Monette - Marie Perrot - E-Book

Monette E-Book

Marie Perrot

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Beschreibung

Tissé de récits poignants et habité par des personnages authentiques aux teintes éclatantes, cet ouvrage vous plonge dans l’intimité vibrante d’une famille ouvrière modeste, à l’aube prometteuse des Trente Glorieuses. Monette, petite âme en quête de sa place, navigue entre les tumultes et les tendresses d’une fratrie débordante de vie, où rires, larmes et espoirs s’entrelacent en un ballet d’émotions. À travers un regard empreint de douceur, ce récit saisit l’effervescence d’une époque, sublimée par la poésie et l’innocence de l’enfance.

À PROPOS DE L'AUTRICE

Marie Perrot a grandi au sein d’une fratrie de quatorze enfants. Sa vie professionnelle, riche en expériences variées et en voyages, lui a offert l’opportunité de découvrir le monde sous de multiples facettes. Elle consacre désormais son temps à ses passions pour la nature, la littérature et l’écriture. Amoureuse de la vie et dotée d’un talent remarquable pour inventer et raconter des histoires, elle publie son premier ouvrage, "Monette ou La difficulté d’exister au sein d’une famille très, très nombreuse", qui reflète la sensibilité et la richesse de son univers.

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Seitenzahl: 182

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Marie Perrot

Monette

ou

La difficulté d’exister

au sein d’une famille

très, très nombreuse

Nouvelle

© Lys Bleu Éditions – Marie Perrot

ISBN : 979-10-422-5843-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Monette

C’est le surnom que mes parents ont choisi pour moi. J’ai toujours eu envie d’en porterd’autresaugrédemesfantaisies.Emma,Victoria,EmmanuelleouAgatha.Et là, maintenant que la vieillesse me guette, Monette, prend toute sa place, se colle à mon corps, se fait aguicheur et devient même joyeux. Monette, ressemble à une guinguette guillerette, noisette, supérette. Ce surnom prend de la saveur, devient goûteux et amical, a le goût de la crème à la vanille et des bonbons au chocolat, delaguimauveetdelabarbeàpapa !Mamèreadorecepetitnom,elles’engargariseà longueur de journée et le trouve le plus beau du monde. Il est porteur de bonheur, d’une destinée mirifique. Sa fille se doit d’être un être hors du commun.

Monette est mon passeport pour un avenir radieux, aux lignes toutes tracées, droitesetglorieuses.Lefaitestque,dèsl’âgedecinqans,j’étaispersuadéed’êtrela plus jolie petite fille du monde. Le ciel était pur, pas un nuage à l’horizon. J’étais la reine incontestée de ma famille et je brillais de mille feux. Je savais déjà ce que je voulais faire : artiste, comédienne ou chef d’entreprise. Ma mère n’en finissait plus de roucouler d’aise : cette petite n’est pas comme les autres, disait-elle, je ne sais pas où je l’ai prise, celle-là ! Que voulait-elle dire ?Pas comme les autres ? Étais-je différente ? Avais-je une particularité ? Avais-je été conçue par les dieux ? Alors pourquoim’avait-onsurnomméeMonette?PourquoipasOndine,déessede l’eau ou Néfertiti la parfaite ? Je ne sais pas moi, il y avait toute une batterie de petits noms qui aurait pu faire l’affaire. Mais non ! Ils avaient choisi Monette comme on va à la pêche, simplement, comme ça. Il était là tout prêt empaqueté de layette rose et il m’échut par cette belle journée de juin où je choisis de naître. On interpréta ma naissance comme un jour à marquer d’une pierre rouge. Il gela très fort ce jour-là et le soleil perça l’épaisse couche de nuages pour se transformer en un arc-en-ciel majestueux. J’étais forcément l’élue, la parfaite, l’être immaculé et, à ce titre, je me devais de réussir mon parcours sur cette terre.

Je commençais donc à téter consciencieusement les énormes seins de ma mère. Chaque goulée soulevait en elle des bouffées d’orgueil. « Regarde cette énergie qu’elle a, notre petite Monette ! Une vraie goulue ! » Ce qu’elle ne savait pas, c’est que, déjà, je comprenais très bien tout ce qu’elle disait. Il n’y avait qu’un seul inconvénient : je ne pouvais pas me mettre debout et cela me mettait dans des colères noires. « Elle a du tempérament », disait-elle. Je passais donc les deux premières années de ma vie à baver, ramper, bredouiller areu, areu, faire mes besoins dans des couches, ce qui me mettait très mal à l’aise. On a sa petite fierté. Puis un jour, je me suis relevée sur mes deux jambes, j’ai esquissé un pas de côté, puis un autre, forçant l’admiration de mon père. « Ce sera une danseuse étoile ! » disait-il.

Picasséedesdindes

J’habite la rue des Terranes dans la cité des forges. Toute la misère du monde est concentrée sur ce petit territoire. Les maisons appartiennent à l’usine SIMCA-SOMECA qui dans sa grande générosité a parqué là, la majeure partie de ses employés corvéables à merci. Mon Père y travaille ainsi que ma sœur Nanou, et deux de mes frères. Notre terrain de jeux privilégié est la décharge publique où l’usine déverse chaque jour ses résidus de graisse, ferrailles et autres déchets tous plus ragoûtants les uns que les autres. Les familles se côtoient, s’interpellent, se battent, s’affrontent, s’aiment et se déchirent. Il y a tant de vie que la misère ne vient pas à bout de toute cette énergie. Les rues de ma cité sont visitées journellement par le pattier à l’affût de peaux de lapins ou de ferrailles, du rémouleur, du marchand de glace monsieur Vanini, de l’épicier le père Bechet, du boulanger le père Bouillon et autres démarcheurs. Il y a une belle activité car nous sommestousdanslasurvie.Lespetitsboulotsnenousfontpaspeur.Mesfrères vendent les journaux, des peaux de lapin, récupèrent de la ferraille. Tout est bon pour apporter un peu de réconfort dans notre maison.

Aujourd’hui comme à son habitude mon pauvre papa est revenu bien éméché. Comme d’habitude il a cherché des noises à ma mère qui, comme d’habitude, a menacé de se jeter dans l’étang voisin. Nous sommes confrontés épisodiquement à ce genre de scène. Ma mère est en train de faire valser les casseroles dans la cuisine. C’est l’hiver, les murs de la maison sont recouverts de givre car un seul poêle chauffe notre pauvre demeure. Il y a de bonnes choses en tout, j’y vois des kaléidoscopes multicolores et mon avenir en couleurs irisées. Je me vois sur une scène lumineuse, je suis une actrice. D’où me vient ce sursaut d’espérance ? Je ne sais pas. Une seule chose compte pour moi, devenir actrice de cinéma. Je veux ressembler à Audrey Hepburn. Je serai divine, légère, aérienne et irrésistible, comme elle. En attendant, j’écoute les reniflementset les soupirs de ma pauvre maman et je cherche dans ma tête d’enfant ce que je pourrais bien faire pour sortir de cette situation, ce que je pourrais bien inventer pour que ma famille soit enfin libérée des chaînes de la pauvreté. J’imagine un monde où l’argent coulerait à flots, où mes parents arrêteraient enfin de se chamailler, où mon père ne boirait que de l’eau avec des bulles, où ma mère pourrait enfin faire attention à elle, à sa toilette, à son aspect. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même, ne ressemble plus au portrait qui trône fièrement dans la chambre parentale. Enveloppée de ses kilos superflus qui flottent comme un énorme blindage sur son corps, elle se bagarrejour et nuit contre la pauvreté qui règne en maître sur la destinée de notre famille. Dans sa bagarre contre l’adversité, elle a laissé ses dents, ses cheveux, sa ligne d’adolescente, ses rêves, ses espoirs. Ma mère engloutit pâtes et nourritures, brioches et sucres. Elle est devenue une machine à fabriquer des enfants. Dans son ventre imposant, un petit être bouge encore. Le quatorzième ! Encore un, gémit-elle. Elle a été créée pour enfanter, pour procréer. Son ventre a été plein pendant une vingtaine d’années, expulsant un à un les bébés joufflus et épanouis. Un à un,elle les a enveloppés d’amour, les a peut-être aussi maudits. À chaque naissance se mélangeaient les pleurs, le chagrin et la joie. Comment faire pour ne plus avoir d’enfant ? Ma mère a essayé plusieurs méthodes. Mais la contraception n’existe pas etcen’estpasdanslesmœursdel’époque.Elleadoncfaitautantdebébésque la nature a bien voulu lui en donner.Je suis la dixième d’une longue liste. Autour de moi, mes frères et mes sœurs s’agitent, ils se ressemblent beaucoup. Je suis inquiète ! J’ai beau me regarder dans la glace, je ne trouve aucune ressemblance entre eux et moi. Je suisà l’affût de toutes les conversations, je m’interroge.Un jour où mamère pensait que je ne l’entendais pas, elle a dit : celle-là elle n’est pas comme les autres, je ne sais pas où je l’ai volée !

— M’aurait-on raptée ? Ma mère adore les enfants. La nuit on vient la chercher pour prodiguer des soins aux autres enfants de la cité. Elle a même recueilli huit petits orphelins. Serais-je moi aussi une petite orpheline qu’elle aurait recueillie ?

Dansmatête,unvideterribles’estemparédemoi.Mesjambessesontmisesà flageoler, la sueur a perlé sur mon front, mes mains se sont mises à trembler. Cette terrible révélation a été le début d’une recherche identitaire effrénée. Je me suis mise à épier toutes les conversations, à regarder toutes les photos qui traînaient çà et là, à inspecter mon visage et à y rechercher une quelconque ressemblance avec mes frères et sœurs. La vérité m’éclaboussait en me brouillant la vue et l’esprit. L’évidence se révélait à moi, dure, cruelle. Je ne ressemblais pas aux autres, j’étais différente ! Jelesavaisdepuislongtemps,jelesentais,maislà,maintenant,j’ensuis sûre. De longues minutes à scruter le moindre recoin de mon corps dans le grand miroir qui trône dans la chambre de Nanou, ma grande sœur, me confirment cette terriblerévélation.Jesuisd’unemaigreureffrayante,mesfrèresetsœurssonttous potelés et musclés. Je suis criblée de taches de rousseur à tel point que l’on se moque de moi :

PICASSÉE DES DINDES ! T’as regardé le soleil à travers une passoire ! PICASSÉE DES DINDES ! Nia, nia, nia ! PICASSÉE DES DINDES !

Je porte ces insultes quotidiennes sur mes frêles épaules comme une charge énorme.Je suis ce petit gnome constellé de taches de sons dont tout le monde se moque. Mais pourquoi ma mère m’aurait-elle volée, vous demandez-vous ? Ma mère adore protéger les plus faibles, les plus démunis, ceux qui n’ont pas de chance. C’est évident, elle a eu pitié de moi, l’affreuse, la pas-belle, la maigrichonne, cellequin’auraitpasdûarriversurcetteterre.Autourdemoi,« mesfrèresetmes sœurs » déambulent, crient, se chamaillent, hurlent comme des sauvages comme unearméedesoldatsdébraillés,crottésetchevelusetgoûtentlenectardecettevie avec un appétit féroce. Je me surprends à les regarder, un peu en retrait.

Noël

Il est minuit et nous allons à la « grand-messe » de NOËL. Ma mère nous a habillés de neuf, nous sommes rutilants, propres, nets, les cheveux bien coiffés. Les fillesont toutes des rubans bleus dans les cheveux et mes frères sont coiffés d’un béret. Nous sommes excités comme des puces. Nous partons en procession jusqu’à la grande église de Bourbon Lancy qui se trouve à quelques kilomètres de notre pauvre demeure. J’ai un peu froid aux genoux malgré les chaussettes de laine que la grand-mère Pannetier nous a tricotées. À vrai dire, je claque des dents, je grelotte. Mes frèresbraillentcommedesputoiseturinentdanslaneigetoutefraîche,ydessinent desrondsetdesétoiles.PuisnousarrivonsàlagrandeéglisedeBourbonLancyqui est déjà pleine à craquer. Lorsque nous pénétrons dans la nef, le souffle puissant de l’orgue nous pénètre et nous envoie déjà au paradis.L’abbé est là, la face rougeaude éclairée d’un large sourire et le curé Moreau n’est pas loin de lui, inondant l’assistance de sa bonté. Une crèche où flotte une discrète lumière a été dressée à l’entrée de l’église et une bonne odeur de bougies et d’encens flotte sur l’assistance. Les chants de NOËL éclatent sous les larges voûtes nous emportant vers un monde magique « il est né le divin enfant, jouez hautbois, résonnezmusette ! » C’est magique !

Au retour de la messe, nous marchons serrés les uns contre les autres. La nuit est noire et remplie de fantômes et de monstres. Je suis peureuse, je tremble au moindre craquement de branche. La neige crisse sous mes pas. Mes frères en profitent pour faire des glissades et aussi de faire pipi sur le tapis immaculé. Ils dessinent de belles arabesques ! C’est drôle, nous, les filles, ne pouvons les imitercar la nature nous a faites autrement. Grr, c’est rageant ! Un jour, j’ai essayé de pisser debout ! je ne vous dis pas… Le résultat a été catastrophique : je suis revenue avecmeschaussettes trempées,ma jupeavait étéelle aussiinondée demon urine.

Ma mère a hurlé : « Mais qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour récupérer une fille comme toi ? »

NOËL est un jour béni et attendu impatiemment. La maison bruisse, telle uneruche ! Nous sommes tous excités à l’idée de recevoir de beaux cadeaux. Tous les ans, le même rituel revient pour notre plus grand plaisir. Ce matin, nous sommes allés dans la forêt avec notre père pour prélever notre sapin. À cette occasion, il s’est armé de sa cognée dont le manche cireux épouse parfaitement ses grosses mains calleuses et larges. Nous l’accompagnons, braillant comme des putois, marmaille gouailleuse et morveuse, le nez au vent, les genoux rougis par les morsures de la bise hivernale. L’odeur forte de mon père perce ses multiples couches de vêtements et de papier journal posées sur sa poitrine. Ses petits yeux verts brillent tels des diamants et pétillent de malice. Rien ne l’excite davantage que de partir avec sa troupe, lui devant, mes frères aînés lui collant au train et les plus petits, derrière. Il me semble être le plus fort. La lame de sa cognée brille telle la dentition d’un carnassier avant la curée. Il faut dire que notre père n’attend pas le rémouleur pour affûter les couteaux et autres ustensiles. Il n’y en a pas deux comme lui pour affûter les outils sur la meuleuse. Elle est montée sur un supporten bois et dotée d’une manivelle permettant de tourner aisément la lourde pierre. Nous en actionnons méticuleusement, lentement le mécanisme, car, dit-il, il ne faut pasallertropvite,ilfautquelapierreattaquelemétalendouceuretluifasseun filet mince et acéré ! Papa a sélectionné un sapin, grand, fort et bien vert. La cognée mord le bois tendre qui exhale son odeur de résine, le sapin craque et offre ses entrailles au vent froid de l’hiver. La sève s’écoule comme le sang des lapins qu’il tue régulièrement. Il l’abat d’une simple pichenette ! Allez, les vieux gars ! Attrapez le tronc et tirez ! Mes frères et nous autres, les petits, sommes impatients d’apportercemerveilleuxarbresiprometteur.Pournous,c’estl’arbreauxcadeaux.

Ma mère garde les bougies avec les petits supports en fer dans une boîte dans laquelle nous trouvons d’autres trésors : petits anges de papiers, père Noël, fées, lucioles. Nous avons fabriqué des guirlandes de toutes les couleurs qui se mêlent auxguirlandesdéfraîchiesquenousreplaçonsd’annéeenannéeaveclamême fièvre. Elle a acheté des papillotes que nous ne manquons pas de grappiller à la moindreoccasion,dèsqu’ellealedostourné.Nousadoronscesfriandises:ilya, à l’intérieur, despétardsetdesblaguesquenousracontonsàtable et quifontlajoiedenos frangins.Ces blagues nous font glousser de plaisir. Est-ce le contentement de nos papilles qui nous égaie à ce point ou les blagues elles-mêmes ? Il y a également des oranges dans notre merveilleux sapin de Noël qui mêlent leurs odeurs fruitées aux bonnesodeursdecuisine.Mamèrequiestcroyante,nousfaitdéposernotrecrèche sous les branches basses du résineux. La voûte de la grotte est de papier carton et les petits santons sont sortis religieusement de leur cache. Nous reconstituons la scène de la naissance du petit jésus, l’âne, le bœuf, les personnages, tout est là ! Notrearbreestleplusbeau,etlorsquenousenallumonslesbougies,ils’endégage un délicieux parfum de chocolat, d’orange et de résine. Cette odeur me chatouille les papilles, me régale. Je savoure chaque arôme, me délecte, je me repais sans vergogne de cet univers fait d’arôme d’agrumes, de résine, de bougies.

Le repas de Noël est pantagruélique : les escargots de bourgogne précèdent deux ou trois entrées, puis vient la dinde rôtie aux marrons, les petits légumes auparfum raffiné, la salade et le fromage. Puis les nombreux desserts que maman nous a préparés : crème anglaise, œufs en neige, bûche de Noël au café, biscuit à l’orange.Nous avons goûté au bon vin car Noël doit se fêter dignement, même les enfants peuvent tremper leurs lèvres dans l’élixir de fête, c’est permis mais avec beaucoup de modération. Tout le monde est heureux.

Leschœurs

Notre père nous rassemble et nous fait chanter en chœur. À ce moment-là, il jubile et est transporté au septième ciel ! Sa frêle carcasse se trouve chavirée par une ivresse sans borne. Il nous installe par ordre de grandeur devant notre sapin qui clignote de toutes ses bougies et nous donne le top départ. Chacun connaît son répertoire et doit chanter dans le ton qui lui convient.

Coco, Kiki, devant, vous êtes les plus petits ! Monette, Sussu, Nono ! Derrière !Momo, avec tes frères, vous êtes les plus grands ! Voilà ! Très bien. Vous êtes prêts ?

Mon père endosse à ce moment son habit de chef d’orchestre et nous donne le top départ et le tempo. Dans un ensemble parfait, nous entonnons une chanson à trois temps :

Dedans ma chaumièrereu pour y vivre heureux, combien faut-il êêtreu ! il faut être deux ! Oui, ma chaumièèreu… je euh la préfèèèère !

Ilestauxanges ! Riennepeutluifaireplusplaisirquedenousentendrechanter,de nous voir en pleine forme, sa bande de morveux aux genoux calleux, au teint roseet à la gouaille effrontée. Il atteint l’apothéose lors de ces petites représentations improvisées.Iladevantluiunemagnifiquetroupemusicale.Alorscommeàchaque fois qu’il est heureux, ses yeux brillent, puis ses lèvres frémissent, l’émotion le submerge, les larmes inondent son visage. Son corps, fragile navire dans l’océan de la vie, a subi trop de chocs, trop de chaos. Lui aussi a été abandonné et déposé à la DASS quand il était bébé et, quand le bonheur le rattrape, son cœur éclate, ses lèvresfrémissentetsalargemainvientessuyerfurtivementsesjoues.Ilestcomme une digue fragilisée par les assauts répétés des flots tumultueux, les vagues franchissent le minuscule barrage et coulent, abondantes, creusant de fins sillons sur son visage.Nous sommes heureux et fiers de notre prestation et l’émotion nousgagne imperceptiblement.Lereste de la famille applauditde concert : bravo !

Bravo ! encore ! encore ! une autre ! une autre !

Nous interprétons deux ou trois chansons, puis viennent alors les blagues grivoises, les petits textes que mon père connaît par cœur et la soirée se termine avec les souvenirs que mes parents nouslivrentsurleurjeunesse.Pasdephotos,trèspeudephotos,maisbeaucoupde récits remplis de détails croustillants, de tristesse aussi. Puis tout le monde va se coucher… Le soir de NOËL, on est plein d’espoir ! Mais cette année n’est pas comme les autres ! Nous avons comme d’habitude sacrifié au rituel du sapin, tous excités à l’idée des cadeaux qui ne doivent qu’arriver. Nous avons tous bien ri, bien mangé mais j’ai décelé chez ma mère quelque chose d’inhabituel, elle n’est pas très en forme et ses yeux sont d’une grande tristesse. Je l’ai entendu chuchoter, sa poitrineestsoulevéepardessoupirsàfendrel’âme.Jeressensdansmachairqu’un drame se joue. Ce soir, je me couche avec un mauvais pressentiment. Et j’ai raison, mon instinct ne me trompe pas. Je me suis levée de très bonne heure, au petitmatin, et je n’ai trouvé qu’une papillote et une orange enfouies dans mes souliers. Ma mère attend près du sapin.Je ne dis rien, je ne demande rien. Je pose juste ma main sur ses cheveux, je me serre contre elle. En cet instant, je l’aime encore plus. Tant pis ! Cette année sera une année sans cadeau.

Le lendemain, à l’école, devant l’étalage de présents qu’ont reçus mes petits camarades, je me suis inventé des étrennes merveilleuses : une poupée qui ferme les yeux et qui dit « maman », ses habits sont ceux d’une princesse, faits de satin et de pierreries et je l’ai appelée AKEMI… j’adore ce prénom ! Il est recouvert d’ors et transporte avec lui des rêves orientaux, me réchauffe et m’emporte vers un monde meilleur, celui de mon imaginaire, là où personne d’autre que moi n’a accès.

Labandeà Bourbaki

Le directeur de l’école nous a baptisés « la famille à Bourbaki », ce qui a mis mon père dans une colère terrible.

« Votre regard sur ma famille est méprisant ! Nous sommes tout à fait honorableset méritons le respect. Ce n’est pas parce que nous sommes une famille nombreuse et pauvre que vous devez vous permettre n’importe quoi ! » Furibond, il fait claquer sa casquette contre son pantalon et repart, enveloppé de sa colère, sans un mot.