Mercenaire - Lucie Thomas - E-Book

Mercenaire E-Book

Lucie Thomas

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Beschreibung

Le désert. Le sable, les rochers, les cactus, le vent. Et les quelques petits villages perdus au milieu de cette grande étendue brûlante sous les rayons du soleil. La vie n'y est pas toujours facile : famine, barbarie, violence sont le quotidien des habitants. Lorsque la nuit tombe, une vague de terreur survole le désert. Des cris. Du sang. La mort. Et cette jeune fille, qui traîne le soir dans les rues éclairées par la lune, cette mercenaire qui cherche du travail pour pouvoir se nourrir. Elle ne sera pas déçue lorsque la cheffe du clan le plus puissant de San Pedro de Sonora lui confie une mission. Elle devra s'aventurer dans des villages inconnus, se livrer à des duels sanglants, surmonter de nombreuses épreuves, mais aussi faire des rencontres qui changeront sa perception du monde. Arrivera-t-elle à accomplir sa mission et à survivre face aux dangers qui la guettent ?

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Seitenzahl: 352

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Sommaire

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 1

Le soleil, haut dans le ciel à cette heure-ci, reflétait ses multiples rayons sur le sable couleur brique des petites allées du village de San Pedro de Sonora, perdu au milieu du désert du Mexique. On entendait les habitants parler entre eux, les commerçants crier pour attirer la clientèle, les enfants courir au milieu des maisons. Ces voix, les seules qu’on percevait à des kilomètres à la ronde, se mêlaient aux sifflements aigus du vent. Son souffle chaud faisait claquer les vêtements de seconde main pendus à un fil grossièrement attaché entre deux maisons, dont les murs de la même couleur que le sol s’écroulaient à moitié, créait de petits tourbillons de poussière, ou encore essayait d’arracher un voile qui pendait sur la tête d’une jeune femme.

San Pedro n’était pas le seul village du désert de Sonora. D’autres comme lui, parfois plus grands ou plus petits, plus peuplés ou au contraire moins animés, l’entouraient. Il y en avait une petite dizaine, de différentes tailles mais qui ne comptaient jamais bien plus de deux ou trois mille habitants. Assez éloignés les uns des autres, quelques voies traversant les reliefs de sable et de roches les reliaient entre eux. Elles étaient peu empruntées, excepté par un marchand de temps à autre.

La petite rue principale de San Pedro était la plus animée de toutes. Les commerçants avaient sorti leurs étals devant leur maison tandis que les passants regardaient les marchandises artisanales exposées. Des femmes achetaient des provisions pour nourrir leur famille, tout en se couvrant la tête à l’aide de foulards pour se protéger de la chaleur assommante du soleil et en les tenant fermement lorsqu’ils s’envolaient. Des hommes échangeaient de vives poignées de main, avant de discuter et d’inviter leurs compagnons à aller boire un verre dans le bar du coin. Des mendiants se baladaient au milieu de l’allée, fouillant le sol dans l’espoir de trouver une pièce de monnaie égarée, ou attendant désespérément que quelqu’un fasse preuve de charité. Mais ils savaient que c’était peine perdue.

La charité n’avait pas sa place à San Pedro de Sonora. Ni dans les villages alentour. Pas plus de quelques centaines d’habitants du désert vivaient dans de bonnes conditions, capables de se payer une petite maison ou un appartement modeste. Et seulement quelques personnes par village pouvaient être qualifiées de vraiment aisées. Ces gens appartenaient tous aux quelques familles riches du désert de Sonora, de véritables puissances qui se partageaient toutes les richesses et dirigeaient entièrement l’économie locale. Ils ne cessaient leurs guerres et passaient leur temps à tenter de détrôner les autres clans. Les tensions entre les villages continuaient jour après jour. Tout cela au détriment du reste de la population, qui, pour les moins modestes, avaient réussi à trouver un travail leur permettant de vivre sous un toit et de manger deux repas par jour. D’ailleurs, la plupart des gens n’avaient pas de maison, car les constructions pour héberger les habitants manquaient et les loyers pouvaient monter à des prix exorbitants. Ils dormaient dans de petites cabanes construites à l’aide de cagettes de bois volées dans les commerces du coin, sous la devanture d’un magasin, ou encore dans les impasses où s’entassaient les déchets et les vieux meubles cassés.

Mais ce qui faisait de San Pedro un lieu si insécurisant et peu chaleureux pour les habitants n’était pas uniquement le risque de mourir de faim ou de voir sa maison s’écrouler. Non, le véritable danger qui risquait de détruire complètement le village, c’était les permanents conflits et tensions qui planaient au-dessus de la population. Les clans des villages du désert ne se préoccupaient pas des habitants qui souffraient de leurs actes. On ne comptait plus les infractions commises dans le seul but de s’enrichir un peu plus, de gagner en pouvoir, ou tout simplement de satisfaire une petite vengeance. Parfois, ça allait jusqu’au meurtre. Bien sûr, la plupart de ces actes commis en toute illégalité n’étaient pas sanctionnés. La police de la ville ne punissait jamais les membres de cette élite privilégiée. Tout était histoire de menaces ou de corruption. À San Pedro, l’argent contrôlait la vie des habitants. Lorsque les quelques policiers, assez fous pour faire ce métier dans un tel endroit, étaient témoins d’un de ces crimes, on s’occupait souvent de les faire taire.

Et puis, les clans ne se chargeaient pas du sale boulot. Pourquoi se salir les mains alors qu’on avait assez d’argent pour le confier à d’autres ?

Ils embauchaient des mercenaires. Ceux-ci étaient pour la plupart très pauvres, ils n’avaient souvent pas beaucoup de choix, ou du moins ne le faisaient pas par plaisir. Ils pouvaient être débutants, jeunes, et connaissaient pour la plupart une fin tragique : leur manque d’expérience leur coûtait beaucoup, et il arrivait même que ceux qui les avaient engagés s’en débarrassent une fois le travail effectué, afin que l’affaire ne risque pas de s’ébruiter ou de ne pas avoir à les payer. Mais il y en avait quelques-uns, avec plus d’expérience, qui arrivaient à bien gagner leur vie grâce à ce métier.

Les mercenaires pouvaient être n’importe qui : ils se cachaient partout au milieu de la population et savaient très bien masquer leur identité. Il suffisait de se procurer une arme, sans permis bien sûr, et savoir où se rendre pour trouver une mission. La police du village ne cessait de les arrêter lorsqu’ils tuaient, blessaient, kidnappaient d’autres personnes, ou encore lorsqu’ils étaient impliqués dans l’un des innombrables trafics de drogue.

Mais bien sûr, leurs patrons riches et puissants n’en souffraient jamais. C’était très injuste, mais il fallait l’accepter si on voulait rester en vie. L’argent ici était l’unique loi.

Les mercenaires tuaient sans aucun scrupule et ils n’avaient pas peur des risques de leur métier. S’il fallait prendre ces risques pour pouvoir manger, il valait la peine de les prendre. Dans le désert de Sonora, les habitants, les artisans et tous les gens bons et innocents redoutaient ces malfrats, qui agissaient dans l’ombre au service de personnes encore plus malintentionnées qu’eux. Ils redoutaient d’être par hasard leur victime. Et plus que tout, ils redoutaient la nuit tombée, où, dans le village de San Pedro, la mort et la douleur régnaient en maître.

Les rayons du soleil, encore assez haut dans le ciel, illuminaient les villageois et les rues de San Pedro. Les marchands commençaient cependant à ranger leurs présentoirs, et les passants se disaient au revoir et rentraient chez eux. On pliait les tables, préparait à manger pour le dîner, fermait les volets et on s’enfermait chez soi. On se dépêchait de rentrer, craignant le crépuscule et la tombée de la nuit.

En effet, la nuit à San Pedro de Sonora n’était pas un moment à traîner dans les rues, à l’exception peut-être de quelques quartiers plus aisés, qu’on reconnaissait à des maisons moins abîmées, à des habitants plus richement vêtus et à des voix enthousiastes qui s’échappaient des bars, des restaurants ou des boîtes de nuit. Mais dans le reste du village, la nuit était le moment où les pillards, les voleurs, ou pire, les mercenaires, sortaient pour chercher de l’argent ou des outils qu’on aurait oublié de ranger, ou chasser leurs proies, souvent des personnes qui avaient des dettes à payer et qu’on venait chercher pour leur rappeler qui contrôlait la ville.

Au coin d’une petite ruelle sombre de San Pedro, la poudre rougeâtre du sol se soulevait au contact des pieds nus de quelques gamins passant par-là, se hâtant de rentrer chez eux. Le coucher de soleil illuminait d’une couleur orangée les murs de briques délabrés de la sombre allée. Le tableau qu’offrait la rue colorée par les rayons du soleil mourant faisait froid dans le dos, bien qu’il fût d’une grande beauté. Les couleurs s’accordaient parfaitement entre elles. Le sable au sol, exposé aux rayons lumineux, semblait onduler dans de légères vagues. On entendait au loin des voix s’évanouir. Des bruits de pas disparaissaient précipitamment. Quelques portes claquaient, enfermant avec elles les habitants de San Pedro. Le vent soufflait légèrement et semblait murmurer aux pierres, au sable, aux briques, que la nuit allait commencer son cycle. Cachez-vous, disparaissez, disait la brise, dans un faible murmure. Et les pierres, le sable, les briques, dans leur immobilité, étaient comme recroquevillés et redoutaient le moment où les dernières lueurs du crépuscule mourraient à l’horizon du désert.

Le soleil, cependant, n’avait pas encore totalement disparu. Le vent continuait lui aussi son chemin à travers les ruelles du village. Au son de son souffle s’ajoutait un petit bruit, régulier. Quelqu’un qui croquait une pomme, à plusieurs reprises. On vit bientôt un trognon tomber sur le sol, de la poussière rouge orangé se soulevant à son contact. Curieux, le vent partit virevolter autour du trognon de pomme, puis remonta le long du mur de brique à demi effondré, faisant voleter au passage quelques mèches blondes légèrement ondulées. Un blond foncé, qu’on aurait pu comparer à celui de l’or s’il n’avait pas été terni pas la poussière du désert. Le vent tournoya autour de la jeune fille, assise au sommet du mur, qui contemplait avec indifférence le soleil se faire de plus en plus petit au loin. Il émit un petit sifflement, comme pour la prévenir de rentrer chez elle, de se mettre à l’abri. Mais la jeune fille ne sembla pas y prêter attention et continua de fixer l’étendue du désert s’endormir sous le ciel orangé. Fatigué et découragé de ses vains efforts, il se fit plus léger et repartit dans l’ombre des rues du village.

Enfin, on vit le dernier rayon du soleil disparaître totalement. Le village de San Pedro de Sonora devint soudain sombre et froid, illuminé uniquement par la lumière laiteuse de la lune qui dominait le ciel étoilé. La jeune fille, toujours assise sur le bord du muret, eut un léger frisson. On avait beau être au milieu du désert, les nuits étaient fraîches. Ses cheveux mi-longs avaient cessé de voltiger autour de sa tête et retombaient lourdement dans son dos. Sa peau halée parsemée de poussière noire et rouge, avec quelques griffures et quelques bleus çà et là, semblait soudain, éclairée par la lune, pâle et blême. On ne voyait pas ses yeux, cachés par l’ombre de ses cheveux. Elle tendit l’oreille, à l’affut. Puis, d’un mouvement léger et souple, elle sauta du muret, retombant sans aucun bruit. Elle avança pour sortir de la petite ruelle. Au moment où elle tournait au coin de la rue, on put voir son visage, exposé enfin à la lumière de la lune. Elle devait avoir dans les seize ans, bien qu’il fût difficile d’être précis. Ses yeux bleu clair étaient entourés de petits cernes et sa bouche, fine et claire, était desséchée et parsemée de crevasses. Son visage émacié laissait paraître une légère inquiétude, et elle semblait se méfier de tout ce qui l’entourait. Elle portait des vêtements déchirés à certains endroits, sales. Un jean troué au niveau des genoux et avec une jambe plus courte que l’autre, qui semblait avoir été arrachée, et un T-shirt blanc, très usé, dont on ne distinguait même plus le motif représenté au centre. On voyait par-ci par-là des traces de sang séché. Elle était assez maigre, mais elle avait les épaules carrées et semblait agile et forte. Elle avançait d’un pas sûr et se tenait bien droite. On voyait sur ses bras et ses jambes de fines cicatrices. Celle qui attirait le plus l’attention ne faisait pas plus de deux centimètres. Elle se trouvait sur son sourcil gauche, le séparant en deux et le déformant légèrement.

On entendit au loin un grand fracas et un cri, qui s’étouffa un bref instant après. La jeune fille hâta le pas. Elle semblait connaître son chemin, tournant par des coins de rues étroits, ou passant sous de petites arches creusées dans les murs. Alors qu’elle s’apprêtait de nouveau à prendre un virage, elle s’arrêta net et fit un pas en arrière. Elle se plaqua contre le mur, puis fit dépasser son visage du coin de l’immeuble en terre, juste assez pour pouvoir observer ce qui avait bougé dans la rue. Elle vit une silhouette habillée de noir, ranger ce qui semblait être un couteau dans sa poche. Puis la silhouette du mercenaire disparut rapidement derrière la maison délabrée de l’homme à qui il avait ôté la vie et qui gisait à terre, dans une mare de sang. La jeune fille se redressa, soulagée. Les mercenaires ne lui faisaient pas peur. Les pillards non plus d’ailleurs, elle n’avait rien qu’ils puissent convoiter.

Elle continua son chemin, rassurée. Elle arriva bientôt dans une ruelle éclairée par la lumière chaude qui sortait des portes ouvertes d’un bar. On entendait des voix d’hommes, des chants, des cris. Elle prit une grande inspiration, puis avança rapidement la tête baissée. C’était un coin qu’on pouvait qualifier de peu fréquentable. Voilà pourquoi, contrairement au reste du village, il était encore animé durant la nuit. Ses pas se hâtèrent, tandis qu’elle passait devant l’établissement. Elle le dépassa et continua son chemin le long de la ruelle. Des bruits de pas incertains se firent entendre derrière elle. Elle accéléra encore, même lorsque l’homme ivre qui la suivait l’interpella.

– Eh, qu’est-ce que tu fous à te balader toute seule par ici la nuit ?

Le visage impassible, elle continua son chemin, mais l’homme ne se découragea guère.

– Fais pas ta timide, j’vais pas te manger.

Sa voix rauque et hésitante était parfois coupée d’un hoquet.

– Oh, je t’ai causé !

Elle ne s’en préoccupa pas non plus et tourna au coin de la rue, débouchant sur une petite place totalement vide. Elle scruta rapidement l’obscurité qui l’entourait pour s’assurer qu’elle était seule. Derrière elle, l’homme se rapprocha encore.

– Tu pourrais répondre quand j’te parle ! dit-il, tendant sa main pour lui attraper le bras.

La jeune fille fit volte-face, dégainant quelque chose d’une poche dissimulée dans les plis de ses vêtements. L’homme, qui tanguait légèrement sous les effets de l’alcool, eut un sourire qui découvrit ses dents jaunes et tordues.

– Oh là, doucement ma belle, s’exclama-t-il devant la lame de couteau pointée sur son cou. J’ai compris, je vais reculer.

La jeune fille ne bougea pas d’un pouce, et l’expression neutre de son visage ne changea pas. Elle releva juste le menton, se redressant pour se donner plus de contenance.

– Eh, calme-toi, reprit l’homme de sa voix rauque. J’ai aucune dette à payer, OK ? Alors j’sais pas qui t’paye, mais j’ai rien à voir avec tout ça.

Le visage de la jeune fille s’assombrit face aux paroles de l’homme. Elle baissa son couteau et le rangea dans sa poche.

– J’préfère ça. Mais dis, un couteau c’est bien minable pour une tueuse dans ton genre.

Il tendit un doigt osseux et tremblant vers un pli du T-shirt de l’adolescente, au niveau de sa taille.

– J’devine que tu caches autre chose ici.

Elle s’arrêta de nouveau, comprenant qu’il ne la laisserait pas tranquille. Elle soupira et amena lentement sa main vers l’endroit désigné par l’homme, tapotant un objet qui s’y trouvait, avec un regard menaçant. Son interlocuteur parut comprendre qu’il ne s’était pas trompé et qu’il ferait mieux de partir.

– Ça va, j’ai compris.

– Tu sais qui je suis, alors tu sais de quoi je suis capable. Dégage de là, lui lança la fille, d’une voix étonnamment grave et forte, prenant la parole pour la première fois.

– J’cherche pas les problèmes avec les gens dans ton genre.

Et il disparut en titubant, laissant la jeune fille au visage dénué de toute émotion reprendre son chemin à travers les rues sombres du village. Elle vérifia que personne ne l’avait vue et se dépêcha vers un petit passage étroit entre deux bâtisses.

Elle n’avait peur de personne, mais les ivrognes comme celui qu’elle venait de croiser l’embêtaient. Ils étaient souvent assez ivres pour oser lui parler et la provoquer, sans avoir peur, mais pas assez pour oublier son visage. Et ils faisaient un brouhaha pas possible.

Les gens comme elle préféraient ne pas se montrer devant les autres. Les mercenaires craignaient toujours de se faire arrêter, et il n’était pas bon que les habitants se doutent de leur véritable identité, car ces mêmes habitants pouvaient devenir un jour leur cible. La discrétion valait mieux que tout.

Chapitre 2

– Athalia !

Le cri provenait de la ruelle dans laquelle la jeune fille venait de s’aventurer. La dénommée Athalia eut un semblant de sourire, qui ressemblait plus à un rictus au coin des lèvres, et s’avança vers l’endroit d’où sortait la voix. C’était un petit cabanon en bois, fait avec de vieilles planches, et à peine assez grand pour se tenir debout. Des vieux tissus de tout genre le recouvraient, servant d’isolant. Un autre tissu, plus grand et moins déchiré, était accroché devant l’entrée. Athalia le repoussa d’une main et pénétra dans le petit repaire. Deux bras frêles s’enroulèrent aussitôt autour de son cou, dans une forte étreinte. Elle eut d’abord l’air surpris, puis elle laissa échapper un faible rire et repoussa le garçon qui venait de lui sauter au cou. Fatiguée, elle s’affala sur le vieux matelas duquel s’échappaient quelques plumes et un vieux ressort.

La cabane était peu spacieuse, mais assez pour contenir une petite table basse, deux coussins qui servaient de sièges, une vieille gazinière, un matelas où s’entassaient des couvertures et un tas d’ustensiles et d’outils en tout genre. À l’évidence, tout sortait plus ou moins de débarras ou de poubelles. Les seules choses qui semblaient assez neuves étaient les armes qu’on pouvait distinguer cachées derrière des planches assemblées entre elles pour former des étagères où reposaient d’autres outils. La jeune fille désigna les différents pistolets mal dissimulés d’un bref signe de tête.

– Ed, je t’ai déjà dit de mieux les planquer.

Le garçon se leva pour les cacher sous une couverture, puis il se dirigea vers la petite gazinière et entreprit de faire chauffer des pâtes dans une casserole cabossée.

Il était un peu plus grand qu’Athalia, mais ne semblait pas beaucoup plus âgé. Mince, il avait l’air cependant plus fragile et plus timide. Son visage était légèrement rond et ses joues rosées étaient moins sales et meurtries que celles de la jeune fille. Une touffe épaisse de cheveux noirs en bataille lui couvrait la tête, et une mèche venait souvent le taquiner devant ses grands yeux d’un vert délavé. Son regard fixait attentivement ses mains qui remuaient le contenu de la casserole devant lui.

– Alors, ton boulot ? demanda Athalia. Tu bossais pour qui déjà ?

– Pour les Rodríguez. Ils sont blindés de thunes, ils payent bien même pour des trucs minables. Ils m’ont envoyé espionner quelqu’un. Pas trop dur pour ce que j’ai gagné.

Il désigna d’un signe de tête ravi une enveloppe posée près des étagères de fortune.

– De quoi racheter des bouteilles de gaz, continua-t-il en fixant d’un air mécontent la gazinière qui lâchait de petites étincelles. Sérieux, ça doit faire la troisième fois ce mois-ci qu’on a frôlé la pénurie.

Il prit deux fourchettes et amena la casserole sur la table. Ils commencèrent à manger, picorant chacun à leur tour.

– Et tout s’est bien passé ? demanda à nouveau la jeune fille.

Il avala ce qu’il avait dans la bouche et remonta son jogging délavé pour montrer à Athalia une éraflure sur le côté de la jambe.

– Le type m’a vu. Il a voulu me tirer dans la jambe, mais j’ai réussi à dégager. Il a juste réussi à me frôler.

– Fais voir.

– T’inquiète, c’est rien.

– Fais voir, j’te dis.

Elle tira une boite de mouchoirs d’une étagère et s’approcha de la jambe du garçon.

– Vraiment, j’ai pas mal je t’assure…

– Eduardo Gonzales, tu te tais et tu me laisses regarder.

Il se tut, visiblement convaincu par le ton qu’elle venait d’employer. Elle s’accroupit et effleura du bout des doigts les quelques gouttes de sang qui s’échappaient de la blessure.

– C’est superficiel, commenta-t-elle, mais il vaut mieux être prudent. Si jamais ça s’infecte…

Elle pressa pendant un petit instant la coupure avec le mouchoir, puis, lorsque le saignement cessa complètement, elle se retira et retourna s’asseoir. Elle laissa Eduardo finir les pâtes et elle se laissa tomber en arrière pour rester immobile, allongée, perdue dans ses pensées.

– Je me suis inquiété tout à l’heure.

Athalia ferma les yeux, en signe d’exaspération. Elle les rouvrit lentement, toujours allongée, à attendre les réprimandes de son ami.

– J’aime pas que tu traînes le soir.

– Ed… on craint rien la nuit.

– Si, tu le sais.

– D’accord, mais il y a très peu de risque qu’il m’arrive quelque chose. Les gens comme nous…

Elle se tut. Un silence pesant s’installa. On entendait uniquement quelques mouches voler.

– Tu n’as croisé personne ? reprit Eduardo, quelques instants plus tard.

Athalia se redressa, garda le silence un petit moment, puis répondit :

– Non, personne.

– Bien. Mais la prochaine fois, tu réponds à mes messages.

La jeune mercenaire sortit de sa poche un vieux téléphone dont la vitre était tellement cassée qu’on peinait à voir ce que l’écran affichait. Elle essuya les saletés de la paume de la main et plissa les yeux pour regarder le message qu’Eduardo lui avait envoyé.

– Je viens juste de le recevoir.

– Bien sûr…

– J’te jure ! C’est pas parce que j’ai volé ce téléphone à un riche qu’il marche bien. Ça fait au moins quatre ans que je l’ai pris et il était déjà en mauvais état.

Elle le rangea puis se releva en s’appuyant sur ses bras et, tandis qu’elle remettait de l’ordre dans les couvertures, annonça :

– Demain j’irai chercher du boulot chez les Alvarado. On raconte qu’ils ont besoin de beaucoup de gens en ce moment.

Satisfaite du lit improvisé qu’elle venait de leur faire, elle se jeta dessus et ferma les yeux, bien décidée à passer une bonne nuit de sommeil. Elle sentit Eduardo venir s’allonger à côté d’elle, et tandis que dehors on entendait les bruits habituels de la nuit à San Pedro, le vent, les voix, les fracas, ils s’endormirent tous les deux, reprenant des forces pour le lendemain.

Athalia fronça les sourcils lorsqu’un rayon de soleil se faufila entre les plis du rideau qui servait de porte et vint illuminer son visage. Elle se redressa en baillant et s’étira. Elle posa un pied sur le sable rougeâtre du sol et écarta le rideau de l’entrée. La ruelle était emplie des rayons matinaux et on voyait déjà au loin des passants commencer leur routine. Eduardo était levé, assis dehors contre le mur, croquant à pleines dents une miche de pain. La bouche remplie, il lança un « ‘lut » et tendit le bout de pain vers elle. Elle l’accepta et commença à manger tandis qu’elle retournait dans la cabane. Elle fouilla dans un tas de vieux vêtements et dénicha sa « tenue de travail ». Sans doute les habits les plus neufs de tous ceux qu’on voyait, ils étaient entièrement noirs, sans exception. Elle les enfila machinalement, commençant par un jean souple, puis un débardeur qu’elle recouvrit d’un sweat assez fin à capuche et d’une veste en cuir, noire également. Elle s’empara ensuite d’une grosse ceinture munie de housses en forme d’armes. Elle l’accrocha fermement autour de sa taille, puis, enfin, mit de longues bottes qui lui montaient jusqu’en dessous des genoux. Elle se dirigea vers la cachette aux armes et commença également à fouiller dedans. Eduardo pénétra dans leur repaire et eut un sourire en la voyant.

– Eh bien, je vois qu’on s’est préparée ! Tu es sûre que tout ça est nécessaire ?

– À part que je crève de chaud sous cette tenue, je préfère être prête à me défendre à n’importe quel moment. Je m’habille presque tout le temps comme ça pour travailler. Et puis, j’espère trouver un boulot un peu mieux payé que voler quelques babioles à un commerçant.

Le sourire du garçon s’effaça, mais il ne dit rien et s’avança vers elle. Elle dénicha d’innombrables armes blanches ou à feu et les mit dans les multiples poches dissimulées dans sa tenue, qu’elle avait elle-même fabriquée. Il y en avait une bonne dizaine, si bien cachées qu’on ne pouvait même pas deviner la présence d’une seule. Elle accrocha à sa ceinture un pistolet et une fine lame longue comme son avant-bras. Elle rabattit les pans de sa veste pour les cacher, puis elle s’attaqua au reste. Elle mit d’abord deux revolvers dans des poches intérieures situées au niveau de sa taille, puis deux petits couteaux dans ses manches et un autre dans une poche intérieure de son pantalon. Elle prit ensuite un tout petit pistolet à peine plus gros que sa main et qui devait contenir une seule balle, en cas d’urgence, qu’elle accrocha à l’intérieur de sa botte droite, dans un tissu qui y avait été cousu exprès, et dans la botte gauche elle rangea également dans des poches sur mesure une série de petites lames en forme d’étoile. Elle se releva enfin et eut un petit sursaut en tombant nez à nez avec le visage maussade d’Eduardo.

– Ed, écoute, je sais que tu n’aimes pas ça, mais on a presque épuisé notre stock de nourriture. Je sais qu’on a largement de quoi ne pas mourir de faim, mais quelques économies ne nous feraient pas de mal. Et puis il faut bien prendre des risques. Si je me prépare comme ça c’est justement pour montrer aux Alvarado que je suis prête à accepter une mission dangereuse. Tu sais bien comment ils sont, ils nous confient des tâches qu’ils préfèrent garder secrètes, il serait mal avisé pour eux de choisir des débutants qui risquent de céder sous les menaces des clans adverses et de tout dévoiler. Je ne veux pas me montrer à eux comme une débutante, je veux faire quelque chose qui rapportera assez pour la fin de la saison. J’ai déjà accompli des missions dangereuses, il ne m’est rien arrivé !

Elle fixa son ami en attendant une réponse, une approbation de sa part, mais il garda le silence.

– Tu vas me dire que ces missions sont dangereuses mais je suis entraînée et je peux me débrouiller. Si je gagne assez, peutêtre que je pourrais même acheter un téléphone qui marche vraiment, comme ça tu n’auras plus à t’inquiéter et…

– Athalia.

– Quoi ? Je te préviens, j’ai plus aucun argument, mais je ne changerai pas d’avis.

– Je voulais juste te dire que tu as oublié les deux poignards que tu caches dans ton dos.

– Oh…

Elle eut un petit sourire et se laissa faire lorsqu’il saisit les armes et les glissa dans des rabats de sa veste, un derrière chaque épaule.

– Bon courage.

– Merci.

Elle ne tarda pas plus et sortit de la cabane. Elle avança jusqu’au bout de la ruelle déserte où ils avaient élu domicile, elle prit une grande inspiration, étira ses bras dans un léger sourire qu’elle s’accordait uniquement en ce lieu, préférant cacher ses émotions, vérifia qu’aucune arme ne faisait de bosse sous sa tenue, puis releva la tête et s’engagea d’un pas déterminé dans les allées de San Pedro.

Ce n’était pas la première fois qu’Eduardo réagissait comme ça, il ne s’y habituerait sûrement jamais. Chaque jour la même peur : ne pas revenir. C’était un travail dangereux, mais un travail quand même, qui rapportait de l’argent. Comme elle disait toujours : il faut bien manger.

Son visage légèrement jovial et expressif se transforma lorsqu’elle se mélangea à la population, pour devenir vierge, neutre, presque froid. Elle venait de mettre un masque de pierre. Plus aucune émotion ne transparaissait dans ses yeux. Passer inaperçue, c’était la seule règle.

Ses yeux impassibles dévièrent cependant vers un étal qu’un commerçant était en train de sortir et où il commençait à exposer quelques belles pommes fraîches. Elle jeta un bref regard autour d’elle, puis se rapprocha de la devanture de la maison du marchand. Elle s’appuya contre le mur, l’air de rien, et attendit que l’homme ait la tête tournée, occupé à trier ses cageots de fruits divers. Après une dernière vérification du côté des quelques passants et des deux hommes de police qui marchaient au loin, elle se releva et, tout en longeant les étals, faisant mine d’admirer les produits, elle glissa lentement sa main dans une caisse et saisit une pomme qui disparut aussitôt sous sa veste. Un petit sourire aux lèvres et une lueur gourmande dans les yeux, elle continua d’avancer, sortant quelques pas plus loin son trésor, qu’elle croqua, savourant le goût acide et frais du fruit.

La jeune fille se promena dans les rues, observant les habitants qui vaquaient à leurs occupations. Elle s’écarta, exaspérée, pour laisser passer deux gamins qui la doublèrent en courant, jouant et criant. Elle n’aimait pas les enfants, ils étaient trop bruyants et inconscients. Elle s’arrêta enfin devant un établissement, un grand bar dont la porte ouverte laissait entrevoir l’intérieur : une grande pièce plongée dans le noir avec comme source de lumière les faisceaux de couleurs qui balayaient la salle au rythme d’une musique endiablée. Des gens dansaient, criaient, s’asseyaient au bar pour boire un verre. Athalia s’y engagea, passant sous le grand écriteau qui annonçait « Discoteca Alvarado ». Elle se faufila lentement entre des jeunes de vingt à trente ans qui sautaient dans tous les sens, des gouttes de sueur dégoulinant le long de leurs torses nus. La chaleur régnait, le bruit était assourdissant et on avait du mal à voir devant soi, à cause de la fumée qui se déversait sur les danseurs et des lumières multicolores qui s’y reflétaient.

La jeune fille avança doucement, petit à petit, jusqu’à trouver le comptoir. Elle prit place sur un tabouret et s’accouda sur le bar. Elle regardait les gens présents, le visage toujours neutre. Elle avait bien fait de s’habiller plus proprement que la veille. Cet établissement était une discothèque appartenant aux Alvarado, un des plus riches clans de la ville, et il restait ouvert de jour comme de nuit, aux personnes aisées qui n’avaient souvent pas besoin de travailler pour vivre.

En fait, les Alvarado n’étaient pas un des clans les plus riches. C’était LE plus riche, le plus important. Chaque village était en quelque sorte dominé par un clan, et les Alvarado était celui de San Pedro. Il surpassait de loin tous les autres. Et bien que le village était l’un des plus petits du désert de Sonora, les Alvarado disputaient le titre de plus grande puissance économique de l’ensemble des villages du désert avec le clan dominant de Santa María de Sonora. Et ces deux familles ne s’appréciaient pas.

Dans cet établissement, même avec ses vêtements noirs et simples, Athalia faisait tache. Mais ce n’était pas forcément mauvais. Elle savait parfaitement comment s’y prendre. Le but était de se faire repérer des Alvarado, mais de rester assez discrète pour ne pas paraître comme une intruse aux yeux de tous. De toute façon, ils étaient tous bien trop occupés à s’amuser pour remarquer sa présence.

– Qu’est-ce que tu bois ?

Athalia se retourna vers le barman, un homme grand, costaud, le crâne chauve, avec une barbe et une petite moustache noire, dont elle connaissait bien le visage. Elle pivota sur son tabouret et demanda une bière. L’homme la fixa un petit moment, puis finalement, avec un soupir se retourna vers ses innombrables étagères pleines à craquer de toute sorte de bouteilles et en décapsula une. Il lui apporta et lui demanda :

– Quatre-vingt pesos, s’vous plait.

La jeune fille haussa un sourcil. C’était bien plus que le prix normal pour une bière. Le serveur eut un sourire mauvais.

– Disons que c’est un petit supplément. Il ne me semble pas que tu sois majeure.

Athalia lui lança un regard noir. Comme si elle était la seule mineure à boire ici ! Mais elle sortit tout de même de sa poche de quoi payer et s’empara de la bouteille. Elle appuya un coude sur le comptoir, but une gorgée et dit :

– C’est bien vous, Felipe Alvarado ?

Le barman cessa aussitôt de sécher le verre qu’il tenait dans la main. Il le posa sur le bar, mis la serviette sur son épaule et revint vers la jeune fille, qui continuait d’observer les danseurs.

– C’est bien moi.

Il observa de haut en bas la mercenaire, avant de relever la tête sur laquelle apparaissait un petit sourire, lorsqu’il sembla comprendre.

– Suis-moi. Domenico ! cria-t-il à l’intention d’un autre serveur, tandis qu’il tapotait le clavier de son téléphone. Je reviens dans une vingtaine de minutes, occupe-toi du bar un moment.

Elle sauta du tabouret, but cul-sec la fin de la bouteille et la reposa sur le comptoir, avant de suivre Felipe jusqu’à une petite porte, située derrière le bar. Il sortit une clé de sa poche, ouvrit et fit entrer Athalia. Celle-ci posa imperceptiblement une main sur le manche du pistolet accroché à sa ceinture, prête à dégainer si la moindre menace se présentait. Il fallait toujours prendre des précautions quand on se trouvait dans le repaire de renards tels que les Alvarado. Ils pouvaient vous surprendre au moment où vous vous y attendiez le moins.

Après avoir traversé plusieurs couloirs, Felipe la fit enfin pénétrer dans une salle où plusieurs personnes l’attendaient. La pièce n’était pas très spacieuse et elle était assez sombre. Une grande table se trouvait au milieu. Des gardes, armés, appartenant à la famille ou aux proches des Alvarado, la fixaient sans ciller, les bras croisés et la tête haute, ou la main sur leurs gros fusils. De l’autre côté de la table, sur un imposant fauteuil, qu’on pouvait presque qualifier de trône, était assise, l’air calme et un sourire confiant sur les lèvres, une femme d’une soixantaine d’années. Elle en avait peut-être plus, mais son allure altière la rajeunissait. Ses cheveux courts étaient teints en bordeaux, des rides lui parcouraient le visage et la rendaient encore plus redoutable. Son sourire était sans doute ce qui renforçait le plus son air dominant. Un sourire mauvais. Il semblait ancré sur son visage, s’accordait avec ses rides et ses traits fins, comme si elle l’avait toujours eu. Agacia Alvarado, la cheffe du clan Alvarado, lui fit un signe de la main vers une chaise vide de l’autre côté de la table. Athalia y prit place lentement, totalement sereine face aux armes de ses hôtes. La règle à suivre pour ne pas paraître faible, vulnérable, dans ce genre de situation était de ne laisser paraître aucune émotion, aucun sentiment. Offrir aux autres un visage inexpressif était comme dresser entre eux et soi-même une barrière invisible. Et Athalia maîtrisait cet art comme personne.

Felipe alla se placer aux côtés d’Agacia, lui chuchota quelques mots à l’oreille, puis, enfin, la femme releva la tête et dit d’une voix forte et grave :

– Bonjour, Athalia Figueroa. Cela fait bien longtemps qu’on ne t’avait pas vue dans les parages. Mon fils, Felipe, a failli ne pas te reconnaître.

Athalia continua de la fixer, l’air totalement impassible. Felipe se pencha vers Agacia pour lui souffler de nouveau quelques mots inaudibles. Cela dura plus longtemps que la première fois.

– Nous avons une mission pour toi, reprit la femme.

Elle tendit à la jeune fille un bout de papier déchiré où étaient indiqués une adresse et un nom.

– Cet homme nous a trompés, dit soudain la mère Alvarado d’un ton plus dur, tout sourire disparu, et les lèvres crispées dans un rictus. Il nous doit une grosse somme. J’aimerais que tu ailles lui donner, disons, un petit avertissement. Mais ne sois pas trop aimable. Les gens retiennent plus souvent la douleur que les mots, ajouta-t-elle, son sourire de nouveau présent.

– Tu as trois jours, pas plus, dit Felipe de sa voix rauque.

Le silence se fit, comme si l’affaire était close, mais Athalia ne bougea pas. Elle lança un regard insistant aux Alvarado, et Agacia se redressa en disant :

– Bien sûr. N’oublions pas le plus important. Felipe, s’il te plaît.

L’interpellé se baissa pour ramasser quelque chose qu’il posa sur la table : une grosse mallette couleur métal. Il décrocha les attaches et l’ouvrit. Dedans étaient empilées des liasses de billets de toute sorte. Agacia en prit une grosse poignée, les compta rapidement, en enleva quelques-unes, les posa devant elle et releva les yeux vers Athalia. Celle-ci parut réfléchir un moment.

– J’en veux dix de plus.

– Cinq.

– Huit, et pas moins.

Elles se toisèrent un moment, comme dans un combat de regards silencieux, puis Agacia fit un petit mouvement de tête sans lâcher la jeune fille des yeux, et Felipe sortit de mauvaise grâce d’autres billets qu’il déposa sur la table.

– Tu seras payée une fois la mission accomplie.

– J’en veux la moitié en garantie avant.

– La moitié ? hurla soudain Felipe, en frappant la table de son poing. Et puis quoi encore ?

– Du calme, Felipe, dit Agacia avec son habituel sourire, posant une main calme sur le bras de son fils. Je suis sûre que notre chère amie sera raisonnable. Elle sait ce dont on est capable si elle essaye de s’enfuir.

Son regard féroce et son sourire mauvais ne laissaient aucun doute quant à ce dont « ils étaient capables ».

– Bien entendu.

Chapitre 3

Athalia longeait le bord d’une ruelle, traversée uniquement par quelques villageois à pied. Elle tapota instinctivement sa veste, vérifiant que la grosse enveloppe pleine de billets était toujours là. Elle bifurqua au coin d’un mur qui débouchait sur son repaire et celui d’Eduardo. Elle se baissa pour passer le rideau du cabanon désert et se dirigea vers le fond. Plusieurs épaisseurs de tissu servaient de mur et elle les souleva tant bien que mal, découvrant le mur de pierre du bâtiment auquel son refuge était adossé. Un petit trou dans la surface avait été creusé, abritant une grosse mallette grise. Elle l’ouvrit et y déposa les liasses, en les triant. Elle recompta au passage le contenu de la boîte et soupira d’un air satisfait. Elle se dégagea et s’appliqua à dissimuler la cachette. Elle alluma ensuite son téléphone, tapota la vitre du bout de son ongle pour qu’il s’allume et tenta d’appeler Eduardo. Un bip résonna doucement, puis un deuxième, puis un troisième. Puis rien. L’air plus rembruni, elle rangea le téléphone dans sa poche et sortit. Les rayons de soleil accentuaient la couleur or et les légères ondulations de ses cheveux qui tombaient, lourds et sales, le long de son dos, couverts de la poussière qui s’accumulait depuis de nombreux jours. Elle les attacha machinalement en un chignon d’où s’échappaient quelques mèches et repartit dans les rues de San Pedro.

Déjà midi. Elle remit pour la énième fois, et en soupirant encore plus fort que les précédentes, son téléphone dans sa poche. Son estomac creux commençait à se manifester. Et elle devait désespérément attendre le soir pour agir. Le visage de plus en plus morne à l’idée de ne rien faire de toute l’après-midi, elle se mit en quête d’un endroit où manger. Ou de quelque chose à voler. Mais elle savait que c’était difficile : les marchands se laissaient rarement berner par ici et, à moins de croiser quelqu’un qui dans la même situation qu’elle aurait par miracle trouvé quelque chose, et de le déposséder de son butin, c’était sans espoir. Il restait sûrement quelques provisions dans son cabanon, mais il fallait les garder pour le soir. Elle serpenta dans les allées colorées de San Pedro, au milieu des habitants qui arboraient un sourire, ou des enfants qui riaient aux éclats. Tache sombre et triste parmi les personnes joyeuses du village, elle avançait, la tête haute et le regard fixé devant elle, qui ne tremblait pas d’un poil, insensible face aux exclamations autour d’elle.

Elle tourna rapidement la tête vers la droite, croyant entendre du bruit. Il provenait d’une petite allée plus sombre et déserte. Athalia entrevit cependant au bout de celle-ci un angle, d’où semblaient provenir des voix. Elle jeta un petit coup d’oeil autour d’elle et se faufila discrètement dans la ruelle. Elle marchait à pas de loup, rampant contre le mur, la pointe de ses bottes effleurant sans un bruit le sol de sable. Arrivée à quelques mètres à peine du tournant, elle s’arrêta et tendit l’oreille.

– S’il vous plaît… gémit quelqu’un.

– Ferme-la et donne-moi ça, grogna un autre.

– S’il vous plaît, répéta le premier, je n’ai pas d’argent, je n’ai rien mangé depuis deux jours… s’il vous plaît, s’il vous…

– Ferme-la, j’te dis ! File-moi ce sac et dégage !

– S’il vous plaît…

Athalia entendit un bruit de frottement qu’elle reconnaissait bien. L’homme était en train de dégainer une arme, prêt à tirer. Elle inspira un grand coup, rabattit la capuche de son sweat et jaillit d’un bond derrière l’homme, un pistolet pointé sur sa jambe. La balle partit en un éclair. Il gémit et s’effondra au sol. Un vieillard, dont on voyait les os à travers les plis de sa peau, assis au sol dans une position défensive, sursauta, les yeux grands ouverts dans une expression horrifiée qui se transforma vite en soulagement. L’homme gémissant au sol, tendit sa main tremblante pour récupérer son arme tombée par terre, mais la jeune fille ne lui en laissa pas le temps et lui asséna un grand coup de botte sur le nez. Il s’évanouit aussitôt, le sang coulant à flot de ses deux blessures.

– M-Merci… bredouilla le vieil homme, à côté duquel était posé un petit sac en tissu, probablement volé, et qui était rempli de quelques fruits et de morceaux de pain. Merci beaucoup, je…

Il se tut et leva d’un coup les bras, tremblant, devant le pistolet braqué sur son front. Il ne dit rien, mais on vit une larme couler le long de sa joue osseuse. Il semblait murmurer sans s’arrêter de vaines supplications. Athalia garda le bras tendu, le