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À la suite de décès mystérieux, un commissaire de la police judiciaire et une journaliste entament une enquête acharnée dévoilant les rouages du scandale de l’amiante, où intérêts troubles et mensonges d’État s’entremêlent. De la Normandie aux confins du Béarn, en passant par la région parisienne, leur quête de vérité les entraîne dans une affaire que les services secrets français sont prêts à tout pour étouffer. Mais une question persiste : ces crimes sont-ils l’œuvre d’un tueur ou d’un justicier décidé à révéler les dessous de la corruption ? Entre traques, trahisons et manœuvres d’État, s’approcher de la vérité pourrait bien s’avérer fatal.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Vincent Desdoits publie, en 2013, "Le Dernier Souffle", hommage à ses grands-parents victimes de l’amiante. Avec "Mortelles issues", il signe un roman policier dévoilant les rouages politiques du scandale, invitant à une réflexion sur les liens entre crime et pouvoir.
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Seitenzahl: 206
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Vincent Desdoits
Mortelles issues
Roman
© Lys Bleu Éditions – Vincent Desdoits
ISBN : 979-10-422-4820-8
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Chères lectrices, chers lecteurs,
Ce roman est dédié à ma famille et aux milliers de victimes de l’amiante en France et dans le monde.
Je l’ai écrit pour expier ma peine, dans l’espoir qu’à l’avenir nous ne reproduisions pas les mêmes erreurs, devant les mêmes situations.
N’y voyez, je vous en prie, aucune intention de donner des leçons, mais juste une humble contribution au devoir de mémoire.
Faites bon usage des réflexions que fera naître en vous ce livre, dans un esprit positif et optimiste, mais éveillé et vigilant.
Bien à vous,
Vincent Olivier Desdoits
Edouard Conlou était heureux, le printemps s’était enfin imposé. Il pouvait s’adonner à l’un de ses passe-temps favoris : la conduite de son coupé sport, les cheveux dans le vent !
Oh bien sûr, à soixante-quinze ans, il n’en avait plus beaucoup, de cheveux, mais qu’importe, il était grisé par l’air frais du printemps normand, et par les embruns qui caressaient ses joues, rougies par le froid.
Son bolide était une vieille Porsche 356A de 1958. Il l’avait dénichée neuf ans auparavant lors d’une vente aux enchères aux États-Unis. Quand il l’avait vue, il en était tombé immédiatement amoureux. Sportive et séduisante, posée sur ses quatre roues à jantes pleines, la vieille Porsche faisait valoir un noir brillant fantastique, qui mettait fabuleusement en valeur ses courbes à la fois épurées et racées. Le tableau de bord était en cuir rouge de Monza, magnifique, les compteurs et les compte-tours étaient de couleur aluminium pur, et brillants. Pour la transformer en cabriolet, il fallait lui ôter une capote en tissu noir avec des œillets métalliques, à l’ancienne. Tout en elle était beau. Et quand il avait fait face à sa Porsche, il avait clairement vu ses yeux superbes le supplier de les emmener avec lui, au bout du monde. C’est du moins ce qu’il avait dit à sa femme.
Il ne s’était jamais autorisé à céder à sa passion, non pas qu’il n’en avait pas les moyens, mais son métier ne lui avait pas permis d’afficher un tel luxe. Edouard avait été Directeur des Ressources Humaines au sein d’un grand groupe industriel français. Il ne pouvait décemment pas négocier si ardemment les salaires avec les syndicats tous les ans, et se promener en Porsche de collection le week-end.
Alors, loin d’être jalouse de cette nouvelle conquête, et reconnaissante envers son mari pour toutes ces années de labeur, sa femme avait cédé au caprice de son vieil enfant de mari. Après tout, il était maintenant en retraite, et plus rien ne le contraignait, la voiture avait été en quelque sorte, son cadeau de départ.
La route, elle aussi, était magnifique. Edouard avait choisi son trajet préféré, celui qui relie sa maison d’Houlgate, à celle de sa fille Dorothée, à Deauville. Une route sinueuse à souhait, sur laquelle il pouvait tester l’adhérence de ses nouveaux pneus, et avec des dénivelés bien sûr, pour rétrograder et entendre ainsi vrombir le moteur de son « bijou », comme il l’appelait. Cerise sur le gâteau, le chemin longeait la côte Fleurie, la vue sur La Manche était splendide.
Alors qu’il entamait une série de virages pour monter vers Gonneville, Edouard Conlou souriait comme un gamin au volant de sa Porsche de collection.
Il était heureux d’aller voir sa fille et ses petits-enfants, car malgré la proximité, et le temps qu’il avait depuis qu’il était à la retraite, il était débordé ! Il ne pouvait pas les voir autant qu’il l’avait annoncé, quand il était encore actif. Là, les visites aux amis et les voyages, ici, les parties de golf ou de poker, la rénovation de son voilier, l’agrandissement à l’arrière de la maison et le jardinage par-dessus le marché ; il n’avait pas une minute à lui, il n’arrivait pas à consacrer du temps à sa progéniture et à sa descendance. C’est un peu comme si une deuxième vie active avait pris le pas sur la première, pensait-il souvent, « Quand aurai-je le temps de prendre mon temps ? »
Mais aujourd’hui tout serait parfait, il arriverait bientôt à Deauville, il embrasserait sa fille et ses petits-enfants, il jouerait avec eux dans le jardin, pendant que son gendre mettrait l’apéritif en place. Sa femme le rejoindrait en train, dans l’après-midi, et ce soir ils dormiraient chez leur fille, après la fête d’anniversaire du petit dernier.
Tout serait parfait.
Comment est-ce arrivé ? Est-ce qu’Edouard a été surpris par quelque chose ? Est-ce qu’il a trop accéléré dans le virage en haut de la côte ? A-t-il eu un problème technique, sa belle Porsche a-t-elle glissé ? On ne sait pas, mais en quelques secondes il quitta la route, et après plusieurs tonneaux, il termina sa chute trente mètres plus bas, dans une énorme explosion, qui éparpilla son bolide en centaines de morceaux, et le tua sur le coup.
Sa vie s’était stoppée nette, brutalement, alors qu’Edouard était heureux. À qui avait-il pensé, en tombant dans ce précipice, pendant les dernières secondes de sa vie ?
***
Auguste Lacourt était au premier étage de sa maison parisienne. Comme chaque soir après le dîner, il s’asseyait à son bureau, et lisait attentivement les journaux du jour.
Il avait une aversion particulière pour les journaux télévisés qui, selon lui, n’informaient plus personne depuis belle lurette. Il les trouvait pauvres, infantilisants, présentés par des journalistes de petite facture, qui passaient désormais plus de temps à commenter les commentaires des commentaires, plutôt qu’à faire leur travail d’investigation. Il avait été sidéré d’apprendre comment les grandes chaînes sélectionnaient leurs présentateurs vedettes, pour le journal de vingt-heures : non pas sur des critères d’expérience professionnelle reconnue de journalisme, mais sur des recommandations d’analyse marketing, pour plaire au « public », et s’assurer ainsi le plus d’audimat possible.
Eh bien non, il ne regarderait ni le « beau gosse », ni le « normal », ni la « blonde » du journal de vingt heures. Pour s’informer, il lirait encore ses journaux, à quatre-vingt-un ans.
Et il continuerait aussi longtemps qu’il le pourrait, tant les informations étaient traitées avec plus de sérieux et plus de rigueur sur le papier.
On prend son temps pour lire un journal, on décrypte, on analyse, on réfléchit, voilà ce qu’Auguste Lacourt disait à sa femme quand elle lui reprochait de laisser traîner ses journaux par terre.
Auguste était plongé dans un article du Monde, qui l’intéressait au plus haut point. Il traitait de l’affaire de l’amiante. Le journaliste expliquait que la juge Bertoy, du pôle de santé au tribunal de grande instance de Paris, était déchargée de l’affaire, après des années d’instruction. C’est une règle de fonctionnement de la magistrature, limitant à dix ans l’affectation d’un juge à un même poste, qui interdisait à la juge d’instruire son dossier jusqu’au bout. La juge s’était battue pour continuer son travail, mais sans succès. Pire, elle avait été « mise au placard » en attendant la retraite, en se voyant confier un poste de vice-président de tribunal correctionnel ; elle n’était même plus juge d’instruction.
Regrettant qu’un juge, avec autant de connaissance d’une affaire aussi compliquée, ne puisse pas finir son travail pour une raison aussi saugrenue, le journaliste proposait alors des pistes de réflexion. Est-ce parce que la juge avait mis une ancienne ministre du travail, Marie André, en examen en novembre 2012, dans l’affaire de l’amiante, qu’elle en avait été soudainement dessaisie ?
« Ils nous prennent vraiment pour des cons », pensa en cet instant l’octogénaire. Bien sûr que c’était pour cela, il n’y avait pas de doute à ses yeux.
Il entendait la musique que sa femme avait mise à tue-tête, en bas dans le salon. Elle adorait Beethoven, lui préférait Mozart, mais après tout elle le laissait tranquille avec ses journaux, il pouvait bien en faire de même avec ses goûts musicaux.
Et il se mit à penser à l’indépendance de la justice vis-à-vis de l’Exécutif, il se disait que le monde d’aujourd’hui était bien mal embarqué. Oh, non pas que de son temps la justice eût été plus indépendante, non, mais, tout de même, à l’heure d’internet et des nouvelles technologies, à l’heure où tout se sait en un éclair, il pensait que cette indépendance aurait progressé à grande vitesse, et que les arrangements entre politicards et juges, ou les saccages manifestes dont la juge avait fait l’objet, ne seraient plus permis par une population de plus en plus avisée. Au lieu de cela, il constatait que le peuple était tellement submergé d’information, qu’il était encore plus incapable qu’avant d’en faire le tri, et l’analyse. Il avalait tout, sans plus rien goûter, un gavage en bonne et due forme.
C’est comme si tout pouvait passer en France, se dit-il en lui-même. Un scandale en chassait un autre, le « condamné par l’opinion » était conspué par toute la presse et les réseaux sociaux pendant quelques semaines, et puis un autre scandale était rendu public, et il suffisait au premier condamné de faire le dos rond, et de rester tranquille un temps, pour que tout s’arrange, et qu’un autre prenne sa place. Les Français avaient oublié, et ils oubliaient de plus en plus vite. Heureusement, certains juges et certaines associations n’oubliaient pas.
Mais que se passe-t-il quand un homme politique a le choix, entre un juge qui n’oublie pas et des électeurs qui oublient tout ? Il fait sauter le juge.
Lui qui n’avait rien oublié, n’était pas fier de lui non plus, « quel monde pourri », pensa Auguste, baissant la tête.
Est-ce cette pensée négative qui altéra quelques secondes la raison d’Auguste Lacourt ? Qu’est-ce qui lui est passé par la tête ? On ne sait pas, mais alors que sa femme était en train de pleurer sur une symphonie de Beethoven, un coup de feu retentit dans la nuit, et Auguste s’écroula sur le sol.
Sa femme entendit comme un bruit sourd au plafond de son salon, elle se précipita dans le bureau, et retrouva son mari gisant dans une mare de sang, son vieux Smith & Wesson à la main.
À qui avait-il pensé, en se tirant une balle dans la tête, dans les dernières secondes de sa vie ?
***
Le Samu et les pompiers n’avaient pu que constater le décès d’Auguste Lacourt, la police avait bien entendu ordonné qu’on ne touche à rien, en attendant l’inspecteur.
Madame Lacourt était assise dans son salon, très choquée. Malgré son âge avancé, elle était toujours très apprêtée, le chignon relevé, en robe, légèrement maquillée, et même en cet instant dramatique, avec ce psychologue à ses côtés, il émanait d’elle une classe et une maîtrise de soi impressionnante.
« Putain, est-ce qu’on apprend aussi aux bourges à mourir avec les bonnes manières ? » fut la première pensée de l’inspecteur Guérin, en entrant dans le salon des Lacourt, et en voyant la veuve éplorée, si digne.
Paul Guérin avait cinquante ans, les cheveux grisonnants et ébouriffés, plutôt mince, il portait un jean et des chaussures sportswear, avec une chemise blanche et un pull de marque, sous lesquels on devinait quelques tatouages. Comme la plupart des inspecteurs de son âge, il oscillait entre l’impression d’être une grosse merde et d’avoir loupé sa vie, parce qu’il n’était pas encore devenu commissaire, et la fierté absolue de ne pas être devenu « une grosse merde de commissaire, qui était juste bon à lécher le cul du préfet pour avoir une promotion. »
En ce moment, il était plutôt dans la période « fierté », il ne buvait pas beaucoup et il n’eut aucune difficulté à s’adresser à Madame Lacourt.
Madame Lacourt hésita un moment. Puis elle signa le papier que Guérin lui tendait.
Paul ne quitta pas les lieux immédiatement, il monta à l’étage et passa une bonne heure à inspecter le bureau d’Auguste Lacourt.
Il s’intéressa d’abord au coffre-fort du vieil homme et le scruta sous tous les angles, rien d’anormal de ce côté, puis la bibliothèque, magnifique, des livres sur l’histoire industrielle de la France, sur la géopolitique, sur les stratégies de communication, du mobilier de luxe, une belle boîte à cigares, bien remplie, un billard en bois massif, un bureau non moins massif et, au pied du bureau, Auguste Lacourt, la tête explosée, reposant sur le dernier journal qu’il avait parcouru avant de se faire sauter le caisson.
Paul prit soin de déplacer le moins de choses possible, pour ne pas gêner le travail des scientifiques, mais il tint à faire lui-même quelques vérifications d’usage. Sentir le canon du révolver, « oui c’est bien l’arme qui a tiré cette balle », regarder ce qu’avait lu Auguste Lacourt avant de se suicider, « l’amiante, faudra que je me rancarde sur cette affaire », et enfin… emprunter au défunt un bon gros cigare made in Havana, « de toute façon il n’en aura plus l’usage ».
Comment s’endormir quand on vient de perdre son mari dans des conditions aussi affreuses ? À quoi Madame Lacourt avait-elle pensé ? Elle avait dû se poser des tas de questions. Elle avait dû essayer de comprendre, certainement. Son mari était-il malade ? Avait-il des problèmes d’argent qu’elle aurait ignorés ? Qu’est-ce qui pousse quelqu’un à se suicider, surtout à quatre-vingt-un ans ? Avait-elle une part de responsabilité dans le geste inexplicable de son mari ? Pourquoi son mari ne lui avait-il pas livré ses soucis ? Elle aurait pu l’aider, elle aurait su lui parler, elle l’aurait empêché de commettre l’irréparable. Et puis pourquoi n’avait-il pas laissé de lettre expliquant son geste, lui qui écrivait si bien. Elle l’aimait tant. Mais elle lui en voulait à présent, de l’avoir abandonné si lâchement, au beau milieu d’une symphonie de Beethoven. « Il n’aurait pas fait cela sur du Mozart, salaud ».
Cette nuit-là, Madame Lacourt finit par s’endormir, sans trouver de réponse. De fatigue de chagrin et d’une folie naissante qui venait de germer en elle, face à la disparition brutale de son époux.
***
Le lendemain, en milieu de matinée, Paul Guérin sonna à la porte de la veuve.
« Tiens, je n’ai pas le droit à Monsieur l’inspecteur ce matin ? Connasse ! » pensa-t-il immédiatement.
Paul avait développé cette « technique d’approche », tout à fait personnelle, un peu par hasard, avec le temps et l’expérience. En trouvant tous les prétextes possibles et imaginables pour détester un témoin clé, ou même une victime, il excluait toute possibilité de tomber dans la pitié ou dans l’empathie.
Ainsi tous ses sens étaient exclusivement tournés vers le seul objectif qui l’intéressait : résoudre l’affaire.
Cela fonctionnait plutôt bien, Paul avait résolu beaucoup d’énigmes grâce à cette technique, et il était reconnu pour avoir des intuitions fantastiques.
En revanche, et c’était l’inconvénient de sa méthode, il n’était pas très apprécié pour son relationnel et ses qualités humaines, les gens le trouvaient souvent bourru, insensible, asocial, et, pour tout dire, plutôt con.
Madame Lacourt trouva l’inspecteur Guérin très direct, manquant singulièrement d’empathie, et pour tout dire, plutôt désagréable. Mais elle n’en montra rien.
Les larmes lui venaient, elle essayait de se contenir. Et Paul continua son interrogatoire, sans faiblir.
Madame Lacourt reprit un peu ses esprits, comme elle ne voyait pas bien le rapport entre le suicide de son mari et son ancien métier, elle prit la question de Paul pour une marque d’intérêt personnel, ce qui n’était, bien entendu, absolument pas le cas.
À l’écoute du mot « amiante », Paul ressentit immédiatement une poussée d’adrénaline, comme à chaque fois qu’il pensait tenir une piste.
Madame Lacourt commençait à fatiguer, elle avait très peu dormi, et la bienséance dont elle faisait preuve depuis le début envers Guérin s’étiolait peu à peu sous le rythme effréné avec lequel ce goujat, qui ne lui avait même pas demandé comment elle allait, enchaînait les questions, à ses yeux, sans intérêt.
Guérin avait assez d’os à ronger, pour l’instant, il fit un bel effort pour prendre congé de Madame Lacourt, le moins brutalement possible. « Elle est courageuse tout de même, la vieille. »
Il tendit sa carte à la veuve.
Paul sortit de la maison, et s’alluma le reste du cigare qu’il avait emprunté la veille.
Il resta là quelques instants, à regarder le jardin des Lacourt et à toucher le mur de la maison, fait de briquettes rouges et de silex. Il ne l’avait pas remarqué la veille, parce qu’il faisait nuit, mais cette maison ressemblait beaucoup à celle de ses grands-parents maternels, chez qui il passait ses vacances d’été, étant petit garçon. Le même nombre de pièces, le même agencement, à quelques détails près, le même escalier en bois qui craque et qui le mettait en difficulté quand il sortait en cachette pour rejoindre les copains. C’est là-bas qu’il avait passé les meilleurs moments de sa vie, le reste n’avait été que déceptions et malheurs.
Guérin quitta la propriété des Lacourt, sous une pluie naissante, le ciel de Paris était sombre.
***
Laurie Stilz était l’archétype de la jeune femme moderne de ce début de vingt et unième siècle. Trente-cinq ans, jeune et jolie, mais pas trop, principalement hétérosexuelle, mais pas que, se plaignant d’être tout le temps speed, mais ne pouvant vivre autrement, capable de mener deux conversations en même temps ; l’une avec l’humain qui était en face d’elle, et l’autre avec le ou les humains qui étaient à l’autre bout de son portable, en train d’écrire des « Lol », « Mdr », « Jtm » et toute la panoplie des raccourcis possibles et imaginables.
Question « sentiments », Laurie avait enchaîné les aventures sans lendemain pendant une bonne dizaine d’années, en toute connaissance de cause, et grâce à des sites de rencontre bien connus. Elle avait pu constater à quel point la publicité sur ces sites était mensongère !
En théorie, les internautes devaient y trouver des gens avec les mêmes centres d’intérêt que les leurs, qui devaient bien entendu essayer de les séduire, mais qui ne cherchaient pas le sexe à tout prix. En pratique, elle s’était tapé tous les mecs et toutes les filles qu’elle voulait, dès le premier soir, et parfois même sans avoir échangé un quelconque mot au préalable.
Bref, elle avait tout de même connu un chagrin d’amour, de quinze jours, puis avait fini par s’attacher à Hubert, qui n’était autre que son Rédacteur en Chef, au sein du journal Paris-Normandie. Laurie était journaliste.
Ce matin-là, elle entra en trombe dans le bureau de son amant de patron.
Hubert, déçu et résigné, s’aperçut que les salariés du journal les observaient et coupa court à cette discussion, de toute façon mal engagée.
Le même jour, un homme de soixante-quinze ans s’est tué dans un accident de la route. Pour une raison encore inexpliquée, sa voiture a quitté brusquement la route et s’est écrasée trente mètres plus bas, aux environs d’Houlgate, où il habitait.
Alors ce n’est pas bizarre, ça ? dit-elle fièrement.
Hubert avait encore en travers de la gorge le NON de sa bien-aimée.
Hubert levait les yeux au ciel et commençait à se rasseoir sur son siège. Laurie connaissait la signification de cette posture et sentit qu’elle allait se faire virer du bureau, illico presto. Hubert était un amant charmant, mais un rédacteur très pro et très exigeant sur le choix des sujets à couvrir.
Laurie insista.