Micmac au bioparc - Gino Blandin - E-Book

Micmac au bioparc E-Book

Gino Blandin

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Beschreibung

Un homme est retrouvé mort dans la fosse au rhinocéros, tandis que des troupeaux de brebis se font massacrés.

Qui est cet homme dont on a retrouvé le corps sans vie dans la grande vallée des rhinocéros noirs au sein du Bioparc de Doué-la-Fontaine ? Personne ne semble le connaître.
L’enquête des gendarmes est au point mort. D’autant qu’ils ont une autre affaire sur les bras : le massacre nocturne et répété de dizaines de brebis dans les exploitations agricoles des environs. La psychose gagne les éleveurs de moutons qui se sentent abandonnés par les pouvoirs publics. Ils parlent de chien errant, de « bête grise à tête de loup ».
En ce mois de juillet, Julie Lantilly, journaliste au Courrier Ligérien de Saumur, est très sollicitée professionnellement. Elle doit suivre, entre autre, les deux affaires, mais peut-être y a-t-il un rapport entre elles ?

Accompagnez Julie Lantilly dans ces deux affaires sans lien apparent. Mais si, au final, tout était lié ?

EXTRAIT

Quand l’adjudant-chef Orjubin et le gendarme Labat garèrent leur véhicule sur le parking ombragé, ils aperçurent une foule de gens amassés devant l’entrée du zoo. Plusieurs dizaines de voitures et deux cars étaient déjà garés. Les deux gendarmes descendirent du véhicule et mirent leur casquette. Ils avaient à peine fait quelques pas qu’ils croisèrent un couple accompagné de trois enfants qui regagnait sa voiture.
— On n’a pas de chance, dit le père de famille, un grand type à l’allure sportive, faut que ça tombe juste le jour de notre passage.
— Ils auraient pu au moins nous dire ce qu’il s’est passé, reprit la mère, une petite blonde toute bronzée.
— Ils ont parlé d’un accident technique, je ne sais pas ce que c’est mais ça doit être grave pour qu’ils n’ouvrent pas.
— On ne va pas voir les lions ? demanda la petite fille.
— Non, ma chérie, dit la dame, le zoo est fermé. Nous reviendrons une autre fois.
Les gendarmes continuèrent leur progression et traversèrent la route sur le passage clouté. Ils scrutèrent les touristes aux tenues bigarrées qui s’étaient groupés devant les portes vitrées du zoo. Ils étaient nombreux et se tournèrent tous vers les deux gendarmes, le regard interrogateur comme s’ils s’attendaient à ce qu’ils prononcent une allocution.
Un groupe de touristes asiatiques restait rassemblé dans un coin. Ils se parlaient entre eux mais sans manifester aucune impatience. Nombre d’entre eux téléphonaient.
On remarquait un second groupe, composé de touristes français portant tous un bob de couleur jaune citron marqué du logo de l’agence de voyage qui les véhiculait. Certains parlaient fort et semblaient commencer à protester. Des dames d’un certain âge s’étaient réfugiées silencieusement à l’ombre d’un palmier.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Voilà une authentique intrigue policière, dans la belle tradition du roman d'enquête. Une héroïne aussi intrépide que charmante, des situations énigmatiques, des personnages fort suspects, un mort et des incidents à répétition, l'affaire ne manque ni de péripéties ni d'hypothèses à suivre. [...] Pour son nouveau roman, Gino Blandin nous a concocté un très bon suspense, qui se lit avec grand plaisir. - Action-Suspense

À PROPOS DE L'AUTEUR

Gino Blandin est enseignant. Auparavant, il a été foreur pétrolier. Auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire de Saumur, dont  L’Histoire du Centre Hospitalier de Saumur (Prix Politi 1996), il écrit aussi des romans policiers dont le cadre est la région saumuroise.

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micmac

au Bioparc

Collection dirigée par Thierry Lucas

© 2015 – Geste éditions – 79260 La Crèche

Tous droits réservés pour tous pays

www.gesteditions.com

Gino BLANDIN

MICMAC

AU BIOPARC

du même auteur

De l’or sous les verrous de Fontevraud, 1999

Mauvais plan au Puy-Notre-Dame, 1999

Terminé Balzac !, 1999

ça grippe à Angers, 2001

Meurtre au Cadre Noir, 2002

Bons baisers de Saumur, 2004

Mort sur la Loire, 2007

Fenêt sur cour, 2009

Les heures noires du duc de Berry, 2011

Chapitre 1

L’homme et la femme quittèrent l’espace des tigres, ravis d’avoir vu en réalité des animaux que d’ordinaire ils voyaient à la télévision. Ils regrettaient toutefois que les félins ne se fussent pas montrés plus coopératifs pour la séance photos mais enfin, ils auraient quand même quelques clichés à montrer à leurs amis à leur retour. Les deux touristes portaient des lunettes de soleil de stars qui leur mangeaient toute la figure. Ils affichaient un embonpoint prononcé que leurs tenues d’été ne dissimulaient en rien. Leurs tee-shirts XXL de couleur vive ne les avantageaient pas vraiment. Lui portait une casquette de base-ball et elle un chapeau de paille avec un ruban multicolore. Ils avançaient d’une démarche un peu pachydermique en faisant crisser le sable de l’allée sous leurs sandales. Ayant plusieurs sites touristiques à visiter dans la journée, ils avaient commencé tôt par le zoo de Doué-la-Fontaine. Ils devaient même être les premiers visiteurs. La fraîcheur matinale n’avait pas encore fait place à la chaleur qui s’annonçait par cette belle journée d’été.

Les deux touristes passèrent devant l’enclos des hippopotames pygmées. L’homme s’approcha du bassin et surprit deux ongulés qui prenaient un bain matutinal. Le bassin possédait une paroi de verre qui permettait de voir évoluer les animaux dans l’eau. La dame descendit les marches de bois du petit amphi avec précaution.

— Putain, Thérèse, regarde comme ils sont balaises, commenta l’homme en mitraillant les animaux de son appareil photo.

— Je croyais que c’était plus gros que ça un hippopotame, dit la femme en s’asseyant sur une marche. À la télé, ils donnent l’impression d’être plus imposants.

— Ouais moi aussi, je croyais que c’était plus gros. Ce sont peut-être des petits qui n’ont pas fini de grandir.

L’homme s’approcha de la pancarte d’information.

— Qu’on est con, Thérèse, lança-t-il. C’est des hippopotames pygmées ! Ce sont des nains.

— Je savais pas que ça existait, commenta la dame en s’éventant avec son chapeau.

— Moi non plus avoua le type en cherchant le bon angle de visée. Ils sont moches. Ils sont gros et gras comme des gorets.

— Je sais pas si c’est bon à manger ? demanda la femme.

— S’ils étaient bons à manger, répondit son mari, y’a belle lurette que les gars de là-bas les auraient tous bouffés.

Sur ces mots, l’homme remit l’obturateur sur son objectif, signifiant par-là que la séquence photos était terminée et qu’il fallait repartir. La femme se leva, tira sur sa jupe et ils reprirent leur marche. Lui arborait un imposant appareil photo japonais retenu autour de son cou épais par un cordon rouge ; elle tenait d’une main un petit sac en paille et de l’autre un plan qu’on lui avait remis à l’entrée du zoo.

Le zoo de Doué-la-Fontaine est installé dans une ancienne carrière de falun. Ledit falun est une roche sédimentaire d’origine marine, de couleur jaune orangé, composée de débris de coquilles, le tout mélangé à du sable et de l’argile. À partir du xviiie siècle, cette roche très friable fut extraite du sous-sol à grande échelle pour en faire de la chaux grasse, celle-ci servant traditionnellement d’engrais naturel. Cette industrie a laissé le sous-sol de Doué criblé de trous comme un gruyère. Abandonnées pendant plusieurs dizaines d’années, les carrières ont été naturellement envahies par une végétation luxuriante aux allures exotiques. Les créateurs du zoo ont su tirer parti de ces espaces creusés dans le sol aux parois verticales à ciel ouvert. Ils y ont adjoint des tunnels et des cascades créant ainsi un cadre naturel remarquable. Aux essences de la région et aux fougères, sont venus s’ajouter les bambous, les palmiers, les bananiers, renforçant ainsi la richesse de la flore et contribuant par là même à l’immersion du visiteur dans un autre monde. Chaque enclos a été conçu pour recréer un décor naturel autour des animaux, conjuguant le bien-être animal et le plaisir des visiteurs.

Le couple de touristes arriva devant l’enclos des guépards. Ici la végétation était beaucoup moins luxuriante que chez les hippopotames. Un carré d’herbe rase et quelques arbres morts semblaient suffire à ces superbes félins. Plusieurs animaux se prélassaient aux rayons du soleil. A l’approche des visiteurs, un mâle se redressa majestueusement. Il présenta sa face au museau court marquée par deux traces noires partant des yeux, puis il s’écarta du groupe sur ses longues pattes fines.

— T’as vu ça ? dit l’homme à l’intention de sa femme. Tu as vu comment il est taillé le matou ?

— Il est beau mais il doit être méchant, commenta la femme. Heureusement qu’il n’y en a pas chez nous. J’oserais plus me promener dans la campagne.

— J’aimerais pas rencontrer un lascar comme celui-là quand je vais aux champignons, renchérit l’homme en réglant la netteté sur son appareil photo. Il paraît qu’ils sont capables de courir à plus de cent à l’heure.

À cet endroit, il n’y avait ni ombre ni place pour s’asseoir aussi le couple ne s’attarda-t-il pas. Quand le monsieur eut réalisé une dizaine de photos, ils reprirent leur marche. Dans ce coin du zoo nouvellement aménagé, il n’y avait pas encore beaucoup de verdure. Les deux visiteurs débouchèrent rapidement dans la grande vallée des rhinocéros noirs. Cette immense fosse n’est pas un souvenir de l’exploitation du falun, elle a été creusée exprès pour accueillir les pachydermes africains qui ont besoin de beaucoup d’espace. Les deux visiteurs furent impressionnés par la dimension du lieu. Ils descendirent doucement le pan incliné de l’allée dans l’espoir de surprendre les animaux mais ils eurent beau regarder partout, ils n’aperçurent pas de rhinocéros. Quelques gazelles effarouchées cessèrent de brouter l’herbe rare de l’enclos à l’arrivée des deux touristes. Des volatiles divers et colorés, oies d’Égypte, oies armées de Gambie et pintades de Numidie ne leur prêtèrent quant à eux aucune attention, continuant leurs ablutions dans une petite mare.

— Je vois pas de rhino, constata l’homme.

— Moi non plus, rétorqua la dame, ça doit être pourtant bien gros ces bêtes-là.

— Ils sont peut-être pas levés.

— A cette heure ? Faut pas se foutre du monde, s’insurgea la visiteuse. Au prix où on paie l’entrée, faudrait voir à ce que les rhinos soient debout.

— Moi je pense qu’ils se planquent. Ils sont comme nous, ils aiment bien se mettre à l’ombre. On va descendre. Je suis sûr que plus bas, on va les voir.

Les deux touristes descendirent l’allée. Ils passèrent devant les panneaux d’information sans les lire. A cette heure, l’endroit était encore désert. Il n’y avait aucun employé du Bioparc en vue. Ils étaient les premiers arrivés. Ils regardaient tout autour d’eux. Il s’avancèrent sur un appendice rocheux qui avait été volontairement maintenu afin que les visiteurs puissent avoir une meilleure vue dans la fosse. Un petit troupeau de gazelles Dorcas détala quand elles entendirent du bruit. Les deux visiteurs scrutaient la carrière mais aucun rhinocéros n’était visible.

— Y’en a combien ? demanda la femme. Parce que s’il n’y en a qu’un, on risque de l’attendre longtemps. Il a de quoi se planquer ici.

— Je sais pas, dit le monsieur. Ils ont pas creusé une fosse pareille pour y mettre qu’un rhino, je pense.

— On va pas passer la matinée-là. Y’a même pas un employé pour nous renseigner. C’est mal organisé ici.

— Dis, Thérèse, et si tu grimpais sur le talus ? Je pourrais faire une photo de toi superbe.

Tout en parlant, le monsieur indiqua à son épouse l’endroit où il voulait qu’elle grimpe : le talus qui borde la fosse.

— Tu veux que je monte là ?

— Ouais, tu grimpes sur le banc et tu poses le pied là et tu y es.

— Et mais y’a pas le droit, ça doit être interdit.

— Bien sûr, mais y’a personne. Juste le temps d’une photo.

— Faut pas que je me casse la figure dans le trou. Je tiens pas à me faire bouffer par un rhinocéros.

— Y’a pas de risques, ça bouffe que de l’herbe.

— Peut-être mais je préfèrerais pas me retrouver nez à nez avec ce genre de bestiau.

Aidée de son mari, la dame monta sur le banc et posa un pied sur le talus puis elle se hissa sur celui-ci.

— Ouh ! cria-t-elle en se mettant debout. C’est pas large ici. Norbert, grouille-toi de faire ta photo parce que j’ai les jetons.

L’homme s’activa à faire les réglages qui s’imposaient. Le déclic de l’appareil se fit entendre en rafale.

— Norbert ! hurla soudain la dame. Tu vois ce que je vois ?

L’homme détacha son œil de l’appareil photo et regarda son épouse. Cette dernière semblait s’être transformée en statue de sel. Du doigt elle indiquait un endroit en contrebas de la fosse.

— Qu’y a-t-il ? lança-t-il en se retournant prestement.

— Là … articula la dame en montrant toujours du doigt un endroit précis.

L’homme, d’où il était, avait du mal à voir ce que lui indiquait sa femme plus haut perchée.

— Putain, il est beau, reconnut l’homme.

En effet, un imposant rhinocéros mâle venait d’apparaître. Malgré sa masse volumineuse et ses jambes grosses et courtes, il semblait se mouvoir avec aisance. Sa peau épaisse et brune était si plissée au niveau du cou et des jambes qu’elle donnait l’impression d’un blindage. Il venait droit sur eux. La femme criait toujours les deux poings contre la bouche.

— Crie pas comme ça, Thérèse, dit l’homme. Là où il est, il va pas te foncer dessus.

Mais le rhinocéros continua sa course et disparut bientôt en contrebas à la vue de l’homme. Celui-ci détacha alors l’œil du viseur de son appareil photo et comprit. Ce que sa femme lui désignait n’était pas le rhinocéros qui venait de passer mais le corps d’un homme qui gisait au pied de la paroi rocheuse. Étendu sur le sol, la face contre terre, il ne bougeait pas.

Quand l’adjudant-chef Orjubin et le gendarme Labat garèrent leur véhicule sur le parking ombragé, ils aperçurent une foule de gens amassés devant l’entrée du zoo. Plusieurs dizaines de voitures et deux cars étaient déjà garés. Les deux gendarmes descendirent du véhicule et mirent leur casquette. Ils avaient à peine fait quelques pas qu’ils croisèrent un couple accompagné de trois enfants qui regagnait sa voiture.

— On n’a pas de chance, dit le père de famille, un grand type à l’allure sportive, faut que ça tombe juste le jour de notre passage.

— Ils auraient pu au moins nous dire ce qu’il s’est passé, reprit la mère, une petite blonde toute bronzée.

— Ils ont parlé d’un accident technique, je ne sais pas ce que c’est mais ça doit être grave pour qu’ils n’ouvrent pas.

— On ne va pas voir les lions ? demanda la petite fille.

— Non, ma chérie, dit la dame, le zoo est fermé. Nous reviendrons une autre fois.

Les gendarmes continuèrent leur progression et traversèrent la route sur le passage clouté. Ils scrutèrent les touristes aux tenues bigarrées qui s’étaient groupés devant les portes vitrées du zoo. Ils étaient nombreux et se tournèrent tous vers les deux gendarmes, le regard interrogateur comme s’ils s’attendaient à ce qu’ils prononcent une allocution.

Un groupe de touristes asiatiques restait rassemblé dans un coin. Ils se parlaient entre eux mais sans manifester aucune impatience. Nombre d’entre eux téléphonaient.

On remarquait un second groupe, composé de touristes français portant tous un bob de couleur jaune citron marqué du logo de l’agence de voyage qui les véhiculait. Certains parlaient fort et semblaient commencer à protester. Des dames d’un certain âge s’étaient réfugiées silencieusement à l’ombre d’un palmier.

Beaucoup de parents en tenue estivale et de grands parents à cheveux gris essayaient de garder le contrôle sur des enfants et des petits enfants turbulents qui couraient dans tous les sens, indifférents à ce qui préoccupait les adultes. Il y avait déjà plusieurs poussettes dont les occupants étaient dissimulés par des serviettes éponge destinées à les protéger de l’ardeur des premiers rayons du soleil. Des mamans assises sur un banc attendaient patiemment à l’ombre.

Tout ce petit monde s’agitait devant les portes closes. Deux hommes en bras de chemise, les chauffeurs des autocars sans doute, menaient d’âpres discussions avec un homme au tee-shirt de couleur café au lait marqué du monogramme du Bioparc. Les gens s’écartèrent à l’arrivée des deux gendarmes. Le regard de l’adjudant-chef Orjubin croisa celui du type du zoo qui lui adressa un vague sourire.

— Bonjour Damien, lança le gendarme Labat.

L’homme répondit d’un petit signe et s’effaça devant les deux représentants des forces de l’ordre. Ils franchirent les portes vitrées et se retrouvèrent dans la boutique du zoo, un vaste hall très haut, couvert de chaume où régnait un parfum de paille exotique. L’endroit était désert. À l’accueil, derrière la caisse, une jolie jeune fille brune portant un tee-shirt orange leur adressa un sourire mi-figue, mi-raisin. D’un geste de la tête, elle leur indiqua la direction à prendre. Ils franchirent une nouvelle porte vitrée pour se retrouver à l’extérieur. La terrasse du snack bar était vide. Une camionnette de pompiers d’un rouge rutilant occupait déjà le terre-plein, garée au beau milieu de l’allée, elle n’avait pu franchir l’arche de falun. Les gendarmes descendirent la rampe en pente douce sous le regard des girafes. En passant devant un bosquet de bambous verts, l’adjudant-chef Orjubin se dit que ces végétaux feraient d’excellentes cannes à pêche.

Ils ignorèrent le sanctuaire des okapis et l’ascenseur de verre. Ils gravirent prestement un escalier. Ils n’eurent pas un regard pour les tortues géantes des Seychelles. Arrivés sur le terre-plein, ils passèrent devant la buvette déserte. Les deux lionnes et le lion les virent passer d’un œil indifférent. Les loutres naines se figèrent, un peu méfiantes quand même. Ils ne prêtèrent aucune attention au chant pourtant curieux des varis roux. Mais déjà les deux militaires dévalaient l’allée vers la grande vallée des rhinocéros. Il y avait là un petit groupe de personnes, des pompiers, des employés du zoo et des gendarmes. L’adjudant-chef Orjubin se dirigea aussitôt vers un jeune gendarme filiforme qui, à l’ombre d’un arbuste, s’essuyait le front trempé de sueur.

— Salut Bernard, le Parquet a été prévenu ? demanda-t-il.

— Oui, chef, fit le gendarme en hochant de la tête, le proc’ est en route, nous l’attendons d’un moment à l’autre. J’ai eu du mal à les joindre, ils sont lève-tard au Parquet d’Angers. J’ai fini par obtenir le numéro du domicile du substitut du procureur. C’est une femme.

— Je le sais, fit l’adjudant-chef Orjubin. J’ai déjà eu affaire à elle. Comment ça se présente ?

— Ce n’est pas très joli à voir, dit le jeune gendarme en regardant en direction de l’enclos des rhinocéros.

— Il n’y a pas de risque ? On peut descendre ?

— Oui, le rhinocéros mâle est rentré dans ses appartements. Maintenant il n’y a plus que les pompiers et quelques gazelles mais ils ne sont méchants ni les uns ni les autres.

— Il n’y a qu’un seul rhino ?

— Non, il y a aussi deux femelles mais elles sont séparées du mâle. Elles sont dans l’autre enclos là-bas. On ne le voit pas comme ça à première vue mais la carrière est divisée en deux.

— D’accord, on y va.

Prenant son courage à deux mains, l’adjudant-chef Orjubin, toujours suivi du gendarme Labat, gravit un petit escabeau qui avait été placé là pour atteindre le talus. Le talus où quelques heures plus tôt la dame s’était faite prendre en photo. Une échelle en aluminium permettait de descendre dans la fosse. Arrivé sur le sol, le chef Orjubin jeta un regard méfiant autour de lui pendant que son collègue le rejoignait. Il se dit qu’en temps normal, il n’aurait pas fait bon se promener en ces lieux avec les locataires qui les occupaient. En quelques pas, les deux gendarmes furent au pied de la paroi rocheuse ocre où trois pompiers semblaient veiller autour d’un corps couché.

Le cadavre gisait sur le ventre dans une curieuse position. On eut dit un pantin désarticulé et jeté là par quelque enfant capricieux. L’adjudant-chef Orjubin détailla longuement le corps, celui d’un homme de couleur assez frêle. Il était vêtu d’un tee-shirt noir et d’un pantalon sombre également. Il était pieds nus. Le corps reposait dans une mare de sang coagulé. Des mouches essayaient de se poser sur le cadavre mais un jeune pompier s’efforçait de les chasser systématiquement à l’aide d’un journal.

Soudain, se fit sentir un brusque mouvement au-dessus de leurs têtes. Alors que jusqu’à maintenant, tout s’était déroulé dans un relatif silence, on entendit des éclats de voix. Orjubin tourna la tête dans la direction du bruit et vit un homme corpulent qui descendait avec précaution l’échelle d’aluminium. Il le connaissait bien, c’était Gérard Prochwiez, le médecin légiste, il n’avait jamais dû prendre le temps d’apprendre à faire un nœud de cravate correctement. Les quelques centaines de mètres qu’il avait parcourues depuis l’entrée du Bioparc l’avaient essoufflé. Il marqua une pause devant le cadavre histoire de reprendre son souffle.

— Bonjour la compagnie, dit-il enfin en posant sa sacoche sur un rocher.

Tous les autres lui rendirent son salut. Puis il se pencha au-dessus du cadavre et prononça son expression favorite avec laquelle il entamait toute action et qui lui avait valu son surnom : « oui, oui ».

— Votre première conclusion ? demanda l’adjudant-chef Orjubin sans attendre.

— Il est mort, dit le médecin d’un air goguenard en se tournant vers le gendarme.

— Ça, toubib, on n’avait pas besoin de vous pour s’en apercevoir, fit l’adjudant-chef.

— Il est mort et il s’est fait tamponner par un char d’assaut.

— Dans cet ordre ?

— Oui, il était déjà mort quand le char d’assaut l’a écrasé. À quel animal a-t-on affaire ?

— À un rhinocéros noir, je crois, un animal qui vit en Afrique centrale.

— Connais, dit le gros homme.

— Ah bon ? s’étonna le gendarme. Vous avez souvent affaire à ce genre de bétail ?

— Apprenez jeune homme, fit le gros homme en se redressant, que j’ai fait mes classes en Afrique. L’intervention humanitaire avant l’heure, le Congo belge. Ça évoque encore quelque chose à quelqu’un le conflit du Congo Belge ? Patrice Lumumba, Joseph Kasa-Vubu, Moïse Tshombe ? Ces noms vous disent quelque chose, bande de jeunots ?

— C’est de l’histoire qui commence à dater, fit Orjubin.

— Moi, ça m’évoque Tintin au Congo, intervint le gendarme Labat.

Le légiste poussa un profond soupir de désolation et se pencha à nouveau sur le cadavre.

— Ces animaux sont plutôt paisibles en temps normal, sauf en période de rut. Mais ils ont parfois un comportement imprévisible. Il leur arrive de charger. Si la personne s’enfuit, le rhinocéros peut ne pas insister. Mais si l’envie lui vient de riposter, il est capable de projeter un homme en l’air avec sa corne, ce qui cause des blessures très graves. Ici, ça ressemble beaucoup à cela.

Sa réflexion fut interrompue par l’arrivée des techniciens de la brigade de recherches. Aussitôt, ils se mirent à l’ouvrage. Le légiste, les deux gendarmes et les pompiers s’écartèrent pour les laisser prendre des photos du cadavre. Ils flashèrent le corps minutieusement.

Tandis qu’ils travaillaient, l’adjudant-chef Orjubin entraîna le médecin légiste à l’écart.

— Votre diagnostic, toubib ? demanda le gendarme.

— Vu la position du corps, dit le docteur, il y a fort à parier que le mec est tombé dans la fosse et qu’il s’est rompu le cou.

— Vous pensez qu’il est tombé de là-haut ? questionna Orjubin en regardant le sommet de la paroi et en se mettant la main au-dessus des yeux pour se protéger du soleil.

— Oui, je pense. L’autopsie le confirmera mais il y a fort à parier que notre client a d’abord fait une chute mortelle.

— Il y a bien quatre ou cinq mètres, évalua le gendarme.

— C’est assez pour se tuer, confirma le légiste en allumant une cigarette.

— Vous êtes sûr qu’on peut fumer ici ?

— Rien à foutre, fit le gros homme, du moment que je ne balance pas mon mégot n’importe où. On est à l’air libre ici, non ? Ne me dites pas que la fumée dérange les rhinocéros.

L’adjudant-chef Orjubin n’insista pas. Il savait que dans l’intérêt de l’affaire, il valait mieux qu’il laisse « Oui, oui » fumer sa cigarette. Contrarié, il savait que le légiste pouvait s’avérer une sacrée tête de mule. Un des techniciens de la Brigade de recherches les avertit qu’ils en avaient terminé. Le légiste se rapprocha et dit :

— On va pouvoir retourner le corps.

— Non, intervint l’adjudant-chef Orjubin, je préfère qu’on attende le proc’. Je la connais, elle est un peu pinailleuse.

— Qu’est-ce qu’elle fout ? s’impatienta Prochwiez en regardant sa montre. J’ai d’autres choses à faire, moi.

— Il faut lui laisser le temps de venir d’Angers. Il y a toujours des travaux aux Ponts-de-Cé.

— On se demande s’ils se termineront un jour ces travaux.

Un petit groupe d’Ouettes d’Égypte s’approcha à distance comme pour voir où en était l’affaire et manifester leur impatience de récupérer leur territoire. Pendant que les techniciens s’abritaient du soleil sous un arbre, l’adjudant-chef Orjubin s’approcha du capitaine des pompiers.

— C’est vous qui êtes arrivés les premiers ? demanda-t-il.

— Oui, répondit le pompier. Ce sont les gens du zoo qui nous ont appelés. Ils nous ont vite mis au courant. Ce sont des touristes qui ont découvert le cadavre dans la fosse. Ils vous attendent au restaurant du zoo. On leur a dit de vous attendre. Quand nous sommes arrivés, le personnel du parc avait déjà fait évacuer les lieux. Les soigneurs et la vétérinaire étaient parvenus à faire rentrer le rhinocéros dans son local.

— Vous avez rencontré le patron du zoo ?

— Non, on nous a dit que monsieur Gay était actuellement en Bolivie. Il participe au plan de sauvegarde d’une variété de perroquets très menacée. Son fils essaie de le joindre mais, à ma connaissance, il n’y est pas encore parvenu.

— Avec le décalage horaire, il doit encore faire nuit là-bas.

— Probablement.

— Tiens, voilà le proc’.

En effet, deux femmes descendaient l’échelle. Toutes deux atteignirent rapidement la terre ferme et s’avancèrent d’une démarche légère. La première, une grande jeune femme volontaire aux cheveux bruns, abondants et bouclés, veste de tailleur en coton unie écru, tenait un cartable contre sa poitrine. La seconde, en jean moulant et tee-shirt imprimé – une assistante sans doute – restait légèrement en retrait. L’adjudant-chef Orjubin alla au devant de la première.

— Adjudant-chef Orjubin, Brigade départementale de Doué, bonjour madame le Substitut.

— Tiphaine Chevreau.

— Prochwiez, je suis le légiste.

La jeune femme s’approcha du cadavre, les autres s’écartèrent. Elle fit lentement le tour du corps puis, réprimant un haut-le-cœur, demanda :

— Que s’est-il passé à votre avis ?

Ce fut Prochwiez, le médecin légiste, qui répondit :

— À mon avis, cet homme a fait une chute qui lui a été fatale.

— De là-haut ? dit la substitut en levant la tête. Qu’y a-t-il là-haut ?

— Rien, je pense, répondit Orjubin, apparemment, il n’y a que de la végétation, des buissons.

— Allons-y, reprit la jeune femme sur un ton déterminé.

L’adjudant-chef Orjubin chercha du regard son adjoint et lui ordonna :

— Labat, renseignez-vous auprès du personnel du zoo pour savoir comment on peut accéder là-haut.

— Bien chef, dit le gendarme en quittant les lieux.

L’assistante prenait des notes sur un bloc pendant que la magistrate inspectait toujours le corps gisant sur le sol.

— Selon vous, dit-elle en s’adressant au légiste, cet homme aurait fait une chute ?

— Affirmatif, dit le gros homme, il était déjà mort quand le rhinocéros s’est occupé de lui.

— Tant mieux pour ce malheureux, fit la jeune femme.

— Toutes les mutilations que vous pouvez voir sur le corps sont le fait du pachyderme. D’ordinaire les rhinos ne s’attaquent pas à l’homme mais là, il a dû y avoir quelque chose qui n’a pas plu à l’occupant du lieu. On dirait qu’il s’est vengé.

Tout le monde se tut durant quelques secondes.

— Pour en savoir plus, continua Prochwiez, il faudrait retourner le corps.

— Allez-y, dit la substitut du procureur, je présume que vous avez pris assez de photos.

Le légiste se planta devant elle et la regarda droit dans les yeux.

— Avec tout mon respect, madame le substitut, il faudrait peut-être mieux pour vous que vous tourniez la tête, car je crains que ça ne soit pas très beau à voir.

De leurs mains gantées de caoutchouc, les techniciens de la brigade de recherches firent basculer le corps. Tous les assistants tournèrent la tête, sauf le gros légiste qui, impassible, alluma une nouvelle cigarette. Le corps désarticulé ne présentait pas de plaies ouvertes mais le visage était très atrocement mutilé. La mandibule menaçait de se désolidariser de la tête. La jeune magistrate fit un tour sur elle-même et rendit son petit-déjeuner derrière un rocher.

— Je ne m’y ferai jamais, constata-t-elle en s’essuyant la bouche avec le mouchoir en papier que lui avait tendu l’adjudant-chef Orjubin.

— En quarante ans de carrière, je ne m’y suis jamais fait, confessa-t-il.

Elle lui rendit un pâle sourire. Tous deux se mirent à l’ombre et restèrent à l’écart plusieurs minutes sans parler pour se remettre de leur émotion.

— Pour moi, c’est bon, brailla Prochwiez. Encore quelques clichés et on peut embarquer le corps.

Alors que les techniciens s’affairaient autour du cadavre, tous les autres lui tournaient le dos, essayant de chasser la vision d’effroi qu’ils venaient d’avoir. L’un des techniciens sortit d’une valise une grande housse grise pourvue d’une fermeture éclair destinée à recevoir le corps. Madame le substitut, tenant toujours sa sacoche, quitta l’enclos des rhinocéros noirs. Elle gravit l’échelle d’aluminium ce qui permit à certains d’admirer ses jolies jambes. Son assistante, qui n’avait pas ouvert la bouche durant toute la scène, suivit le même chemin. Le gendarme et les pompiers en firent de même, laissant le légiste et les techniciens achever leur besogne.

Quelques minutes plus tard, le petit groupe pénétrait dans le restaurant du zoo : « Le Camp des girafes ». Ici, on avait l’impression d’entrer dans un décor de cinéma. L’Afrique d’Humphrey Bogart dans African Queen et de Stewart Granger dans les Mines du roi Salomon. Rien ne manquait au sein de cette immense case : les vieilles cartes de géographie avec le plateau du Fouta-Djalon, le canal du Mozambique, les malles et les livres oubliés par quelque explorateur à jamais disparu dans la jungle. Le plus spectaculaire en ce lieu était la présence imposante de l’immense squelette d’une girafe qui avait nécessité un aménagement dans la charpente de la toiture. Tout le mobilier se voulait primitif, les tables et les chaises avaient été fabriquées avec des planches de bois brut et des branches. Beaucoup de monde occupait la pièce, mais ce n’étaient pas des convives. À l’écart, dans un coin, une femme gendarme enregistrait le témoignage des deux visiteurs qui avaient donné l’alerte. Ils commençaient à perdre patience : ils avaient projeté d’aller voir le château de Chinon et les jardins de Villandry dans l’après-midi et leur projet risquait fort de tomber à l’eau.

Un jeune homme, chemisette café au lait et short beige, très brun et bronzé vint au devant du groupe.

— Je suis François Gay, dit-il, directeur du Bioparc.

— Enchantée, Tiphaine Chevreau, substitut du procureur.

Ils se serrèrent la main, puis le garçon salua de même l’adjudant-chef Orjubin ainsi que l’assistante de la substitut. Tous s’assirent autour d’une grande table ronde.

— J’essaie de joindre mon père, dit le jeune homme, mais je n’y arrive pas. Il est en Bolivie et la liaison avec ce pays n’est pas toujours facile. À cette époque de l’année, il y a six heures de décalage horaire. Ils se lèvent là-bas.

— Je comprends, fit la magistrate.

— Voulez-vous boire quelque chose ?

— Ma foi, après ce que nous venons de voir je prendrais bien un petit remontant.

— Un petit alcool ?

— Non, jamais d’alcool en service, un jus de fruit fera l’affaire.

— Comme vous voulez, dit le garçon, puis se tournant vers l’un des serveurs qui attendaient à une distance respectueuse, il l’invita à prendre la commande.

C’est alors qu’une curieuse musique se fit entendre, laquelle déclencha aussitôt une vive réaction de la part de la substitut qui plongea la main dans son sac et en sortit piteusement un portable.

— Excusez-moi, dit-elle en se levant, on ne peut plus rester tranquille cinq minutes.

Elle quitta la pièce, le téléphone à l’oreille.

— Oui, qu’y a-t-il, mon chéri ? …

L’adjudant-chef Orjubin, resté en tête-à-tête avec le jeune homme, demanda :

— Alors, c’est vous le patron de l’établissement maintenant ?

— Pas encore tout à fait, dit François Gay. Pour l’instant, mon père et moi menons la maison conjointement. Le Bioparc est une entreprise familiale, elle a été fondée par mon grand-père. Je suis la troisième génération.

— J’ai lu dans les journaux que c’était vous qui aviez imaginé la grande volière.

Le garçon eut un large sourire.

— Oui, en réalité l’idée de départ, c’est mon père qui l’a eue. Moi, je l’ai concrétisée. Je suis ingénieur paysagiste de formation. J’ai fait l’École Nationale Supérieure de la Nature et du Paysage. À l’origine, c’était un champ de luzerne, j’ai fait creuser tout ce labyrinthe avec des engins, ça a été un travail colossal mais je ne suis pas mécontent du résultat.

— Toutes mes félicitations, déclara le gendarme. J’y suis venu avec mes petites filles l’année dernière.

— Ça vous a plu ?

— C’est magique tous ces oiseaux qui volent au-dessus de vos têtes, les perruches, les flamants roses et le couple de condors ! Fabuleux. Mais, dites donc, cette installation a dû coûter très cher ?

— Nous avons investi un million et demi d’euros dans ce projet, ce n’est pas un secret.

Le gendarme hocha la tête pour témoigner de son étonnement, tandis que le serveur apportait les boissons. Il se dit que les grands nombres, quand il s’agissait d’argent, étaient bien difficiles à appréhender. La substitut réapparut et vint reprendre sa place autour de la table. Elle s’excusa brièvement, but une gorgée de jus d’orange et lança :

— Bien, monsieur Gay, allons droit au but. On a retrouvé ce matin le cadavre d’un homme dans votre établissement, dans la fosse des rhinocéros précisément. Que pouvez-vous nous en dire ?

Le jeune homme parut un instant désarmé par cette attaque frontale.

— Ben, pas grand-chose…

— Connaissiez-vous la victime ? continua la jeune femme.

— Pas du tout, fit le garçon, ce n’est pas l’un de nos salariés. Nous employons soixante personnes dont trente-huit permanents, je les connais toutes. Ce monsieur, pour ce que j’en ai vu, n’est ni un permanent, ni un saisonnier. Il ne fait pas partie de la maison.

La jeune magistrate ne le lâchait pas des yeux, elle reprit :

— Comment expliquez-vous sa présence dans votre établissement ?

— Je ne sais pas comment il est arrivé là, avoua le jeune homme avec un geste d’impuissance. À mon avis, il y a deux solutions possibles, soit il est entré nuitamment en passant par-dessus la clôture, soit il s’est laissé enfermer dans le parc à la fermeture. Dans un établissement comme le nôtre, ce ne sont pas les cachettes qui manquent.

— Qu’en est-il des caméras ? demanda la magistrate. Avez-vous des caméras qui filment les allers et venues des visiteurs ?

Le garçon fit un signe négatif de la tête.

— Non, affirma-t-il, nous n’avons pas de caméras dans le parc. Nous n’en avons pas réellement besoin. Il y a peu de dégradations dans le parc. Nous sommes plutôt victimes de gestes d’incivilité, de manque d’éducation. Les gamins mal élevés qui jettent leurs papiers d’emballage et leurs canettes dans les allées, voire dans les bassins. Il nous arrive d’utiliser des caméras pour surveiller les animaux, lors de mise-bas imminente des gros mammifères comme les hippos ou les panthères mais nous ne surveillons pas les visiteurs du Bioparc.

La substitut du procureur hocha la tête.

— Donc, reprit-elle, j’enregistre que vous ne connaissez pas la victime. Avez-vous idée de ce qu’elle faisait dans votre parc ?

— Non, bien sûr, fit le jeune homme, la seule chose que je peux dire c’est que ce type n’aurait pas dû être là. Pourquoi était-il dans le parc ? Je n’en sais rien. Était-ce un voleur ? Que faisait-il du côté des rhinocéros ? Il n’y a rien à dérober là-bas. Si c’était un voleur, il aurait dû graviter de ce côté-ci, autour de la boutique, du restaurant ou du snack dans l’espoir de trouver de l’argent.

Brusquement, le gendarme Labat fit irruption dans le restaurant, il s’approcha d’Orjubin et l’informa précipitamment :

— Venez chef, je crois qu’on a trouvé des choses intéressantes.

Tous ceux qui étaient assis autour de la table se levèrent comme un seul homme et suivirent le gendarme.

D’un pas rapide, ils marchèrent quelques minutes sous le soleil brûlant. À la vue des singes sud-américains qui faisaient des pitreries, la substitut se dit qu’il faudrait qu’elle revienne avec son fils. Le groupe passa rapidement sous l’œil amusé d’un ours à lunettes qui se prélassait avec indolence dans un hamac tout en se grattant mollement le ventre. Ils furent bientôt accueillis par des rugissements qui couvraient tous les autres bruits du parc.

— Qui fait ce vacarme ? demanda la magistrate.

— C’est Simba le lion et Lola et Waza, les lionnes, répondit le directeur. Ce sont des voisins un peu bruyants. Ils rappellent aux autres animaux du Bioparc que ce sont eux les maîtres des lieux.

Ils finirent par atteindre un bosquet touffu dans lequel le gendarme Labat, quittant l’allée, s’enfonça sans hésiter un instant. L’adjudant-chef Orjubin aida la jeune magistrate à franchir un rebord rocailleux. Puis, en file indienne, ils s’enfoncèrent dans la végétation. Les lions continuaient à faire un raffut peu rassurant à proximité. Le groupe atteignit alors une crête large de quelques mètres et envahie par de hautes herbes et des arbrisseaux. Tout près, se dressait le chapiteau invisible de la grande volière. Les uns derrière les autres, ils s’avancèrent jusqu’à un endroit où trois employés du zoo les attendaient.

— Voilà, annonça le gendarme Labat, nous sommes exactement au-dessus de l’espace des rhinocéros, juste au-dessus de l’endroit où on a retrouvé le corps.

Tout le monde se pencha prudemment au-dessus du vide, mais l’à-pic ne permettait pas de vérifier les dires du gendarme

— Il est tombé d’ici, continua Labat, de l’endroit exact où je me trouve.

L’adjudant-chef Orjubin intervint :

— Labat, vous auriez dû interdire l’endroit dès que vous l’avez trouvé. Il y avait peut-être des empreintes à prendre. Maintenant que tout le monde a piétiné, c’est fichu.

L’interpellé piqua un fard.

— Ce n’est pas facile de venir ici sans piétiner, chef, et quand je suis arrivé, les jeunes gens que voici – il désigna les trois employés du zoo – avaient déjà cherché et trouvé l’endroit d’où la victime avait vraisemblablement sauté.

Les trois employés du zoo ne savaient pas trop quoi dire. François Gay intervint :

— Excusez mes collaborateurs, dit-il. Je vous les présente : Aurélie, Fabien et Jean-François, ils ont cru bien faire en prenant cette initiative. Ils ne savaient pas.

— Vous ne regardez donc pas les feuilletons policiers à la télévision ! continua le gendarme remonté. Le moindre indice peut être intéressant. Il ne faut jamais intervenir sur une scène de crime, sauf cas de force majeure. Maintenant qu’est-ce que vous voulez que les gars de la brigade de recherches relèvent ? Il a peut-être été poussé ce type. On aurait pu savoir combien il y avait de personnes à cet endroit au moment où la victime avait fait le grand saut.

D’un signe de la tête, la jeune magistrate approuva la déclaration du gendarme.

Plus personne n’osa parler. Ce fut le gendarme Labat qui mit un terme au lourd silence qui s’était installé depuis quelques minutes  :

— Nous, ou plus exactement, les trois jeunes gens que voici – il désignait à nouveau les trois employés du zoo – ont découvert autre chose. Venez, suivez-moi.

Comme précédemment, la petite troupe s’ébranla en file indienne. Ils progressèrent à nouveau dans les hautes herbes et les buissons. Ils débouchèrent dans l’allée qu’ils suivirent en longeant la fosse des rhinocéros. Intriguées, des gazelles dama levèrent la tête et humèrent l’air à leur passage. Le petit groupe franchit un portail fait de tôles ondulées. Il arriva dans un espace technique où étaient entassées toutes sortes d’objets : des palettes de bois, des bottes de paille, des pavés autobloquants… Il y avait également une cabane en bois qui abritait des fûts en plastique bleus, un tracteur et sa remorque, une C 15 Citroën qui avait connu des jours meilleurs. Cet enclos bien camouflé par la végétation était visiblement l’une des coulisses du Bioparc. Sous la conduite du gendarme Labat et des employés du zoo, toute l’équipe traversa l’espace. Ils contournèrent un talus et s’enfoncèrent dans la végétation. Le gendarme Labat s’effaça bientôt pour laisser le champ libre à la magistrate et au chef Orjubin. Dans un petit buisson épais, un abri avait été pratiqué comme si un animal y avait fait son nid. À l’intérieur, une rabane sur le sol et une paire de tongs usées laissaient à penser que quelqu’un avait dormi là récemment. Dans un premier temps, tout le monde s’accroupit mais personne ne dit mot. Ce fut l’adjudant-chef Orjubin qui rompit le silence en premier.

— On dirait bien que notre quidam avait élu domicile ici, dit-il.

— Il y aurait eu un passager clandestin dans le zoo ? insinua la jeune magistrate.

— Ça ressemble bien à cela, reprit le gendarme.

— Ce n’est pas possible, intervint François Gay. On se serait aperçu de sa présence dans la journée. Je vous le rappelle, on est soixante ici à cette époque de l’année. Un clandestin, ce n’est pas réaliste. Il aurait fallu qu’il se terre comme un rat pour qu’on ne le repère pas.

— Vous admettrez, dit l’adjudant-chef Orjubin, que l’endroit est bien choisi pour se cacher. Ici, dans ce coin, il ne doit pas y avoir beaucoup de monde qui passe et quand je vois la luxuriance de la végétation, je pense que le jardinier ne doit pas venir là tous les jours.

— Bien sûr, admit le jeune directeur, ici, dans ces zones délimitant les espaces animaliers, personne ne vient, on laisse la végétation se développer d’elle-même durant la belle saison. Il arrive qu’on y vienne quand on s’aperçoit que la végétation prend trop d’ampleur et qu’elle risque de permettre à des animaux de s’échapper, les singes en particulier. À part cela, nous n’intervenons en ces lieux que l’hiver, quand le parc est fermé au public. Nous taillons les végétaux qui ont tendance à se développer de façon trop importante. Nous remplaçons aussi les plantes mortes.

Le gendarme s’adressant principalement à la substitut reprit :

— Vous admettrez qu’apparemment quelqu’un a dormi à cet endroit. Et quand je vois cette paire de sandales et que je me rappelle que notre inconnu était nu-pieds, je pense qu’il y a fort à parier que c’est lui qui a dormi ici, non ?

Personne ne fit d’objection aux observations du gendarme qui continua :

— Maintenant, il va falloir déterminer depuis quand notre homme s’était installé ici. Personnellement, je n’en ai pas la moindre idée, mais je pense que les gars de la brigade des recherches nous le diront.