Mom, sweet mom - Amélie Borgese - E-Book

Mom, sweet mom E-Book

Amélie Borgese

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Beschreibung

« Des traumas ? Tout le monde en a. À la différence que les vôtres ne décident pas de débarquer chez vous à l’improviste, avec leur valise et la ferme intention de s’installer. Et cela n’a rien d’une métaphore. Entrez dans une course-poursuite où se mélangent passé, présent à peine présent, futur, mais antérieur ou intérieur. La quête perdue d’un passé qu’il faudrait recomposer. L’héroïne ? Maman, trentenaire… Et, en parallèle, l’enfant en elle qui court après ce qu’elle n’a jamais eu, et l’adulte qu’elle est devenue, fuyant celle qui ne lui a jamais fait ce don précieux qu’est l’amour maternel – ni aucun autre, d’ailleurs. Elles se mélangent, se dissocient, se dégoupillent le cœur, sous les yeux d’une petite fille. Celle-ci observe depuis son âge. Elle est bien dans le présent, elle, et nous le rappelle, au milieu de tout ce joyeux bordel : c’est quand même l’heure du goûter, et ça, c’est important. “L’humour est l’élégance du désespoir.” Ce roman célèbre cette phrase. Mais pas que. L’humour, magnifiquement irrévérencieux, et un désespoir vertigineux se percutent : Ça va vite. Ça claque. Ça rythme. Ça se déglingue. Ça se redresse. Ça nous vertige. Ça nous chavire. » Claire Gompertz, psychologue

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Amélie Borgese est auteure et dramaturge. Avec une plume vive et mordante, elle explore les liens familiaux avec autant de sarcasme que de tendresse. "Mom, sweet mom" est inspiré d’un univers à la fois intime, grinçant et profondément humain, où l’humour devient un outil de survie face aux blessures du passé.

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Seitenzahl: 196

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Amélie Borgese

Mom, sweet mom

Roman

© Lys Bleu Éditions – Amélie Borgese

ISBN : 979-10-422-7601-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Pour Romane

Chapitre 1

Toc toc

Ce matin

J’aime bien les surprises. Ce sont les surprises qui ne m’aiment pas.

C’est ce que je me suis dit quand j’ai vu le PV sur mon pare-brise, quand j’ai ouvert la caisse du chat et quand ça a toqué chez moi. Ça se sent, ces choses-là.

Un frisson me parcourt le dos : Ce doit être le facteur avec un recommandé que je ferais mieux de m’abstenir de signer. Ou peut-être bien que je me fais livrer un de ces achats compulsifs, de ceux dont t’as tellement besoin que quand ça arrive, tu ne sais même plus ce que c’est : « Oui, tu sais de quoi je parle, ô toi qui commandes sur Wish ou AliExpress tout un tas de trucs chinois dont tu ne te serviras sans doute pas. » Qu’importe, je prends une grande inspiration et ouvre la porte.

Elle se tient là, debout sur mon paillasson, aussi bon marché que mensonger et portant la mention « Welcome ».

Une valise à ses pieds, un pot de fleurs à la main et ce qui ressemble à un sourire, collé sur son visage. J’ai le palpitant qui monte à 10 000 et la vue qui se brouille. Tout compte fait, je ne suis pas contre l’idée de signer un recommandé. Quelqu’un aurait-il eu la bonne idée de mettre un bouton « Reset » sur les journées mal commencées ? Si Grand Créateur il y a, il n’est pas développeur, je puis vous l’assurer.

Mais c’est bien ma mère qui est là, juste devant moi. Et avec elle, 25 ans d’angoisse. Moi, j’en ai 33. Ça tient dans une valise tout ça ?

Je claque la porte.

Un réflexe, je ne sais pas. Ça m’a pris comme ça, comme quand le médecin nous met un petit coup de marteau sur le genou. Sauf que là, c’est mon cœur que ça secoue.

Il se trouve qu’aujourd’hui je ne bosse pas, chose assez rare pour le souligner. J’ai décidé de m’accorder une journée « Je prends du temps pour moi », parce que j’ai vu passer un article dans mon fil d’actualités. Paraît qu’il n’y a rien de mieux pour se ressourcer, pour ouvrir ses chakras, pour se recentrer. Ils disent même qu’un peu de méditation permettrait de prendre du recul sur la vie, de mieux aborder les problématiques rencontrées… Y en a même qui en profitent pour jeûner. Perso, j’avais plutôt prévu de méditer devant Netflix, avec un paquet de chips entamé.

Alors autant dire qu’absolument rien ne saurait gâcher cette journée. Non, vraiment rien. Et puis de toute façon c’est pas possible, j’ai dû rêver. Ça fait des années que je ne lui ai pas parlé.

J’ai un petit rire nerveux, et la main toujours crispée sur la poignée.

Toc toc.

— On n’est pas là.
— Ma puce…

Tous mes poils se hérissent, et Dieu sait que j’en ai. Tiens, ça aussi c’est sa faute. Encore une bonne raison pour ne pas la laisser entrer.

La situation est des plus cocasses, vous en conviendrez. Mais ça y est, mon cerveau s’est enfin allumé, et j’ai une idée : « Je vais mettre du Scotch, on ne sait jamais. Je file dans la cuisine et ouvre le tiroir de la honte », celui qui contient des piles, des ampoules, des euros, des boutons de vestes égarées, des biscuits périmés, une chaussette, des timbres, du Doliprane et, miracle, du Scotch marron.

Me revoilà donc devant la porte. Elle recto, moi verso-ascendant bélier. Et sccccccrrrrrriiiiitch, je déroule le Chatterton, le découpe avec les dents, et le colle sur le Judas. Et voilà, un problème de réglé ! Haha ! Ce n’était pas si compliqué. Je m’en retourne vaquer à mes occupations, lorsque :

— Ma puce… Je sais que tu es là… Note pour plus tard : « Changer de paillasson. »

Merde, merde, merde. Elle a décidé de camper. Que ferait MacGyver dans cette situation ? Fabriquerait-il un arc au moyen d’un cintre et d’un lacet ? Se lancerait-il dans la confection d’un dispositif explosif en jetant un Mentos dans une canette de Coca bien fraîche ?

Walker, Texas Ranger aurait quant à lui sans doute décoché un de ses coups de pied dont il a le secret. Une fois la porte dégondée, l’ennemi aurait pris la fuite et le générique se serait lancé. Mais pas un héros à l’horizon. Je suis bel et bien seule avec moi-même, et ne peux définitivement compter que sur la fraîcheur de ce mois de novembre pour la faire décamper. Plan Hibernatus activé.

Certains y verront à n’en pas douter un comportement immature. Et force est de constater que ce n’est pas parce que je ferme les yeux que je suis cachée. Ce n’est pas parce que je fais l’autruche que les problèmes vont s’envoler. Et ce n’est pas parce que je mets du Chatterton sur le judas que ma mère va s’en aller. Deal with it.

Alors je vais attendre. Peut-être bien que si je ne bouge pas, elle partira.

J’ai vu ça dans Jurassic Park. À danger équivalent, cela vaut la peine d’essayer.

J’entendrais presque son souffle rauque à travers la porte en PVC. Va-t-elle tout arracher à coups de dents pour finir par me dévorer tel un petit agneau innocent jeté en pâture à une bête affamée ?

Crrrr Crrrr Crrrr.

Oh mon Dieu, elle gratte à la porte ! C’en est fini de moi, je…

Ah mince, c’est le chat. Qu’il est con celui-là. Quatre jours qu’il n’est pas rentré et le voilà qui se pointe.

Ne paniquons pas. Théoriquement, elle ne lui fera aucun mal. Primo parce qu’elle ne bouffe que des trucs Bio depuis 15 ans – et autant dire que le greffier est plus chimique que le glyphosate du champ d’à côté – secundo parce que son truc à elle, c’est de torturer ses enfants.

Je me fous à quatre pattes, et tente de communiquer avec l’animal (celui avec la moustache), par le petit espace entre la porte d’entrée et le plancher.

— Attaque ! Attaque !

Je crie-chuchote et au passage, bouffe un mouton et deux feuilles mortes. Et cet imbécile de chat qui ronronne. Me voilà face à un dilemme : « Le greffier m’a coûté une fortune en véto. Hors de question que je laisse 575 euros sur le palier. »

Note pour plus tard : « Rebaptiser le chat. » Note pour maintenant : « Ouvrir et affronter. »

Enfin bon, ça mérite tout de même réflexion. Je décide de prendre du recul, et fais donc un pas en arrière. Pour bien comprendre ce qui est en train de se jouer, il faut savoir que mon arbre généalogique est plutôt du type Bonzaï. À croire que quelqu’un s’est appliqué à en couper les branches pour faire des boutures bizarres.

Résultat, il reste un petit tronc, quelques moignons, et à n’en pas douter, une tentative de croisement avec un chêne, si l’on en croit mes liens de parenté avec un ou deux glands.

En ce qui concerne ma mère, il m’est aisé d’en dresser le tableau. De ceux qui ne finissent pas au Louvre, mais plutôt dans les cauchemars des enfants… 1 petit mètre 57, chétif et pâlot. Des cheveux raides et foncés, des lunettes de sorcière sur le bout du nez, et un style : « Je suis toujours jeune et branchée », dans mon jeans taille 36, parce que je suis taillée comme un haricot. Pour ce qui est de sa psychologie, je dirais que cette dernière a tenu son rôle quelques années. Sans grande conviction certes, mais avec l’abnégation nécessaire à qui veut se faire payer son loyer. Elle nous éleva, ma sœur et moi, mais pas trop haut. Jusqu’au jour où le job de femme au foyer lui parut encore plus ennuyeux que les épisodes de Derrick qu’elle s’obstinait à regarder.

Elle libéra donc mon père de ses obligations, négocia enfants et pension, et s’en alla trouver du réconfort dans les bras d’un cycliste.

Les années passèrent, aussi similaires que les étapes du tour de France, jusqu’à ce qu’elle nous renvoie chez notre géniteur, lasse de ne pouvoir vivre égoïstement.

Tu cherches de l’amour maternel dans ta région ? Envoie ta mère au 8 12 12.

C’est à compter de ce jour que je décidais de vouer ma vie à la détester. C’est une passion comme une autre, et je dois avouer qu’avec le temps, je me suis mise à exceller.

Pleine de courage, je rouvre la porte. Le chat en profite pour entrer, et fonce vers la cuisine. Je lève les yeux sur elle. Je la trouve frêle. Pâle. Vieille. Bien pire que dans mon souvenir. Si c’est ça ma madeleine de Proust, elle est sacrément ratatinée. Et souriante. Tout porte à croire que le T-Rex est content. Je jette tout de même un coup d’œil, afin de m’assurer qu’elle n’a pas les restes de quelqu’un d’autre entre les dents.

Mais comment ose-t-elle venir chez moi ? Et puis d’abord, comment a-t-elle trouvé mon chez-moi ? Je reste immobile tel un phasme sous Lexomil, ce qui la contraint à engager la conversation.

— Ma puce…
— Tu veux quoi ?
— Je peux entrer ?
— Non.
— Il fait un peu froid… Et il faut que je te parle.
— Mets un pull et appelle-moi.
— Tu ne décroches jamais…
— Laisse un message.
— S’il te plaît…

C’est dingue ça. Même les témoins de Jéhovah sont moins insistants ! Et eux, au moins, ils te proposent un bouquin.

J’ai du mal à rassembler mes idées. Je la laisse sur le palier ? Je la fais entrer ? Je n’arrive pas à réfléchir : « Tout va trop vite, tout se bouscule dans mon esprit et puis… » J’ai envie de pisser. Si j’ai les yeux embués, c’est parce que je vais déborder.

À défaut de me décider, je tourne les talons sans un mot, laissant la porte béante, et m’enfuis à l’étage. Une fois dans les toilettes, je m’enferme à double tour.

Désorientée, je reste là, assise, la culotte en tire-bouchon sur les chevilles, à pleurer. Ce sont des larmes de colère, contre moi-même, qui n’ai pas su me décider.

Je me mouche dans le papier toilette triple épaisseur, en me disant que je ne ressortirai sans doute jamais. La prochaine fois j’éviterai celui à l’Aloe Vera, je suis à deux doigts d’étouffer.

J’entends la porte du bas claquer, et les roulettes de sa valise sur mon parquet. Je me rhabille à la hâte, non sans jeter un coup d’œil dans le miroir. Mon mascara a coulé, on dirait un panda. Cela dit vu ma tronche, même la WWF ne me sauvera pas. Cette fois-ci, on y est. Elle est bel et bien là. Pourquoi je n’ai pas laissé cette foutue porte fermée ?

Un peu sonnée, je m’assois sur le tapis de bain Ikea Toftbo, 9,99 euros, celui que tout le monde a. Et alors que je me torture l’esprit à chercher comment m’échapper de chez moi, j’entends soudain ma bouilloire siffler.

Mon sang ne fait qu’un tour. Elle n’a quand même pas cru qu’elle allait s’installer ?! Pas le temps de nouer des draps et de sauter par la fenêtre comme dans les dessins animés. Je dévale les escaliers et déboule dans la cuisine, prête à exploser.

Calmement, elle se tourne vers moi :

— Je me suis fait un thé. Je t’en sers un ?

On peut dire qu’elle trouve rapidement ses repères dansune cuisine. OKLM, elle a pris mon mug préféré. Celui avec écrit « Youpi Matin » et la photo de Didier Bourdon en cuisinier, en train de se couper la main. Je fais non de la tête. Et ses mots de me revenir à l’esprit : « J’ai beau être matinal, j’ai mal… » Une phrase d’une grande sagesse et à mon sens, tout à fait appropriée.

Alors que je n’ai rien vu venir, car trop absorbée par mes futiles pensées, elle approche ses doigts de mon visage… Je me fige.

— Tu as un bout de papier toilette…

J’ai un brusque mouvement de recul. Je la déteste.

Elle arrive à me rendre ridicule dans une situation qui ne devrait pas l’être. J’ouvre et ferme la bouche plusieurs fois, comme un poisson.

— Tu veux quoi ?
— On devrait peut-être s’asseoir…

Elle n’est jamais directive. C’est même plutôt l’inverse. Elle a cette petite voix fragile, presque à s’excuser de respirer. Mais c’est un leurre, je le sais. À tous les coups, son pot de fleurs, c’est du Sumac vénéneux et elle va tenter de m’empoisonner.

D’un signe de la tête, je lui désigne une chaise à la table de la cuisine. Hors de question qu’elle pose son cul malhonnête sur mon canapé.

Elle s’installe, alors que je la dévisage sans bouger. Lentement, elle approche sa bouche de ma tasse fétiche, et souffle sur son thé.

Note pour plus tard : « Acheter un nouveau mug ou arrêter le café. »

Le silence est pesant, mais il ne lui faut pas longtemps pour venir le briser. C’est ce qu’elle fait de mieux, vous me direz.

— Ma puce, Hervé m’a quittée.
— Bien fait.

Bon, en vrai ça je l’ai juste pensé. Face à mon mutisme, elle poursuit :

— Je n’ai nulle part où aller. Ta sœur est toujours en Sicile et mes petits revenus ne me permettent pas de me reloger.
— Trouve-toi un nouveau mec.

Ça par contre, je l’ai dit, bien que certaine de ne l’avoir que pensé. C’est quand j’ai vu sa tête que j’ai compris. Elle balaie d’un revers de la main ma brillante intervention, et poursuit son laïus.

— Ce ne sera pas long. Le temps que je puisse m’organiser. Je me ferai discrète, je ne voudrais pas empiéter sur ta vie privée.

Ma vie privée ? Haha ! C’est la meilleure celle-là. Ça fait des années que je n’en ai pas, et tout ça, par sa faute. Une peur viscérale de l’abandon qui m’empêche de construire une relation. Au point que quand le chat ne rentre pas, j’imagine qu’il a trouvé une autre famille, que je ne suis pas assez bien pour lui ou pire, que j’aurais dû lui acheter du Sheba.

On est bien d’accord qu’il est hors de question que je lui dise tout ça. Je cherche une excuse.

— Je n’ai pas vraiment de place. Et je n’ai pas le temps de m’occuper de toi.
— Mais je n’ai pas besoin qu’on s’occupe de moi ! Moi, par contre, je peux m’occuper de toi.

Je peux m’occuper de toi.

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Je ne suis pas contre l’idée d’un bon « mieux vaut tard que jamais », mais faut quand même pas pousser mémé dans les orties. Et ce, même si elle les bouffe en salade.

Car si les plantes étaient des enfants, je dirais qu’elle n’a jamais vraiment eu la main verte. Et tout comme t’oublierais d’arroser ton ficus alors que tu pars 3 semaines en vacances à la mer, bah elle, elle oubliait de nous remplir le frigo quand elle se barrait 3 jours avec un furtif « grand amour » pour s’envoyer en l’air.

La situation aurait été fort confortable si ma sœur et moi avions eu la majorité – et suffisamment de bières et de potes pour organiser une méga soirée – mais nous n’avions alors qu’une dizaine d’années, et un appart’ en HLM qui ne laissait que peu de place pour danser.

Pas même de quoi faire un moonwalk entre la télé et le canapé.

Rafraîchir la page.

Alors que notre échange prend une tournure des plus cauchemardesques, mon téléphone se met soudain à sonner. Je l’attrape dans mon sac à main, et m’éloigne pour décrocher.

C’est l’école : « Ma fille a de la fièvre, il faut que j’aille la chercher. Je retourne dans la cuisine. »

— Je dois y aller. Claque la porte en partant et n’oublie pas ton Sumac.
— Mon quoi ?
— Ciao.

Chapitre 2

La dame

J’ai récupéré Cha. Elle est un peu fiévreuse, mais dans l’ensemble ça va. Disons surtout que la joie de manquer l’école une journée est plus efficace qu’un Aspégic dans de l’eau sucrée. C’est beau d’avoir cinq ans.

Alors que je roule en direction de la maison, nous échangeons quelques banalités, telles que l’histoire de Théo qui a mangé une crotte de nez, ou encore de la dame de la cantine qui sent bizarre. Absorbée par ce récapitulatif fort détaillé, j’en oublie presque la venue – ou devrais-je dire déconvenue – de ma chère mère.

Du coup, je me demande si en partant, la vieille a laissé son foutu pot de fleurs chez moi. Si c’est le cas, il va falloir que je le jette en arrivant, pour que la petite n’y touche pas. Prise de panique, je me gare brusquement sur le bas-côté. Pour ce qui est du clignotant, on repassera.

— Maman, pourquoi on est arrêtées ?
— À cause de la plante verte.
— D’accord.

J’attrape fébrilement mon portable et lance une recherche « Sumac vénéneux » :

Dans les cas les plus graves, cette éruption peut se développer en formant des zones cutanées remplies de liquide, extrêmement douloureuses et gonflées.

Bah voyons. Et si le chat en mangeait ?

Et me voilà en train de me faire un film, imaginant ma progéniture découvrant son sac à puces étalé au milieu du salon, raide comme un bâton.

Je redémarre en trombe et me dirige vers chez moi comme investie d’une mission.

Une fois arrivée, je me gare devant l’entrée, attrape le cartable, et passe en premier. Un peu comme dans les films policiers, quand les gars du FBI ouvrent une porte du bout de leur lampe torche, alors que tout est déjà éclairé.

J’ouvre donc la voie, quand soudain, mon sang se glace. D’une main, je maintiens ma fille à l’extérieur. La scène qui se dessine sous mes yeux est encore plus effroyable que je ne l’avais envisagé :

Le chat est en vie. Ma mère aussi. Et surtout : Elle est toujours ici.

Alors que je reste comme pétrifiée, Cha se glisse sous mon bras et entre dans l’appartement. C’est sa voix qui me ramène à moi.

— Regarde maman ! Y a la dame !

« La dame. » C’est comme ça que j’ai présenté ma génitrice à ma fille, sur les rares photos où elle se trouvait. Sans jamais en dire du mal, encore moins du bien. Mais utiliser le terme « Grand-Mère » me semblait aussi inapproprié que d’appeler « Papa » un simple tabouret.

À dire vrai, je n’ai jamais caché à Cha l’existence de sa grand-mère. Mais la distance m’offrait une parfaite excuse pour ne pas avoir à justifier le fait qu’elle n’ait pas plus d’occasions de la rencontrer. N’ayant par ailleurs pas ressenti de manque flagrant, d’aucun des deux côtés, je me suis dit qu’on ferait sans, jusqu’à ce que la petite soit suffisamment grande pour que j’aie à m’expliquer.

Ma fille est ravie, nous avons une invitée. Et comme elle a oublié d’être bête, elle s’approche de ma mère avec un grand sourire en lui disant :

— T’es ma mamie !

Note pour plus tard : Acheter un congélo.

En attendant, il faut que je reprenne le contrôle de la situation. Je ne laisse pas à ma mère le temps d’entamer la conversation.

— Qu’est-ce que tu fais encore là ?
— J’ai préparé à manger pour ce soir, il n’y aura plus qu’à réchauffer.

Tout s’éclaire. Elle est bel et bien venue pour m’empoisonner. Non pas avec du Sumac, mais avec du Tofu. 15 ans qu’elle s’est mise à bouffer des graines. Des trucs bio qui ressemblent à de la terre. Des plantes pour la digestion, des feuilles pour le transit et des herbes contre les troubles urinaires. La vioc, c’est un magasin Botanic à elle toute seule. Mais il est hors de question que je me mette au vert. Au verre à la rigueur… Mais pas le temps de cogiter.

Sa veste encore sur le dos, Cha débarque, un puzzle 75 pièces moins, 2 à la main.

— Mamie, tu joues ?
— Non mamie ne joue pas. Elle s’en va. Et toi, demain, tu vas aller à l’école, t’as pas l’air si malade que ça.
— La petite est malade ?
— Non, elle n’est pas malade.
— Mamie, j’ai un rhume.

Au secours.

— Je vais lui faire une camomille avec un peu de miel.
— Non tu ne vas rien lui faire du tout. C’est ma fille. Ma bouilloire. Ma maison.

Cha s’interpose.

— Moi j’aime bien la tisane au miel. Et je suis contente que mamie soit venue nous voir. En plus elle a amené des fleurs !

Je l’intercepte juste à temps, alors qu’elle tend sa petite main vers le Sumac Vénéneux.

— Ne touche pas ça !

Je me tourne vers ma mère.

— Toi, tu prends ta valise et ton buisson, et tu montes au premier. Y a un Clic-clac. Je t’accueille une nuit, c’est tout.

Elle attrape sa valise et sa plante verte, monte les escaliers et disparaît. Je m’affale sur le canapé, déjà épuisée par cette journée. Ce soir on mangera à MacDo, au moins, elle n’essaiera pas de s’incruster. Cha me regarde d’un air interrogateur, puis décide finalement de jouer seule avec son puzzle.

J’ai le ventre vide et le cœur lourd.

J’ai beau réfléchir, je ne saurais même pas dire quand tout a commencé, tant cette colère envers ma génitrice semble ancrée. C’est comme si elle et moi, ça ne pouvait de toute façon pas marcher. Une incompréhension flagrante, aucun point commun qui aurait pu nous rapprocher. Pire qu’un date Tinder raté. À mon souvenir, elle a toujours été nulle comme mère. Elle n’a jamais fait le taf, n’a jamais su nous aimer. Je dis « nous », car elle n’a pas fait mieux avec ma frangine, ça, je le sais.

Couper les ponts semblait la seule solution pour me sortir de ce bourbier. Et le pire dans tout ça, c’est qu’elle n’a jamais tenté de changer la situation, ni même de me rattraper. Tu t’en vas ? Okay.

Mais la voir débarquer aujourd’hui, me demandant de l’aider, me pose un véritable cas de conscience.

J’aurais dû me douter qu’un paillasson « Welcome » ce n’était pas une bonne idée…