Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
"Moi aussi – Du surfait à l’authenticité du soi" fusionne la dure réalité de l'Afrique avec une dose de surréalisme pour narrer le parcours d'un bandit qui trouve finalement sa véritable voie après avoir erré dans les rues. Au cours de cette quête, il réalise que la vie significative est gouvernée par des valeurs essentielles, mais lesquelles sont-elles exactement ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Antoine Foko, animé par une passion pour la condition humaine et imprégné de philosophie, de théologie et de médecine, plonge au cœur des imperfections de la nature humaine. Il cherche à décrypter les normes nécessaires pour parvenir à une humanité épanouie, tant sur le plan matériel que spirituel, en utilisant le roman comme moyen d'expression.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 236
Veröffentlichungsjahr: 2024
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Antoine Foko
Moi aussi
Du surfait à l’authenticité du soi
Roman
© Lys Bleu Éditions – Antoine Foko
ISBN : 979-10-422-1478-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
« Il y a très longtemps, un ancêtre, sur un désaccord au sujet de propriétés foncières, quitta les siens et partit s’installer dans les terres lointaines et inoccupées. Bien qu’avide de richesse, il était dévolu par le sens de la famille. Rien ne devait cependant se mettre entre lui et les siens. Mais en même temps, il n’entendait pas terminer son existence dans la misère d’un dixième discuté par mille. Il savait que la maison paternelle ne pouvait pas abriter tout le monde. »
Le père de Kunkuma n’était qu’un des plus bas serviteurs de la chefferie. Mais cela ne l’empêcha pas de faire preuve de sagesse pour sauver à la fois son désir de richesse et ses liens avec la famille.
Lequel d’entre vous pense encore à la sauvegarde de la famille ?
Vos choix laissent entrevoir la certitude qu’être riche vaut mieux qu’avoir de la famille. Vous piétinez, de la même façon, toutes les valeurs qui ne semblent pas immédiatement se rapporter à vos ambitions.
Kunkuma, pour sa part, avait choisi la vertu et la devise. Parmi les valeurs, il avait trouvé celles qui étaient compatibles à la devise. Il ne voulait pas se laisser anéantir par les conceptions et contraintes minimalistes de son temps. Il partit, en aventure, vers les terres qu’on traitait de dangereuses. On racontait qu’il s’y trouvait des êtres ainsi que des animaux étranges et que, par conséquent, si quelqu’un voulait survivre, il ne devait pas se détacher de sa fratrie et s’y aventurer. Quelle naïveté ! Au long des décennies, ils y ont tous cru, jusqu’au jour où ils se rendirent compte de l’initiative inattendue et audacieuse de Kunkuma. Ils s’étaient tous laissés bernés par les récits mythiques que les parents racontaient à leurs enfants pour éduquer leur sens de l’obéissance, de la solidarité et de la famille.
C’est pourquoi je vous donne raison, jeunes gens, de vouloir repousser les limites de votre existence. Mais sachez bien quelles sont les limites à repousser et quelles sont celles qu’on ne doit jamais repousser.
Depuis toujours, il se posait la question de savoir d’où pouvaient bien venir les commerçants ambulants qui arrivaient au village. Si hors du village on pouvait être autant en danger, ces gens ne devraient pas survivre. Mais à chaque fois, il se heurtait à l’argument de la solidarité. Ils étaient suffisamment nombreux pour résister aux dangers. Ainsi, s’ils résistent aux dangers, c’est donc que ces dangers ne sont pas invincibles.
Quel génie ! Est-il encore un seul jeune capable d’introspection dans ce village ?
Son questionnement le conduisit à croire que quelque part au loin, il existe d’autres terres où les gens se trouvent en sécurité.
Son courage lui donna raison quand, à sa grande surprise, il découvrit, en s’en allant, qu’il existait de vastes domaines non encore exploités et de vastes regroupements de peuples ailleurs. Les gens qui étaient différents d’eux n’étaient pas aussi étranges et cruels. Ils n’avaient certes pas la même langue, et parmi eux se trouvaient quelques colorations différentes, mais leurs différences se respectaient et s’attiraient de temps en temps.
Votre ancêtre était un visionnaire. Il se fixa sur l’une de ces terres et trouva qu’elle n’était pas différente de celle qu’il a toujours connue. Son intention n’était pas de donner naissance à tout un peuple. Il voulait simplement vivre et s’affirmer. C’est de ce désir intense qu’est né le peuple que nous constituons. Notre devise est : travailler, se soigner et aimer. Il n’existe pas d’humanité équilibrée sans passion pour le travail. Mais le travail pour la passion est plutôt un suicide. Voilà pourquoi sa finalité chez nous est de prendre soin de soi-même d’abord et de s’assurer que tous ont accès au même minimum vital que nous. Notre joie de vivre dépend donc étroitement de l’attention portée sur nous qui s’étend jusqu’aux autres. Ne penser qu’à soi est une façon de se tuer lentement, puisque cela nous détache des liens par lesquels l’humanité entière qui est le refuge et le sol de la vie nous transmet cette vie. Ceci dit, nous sommes à la base des êtres solidaires ; tout comme nous portons en nous une âme d’audacieux. Mais peut-on vraiment y croire au vu du comportement en vogue dans ce village ?
Puis-je savoir où est passée votre audace ?
Sans lui, nous serons tous restés prisonniers des conceptions saugrenues qui enferment et étouffent la vie dans des pratiques sauvages et immatures. On en trouve encore quelques-unes par ces temps-ci. Parce qu’il n’y en a plus un comme lui, le village se détériore. Nous n’avançons pas. Ce qui n’avance pas se dégrade, car rien ne se maintient de soi.
C’était toujours par de telles interpellations que le vieil homme qui marqua notre enfance terminait ses récits. On eut dit qu’il ne se préoccupait pas de savoir s’il parlait à des adultes ou à des enfants, car nous n’étions que des gamins. Et Dieu seul sait si malgré nos étourdissements nous en avons tiré quelque profit.
Mais ce n’était pas tellement le souci du vieil homme. Il en faisait plus un passe-temps qu’un métier. À son âge avancé, il ne savait plus rien faire d’autre que parler. Il avait encore la chance d’avoir un peu de force pour ce minimum.
C’était un vieil homme au visage ridé et à l’allure suffisamment amortie qui habitait une case en terre battue, et dont l’architecture était la résultante finale des violents coups de pluie, de vents et de soleil. Il n’est pas certain qu’un ingénieur parviendrait à déchiffrer le mystère par lequel cette case informe restait encore debout. Pourtant elle restait debout, et lui avec. Comprendre le mystère de cette case aiderait, sans aucun doute, à résoudre l’énigme des pyramides d’Égypte.
L’homme était programmé comme une horloge. On savait quel temps il faisait lorsqu’il sortait de sa case et on le devinait encore quand il y retournait. Il n’avait rien oublié des merveilleux moments que la nature leur offrait autrefois. Sa peau avait peut-être vieilli, mais son veston de tous les jours était resté le même. Il n’avait rien à envier aux nouvelles créations si ce n’était l’entretien qui raviverait la couleur perdue sous l’épaisse couche de saleté que sa vieillesse et son indigence avaient fini par normaliser.
Sous son chapeau, se découvrait bien le portrait de l’Africain à la croisée de l’antiquité et de la modernité. Son allure frêle l’avait attaché à une canne qui faisait désormais partie intégrante de son anatomie, tant elle était indispensable pour ses mouvements. Cette allure lui donnait tout l’air d’avoir connu Kunkuma. Personne ne savait vraiment quel était son âge. On racontait que la mort ne voulait pas de lui, car il y avait échappé à plusieurs reprises. Ses merveilleuses histoires, tirées des temps immémoriaux, plaisaient à tous ceux qui passaient par la place publique et interpellaient plus d’un. Il représentait à la fois un monument, une espèce rare et une bibliothèque.
Il était aussi populaire que le président d’une république. Tous l’imitaient comme on imite aujourd’hui les prodiges du cinéma. Il était aimé comme on aime un héros national, et personne ne commençait une cérémonie publique dans le village avant son arrivée. Ce n’était pas de la tyrannie, mais sa présence suscitait de l’admiration. On était tous friands de ses discours et il était friand de nos cérémonies. Ses histoires ne s’étaient jamais usées, à croire qu’il les retapait pour faire bonne impression. Aux mariages comme aux enterrements, elles paraissaient à chaque fois neuves. Le vieil homme aimait la vie et la vie l’aimait.
À cause de son éloquence enrichie de quelques tournures de la langue française, sa réputation dépassait les frontières de notre village. Sa case était une espèce de tour qui avertissait les villages voisins. Sa voix était une sorte de tam-tam qui rassemblait les foules. En réalité, il vivait de la foule. Il se nourrissait de son admiration. Il se plaisait à être au centre des préoccupations, comme s’il luttait contre l’oubli, comme si la terre avait hâte de l’avaler, comme s’il sentait le silence réducteur de la mort, comme si la parole lui permettait de chasser les anges de la mort. Peut-être que nos esprits étaient trop obscurs pour saisir toute l’efficacité du verbe qu’il maniait avec adresse. L’écouter parler donnait parfois l’impression d’avoir affaire à un gibier en fuite. Il avait du mal à croire que bientôt la mort l’engloutirait. Pour cela, il essayait de se prouver qu’il existait toujours, en monopolisant la parole et en s’imposant là où ses forces ne lui permettaient plus d’agir. Il était quasiment impossible de rivaliser avec lui dans une conversation. Il écoutait très peu et se prenait pour un dieu. De toutes ses forces, il s’accrochait ainsi à la vie.
De sa case, située juste en face de la place publique, s’échappait une fumée que le vent se plaisait à caresser. Cette fumée était le signe d’une journée radieuse. Le vieil homme discernait le beau temps comme s’il partageait les secrets de la nature. Il se servait de la beauté de la nature pour envelopper ses récits que tout nouveau venu trouvait extrêmement riches et pertinents. C’est sans aucun doute le caractère non reproductible des journées qui donnait à chacun de ses récits un aspect toujours unique. On estimait, en effet, qu’ils font partie d’une histoire et d’une culture qui manquent à la jeunesse. Mais nous étions de toutes les façons et depuis longtemps même habitués à tous ces récits sur l’origine du village, les secrets de la nature, l’arrivée des colons et des missionnaires, l’indépendance et même la traite négrière. C’était toujours à se demander quel âge ce vieil homme pouvait réellement avoir.
Mais là n’était pas le plus important. La véritable question se situait au niveau de la pédagogie que nous n’avions pas comprise. Ce vieux griot, sans vraiment y penser et en assumant simplement son rôle de griot, de réveilleur et d’éveilleur, nous préparait aux défis importants qui devaient bientôt saturer nos vies. Personne ne lui avait assigné une telle tâche. Cependant, il y tenait comme si c’en avait été le cas. Il faut croire que, plus que de l’obstination à vivre, c’était une vocation, et que la vocation fait partie de l’identité. Ceci de telle sorte que son absence ou son boycott ralentit à coup sûr l’évolution de l’humanité. Sa ténacité dans cet art m’avait donné l’impression que tout homme a une vocation, d’ordre naturel, qui contribue inéluctablement à l’avancée de l’humanité.
De fait, les propos de ce vieil homme n’étaient pas hasardeux, car notre époque était effectivement pleine de défis. Il nous fallait un modèle pour l’appréhender. C’était ce rôle que devait jouer l’ancêtre Kunkuma. Mais le contexte n’était plus ancestral. Nous sortions à peine du gouffre de la colonisation. Après de multiples abus, l’heure était enfin à la reconstruction et à l’émergence. Le pays sombrait dans des crises politiques où s’alternaient crimes et misères. Beaucoup de jeunes perdaient les repères et ne savaient plus vraiment sur quel pied se tenir. Abandonnés à eux-mêmes, ils étaient obligés de se créer des situations stables, quels que fussent les moyens et les débouchés. Les valeurs et les principes ne comptaient plus. C’était l’époque du subjectivisme et du relativisme absolus. Chacun définissait sa norme. On eut dit une jungle. C’est de là que sortaient les brigands des cités.
À côté de cela se battaient des géants qui n’avaient que faire des crises accablantes qui tombaient des luttes acharnées pour le pouvoir. Ces soi-disant héros de l’indépendance, devenus hérauts de la médiocrité, s’entrechoquaient désormais au gré de leur propre accomplissement et contre celui du peuple qu’ils avaient prétendu vouloir libérer. Mais comment notre si vaillant et fier héroïsme a pu se changer en égoïsme ? Étaient-ils toujours les mêmes qui nous faisaient scander des chants de solidarité et d’unité ? Étaient-ils toujours les mêmes qui, autrefois, avaient le zèle poussé pour le bien de la nation et qui proposaient des discours euphoriques, de libération et d’apaisement ? Ils nous ont tourné le dos. Ils ont rejoint l’ennemi qu’ensemble, ils avaient autrefois combattu. Des traîtres s’étaient tirés du lot et avaient assassiné les plus loyaux.
Ces derniers, en effet, faisaient la gloire d’une époque pleine d’espérance. On en entendait parler dans toute l’Afrique. De part et d’autre, se distinguaient des philanthropes qui s’indignaient du traitement infligé à l’Afrique et engageaient leurs ressources intellectuelles et économiques pour défendre l’intérêt commun. Il était grand temps que les Africains soient traités un peu plus que des sauvages et des animaux sans autre chose d’humain que le corps. On avait oublié que dans ce corps, il y avait aussi une dignité et une volonté. La différence de culture ne fait pas des uns des maîtres par rapport aux autres. Mais la différence de culture est le signe de la singularité des hommes. Et c’est à chacun de défendre ce droit, de le défendre de manière à protéger la génération suivante et le peuple auquel il appartient, même si certains hommes doivent y perdre la vie. Voilà ce qui ressortait des discours que nos héros donnaient haut et fort sur les places publiques et auprès des institutions internationales. Ils y allaient de toutes leurs émotions. C’est peut-être cela qui noya leur réflexion, car bien plus tard, tirant des leçons de la liquidation de ces héros, des hommes plus avisés en faisaient une lecture tout autre.
Je ne parle pas de la lecture de ceux qui n’avaient pas le courage de mourir pour la vérité et le bien de la nation, ou de ceux-là qui avaient, malgré eux, accepté de prendre le masque de l’hypocrisie, comme si cela pouvait les tirer d’affaire. Ce sont eux qui ont profité de la confiance du peuple pour le livrer à la merci de l’ennemi. Non, je parle de ceux qui avaient vaillamment accepté de poursuivre la lutte.
Ceux-là estimaient que, dans les propos de nos défenseurs, l’émotion avait occupé une trop importante place, car dans les relations internationales, il y a une façon d’agir qui tient compte à la fois des tactiques de fond, de la sensibilité des formes et des intérêts parallèles. C’est ce qu’ils appelèrent le jeu politique. Malheureusement, nos héros se croyaient dans un monde biblique où la performativité de la parole fonde et règle l’univers. Dans cette naïveté, les Occidentaux les roulèrent copieusement. Ils payèrent de leur vie le prix de la cécité qui entachait l’amour poussé qu’ils éprouvaient pour la patrie.
À partir de leur chute, on entra dans une nouvelle ère : celle de la dictature, d’une nouvelle forme de colonialisme ou encore du colonialisme indirect. Le colon quittait le terrain, mais son siège y restait inoccupé et bien gardé. Les prochains héros allaient être traqués par leurs congénères. Ils menaient des luttes perdues d’avance, car obligés de se cacher et de se cacher indéfiniment.
Mourir pour rien n’en vaut pas la peine. Ils avaient compris que c’était désormais une guerre qu’il fallait mener contre certains des leurs, et que la tactique reposait sur la diplomatie et la subtilité, non sur la violence verbale et les soupçons qui câblaient la plupart des discours libérateurs, vides de tactiques, de prudence et de moyens. Comment pouvait-on d’ailleurs se prévaloir d’un droit d’écoute et d’action quand bien même tous les moyens et le droit de réponse étaient confisqués par l’adversaire ? Le bas peuple ne pouvait qu’être manipulé.
Malheureusement, je ne pus rester longtemps informé de l’évolution des affaires politiques. Le légendaire poste de radio du village, l’unique d’ailleurs, celui qui regroupait le village les soirs, tomba en panne. Nous regrettions l’animation que cela entretenait et le rythme de vie au village changea de ce pas. Il fallait trouver autre chose pour rassembler les villageois, pour meubler les soirées et pour que les vignerons puissent écouler facilement leur matango. Cette allure des choses présageait déjà ce qui allait suivre.
Au village, nous n’avions pas l’impression que la vie devait évoluer. S’il ne tenait qu’aux villageois, on reproduirait les mêmes journées jusqu’à la fin des temps. Mais les exigences liées à la croissance démographique étranglaient ces illusions. Il aurait fallu contre cela que quelque chose retienne la démesure de nos unions.
En fait, on pensait quitter très rapidement les cauchemars de la pauvreté, mais nos héros, en si bon chemin, s’étaient laissé prendre par la peur de mourir et les séductions glorificatrices du colonisateur. Par leur faute, tout le pays est resté dans la fosse. Par leurs erreurs, notre village est resté dans l’errance. À cause de leur naïveté, les leurs et les nôtres doivent maintenant traverser des déserts interminables, sans réserve et sans oasis. Était-ce si beau ce qu’on leur proposât pour qu’ils nous lâchent en si bon chemin et que nos vies tournent au drame ? Pourtant il ne fallait qu’une simple détermination pour chasser une fois pour toutes l’ennemi et faire décoller le pays. L’ennemi ne pouvait pas envahir le pays sans complicité locale, et le décollage ne pouvait pas se faire tant qu’y persistaient des modèles forts de domination, de tricherie et de trahison. Mais c’est peut-être aussi que l’Afrique subsaharienne n’avait aucune chance de se développer avant ou en même temps que les autres peuples. L’homme subsaharien a été parachuté dans des conditions environnementales confortables qui l’ont prédisposé à être la proie des autres peuples.
Il est reconnu que l’agressivité fait partie de la nature humaine, mais certaines conditions peuvent l’exacerber par rapport à d’autres. En regardant les différents peuples, les noirs sont ceux qui avaient les conditions de vie les plus faciles. Cela a conduit à adoucir leur caractère. Par contre, pour survivre, les autres peuples devaient développer plus d’agressivité, à cause du rude climat et de la faible disponibilité des ressources alimentaires.
Lorsqu’on compare la situation de l’Afrique subsaharienne à celle des pays arabes, asiatiques et européens, il est évident que les Africains n’avaient pas à faire trop d’effort pour vivre. Les arabes ont été éprouvés par la dureté du désert, les occidentaux et les asiatiques par le froid et la chaleur. Par contre, l’Afrique subsaharienne est plus douce et par conséquent riche en nourriture. Sa douceur modère les caractères. Ce qui n’est pas le cas ailleurs. Les conditions difficiles ailleurs, tout en échauffant les caractères, limitent l’accès à l’abondance alimentaire et poussent à faire plus d’effort. Ainsi aboutit-on à un niveau d’agressivité et de pugnacité qu’aucun Africain ne pouvait connaitre avant de rencontrer les autres peuples.
Dès lors, au contact de ces peuples, les Africains avaient moins de chance de résister. Les autres avaient déjà développé des techniques de méchanceté plus avancées. Ils étaient animés par une lutte pour la survie qu’aucun africain ne connaissait. Cela avait imprimé dans leur esprit l’idée de la prédation comme moyen de survie. Ce qui leur a donné de l’avantage dans la guerre de domination qu’ils engagèrent tour à tour à travers l’esclavagisme arabe, l’esclavagisme occidental et la colonisation. La guerre se justifie par la jalousie de voir l’autre posséder ce qu’ils n’ont pas et par suite vient l’envie d’arracher, de dominer et de posséder, au lieu de négocier. Les Africains n’avaient pas le degré de méchanceté nécessaire pour réagir en face d’une telle barbarie. S’il y en avait eu, leurs agresseurs auraient fait preuve de retenu. Mais les pauvres Africains étaient loin d’imaginer que de tels comportements pouvaient exister. Avant de le comprendre ils avaient déjà été vaincus. Pas moyen de s’organiser et de renforcer la pugnacité communautaire, le groupe étant dispersé. Il y aura eu quelques cas d’éveil. Mais qu’est-ce que la force d’un individu devant celle du groupe ?
À chaque fois, ils se faisaient dépasser dans l’imagination de la barbarie. À peine sortis de la traite négrière, leurs bourreaux inventèrent une nouvelle forme de méchanceté. Les indépendances proclamées, ils ont eu du mal à constater la nouvelle forme de méchanceté qui allait voir le jour et qui jusqu’aujourd’hui les garde soumis.
Maintenant, que faut-il faire ? Faut-il développer une science de la méchanceté pour empêcher les gens de faire de l’Afrique le théâtre de leur sauvagerie ?
C’est maintenant que l’Africain commence à développer de l’agressivité. Ceci à cause des conditions rendues difficiles par la présence de l’agresseur. Il risque de se faire observer un renversement de situation, puisque les autres peuples sont devenus trop confortables. Ils ont tendance à retrouver la situation initiale de l’Afrique calme, douce et paisible. De l’autre côté, les Africains se sentant de moins en moins en sécurité, risquent de faire preuve, comme les autres à leur époque, de plus d’inventivité dans la méchanceté. C’est peut-être le temps de l’Afrique qui s’annonce inévitablement. Et il n’y aura pas moyen de résister, vu que pour résister il faudra être animé d’un désir de survie plus grand. Ce qui n’animera les autres que si les Africains réussissent à les mettre en difficulté et en insécurité.
Donc si les Africains sont restés mous tout ce temps, au-delà de la paupérisation anthropologique, il peut s’être agi d’un déséquilibre environnemental couplé à l’absence de considération et de dialogue. Aujourd’hui il y a moyen d’éviter la reproduction de la barbarie. Peut-être qu’il faudra inévitablement développer la terreur pour parler comme Fichte, mais avec les moyens diplomatiques que l’on connaît aujourd’hui, il y a aussi la possibilité d’harmoniser les échanges de sorte qu’il y ait équité. La loi de la nature, à travers l’alternance des renversements, semble de fait nous indiquer que le principe de la vie paisible est dans la complémentarité plus que dans la prédation. Il faut échanger, se compléter pour maintenir l’équilibre. Sans doute, pour y arriver il faudra une certaine terreur, car il semblerait qu’à l’heure où les dispositions du conflit sont en place, l’équilibre de la terreur est la seule chose capable d’amener les uns et les autres à dialoguer. À partir du dialogue on en viendra à considérer la bêtise en soi de la violence et la possibilité naturelle de la paix par l’équité dans les rapports et échanges internationaux, peut-être jusqu’à ce qu’il y ait un qui ose déconner et mettre en avant son égo. À ce moment, le déséquilibre engendrera encore le cycle de la méchanceté qui voudra que le moins avantagé devienne le plus brutal et que sa brutalité finisse par neutraliser les égocentriques et imposer à nouveau le dialogue et l’équité.
Assise à quelques mètres de moi, apprêtant le repas du soir, alors que je la croyais absorbée par la cuisine, ma mère se saisit de cette réflexion que je faisais à haute voix et me dit :
Je lui demandais :
Elle répondit :
Pendant qu’elle se détachait pour prendre un peu du bois empilé derrière notre vieille case qui s’effondrait lentement sous le coup des intempéries, je me saisis d’un tabouret pour essayer d’en savoir plus. Elle entra dans la cuisine et quelques instants plus tard, celle-ci se remplit de fumée. Ma mère en sortit les yeux tout rouges et pleins de larmes. Mais on pouvait déjà sentir la chaleur des flammes qui reprenaient derrière elle. Au travers du pagne avec lequel elle s’essuyait les yeux, elle me dit :
Elle fit une pause :