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Au large de Miami, la croisière comptant douze passagers sur un catamaran avait débuté dans une ambiance festive. Seulement, lors d’une nuit particulièrement arrosée, une dame disparaît par-dessus bord. Les premiers indices relevés par le skipper font naître des soupçons sur l’un des voyageurs. Toutefois, il n’est pas toujours aisé de rendre la justice quand la frontière entre la culpabilité et l’innocence est ténue et quand l’intime conviction n’est pas une certitude. Saura-t-on démêler l’écheveau et trouver le coupable ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Président du jury du prix littéraire national Fondcombe, récompensant les auteurs méconnus et publiés par des petites maisons d’édition, depuis 2016,
Dustin Coldwell signe ici son huitième roman, un huis clos maritime à travers une croisière pour le moins houleuse.
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Seitenzahl: 247
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Dustin Coldwell
Mon fil rouge
Roman
© Lys Bleu Éditions – Dustin Coldwell
ISBN : 979-10-377-6539-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À Jennifer et Clara,
Un livre est un long voyage, un aller simple d’écriture solitaire.
Si le lecteur s’égare, le livre aura perdu tout son sens.
S’il peine à le refermer, l’auteur se sentira moins seul.
Dustin Coldwell
À mes lecteurs,
Tous les personnages et évènements décrits dans cette histoire ne sont que le pur produit de l’imagination de l’auteur. Toute ressemblance avec des personnes ou des évènements existants ou ayant existé ne pourraient être que dans l’imagination du lecteur.
Brownsville, le 1er juillet 1993
Songez un seul instant à la vie d’une enfant dans les quartiers d’une ville américaine, marquée par les stigmates de la pauvreté. Une bien triste destinée avait été infligée à Brownsville. L’image de ses bidonvilles lui collait à la peau. Située à la frontière, au sud de l’État du Texas, la cité avait été construite à proximité de Matoros, une autre ville mexicaine. Elle est traversée par le Rio Grande, curieusement étroit à cet endroit. On pourrait aisément le franchir en trois enjambées mais des clôtures de trois mètres de haut empêchent les migrants de forcer ces limites. Pourtant trois ans auparavant, un déluré d’origine mexicaine avait, au prix de sa vie, osé embarquer sa femme et sa fille vers ce qu’il pensait être le monde libre. Un pas vers l’eldorado, vers des cités d’or. Ce héros, aux yeux de Kate Sanders, sa fille, venait d’être embauché en qualité d’ouvrier dans des mines de schiste. Il est vrai que dans cette région frontalière, près de 80 % de ces gens ordinaires sont d’origine mexicaine. Marcos Sanders y avait fait l’acquisition d’un lopin de terre, vendu illégalement par des propriétaires terriens sans scrupules. Il y avait construit en dur ce qui pouvait s’apparenter à un mobil home, destiné dans ses rêves à devenir un havre de paix familial. Seulement, l’argent manquait tant pour toutes ses finitions.
À côté de tous ces bidonvilles, la famille Sanders faisait figure de potentat. Sauf que la demeure familiale n’avait rien de particulièrement enviable.
Marcos avait pris soin de clôturer sa propriété, un signe apparent qui se voulait d’aisance. Puis il avait planté un portique comprenant des arceaux, une balançoire ainsi qu’une corde à nœuds.
C’est pour le moins curieux, cette coquetterie, quand d’autres travaux bien plus prioritaires vous tenaillent. Le jeu, pourtant empreint d’humilité, était très jalousé par les gosses de la rue du quartier. Très adepte de musculation, Marcos avait coutume de se livrer à des exercices d’entretien physiques, alliant ainsi les plaisirs de sa fille avec ses propres envies.
La frontière vivait constamment dans les tensions soutenues par le trafic de drogue, l’immigration illégale, le travail clandestin. Des plus lointains souvenirs que Kate puisse avoir de cette période de son enfance, elle se souvient d’un père bien trop souvent absent. Instable par nature, plutôt rustre, il se montrait dépourvu detendresse à l’égard de sa fille tout comme envers sa femme.
La rudesse de cet homme contrastait avec son physique très latino, aux travers séducteurs. Kate, de son regard d’enfant, était subjuguée par l’angélisme du visage de son père Les sous-entendus d’Emma, son épouse, une femme courageuse, en disaient long sur la fidélité de son mari. De même qu’elle dénigrait ses postures envers la gent féminine d’une manière générale.
Kate éprouvait des difficultés à comprendre toutes ces subtilités, ces antagonismes qui sont l’apanage du monde des adultes.
Les pupilles d’une enfant de cinq ans, au cœur d’une période œdipienne, sont dans l’incapacité totale d’en discerner l’origine. Avec ses couettes ficelées par des élastiques de fortune et ses bottes rouges, Kate jouait souvent toute nue dans son jardin avec une certaine insouciance. Plutôt solitaire et loin du tumulte urbain, elle boudait souvent les rigoles des trottoirs. Ces lieux pourtant mythiques, dans lesquels les enfants pauvres du quartier s’adonnent à des jeux de billes ou d’osselets.
Les jours d’averses intenses, assombris par des ciels jaunâtres et plombés de cette chaleur lourde, elle entendait leurs cris. Elle mettait un point d’honneur à ne pas se lier à leur jeu. Non par refus de mimétisme mais simplement qu’elle exécrait ce jeu stupide. Il consistait à s’arroser mutuellement, à vouloir sauter dans d’énormes flaques d’eau comme une forme d’artifice aquatique et singulièrement hystérique.
Ces fortes ondées sont abondantes dans cette contrée du Texas où le climat subtropical humide déclenche parfois des averses violentes. Oui, Kate tentait toujours de fuir ces cris, de ceux qui vous dévastent la tête. N’éprouvant pas d’attirance particulière à se mêler à ces gosses un peu incontrôlables, elle se repliait dans une forme de solitude sans pour autant chavirer dans la misanthropie.
Ce type de jeu avait fini par l’agacer, se désolidarisant des filles de son quartier. Elle vivait difficilement leur façon de se laisser arroser par des éclaboussures un peu boueuses, déclenchées par des garçons au visage terreux, voire crasseux. Ils prenaient un malin plaisir, pour ne pas dire sadique, à provoquer tous ces cris hystériques. Ces jeux manigancés par de petites canailles avaient souvent l’inconvénient de se terminer par de copieuses engueulades parentales, à la vue de leurs vêtements en loques.
Kate, du haut de ses cinq ans, avait pris de la distance par rapport à ces échauffements et leur préférait un copain ou deux qu’elle invitait pour partager son jardin. Avec l’aide d’Emma, sa mère, elle rassemblait des chutes de différents tissus avec lesquels elle pouvait confectionner des déguisements. Ils lui permettaient de s’adonner à des saynètes, son divertissement favori, avec les enfants de son choix qu’elle avait repérés dans la cour de l’école primaire du quartier de Cameron Park.
Kate aimait cultiver ces séquences qu’elles voulaient théâtrales, un espace de rêvasseries, contrastant radicalement avec son environnement social passablement misérable.
Dix mille habitants s’étaient ici agglutinés dans des constructions modestes mais bien séparées des bidonvilles. On les appelle dans cette région les colonias, une forme de regroupement citadin permettant de fuir les lieux de pauvreté, grâce à l’éducation scolaire et si possible universitaire.
Ils appartiennent à des minorités qui font presque figure, à cet endroit, de privilégiés dans ce paysage de misère. Cette communauté mexicaine de Brownsville est, qu’on ne s’y méprenne, désargentée. La plupart des autochtones vivent ici avec moins de treize mille dollars par an, soit un seuil avoisinant le seuil de pauvreté.
Marcos, très instable sur le plan professionnel, s’était forgé une petite vie. Elle lui ouvrait une liberté d’agir à sa guise grâce à son statut d’intérimaire. Elle lui permettait, en marge de son job de circonstance, de se livrer à de petits trafics en tous genres, loin de ses devoirs d’éducation qu’il avait délaissés à sa femme.
Emma ne pouvait compter que sur elle-même pour éduquer Kate et lui permettre d’accéder à une instruction, digne de pouvoir sortir de la misère sociale.
Elle ne se montrait pas dupe des économies cachées que son mari amoncelait avec ses expédients un peu louches, jusqu’à ce jour tragique, imprimé dans la mémoire de Kate à tout jamais.
C’était un après-midi particulièrement radieux. La fillette comptait bien profiter de la présence exceptionnelle de son père. Elle n’avait eu de cesse de lui demander de la pousser sur la balançoire. Les cris des sales gosses de la rue avaient disparu au loin laissant place à un crissement métallique assourdissant du tube droit de la balançoire.
Ce bruissement mécanique, au demeurant agaçant, résonne encore dans les oreilles de Kate comme le rythme froid et autoritaire d’un métronome. Ce jour-là, Emma ne lui avait pas tissé ses tresses habituelles, de sorte que ses longs cheveux lui caressaient les joues au gré des coups de vent jusqu’à lui inonder le visage, à en fermer les yeux pour mieux se laisser bercer.
Il est des séquences furtives de notre enfance que l’on n’oublie jamais, comme ces images ou ces senteurs, voire ces sons qu’on imprime pour l’éternité au fond de sa mémoire. Notre cerveau est comme tatoué d’une manière indélébile par de tels évènements, sans pour autant être des chocs psychologiques. Ce sont souvent nos refuges de la pensée, nos petits jardins secrets que nous cultivons quand nous traversons certains spleens. Kate savourait ces instants exceptionnels et son papa lui avait réservé, à elle toute seule, ces moments délicieux.
Mais sans raison apparente, Marcos s’était arrêté subitement de pousser la balançoire, laissant seule sa fillette dans son mouvement de va-et-vient. Kate n’avait pourtant pas crié cette forme d’abandon, subite et un peu inattendue. Elle était restée prostrée sur ses cordes, sans voix, les yeux hagards.
Dans ses lointains souvenirs, elle revoit encore mais d’une manière assez floue, la silhouette de dos de son héros se dirigeant vers le mobil home et marchant à pas feutrés comme un voleur voulant échapper à ses poursuivants. C’est la dernière image de son père qui lui reste en mémoire.
Il allait disparaître de sa vie à tout jamais à un âge où une enfant a encore tant besoin de se blottir dans les bras musclés de son père pour la protéger.
Emma lui expliquera deux jours plus tard que son père, en traversant la rue d’en face, avait été fauché mortellement par un chauffard qui ne sera d’ailleurs jamais identifié. Sa mère lui racontera, vers ses dix ans, qu’à cette époque elle avait perdu l’usage de la parole pendant quelques mois, littéralement hébétée par la tragédie qui l’avait frappée. Tout s’était déroulé avec une telle rapidité et une brutalité indicible.
Kate avait accumulé ensuite un retard scolaire qu’elle ne rattrapa que sur plusieurs années. Se muant ainsi en une élève passable aux résultats médiocres, elle demeurera longtemps une jeune fille démotivée par la scolarité.
Vers l’âge de dix-huit ans, elle finit même par décrocher, se retrouvant ainsi sans diplôme. Dans un tel univers si opaque, elle s’était toutefois découvert un certain don naturel à l’écriture. Kate avait à cœur de tenir un journal intime dans lequel elle aimait retracer le décor de sa vie et celle des autres, tout en s’intéressant aux faits de l’actualité quotidienne.
On a tous gratté quelques lignes dans notre jeunesse, parfois le cœur brisé, tantôt pour oublier tantôt pour ne pas oublier. Mais toujours avec une certaine pudeur qu’on n’ose partager tant on se juge si ridicule. En exprimant son opinion sur tous les thèmes sociétaux, elle se découvrait sans le savoir encore, des aptitudes et des prédispositions au métier qu’elle allait devoir choisir un peu plus tard.
À la suite du décès de Marcos, Emma rencontra assez vite des difficultés matérielles l’obligeant à faire des ménages chez des familles fortunées de Brownsville. Avec son chignon peigné de cheveux cendrés, son teint blême, et son dos voûté, sa silhouette peinait à masquer le visage de la misère. La situation s’aggravant vers les treize ans de Kate, celle-ci commença de sa propre initiative à entreprendre des petits boulots en marge de sa scolarité.
Ils révélaient chez cette adolescente un peu écorchée vive, une propension à la débrouillardise. En tout cas, ils présentaient l’avantage d’améliorer significativement l’ordinaire. Elle avait réussi à se créer un petit réseau de particuliers qui voyaient d’un bon œil d’aider cette jeune fille méritante. Un jour le lavage de voitures, un autre destiné aux personnes âgées pour des tâches domestiques, voire des courses dans les grands centres commerciaux, des petits boulots qui allaient devenir de fil en aiguille le lot quotidien de Kate.
Ce nouveau mode de vie avait fini tout de même par gêner sa propre mère, embarrassée de laisser transparaître une image parentale pouvant être mal interprétée par des services sociaux.
Un différend s’était installé sans le vouloir entre la jeune fille et sa mère. Ce point épineux s’inscrivait dans une période un peu tourmentée de son adolescence. Kate avait mal réagi, estimant répondre à ce que lui dictait tout simplement sa conscience.
Sa vie intime se résumait en tout et pour tout à deux amourettes dont l’épilogue avait été quelque peu frustrant. Elle avait eu le sentiment d’avoir été manipulée par de jeunes garçons qui visiblement n’avaient que la jouissance sexuelle pour seul objectif.
Le dernier en date, un certain Amonso, l’avait particulièrement blessé sur le plan sentimental. Le garçon s’était comporté brutalement ne sachant pas très bien comment prendre soin d’elle, un peu comme s’il avait eu entre ses mains une sorte de vase fragile qu’il eût un peu fêlé.
Au point qu’un jour, différent des autres, elle était rentrée au domicile familial en courant, les larmes aux yeux, après avoir accompli sa journée dans un travail précaire.
Puis, trouvant porte close elle s’était rendue chez Sarah, une amie de sa mère. Celle-ci l’avait retrouvée dans la chambre située au deuxième étage, debout sur le rebord de la fenêtre, prête à se jeter dans le vide. Sarah n’avait pas hésité un seul instant à risquer une dernière chance pour sauver la vie de la fille de son amie. Cette tentative de défenestration était survenue à l’époque, dans un contexte de forte tension entre Emma et sa fille, à la suite d’une révélation fracassante.
À force de dénier la version accidentelle et mortelle de son père, Kate avait fini par se convaincre qu’on lui cachait la vérité. Elle n’avait aucun souvenir d’avoir participé aux funérailles de son papa. C’était donc bien la preuve qu’il était encore vivant. Et ce matin-là, Emma lui concéda qu’elle lui avait donné cette version dans le seul but de la protéger.
La disparition de son père résultait en fait d’un véritable abandon. Il avait quitté le domicile conjugal laissant conjoint et enfant pour une escapade aventureuse avec une autre femme, pour le moins sulfureuse.
Le mensonge avoué sur le tard par Emma n’avait eu d’autre dessein que celui de préserver sa fille d’un traumatisme psychique inévitable. Emma avait tout simplement omis que onze ans après, la douleur de sa fille pouvait tout aussi bien ressurgir avec d’intenses souffrances. Sarah en franchissant le seuil de la chambre où Kate s’était réfugiée, avait eu un mauvais pressentiment à son égard, celui peut-être que la jeune fille pouvait passer à l’acte.
Tout en parlant, Sarah n’avait pas manqué d’avancer de pas-à-pas, très lentement et d’une façon imperceptible. N’écoutant que son cœur, elle lui tendit ses bras ouverts d’une manière maternelle et salvatrice. Le geste était très risqué et irréfléchi. C’est pourtant cette réaction spontanée qui permit à Kate de renoncer au scénario du pire en se retournant vers celle qui venait par hasard de lui sauver la vie. Nul ne sut vraiment en définitive, si le geste désespéré de Kate venait d’une déchirure sentimentale ou d’un sentiment d’abandon paternel.
L’adolescence porte parfois en son sein des jeunes dont la souffrance n’est pas toujours perceptible et qui se cachent un peu comme les oiseaux pour mourir. Leur silence n’est pas toujours bien décodé par le monde des adultes, aveuglé par le flot du quotidien.
Lewisville, quinze ans après
Kate venait de fêter ses vingt ans avec ses amis, dans son appartement situé à deux miles du Journal. Autant dire tout près du siège social. Depuis deux ans, elle accumulait des jobs sans intérêt et sans certitude du lendemain. Souvent des remplacements de maternité. Un jour caissière dans un grand centre commercial, livreuse de pizzas un autre jour, des jobs alimentaires qui commençaient à la désespérer.
Elle exprimait le besoin impératif de s’épanouir dans un travail motivant et si possible évolutif. Elle avait adressé son curriculum vitae à ce Journal non sans hasard, en se documentant sur son histoire. Prenant soin de rassembler des renseignements sur la politique des ressources humaines et sur les résultats financiers de l’Entreprise. Elle n’ignorait pas qu’en se rendant à ce rendez-vous avec ce rédacteur en chef, elle allait subir une batterie de questions qui n’auraient qu’un seul but : celui de mesurer ses capacités d’engagement dans une Entreprise dans laquelle elle aurait à s’investir.
En discutant à parité avec celui qui serait peut-être un jour prochain son patron, elle sentait bien qu’elle aurait à le convaincre, en sachant vendre son profil de personnalité.
Il ne manquerait pas de cerner ses véritables motivations et ses aptitudes à s’investir dans son Journal, et celles d’accepter un job en attente d’autres évolutions.
Kate s’interrogeait tout de même de savoir ce qui avait retenu l’attention de son interlocuteur sur son curriculum vitae. De toute évidence, l’absence de parcours diplômant n’avait pas constitué un obstacle. Elle se dit qu’elle avait dû savoir mettre en exergue des éléments séduisant son lecteur. Il lui restait à le découvrir à l’occasion de cet entretien.
Celui-ci avait été fixé la semaine suivante, ce qui lui donnait un peu de temps pour s’y préparer et notamment en réalisant quelques emplettes. En passant devant une vitrine de vêtements féminins, elle avait eu un coup de cœur pour une robe noire, discrètement échancrée. Une vendeuse, bonne conseillère, l’avait convaincue que sa silhouette s’en trouvait plus galbée sans être provocante pour autant. Elle prolongeait son corps longiforme et collait bien à son corps d’où chutaient ses longs cheveux noir ébène et scintillants. En complétant son fard d’un mascara discret et d’un rouge à lèvres carmin, elle aspirait au paraître d’une femme mature et distinguée. La vendeuse lui fit la remarque que cela mettait en valeur ses yeux bleu émeraude.
Kate s’était fait la réflexion que le temps était venu de prendre une revanche sur sa vie végétative, accentuée par le fait qu’elle avait quitté sa mère depuis un an, suite à une grave discorde. En s’amourachant d’un gars qui n’en valait pas la peine aux yeux d’Emma, elles s’étaient bêtement fâchées, C’est le genre de quiproquo stupide qui se conclut par la séparation de deux êtres qui s’aiment. Une confrontation d’égotismes ne mesure pas toujours les fractures des cœurs qui vont en découler. À en souffrir bêtement, chacune dans son coin de solitude.
Elle n’avait aucune nouvelle de sa mère mais ne cherchait pas non plus à en obtenir, partagée entre l’idée de faire un pas et celle d’attendre qu’Emma tente de la reconquérir.
Kate caressait l’espoir que sa mère lui adresse quelques signes d’amour ou même mieux le lui dise de vive voix, subodorant un appel, en quête profonde de sentiments maternels.
Elle en voulait à sa mère pour son égocentricité mais pas au point de prolonger cette séparation idiote et stérile. En reprenant contact par le truchement de Sarah, elle songeait qu’il serait alors possible de renouer des relations normales. Il lui appartenait d’établir le premier pas après avoir terminé ses entretiens de recrutement. Dotée d’un emploi stable et sérieux, elle imaginait pouvoir ainsi reconquérir sa mère et la convaincre que sa fugue avait été salvatrice.
Le jour du recrutement tant attendu ne tarda pas à arriver après une longue impatience. Elle se rendit à pied au siège du Journal. L’atmosphère printanière lui offrit l’opportunité de gonfler ses poumons pour contenir son stress. En respirant à rythmes réguliers, elle revisitait dans sa tête les gestuelles et les répliques souhaitables qu’elle aurait à tenir.
Vous conviendrez avec moi qu’il est des séquences cruciales dans notre vie où on a le sentiment que notre destinée est en train de se jouer. Celle d’un entretien de recrutement en fait largement partie, car il conditionne tout le reste. Sans travail, votre banquier refuse d’accompagner vos projets et votre environnement ne vous rend plus crédible et ne vous accorde plus la confiance attendue.
Parvenant à l’entrée principale du bâtiment qui abrite le Journal, Kate fut attirée par une inscription affichée au fronton : La vie et la liberté dans l’État de l’étoile solitaire. En levant les yeux au ciel, la hauteur de l’édifice en pierre de taille l’avait troublée jusqu’à ressentir un spasme de vide absolu.
Une fois le grand bureau d’accueil laissé sur sa droite, il lui fallut poursuivre son effort pour traverser un long couloir qui menait à la salle de rédaction. Curieusement elle s’attendait à de multiples bureaux cloisonnés alors qu’elle avait devant les yeux un vaste open space. Un très grand plateau paysager, peuplé d’ordinateurs et de bureaux individuels, s’étirait à perte de vue.
Au fond, on avait isolé les bureaux de la direction, celui du rédacteur en chef, et une salle servant de Comité de rédaction. Une jungle de matériels informatiques, de fax, de télex, de téléphones et photocopieurs s’entremêlait avec des plantes artificielles, les unes plus grandes que les autres. Le nombre de paperboards était ahurissant ; il était le signe apparent d’une forte communication entre les équipes. Et au milieu de toute cette logistique, des bureaux individuels avaient été disposés en L qui emboîtés formaient un carré. Des sourires forcés, des regards en coin, accueillaient cette jeune recrue dans une ambiance pour le moins tiède et inamicale.
Il régnait une ambiance confuse, des sonneries de téléphones mélangées à des froissements de papiers, et des voix qui manifestement se superposaient pour pouvoir s’entendre. L’atmosphère un peu maussade contribuait à retenir son souffle, une impression désagréable à éprouver un manque d’oxygène, accentué par la conception de ces bâtiments climatisés en open space.
À son passage, Kate ressentit des regards insistants et désagréables de certains hommes de la rédaction sur sa silhouette, témoignage gênant d’un sexisme exacerbé.
Tandis qu’elle traversait souriante le plateau, les femmes lui renvoyaient des expressions de visages dénués de sympathie, et de nature à s’interroger si sa venue n’allait pas leur faire de l’ombre.
Grosso modo, le Journal disposait d’une bonne cinquantaine de collaborateurs, sans compter les équipes techniques annexes au plateau paysager.
Kate avait repéré le bureau de George Killian qui semblait occupé avec un journaliste. Elle attendit cinq bonnes minutes la sortie du visiteur, pour frapper à son tour à la porte et pour pouvoir se présenter.
Celui avec lequel elle allait devoir jouer son sort avait bien l’âge que sa voix téléphonique lui prêtait. Cet homme au physique mature, décoiffé pour paraître plus jeune, était habillé dans un style décontracté. Il portait un jean bleu tenu par une ceinture et une chemise bleue au col italien. Il l’avait laissée ouverte laissant apparaître une discrète chaîne en or, très fine. Après avoir retroussé ses manches à son arrivée, il lui lança un sourire commercial. Kate avait ressenti cette gestuelle presque comme un premier défi. Au premier abord, il se donnait un genre pour se rendre sympathique mais sa touche dominante tournait autour de la séduction. Certes, il avait des atouts physiques qui le lui permettaient.
Avec son allure décomplexée, presque désinvolte, il s’était autorisé à allonger ses pieds sur son bureau. Une posture qui ne peut qu’inférioriser une jeune postulante en quête d’un emploi.
Dès son arrivée et sûrement doté d’un certain savoir-vivre, l’homme se redressait pour venir la saluer, en lui serrant avec une certaine condescendance une main franche.
La jeune candidate au recrutement manifesta visiblement une certaine gêne vis-à-vis du regard insistant de son interlocuteur. Ce dernier n’avait pas manqué de la déshabiller de la tête aux pieds, un peu comme un maquignon scrutant du bétail sur une foire.
Ce n’était pas sans hasard puisque Kate apprendra plus tard que George Killian avait été élevé dans un ranch texan. Ce qui lui valait d’avoir conservé des habitudes d’éleveur peu enclin aux civilités urbaines.
Fils unique, il avait été éduqué essentiellement par sa mère qui l’adulait, au point d’avoir aggravé son narcissisme qui de prime abord se dégageait de lui à la première impression.
— Je ne vous cacherai pas, Kate, que vous êtes trois candidates sur les rangs de ce poste. Votre CV m’a bien plu. Vous n’avez pas de diplôme en documentation mais votre culture générale, votre goût pour la photo et vos aptitudes littéraires sont un atout qui vaut bien un diplôme.
L’allusion l’avait quelque peu décontenancée, même si cela avait été dit avec le sourire : à se demander si c’était le but recherché ou si cela faisait partie de la personnalité de son interlocuteur.
George Killian s’était donné une semaine de réflexions pour statuer sur son choix définitif. L’entretien, assez bref finalement, ne serait pas complété par d’autres vérifications.
La jeune candidate avait vécu une attente insupportable aggravée par le fait qu’elle allait subir un autre choc psychologique.
Sarah l’avait appelée en urgence et elle avait dû se rendre à son domicile pour une triste nouvelle. Emma s’était éteinte à la suite d’une maladie incurable.
Kate apprit que sa mère, pendant un an, priait en vain chaque jour de pouvoir revoir sa fille. Avec cette information tardive, elle s’autoculpabilisait d’autant de n’avoir pu assister à sa fin de vie. Elle était décédée d’un cancer foudroyant et Sarah avait reçu instruction d’Emma de ne pas prévenir sa fille.
La volonté de la défunte avait été de ne pas l’avertir, préférant la revoir sur une initiative spontanée. Le lendemain de ses obsèques, Kate reçut un appel téléphonique de George l’informant que sa candidature avait été finalement retenue. Sur le coup, cette bonne nouvelle n’eut pas l’effet positif auquel on aurait pu s’attendre.
Elle était à mille lieues de songer que son début de carrière dans le journalisme allait être rapidement marqué par un évènement qui bouleverserait son corps et sa vie, un peu comme on marque le bétail dans un ranch texan. Il est des traces qui font presque plus mal dans sa tête que dans sa chair.
Six mois plus tard
Kate avait traversé un parcours professionnel jonché de quelques difficultés d’intégration. Non pas tant en raison de son métier qui se résumait à chercher des images sur la toile, pour illustrer des textes. Il exigeait un simple savoir-faire pour bien surfer sur l’ordinateur et mettre en adéquation sa culture générale avec les besoins de l’Entreprise. Avec un peu de curiosité, de goût et de flair, le niveau requis était rapidement atteignable. Elle avait réussi, en dépit d’a priori défavorables, à tisser de bonnes relations professionnelles avec certaines de ses collègues.
C’était un peu plus compliqué avec la gent masculine. Il régnait au Journal une atmosphère et une ambiance qui n’étaient pas toujours très saines, voire délétères. Des luttes intestines étaient apparues, souvent après la sortie annuelle du nouvel organigramme.