destin olympique. Son fiancé de l’époque, journaliste sportif, la fit alors intégrer la rédaction d’un magazine sportif, où elle fit ses classes. C’est ainsi qu’elle débuta dans le journalisme.

Ces commémorations, et cette cérémonie en particulier, revêtent un caractère particulier pour elle. En effet, son arrière-grand-père doit y être décoré avec une poignée d’autres vétérans encore en vie, venant de divers pays. Ils étaient reconnus pour leur bravoure et leur courage lors de ces années sombres mais aussi pour avoir œuvré pour la paix les années qui suivirent.

Helen avait enfin réussi à retrouver le sommeil malgré la chaleur moite qui régnait cet été sur l’Allemagne, lorsqu’elle entendit tambouriner à la porte.

— Mlle Wittmann, Mlle Wittmann, réveillez-vous Mlle Wittmann !

Helen sursauta.

— Que se passe-t-il ?

— Il est 9 h 15, Mlle Wittmann, j’ai fait plusieurs fois sonner votre téléphone comme vous me l’aviez demandé pour votre réveil, mais vous ne répondiez pas !

— 9 h 15 ? Oh, mon dieu, je suis en retard, la cérémonie est à 10 heures. C’est bon merci, répondit-elle à haute voix.

Helen se prépara à la hâte et 30 minutes après elle se trouvait au volant de son Audi, en direction du hall de la mairie de Cologne où allait se dérouler la cérémonie. Elle profitait des arrêts aux feux rouges pour finir de se préparer : Coiffure et maquillage. Arrivée devant l’hôtel de ville, tous les médias étaient déjà en place depuis plus de 2 heures. Aujourd’hui était le lancement de 12 mois de festivité commémorant le centenaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Plusieurs pays étaient bien sûr associés à ces événements avec une délégation importante présente sur chacun des sites. Cologne avait fait l’objet de bombardements intenses de la part de la Royal Air Force avant juin 1944, comme bon nombre de villes allemandes. D’autres commémorations débutaient simultanément en Angleterre : à Londres, frappé par les bombardements allemands lors du Blitz en septembre 1940. Mais aussi, à l’abord du 6 juin, date choisie du débarquement en Normandie, des célébrations à Portsmouth, Southampton, lieux de départ de l’armada alliée.

Une fois sur place, Helen n’eut pas le temps d’embrasser son arrière-grand-père, qui se trouvait déjà sur scène, mais leurs regards s’étaient croisés un court instant, le temps de rassurer le vieil homme de la présence de son arrière-petite-fille. C’était une journée importante pour l’ancien caporal Franz Wittmann. Le rapprochement des peuples était ce qu’il avait toujours souhaité. Subissant la guerre et les ordres, effectuant son service militaire, il ne pouvait alors que s’y plier. Cependant, ces derniers temps, il se sentait très fatigué. Toutes ces années lui pesaient, mais il tenait absolument à être présent aux célébrations du centenaire. « Après, je pourrais partir… » disait-il. Il était heureux et rassuré de la présence bienveillante de sa « Princesse Hély », comme il l’appelait. Ils ont toujours été très proches. Il a toujours mesuré le bonheur d’avoir pu traverser la Seconde Guerre mondiale sans égratignure et à toujours faire en sorte de mériter cette chance de vivre. Des valeurs qu’il a inculquées à ses enfants ainsi qu’à Helen. Toujours très curieuse, elle avait passé de longues heures à écouter les récits de la période d’engagement de son arrière-grand-père au sein de la Wehrmacht. Récits qu’il distillait toujours avec retenue, pour la protéger ou par pudeur peut-être se disait-elle, même si cela l’exaspérait et qu’elle aurait aimé en savoir plus sur la vie de son arrière-grand-père.

— C’est normal que tu sois devenu journaliste, lui disait-il. Mais par-dessus tout, il était fier que ce soit elle qui couvre l’événement et qu’elle en soit le rapporteur pour le pays et pour les générations à venir. Pour que personne n’oublie jamais.

Le hall de l’hôtel de ville, qui datait du 18e siècle, avait été apprêté pour la circonstance. La statue qui était recouverte d’un drap blanc trônait au centre de la salle. À ses pieds, une estrade où se trouveraient bientôt, le maire de Cologne, Helmut Huebner, des représentants du Gouvernement, le secrétaire d’État à la Défense, Karl Brüggen ainsi que des vétérans allemands, anglais, américains, russes, canadiens, français, italiens et polonais. Les ennemis d’hier et alliés d’aujourd’hui allaient être réunis sous la coupole des libertés édifiée dans le monumental hall d’entrée de l’hôtel de ville de Cologne. Une délégation des armées de l’ONU ferait un arc de cercle de part et d’autre de l’estrade. Un tapis rouge avait été déroulé sur le perron depuis le hall d’entrée. Des vases de cristal contenant des fleurs de lys avaient été disposés de part et d’autre des marches. Les drapeaux d’une vingtaine de pays bordaient le perron, jusqu’au hall d’entrée. La ville était en effervescence pour cet événement. Des fanions aux couleurs de tous les pays du monde ornaient les lampadaires, les devantures de magasins et envahissaient toute la ville. Les journalistes s’étaient massés sur les marches et dans le hall. Le balai des véhicules officiels escortés de motards venait de se terminer. Les différents services de sécurité étaient très présents.

Tout le périmètre de l’hôtel de ville avait été bouclé. Des snipers étaient postés sur les toits entourant le bâtiment municipal. La cérémonie allait enfin pouvoir débuter. Le maire prit place sur l’estrade, et entama un discours empreint d’émotion, de respect et de reconnaissance. Helen était concentrée sur son reportage au pied de l’estrade. Les hauts responsables de chaque délégation se succédaient dans un discours de fraternité. Puis enfin… la remise des décorations. L’émotion était palpable, pourtant, tout se déroulait parfaitement. Les anciens soldats héros, victimes et blessés de guerre, étaient décorés à tour de rôle. Les flashs crépitaient. Helen sentit alors un étrange frisson la parcourir, de la fierté, de la joie, mais aussi une sorte d’inquiétude lorsque son arrière-grand-père reçut sa décoration des mains de Karl Brüggen. Un sourire entre les deux hommes, en effet ils se connaissaient bien pour avoir été souvent ensemble lors de célébrations précédentes. Le secrétaire d’État à la Défense était devenu un ami de la famille. Régulièrement interviewé par Helen en politique, il éprouvait le plus grand respect pour Franz Wittmann, et cela avait beaucoup pesé dans son élection au poste de député et à sa nomination de secrétaire d’État à la Défense. Helen sentit une crispation dans les yeux du caporal Wittmann au moment où leurs regards se croisèrent, mais son visage arborait un tendre sourire. Helen, elle, était inquiète.

La statue allait être maintenant dévoilée par son créateur le grand sculpteur Hemrich Bäuer. Il avait travaillé 2 ans sur cette œuvre qui allait orner le hall de l’hôtel de ville de Cologne, et qui devait symboliser la réconciliation des peuples. Le drap venait d’être tiré par le maire et le sculpteur, on entendit alors une clameur monter dans la salle. Helen commentait :

— Écoutez, je me trouve devant cette magnifique sculpture de fer et de bronze. Il s’agit là d’une colline de bronze surmontée de 5 lames de fer où sont gravés les noms des 5 continents en guerre. Ces lames se dressent vers le ciel, elles sont chapeautées d’un arc de cercle qui représente le rassemblement d’un monde uni.

Il était 10 h 45, la chaleur inondait déjà Cologne et une moiteur envahissait le hall de la mairie. Les flashs crépitaient, et les applaudissements devenaient assourdissants. Tout à coup, Helen vit son arrière-grand-père s’effondrer dans son fauteuil roulant, il devait prendre la parole pour remercier Hemrich Bauer pour sa sculpture, mais il sentit un vertige monter en lui et sa conscience l’abandonner. Les services de sécurité ainsi que le maire se précipitèrent pour lui porter secours et l’emmener en arrière de la scène dans un endroit plus frais. Helen arriva à son tour. La salle était sous le choc. La cérémonie tarda à reprendre son cours. Les secouristes présents firent de suite un diagnostic, Franz était livide, en sueur ; ces sueurs dont on ne sait jamais où elles vont nous mener, où l’on se dit « Mais que m’arrive-t-il ? ». Était-ce juste un malaise dû à la chaleur étouffante qui régnait dans le hall ? Helen était inquiète. Elle savait la santé de son arrière-grand-père fragile. Puis le secouriste qui prenait son pouls et sa tension s’exclama :

— Il fait un infarctus, il va s’enfoncer, il faut l’emmener d’urgence.

Dans un ultime sursaut d’énergie, Franz ouvrit les yeux et prit la main de son arrière-petite-fille qu’il serra avec forces. Il y glissa une petite clé, puis le souffle court, lui dit :

— Helen, va dans mon bureau, lui dit le vieil homme, voici la clé du petit tiroir de mon secrétaire. Dans ce tiroir il y a un double fond, va vite, dit-il essoufflé, va à la maison, prends tout ce qu’il y a dedans, n’ouvre rien et reviens me voir, je t’expliquerai, fais vite, c’est vraiment très important. Fais vite, s’il te plaît.

Helen resta pétrifiée, alors que l’ambulance emportait en urgence le dernier vétéran allemand vers l’hôpital Central. Bousculée par ses confrères de la presse qui s’affairaient autour de l’ambulance pour décrocher « LA » photo du jour, Helen sortit de sa torpeur. Elle regarda sa main, que venait de serrer quelques instants plus tôt son arrière-grand-père, il y avait cette petite clé. Elle se remémora alors ses dernières paroles. Comme prise de panique, elle retourna vers la statue de bronze et traversa en courant le hall de la mairie, qui était encore bondé de spectateurs, de militaires, et hauts dignitaires. La fanfare jouait les hymnes et des musiques militaires, mais ni le maire ni le ministre Brüggen n’eurent le temps de lui demander des nouvelles qu’elle avait déjà pris la direction du parking.

L’ambulance qui transportait Franz Wittmann arriva après quelques minutes à l’hôpital Central de Cologne. Les services d’urgence étaient prêts à le prendre en charge. Wittmann était toujours conscient mais dans un état critique.

Franz Wittmann était né le 10 avril 1926 à Rhynern près de Dortmund, d’un père charpentier et d’une mère lavandière. Il avait 17 ans en 1943, lorsqu’il fut appelé à faire ses classes dans la vallée de la Ruhr, dans un régiment de transmission, il se passionnera pour le codage. Puis, il sera incorporé comme caporal dans 1er bataillon de la 3e Compagnie de régiment d’infanterie 726, 716e division d’infanterie. Sous les ordres du capitaine Ottemeyer, et envoyé en avril 1943 sur la côte Normande. Après le débarquement, il fut prisonnier de guerre et envoyé aux États-Unis pour travailler dans une ferme avec d’autres prisonniers de guerre. De retour en Allemagne, il retrouve sa fiancée quittée 3 ans plus tôt, pour l’épouser en 1946. De cette union naîtra un fils en 1947, Friedrich, qui lui donnera un petit fils, Karl en 1975, qui aura à son tour, Helen Wittmann le 15 juin 2010.

L’Audi roulait à vive allure à travers la banlieue de Cologne en direction du manoir Wittmann. Les kilomètres défilaient mais les minutes semblaient interminables. Helen suivait son instinct en essayant de ne pas se poser de questions. Malgré tout, elle se disait que cette journée ne faisait que commencer et qu’elle avait basculé en un éclair. Qu’allait-elle trouver dans le double fond du tiroir ? « Cela semblait réellement d’une importance capitale dans son regard », se disait-elle « prends tout ce qu’il y a et rejoins-moi, fais vite, s’il te plaît ». Était-il seulement encore en vie à l’heure actuelle ?

La voiture de la journaliste déboucha dans la rue du manoir. Les portails des pavillons défilaient rapidement sur les bas-côtés. Il n’aurait pas fallu que quelqu’un traversât la route à ce moment-là, se disait-elle. Elle arriva enfin devant le manoir. Elle ouvrit le grand portail de bois à l’aide d’une des télécommandes que lui avait données son arrière-grand-père des mois auparavant. La porte électronique s’ouvrit lentement. Trop lentement. Helen tapa d’impatience sur son volant. Puis le passage se fit. La voiture démarra, faisant déraper les roues avant sur les graviers. Elle avança dans l’allée dans un nuage de poussière et vint se stopper devant le perron. Nicholas, le jardinier qui était en train de terminer d’arroser les parterres sursauta à l’arrivée de la voiture, alors qu’Angela, la maîtresse de maison qui avait reconnu la voiture d’Helen accourue sur le perron, toute surprise et inquiète de la voir ici à cette heure alors que la cérémonie était censée avoir commencé !

— Mais que se passe-t-il ? Que faites-vous là ? Vous ne devriez pas être… cria-t-elle, lorsque Helen eut atteint le haut de l’escalier pour pénétrer dans le hall d’entrée. Elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase, qu’Helen avait déjà grimpé quatre à quatre le grand escalier. Soudain, elle se stoppa reprenant son souffle. Prise par l’émotion, des dizaines de souvenirs lui revinrent en mémoire. Cela faisait longtemps qu’elle n’était pas revenue au manoir… Enfant, elle aimait jouer à cache-cache avec son arrière-grand-père, pour jouer les espionnes, « Ne pas se faire voir lors de réunions de famille » était la mission ou encore enfermer Franz discrètement « pour rire » dans son cabanon où il passait des heures à peindre des paysages. L’émotion la submergeait. Elle essuya une larme le long de sa joue et se dirigea sur la droite vers le grand bureau. Bien sûr, il était toujours fermé à clé. Mais si sa mémoire ne la trompait pas, la clé se trouvait encore sur le gros lustre en bois du couloir. « Bingo ! La preuve que j’étais une bonne petite espionne ! » se dit-elle. Il aimait l’appeler ainsi quand elle avait 8 ans « Ma p’tite espionne ». Angela regardait impassible ce petit manège sans pouvoir obtenir plus d’explication de la part de la jeune femme qui était entrée telle une tornade. Helen était concentrée sur sa mission et se trouvait maintenant face au secrétaire de son arrière-grand-père.

— Le tiroir, le tiroir, le petit tiroir, ah… Voilà, c’est celui-ci. La clé, allez ! Vite… Il ne fallait pas perdre de temps. Elle tourna la clé et tira le tiroir. Helen parcourra le tiroir de gauche à droite, il y avait plein de papiers, des notices, des factures, un bloc-notes, une photo… d’elle, assise sur son tricycle à l’arrière du manoir…
— Humm ! J’avais 6 ans là-dessus !

Mais ce n’était pas le moment de s’attendrir. Helen balaya de la main à nouveau l’intérieur du tiroir. Mais il était vide. Il ne semblait pas y avoir de fond escamotable, et le tiroir ne s’enlevait pas pour éventuellement pouvoir l’inspecter autour.

— Mais il n’y a rien, rien…

Elle commençait à paniquer.

— Je ne trouve pas…

Soudain, elle sentit comme une petite tête de clou qui dépassait :

— Qu’est-ce que c’est que ça ? On dirait une tirette, quelque chose comme ça. Instinctivement, elle tira dessus avec son ongle et le fond du tiroir s’abaissa. Elle tira complètement le tiroir pour enlever son fond qu’elle posa sur le bureau et découvrit un deuxième fond.
— Oh ! oui ! C’est ça ! Elle fit rapidement l’inventaire de ce qu’elle sentit à l’intérieur, le retira et le posa sur le bureau.

Pendant ce temps, à l’hôpital Central de Cologne, le médecin en chef avait déjà établi un premier diagnostic, et il était soucieux. Soucieux car, malgré le fait qu’il connaissait parfaitement son patient depuis toutes ces années, il savait qu’il avait bénéficié d’une santé exceptionnelle, mais désormais très fragilisée par son grand âge. Le professeur Inkerman connaissait bien Franz Wittmann. Il connaissait son histoire. Il savait que Franz avait servi pendant la guerre avec la Wehrmacht sur la côte normande dès avril 1943. Sur la plage qui allait devenir la mythique plage d’Omaha Beach. Franz avait été envoyé là-bas entre autres, pour participer à la construction de ce que le Führer appelait : le mur de l’Atlantique. Un bouclier de béton, d’acier, de mines et de canons qui était censé contenir toute offensive depuis la mer. Après l’entrée en guerre des États-Unis fin 1941, Hitler redoutait une offensive alliée de grande ampleur venue de l’ouest. Les fortifications devaient s’étendre tout le long de la côte ouest-française, mais depuis la Norvège jusqu’à la frontière espagnole. Mais fin 1943, soit deux ans après, elles n’existaient réellement que dans le Pas de Calais et le nord de l’Europe, là où précisément l’état-major allemand pensait probable : l’offensive alliée pour reconquérir le continent. Dans le Pas de Calais, la distance à travers la manche avec l’Angleterre n’était que de 80 kms. Il eût été logique que les Alliés attaquent à cet endroit précis. Le maréchal Erwin Rommel nommé par Hitler à la tête du Groupe d’armée B avait mené plusieurs inspections sur la côte normande et il était clair à ses yeux que les défenses du mur de l’Atlantique n’étaient pas assez fortes. Il fit donc accélérer la construction de bunker. Le caporal Wittmann fut envoyé en Normandie, pendant que certains de ses camarades se trouvaient encore sur le front de l’est. En quelques mois, il avait pu se lier d’amitié avec les habitants de Colleville-sur-Mer, un petit village côtier du Bessin de 200 habitants. Sous l’occupation, les relations entre villageois et Allemands étaient plus ou moins cordiales, mais Franz avait su se faire accepter. Il allait chercher du lait à la ferme du Chemineau et donnait son linge à la jeune fermière de la famille, avec qui il avait tissé des liens d’amitié. Franz passait le plus clair de son temps entre préparation de défenses, manœuvres d’alertes et moments de détente, ce qui lui permettait entre autres d’écrire à ses parents. C’était la Seconde Guerre mondiale et il avait été formé au combat, mais il ne comprenait pas toujours les raisons profondes de ce conflit et les Normands étaient plutôt gentils avec lui. Il redoutait le jour où peut-être les alliés allaient faire déferler sur ses nouveaux amis et lui-même, un déluge de feu et de bombes. Franz Wittmann : caporal de 17 ans obéissait aux ordres.

Helen Wittmann observa interloquée, son butin étalé sur le bureau.

— Mais qu’est-ce que c’est que ça ? se dit-elle.

Helen avait entre les mains un sac de velours vert, il semblait peser lourd !

— Ahah, je n’arrive pas à lire ce qui est écrit : À… N’ouvrir… qu’en ma présence.
— Bon ! OK Helen, calme-toi… j’comprends rien, il ne m’avait jamais parlé de tout ça. Il avait juré qu’il me disait tout !

Helen fut surprise et très inquiète de la tournure que prenaient les événements. « Bon, il faut y aller, vite ! De quoi pouvait-il bien s’agir ? » Cette question, elle l’avait retournée des dizaines de fois dans sa tête, durant tout le chemin qui l’avait mené de l’hôtel de ville au manoir. « Se pouvait-il que ce soit un testament ? » Elle se refusait à le voir partir. Son arrière-grand-père qui avait survécu à la Seconde Guerre mondiale était un héros à ses yeux, car il avait énormément œuvré pour la paix ensuite.

Angela, la fidèle maîtresse de maison de Franz Wittmann, et Nicholas, le jardinier du Manoir, se tenaient devant la porte du bureau l’air inquiet.

— Mais, mademoiselle Helen que se passe-t-il ? demanda Angela.
— Franz a eu un malaise à la cérémonie et il a été conduit en urgence à l’hôpital Central.
— C’est grave ? demandèrent les deux employés d’une même voix ?
— Je ne sais pas trop, ça a l’air oui. Mais il m’a demandé de lui ramener ça. Montrant le petit sac sorti du tiroir. De ne rien ouvrir et de le rejoindre rapidement ! Angela et Nicholas restèrent tous les deux stupéfaits, sans voix. À ces mots, Helen rangea son précieux butin dans sa poche, descendit l’escalier quatre à quatre et se glissa dans son Audi en direction de l’hôpital.

Il était maintenant midi et le soleil était déjà très généreux dans le ciel. Consciente de l’importance de sa mission et surprise par la demande de son arrière-grand-père, elle répétait inlassablement cette question « Mais de quoi s’agit-il ? » Son arrière-grand-père qu’elle vénérait lui avait raconté son passé militaire de nombreuse fois ; le respect, la discipline, le courage, et aussi la peur. Elle prenait donc la demande de son arrière-grand-père comme un ordre. Cet arrière-grand-père qu’elle était sûre de connaître par cœur lui avait toujours tout raconté de son passé. Elle en était persuadée en tout cas. « Mais alors » se dit-elle « Il avait donc un secret ? ».

Angela Flockart était au service de Mr Wittmann depuis 40 ans, et elle en avait 57. Toujours sportive, Angela Flockart avait été championne de natation, à bientôt 60 ans elle avait encore la ligne. Elle avait été embauchée avec sa mère Ingrid. Franz Wittmann avait beaucoup aimé Ingrid Flockart. Elle avait toujours été présente pour lui après-guerre, et il considérait un peu Angela comme sa fille. Elle s’était tout d’abord occupée des tâches ménagères, puis à la mort de sa mère, elle a repris la tenue de la maison. L’organisation des dîners et réceptions. Elle a veillé toute sa vie sur celle de « Witty », comme elle l’appelait.

Le jardinier du manoir : Nicholas Neumann avait 45 ans. Un homme athlétique, grand et mince, le visage carré. Il était au manoir depuis 7 ans. Son père était Majordome de Karl Brüggen alors qu’il n’était pas encore ministre de la Défense. C’est lors d’une soirée de charité que Karl Brüggen avait rencontré Franz Wittmann, ils avaient longuement échangé leurs points de vue sur de nombreux thèmes : la Seconde Guerre mondiale comme l’avait connu Franz, l’état de l’Union européenne après l’épidémie de COVID-19 ou le mélange des cultures entre les peuples européens, ainsi que la crise économique et monétaire qui venait de se terminer. « La prospérité est enfin revenue en Europe » lui dit Brüggen « Oui en effet, fit Franz, mais vous savez, l’homme est un animal, il a des besoins basiques et l’homme est un loup pour l’homme, il a besoin de se battre. Chassez le naturel, il revient au galop ! Nous redémarrons un nouveau cycle, mais je ne serais plus là pour voir le résultat ! » Ils restèrent en contact fréquemment. Et c’est au cours d’une de ces soirées que Karl Brüggen demanda à Franz s’il n’aurait pas une place de jardinier pour le fils de son majordome qui était diplômé de la grande école d’horticulture de Berlin. Sans hésitation, Franz Wittmann accéda à sa demande. C’est ainsi que Nicholas Neumann fût embauché en tant que jardinier en chef au Manoir.

Helen arriva enfin à l’Hôpital Central. Elle arrêta son Audi juste devant les urgences et se dirigea rapidement vers l’accueil. Elle savait que le temps ne jouait pas en sa faveur.

— Bonjour, je suis Helen Wittmann, on a amené mon arrière-grand-père il y a à peu près une heure ; Franz Wittmann !
— Ah oui le vétéran ? Mais nous avons demandé aux journalistes d’attendre à l’extérieur, lui répondit l’infirmière de garde sans même lever la tête.
— Mais vous ne m’avez pas entendu ? Je ne suis pas journaliste, je… À ce moment précis, l’infirmière leva la tête et vit le badge de presse d’Helen et la regarda avec dépit. Enfin… oui… Je suis journaliste, mais c’est mon arrière-grand-père qui est là, je suis Helen Wittmann, il m’attend, je dois le voir. Après un instant, l’infirmière se leva et le ton de sa voix changea.
— Ah… oh… oui ! Oui bien sûr ! Désolé. Elle sembla un peu embarrassée. Hum… Je peux vous demander de m’attendre ici ? Je vais chercher un médecin, dit l’infirmière.
— Mais non enfin ! Dites-moi où il a été emmené, il m’attend, je dois absolument lui parler.
— Oui bien sûr, mais je crains que cela ne soit pas possible, il est… Et tournant la tête sur sa droite. Ah… Dr Inkerman, voici…
— Helen Wittmann, je sais…
— Bonjour docteur, où est mon arrière-grand-père ? demanda Helen.
— Mlle Wittmann… euh… veuillez me suivre, s’il vous plaît. Toutes ces hésitations ne rassuraient pas Helen. Le professeur Inkerman était le médecin de Franz depuis plusieurs années. Alors n’en pouvant plus :
— Docteur, où est-il ? insista Helen.
— Il est en soins intensifs. Par ici, venez. Invitant Helen à entrer dans une salle et à s’équiper d’une tenue stérilisée. Comme vous le savez, votre arrière-grand-père a fait un infarctus à l’hôtel de ville, mais doublé d’un AVC en arrivant aux urgences. Ils arrivèrent devant la chambre où Franz se trouvait. Elle le vit branché de partout, placé sous assistance respiratoire.
— Il est inconscient, dit le médecin, dans le coma. Je suis désolé ! À ces mots, Helen sentit ses jambes l’abandonner.
— Mademoiselle ? dit le docteur en la retenant. Asseyez-vous.
— Oh, mon Dieu ! Mais ce n’est pas possible ? Il avait quelque chose d’important à me dire, il voulait que je revienne vite le voir et je n’ai pas… Lui coupant la parole le docteur enchaîna…
— Il a laissé cela. Le docteur donna à Helen un morceau de papier.
— Il a griffonné cela juste avant de perdre connaissance, c’est une suite de chiffres incompréhensible, je pense qu’il délirait, mais il me l’a donné en disant votre prénom, qu’il a répété trois fois. Je pense que c’est pour vous ! Helen était sous le choc. Mlle Wittmann, voulez-vous un verre d’eau ? Lui demanda le médecin.
— Oui, s’il vous plaît. Le médecin se leva et Helen regarda alors dans sa main. Il y avait le petit sac de velours vert et… cette suite de chiffres, griffonnée à la hâte sur un morceau de papier. Elle n’était pas revenue à temps pour le voir et n’avait aucune explication. Elle était seule maintenant, seule face à ce mystère. Elle regarda alors son arrière-grand-père en pleurant et lui dit :
— Très bien Franz ! Je ne sais pas de quoi il s’agit mais tu m’as donné une mission… ; comme quand j’avais 8 ans… Je vais chercher et je vais trouver. Simplement : Attends-moi, je t’en prie, attends-moi, je vais revenir. Elle posa sa main sur la vitre. Le docteur Inkerman revint avec le verre d’eau, mais Helen avait quitté la pièce.

La sonnerie du téléphone retentissait pour la cinquième fois dans le grand bureau du 23e étage de la tour Mercedes de Berlin. Une voix grave décrocha :

— Allô ?
— Kapellmeister ?
— Oui !
— La fille…
— Oui… eh bien ?
— Elle est allée au manoir. Mais elle n’est pas restée, elle est repartie avec un paquet à la main.
— Et c’est tout ?
— Oui. Je pense que nous allons bientôt toucher au but Kapellmeister ! Il y eut un instant de silence, puis la voix grave reprit calmement.
— Bien, c’est entendu. Tenez-moi informé !
— Bien Kapellmeister.

Helen sortit lentement de l’hôpital. Elle était perdue, désemparée. Elle était venue ici pour couvrir l’ouverture des commémorations de la fin de la Seconde Guerre mondiale où son arrière-grand-père devait être décoré. Cet événement devait être suivi de différentes autres cérémonies dans toute l’Europe, notamment en France. Et la voilà finalement, à son chevet, avec un mystère entre les mains. Elle était en proie au doute. Elle n’osait pas ouvrir le paquet.

— Qu’y a-t-il dedans ? Est-ce grave ? Devait-elle tout plaquer et fuir finalement ou prévenir la police ou les services secrets ? Retourner à Düsseldorf et faire comme si rien ne s’était passé ? Non bien sûr, elle ne pouvait pas. Trop de personnes lui demanderaient des comptes. À commencer par elle-même. Mais elle redoutait ce qu’elle allait trouver. Aurait-elle la force d’aller jusqu’au bout ? Elle se sentait si seule. Pourtant Helen Wittmann était une femme qui savait assumer ses responsabilités, et là il n’y avait pas d’autres solutions. Elle avait déjà mis le bras dans l’engrenage en allant chercher le sac dans le bureau de Franz et elle avait maintenant, ce mystère entre les mains.

Il y a maintenant 2 heures qu’Helen avait rencontré le médecin de Franz. Il lui avait dit que son état n’était pas désespéré mais très préoccupant. Assise depuis 45 minutes sur un des bancs du parc de l’hôpital, elle réfléchissait à cette situation. Il fallait évaluer les différentes options qui pouvaient se présenter à elle et elle tentait donc d’échafauder des stratégies. Mais là, elle la journaliste, ne savait pas comment s’y prendre. Où peut-être, n’osait-elle pas se lancer ? Elle regarda alors le ciel, cherchant un signe, une réponse. Il faisait très chaud, le parterre de fleurs embaumait tout le parc, et cela l’apaisait. Soudain, elle se dit :

— Allez, c’est parti ! Elle attrapa son téléphone portable pour appeler le journal. Bonjour, Helen Wittmann à l’appareil.
— Bonjour Mlle Wittmann.
— Je souhaiterais parler à Mark Junker s’il vous plaît.
— Bien sûr un instant s’il vous plaît.
— Hum ! Il faudra vraiment qu’ils changent cette musique d’attente… C’est terrible !
— Allô ?
— Mark ? C’est Helen !
— Oh ! Helen, oui, comment vas-tu ? J’ai entendu à la radio ce qu’il s’est passé, c’est terrible. Ne t’inquiète pas pour le reportage, Hans a bouclé la fin de la cérémonie, mais dis-moi plutôt, comment va ton arrière-grand-père ?
— Mal, très mal. Il a fait un infarctus suivi d’un AVC aux urgences.
— Oh mon dieu, je suis navré Helen, dit-il avec compassion.
— Mark, euh… Je ne te l’ai pas demandé souvent, mais je voudrais prendre quelques jours, je…
— Oui, oui, bien sûr Helen, je comprends, naturellement, ne te soucie pas de cela, prends le temps qu’il faudra, tu n’as pas pris de congés l’an dernier, mais tiens-moi au courant pour Franz, s’il te plaît. Je… Je pense à toi.
— Très bien… merci Mark c’est gentil, dit-elle soulagé, je t’embrasse… à bientôt. Helen et Mark avaient eu une aventure il y a trois ans, et Mark avait donc eu l’occasion de rencontrer Franz plusieurs fois, et l’appréciait beaucoup. Malheureusement, le journalisme qui les avait rapprochés professionnellement les a séparés sentimentalement. Mark n’a jamais vraiment fait le deuil de cette relation et malgré cette rupture, Helen l’attirait toujours. Elle remonta à bord de sa voiture et prit la direction de son hôtel. Le trajet semblait morne. Elle conduisait dans un état second sans faire attention à la route. Elle grilla un feu rouge et manqua de reverser un jogger.

Tout à coup, la sonnerie de son smartphone la fit sursauter et la tira de sa torpeur. Elle ne connaissait pas le numéro mais l’indicatif était celui de Cologne. Elle prit quand même l’appel pensant qu’il s’agissait peut-être de l’hôpital. Elle eut quand même la présence d’esprit de se garer et de stopper le véhicule sur le bas-côté de la route.

— Allo ? dit-elle.
— Mlle Wittmann ?
— Oui, c’est moi…
— Bonsoir, mademoiselle, euh… Karl Brüggen à l’appareil, je ne vous dérange pas ?
— Non, je vous en prie, monsieur le ministre, répondit Helen d’un air surpris.
— Je me permets de vous téléphoner pour prendre des nouvelles de Franz. Comment va-t-il ?
— À vrai dire, monsieur le ministre, pas très bien.
— Ah ? Mais il a été pris en charge immédiatement ? L’on m’a dit qu’il était conscient en quittant l’hôtel de ville…
— Oui en effet ! Il a fait un infarctus qui a été pris à temps, mais le plus grave est qu’il ait fait un AVC en arrivant aux urgences, et… et depuis, il est dans le coma.
— Oh, mon dieu… Je suis vraiment navré dit le ministre qui semblait vraiment abattu par cette nouvelle. Mais votre arrière-grand-père est un homme fort hein… Il en a vu d’autres ! Ça va aller, et puis il est entre de bonnes mains. Bon, n’hésitez pas surtout, si vous avez besoin de quoi que ce soit, je vous assure de tout mon soutien et de toute mon aide. S’il y a quoi que ce soit que je puisse faire, ce sera avec plaisir.
— Merci, monsieur le ministre.
— Je vous en prie, vous savez je connais Franz depuis longtemps. Qu’allez-vous faire maintenant ? Vous retournez à Düsseldorf ?
— Non, j’ai pris quelques jours de congés, je vais rester un peu auprès de Franz.
— Ah oui ? dit-il un peu surpris. Oui bien sûr, je vous comprends, vous avez raison… Bien, je ne vous dérange pas plus longtemps, pensez à prendre soin de vous également. Alors bonne soirée, et surtout n’hésitez pas, mon cabinet vous est ouvert, vous avez mon numéro de mobile. À bientôt et tenez-moi informé de l’évolution de l’état de santé de Franz, je passerais le voir dans la semaine.
— C’est noté, merci encore, monsieur le ministre.
— Je vous en prie, appelez-moi Karl !
— Très bien Karl, au revoir…
— Au revoir, Helen.

Helen fut surprise de cette familiarité et en même temps touchée de l’attention qu’avaient portée les différentes délégations à l’égard de son arrière-grand-père.

20 h 15 : Helen reprit la route et arriva bientôt à sa chambre, à l’hôtel du Lion d’Or de Cologne. Les affichages électroniques de température dans la ville affichaient encore 30 °C. La vague de chaleur qui traversait l’Europe en ce mois de juin 2044 était sans précédent. Mais Helen n’avait qu’une idée en tête : Le mystère autour de ce petit sac de velours que lui avait fait chercher son arrière-grand-père, mais elle n’avait qu’une hâte : prendre une douche, se rafraîchir. Helen se sentait vidée émotionnellement. Il faisait trop chaud, l’atmosphère était étouffante, et elle étouffait ! Elle arriva dans sa chambre que la climatisation avait rafraîchie. Elle posa son butin sur son lit avec ses clés et son téléphone, puis se ravisa, en se demandant si la paranoïa ne l’avait pas atteinte. Elle ferma les doubles rideaux et mit le petit sac de velours vert sous l’oreiller.

Elle retira ses habits à la hâte, sa peau nue était brûlante. Lorsqu’elle se mit sous la douche, elle faisait couler de l’eau fraîche sur le haut de son corps et qui ressortait chaude sur ses pieds. Elle se prélassait sous la douche un instant, se remémorant tous les événements de cette journée. Elle pensait aussi à ce qui se trouvait sous son oreiller et elle en mesurait toute l’importance. Là, il ne s’agissait plus d’un jeu, comme lorsqu’elle avait 8 ans. C’était pour de vrai ! Cette énigme était sans doute un petit morceau d’histoire.

Elle sentait comme une sensation de trac qui montait en elle, car elle était seule et sa vie allait basculer.

Chapitre II

Sortie de la douche, Helen s’enroula une serviette autour du corps puis sur les longs cheveux, elle récupéra le petit sac sous son oreiller puis s’allongea sur le lit et en commença l’inventaire.

— Voyons voir, se dit-elle. Bon ! Le papier codé de Franz ! Ça, c’est tout lui. Et… une balle… de mitrailleuse probablement ? Elle retourna ensuite ce qui semblait être un morceau de tissus emballé dans du papier de soie.

— Des épaulettes d’Oberleutnant, des insignes de col, et l’aigle de la Wehrmacht. Helen était surprise car elle ne se souvenait pas qu’il lui ait dit un jour qu’il avait été promu lieutenant. De plus, au dos de ces insignes était inscrit : « F. Wittmann ». Les insignes de col étaient aussi ceux d’un lieutenant. Elle allait de surprise en surprise. De toute évidence, Franz ne lui avait pas tout raconté.

Helen étudia ensuite avec attention le message que Franz avait griffonné à l’hôpital avant de perdre connaissance.

— Une suite de nombre ! Sacré Franz, il savait que je comprendrais rapidement. Helen avait affaire à une suite de 24 nombres. Devenue experte, elle en déduit tout de suite qu’il ne s’agissait pas d’une suite de Fibonacci comme : 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21, puisqu’elle n’était pas croissante. Il ne s’agissait que de dizaines, aussi bien paires qu’impaires. Tout à coup, elle reconnut ce procédé, c’était un carré de Polybe. Ce code consistait à remplacer chaque lettre de l’alphabet par les coordonnées de sa position dans un carré numéroté de 1 à 5 en horizontale et de 1 à 5 en verticale. Ce système avait été inventé par un Grec du nom de Polybe vers -150 av. J.-C., utilisé par les nihilistes russes en 1860 et repris par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale. Franz l’avait appris lors de ses classes. Ce fut le premier codage qu’il enseigna à Helen. Elle se souvint parfaitement de quoi il s’agissait. C’était un carré de 5 x 5 en abscisses et ordonnées dans lequel on inscrivait les 26 lettres de l’alphabet. Ce système universel faisait que le I et le J étaient regroupés dans la même case. Mais le système nazi lui, ne laissait que le I, avait volontairement fait supprimer le J. Le J de Juif !

Elle attrapa une feuille de papier à l’en-tête de l’hôtel pour y dessiner le carré et commença à déchiffrer :

— 44-45-11-51 -11-33-13-15-42 -11-11-31 -11-32-34-42-13-15-14-34-32-11-23-11.
— T-U-A-V-A-N-C-E-R-A-A-L-A-M-O-R-C-E-D-O-M-A-H-A.
— Tu avanceras à l’amorce d’Omaha ? Mais cela n’a pas de sens, qu’est-ce que ça veut dire ? se dit-elle.
— À l’amorce d’Omaha ? Omaha est une ville du Nebraska aux États-Unis d’Amérique. Ou, est-ce « Omaha », la plage normande ? Ou les deux finalement… À l’amorce, à l’entrée de la plage ? Son secret se trouverait là-bas ?
— Non, ça ne tient pas debout, je n’ai pas réuni assez d’indices, se dit-elle, c’est insuffisant. Allez, fais fonctionner ton cerveau, Ely. Elle se mit alors à retracer sa journée.
— La cérémonie, son malaise, « va dans mon bureau et reviens vite me voir », le petit sac, puis la balle, les insignes. Les insignes ne lui disaient rien puisqu’elle ne savait même pas qu’il avait été lieutenant. Elle prit alors le projectile dans sa main tout en se répétant l’énigme : Tu avanceras à l’amorce d’Omaha. Puis en le tournant, elle vit comme une inscription au creux du culot. Ce n’était pas très lisible avec la rouille, la balle semblait très ancienne. Elle prit un bout de sa serviette et frotta le projectile. La rouille s’estompant, l’inscription se découvrait peu à peu. Elle continua de frotter jusqu’à ce qu’un mot apparaisse. On pouvait désormais lire « OMAHA ».
— Mais oui, c’est ça ! se dit-elle, Omaha, la balle, et son amorce est au culot ! Le point de percussions ! Merci, Franz ! dit-elle à voix haute dans la chambre d’hôtel. Elle regarda alors soigneusement le culot et vit qu’il n’était pas figé, « Franz avait dû l’ouvrir récemment ». Helen prit un stylo et avec la pointe, tenta d’enfoncer doucement l’amorce, mais rien ne se passa. Elle essaya encore et encore mais en vain. Ça ne pouvait être que cela pourtant, se dit-elle. Puis, elle entendit un petit clic qu’elle ressentit aussi dans sa main. Surprise, Helen laissa tomber l’objet sur le lit. Le projectile était ouvert en deux au niveau de la douille et de la balle.
— Mais oui ! C’était bien ça ! « Tu avanceras à l’amorce d’Omaha » ? Fantastique Franz !

Il avait préparé la balle à la manière d’un criptex pour y dissimuler une énigme. Helen la prit à la main puis regarda à l’intérieur et vit un petit bout de papier enroulé très serrée qui dépassait. Elle le fit sortir. Le papier était maintenu avec un élastique. Elle le fit sauter et déroula le message. À l’intérieur, il y avait aussi une petite barre de métal de 3 cm, gravé.

La lettre était écrite de la main de Franz.

« Ma tendre Ely,

Comme tu le vois, cette fois ce n’est pas un jeu. J’avais modifié cette balle traçante qui vient de mon arme lorsque que j’étais en place à mon point fortifié nommé : WN 62 à Colleville sur mer, sur la plage qui allait s’appeler : Omaha Beach en juin 1944. Je ne l’ai pas tiré celle-ci. Je l’ai conservé pour ne jamais oublier l’horreur de cette guerre et ce qu’elle nous a obligé à faire. Nous devions défendre notre peau. Mais j’ai tué. J’ai tué tellement du haut de cette colline. Les GI américains tombaient à peine la porte de leur barge de débarquement ouverte. Mes camarades sont tous tombés là-bas sous une déferlante de feu. Je t’ai raconté bien des choses sur mon passé, mais j’ai gardé pour moi un terrible secret, que je ne peux te révéler ici par sécurité. En plus de ma haine du programme nazi, j’ai désobéi. J’ai désobéi pour de très bonnes raisons, que tu comprendras. Mais voilà, il faut être très prudent et prendre des précautions. Je pense que je ne suis pas le seul sur cette affaire. Sa divulgation et sa présence entre de mauvaises mains pourraient entraîner le monde dans le chaos le plus sombre qui soit. Je ne peux rien te dire de plus mais je te guiderais, puisque la charge t’en revient, maintenant que je ne suis plus à tes côtés. Prends cette clé, suis les informations. N’aie pas peur.

Je t’aime Ely. »

Helen essuya la larme qui venait de perler sur sa joue, puis elle prit alors la clé triangulaire gravée d’un code et estampillée « Deutsche Bank ». Elle se dit alors par déduction que des documents devaient se trouver en lieu sûr. Mais elle n’était toujours pas plus avancée, hormis le fait d’être certaine maintenant qu’elle se trouvait impliquée dans un lourd secret.

22 h 22 : Tout à coup, le téléphone d’Helen se mit à vibrer et la fit sursauter. Le nom d’Angela, la gouvernante du manoir, s’afficha sur son écran tactile. Helen décrocha.

— Allo ? Angela ? Fit Helen surprise.
— Oui Helen, c’est moi, bonsoir. Je… je suis navré de vous appeler à cette heure-ci, mais… après une longue réflexion, il le fallait.
— Non pas de problème Angela, que se passe-t-il ? À vrai dire, Helen était même très surprise de cet appel, ce n’était pas dans les habitudes de la gouvernante de se confier à Helen. Elles se connaissaient et se respectaient mais rien de plus.
— Euh… Avez-vous pu voir Franz ? Comment va-t-il ? demanda la gouvernante.
— Oh… et bien… plutôt mal. Il est dans le coma après avoir fait un infarctus et un AVC.
— Oh, mon Dieu ! Angela était bouleversée. Cela confirmait ses craintes et les raisons de la visite d’Helen ce matin au Manoir. Mais quelles sont ses chances ?
— Les médecins sont très réservés, il faut attendre, dit la jeune femme.
— Cela devait arriver un jour, ces derniers jours je lui avais dit de se reposer, il était anxieux et pas très en forme. Après un silence, elle reprit : alors j’ai eu raison de vous appeler, je dois vous informer de quelque chose.
— Mais quoi ? demanda Helen.
— Eh bien, il m’a confié un secret. Il m’a prévenu que vous viendriez un jour chercher un paquet dans le tiroir de son bureau, et qu’à la suite de cela je devais vous guider. Mais vous et uniquement vous. Helen était stupéfaite d’entendre cette révélation. En revanche, elle prit cela comme une bonne nouvelle, compte tenu de la situation : elle n’était plus seule dans cette aventure. Mais Angela inquiète la mit en garde de suite.
— Souvenez-vous surtout, les apparences sont trompeuses et nous entraînent parfois sur de mauvais chemins, lui dit-elle.
— Comment cela ? Mais de quoi s’agit-il Angela, parlez ? insista Helen.
— Bon, bon, bon… dit Angela, essayant de calmer Helen. Il ne vaut mieux pas que nous parlions de tout cela au téléphone, c’est trop dangereux. À ces mots, Helen sentit sa tension encore monter d’un cran. Angela reprit.
— Venez au manoir, s’il vous plaît, Helen, je vous dirais ce que je sais. Je prépare du thé en vous attendant.
— Très bien, j’arrive tout de suite, répondit Helen.

Angela raccrocha le téléphone et traversa le salon pour aller à la fenêtre qui était ouverte. Le manoir semblait vide et angoissant en l’absence de Franz. Le vent s’était levé en cette chaude nuit du 3 juin 2044 et faisait des courants d’air dans la maison. Les portes-fenêtres claquaient dans le salon. L’orage menaçait. Angela repensa alors à la venue d’Helen et alla dans la cuisine préparer le thé. Elle mit de l’eau à chauffer dans la bouilloire. Elle aimait préparer du thé en vrac, « du Earl Grey bien sûr » comme lui disait Franz, certainement des restes de ses différents séjours en Angleterre après-guerre. Et elle sortit une boîte de sablés normands. Les préférés d’Helen selon son arrière-grand-père. Soudain, elle entendit le parquet craquer dans le couloir. Elle leva la tête et pensa que peut-être il s’agissait d’Helen. Mais elle se dit que finalement, il était trop tôt et puis elle n’avait pas entendu retentir l’alarme de détection d’entrée installée au portail. Elle s’arrêta un instant pour écouter, puis reprit ses préparatifs, se disant que l’orage approchait. Helen ne doit plus être très loin maintenant se dit-elle. Angela se dirigea vers une des portes-fenêtres du salon pour y attendre la jeune femme. Elle sentait son anxiété monter à l’idée de lui faire toutes ces révélations selon les recommandations de Franz. Son regard se perdait dans les grands arbres du jardin. Ils léchaient le bâtiment mais laissaient filtrer les lueurs blanchâtres de la pleine lune. Malgré la chaleur qui régnait encore à cette heure, elle sentit un frisson la traverser. Soudain, elle entendit le signal sonore de la bouilloire indiquant que l’eau était prête. Elle retraversa alors le salon, quand tout à coup, elle vit la silhouette d’un homme encapuchonné à l’autre bout du couloir. Elle sursauta et demanda :

— Oh !... Mais qui êtes-vous et que faites-vous ici ? cria-t-elle de surprise. Mais comme elle n’arrivait pas à distinguer les traits de l’homme qui restait immobile, elle s’avança un peu et crut reconnaître un visage. Soudain, le volet de la fenêtre du salon se mit à claquer. Angela sursauta. L’homme resta immobile et silencieux. La gouvernante s’approcha de nouveau.
— Mais qui êtes-vous ? Nicholas c’est vous ? Mais que faites-vous là ? Que voulez-vous ? Vous avez oublié quelque chose ? L’homme fit un pas en avant et offrant une moitié de visage aux rayons froids du clair de lune. Angela se fixa.
— Nicholas ? Mais répondez enfin ! Que pouvait-il bien faire là à cette heure-ci se demanda-t-elle.
— Oui Angela, c’est moi. Vous ai-je fait peur ? Navré… je vous ai surprise n’est-ce pas !
— Oui en effet, je ne m’attendais pas à vous voir. Vous cherchez quelque chose ? Angela se détendit un instant, et reprit la préparation du thé. Elle travaillait depuis plusieurs années avec le jardinier et le connaissait bien.
— Oh, mais oui ! Je cherche ce que nous cherchons tous ! La vérité ! La perfection ! Nous allons enfin réaliser les desseins de nos célèbres aïeux ! Faire de notre pays le plus puissant de toute la planète, faire de notre peuple la référence… Et vous allez m’y aider… N’est-ce pas Angela ? L’homme commençait à s’approcher laissant enfin la totalité du visage apparaître à la lumière.
— Comment ? Mais enfin, Nicholas, de quoi parlez-vous ? Vous avez bu ? Votre voix est bizarre. À la mélodie de sa voix, l’homme semblait comme possédé, s’amusant à ralentir le rythme de ses phrases et à prendre un ton mielleux, les rendant encore plus angoissantes à entendre.
— Ah… J’attendais ce moment depuis si longtemps ! J’ai entendu votre petite discussion au téléphone, vous savez ? Alors comme ça vous avez des révélations à faire ? La blonde va venir c’est ça ? Angela sentait que Nicholas montait de plus en plus en tension, elle le regarda avec crainte à présent. Mais avant, vous allez me faire quelques petites confidences, n’est-ce pas ?
— Certainement pas ! Je ne vois pas de quoi vous parlez !
— Oh, Angela, non… Notre discussion part sur de mauvaises bases. OK ! Alors je vais être bon prince, c’est moi qui vais les commencer les révélations : je ne vous aime pas ! Mais ça, vous vous en doutiez, alors j’ai plus croustillant : c’est à cause de moi si ce bon vieux Franz va dans le trou plus vite que prévu ! … Ah ! Oui… j’avoue, je l’y ai un peu poussé dit-il d’un air taquin.
— Comment ? répliqua Angela outrée. Ils étaient maintenant tous les deux face à face.
— Et… Oui ! Angela sentait son pouls s’accélérer et battre dans sa tête. Elle n’avait jamais vu le jardinier du manoir dans cet état. Elle voyait son visage maintenant. Ses yeux étaient rouges. Elle sentait qu’il pouvait être capable de tout, et à tout moment. Alors, comme devant un chien enragé, elle ne devait pas paniquer, ne rien dire qui pourrait le provoquer un peu plus et surtout, Angela devait gagner du temps jusqu’à l’arrivée d’Helen.
— Ce n’est pas bien n’est-ce pas hein ? reprit-il. Oh non, vous avez raison ! Je continue les révélations puisque vous ne dites rien. Comment ai-je pu ? Très simple, et cela partait d’une bonne intention, chaque jour je prêtais une attention toute particulière à changer les fleurs de sa chambre et de son bureau. C’était pourtant gentil n’est-ce pas ? Sauf que voilà, je les ai saupoudrés de ricine pendant 17 mois, et j’en ai aussi diffusé dans son bureau par aérosol. De la ricine… dit-il d’un air tendre. Un poison très volatile, très facile à produire et considéré comme le plus toxique du règne végétal. Il l’a inhalé jour après jour, ça lui a attaqué les poumons et s’est diffusé dans son sang pendant des semaines et des semaines. D’où la pneumonie aiguë de l’hiver dernier et sa rechute au printemps. Ah mais… là, par contre, aujourd’hui, je crains qu’il ne s’en remette pas ! Il est dans le coma c’est ça ? Aïe… Ce n’est pas bon signe ! Nicholas déambulait dans le couloir, prenant une statuette, en en caressant une autre, examinant un tableau.
— Vous êtes immonde, osa rétorquer Angela avec dégoût. Elle était pétrifiée.
— Oui, je sais ! lui répondit-il s’approchant d’elle d’un seul coup, comme s’il volait.

La tension monta à nouveau. Ils étaient à quelques centimètres l’un de l’autre. Nicholas reprit :

— C’est pourquoi tu vas me dire tout ce que tu sais du secret de ce cher Franz. Mais s’il te plaît, il ne faut rien dire à la fille, elle est trop émotive, elle ne sera pas objective. Alors, parle ! Où est-ce qu’il cache la relique ?

— Je ne vous dirais rien. Vous pourrez me faire tout ce que vous voudrez, vous ne saurez rien. Sous la provocation, il lui attrapa fermement les poignets.
— Oh mais il ne faut pas dire ça ! Cela pourrait me donner des idées et tu pourrais le regretter ! Parle ! Serrant plus fort.

Soudain, l’alarme du capteur d’entrée installé au portail retentit. Helen ! pensa Angela.

— Qui vient ? dit l’homme, c’est elle ? Formidable je m’occupe de toi après j’me fais la blonde. Bon… Tu vas parler oui ? Il commença à la brutaliser, et la gifla.
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