Moi, Sarah - Katla Raphaëlle - E-Book

Moi, Sarah E-Book

Katla Raphaëlle

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Beschreibung

Au sortir de la guerre, Suzanne, dont la violente réalité se noue au rêve, reste prisonnière d’une émotion qui aimerait s’exprimer mais qui ne le peut plus. Aveuglée, cachée, ballottée, meurtrie, l’enfant en miettes devra vivre… Comment faire pour sentir à nouveau son cœur battre ? Comment redonner un élan à cette passion pour le dessin qui bouillonne sourdement en elle ? Mais surtout, comment soigner sa blessure identitaire qui l’empêche de redevenir celle qu’elle est : Sarah.


À PROPOS DE L'AUTEURE


C’est en essayant de comprendre l’histoire vécue par sa famille maternelle et les traumatismes muets laissés par la Shoah que Katla Raphaëlle déchiffre les stigmates identitaires transmis au fil des générations. Ce premier ouvrage, Moi, Sarah, représente la transposition du rêve et de la réalité dans les yeux de l’enfant cachée qu’a été sa grand-mère pendant la guerre.

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Seitenzahl: 92

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Katla Raphaëlle

Moi, Sarah

Roman

© Lys Bleu Éditions – Katla Raphaëlle

ISBN : 979-10-377-9293-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.

À toi papa,

pour m’avoir inspiré

cet incroyable amour

liant une fille à son père.

Je me suis sentie portée…

et tellement aimée :

Merci

Préface

Un texte, un récit qui fait retour sur des évènements douloureux. Un texte de prime abord déconcertant pour l’historienne qui traque les traces géographiques. Mais on se laisse prendre par la musique des phrases, par cette mise en scène qui s’attache aux détails avec des mots particuliers pour chacune des situations. Le poème devient symphonique et met de l’ordre dans le désordre des émotions : la peur, la séparation, l’amour paternel, l’abandon, la culpabilité, la faute, l’attente, l’interdit de futur, le cauchemar récurrent. Allers-retours chronologiques avec des indices posés comme des petits cailloux blancs pour ne pas perdre le fil. « Naître, survivre et mourir », un triptyque d’inégale longueur pour se retrouver. On apprend qu’il existe une petite boîte en fer où l’on peut enfermer les souvenirs trop douloureux de la « vie d’avant » justement pour se permettre d’aller de l’avant : « Tu dois grandir avec le soleil de son souvenir et non avec l’ombre de sa disparition », lui écrit sa mère avant d’être arrêtée, à propos de l’amour de son père. Tu dois vivre, et elle vécut !

Sarah Fajfer, dite Suzanne après la guerre, est la grand-mère de l’auteure. Le récit imaginé colle à la réalité, celle de milliers d’enfants, ballottés, cachés, traqués dès le début de la guerre, emmenés en « zone libre » par l’Œuvre de Secours aux Enfants (OSE), une œuvre médico-sociale juive née à Saint-Pétersbourg en 1912. En l’occurrence, ils vont dans un bel endroit au bord de la mer, « la villa Mariana » dans le Var, une charmante maison dans la verdure qui devient rapidement surpeuplée, puisqu’elle accueille une quarantaine d’enfants de 6 à 14 ans. Sarah n’a pas le temps d’en profiter. Elle n’était pas là lorsqu’on lui a volé son père adoré arrêté lors de la convocation du « billet vert » le 14 mai 1941 comme 3 700 autres jeunes juifs étrangers envoyés à Beaune-la-Rolande ou à Pithiviers, puis à la mort. En revanche, elle était là auprès de son petit frère Henri, emporté par une maladie aussi mystérieuse que soudaine. Elle était là pour s’en occuper et remplacer une mère absente, malade du cœur et qui n’arrive jamais à joindre les deux bouts. L’OSE suit la traque des Juifs, Sarah suit l’OSE toujours plus loin vers la zone d’occupation italienne. Elle va connaître deux autres maisons d’enfants en Savoie, « les Lutins » à Moutiers-Salins, une jolie villa avec un jardin sur la route de Brides-les-Bains, puis « La Chaumière » à Saint-Paul en Chablais. Après la mer, la montagne. Ils sont heureux, les enfants de l’OSE dans ces maisons. « Mais ils riaient le jour et pleuraient la nuit », selon une éducatrice. Et puis un jour, il a fallu se cacher pour de bon, abandonner sa poupée, oublier son vrai nom, cacher que l’on est juive. Heureusement, il y a le dessin et ce fut son fidèle compagnon avant, pendant et après la guerre. Elle est en sécurité, la toute jeune fille aux cheveux courts et au regard volontaire, comme les quelque 2000 enfants cachés dans le réseau Garel, le circuit clandestin de l’OSE. Elle est chez une veuve de guerre de l’Isère et s’appelle désormais Simone Fabert. L’errance s’arrête là, mais reprendra après la guerre.

Reconstruire une communauté en lambeau, réparer la misère sociale, telle est la mission de l’OSE après la guerre. Elle est en capacité d’ouvrir 25 maisons d’enfants. Sarah arrive dans l’une d’entre elles à Ferrière-en-Brie chez les Rothschild. Le décor est grandiose mais la réalité différente, tout manque sauf la vermine. Elle connaîtra ensuite Corbeville, Champfleurs, Le Vésinet et Saint-Germain-en-Laye, quatre maisons en quatre ans, difficile de faire mieux. La jeune fille est de plus en plus volontaire, avec ses longues nattes, elle regarde devant elle et veut mordre à la vie. Sa mère est toujours vivante, mais vit dans une chambre d’hôtel. L’OSE accompagne Sarah jusqu’à son mariage en 1952. Elle a tout juste 20 ans.

Katy Hazan, historienne à l’OSE

« Survivre

Ne pas mourir lors d

un évènement qui aurait pu être mortel

 ;

Demeurer en vie après une autre personne ;

Vivre encore après la perte de ce qui était important dans sa vie ».

1

« Suzanne ! Réveille-toi ! »

Je me redresse sur le petit lit qui m’a été aménagé dans un coin de la grange, près de ceux des autres enfants.

J’ouvre les yeux difficilement, mes cheveux me collent au visage, et je sens encore l’empreinte d’un coussin sur ma joue gauche, chaude et endormie.

J’écrase une mèche longue et bouclée derrière mon oreille et enfouis ma tête dans ma poupée chiffonnée.

« Vite ! Il faut partir ! »

Je suis bien, comme ça, le nez dans la douceur plissée et rassurante de ma poupée.

Je la serre fort. Je ne veux rien d’autre que continuer à dormir. Je referme les yeux… voilà… si je me replie suffisamment sur moi-même, je parviens à ne plus les entendre.

J’arrive à ne plus entendre les cris, les secousses, les pleurs.

J’arrive à ne pas sentir le froid et les mouvements agités autour de moi.

« N’emportez rien ! On n’a pas le temps ! »

Je suis à présent assise au bord du lit.

« Mais enfin Suzanne, dépêche-toi ! »

Mes pieds nus touchent à peine le sol, ce sol irrégulier recouvert de paille.

Ils dansent lentement en dessinant des cercles dans cet air chargé d’angoisse.

Je les balance doucement.

Je crois que j’ai froid aux pieds.

Je crois qu’il me faut me lever, mais pour cela je vais devoir ouvrir les yeux, et je ne veux pas.

Je ne veux pas voir l’agitation nerveuse des adultes ni la peur dans les yeux des autres enfants.

Je ne veux pas voir l’obscurité tumultueuse de l’intérieur de la grange et surtout pas la nuit du dehors, celle qui me terrorise.

« Nous partons ! Ne vous arrêtez pas ! »

Je descends du lit.

La paille sèche blesse mes pieds encore maladroits.

Je sens que quelqu’un boutonne précipitamment mon gilet de laine. Je resserre mon étreinte sur ma poupée.

« Allez Suzanne, allez ! »

Je sens une main qui me pousse dans le dos.

Je sens une main qui attrape la mienne, cette même main qui serre ma poupée.

Je ne vois rien, pourtant j’ai ouvert les yeux.

Ai-je ouvert les yeux ?

Il fait noir, je vois des jambes qui courent devant moi.

Je vois mes pieds nus qui courent. Je vois cette main qui serre la mienne.

Je vois ma poupée qui danse dans la nuit.

Je vois des boucles blondes qui collent à mes yeux, à mon visage. J’y sens ma respiration chaude.

J’ai mal aux pieds.

« Suzanne, ne t’arrête pas, continue ! »

Je vais y arriver, ce n’est pas la première fois que je dois courir sans m’arrêter, même si c’est dur, même si les cailloux sous mes pieds me blessent, même si tous ces cheveux n’arrêtent pas de me venir sur le visage, dans la bouche, même s’il fait nuit et que mon seul repère sont ces jambes qui courent devant moi, même si j’entends des bruits assourdissants dans mon dos, même si cette main qui tient la mienne je ne la connais pas, même si j’ai peur, et même si je ne m’appelle pas Suzanne.

« Tu dois suivre les autres Suzanne ! Tu ne dois pas t’arrêter ! »

Non, je ne m’arrêterai pas.

Je vais suivre les autres.

Une main encourageante impulse un doux mouvement dans mon dos.

« Ne t’arrête pas ! »

Je suis seule, la main inconnue a lâché la mienne. Ma main est vide.

Je n’ai plus ma poupée, ma douce poupée moelleuse et chiffonnée. Elle n’est plus dans ma main. Je ralentis, je me retourne, elle gît au sol, quelques mètres derrière moi.

« Ne te retourne pas ! Suzanne, cours ! »

Je me retourne encore et je la vois. Elle est là-bas, allongée dans l’herbe.

« Suzanne, tu dois suivre les autres ! »

Désarticulée sur le sol…

Je me retourne une dernière fois, et la vois, désarticulée sur le sol. Elle est toute petite à présent.

Elle est tombée et je dois continuer.

C’est donc ainsi… je l’abandonne, dans l’herbe, toute seule.

Je ne sens plus mes pieds, je ne sens plus mes jambes.

Je ne sens que mon chagrin qui vient perler sur le rebord de mes yeux.

Tout était sombre et à présent tout devient flou : les jambes qui courent devant moi, mes pieds qui apparaissent l’un après l’autre, ma chemise de nuit qui flotte au-dessus de mes genoux, mes cheveux qui fouettent mes joues et balayent mon dos…

Même la nuit devient floue.

Elle était là, tout contre ma tempe, je frottais mon nez dans le tissu doux et usé, j’y entendais ma propre respiration, ma main l’a serrée, si fort, puis l’autre main l’a emprisonnée, et elle a dansé, accompagnant ma course, et elle est tombée, seule, et je n’ai pas pu m’arrêter de courir, entendant sans cesse la voix qui criait « Suzanne, cours ! Ne t’arrête pas » !

Des larmes silencieuses roulent sur mes joues et vont mourir dans ma bouche essoufflée.

J’entends toujours cette voix, j’entends toujours les secousses derrière moi et les vibrations sourdes.

Depuis combien de temps suis-je en train de courir ? Je me retourne et ne vois plus rien, ni la grange au loin, ni ma poupée, pas même les arbres et les champs que nous avons traversés.

Tout est noir.

Encore.

Et puis plus rien, tout paraît calme. J’ai chaud.

2