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En quête de ses origines, Véronique décide de s’installer sur la terre natale de son père. Alors qu’elle savoure pleinement la beauté de ce village perché en haut d’une colline, une visite inattendue trouble sa quiétude : un facteur lui apporte un mystérieux livre. En le lisant, entre révélations et secrets de famille, elle y fait de surprenantes découvertes.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Marquée par son enfance en Tunisie, dans une société en pleine mutation, Dinah Landier lève sa plume et fait surgir les contours d’un passé enfoui dans sa mémoire. C’est ainsi qu’elle vous propose Métamorphoses d’une illusion, ouvrage dans lequel l’épreuve du déracinement détermine la vie de son héroïne.
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Seitenzahl: 271
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Dinah Landier
Métamorphoses d’une illusion
Roman
© Lys Bleu Éditions – Dinah Landier
ISBN : 979-10-377-7358-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Préface
La nostalgie, toujours, la tristesse, parfois, animent tout être sensible, à l’évocation de son enfance. Rares sont ceux qui n’ont jamais ressenti la joie, la douleur, le regret de ce temps béni. Quand ces sentiments se mêlent à l’exil du pays de naissance, quand les souvenirs se perdent dans l’oubli et que leurs traces restent introuvables, comment peut-on vivre dans un présent étranger à leur mémoire ?
Cette histoire est celle du déracinement, riche par sa complexité, douloureuse par ses manques. Elle fabrique des êtres insatisfaits, nulle part à leur place, étrangers dans leur vie, étrangers à eux-mêmes. L’auteure nous invite à partager l’itinéraire de vie de son personnage, affrontant avec courage les épreuves. Aveuglée par ses illusions, Véronique ne comprendra pas les raisons de ses échecs, et sera précipitée dans un monde impitoyable dont elle sera la victime incrédule.
Le roman débute à la naissance de l’héroïne, après un bref rappel de ses origines familiales. Il illustre les traditions et les mentalités de la société du milieu du XXe siècle, dans une Tunisie en pleine mutation. Le départ de sa terre natale permettra à Véronique d’évoluer, à la faveur de son émancipation, vers la modernité du temps présent. L’histoire nous conduira, selon une construction originale, à sa vie d’adulte, jusqu’à son âge mûr. Plusieurs problématiques sont évoquées, sans réponses quant à la conquête du bonheur.
L’auteure a puisé des anecdotes dans son histoire personnelle, mais n’a pas voulu écrire une autobiographie, voulant donner ainsi libre cours à son imagination créative.
Chapitre I
J’ouvris lentement les yeux, soulagée à la pensée que le réveille-matin, de son timbre strident, n’allait plus bousculer les derniers rêves de ma nuit. Je les fermai à nouveau, et allongeai mon corps en étendant lentement mes jambes. Ma fine chemise de nuit m’enveloppait avec douceur. La fraîcheur du matin naissant m’obligea à remonter mon drap jusqu’au menton. Je savourai avec volupté ces moments de silence. Nous étions le 10 juillet 2020. L’état d’urgence sanitaire venait de prendre fin et je désirais me sentir enfin libre. C’était le premier jour du début de ma nouvelle vie, sans contraintes. Le soleil qui perçait à travers les volets clos sembla me faire fête, et j’accueillis joyeusement cette belle et première journée. Je voulais que ces instants de paix s’étirassent à l’infini. Je ne me pressai pas, quand un matin, un brusque coup de sonnette me tira de ma rêverie. J’enfilai alors ma robe de chambre et fis les quelques pas qui me séparaient de la porte d’entrée. Je surpris mon visage à l’un des nombreux miroirs accrochés au mur, je me trouvais encore jolie malgré mes cheveux ébouriffés et mes yeux légèrement cernés. Qui pouvait sonner ? J’avais pris soin de m’installer dans cette nouvelle maison sans donner mon adresse. Ma famille et mes quelques amis auraient régulièrement de mes nouvelles, mais je voulais disparaître à moitié.
Lors d’un périple à travers l’Auvergne, à la recherche des origines de ma famille paternelle, j’avais été séduite par ce petit village perché en haut d’une colline. À la sortie du hameau, la maison de pierres grises au toit de lauzes était pimpante. Les volets étaient peints de couleur bleue, et des fleurs agrémentaient la façade. Une petite croix, sagement placée au sommet du toit, rappelait qu’autrefois la piété protégeait ses habitants sobres et travailleurs. Je fus alors conquise, et proposai aux propriétaires de l’acheter. Leur prix serait le mien. Je compris à cet instant que la vie que j’avais menée jusqu’à présent ne me convenait plus. J’étais prête à l’abandonner pour me fondre dans le paysage enchanteur qui s’offrait à moi : le vert tendre de la vallée et celui, plus foncé, des arbres qui ornaient les coteaux.
La sonnette m’alerta à nouveau discrètement, puis se fit plus insistante. Me retournant vers le miroir, je passai mes mains dans mes cheveux pour dompter ma tignasse désordonnée et fermai les derniers boutons de ma robe de chambre. Enfin satisfaite de mon image ainsi disciplinée, je soulevai le loquet de la porte et l’ouvris. Le soleil m’éblouit et je ne pus immédiatement distinguer les traits de l’homme qui se tenait devant moi. Intriguée, je le fixai avec attention. Son air jovial et souriant me plut, et sa casquette négligemment posée sur sa tête me fit deviner qu’il s’agissait du facteur.
« Vous êtes bien Véronique Couder ? »
Il ne me laissa pas répondre et poursuivit :
« Depuis quand vous êtes là ? Ça alors ! Je ne pensais pas que les Delpuech quitteraient leur maison.
Mais vous savez, ils devenaient vieux, les enfants ne venaient plus les voir, et, vous savez, ils avaient eu des soucis avec eux.
Bon, assez parlé, Mme Couder, je vous souhaite une bonne installation. »
Il parlait rapidement, d’un rythme saccadé. Il n’était tout de même pas venu simplement pour me saluer. Ne pouvant réprimer un sourire moqueur, je lui répondis :
« Je suis bien Véronique Couder.
— Ah ! j’ai un paquet pour vous. Cela me fait plaisir que vous veniez habiter ici, y a pas grand monde ici, ça fera de l’animation ! »
Il sortit un paquet de sa sacoche, mais ne parut pas pressé de me le donner. Il semblait heureux de bavarder avec moi, et cela m’amusa.
« Bon, madame, si vous voulez, je ferais vos courses, y a rien là-haut, faut descendre dans la vallée pour acheter de quoi manger. »
Il tenait toujours le paquet dans sa main.
« C’est rare de distribuer des paquets, sauf à Noël, et c’est pas Noël. »
Je commençai à m’impatienter, et j’étais gagnée par la curiosité. Qui connaissait ma nouvelle adresse ? Il comprit qu’il devait me quitter, me tendit le paquet, enfourcha sa bicyclette. Je le vis disparaître dans la pente en sifflotant. J’ignorai à cet instant que cette visite modifierait le cours de mon existence.
Chapitre II
Le paquet en main, je penchai la tête pour essayer de déchiffrer le nom et l’adresse de l’expéditeur, tout en fermant la porte derrière moi. Malheureusement, la pluie avait dû effacer les précieuses inscriptions. Je crus deviner néanmoins le prénom de Xavier. Qui était-il ? Je ne connaissais personne répondant à ce prénom. Cela m’intrigua. Je me dirigeai vers la cuisine, ouvris le tiroir pour en extraire un petit couteau. Je ne voulais pas déchirer le papier kraft qui pouvait recéler d’autres indices. Je m’assis confortablement dans le fauteuil en osier que mes vendeurs m’avaient cédé en même temps que tous leurs meubles, et le rapprochai de la table en bois robuste. Après y avoir déposé le paquet, j’entrepris de l’ouvrir. Il contenait un livre d’environ deux cents pages. La première de couverture était d’un vert doux, mais en retournant l’ouvrage, je fus surprise de constater la couleur sombre de son verso. Le résumé, écrit en lettres bleues, se détachait mal sur le fond noir. Je sentis mon cœur s’étreindre et battre fort dans ma poitrine à la lecture de la première page. En lettres cursives, ornées de pleins et de déliés, je pus lire : « Le double lien de Véronique Esther », et, tout en haut, le nom de l’auteur, Véronique Couder…
Je fus effrayée par cette découverte. Quelqu’un aurait-il voulu me faire une mauvaise plaisanterie ? Un violent malaise s’empara de tout mon corps en sueur, mes jambes devinrent molles, ma vue se troubla, mes tempes cognèrent dans ma tête devenue subitement douloureuse, des nausées me montèrent aux lèvres. Je crus perdre connaissance, puis fermai les yeux en attendant de reprendre mes esprits. Après quelques très longues minutes, plus apaisée, je les ouvris lentement. Le livre était toujours sur la table, ce n’était pas un mauvais rêve ! Avec prudence, je le pris délicatement, examinant à nouveau sa couverture brochée. Je n’osai pas encore l’ouvrir et le retournai prudemment. Manifestement, il avait été imprimé avec peu de moyens, mais avec soin. En le déposant sur sa tranche, j’aperçus dans le livre entrouvert des reproductions de vieilles photos dont la vue m’ébranla. Il me sembla alors manquer d’air, je respirai longuement, tentant de me détendre. Il était temps que je sorte, que je m’évade, un doux soleil m’attendait dehors. J’avais voulu rompre avec ma vie passée ; elle semblait vouloir me rattraper pour m’étouffer à nouveau. La tristesse m’envahit. La journée avait bien commencé, mais je compris avec douleur que rien ne parviendrait à effacer mes traumatismes anciens. Ce livre étrange m’inquiétait et brisait tous mes espoirs. En retraçant ma vie que j’avais cherché à oublier, il m’exposait à la vivre à nouveau.
Chapitre III
Je me levai de mon siège, décidée à ne plus ouvrir ce livre qui perturbait mes plans. Je n’y toucherai plus, je l’enfouirai dans un trou et le recouvrirai d’une couche épaisse de terre, ou mieux encore, je ferai un gigantesque feu, et il se consumera, je l’anéantirai à jamais. Il ne renaîtra pas de ses cendres.
Un sourire imperceptible et vainqueur sur mes lèvres me fut renvoyé par le miroir, mais mon visage, que j’avais trouvé charmant le matin au réveil, me parut accablé ; mes traits tirés semblaient vieillis. Ma décision était prise. J’écartai les volets tout en savourant la chaleur des rayons du soleil. Malgré mon angoisse persistante, je résolus de commencer à vivre. Après une douche rafraîchissante qui lava tous mes doutes, me purifiant de mon passé, j’enfilai une robe fleurie légère, en accord avec la chaleur de cet été débutant. Le livre était toujours là, et me narguait. Je parus l’ignorer et ouvris la porte qui me conduirait vers l’ailleurs.
Mes chaussures de marche, sagement posées près de la porte d’entrée, semblèrent m’inviter à l’évasion. Je les enfilai et serrai fortement les lacets. En me baissant, je me félicitais de ma souplesse à mon âge déjà avancé. Me relevant, je pus admirer le paysage qui m’avait séduite plus d’un an auparavant. Le brouillard s’était levé, faisant place à un doux soleil. Je pris une longue respiration, fermai la porte et glissai la clef sous le paillasson. Le sentier à la gauche de ma maison menait tout en haut de la colline et longeait la falaise. Le sol boueux et glissant collait à mes chaussures et manqua de me faire chavirer, la pluie de la nuit ayant imbibé la terre. La montée me sembla plus difficile que prévu. Les pierres et les souches d’arbres rajoutaient à la difficulté, et j’examinai avec attention le sol afin d’éviter les obstacles. Qu’importe, je me sentais libre et heureuse. À chaque arrêt, je goûtais le plaisir de me trouver sous les arbres qui formaient au-dessus de moi un abri protecteur. Après trois quarts d’heure de cette marche périlleuse, j’aperçus le cœur du village. Dans un pré, des vaches paissaient tranquillement, d’autres meuglaient. Les sonnailles attachées à leur cou rompaient le silence de leur musique cristalline. L’une d’elles ouvrit ses yeux doux et sembla me regarder avec tendresse. Elle était sensible à mes tourments. Au bout du chemin, une eau limpide jaillissait d’une fontaine en pierre grise dans un robuste bassin circulaire. Son clapotis enchanta mes oreilles. Je quittai le chemin qui se poursuivait par une route revêtue. De chaque côté, des maisons en pierre s’alignaient régulièrement, les fenêtres closes laissaient deviner de mystérieuses histoires. Une boutique au rideau de dentelle affichait les horaires d’ouverture. En m’approchant, je lus sur le petit panneau en ardoise écrit à la craie blanche : « Ouvert de 16 h à 18 h ». Je n’eus pas le courage de poursuivre ma promenade ; le soleil devenait écrasant, il était bientôt midi. Je fis le chemin inverse et descendis à pas mesurés vers ma maison.
Chapitre IV
Je fus heureuse de rentrer me reposer et de pouvoir me restaurer. J’ouvris le réfrigérateur et découpai un morceau du fromage acheté la veille dans la ferme à l’entrée du village. Un quignon de pain rassis fit l’affaire et suffit à mon appétit limité. Je jetai un rapide coup d’œil au livre qui était toujours posé à la même place. M’installant dans mon fauteuil, je le saisis avec précaution, redoutant de terribles révélations. Je tournai la page de garde, et lus : « À mes chers parents. » S’ensuivait un serment solennel.
Je m’enfonçai alors plus profondément sur mon siège pour débuter avec appréhension la lecture de l’ouvrage :
Le double lien de Véronique Esther.
Le double lien de Véronique Esther
Chapitre 1
Tunis, 1930-1950
Hélène naquit en 1930 à Tunis dans une famille juive, modeste et intègre.
Avant son mariage, elle habitait avec ses parents, Esther et Mardochée, son frère aîné Roland et ses deux jeunes frères jumeaux, Albert et Joseph, dans une Oukala au centre de la Hara1. C’était un vieux palais en marbre blanc, en ruines et insalubre. Chaque pièce sombre était habitée par une famille, et donnait sur un patio commun. Les femmes aimaient s’y retrouver pour échanger sur leur sort, et la chance, « cinq sur eux2 », d’avoir de si beaux enfants. Pour se rendre aux autres quartiers et à la ville européenne, il fallait emprunter un dédale de rues pestilentielles, étroites, et noires de crasse, où les égouts se déversaient sur le sol jonché de tas de détritus. Son père et sa mère avaient de l’ambition pour leurs quatre enfants, vifs et intelligents. Ils en avaient malheureusement perdu deux d’une tuberculose foudroyante. Dès lors, ils étaient soucieux de la bonne santé des quatre restants, et les conduisaient au moindre souci au dispensaire des œuvres juives. La famille était leur seule richesse et leur joie. Très rapidement, les deux aînés, Roland et Hélène, montrèrent des aptitudes exceptionnelles. Ils suivirent les cours de l’école de l’Alliance israélite universelle, car ceux dispensés par le Ketteb3 réservés aux garçons ne suffisaient pas. Pendant l’occupation allemande de décembre 1942, Roland fut requis pour le travail obligatoire imposé aux juifs de Tunisie par les nazis. Il souffrit du froid et de la faim dans les camps proches de la ligne de front, où les conditions de vie étaient misérables et dangereuses, sous les coups des gardes SS. Après la fin de la guerre, il était temps pour lui de songer à son avenir. Son« bachot » en poche, il obtint une bourse afin de poursuivre de brillantes études de médecine à Paris. Les parents, manquant de ressources, obligèrent leur fille à quitter l’école après son certificat d’études. Elle fut placée comme dame de compagnie chez une riche juive de la communauté guerni4, dans un bel immeuble Art déco de la ville européenne. Son rêve de quitter la misère de son quartier commençait à prendre forme.
Tous les vendredis soir, veille de shabbat, elle se rendait avec sa mère à la fontaine, et l’eau ainsi recueillie servait à la toilette et au nettoyage des sols. Une fois par mois, Hélène accompagnait sa mère au hammam5 pour sa purification. La vue des corps nus, indistincts, estompés par la vapeur d’eau la troublait. Une curiosité mêlée de honte l’obligeait à fermer les yeux. Certaines femmes remplissaient des seaux d’eau chaude, et s’en aspergeaient, savourant le contact du liquide brûlant sur leur peau nue. D’autres, lascives, allongées sur la pierre luisante, se faisaient masser par des femmes énergiques. Celles-ci utilisaient des pelotes d’alfa rude, qui éraflaient les corps abandonnés. Puis Esther se trempait dans l’eau froide du mikvé6, attenant au hammam. Le lieu, interdit aux enfants, intriguait Hélène. Elle entrouvrait la porte avec curiosité, sous les réprimandes de sa mère.
Mardochée, employé chez un joaillier, rentrait ce jour-là plus tôt. Après ses ablutions, il partait à la synagogue Sla El-Kebira7. C’était un saint homme qui craignait Dieu et les hommes. Le Shabbat était un jour de fête, de repos et de prières. Parés de leurs plus beaux atours, les juifs de la Hara oubliaient leurs soucis. Le seul repas de la semaine, tenu au chaud sur la braise d’un kanoun8 exhalait unparfumépicé. On entendait les rires et les cris des enfants jouant dans le patio. Lasynagogue était proche. En prêtant l’oreille, les cantillations musicales de ferventes prières leur parvenaient.
Chapitre V
J’arrêtai un moment ma lecture, et découvris d’anciennes photos dans l’ouvrage. Je les examinai avec curiosité. Sur une photo jaunie par le temps, un homme à la barbe blanche taillée, vêtu à l’orientale, une chéchia sur la tête, tenait par la main un jeune garçon habillé d’une chemise à col marin et d’une culotte courte. À son côté, une grande et belle femme, un foulard couvrant ses cheveux, portait le costume traditionnel indigène, le saroual9. Une petite fille aux cheveux bouclés, sagement retenus par un ruban, souriait, assise sur ses genoux. D’une écriture hésitante, on pouvait lire en bas de la photo, Roland et Hélène. Ils devaient avoir respectivement six ans et quatre ans. Le décor aux couleurs passées était celui d’un jardin public. Les personnages avaient dû poser chez le photographe pour une raison particulière. Cette image, que j’aperçus pour la première fois, révélait un pan de la vie de ma mère. Elle me fit monter des larmes aux yeux. Ma mère n’eut jamais le désir de me conter son enfance, et la passait sous silence. Avait-elle voulu se défaire de ses attaches ? Sa vie qui avait débuté avec Louis l’aurait-elle transformée ? Les premières années de son existence s’étaient déroulées dans la misère de la Hara. Elle devait vraisemblablement en avoir honte. J’eus de la douleur à le constater. Ma mère, si belle, si élégante dans la confortable maison de La Marsa, ne pouvait pas être issue d’une triste communauté de miséreux.
Une autre photo montrait une rue étroite du même quartier juif de Tunis. Des habitations aux murs lépreux étaient serrées les unes aux autres. Des hommes et des enfants aux visages inquiets et aux regards tristes regardaient l’objectif avec angoisse. Ils avaient dû être surpris dans leur activité et ne souriaient pas. Sur une autre photo recollée avec soin, un groupe de femmes, d’hommes et d’enfants, en habits de fête que l’on devinait décorés de couleurs vives, étaient réunis, assis sur le sol. Certains faisaient de la musique sur d’étonnants instruments à cordes, d’autres tapaient sur des sortes de tambours. Des mets étaient présentés dans de grands plats promettant un délicieux festin.
Je tournai la page. Un bâtiment blanc imposant m’apparut sur une vaste place. Deux corps d’angle à étages crénelés et à fenêtres en arceaux embellissaient la sobre façade. Elle s’ouvrait par une porte en bois foncé, surmontée de lettres hébraïques. Sur la légende de la photo, je pus lire : Synagogue Sla El Kebira.
Une vie juive intense avait dû exister et avait disparu dans l’oubli. Mon cœur débordant d’une infinie tristesse, je fermai mon livre, m’imprégnant de ce que je venais de lire. Immobile, nostalgique, je laissai mon imagination s’égarer dans le passé.
Sortant de ma torpeur, je regardai ma montre, il était trop tard pour me rendre à l’échoppe en haut de la colline. Je me levai et par la fenêtre ouverte, découvris un ciel menaçant. De gros nuages gris l’obscurcissaient, annonciateurs de fortes pluies. Je renonçai à sortir.
Un trouble indéfinissable me gagna. Il fallait que j’en sache plus sur une partie de moi-même. Je me mis à la recherche de nouveaux éléments de la vie des juifs de Tunisie.
Après un repas frugal, je m’endormis, ivre des émotions confuses qui m’assaillaient.
Le double lien de Véronique Esther
Chapitre 2
Murat, 1915-1949
Louis naquit en 1915 dans une famille de fermiers modestes d’Auvergne. Très bon élève et passionné de littérature, il fut distingué par ses enseignants. Après son baccalauréat, il suivit des cours de lettres modernes à la faculté de Clermont-Ferrand, abandonnant ainsi la tradition familiale. Il fréquenta des cercles d’étudiants proches du Front populaire et acquit des convictions socialistes humanistes. Ses parents, catholiques fervents n’approuvèrent pas ses choix et la voie prise par leur fils. Ils étaient néanmoins fiers et impressionnés quand celui-ci tenait des discours politiques et laïcs, auxquels ils ne comprenaient rien. Quand Louis venait passer ses vacances dans sa petite ville natale, sa mère lui présentait de charmantes paysannes, solides et courageuses. Elle avait hâte avant de mourir de devenir grand-mère, lui disait-elle. Louis voulait enseigner la littérature française qu’il aimait tant, et transmettre son savoir si durement obtenu.
Le 3 septembre 1939, l’appel à la mobilisation de la Seconde Guerre mondiale mit fin aux projets de Louis. Il rejoignit son unité à Verdun, puis en juin 1940 fut prisonnier en Thuringe. En mai 1941, libéré comme paysan, il regagna la ferme de ses parents pour y travailler. Il ne fut pas à proprement parler un héros, mais accomplit des actes de résistance. Il refusa la défaite et les mesures antisémites le révoltaient. Il chercha à s’unir à des groupes isolés dans son village puis tenta de se joindre à des mouvements plus structurés. Louis était un homme d’honneur qui détestait l’injustice. Après la guerre, il réussit le concours de l’agrégation de Lettres modernes. Différents postes lui furent alors proposés, dont celui de professeur au lycée Carnot de Tunis. Son ambition, son goût de l’aventure l’incitèrent à choisir ce poste.
Louis prépara une caisse remplie des œuvres qu’il chérissait et la fit expédier à l’adresse où il devait habiter provisoirement à Tunis. Il alla à la ville la plus proche s’acheter des pantalons de couleurs claires, blancs et beiges, quelques chemises blanches, et un chapeau. Il avait entendu dire qu’il fallait s’habiller ainsi pour supporter le soleil ardent d’Afrique. Il ignorait que la pluie et le froid pouvaient l’atteindre et imaginait un été permanent.
Le premier juillet 1949, des mocassins légers aux pieds, il fit ses adieux à ses parents. Son père, Antoine, sa mère, Marthe, le serrèrent dans leurs bras. Une dernière recommandation de celle-ci : « Fais attention à toi et choisis une femme qui te ressemble » sonna à ses oreilles. Il savait qu’il ne l’écouterait pas.
Chapitre VI
Une photo illustre ce passage de ma lecture. Un bel homme, vêtu d’un pantalon clair à pinces, qui semblait flotter sur son corps mince, regardait l’objectif, heureux et insouciant. C’était mon père. Il n’avait pas encore les rides d’expression que je connaissais et qui barraient son large front.
Je m’interrogeais. Mon père, au destin tragique, mourut jeune, laissant ma mère, seule, à la fleur de l’âge. Un court instant, en fermant les yeux, je rêvais d’une autre vie possible, plus belle, entourée de mes deux parents. Tout aurait pu être mieux.
Chapitre VII
Je fermai mon livre, le serrai sur ma poitrine. Il devint, à ce moment, indispensable à ma vie. Je voulais comprendre l’histoire dont j’étais issue, qui m’avait façonnée, me transformant en celle que j’étais devenue.
Je me préparai rapidement. Il était temps de descendre faire mes achats dans la vallée. Me regardant une nouvelle fois dans le miroir, je fus rassurée par mon image, détendue et apaisée.
Le brouillard se leva lentement et je commençai à mieux percevoir la ville de Murat, son vieux château, son église, ses habitations pimpantes de pierres grises. J’empruntai en voiture la voie qui mène à la grand-route, à droite de mon habitation. C’est un chemin étroit, non revêtu, longeant un fossé. Je redoutai de voir apparaître un véhicule arrivant en sens inverse. La route descend vers la vallée.
Je rejoignis la ville où mon père avait dû passer son enfance. Murat est une cité médiévale aux rues tortueuses, entourée de rochers basaltiques et de plateaux dénudés. Je m’engageai dans une ruelle en pente raide qui me conduisit à une église dont le clocher-bulbe, unique dans le Cantal pointe fièrement vers le ciel. Certains bâtiments sont richement sculptés de figures sacrées. Les façades de style Renaissance, ouvertes par des fenêtres à meneaux, sontsurmontées de hauts reliefs décoratifs. Je décidai alors de m’asseoir à l’un des nombreux cafés qui bordent la rue principale. Je pris soin de choisir un coin ensoleillé, à l’écart de la foule, dense en cette période de l’année. Ma boisson commandée, je remarquai une dame de soixante-quinze ans environ, assise en face de moi. Elle semblait absorbée par la lecture d’un livre broché. Elle leva la tête et croisa mon regard, je lui souris, ce qui l’intrigua. Je me surpris à imaginer qu’elle aurait pu être une élève de mon père. Nous échangeâmes quelques platitudes. Rapidement, je lui confiai le but de ma visite et mon désir de retrouver mes racines familiales. D’un sourire amical, elle me répondit.
« Je ne peux pas être l’élève de votre père, je suis née à la fin de la guerre et mes parents me mirent en pension, à l’internat religieux. »
Devant mon regard dépité, elle enchaîna.
« Il ne doit plus y avoir d’habitants ayant connu votre père. Ici, la vie est difficile, les hivers rigoureux, les médecins sont consultés au dernier moment, leurs enfants ont peut-être quitté la région. À votre place, j’irai voir le registre d’état civil à la mairie, et les actes de baptême. Ici, les gens sont pratiquants. »
Elle poursuivit son discours, et paraissait avoir le désir, elle aussi, de se confier.
« La ville de mon enfance ne ressemblait pas à celle qu’elle est devenue, tous ces commerces n’existaient pas. Actuellement, les touristes dénaturent l’environnement… »
Alors que j’acquiesçai, je l’entendis dire dans un flot de paroles :
« C’est une ville de Justes. Avez-vous vu, sur la place, le mémorial des Déportés ? »
Elle commença réellement à m’intéresser.
« Je suis fière de mon père et de ses camarades, dont certains ont payé cher, de leur vie, leur engagement dans la Résistance. »
Un sourire éclaira son visage ridé, elle précisa.
« Mon père était parmi eux ; ils tuèrent le chef de la Gestapo. »
Elle remarqua que j’étais attentive à son histoire et continua :
« Malheureusement, les 12 et 24 juin 1944, des représailles endeuillèrent notre ville, des maisons incendiées et cent-vingt-et-un habitants, pris au hasard, furent déportés au camp de Neuengamme. Beaucoup ne revinrent pas, mon oncle était l’un des leurs. »
Le visage bouleversé par l’émotion, elle poursuivit :
« Il y a eu d’autres actes de bravoure, des juifs furent cachés dans les fermes aux alentours, et des enfants trouvèrent refuge dans le pensionnat, grâce à l’intervention d’Alice Ferrières, professeure de mathématiques et de deux autres enseignantes courageuses. » Aucun enfant ne sera arrêté. Chacune de ces femmes a reçu la médaille des Justes décernée par Israël.
Songeuse, je me demandai, à ce moment, si ma famille avait fait partie de ces héros ordinaires. Je n’avais pas beaucoup d’éléments en ma possession. Mon père, peu bavard, était parti trop jeune. Je venais de lire dans le livre mystérieux, dont j’avais entamé la lecture, qu’il avait participé à des actes de résistance. Tout absorbée par mes pensées, je n’écoutai plus ma voisine. Elle poursuivait sa logorrhée, ponctuée de rires et de larmes. Je crus comprendre qu’elle se nommait Odette. Nous nous saluâmes, nous promettant de nous revoir. J’avais hâte de retrouver mon livre et, après un déjeuner rapide, des courses vite faites, je repris le chemin du retour.
J’ouvris à nouveau mon livre. Une photo avait échappé à ma vue, ou bien je ne voulus pas la voir. Elle représentait un jeune garçon souriant d’une dizaine d’années, vêtu d’une aube blanche. Une croix pectorale en bois foncé pendait à son cou. Ce ne pouvait pas être mon père, il haïssait le fait religieux. Je le reconnus pourtant dans cet habit de premier communiant. Je fermai alors le livre et me plus à l’imaginer, riant et jouant avec des enfants de son âge. Il venait de fabriquer une luge, faite de caisses de bois, et déboulait en grande vitesse la pente depuis la place de l’église. Ou bien, je le voyais assis sur la marche d’un trottoir, passionné par le livre qu’il lisait avec concentration. Cette vision me convint davantage, et j’en fus satisfaite.
Le double lien de Véronique Esther
Chapitre 3
Tunis, 1949
Louis arriva par une journée torride à Tunis. Il fut surpris de découvrir une ville européenne, propre et blanche. Les immeubles aux larges balcons et aux persiennes de bois étaient de style Art nouveau et Art déco. Louis s’installa dans un appartement meublé du centre-ville, non loin du lycée Carnot. De sa fenêtre au garde-corps élégant en fer forgé, il pouvait dominer l’avenue de Paris qui traversait la capitale. Il aimait contempler l’animation des rues, les calèches, les trolleybus, et le matin, les marchands ambulants qui proposaient en criant leurs marchandises sur des carrioles tirées par des ânes. La population était bigarrée, et l’on pouvait reconnaître l’origine des passants à leurs vêtements. Il découvrit les plages de la côte, la mer calme, le sable fin où de superbes jeunes filles, se dorant au soleil, paraissaient libres et heureuses. Pour lui, le dépaysement était manifeste, et il se félicitait de son choix. Il se sentait amoureux de la vie, de sa vie pleine de promesses.Très vite, Louis croisa Hélène et en fut immédiatement séduit.
Louis aima Hélène. Il fut charmé par sa beauté obscure, son corps menu, doré et élancé. Son visage d’un ovale parfait s’ornait d’une chevelure brune, abondante, et ondulée. Son nez légèrement busqué lui conférait une apparente autorité. Ses immenses yeux noirs étaient pénétrés d’une grande douleur quand ils se perdaient au loin dans une direction connue d’elle seule. À quoi rêvait-elle quand silencieuse, immobile, elle contemplait le lointain ? Elle lui apparaissait, alors, inaccessible, absente. L’aimait-elle ? Hélène rêvait ! Elle avait rêvé sa vie et voulait vivre son rêve.
Rapidement, il écrivit à sa mère, et lui fit part de son désir de se marier.
Ma chère mère,
Je n’ose pas t’annoncer mon mariage prochain avec une jolie brune dont je suis tombé follement amoureux. Je suis sûr que tu serais toi aussi séduite par cette jeune fille, simple et modeste.
Hélène est magnifique, intelligente et pure. Elle sera une épouse fidèle et une mère parfaite pour nos enfants. Ses parents ne s’y opposent pas, comme je le craignais, car ils n’ont pas les mêmes croyances que nous. Qu’importe, c’est un détail, car je suis totalement laïc. Je sais que tu veux mon bonheur et je l’ai trouvé.
Ma chère mère, je serais heureux que tu approuves mon choix.
Je t’embrasse affectueusement, ainsi que mon père.
Ton fils respectueux,
Louis
Il reçut une réponse, qui l’affecta douloureusement.
Mon fils,
Je suis profondément inquiète de ton choix que je désapprouve totalement. Tu ne me dis pas l’origine de cette jeune fille, mais je crains qu’elle ne soit pas une bonne chrétienne. J’ai toujours su que tes idées excentriques me conduiraient au malheur, à la peine. Tu t’écartes du bon chemin, du vrai et seul chemin. Elle s’intéresse à toi sûrement pour échapper à la misère. Tu méritais mieux. Tu ne recevras pas ma bénédiction. Je souhaite que mes petits-enfants soient baptisés. J’en ai parlé au père Paul, il est d’accord. Fais-moi au moins cette concession, mais tu es libre.
Nous n’assisterons pas au mariage.
Ta mère
Il s’ensuivit des échanges attristants, et chacun resta sur ses positions. Antoine, son père, n’intervint pas.
Chapitre 4
Tunis, 1950-1951
L’effervescence s’éleva dans le cœur de Louis et d’Hélène, et ils partagèrent des moments d’intenses joies. Ils se rencontrèrent toutes les semaines, puis tous les jours, suivis de près par les petits frères de la jeune fille, leurs chaperons. Ils échappèrent pourtant à la vigilance de leurs gardiens et, en se prenant la main, échangèrent quelques baisers furtifs et impatients. Ils se virent plus beaux, plus intelligents. Le bonheur les avait transformés. L’avenir s’éclairait d’un éclat nouveau.