Monsieur, l’ombre du Soleil - Céline Le Maître - E-Book

Monsieur, l’ombre du Soleil E-Book

Céline Le Maître

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Beschreibung

Philippe d’Orléans, dit Monsieur, marche depuis sa naissance dans l’ombre de son imposant frère, le grand roi Louis XIV. Son éducation l’a parfaitement conditionné à rester à sa place de cadet. La manœuvre a réussi : Philippe n’a jamais eu la moindre velléité de pouvoir. N’ayant d’autre rôle à la Cour que celui de fils de France, Monsieur occupe une existence oisive et dissolue en s’étourdissant dans les plaisirs et les divertissements avec son cher chevalier de Lorraine. Entre intrigues curiales, trahisons amoureuses et champs de bataille, Philippe d’Orléans n’a qu’un seul pilier : son frère le roi, avec qui il partage un amour inconditionnel et une complicité indestructible.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Céline Le Maître est amoureuse de la lecture, depuis son plus jeune âge, avant même d’être scolarisée. Alors, les livres ont toujours fait partie d’elle. Ensuite, l’Histoire a investi sa vie jusqu’à se transformer à une passion dévorante. Cela lui apparaît comme une évidence, l’envie d’écrire et de partager est devenue trop forte.

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Seitenzahl: 328

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Céline Le Maître

Monsieur, l’ombre du Soleil

Roman

© Lys Bleu Éditions – Céline Le Maître

ISBN : 979-10-377-6322-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.

9 juin 1701

Éclipse de Lune

Cassel le vit briller dans un fameux combat,

La Gloire l’élevoit, et la Parque l’abat.

Mercure Galant, juillet 1701

En cette belle fin de journée printanière, le soleil se couchait paisiblement sur le domaine de Saint-Cloud. Les promeneurs avaient déserté les jardins. Les gardes du corps, vêtus de leur traditionnel habit bleu, de leur culotte et leurs bas rouges, assuraient leur ronde chorégraphiée dans le plus absolu des silences. Les fontaines et la Grande Cascade s’étaient tues. Seul le croassement des corbeaux venait troubler la quiétude des bosquets.

Cette sérénité ambiante ne laissait rien présager des événements en cours dans l’aile ouest du château, en proie à une extrême agitation. Elisabeth-Charlotte1, la maîtresse des lieux – appelée Madame par le protocole curial ou Liselotte par son entourage – fiévreuse depuis quelque temps, avait préféré se retirer un peu plus tôt dans ses appartements. Souffrante, elle n’avait même pas trouvé la force de s’attabler comme à son habitude pour écrire une énième lettre à sa tante Sophie de Hanovre. Elle s’était résolue à se délasser sur sa bergère. De toute manière, elle n’était capable de rien d’autre pour le moment. Tout à sa torpeur, elle crut rêver quand la duchesse Charlotte-Eléonore de Ventadour2 entra avec fracas dans son alcôve :

— Que vous arrive-t-il, Madame ? Vous êtes pâle comme la mort !

— Venez vite, Monsieur se trouve mal !

Tout de suite préoccupée par le ton épouvanté et la mine déconfite de sa dame d’honneur, Liselotte comprit que quelque chose de fort alarmant se profilait. Elle revêtit une Indienne à toute vitesse et se hâta vers les appartements de son époux Philippe3, appelé Monsieur comme le voulait la tradition lorsqu’on évoquait le frère du roi Louis XIV. Elle traversa sa propre antichambre, puis le petit corridor qui menait chez son mari. Le pas de course qu’elle avait adopté la fit défaillir. Madame de Ventadour se précipita pour la soutenir et l’accompagna jusqu’à la première assise qu’elle put trouver sur son passage. Les sels de pâmoison apportés par une servante l’aidèrent à recouvrer un tant soit peu ses esprits.

Elle se releva avec peine et parcourut la deuxième antichambre dans un état second. En pénétrant dans la chambre de son époux, Liselotte fut frappée par l’atmosphère pesante, si inhabituelle chez Philippe d’Orléans, la personne la plus joviale et entourée qu’elle connût. Un silence assourdissant enveloppa tout son être. Les riches rideaux de brocart de soie cramoisi plongeaient la pièce dans une semi-obscurité lugubre. Elle découvrit avec stupéfaction son mari complètement asthénique. Elle comprit immédiatement l’impensable issue, Monsieur était irrémédiablement proche du trépas. Les flammes vacillantes des bougies posées sur des girandoles dorées donnaient un aspect d’autant plus macabre aux traits du malheureux. Rassemblant son courage, qui commençait cependant à lui faire défaut, elle s’avança à pas feutrés du lit et prit la main de Philippe. Le geste fit entrouvrir les yeux au malade qui tenta de parler. Elle comprit à peine ses paroles tant il peinait à s’exprimer. Tout juste entendit-elle :

— Vous êtes souffrante, allez chez vous !

Bien qu’il fût à demi conscient, Elisabeth-Charlotte crut percevoir une certaine reconnaissance dans les mots de Philippe, d’ordinaire avare de sollicitude envers elle. Cette marque d’intérêt gonfla le cœur de Liselotte d’une tendresse qu’elle n’avait jamais éprouvée jusqu’ici pour son époux. Malgré son extrême faiblesse, il manifestait un peu de bienveillance pour elle. Liselotte se dit que cela correspondait finalement bien à son caractère au fond si bon et affable. Mais que de tristesse ressentait-elle à le voir ainsi ! Lui qui portait toujours beau, qui n’aimait rien tant que la coquetterie, n’apparaissait plus que comme l’ombre de lui-même. Où était passé le flamboyant prince, perruqué, fardé, poudré et parfumé au possible ?

Madame resserra l’étreinte de sa main.

— Je reste à vos côtés, mon ami.

Leur héritier Philippe, duc de Chartres, fit irruption dans la chambre, atterré. Contrairement à sa mère, il se mit aussitôt en retrait, prostré. La vision de son père si mal en point, alors qu’il l’avait vu si vigoureux quelques heures plus tôt, le paralysait. Liselotte lâcha brièvement la main de son époux pour s’approcher de son fils qui retenait à grand-peine ses larmes.

— Monsieur votre père est venu me voir avant d’aller souper, il se trouvait tout à fait vaillant. Il revenait fort gai d’une visite à la reine d’Angleterre au château de Saint-Germain, et prit plaisir à nous raconter combien il y avait admiré de tabourets, chose somme toute futile, mais qui l’avait follement amusé. Puis il me railla lorsqu’il prit congé vers les neuf heures en me signifiant que contrairement à moi qui me sentais fiévreuse, il avait grand appétit. Il ne pouvait demeurer dans un meilleur état d’esprit.

— Assurément, Monsieur mon père se portait on ne peut mieux quand nous primes place à la table. Il paraissait certes un peu agité. Voyez-vous, il avait eu quelques instants auparavant une querelle tumultueuse avec le roi mon oncle. Il commença donc le repas fort affligé. Je suis mortifié, car j’ai bien peur d’avoir été la cause de ce vif accrochage. Nous entendions leurs éclats de voix depuis le vestibule. Mon père se ressaisit, en apparence du moins, et mangea de bon cœur comme à l’accoutumée. Pendant qu’il servait galamment du vin à sa voisine, il s’évanouit brusquement dans mes bras. On lui fit respirer quelques sels qui l’aidèrent à reprendre brièvement ses sens. Il voulut alors s’adresser à moi, mais je ne compris que quelques galimatias en espagnol, la langue de sa mère bien-aimée4. Puis il sombra derechef. Je ne sais ce qui le frappa à ce moment précis. Vous me trouvez totalement désemparé !

À cet instant, Fagon, premier médecin de Sa Majesté, ne cessait de prodiguer les meilleurs soins à son illustre patient. Il tentait tous les remèdes : des grains d’émétiques pour lui faire régurgiter les humeurs bilieuses, des gouttes d’Angleterre et de l’eau de Schaffhouse5. Le praticien maniait sa lancette6 avec dextérité pour effectuer les saignées que Monsieur avait refusées plus tôt dans la journée. Car ce que Liselotte ignorait, c’est que Philippe avait été pris de saignements de nez à l’heure du dîner à Marly, à la table du roi son frère. Le médecin avait immédiatement soupçonné une crise d’apoplexie. Il avait bien tenté de le retenir pour l’examiner et lui administrer une saignée salutaire, mais Philippe n’avait rien voulu entendre. Fagon devait maintenant attendre que tous ces traitements fissent effet pour se prononcer, mais l’état du malade ne montrait aucun signe d’amélioration. Chartres avait déjà pris des dispositions pour faire prévenir le roi.

— J’ai dépêché un domestique à Marly7 auprès de mon oncle, afin de lui porter la fâcheuse nouvelle le plus promptement possible.

— Vous avez fort bien fait, mon fils, répondit une Liselotte livide. Les dernières heures de Monsieur votre père sont sans aucun doute arrivées. Seul un miracle pourrait maintenant nous le ramener.

Liselotte ne pouvait croire qu’elle était en train de prononcer ces mots.

Le temps s’écoulait sans que le moindre progrès se fît sentir. Mère et fils veillaient Philippe sans relâche. C’est dans cette atmosphère angoissante que le roi entra à Saint-Cloud en compagnie de sa cour. Bien que tous lui conseillassent d’attendre que le traitement donnât ses premiers résultats, le souverain ne pouvait décemment pas rester en son domaine alors que son frère demeurait à ce point souffrant. Les courtisans s’étaient entassés pêle-mêle dans le premier carrosse venu, sans respecter les règles de bienséance. Le temps pressait.

Louis s’introduisit dans la chambre. En voyant Philippe étendu sur sa couche, son cœur se serra. Son frère, pourtant replet, voire doté d’un généreux embonpoint, paraissait insaisissable dans cet immense lit. L’esprit du monarque vagabonda un instant vers leurs jeunes années, quand il se plaisait à se faire nommer « mon bon petit papa » par Philippe, alors qu’ils étaient déjà orphelins de leur royal père, Louis XIII. Depuis lors, il avait mis un point d’honneur à protéger son cadet quoiqu’il advienne. En ce jour, il ne ressentait que de l’impuissance.

Louis sursauta et revint à la désagréable réalité. Il repensa au dîner où Philippe était convié ce midi à Marly, qui avait pris une tournure des plus détestables. Une violente querelle avait éclaté entre les deux compères à propos de l’union imposée par le souverain entre le duc de Chartres et sa cousine Mademoiselle de Blois. Cette fille naturelle du monarque et de son ancienne favorite Françoise Athénaïs de Montespan était le fruit d’un adultère scandaleux. Le mariage durait déjà depuis neuf ans, mais Monsieur ne se résignait pas à approuver cette mésalliance. Liselotte ne décolérait pas plus que lui et en avait ainsi perdu les bonnes grâces du roi en raison de cette opposition franche et farouche.

— Je ne peux me résoudre à cette union contre nature avec une bâtarde, qui jette honte et déshonneur sur ma famille ! avait tempêté Philippe.

— Mon frère, votre fils le duc de Chartres exhibe sa maîtresse et a même conçu un enfant avec elle. Il l’entretient au Palais-Royal8 ! Et vous avez l’outrecuidance de me parler de déshonneur ! N’oubliez pas non plus mon cher, que je ne me suis jamais opposé à vos mœurs aussi légères que celles de votre fils, fussent-elles de nature différente !

— Vous avez bafoué toute sa vie notre défunte reine Marie-Thérèse9. Vous avez isolé cette pauvre femme au détriment de vos innombrables favorites qui ont bénéficié de vos largesses. Vous avez beau jeu de donner des leçons de morale… mon frère ! La malheureuse n’est jamais parvenue à parler notre langue vu le peu d’intérêt que vous lui manifestiez !

Cette dispute s’avérait assurément la plus violente jamais survenue entre les deux hommes qui se chérissaient d’un amour inconditionnel depuis leur plus tendre enfance. Leur mère Anne d’Autriche avait mis un point d’honneur à les élever dans une affection et un respect mutuels. Louis ne s’en trouvait que plus bouleversé. Son frère, son meilleur ami demeurait inconscient, et il se sentait effaré à l’idée de devoir le quitter sans avoir eu le temps de lui dire à quel point il était désolé de cette algarade ridicule.

La longue et éprouvante nuit touchait à sa fin. Le soleil se levait timidement. Alors qu’on pressait Louis de rentrer à Marly ou à Versailles, celui-ci voulait à tout prix rester au chevet de son frère adoré. Le roi ne devant en aucune façon se retrouver en présence de la mort, fut-elle celle de son frère, il devait donc partir de Saint-Cloud urgemment. Tout juste consentit-il à aller entendre la messe de sept heures, tout en faisant jurer à Fagon de le mander si quelque nouvelle survenait. Après l’office, il se rendit chez Madame qui s’était de nouveau évanouie quelques heures auparavant à cause de sa pyrexie et de l’effroi infligé par les circonstances.

— Ma sœur, comment vous sentez-vous ?

— Mon frère, l’angoisse qui m’assaille a fini par chasser la fièvre, mais je ne peux m’empêcher de penser à notre pauvre Monsieur. Je prie de toutes mes forces pour le salut de son âme !

Après avoir tenté de réconforter Liselotte alors que lui-même ne pouvait trouver quelconque consolation, il se résolut à quitter Saint-Cloud pour Versailles. Il se doutait, par là même, avoir fait ses adieux au compagnon de toute une vie, son confident, son ami, son frère unique, la personne qui l’avait aimé pour qui il était véritablement.

À son arrivée à Versailles, il alla immédiatement s’enfermer dans son cabinet privé. Il ressentait un besoin impérieux de demeurer seul et demanda qu’on le ne dérangeât sous aucun prétexte, sauf pour lui apporter des nouvelles de Philippe.

Vers une heure, tandis que Louis se tenait toujours accablé devant son bureau, la tête entre les mains, on fit entrer le docteur Fagon.

— Sire, Dieu a rappelé l’âme de Monsieur votre frère vers midi. Les saignées et les potions administrées n’ont pas produit l’effet escompté, il ne s’est jamais réveillé. Même si cela n’apaisera en rien le chagrin de Votre Majesté, Monsieur n’a pas souffert.

Un gouffre de désarroi s’ouvrit sous les pieds du monarque. L’armure se fissura sur-le-champ. Il se mit à pleurer à chaudes larmes et se contenta de dire :

— Je dois me rendre au Petit Couvert10.

— Sire, pourquoi n’iriez-vous pas vous restaurer dans le petit cabinet de Madame de Maintenon11, beaucoup plus intime, je ne vous estime pas en état…

— Il suffit ! Je ne vous ai pas demandé d’estimer mon état ! Je ne dérogerai pas à l’Étiquette12, si chère à mon frère !

Dans sa somptueuse chambre, tendue de damas cramoisi et de brocart de fils d’or et d’argent, se tenait chaque jour le petit couvert. Malgré les foules de courtisans et ambassadeurs qui avaient l’insigne honneur de regarder le roi manger en public et qui bien sûr se pressaient plus qu’à l’ordinaire, Louis ne s’était jamais senti aussi esseulé. Doté habituellement du même appétit d’ogre que Philippe, il ne put cette fois rien avaler et ne prit pas la peine de cacher ses sanglots à l’assistance qui épiait la moindre de ses réactions. Ils pouvaient gloser sur sa tristesse, grand bien leur fasse, il s’en moquait éperdument, il était le roi.

En cette période de grand deuil qui commençait, il en fut ainsi pendant des jours. Louis apparut devant tous, les yeux en permanence embués de larmes. Il pensait qu’il ne pourrait jamais s’accoutumer à ne plus voir son frère. Leur belle complicité lui manquait déjà.

*

Pendant ce temps, Liselotte, elle, se trouvait dans les appartements du défunt, récoltant dans les bahuts et les coffres toutes les correspondances privées que Philippe avait entretenues avec ses mignons. Elle les jeta dans l’âtre. Mieux valait les détruire, de peur qu’elles ne tombassent en de viles mains.

— Feu mon époux, je vous ai parfois méprisé, mais vous avez été un bon mari et un compagnon attentionné malgré nos caractères si différents. Soyez assuré que je veillerai à ce que personne n’outrage votre mémoire.

En regardant le papier se consumer, Liselotte se dit que l’honneur de Philippe était sauf et que d’où qu’il fût, il devait être fier d’elle.

1649

Fuite au clair de lune

Mais le temps tout amènera

Et la Fronde t’achèvera.

Cher Jule, tu seras pendu

Au bout d’une vieille potence

Sans remors et sans repentance

Comme un incorrigible ; Amen

Extrait d’une mazarinade, 1649

— Mère, s’il vous plaît, promettez-moi !

— Mon petit Monsieur, vous m’accompagnerez demain pour la journée au Val-de-Grâce13 seulement si vous vous en allez coucher sur le champ ! Maintenant, cessez vos bavardages. Vous ne vous lassez jamais de babiller !

Le jeune duc d’Anjou14 obtempéra sans difficulté aucune, et s’en alla gagner ses pénates, non sans avoir auparavant embrassé Anne d’Autriche, et son frère Louis XIV, le roi.

La régente15 de France regarda tendrement son fils s’éloigner.

— Comment ne pas adorer cet enfant certes espiègle, mais si avenant et charitable ?

Madame de la Trémoille, amie et confidente de la reine, opina du chef. De fait, à huit ans, Philippe se présentait comme le plus aimable et charmant des chérubins qu’il lui fût donné de voir. Et pour ne rien gâcher, il était fort beau, gracile, doté de grandes prunelles noires, d’un nez subtilement aquilin, de cheveux de jais délicatement bouclés et de la bouche finement ourlée de sa mère.

Décidément, Anne se sentait fière de sa progéniture. Ses yeux se posèrent alors sur son aîné Louis, qui disputait une partie de trictrac acharnée. Âgé de dix ans, son tempérament s’avérait plus taciturne et bien moins loquace que son si volubile petit frère. Il avait assurément hérité de ce trait de caractère de son père, le roi Louis XIII, de nature timide, voire pusillanime. Le jeune Louis aimait à dire avec humour que son cadet parlait pour deux et que cela lui convenait bien ainsi.

La Reine se montrait soucieuse quant à l’avenir de son fils, devenu roi cinq ans auparavant. La révolte grondait dans Paris. Les nobles et les parlementaires ne souffraient plus de devoir s’acquitter de tant de taxes, notamment la très impopulaire paulette16, reconduite par la régente et son bras droit le cardinal Mazarin. Mais que pouvait-elle décider d’autre ? La politique étrangère de Richelieu, prédécesseur de Mazazin et ministre de son défunt époux qu’elle abominait de tout son cœur, avait laissé le royaume exsangue. La guerre avec l’Espagne engagée il y avait treize longues années n’en finissait pas. Remplir les coffres de liquidités redonnerait des couleurs au pays et lui permettrait de transmettre un état sain à Louis dont la majorité serait proclamée dans trois ans. Ces mesures qui faisaient grincer bien des dents soulevaient la révolte. Anne craignait des affrontements, mais elle devait tenir bon.

La destinée de ses enfants, là se situait l’obsession d’Anne, qui telle une louve n’autoriserait personne à compromettre l’ascension du souverain Louis XIV. L’intransigeance était devenue sa devise, sa raison d’être.

Soudain, l’arrivée de Françoise de Motteville17, qui tenait dans ses mains un gâteau des Rois, la tira de sa rêverie. Une poignée de courtisans accompagnaient la première dame de chambre. En ces temps troublés, elle avait presque oublié que l’on célébrait ce soir-là l’Épiphanie. Elle n’avait pas le cœur à la fête et eût préféré veiller seule, mais elle se résigna à faire bonne figure et accepta de bonne grâce une part de ce savoureux gâteau décoré de fruits confits. En outre, Louis avait besoin d’être diverti en ces jours difficiles. Quelque enjouement eût été le bienvenu. Elle fit chercher une bouteille d’hypocras pour trinquer avec ses convives. Ses invités la persuadèrent de goûter une larme de ce breuvage délicieusement sucré et épicé, bien qu’elle n’en consommât jamais.

— La reine boit !

Les coupes s’entrechoquèrent et la bonne humeur finit par l’emporter. Tous furent enchantés de voir leur reine se laisser aller à quelque légèreté. La convivialité et les rires avaient grandement fait défaut ces derniers temps.

— Ne savez-vous pas ce qu’il se raconte çà et là, Votre Majesté ?

— Dites-moi donc Madame de la Trémoille 18!

— Il se murmure que vous avez pour dessein de fuir Paris cette nuit même, n’est-ce pas saugrenu !

— Si fait ! Je ne peux m’empêcher de m’esclaffer en entendant pareilles fadaises ! Pensez-vous que je pusse avoir la vile volonté d’assiéger Paris alors que mes fidèles amis s’y trouvent ?

Chacun rit de bon cœur avec la régente. On partagea avec elle un repas frugal dans sa garde-robe, comme à l’ordinaire lorsque la reine recevait en comité restreint. Après le souper, elle fit chercher son premier écuyer Henri de Beringhen afin de commander les carrosses du roi. Personne ne vit malice dans cette requête, tous présumèrent que la Reine parachevait l’organisation de sa visite au Val-de-Grâce prévue le lendemain en compagnie du petit Monsieur. On la déshabilla et une fois la souveraine dans son lit, l’on prit congé. Aussitôt les portes du Palais-Royal19 fermées pour la nuit, l’immense demeure fut enveloppée d’un calme serein. On n’entendait plus âme qui vive dans les couloirs.

Profitant de cette aubaine, Anne ne tarda pas à se relever pour mettre son plan à exécution et faire part à sa femme de chambre d’un secret qu’elle n’avait que trop bien gardé jusqu’ici.

*

Philippe gémit alors que le maréchal Nicolas de Neufville de Villeroy, gouverneur de Louis, lui enjoignait de se lever.

— Mais laissez-moi donc dormir ! Pourquoi me visitez-vous à cette heure si tardive ? Allez plutôt importuner mon frère !

— Monsieur, permettez-moi de vous habiller, nous partons. Et je vous en conjure, n’émettez pas le moindre bruit !

Le maréchal vêtit le jeune garçon en hâte d’une chemise, d’un pourpoint, de hauts-de-chausses, de bottes et d’une cape. Philippe était passé aux hommes20 en mars de cette année, il ne portait donc plus les robes qu’il aimait tant. Sa mère avait repoussé l’échéance autant qu’elle avait pu, s’évertuant à préserver le plus longtemps possible son fils des tracas et des intrigues de la cour. Cependant, le jeune duc d’Anjou avait amplement atteint l’âge de raison qui le condamnait à ne point se dérober à ses obligations royales. En cette période confuse, Anne prenait consciente que la sécurité de Philippe était en jeu au même titre que celle de son frère. Son insouciance encore enfantine le gardait de voir le caractère alarmant des circonstances, et pour l’heure la régente s’en félicitait. Du moins croyait-elle les choses ainsi.

À la lueur d’un falot, Villeroy accompagna Louis et son cadet jusqu’à une modeste porte donnant sur les jardins du Palais. Le froid acéré surprit Philippe et piqua immédiatement son visage. Le vent tranchant ne faisait qu’accroître cette sensation et il se demandait bien pourquoi il devait sortir en pleine nuit, par un temps aussi glacial. Grâce à la clarté de la lune, il perçut que la neige était tombée quelques heures auparavant. Une délicate poudre blanche parsemait les arbres et le sol avait revêtu un manteau soyeux. Le petit duc s’inquiétait de savoir si Louis était au courant de cette escapade nocturne. Le groupe progressa dans les jardins dans un silence religieux, jusqu’à une seconde porte.

Là les attendaient les trois carrosses du Roi que la régente avait commandés plus tôt dans la soirée à son écuyer Beringhen. Louis et son frère y retrouvèrent leur mère et le Cardinal Mazarin21. À peine eurent-ils pris place dans leurs voitures respectives qu’ils se mirent en route vers le Cours-de-la-Reine où le cardinal avait planifié un rendez-vous avec les personnes d’importance de la Cour.

Pendant ce bref trajet, Philippe adressa une œillade vers son frère. Louis paraissait fort soucieux, aussi le petit duc s’abstint-il de tout commentaire même si son envie coutumière et irrépressible de prendre la parole le tenaillait. Il se contenta de lui saisir la main et de la serrer de toutes ses forces afin de témoigner toute sa tendresse et son soutien à son aîné.

Arrivés au point de ralliement, d’autres attelages se joignirent au convoi.

— Alors les rumeurs disaient vrai ! Nous fuyons !

Madame de la Trémoille se trouvait également de la partie. La reine mère la rassura.

— En effet, nous nous expatrions quelque temps de Paris, Madame. Vous ne pensiez donc pas que j’eusse pu atteindre un tel degré de cruauté au point de vous laisser derrière moi ! Vous savez trop bien avec quelle promptitude vont les médisances à la cour, je ne vous apprends rien. Ainsi je ne pouvais décemment pas vous en aviser plus tôt au risque de voir notre dessein déjoué. Je vous prie de pardonner la légère tromperie dont j’ai fait preuve à votre égard il y a peu.

— Je vous absous, Votre Majesté, et je vous sais gré de l’honneur que vous accordez aux pauvres désespérés que nous sommes de nous arracher au climat délétère qui règne à présent en ce lieu.

— Partons sur-le-champ et abritons-nous de ce froid mordant.

Chacun gagna sa place et la file de carrosses se mit en branle. Les chevaux peineraient assurément à cheminer sur la glace cachée sous la pellicule de neige. Aussi les cochers devaient-ils se montrer avisés s’ils ne voulaient pas que leur entreprise de mener tout ce petit monde à destination s’achève seulement quelques toises plus loin. Finalement, les bêtes s’adaptèrent fort prestement aux conditions climatiques et l’ensemble de voitures prit un rythme honorable, ce qui tranquillisa les troupes.

Pour l’heure, Philippe ne savait toujours pas où cette procession les conduisait. Cependant, malgré son jeune âge et contrairement à ce que pensait sa mère, il n’était pas dupe et se doutait que cette escapade était liée aux troubles qui jalonnaient la vie parisienne depuis plusieurs mois. Nonobstant les efforts déployés par Anne pour lui cacher le plus de choses possible, elle était loin de s’imaginer l’étendue des connaissances de son fils sur la situation. Il se souvenait du jour où Monsieur de Beringhen l’avait dissimulé à l’arrière de son carrosse pour le conduire à la régente en toute discrétion. Il avait bien ouï que la reine craignait un enlèvement. Après cela, il avait fait montre de courage afin de ne point tracasser plus avant son entourage, même si l’inquiétude le gagnait parfois.

Le manteau neigeux étouffait quelque peu le bruit des sabots des chevaux et l’obscurité l’empêchait de trouver quelconque repère pour s’orienter. À mesure que le cortège progressait vers la porte Saint-Honoré22 qui marquerait la sortie de Paris, les lumières se raréfiaient, jusqu’à plonger tout ce beau monde dans une nuit d’encre. Juste avant de traverser le petit village du Pecq23, le jeune garçon, bercé par le cahot de la route, sombra dans un profond sommeil.

*

L’arrêt du carrosse le fit sursauter. Encore somnolent et quelque peu engourdi, Philippe leva les yeux et vit une immense bâtisse se découper dans un ciel certes étoilé, mais ténébreux. Rassemblant ses idées, il reconnut le château de Saint-Germain-en-Laye. Bien qu’il y fût né, il n’avait que de vagues souvenirs de ce lieu. Depuis sa prime enfance, il avait extrêmement peu fréquenté cet endroit, sa mère préférant ses appartements parisiens.

Le froid y était beaucoup plus vif qu’à Paris. Le petit Monsieur grelottait malgré son épais manteau doublé de fourrure. Il emboîta les pas de sa mère, son frère et leur suite, sans piper mot. On entendait seulement le sol gelé craquer sous les chaussures des fugitifs. Si Anne s’efforçait de montrer un visage serein, Louis refusait de donner le change et arborait les même visage fermé et mâchoire serrée qu’au départ.

Philippe s’approcha du maréchal de Villeroy :

— Maréchal, pourquoi arrivons-nous ici en pleine nuit ? Ne pouvions-nous pas attendre le matin ? Et notre visite au Val-de-Grâce ?

— Monsieur, il en va de votre sécurité, il est indispensable de vous mettre à l’abri. Il est à Paris des personnes avec de méprisables intentions à l’égard de votre famille et du cardinal Mazarin. Nous sommes dans l’obligation d’ajourner votre séjour au Val-de-Grâce jusqu’à nouvel ordre. Il vous faudra faire preuve de courage et de patience. Sachez que vous demeurez en sûreté ici à Saint-Germain.

Le petit garçon de neuf ans, habituellement bien loin de ces considérations, mesura parfaitement la gravité des événements. Il se trouvait maintenant directement impliqué à cette mascarade. Il avait en effet prêté l’oreille à quelques conversations, notamment sur un supposé siège imminent à Paris, mais sans en comprendre la pleine signification jusqu’ici. Les éléments qu’il avait en sa possession commençaient à se lier les uns aux autres. Dès un moment propice, il ne manquerait pas d’interroger son frère pour connaître les raisons profondes de ce conflit. Les choses prenaient manifestement une tournure calamiteuse et Philippe ressentit une indicible peur. Il se dit que la condition de roi de Louis devait se révéler bien ingrate et se félicitait de ne point avoir hérité de ce fardeau. Il se rapprocha de Louis pour se blottir contre lui.

Arriver en pleine nuit dans un château vide était des plus lugubre. Bien sûr, l’urgence et la clandestinité de l’opération avaient empêché l’acheminement des meubles de la cour. Outre le mobilier, tout manquait : des vivres, du linge, le personnel de maison ou bien encore un bon feu rassérénant. Le dénuement s’avérait total ! Les fenêtres étaient dépourvues de certaines vitres, ce qui rajoutait à l’incommodité des lieux, surtout en ce mois de janvier. Le cardinal Mazarin avait tout juste réussi à faire extraire de Paris quatre lits de camp pour la régente, Louis, Philippe et lui-même. La troupe investit les grands appartements. Quelques courageux se dévouèrent pour aller couper un peu de bois dans la forêt toute proche. Mais froid et humide, il fut loin de remplir son office à la perfection. Le petit Monsieur n’était pas rassuré et se réfugiait dans les bras de Louis dès que l’occasion se présentait.

— Mon frère, n’ayez pas peur. Croyez-vous que je pusse laisser qui que ce soit vous faire le moindre mal ?

— Eh, bon Dieu, non ! Mais je dois vous dire que je serais tranquillisé que vous sortiez votre épée, au cas où quelque malotru nous assaillirait !

Louis se soumit à la requête de Philippe de bonne grâce. Philippe n’était qu’un enfant et il se posait en garant de sa sécurité. Afin d’apaiser son jeune frère, il le veilla, son arme à portée de mains.

Cette nuit-là, tous agglutinés autour du foyer, mais transis de froid, ils ne dormirent pas. Ni plus ni moins que leurs misérables compagnons qui avaient improvisé des lits de fortune sur de la paille.

*

Le lendemain, perclus de douleurs dues à l’inconfort de sa couche, Mazarin vint visiter la reine. Son camail rouge de cardinal était froissé, mais la situation ne se prêtait absolument pas à la coquetterie. Bel homme abruzzais portant le cheveu long et un petit bouc à la mousquetaire, Jules Mazarin gardait quoi qu’il en soit une prestance certaine. Son regard, intense, pouvait en intimider plus d’un.

— Vos gens ne sont toujours pas arrivés, de même que le mobilier qui se fait attendre. La paille vient également à manquer, et le peu qui reste est bien entendu vendu à prix d’or, toutefois nous ne pouvons décemment pas nous en passer.

Anne décrocha de sa robe une croix ornée de six perles noires et ôta sa paire de boucles d’oreilles assorties.

— Mettez donc ces bijoux en gage et faites acheter tout ce dont nous avons besoin pour tenir quelque temps.

Le cardinal se soumit.

— Il en sera fait selon votre volonté, Majesté.

La suite était prévisible, le peuple de Paris découvrit le tour pendable que lui avait joué le Conseil de régence. Les portes du Palais-Royal étaient fermées, le drapeau avait disparu, et il n’y avait pas âme qui vive aux postes de garde. La nouvelle se répandit dans la ville à une célérité extraordinaire. Tous, notamment les bourgeois, craignaient un siège, ou pire, la famine. Qu’allait-il advenir d’eux si la famille royale avait déserté la capitale ?

Le cardinal Mazarin, désigné « auteur de tous les désordres de l’État et du mal présent » par le Parlement, était l’homme à abattre. En représailles, ses membres décidèrent de confisquer ses très nombreux biens. Après tout, n’avait-il pas profité suffisamment longtemps des richesses du royaume ? L’assemblée l’accusait de tous les malheurs, y compris du départ du souverain pour Saint-Germain, qu’elle requalifia en enlèvement !

La reine mère eut à cœur de démontrer au peuple de Paris qu’elle ne voulait que son bonheur, mais qu’elle craignait pour la sécurité de ses fils. Elle ne manqua pas de leur promettre que la famille royale rentrerait bien à Paris, dès que les Parisiens seraient redevenus des sujets dévoués à leur roi. Bien qu’elle usât de toute la diplomatie possible et imaginable, elle fit également preuve d’une grande fermeté. L’autorité du souverain ne saurait être remise en cause et elle œuvrait en ce sens. Elle invita Louis à rédiger pareillement une lettre à ses gouvernés.

Malgré cela, le dialogue était rompu. Pendant plusieurs semaines, les campagnes voisines furent mises à feu et à sang. Les pillages, les violences et les exactions se greffaient à la rudesse de l’hiver et aux privations. La guerre civile faisait rage.

Dans cet environnement destructeur, le petit Philippe s’ennuyait ferme. Que ne donnerait-il pas pour retrouver le confort de ses meubles, ses distractions et ses plaisirs au Palais-Royal ? La vie ici se révélait irrémédiablement trop spartiate pour une personne de son rang. À son grand dam, la reine lui interdisait pour le moment toute sortie des grands appartements. L’idée que son cadet pût être enlevé la terrifiait toujours.

Le jeune garçon pouvait heureusement compter sur la compagnie de sa cousine Anne-Marie-Louise d’Orléans, dite Mademoiselle, fille de Gaston d’Orléans24. Bien qu’elle fût de treize ans son aînée, le petit prince appréciait sa présence. Tous deux étaient nantis de la même vivacité d’esprit, ce qui donnait lieu à une belle complicité entre les cousins.

S’approchant d’une fenêtre, Philippe fut témoin d’un étrange spectacle.

— Ma cousine, d’où viennent donc tous ces gens ?

Mademoiselle rejoignit le duc d’Anjou et vit des dizaines d’hommes descendre de carrioles.

— Ces hommes ont été faits prisonniers par nos troupes.

— Mais que vont devenir ces pauvres misérables ?

— Je reconnais bien là la bonté et la mansuétude de mon cher cousin. Ces misérables, comme vous les nommez, seront emmenés à la salle de jeu de paume après avoir été allégés de ce qu’ils portent et de leurs biens. Ils y resteront sous bonne garde. Le froid qui y règne ne manquera pas de leur faire prendre conscience qu’ils n’ont pas choisi le combat le plus juste.

Philippe n’apprécia guère le ricanement de sa cousine qui semblait prendre plaisir à admirer cette vue. En plus d’un physique disgracieux, son principal défaut résidait dans une très haute opinion d’elle-même qui la rendait arrogante.

La scène se répéta pendant des semaines. La lassitude gagnait les deux camps.

En mars, les troupes royales avaient peu à peu repris du terrain et reconquis la plupart des villes autour de Paris.

Un après-midi, Philippe, qui ne tenait jamais bien longtemps en place, rejoignit son frère sur la terrasse du Château-Vieux25, où l’on brûlait des bottes de foin mouillées à dessein de produire une épaisse fumée. Ce procédé de communication entre le château et les tours de Saint-Denis, certes archaïque, permettait de garder le lien entre les garnisons et d’annoncer les derniers progrès. La nature de l’abondant nuage présageait une bonne nouvelle.

Philippe arriva par surprise dans le dos de Louis et l’enlaça.

— Vous semblez bien songeur, mon frère, dites-moi donc où vagabondent vos pensées ? Je constate que votre esprit pérégrine loin de nous, racontez-moi où il vous emmène !

Louis, qui aimait plus que tout se comporter en père avec le petit Monsieur, l’avait longuement entretenu, sans toutefois en dévoiler trop, sur les événements. Le garçon savait ainsi peu ou prou comment les choses évoluaient.

— Vous voyez juste mon cher frère. L’espace d’un instant, j’ai voyagé jusqu’à Paris. Vous apercevez cette fumée sur les hauteurs de Saint-Denis ? Eh bien, elle signifie que la paix approche, la reconquête est en marche.

— Voilà une annonce qui me ravit au plus haut point ! Allons-nous bientôt rentrer à Paris ? Les divertissements me manquent tant ! Oh, mon frère, n’est-ce pas une excellente nouvelle ?

Pour le jeune prince, l’excitation était à son comble. Il cessa ses bavardages quand il vit que son aîné ne partageait pas sa joie. Il savait que Louis goûtait modérément sa propension à s’enthousiasmer trop prestement.

— Vous paraissez courroucé. Ne devons-nous pas nous réjouir ?

Le regard de Louis brillait en effet d’une colère froide. Il serra les poings de toutes ses forces.

— Nous ne rentrons pas incontinent, mais je puis vous affirmer que le temps est bientôt venu. Je puis pareillement vous promettre que tous ces traîtres paieront pour cet affront. Je ferai rendre gorge à tous ces félons, tous ! Je les soumettrai jusqu’au dernier ! Ils entendront prochainement qui est leur roi !

1651

Le Soleil se lève

Par respect que je rends à ce Dieu fait Majeur,

Je remets dans ses mains son redoutable foudre,

Orgueil aux ennemis, il est temps d’avoir peur,

C’est lui désormais qui va vous réduire en poudre,

La Gazette de France, 1651

Ce matin-là, Anjou exultait. Malgré son jeune âge, il n’aimait rien tant que le faste et les mondanités. Le luxe, l’apparat, les riches tenues portées à l’occasion des réceptions ou cérémonies, tout cela le faisait trépigner d’allégresse. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il allait être servi, car on célébrait ce jour-là la majorité de son frère Louis, tout juste âgé de treize ans. La fête serait grandiose.

Le Palais-Royal était entré en effervescence dès potron-minet. Du courtisan au valet, l’agitation était à son comble et chacun se préparait pour le grand événement.

Vers huit heures du matin, Philippe, investi d’un rôle de choix en tant que fils de France, se présenta devant la chambre du roi accompagné de sa mère Anne d’Autriche, son oncle et frère du défunt Louis XIII Gaston d’Orléans, suivis d’une myriade de princesses, ducs, maréchaux, officiers et autres gens d’importance. Philippe avait lui-même jeté son dévolu sur une tenue où broderies et rubans d’or et d’argent rivalisaient avec une profusion de pierreries. Âgé de onze ans, le petit duc d’Anjou avait déjà un goût sûr pour la mode, les étoffes et les afféteries en tous genres. Il avait même développé une passion dévorante pour ces considérations habituellement dévolues à la gent féminine.

Le maître des cérémonies de la cour, Nicolas de Sainctot, vint informer Louis de l’arrivée de sa vénérable mère et sa suite. On envoya le grand chambellan, le duc de Joyeuse, ouvrir la porte de la chambre, certes luxueuse, mais décorée avec sobriété. Introduits par Sainctot et rassemblés devant la balustrade du lit royal, les courtisans s’inclinèrent face à leur éminent souverain, qui accourut aussitôt à la rencontre de sa mère pour l’embrasser et lui adresser quelques mots. Le jeune roi était parfaitement détendu, ce nouveau passage initiatique dans sa vie de monarque ne lui provoquait nulle vive impression. Tel était son destin, et il l’assumait déjà pleinement.

— C’est un grand jour pour nous tous, mon fils. Votre tâche s’annonce immense, mais l’éducation prodiguée par votre parrain le cardinal vous en fera vous en montrer digne.

— Ma chère maman, soyez-en assurée. Vos bons soins me guident.

Puis il se dirigea vers Philippe afin de recevoir son hommage, empreint à la fois d’amour fraternel et du respect dû à son rang. Le petit Monsieur s’agenouilla en signe de déférence, auquel Louis répondit par une franche accolade lorsqu’il se releva.

Après avoir recueilli les salutations et les déférences de chacun, il s’avança vers le maître des cérémonies.

— Vous pouvez demander à chacun de rejoindre sa monture. Que le cortège se forme.

Monsieur de Sainctot partit promptement vers la cour du château tandis que Louis, Philippe, Anne et Gaston prenaient place sur le balcon. À mesure qu’il gagnait son rang sous l’impulsion du toujours zélé maître des cérémonies, chaque cavalier saluait la famille royale avec la plus grande déférence. Louis se délectait résolument de ce moment. Il murmura à son jeune frère :