Miel, sang et biscuit - Astrid D. - E-Book

Miel, sang et biscuit E-Book

Astrid D.

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Beschreibung

Miel, propriétaire d’un salon de thé aussi accueillant que haut en couleur, incarne l’âme de la petite ville de Mashel. Avec son style unique, son énergie débordante et son inséparable labrador, elle enchante le quotidien de tous ceux qui croisent son chemin. Mais l’équilibre de sa vie vole en éclats lorsque des événements troublants viennent perturber la quiétude de sa routine. Plongée malgré elle dans une affaire criminelle digne des chroniques qu’elle affectionne, Miel doit naviguer entre l’adrénaline d’une enquête haletante et les spectres d’un passé qu’elle croyait enfoui. Quels mystères cachés renferme son histoire ? Et jusqu’où osera-t-elle aller pour lever le voile sur une vérité capable de bouleverser son existence ?

À PROPOS DE L'AUTEUR 

Avec la publication de son premier ouvrage, Astrid D. concrétise un rêve d’enfance et affirme sa passion pour le thriller. Toutefois, ce roman ne se limite pas à raconter une histoire haletante : il porte un message puissant. À travers ses pages, l’auteure sensibilise aux troubles mentaux qui touchent tant de vies au quotidien, faisant de son écriture une forme d’engagement et de prévention.

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Veröffentlichungsjahr: 2025

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Astrid D.

Miel, sang et Biscuit

Roman

© Lys Bleu Éditions – Astrid D.

ISBN : 979-10-422-5465-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Prologue

Le papier luisant semblait avoir drôlement vieilli, une légère teinte jaunâtre recouvrait à présent l’ensemble de la photographie et les visages paraissaient bien délavés. Pourtant, bien que nostalgique et quelque peu mélancolique, le simple souvenir de cette famille unie et soudée ternissait son cœur d’une mélasse métallique. Quelques enfants insouciants restaient timides dans les bras de leurs parents, mais ce visage d’ange et ces joues rosies innocentes, laissaient apparaître un grand sourire. Cette joie, de se retrouver auprès des personnes qu’elle chérissait, à son jeune âge, se lisait aisément à son expression enthousiaste. À présent, cet immense bonheur la troublait au plus haut point. Mais il n’était pas le seul. Un autre sourire dérangeant lui donnait la nausée et amenait dans ses narines, un désagréable effluve de sang.

Chapitre 1

Le mois de juin s’avérait bien plus venteux que l’année précédente. La brise caressait les peaux, faisant se hérisser les poils et se soulever les tissus. Le jupon en mousseline sous la robe légère aux teintes mauves et beurre de Miel ne faisait pas exception. Et s’il n’était pas tenu par un ruban de satin noué sous son menton, son chapeau de paille aurait été emporté, lui aussi. Pourtant, même avec un vent aussi présent, il était certain que le printemps était bien installé en ville, le soleil réchauffant le dos de la jeune femme de ses intenses rayons. Tout comme l’excentricité de ses tenues, elle ne passait pas inaperçue aux yeux des passants qui lui jetaient des regards intrigués, voire inquiets. Figée sur place, son regard noisette braqué dans le vide, un monde paraissait prendre place dans son esprit tant sa transe était inébranlable. Mais à quoi bon pouvait-elle bien penser ?

À rien.

Miel Podison, la jeune gérante du salon de thé, qui n’avait ouvert que récemment dans la petite ville de Mashel, ne réfléchissait pas à grand-chose la plupart du temps.

Du moins, c’était ce qu’elle se disait pour se rassurer. Certaines mauvaises langues clamaient qu’elle n’avait rien dans le crâne, mais elles se trouvaient bien loin du compte. Miel permettait simplement à son esprit de fuir son propre corps, de se dissocier de la réalité, dans ce qui paraissait être un tout autre monde, construit de part en part afin d’échapper aux complexes problèmes auxquels elle pouvait faire face ou même à ses propres pensées intrusives. Dans cet univers-là, elle ne subissait plus les divers troubles qui entravaient sa vie, elle ne croulait pas sous des poids infinis qui obscurcissaient son cœur. Dans ce monde-là, tout était différent.

Tout, sauf l’absence d’un chien surexcité qui venait ralentir sa course dans la boue contre sa délicate tenue. Elle recula d’un pas pour lui éviter de tacher sa robe de terre et d’herbe et gronda le labrador au poil doré du regard. Semblable à sa maîtresse qui apparaissait comme idiote, mais qui vivait dans une autre réalité, Biscuit paraissait, lui aussi, posséder un crâne bien vide, se comportant comme un véritable bambin, découvrant l’environnement en se nourrissant de fleurs et d’insectes. Assis sur l’herbe humide, remuant la queue, la langue pendante d’un côté de sa gueule, il appréciait les caresses sur sa tête. Les gants en dentelle que portait sa propriétaire le démangeaient, mais il se contentait de se pousser plus fort contre la paume de sa main. Âgé d’à peine plus de quelques mois, il était encore jeune et n’avait pas atteint sa taille adulte, pourtant, il restait bien plus docile et obéissant que bon nombre de chiens. Il semblait agir seulement pour plaire et protéger sa maîtresse qui l’avait sauvé de la condition misérable dans laquelle il avait été mis au monde. Peut-être lui était-il redevable ?

Miel s’efforçait simplement de croire que c’était lui qui avait donné du sens à son existence et qu’elle n’était rien sans lui, tandis qu’il se contentait de vivre pleinement sa vie de chien. Elle avait une profonde tendance à trouver diverses explications à ses mérites, aucune d’entre elles ne l’incluant.

Son salon de thé rencontrait un succès fou ? C’était évidemment grâce au réseau de sa tante et à la publicité qu’elle faisait, et non parce qu’elle était une pâtissière de talent et que l’originalité de ses recettes plaisait grandement.

La devanture de sa boutique recevait de multiples compliments ? Bien sûr que les lauriers revenaient aux méticuleux fleuristes qui œuvraient de l’autre côté de la rue et qui produisaient des compositions de qualité, sa planification n’avait rien à voir dedans.

Reconnaître un quelconque talent et un travail d’orfèvre n’était pas dans les cordes de Miel. Un violent trouble qui entravait sa vie semblait être le lourd syndrome de l’imposteur qu’elle portait sur ses épaules.

Il était dix heures lorsque Miel se rendait à son salon de thé. Bien qu’il ouvrait plus de trois heures après, elle se devait de minutieusement préparer ses gâteaux en avance. Les courses effectuées la veille, Biscuit put profiter d’une promenade plus longue au parc, pour son plus grand plaisir. Il l’attirait même en direction du photographe qui réglait son daguerréotype de l’autre côté de la pelouse. Le traîner sur le trottoir pour le sortir du jardin ne s’avérait cependant pas être une mince affaire.

Le bâtiment ne se trouvait pas très loin de son appartement et elle n’avait pas l’occasion de croiser grand monde sur la route de manière générale. Elle fronça alors les sourcils lorsqu’elle distingua un homme, lui jeter des regards insistants et s’approcher d’elle à grands pas. Les battements du cœur de Miel commencèrent à devenir pesants, bien désagréables tandis qu’elle resserrait son emprise sur la laisse de Biscuit et que ses yeux se retrouvaient vissés sur le pelage doré de ce dernier.

— Vous êtes bien Miss Podison ? Je vous ai cherché pendant un long moment ! Pouvez-vous m’accorder quelques minutes de votre temps ? Je me nomme André Kelvin, je suis avocat !

Il parlait fort et se rapprochait bien trop d’elle à son goût. Son regard paniqué se balada sur la route et elle se détourna de lui. Elle savait évidemment de quoi il voulait lui parler, c’était le seul sujet de conversation que les gens, qui étaient au courant de la situation, souhaitaient aborder en sa présence. Mais comme toujours, elle n’était aucunement décidée à répondre à la moindre question et à alimenter cette curiosité morbide ancrée dans le monde de la justice. Au contraire, elle désirait pouvoir s’en éloigner le plus possible.

— Je suis désolée, mais je dois y aller, annonça-t-elle à voix basse, fuyant rapidement la situation.

Le visage de l’homme se décomposa et il s’apprêtait à rétorquer, ne pouvant se résoudre à laisser filer une si grosse occasion entre ses doigts, mais Biscuit ne lui laissa guère le luxe de procéder. Il commença à aboyer vivement sur l’avocat, les crocs visibles et les babines retroussées, se montrant des plus agressifs contrastant avec son apparence adorable. Les aboiements attirant les regards et l’attention du voisinage, l’avocat ne se fit pas prier pour quitter les lieux précipitamment, pour le plus grand bonheur de Miel. Mashel était une ville calme et tranquille et les habitants n’appréciaient pas le grabuge inutile qui troublait leur petit bonheur personnel. Ceci ne déplaisait pas à la jeune femme. Elle caressa affectueusement la tête de son labrador pour le remercier et l’attira au niveau de sa boutique, à l’abri des regards. Elle se demandait tout de même la raison de l’absence d’appel de sa tante. Celle-ci ne se gardait pourtant pas de la prévenir immédiatement lorsqu’elle prenait connaissance de l’arrivée d’un avocat en ville. Miel soupira un coup. Tant de stress pour si peu, cela n’allait pas l’aider à entamer une journée de commerce paisible.

Reprenant son calme, elle déverrouilla la porte du café et alluma les lumières réfléchissant les éclats des lustres en cristal sur les murs recouverts de peintures pastel. Elle détacha la laisse de son chien pour le laisser entrer dans la boutique et fut interpellée par l’appel de son nom au loin. Elle se retourna, croisant le regard d’Apollo Melchior, ses grands signes de bras et son immense sourire enfantin. Il travaillait pour Mister Jidere, dans la boutique florale qui s’occupait des compositions pour son salon de thé. Elle ne l’avait rencontré que quelques semaines auparavant, lorsqu’il avait livré un large bouquet de lilas, provenant de son oncle, pour son anniversaire. Depuis, il agissait comme son meilleur ami, peut-être en raison de son arrivée récente à Mashel et de son manque de réseau amical. Il se permettait des haltes dans son salon de thé, lui racontant longuement sa vie qu’elle n’écoutait que d’une oreille. Aux yeux de Miel, Apollo se comportait comme une des petites vieilles qui appréciaient la discussion, mais qui ne savait pas quand s’arrêter. Seulement, avec son comportement enfantin, ce côté chevaleresque et émerveillé par tout ce qu’il découvrait, il lui rappelait aussi son labrador.

Au loin, il replaçait sa chevelure blonde derrière son oreille, poussée par le vent et lui offrit à nouveau un tendre sourire. Elle lui répondit d’un petit signe de la main avant de se réfugier à l’intérieur de son commerce. Il était certes mignon, ne manquait pas de petites attentions pour elle et semblait toujours prêt à se rendre disponible pour proposer son aide, mais Miel le voyait seulement comme un second Biscuit.

Passant une main sur la tête de son chien, elle se dirigea vers la cuisine où elle préchauffa les fours avant d’enfiler son tablier. Une ballade de violon provenant du tourne-disque résonnait au sein de la salle et elle put enfin se mettre au travail. Les fameux gâteaux de Miel étaient tant connus pour leurs saveurs uniques et créatives que pour la variété de leurs choix. Ils étaient fruits d’un dur labeur, de longues heures d’études en école de pâtisserie lorsqu’elle y effectuait son apprentissage à Dorgue. La ville populaire que les habitants appréciaient pour ses grands bâtiments et son charme moderne restait un cauchemar pour Miel qui préférait sa vie dans la petite bourgade calme de Mashel plus que tout au monde. Mais grâce à ses nombreuses nuits d’insomnies causées par un stress grandissant, elle avait eu l’occasion de construire sa carte idéale de biscuits en tout genre : menthe poivrée, sel et citronnelle, cannelle et fleur d’oranger, pomme et caramel, orange et noix. Pour Miel, la conception culinaire était aussi satisfaisante que de mélanger de la peinture de couleur pour créer une toute nouvelle toile.

Après quelques heures de travail, de cuisson de petits gâteaux et de nettoyage dans la salle de réception, elle scrutait l’horloge. Comme à son habitude, l’aiguille s’arrêtait aux alentours du trente-sept et il restait un peu moins d’une heure à la jeune femme avant l’ouverture de sa boutique. Elle replaça correctement les menus décorés à la main sur les tables rondes ornées de délicates dorures sobres et avala un reste de sandwich encore présent dans son frigidaire. Durant ce temps de calme qu’il lui restait, elle se préparait mentalement à l’arrivée des clients. Miel n’appréciait pas vraiment la foule, les forts bruits incessants et les autres personnes qui pénétraient son espace vital, mais si elle avait décidé de se lancer dans ce métier, c’était car elle appréciait le contact humain, non ? Ou seulement parce qu’elle était en manque de reconnaissance et de compliments sur son labeur ? Encore aujourd’hui, elle peinait à déterminer la véritable raison qui la poussait à continuer ce travail. La jeune femme se posta derrière le comptoir de son établissement, attendant que le temps passe, une sorte de masque se déposant sur son visage.

Ce masque, elle avait l’étrange habitude de ne pouvoir s’en défaire en présence d’autrui. Ce visage arrondi de poupée parfaite, délicatement maquillée, cette apparence cadrée et droite, ces cheveux coupés au carré couleur caramel qui ne touchaient pas ses épaules, cette frange qui reposait sur son front, ces deux grains de beauté, sous chaque œil, presque symétriques, cette tenue colorée et bien éloignée des modes, tout de ce qu’elle représentait, s’apparentait à son image de marque. Et il était certain que si elle n’arborait pas ce déguisement, les clients ne se précipiteraient pas dans ce petit bout de monde imaginaire qu’elle essayait de leur faire goûter. La clochette au-dessus de la porte d’entrée tinta et une jeune femme pénétra dans le salon de thé. La journée de travail pouvait commencer.

Contrairement à sa maîtresse, Biscuit n’avait aucun mal à se sociabiliser. Il était même la coqueluche de ce petit paradis, se baladant de table en table pour recevoir le plus de caresses possible, un collier accordé à la tenue de sa maîtresse autour du cou. Toujours bien élevé, il ne mettait pas les pattes sur les tables pour voler les biscuits, mais sa maîtresse devait tout de même le maintenir éloigné des préparations qui attiraient grandement son attention. Sa queue remuait en rythme avec les airs de violon qui tournait dans la platine vinyle, la langue sortie et une sorte de sourire gravé sur les babines. Pendant ce temps, Miel déposait une jolie assiette de porcelaine décorée avec quelques biscuits à la rose sur une table en remerciant la cliente d’un sourire. Elle déposa un baiser sur la tête de son chien en grattant légèrement le côté de son museau puis repartit dans la cuisine. Le thé infusait pour d’autres clientes, les douces odeurs flottaient au-dessus des fourneaux. Plusieurs bouilloires étaient alignées sur les plaques de cuisson, leurs couvercles sursautant tandis que l’eau bouillait à l’intérieur. Le tablier blanc, orné de somptueux ourlets en dentelle, protégeait la robe de Miel lorsqu’elle ajoutait des herbes, feuilles et fleurs dans les différentes bouilloires depuis l’étagère qui surplombait son plan de travail.

Le décor ressemblait bien plus à une étale d’apothicaire qu’à celle d’un salon de thé. Les boissons subtilement colorées et dégageant des arômes délicats et parfumés étaient à présent versées dans de petites tasses de porcelaine assorties aux assiettes à biscuits qu’elle utilisait pour le service. Ses oreilles se coupaient presque des discussions chaleureuses se déroulant de l’autre côté du bâtiment, son cerveau restant embrumé par les odeurs et la buée qui se dégageait des tasses bouillantes, qu’elle disposait habilement sur un plateau en bois. La pâtissière servait les commandes devant les clientes respectives en esquivant Biscuit qui courait entre ses jambes comme habituée par sa présence envahissante.

Un léger cri de surprise l’alerta cependant tandis qu’elle se rendait à nouveau en cuisine. Miel sursauta et se retourna, laissant transparaître une attitude en alerte derrière son masque de poupée. Elle serra légèrement les poings pour calmer son cœur dont le rythme s’emballait rapidement et s’approcha de sa cliente assise au niveau de la vitrine, une main portée à la bouche, l’autre tenant un morceau de biscuit.

— Tout va bien, madame ? Que s’est-il passé ? questionna-t-elle en se penchant à sa hauteur.

La blonde bien distinguée passait ses doigts sur sa lèvre et sur ses canines, le regard inquiet. Elle se tourna vers Miel en lui présentant le biscuit délicatement cuit.

— Il y a quelque chose d’atrocement dur dans mon gâteau. J’ai peur de m’être cassé une dent, expliqua celle-ci, légèrement indignée.

La jeune femme fronça les sourcils, surprise, mais aussi troublée. Elle jeta un coup d’œil à son visage, s’assurant qu’elle n’avait pas été blessée. Elle la rassura d’un sourire et inspecta rapidement du regard, le biscuit déposé dans l’assiette.

— Je pense que c’est une coquille d’œuf qui a dû se loger dans vos gencives et vous faire mal, je m’excuse sincèrement. Je ramène ces biscuits en cuisine et je vous en fais parvenir de tous frais offerts par la maison.

Elle afficha un sourire gêné et crispé, fuyant le regard ennuyé de la cliente et se réfugia en cuisine, sentant sa peau s’enflammer sous la honte. La porte close dans son dos, son corps se relâcha tandis qu’elle pouvait entendre quelques messes basses dans la salle. Il fallut quelques secondes à la jeune femme pour calmer sa respiration et contrôler les larmes qui montaient au bord de ses yeux. Pourquoi fallait-il que la panique l’envahisse autant pour une situation aussi ridicule que celle-ci ? Peut-être, parce que les regards de ces gens braqués sur elle ressemblaient à ceux des charognes prête à dévorer et à déchiqueter son pauvre corps ?

La porte de la cuisine s’ouvrit dans son dos et claqua violemment, la faisant sursauter à nouveau. Elle cramponna l’assiette en porcelaine qui manqua de peu de finir en miettes au sol et fit volte-face vers son chien, les yeux écarquillés. Les battements de son cœur paraissaient bien trop forts et sa respiration haletante et saccadée la faisait paniquer. Son teint prit une intense couleur cerise tandis qu’elle se maintenait à son plan de travail, son corps comprenant enfin que son interlocuteur n’était que son compagnon de toujours. Il s’approcha d’elle et frotta sa tête contre son genou, cherchant son attention, le regard presque peiné. Elle posa une main sur lui, la laissant glisser sur ses poils soyeux, un profond soupir sortant de sa bouche. Si Miel pensait qu’elle dépendait autant de Biscuit qu’il n’avait besoin d’elle pour vivre, ce n’était pas seulement parce qu’il était un chien enjoué et surexcité qui la forçait à se lever le matin, mais principalement puisqu’il montrait des signes extraordinaires de compréhension de ses émotions. Bien plus que tous les psychologues qu’elle n’avait rencontrés et presque aussi efficaces que les médicaments qu’elle avalait encore maintenant pour se ressaisir.

Elle rangea la petite boîte en hauteur et sourit à son labrador, lui offrant une friandise pour son bon travail. Même si Miel n’avait pas une grande envie de vivre au quotidien et que ses pensées l’embarquaient dans des mondes bien sombres, elle savait qu’elle pouvait au moins compter sur Biscuit et ses anxiolytiques pour mener une existence quelque peu normale.

Elle se retourna en direction de son plan de travail et commença à briser l’étrange biscuit entre ses doigts. Les miettes glissaient contre sa peau, provoquant une sensation désagréable tandis que le gâteau réduisait petit à petit. Il se dessinait dans ses mains une forme étrange, et un morceau de matière blanche, effectivement très solide, apparut. La jeune femme haussa un sourcil en penchant sa tête sur le côté. Cela n’avait aucunement l’air d’une coquille d’œuf. Miel se plaça à côté de la jolie lampe en forme de cœur qui trônait de l’autre côté du plan de travail, dans le coin de la cuisine, l’alluma et approcha le morceau inconnu de l’ampoule. Il présentait quelques rayures, une couleur blanchâtre, presque crème et l’espace d’un instant, Miel pensait même qu’il pouvait s’agir de l’une des dents de sa cliente.

Seulement avec sa seule apparence, elle n’était pas capable de déterminer sa provenance. Un mystère de taille se dressait alors devant elle et Miel éprouvait une sorte de relation d’amour et de haine pour ce genre de situation. Troublée, elle laissa son dos reposer contre le mur, perdue dans ses pensées. Que pouvait bien être ce corps étranger retrouvé dans ses biscuits et comment celui-ci avait-il pu finir dans sa préparation sans même qu’elle ne le remarque ?

— Dites donc ! Où sont mes biscuits offerts en compensation ?! Je ne vais pas attendre le déluge ! s’écria la cliente de sa table, de l’autre côté du salon de thé, effarouchée.

Miel sursauta, ayant complètement oublié la présence de sa cliente avec ce nouveau défi qui se présentait à elle. Elle rejoignit le comptoir à biscuits dans la salle pour remplir une nouvelle assiette et se força à affronter les potentielles remarques, son masque fébrile sur le visage. Pourtant, la torture ne dura que quelques secondes et elle se retrouva à nouveau dans le calme de sa cuisine. Elle se sentait si gênée, si humiliée, tâtant ses joues brûlantes et rougies. Néanmoins, cette sensation désagréable d’être si jeune, si inutile et incompétente s’évapora instantanément lorsqu’elle se rendit compte que son chien venait de renifler le morceau étrange déposé sur le comptoir, dressé sur ses pattes arrière, et suivait à présent une piste. Il s’arrêta près du réfrigérateur, devant la grande cuve en bois qui contenait la farine à gâteaux. À nouveau, il se dressa sur ses pattes arrière et s’apprêta à plonger l’entièreté de sa tête dans la farine.

— Non !

Sa maîtresse accourut derrière lui et saisit ses pattes, le reculant.

— Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Tu sais très bien que ce n’est pas bon pour toi ça, je te l’ai appris quand même. Tu as trouvé quelque chose ? La même odeur que ce morceau bizarre ? demanda-t-elle, bien qu’elle savait qu’elle n’aurait pas de réponse.

Cependant, s’il l’avait guidée ici, c’était bien parce qu’il y avait une raison. Biscuit n’était dressé que pour obéir et potentiellement aider sa précieuse maîtresse à gérer ses émotions, pas pour pister des substances étranges et résoudre des enquêtes. Mais peut-être que c’était justement ce qu’il venait de faire devant ses yeux.

Miel se pencha au-dessus de la cuve, la seule chose qu’elle pouvait distinguer étant la farine finement déposée dans le grand pot de bois. Un instant de silence prit place, elle jeta un regard à Biscuit qui jappait joyeusement, assis à un mètre de là, une légère tache blanche sur sa truffe noire, puis un nouveau regard sceptique sur le bac. Elle ne perdit pas une seconde de plus, se frotta rapidement les mains avec du savon dans le lavabo et les sécha avant d’en plonger une dans la cuve, secouant ses doigts pour tâter la moindre chose suspecte. Au premier abord, elle ne sentait que la farine contre sa peau et plus les secondes passaient et plus, elle trouvait la situation complètement ridicule. Pensait-elle réellement trouver quelque chose de suspect dans sa farine à gâteaux simplement parce qu’elle estimait que son chien avait flairé une piste ?

Un profond soupir s’échappa de ses lèvres tandis qu’elle retirait sa main du bac, s’amusant elle-même de sa stupidité. Cependant, avant même que son poignet ne fasse à nouveau surface, une sensation désagréable de douleur aiguë lui rafla la paume. Elle lâcha un petit juron en ôtant vivement sa main de la cuve. Miel scruta l’entaille dans sa peau qu’elle aperçut sur la base de son pouce. Venait-elle réellement de se couper avec de la farine ?

Chapitre 2

Un air d’incompréhension tordit les traits de son visage, tandis qu’elle porta un doigt contre sa plaie, s’assurant qu’elle était bien réelle. Même Biscuit qui s’agitait, percevant le désarroi qui s’emparait de sa maîtresse, ne put ramener Miel à la réalité. Ses yeux noisette qui fixaient le regard de son animal, sans vraiment le distinguer clairement, se perdirent dans une mélasse floue tandis que mille et une pensées embrouillaient son cerveau tentant de faire sens de cette situation absurde. Que venait-il de se passer ? Et à quoi s’attendait-elle réellement ? Y avait-il bien un autre morceau coupant dans sa farine ? Son chien venait-il de se créer une carrière de détective canin ?

L’amas de questions, certaines plus intrigantes et utiles que d’autres, commença à la dérouter de son objectif d’enquête principal. Au loin, elle pouvait entendre son prénom être appelé dans la salle comme un bourdonnement dans ses oreilles et elle s’interrogea sur l’absence du tintement de la clochette suspendue à la porte d’entrée avant de ramener son esprit dans la réalité. Miel jura à voix basse en se précipitant au-dessus de l’évier pour y rincer sa plaie. Elle usa de trop de forces pour déverrouiller le robinet et l’eau gicla tout autour sur son plan de travail, lui faisant lâcher un nouveau juron, plus fort cette fois-ci. Tandis qu’elle essuya le désordre à l’aide d’un torchon, son nom retentit à nouveau. Miel serra les dents, dieu qu’elle détestait les gens qui criaient. Elle jeta l’essuie-main sur le plan de travail avec agacement et se rendit en salle. Au milieu des tables, entouré par les clientes absorbées par leurs propres conversations, se trouvait un immense bouquet de bourraches sur pattes vêtu d’un pantalon de velours plutôt élégant. Une grimace tordit encore une fois le visage de la pâtissière.

— Quelqu’un aurait-il mélangé de la drogue à ma farine à gâteaux ? marmonna-t-elle à voix basse.

Il fallut quelques longues secondes à Miel pour comprendre qu’il ne s’agitait que d’Apollo, venu délivrer la composition florale de la semaine qu’elle avait commandée. La grimace se transforma en confusion pour la jeune femme qui se demanda sincèrement si cette situation était aussi anodine que cela pour se jouer de ses nerfs de la sorte. Elle se reprit rapidement lorsqu’elle croisa enfin le visage souriant du fleuriste.

— Tiens ! Bonjour Miel, comment allez-vous ? Où souhaitez-vous que je place le bouquet de cette semaine ? À la place des hélianthes ? demanda-t-il, cherchant un endroit du regard.

Miel le mena devant le grand vase en cristal qui reposait sagement sur une étagère entourée par un cadre en bois, donnant l’impression d’un joli tableau amovible. Elle se saisit de l’ancien bouquet en le laissant se déverser de quelques gouttelettes d’eau, redoutant de tacher le parquet.

— Voyons Apollo, combien de fois t’ai-je demandé de me tutoyer, tu es plus vieux que moi, tu sais. Et puis cela fait un moment que nous nous connaissons maintenant, répondit-elle en emportant les hélianthes vieillis dans la cuisine.

— Oh, pouvez… euh… peux-tu me les conserver ? J’aimerais bien les faire sécher. Je m’excuse, je ne suis pas encore habitué à vous… te tutoyer, expliqua-t-il dans un rire gêné, en plaçant les bourraches dans le vase.

La jeune femme déposa le bouquet sur une étagère dans sa cuisine après l’avoir enveloppé dans un torchon propre puis s’approcha à nouveau du fleuriste.

— Je te sers quelque chose ? Tu as un peu de temps, n’est-ce pas ?

— J’ai toujours du temps pour tes délicieux biscuits ! Mais…

Apollo s’arrêta dans sa phrase, parcourant la main de Miel du regard. Celle-ci se triturant agressivement les doigts, il était difficile d’y faire abstraction. En évidence, sous la lumière jaunâtre et ancienne éclairant le salon de thé, il pouvait clairement apercevoir une entaille rougie traversant la paume de sa main. Sans perdre une seconde, il s’avança vers elle et saisit son poignet pour inspecter la blessure de plus près, ses yeux verts arborant une lueur d’inquiétude. Miel haussa un sourcil et grimaça, outrée, avant de retirer son poing de son emprise.

— Ne me touche pas sans autorisation, gronda-t-elle en le dévisageant.

Un sourire embarrassé se dessina sur ses lèvres tandis qu’il la poussa doucement dans la cuisine.

— Promis je ne recommencerai plus, mais allons autre part pour te soigner. Tu ne peux pas continuer de travailler avec une coupure pareille, cela va s’infecter et puis tout le monde nous regarde à présent.

Miel se laissa faire, grommelant et indiqua la trousse de soins à Apollo qui insista pour s’en occuper. Évidemment, Biscuit se tenait à leurs côtés, la queue remuant dans tous les sens, heureux de reconnaître le fleuriste, mais le gênant plus qu’autre chose. Cependant, cette parade ne suffisait pas pour détourner son attention de la blessure bénigne de la pâtissière. Il prenait tellement de temps, s’assurant trop souvent si l’alcool désinfectant ne lui faisait pas mal et appliquant une crème cicatrisante avec délicatesse, que Miel en soupira d’agacement. Son regard se posa sur l’évier, il était évident qu’en se soignant seule, elle perdrait bien moins de temps. Un pansement simple ne suffisant pas pour Apollo, il banda la main de Miel afin d’empêcher tout contact avec l’extérieur.

— Il ne fallait pas abuser non plus. Ce n’était qu’une toute petite coupure ridicule, constata-t-elle en inspectant le pansement abusif.

— Mais c’est de là que partent les infections généralisées et les amputations ! Il ne faut pas prendre ce genre de plaie à la légère, s’exclama-t-il en rangeant les produits dans la trousse en tissu couleur crème.

Miel roula des yeux.

— Qu’en sais-tu, tu es fleuriste Apollo.

Son ton sarcastique le fit s’offusquer faussement.

— Mais cela ne m’empêche pas d’avoir des connaissances dans un autre domaine que les fleurs ! répliqua-t-il en la suivant à travers la cuisine.

Elle secoua la tête en soupirant, rangeant le bazar causé par sa précipitation précédente.

— Mais dis-moi, comment tu t’es fait ça ? Le couteau a glissé de tes mains ? questionna Apollo en se reposant contre la porte.

— J’ai mis le bras dans la cuve de farine.

Il pouffa subitement de rire, s’esclaffant devant cette réponse qu’il ne pouvait imaginer possible. Il manqua de peu de s’étouffer dans la quinte de toux qui s’en suivit. « Bien fait », pensa Miel.

— Tu t’es coupée avec de la farine ? Sérieusement, tu n’es pas obligée de me mentir, tu sais, je ne me moquerai pas.

Miel s’arrêta dans sa tâche, le bougre n’avait pas tort. Maintenant qu’elle y repensait, elle n’avait pas retiré ce morceau solide de sa farine, elle avait été si surprise de se faire mal, qu’elle n’avait pas réfléchi et l’avait laissé où il était. Cette fois, il était possible que ce corps étranger puisse causer plus dévastateur qu’une simple blessure à la gencive. Elle se saisit de l’objet inconnu retrouvé dans le biscuit et le présenta à son ami.

— Une cliente a trouvé ceci dans un de mes gâteaux, elle a même failli perdre une de ses canines. Lorsque Biscuit a senti son odeur, il m’a mené vers la cuve de farine et quand j’y ai plongé la main pour vérifier, je me suis coupée avec ce que je pense être quelque chose de similaire, expliqua Miel en scrutant le corps étranger dans sa main.

Apollo haussa un sourcil en se penchant pour observer ce qu’elle lui présentait de plus près. Comme cela, il était incapable d’identifier son origine lui aussi.

— C’est bien mystérieux comme affaire. Le plus rationnel serait de fermer boutique pour l’après-midi. Si cette chose se trouve dans tes biscuits et est même présente dans la farine, alors il y a des chances pour que quelqu’un se blesse réellement, indiqua-t-il en passant une main sur son menton.

Le jeune labrador lui sauta presque dessus en entendant son nom, prêt à jouer.

— Je ne parle pas de toi mon grand. Ce nom prête à confusion dans un endroit pareil, ta maîtresse aime les farces, ria-t-il en câlinant le chien.

— C’est justement parce que je travaille ici qu’il s’appelle comme ça, lança Miel avant de retourner en salle, regroupant son courage pour expliquer aux clientes que le salon fermait ses portes pour l’après-midi en raison d’un incident en cuisine.

Elle se trouvait fortement embarrassée de chasser les dames de la sorte, elle s’excusa au moins une centaine de fois, sa peau virant à la teinte cerise à nouveau, fuyant leurs regards et expressions accusateurs. La dernière cliente passa la porte, grommelant quelques mots désobligeants dans son rouge à lèvres. La pauvre pâtissière anticipait déjà d’apprendre les rumeurs qui allaient courir à son sujet à la suite de cet évènement. Elle ne préférait pas non plus penser au comptage de sa caisse, de peur de déclencher une crise de panique sur le tas. Elle secoua sa tête pour chasser ces vilaines pensées, ce n’était pas le moment de ruminer sur tout ce stress. Un profond soupir s’échappa de sa bouche et elle rejoignit son ami fleuriste dans la cuisine pour en finir le plus vite possible avec cette histoire.

— Ce qui t’a blessé se trouvait ici n’est-ce pas ? demanda-t-il en pointant la cuve à farine du doigt.

Miel acquiesça d’un mouvement de menton et l’observa retrousser sa manche avant d’y plonger sa main. Elle s’approcha et croisa les bras.

— C’est inutile de descendre trop loin, c’est en remontant mon poignet que je me suis coupée, il doit se trouver à la surface.

Un silence de plomb régnait dans la cuisine. Le seul qui semblait s’amuser restait Biscuit qui dérangeait les chaises de la salle en poursuivant un petit insecte. Il ne fallut que quelques secondes à Apollo pour retirer sa main couverte de farine, triomphant, un morceau de matière blanche inconnue, long d’à peine cinq centimètres entre les doigts. Lorsque Miel approcha celui trouvé dans le biscuit, ils en conclurent aisément qu’il s’agissait bien de la même chose : un objet d’une couleur blanchâtre presque crème, bien robuste, pointu et tranchant comme s’il provenait de quelque chose de plus grand qui avait été brisé. Ils ne distinguaient pas vraiment d’odeur distinctive et sous leurs doigts, ils pouvaient sentir que la surface était quelque peu texturée, ceci restant pourtant invisible à l’œil nu. Pour s’assurer qu’il ne ratait pas un détail crucial, Apollo colla presque les morceaux de matière à ses yeux. Habile comme il était, Miel était chanceuse s’il ne se crevait pas un œil. Enfin, chanceuse ou non, elle ne souhaitait pas attribuer les premiers soins à un homme en panique, la vision d’horreur ne la dérangeait pas plus que cela, c’étaient seulement les cris et les agissements d’un Apollo en pleine épouvante qu’elle redoutait. Chassant l’éventualité de son esprit, un problème bien plus pratique traversa ses pensées.

— Le souci maintenant, c’est que l’entièreté de mes gâteaux risque d’être contaminée et je ne peux pas me permettre de les laisser à la vente, expliqua-t-elle pour elle-même.

Miel retourna brièvement en salle et revint, arborant un regard triste, avec une plaque en métal recouverte de biscuits aux diverses saveurs entre les mains.

— Tout ce gâchis… Cela me fait de la peine, compatit le fleuriste en s’approchant et en constatant la quantité de nourriture.

Tous deux payèrent un dernier hommage au carnage qui allait avoir lieu sur le plan de travail durant les quelques minutes qui suivirent et Miel brisa le silence.

— Allons-y.

Elle se saisit d’un biscuit, mais avant d’en faire quoi que ce soit, Apollo l’interrompît et lui arracha des mains.

— Je refuse que tu te sacrifies ! Je ne veux pas prendre le risque que tu te blesses en croquant dedans, cela pourrait s’avérer plus sévère cette fois-ci ! s’exclama-t-il de façon brave.

La moue stoïque et quelque peu agacée qu’arborait Miel lui lançait pourtant des signaux déviants. N’était-elle pas sensible à son charme héroïque ?

— Idiot. Je vais les couper au couteau, aucun de nous deux ne va s’entailler la langue juste pour prouver que quelque se trouve à l’intérieur.

Un rire gêné, des joues rougissantes et un regard fuyant conclurent la discussion. La jeune femme se saisit d’une lame de cuisine et entama le dur labeur de réduire chacun des biscuits en miettes afin d’en sortir un potentiel corps étranger. Comme elle s’y attendait, plus d’un tiers des biscuits résistèrent à la lame du couteau, celle-ci se heurtant à un morceau dur. Cette histoire prenait une tournure bien trop étrange pour le cerveau tordu de Miel. La farine provenait-elle d’un lot contaminé à l’usine ? N’avait-elle pas fait assez attention et quelque chose était tombé dans la grande cuve ? Des morceaux de bois blanc ? Rien de ce qu’elle possédait ici ne pouvait résulter en des éclats comme ceux-ci. Mais bon sang, d’où provenaient-ils ?

Elle se triturait tant l’esprit qu’elle s’agaçait férocement de ne pas trouver de solution cohérente. Concentrée dans ses propres pensées pour tenter de faire sens de la situation, elle arrachait la peau entourant ses ongles, de ses dents. Apollo, paniqué de la voir se faire du mal de la sorte, mais refusant de la toucher à nouveau sans sa permission, semblait s’agiter sur place, hésitant sur son action à faire. Cependant, il agaçait encore plus Miel. Pouvait-il cesser de remuer dans tous les sens comme un insecte prisonnier d’une toile d’araignée ? Lorsque ses doigts devinrent trop douloureux pour encaisser à nouveau la torture, perdue dans son esprit, elle se saisit d’un des morceaux de biscuits qui traînait sur le plan de travail et croqua dedans, machinalement. Cependant, elle se stoppa net tandis qu’un relent et un spasme désagréable s’emparèrent de son corps, la forçant à se précipiter au-dessus de l’évier pour cracher peu gracieusement sa bouchée et rincer sa langue à l’eau fraîche. Apollo fut rapide pour accourir à ses côtés.

— Que t’arrive-t-il ? Ils ne sont pas bons ? demanda-t-il, plutôt inquiet.

Miel fronça les sourcils, cramponnée au rebord de l’évier. Jamais ses gâteaux n’avaient goûté de la sorte, se serait-elle trompée dans les mesures, ayant la tête ailleurs ? Non, il était impossible que cela lui arrive.

— Le goût est affreux et la texture est sablonneuse comme s’il y avait des grains. Je ne comprends pas, murmura-t-elle.

Cette incompréhension qui envahissait son cerveau commençait vraiment à devenir désagréable. Miel n’avait pas effectué des années d’études de pâtisserie pour réaliser des desserts aussi pitoyables. Tout le monde lui aurait menti depuis le début ? Ses gâteaux étaient-ils si horribles que cela ? Non, c’était impensable. Impossible que son talent se soit affaissé de la sorte à la manière d’un vulgaire château de cartes, après toutes les félicitations et les compliments qu’elle avait reçus. Son regard se brouillait, ses mains tremblantes se cramponnant fermement au plan de travail. Qu’avait-il bien pu se passer ? Devait-elle mettre la clé sous la porte ? Son rêve de mener une petite vie parfaite pour fuir ses douloureux souvenirs, d’être une professionnelle confirmée dans son domaine de prédilection pour rendre fiers ses défunts parents allait-il s’effondrer lui aussi ?

— Miel ! Réponds-moi !

La voix d’Apollo et les grattements de la patte de Biscuit contre sa jambe lui firent lentement reprendre conscience de son environnement.

— Ce n’est pas de ta faute si tes biscuits sont comme cela, c’est certain. Ils ont toujours été divins, je te l’assure. Tout ira bien d’accord ? la rassura-t-il de son intonation la plus douce, une expression légèrement paniquée, greffée sur le faciès.

Elle le dévisagea avec étonnement. Comment avait-il pu placer les mots aussi correctement sur ses doutes ?

— J’ai parlé à haute voix ? demanda-t-elle, quelque peu troublée.

— Non pourquoi ?

Cet air innocent et naïf parlait pour lui, il ne mentait pas. Elle soupira lourdement.

— Viens, prépare-moi une fournée de biscuits, comme tu le fais normalement, on va voir si quelque chose est différent de d’habitude dans la pâte.

Il n’était peut-être pas aussi stupide qu’il en avait l’air. Après tout, Miel avait tellement l’habitude de préparer sa pâte à biscuit qu’elle se laissait emporter dans les autres mondes de son esprit, se surprenant lorsqu’elle avait terminé le processus. Peut-être avait-elle été assez inattentive pour laisser quelque chose se glisser dans sa fabrication ?

Sous le regard d’Apollo, elle sortit ses ustensiles et réalisa sa recette la plus basique de pâte à biscuit. Cette fois-ci concentrée sur ses actions, elle mesurait ses ingrédients parfaitement et mélangeait soigneusement. Le fleuriste maintenait le chien surexcité qui voulait qu’on lui prête de l’attention en attendant. Et après seulement quelques minutes, elle afficha une mine déconfite, alertant Apollo. Elle avait trouvé le problème. Soulevant son fouet devant ses yeux, au-dessus du bol, la pâte beige s’effila, tirée par la gravité, mais parsemée de milliers de petits grains, dérivant grandement avec la préparation lisse que la pâtissière était censée obtenir.

— En plus de cela, elle est vraiment difficile à mélanger, il y a des tonnes de grumeaux là-dedans. Cela provient obligatoirement de la farine, la pâte était parfaite avant que je l’ajoute, indiqua-t-elle.

— As-tu un autre sac de farine dans ta réserve ?

— Il me semble, oui.

Apollo lava rapidement ses mains et revint quelques secondes après s’être absenté, dans la petite réserve, avec le sac de farine neuf, fraîchement acheté chez le grossiste. Il l’ouvrit et tâta avec délicatesse la poudre sous le regard avisé de Miel.

— Celle-ci semble normale, pas de sensation désagréable ou de morceau dur. Le problème n’est pas dans la farine en soi, quelque chose a été rajouté dans la cuve. Et on sait pertinemment que ce n’est pas toi, conclut-il.

La jeune femme plissa les yeux, se plongeant dans sa réflexion à nouveau, son regard se perdant dans le bol d’acier, profondément dans la pâte grumeleuse de biscuits ratés, son ongle grattant sa lèvre pour en arracher légèrement la peau. Quelque chose ne collait pas dans cette situation, quelque chose de vaguement familier qui ne voulait pas ressurgir de sa mémoire à long terme. Une sorte de souvenir banal, un moment banal dans une journée banale, mais qui l’avait pourtant marquée d’une manière ou d’une autre puisqu’elle avait cette désagréable impression de déjà-vu. Malgré les tentatives infructueuses d’Apollo de l’empêcher de se faire du mal, elle restait prostrée, voulant ramener ce souvenir, l’attraper par la peau du cou et le traîner dans sa conscience. Ces morceaux texturés, blanc cassé, plutôt lisses, mais pointus comme s’ils avaient été brisés, d’où provenaient-ils ? Miel frappa le plan de travail du plat de la main et se retourna d’un coup vers le fleuriste, le regard écarquillé.

— De l’os. Ce sont des bouts d’os. J’ai déjà vu cela quelque part, cela me revient maintenant.

Chapitre 3

Si l’expression « gober des mouches » méritait une représentation, cela serait sous la forme d’Apollo, la bouche ouverte sous le choc et les yeux écarquillés braqués sur le faciès de Miel qu’il dévisageait. Et si les regards pouvaient tuer, celui de Miel aurait déjà commis un acte criminel. Son ami lâcha un rire plus nerveux et gêné que sarcastique. Se permettait-il réellement de se moquer de sa conclusion logique ?

— Des os ? Et pourquoi pas de la cocaïne tant qu’on y est ? Je suis désolé de rigoler, Miel, mais il faut bien avouer que cette idée sort complètement de nulle part. Tu devrais limiter les documentaires et lectures sordides, je pense, lui lança-t-il, un sourire s’étirant sur son visage, sans doute pour se rassurer.

La jeune femme roula des yeux en croisant les bras. Elle se doutait bien qu’il était difficile d’admettre que ces trouvailles pouvaient être des os, mais c’était bien là, la seule explication logique à laquelle elle pouvait penser pour le moment. Miel croyait dur comme fer à son hypothèse.

— J’ai déjà vu cela quelque part, des morceaux solides et tranchants qui forment une poudre qui ne se dissout pas et se mélange mal, cela ne peut être que des os, affirma-t-elle à nouveau en pointant du doigt les corps étrangers retrouvés dans les gâteaux.

Apollo était certes naïf et empli de bonne volonté, il restait ouvert à toute éventualité, mais ne pouvait concevoir celle-ci. Il appréciait beaucoup son amie et voulait la suivre les yeux fermés dans ses plans farfelus, mais de là à croire qu’ils venaient de trouver des bouts d’os ? Il ne fallait pas rêver non plus. Et outre la possible véracité de ses propos, que possédait-elle comme expérience morbide au cours de son existence pour être aussi sûre d’elle ?

— Tu commences à me faire peur Miel. Dans quelles circonstances as-tu déjà essayé de dissoudre des os dans ta vie ? demanda-t-il en s’appuyant contre le plan de travail, faisant abstraction du labrador qui grattait sa jambe pour jouer.

C’était bel et bien une question qu’il pensait ne jamais avoir à poser dans son existence, encore moins à la personne pour qui il avait développé des sentiments. Elle pouffa nerveusement de rire et le regard accusateur d’Apollo s’adoucit, il esquissa même un petit sourire.

Bien qu’ils parlaient d’os contaminant une farine à gâteaux, il pouvait oublier le sujet de discussion et focaliser son attention sur les contours de son visage. Ses joues rebondies qu’il trouvait adorables, ses yeux à la couleur peu ordinaire et à la lueur espiègle et vivace malgré l’expression complexe qu’elle arborait, tout d’elle faisait battre son cœur à la chamade. Son regard dérivait sur son cou, dégagé et charnu, qu’il se surprenait parfois à languir et sur ses lèvres qu’elle teintait tous les matins d’une légère couche de rouge à lèvres. Il était indéniable que si Apollo se retrouvait toujours dans les pattes de Miel, comme son chien Biscuit, c’était parce que son cœur avait fondu en la voyant pour la première fois.

Aussi atypique fût-elle, il mourrait d’envie d’en apprendre plus sur ses passions, ses buts, ses projets, son quotidien. Seulement, Miel était loin de s’étendre sur sa vie dans de longues discussions enflammées. Au contraire, c’était Apollo qui racontait l’entièreté de son existence autour d’une tasse d’infusion lorsqu’elle s’occupait de la maintenance de son salon de thé, ne l’écoutant que d’une oreille. Il s’en rendait compte, mais cela ne l’empêchait pas de revenir, encore et encore, pour profiter de sa présence, espérant apercevoir un sourire sur ses lèvres cette fois-ci.

Cependant, elle le tira hors de sa fantaisie lorsqu’il l’entendit expliquer la raison de sa certitude sur la provenance des étranges morceaux qui semblaient être, pour elle, des os.

— J’ai dû réduire une carcasse de poulet en poudre pour apporter une nouvelle texture à du papier mâché. Lorsque j’ai voulu mélanger la poudre à la colle et à l’eau, le résultat n’était pas bien différent de ma pâte à biscuit, plein de grumeaux et inutilisable. Heureusement que la carcasse était petite sinon je sais que mes canalisations auraient pu être bouchées en jetant le mélange.

Cette attitude réfléchie et songeuse ne le laissait pas indifférent, mais bon dieu, que racontait-elle réellement ?

— Mais voyons Miel, c’est très inhabituel, tu aurais pu simplement jeter la carcasse et utiliser de la farine comme c’est fait lorsque l’on est enfant. Pourquoi des os ?

Apollo fronça les sourcils, septique. Il était bien certain qu’elle n’était pas la responsable de cette affaire farfelue, après tout, pourquoi souhaiterait-elle saboter son propre commerce et lui expliquer les bas-fonds du plan en plus ? Seulement, il ne pouvait s’empêcher de se demander ce qu’il se passait dans sa tête ? Avait-elle toujours eu un esprit aussi différent et déviant ? Cela ne semblait pourtant pas le stopper dans sa quête de rapprochement et de compréhension de la mystérieuse pâtissière. Mais lorsqu’il se pencha vers elle, il fut vite refroidi par son regard stoïque et peu intéressé.

— Je n’ai pas eu une enfance comme les autres. Je n’ai pas appris ce genre de savoirs. J’avais une idée en tête et tant qu’elle n’était pas actée, je ne pouvais pas passer à autre chose. N’essaye pas de comprendre comment je fonctionne, je me pose trop souvent la question moi-même, expliqua-t-elle en soupirant.

La technique de rapprochement d’Apollo ayant échoué, il se décida de la mettre de côté pour le moment. Miel se pencha pour ramasser une balle que Biscuit traînait dans la cuisine et lui renvoya dans la salle.

— C’est étrange de dire ça, mais cela m’étonnerait que cela soit des os de poulet dans ma farine… Je pense que ce sont des os humains, continua-t-elle.

— Comment tu peux en être sûr ? C’est complètement impossible.

Apollo commençait sincèrement à se demander si elle ne vivait pas dans une fantaisie.

— Ces os qu’on a retrouvés sont bien blancs comme les os humains, les os de poulet sont plutôt foncés, comme ceux de la carcasse. Imagine, quelqu’un aurait pu être tué non loin de là et le tueur aurait pu vouloir se débarrasser des restes du cadavre ici, dans ma farine pour que personne ne remarque les os.

Miel expliquait sa théorie avec tant de conviction qu’Apollo aurait gobé ses paroles la bouche ouverte si elle ne parlait pas de meurtre.

— Donc tu penses que quelqu’un se serait introduit dans ta cuisine pendant que tu avais le dos tourné et aurait décidé de disséminer des os en poudre dans ta cuve de farine pour passer incognito ? Mais cela n’a absolument aucun sens, il y a des manières bien plus facile et discrète de faire ce genre de choses, jamais personne n’aurait eu cette idée saugrenue !

— Tu sais, rien n’a vraiment de sens quand on est quelqu’un qui doit se débarrasser d’un corps en premier lieu.

Apollo commençait à comprendre que têtue comme elle était, elle ne se satisferait pas de ses explications rationnelles et logiques et qu’il ne pouvait la contredire, aussi incongrues, ses explications fussent-elles. Il soupira avec lassitude. La pauvre allait se pourrir la santé à se monter la tête de la sorte avec des hypothèses effrayantes comme celle-ci. De son côté, il restait bien plus calme et terre à terre, persuadé qu’il ne s’agissait que d’une erreur de lot provenant du grossiste. Il jeta un coup d’œil à sa montre, saisit les bourraches vieillies que Miel avait conservées de côté pour lui et se dirigea vers la porte de la cuisine, déjà trop en retard dans son travail. Si son patron le surprenait, il était certain d’être viré dans la seconde.

— Je dois retourner à la boutique Miel. Mais ne t’en fais pas, évite de te torturer avec des psychoses sur des idées farfelues comme cela. Je suis persuadé qu’il s’agit simplement d’une erreur de fabrication et que le grossiste rappellera la farine qu’il t’a vendue lorsqu’il s’en rendra compte. Tu n’as pas de soucis à te faire, cela doit sûrement être de la craie ou quelque chose de similaire.

Sur ses mots, il lui offrit un sourire avant de quitter le salon de thé sous le regard du labrador qui aurait aimé jouer un peu plus avec lui. Les yeux de Miel tombèrent sur les morceaux de biscuits. Il était certain qu’elle rêvait de pouvoir faire confiance à Apollo et ne pas s’inquiéter de cette affaire en restant rationnelle, mais la pâtissière ne possédait pas un état d’esprit semblable à celui de toutes les jeunes femmes de son âge.

Déviant, atypique, excentrique voire même tordu ou morbide étaient des termes adéquats pour définir l’esprit à l’intérieur de son corps de poupée. Cet esprit forgé depuis son plus jeune âge et entraîné dans cette voie tout au long de sa vie grâce aux chroniques criminelles surréalistes par lesquelles elle était obnubilée, ne lui permettait pas de se persuader qu’elle se trouvait face à de simples morceaux de craie. Peut-être était-ce cet attrait obsessionnel pour les crimes et faits divers sinistres en tout genre qui la poussait à croire aux pires des scénarios, comme si elle se trouvait, à son tour, dans l’une de ces chroniques ?

Eh bien, si cette cassette n’était pas disponible à la bibliothèque, il était certain qu’il fallait l’inventer. Du moins, Miel pouvait donner une grande somme d’argent pour visionner une enquête aussi prenante et originale que celle-ci. Le souci étant qu’elle avait affaire à cette dernière dans la réalité et que sa propre vie pouvait tourner au cauchemar comme les narrateurs dramatiques de ces émissions aimaient le décrire. Elle soupira un grand coup, elle n’avait pas de temps à perdre avec ces réflexions pour le moment puisqu’elle devait se rendre chez son oncle et sa tante pour prendre le dîner, elle aurait tout le temps d’inspecter les morceaux de plus près et de continuer d’émettre des hypothèses en tout genre dans le confort de sa chambre.

La jeune femme prépara sa caisse avant de la ranger dans ses affaires, embarqua les morceaux d’os enveloppés dans un mouchoir en tissu propre et attacha la laisse de Biscuit à son collier. Sa famille ne résidait pas loin du centre-ville, à environ une vingtaine de minutes et Miel n’avait pas le choix que de sortir son vélo et sa carriole si elle voulait transporter son chien avec elle. La carriole en bois fixée à l’avant de son vélo de fortune avait été confectionnée par son oncle. Mister Andrew Aimée, grâce à la notoriété et le travail de sa femme, pouvait s’affairer au bricolage, au jardinage ou à la cuisine et il était particulièrement doué dans ces domaines. Là où son épouse excellait pour faire de la communauté de Mashel un endroit plus resplendissant et attractif, lui restait un homme calme, peu sociable, mais attentif et manuel. Il ne savait pas vraiment dans quoi il s’embarquait lorsqu’il avait fait les démarches avec sa femme pour adopter Miel à ses quatre ans, cependant, il avait étudié, s’était renseigné pour devenir une meilleure personne et élever une petite fille digne et respectable. Il n’avait pas failli dans sa tâche.

Miel enfourchait alors son vélo après avoir fait grimper Biscuit dans la carriole et avoir fermé le salon de thé. Elle commença à pédaler dans la rue piétonne, mais le jeune chien qui n’avait pas dépensé toute son énergie encore, en décida autrement. Tandis que sa maîtresse s’assurait qu’elle pouvait passer sans déranger les habitants, le labrador sauta de la carriole, percutant, au passage, une jeune femme.

— Biscuit ! Reviens ici ! s’écria sa maîtresse, écarquillant les yeux, descendant de son vélo.

Le chien semblait pourtant ne pas vouloir se séparer de sa nouvelle rencontre dont il léchait les jambes découvertes.

— Tiens, mais tu ne serais pas quelque peu désobéissant toi ? lança-t-elle, un sourire tendre sur les lèvres, caressant la tête de l’animal.

Miel le rattrapa par le collier et le tira en arrière de sorte à laisser de la place à la jeune femme pour se redresser correctement. Elle rougit, confuse, jamais son chien ne s’était comporté comme ceci en extérieur, quelle mouche venait de le piquer ?

— Je suis sincèrement désolée pour ce désagrément. Il est encore jeune, il n’écoute pas trop de temps en temps.

Tandis que son interlocutrice époussetait ses vêtements en riant, Miel put prêter un plus d’intérêt à son apparence. Elle paraissait légèrement plus grande qu’elle, mais pas plus âgée, ses cheveux roux bouclés en bataille donnaient un charme sauvage à son physique, ses yeux verts espiègles perçaient au travers de son âme et les tonnes de taches de rousseur qui parsemaient l’ensemble de son corps lui donnaient cet aspect unique. Elle pouvait même sentir une sorte d’effluve de fleur d’oranger émaner d’elle. Cette fille était l’une des plus belles que Miel ait vue dans sa vie et étonnamment, elle ressentait les battements de son cœur s’emballer lorsqu’elle lui offrit un sourire.

— Ce n’est rien, j’adore les chiens. Vous êtes ? questionna-t-elle en lui tendant sa main.

La pâtissière écarquilla légèrement les yeux tandis que ses joues se teintèrent de rouge, gênée. C’était un honneur pour elle de faire la connaissance d’une personne aussi resplendissante.

— Miel, je tiens le petit salon de thé au coin de la rue… Et vous ?

Elle saisit délicatement sa main, peu sûre de son geste pour elle qui supportait difficilement le contact physique et qui ne comprenait pas grand-chose aux normes sociales. La poigne de l’inconnue la surprit.

— Poppy. Je viens d’arriver à Mashel, j’espère que nous aurons l’occasion de faire plus ample connaissance. Je passerai à votre salon de thé prochainement.

Et dans un autre sourire et une légère caresse sur la tête du chien, elle reprit sa route, laissant Miel quelque peu déboussolée. La pauvre peinait à calmer les battements de son cœur ainsi que sa respiration rapide. Quel charme ! Cette inconnue lui avait directement tapé dans l’œil, renversant son cœur grâce à une tornade qui se nommait Biscuit. Elle dissimula un sourire dérangé qui étira ses lèvres en baissant la tête en direction de son chien, toujours maintenu entre ses jambes, tandis que son visage, complètement rougi, prenait feu. Étonnement, elle avait tout autant hâte de revoir cette intrigante Poppy, que de découvrir l’origine des morceaux d’os dans la cuve de farine. Miel se ressaisit rapidement, chassant ces pensées intrusives de son esprit, elle était suffisamment en retard comme cela, elle allait faire attendre sa famille inutilement. Elle instruisit à son chien de remonter dans la carriole et reprit la route.

Comme tous bons parents, adoptifs ou non, qui n’avaient pas vu leur enfant depuis un moment, l’oncle et la tante de Miel patientaient sur le pas de la porte, attendant de voir arriver le vélo dans l’allée. Ils s’empressèrent d’aller la saluer lorsqu’elle se présenta dans le jardin. Andrew s’occupa de ranger le vélo et de s’assurer que Biscuit fasse ses besoins tandis que Vicky accompagnait sa nièce à l’intérieur pour l’installer à table. Elle s’était inquiétée pour le bandage à sa main, mais la jeune femme l’avait rapidement rassurée sur la pauvre petite blessure. « Cet Imbécile d’Apollo fait paniquer ma tante pour si peu avec ses précautions démesurées », s’indigna Miel intérieurement.

Pour faire plaisir à sa nièce, Andrew Aimée avait préparé son plat préféré, des pâtes bolognaises avec une sauce maison dont lui seul avait le secret et offrait même des friandises en cachette à Biscuit qui attendait patiemment à ses côtés, assis, la queue remuant. Vicky Aimée resservit de l’eau à Miel, affichant une mine plutôt troublée.

— Que t’arrive-t-il ma tante ? questionna la jeune femme, en enroulant les spaghettis autour de sa fourchette, penchant la tête.

Celle-ci soupira, un sourire triste sur le visage.

— Je tenais à m’excuser Miel, de ne pas avoir pu te prévenir pour l’avocat qui s’est présenté à Mashel, je n’ai eu vent de son arrivée en ville que tout à l’heure. Tu sais comment cela se passe avec les documents administratifs de la mairie, comme je n’y travaille plus, je n’y ai plus accès aussi facilement.

La pâtissière savait que sa tante faisait son possible avec les moyens qu’elle possédait pour lui rendre la vie facile et cela consistait souvent à éplucher des centaines de dossiers pour se maintenir à la page concernant les arrivées des nouveaux avocats en ville et ainsi protéger Miel de leur influence nocive sur sa santé mentale. Vicky et Andrew Aimée connaissaient l’enfer qu’avait subi leur nièce et ils s’étaient jurés de lui offrir une nouvelle vie, la plus tranquille qui soit. Et pour tout ce travail, leur enfant adoptive leur était éternellement reconnaissante.

— Ce n’est rien voyons. Lorsqu’il a vu qu’il n’était pas seul dans le voisinage, il ne m’a pas dérangée longtemps. Et puis je vais bien ! Pas d’inquiétude.

À en constater le sourire qu’affichait à présent sa tante, Miel comprenait qu’elle avait vraiment besoin d’être rassurée quant à sa capacité de maintenir un environnement de vie stable et sain pour sa protégée. Le dîner se déroula sans encombre et elle eut même le droit de goûter en avance le flan de son oncle avant d’aider à la vaisselle. Vicky tendit une autre assiette à sa nièce qui l’essuyait précautionneusement, refusant de laisser une seule goutte d’eau entrer en contact avec sa peau.

— Je tenais à te prévenir de suite Miel, mais les concours d’école de droit viennent d’avoir lieu, une nouvelle vague d’avocats fraîchement diplômés va donc voir le jour, et il n’est pas improbable que certains viennent s’installer à Mashel pour avoir le privilège de te rencontrer. Je ferai mon possible pour me renseigner rapidement avant que cela n’arrive cependant, informa-t-elle, souriante.

Sa nièce lui rendit son expression.

— Merci tante Vicky.

Dans la nuit, tandis que Biscuit prenait l’air, la langue pendante, dans la carriole, la jeune femme était pensante. Elle appréhendait l’arrivée de potentiels détracteurs dans sa vie, se faisait mille et une idées sur l’origine des morceaux d’os dans sa cuisine, mais c’était une certaine rousse qui semblait hanter le plus son esprit. À sa simple pensée, son cœur battait presque aussi fort que lorsqu’elle regardait une enquête criminelle, parsemée de détails morbides, et qu’elle ne parvenait pas à découvrir le responsable à l’avance. Maintenue en haleine de la sorte, elle ne savait vraiment pas faire la distinction entre l’excitation d’une affaire rondement menée remplie d’anecdotes gores et sanglantes et l’excitation d’une nouvelle rencontre potentiellement amoureuse. Là était l’essence même de l’esprit tordu de Miel.