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La découverte d’un patron de quotidien, percé d’une flèche en pleine nature, est le point de départ d’une intrigue qui voit surgir plusieurs morts. Ces drames ont-ils un lien entre eux ? N’y a-t-il pas d’autres personnes menacées ? Pour mener cette enquête jonchée de surprises, le capitaine Durandal, à la tête d’une équipe hétérogène, dont un chrétien évangélique, va être contraint de surmonter certaines fragilités et explorer le monde des médias ainsi que celui des archers.
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
"Une intrigue bien ficelée." - Le Dauphiné-Libéré
"Un schéma criminel peu commun au cœur de paysages dont l’air est presque palpable." - France Bleu
À PROPOS DE L'AUTEUR
Attiré très tôt par la lecture et après des études d’histoire, l’orientation professionnelle s’est faite spontanément vers le journalisme d’écriture pour Olivier Beylon. Ayant régulièrement traité des sujets de faits divers, de justice et de religion, il use de toute son expérience pour nous proposer Morts sur le champ, son premier roman.
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Seitenzahl: 292
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Olivier Beylon
Morts sur le champ
Roman
© Lys Bleu Éditions – Olivier Beylon
ISBN :979-10-377-6876-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Les évènements sont comme les trapèzes : il y a une coïncidence et une seule qui permet de passer de l’un à l’autre.
René-Salvator Catta
Notre objectif n’est pas ce qui se voit, mais ce qui ne se voit pas.
Saint Paul
Makhtesch Ramon – Désert du Néguev – Israël
Le 4X4 dévale la pente au milieu du sublime panorama minéral. Au volant, Eliezer Hirscher, grande carcasse barbue, 68 ans d’âge, pilote. C’est son territoire, l’endroit où il a grandi. Le plus grand cratère géologique connu au monde. Quarante kilomètres d’un côté, neuf de l’autre. Il habite sur les hauteurs, à Mitspé Ramon, et, comme souvent, prend sa voiture pour descendre dans ces entrailles rocailleuses, 500 mètres plus bas. Pas pour l’inlassable plaisir à parcourir ce paysage désertique, sillonné par les escadres de touristes, pas si nombreuses en fait. Dans cette région aride du sud du pays ne viennent qu’une minorité de visiteurs, beaucoup se limitant à Jérusalem et la région du lac de Tibériade ou de la mer Morte.
La descente est par endroits vertigineuse. Mais Eliezer a l’esprit ailleurs, prenant les virages par automatisme. Il se souvient de ces clients insistants, pénibles même. Revenus à la charge une semaine auparavant. Comme s’il n’avait pas assez à faire avec ceux uniquement préoccupés par la qualité de service de son hôtel. Et aussi ce travail d’appoint qui peut lui faire courir des risques.
Pendant ce temps-là, le 4X4 prend de la vitesse. Il ne faudrait pas trop. Histoire d’éviter une gazelle ou un bouquetin nubien qui pourraient surgir sur la route soudainement. Oui, décidément ce couple de touristes est à oublier au plus vite.
Il vaudrait mieux se concentrer sur sa conduite et sur ces autres clients qui sont en difficulté avec leur voiture et qu’il s’est proposé de venir chercher. « Tu es trop bon Eliezer », disait toujours sa femme.
Le soleil tape fort en cette journée de fin octobre, pas un nuage pour l’obscurcir.
Il a du mal à éviter un camping-car qui croise sa route. Sueurs froides.
Pas la peine de se précipiter. C’est dangereux ici.
C’est alors qu’il prend subitement conscience que son véhicule est en passe de lui échapper. Pour se rassurer, il décide d’appuyer davantage sur la pédale de frein. Sans que le résultat soit à la hauteur attendue, alors que la pente est encore raide et que se profile une série de virages.
Il faut s’arrêter. Voir ce qui ne va pas.
Mais la route est trop étroite à cet endroit.
Le paysage s’accélère derrière les vitres, sans qu’il puisse le ralentir.
Il est profond le ravin surplombé par la chaussée. Il ne lui laisserait aucune chance.
Région d’Eilat – Sud d’Israël – 8 ans après
Roxane profitait du soleil, étendue en maillot de bain dans une balancelle installée sur le toit en terrasse de sa maison. La température, devenue clémente en cette fin de journée d’automne, rendait la chose supportable.
Engagée dans la deuxième moitié de sa cinquantaine, elle était encore une belle femme. Grande, brune, le teint hâlé, ses yeux foncés rapprochés doublés de lèvres fines lui donnaient un air un peu sévère.
Elle avait du mal à se concentrer sur sa lecture, pourtant intéressante. La tête lui tournait un peu mais surtout elle se sentait engourdie.
L’ouvrage traitait de la réincarnation. Cela faisait des années qu’elle s’intéressait de près aux questions ésotériques qui la plongeaient dans une abondante littérature. Mais aussi la poussaient à se rendre à des conférences aussi spécialisées que confidentielles, à participer successivement à des groupes que certains n’auraient pas hésité à qualifier de sectes.
Elle avait pourtant eu une éducation religieuse catholique, pensionnat de jeunes filles chez les bonnes sœurs à l’appui.
Ah, parlons-en des bonnes sœurs ! Elle avait quinze ans quand celle qui enseignait à son cours de catéchisme l’avait terrifiée en proférant : « Mes filles : si une nuit vous entendez un appel de Dieu à le servir, répondez-y, comme nous l’avons fait ici ». La sœur Thérèse concluait ainsi un enseignement sur la Bible.
On était dans l’Ancien Testament, au début du premier livre de Samuel, lorsque le petit Samuel avait entendu distinctement, dans son lit, qu’on l’appelait. Au bout de la troisième fois, force lui avait été de constater que l’appel réitéré ne venait pas du prêtre juif qui l’hébergeait, mais de Dieu lui-même. C’est ainsi que commença la carrière de celui qui allait devenir un grand prophète.
Mais de là à transposer ça en termes de bonne sœur dans le contexte catholique du XXe siècle… ! Pas question !
Pour ne pas se retrouver prise au piège d’un appel de Dieu, elle avait décidé, dans sa grande naïveté d’adolescente, de se mettre la tête sous l’oreiller la nuit. Si Dieu s’avisait de lui parler, elle bloquerait ainsi la liaison !
Elle tenta de se reconcentrer sur son livre. Elle se secoua, pour lutter contre la torpeur qui l’envahissait. En s’étirant, elle eut conscience d’un bruit au rez-de-chaussée, trois niveaux plus bas, comme un froissement. Puis plus rien.
Elle était pourtant seule dans cette grande maison.
Le visiteur qu’elle avait reçu était parti depuis un bon moment. Il souhaitait faire affaire avec elle et acheter un de ses tableaux. Elle l’avait invitée à en discuter autour d’un verre. Il avait eu le bon goût de venir avec des petits gâteaux. Comme s’il savait qu’elle était gourmande…
Intriguée, Roxane posa le livre, se leva avec une difficulté inhabituelle de sa balancelle, s’approcha au bord de la terrasse démuni de garde-fou, pour jeter un coup d’œil en bas. Un sac plastique chahutait dans la bise. Mais ce n’était pas tout à fait le même bruit. Si du moins elle pouvait se fier à ses sens qui semblaient lui échapper quelque peu. Elle reprit sa position et son livre en bâillant.
Au fil des années, par certaines de ses lectures, elle s’était détachée de l’enseignement chrétien, qui était pour elle resté très théorique. Ou du moins, elle l’avait accommodé à sa sauce. Elle avait gardé la foi dans un monde de l’Au-delà, mais où Dieu n’était plus une personne mais une sorte de « grand tout ». Où Jésus n’était plus le Christ sauveur et rédempteur, mais un initié comme certains grands noms de la philosophie ou de la spiritualité.
Elle avait pu tester la réalité de tables tournantes sans trucage, et expérimenté d’autres puissances spirituelles à l’œuvre dans le dernier groupe ésotérique avec lequel elle frayait. Les témoignages sur les voyages astraux, sorties de corps, niveaux de conscience supérieure l’intéressaient beaucoup.
Certaines techniques de méditation, aux aspects très pratiques, en étaient quelquefois les supports. Ce qui ouvrait la perspective à des expérimentations de techniques censées impacter le corps, l’âme et l’esprit de façon positive. Bien plus que ce que la religion chrétienne avait à lui proposer, dans ce qu’elle avait retenu de son catéchisme. En fait, il s’agissait de s’initier encore et toujours dans une démarche visant à interpréter comment le monde invisible pouvait percuter le visible, et réciproquement. Et les démarches, comme les interprétations, ne manquaient pas…
L’enseignement qu’elle avait reçu lui avait fait entendre que le temps des miracles et guérisons du Nouveau Testament était révolu, sauf rarissimes exceptions qui ne faisaient que confirmer la règle. Elle voyait bien, Roxane, que l’Au-delà n’avait pas fermé ses portes et qu’il fallait s’y engouffrer. Mais ça n’avait pas intéressé le curé auquel elle s’était confié qui, d’ailleurs ; semblait tout ignorer des manifestations bizarres dont elle lui parlait. Elle en avait finalement conclu qu’elle en savait plus que lui. Et que donc, ces prêtres n’étaient pas des gens fiables pour ce qu’elle recherchait. Et, justement, la théorie de la réincarnation méritait qu’elle s’y arrête.
Alors que le soleil disparaissait derrière la colline, elle frissonna. Il fallait qu’elle se couvre et se lève pour ne pas sombrer dans l’engourdissement.
Elle perçut un nouveau bruit, différent, qui, cette fois, semblait venir de l’étage.
Elle tressaillit, tenta de réfléchir à ce qui pouvait en être la cause.
Soudain, dans son esprit embrumé, elle distingua une silhouette à contre-jour, qui s’encadrait dans l’ouverture donnant sur la terrasse. Subite poussée d’adrénaline.
Elle écarquilla les yeux. Puis, soulagée :
— Ah, c’est vous ! Vous avez oublié quelque chose ?
— Oui.
Même jour – Aéroport Ben Gourion – 19 heures
Le passager débarqua du car pour s’engouffrer dans l’aérogare qui grouillait de monde. Déjà très tendu, il comprit pourquoi il allait encore souffrir avant de se retrouver dans la salle d’embarquement. Autant, à son arrivée, les formalités avaient été étonnamment vite accomplies, autant les contrôles au départ semblaient redoutables, avec des files d’attente dans tous les sens qui semblaient figées. Il se mit dans l’une d’entre elles et tenta de jauger le temps qu’il lui faudrait pour en arriver à bout. Le résultat fut qu’il en vint à se demander si tout ce bazar n’allait pas lui faire louper son vol.
Un bagage sur deux ou sur trois, était dirigé au hasard vers un agent de sécurité qui se mettait en devoir d’en explorer méticuleusement le contenu, et par là même de l’offrir en spectacle à ceux qui s’ennuyaient. Les propriétaires (combien de temps avaient-ils attendu pour en arriver là ?), contrariés par le mauvais sort, essayaient de prendre leur mal en patience, jetant des coups d’œil furtifs à une pendule.
Le passager, transpirant alors qu’il ne faisait pas si chaud, en était au stade où il envisageait avec angoisse que l’aéroport puisse se trouver sur le pied de guerre, à la suite d’une alerte.
« Ces fouilles seraient plus compréhensibles si on venait d’arriver, des fois qu’on serait porteurs de produits explosifs ou de substances nuisibles à la population ; mais, là, au départ, ils ont peur de quoi ? Qu’on fasse sauter un avion, certainement plein d’étrangers… Question de réputation ? ». Il est vrai tenta-t-il de se rassurer, que cet aéroport passait pour être un des plus sûrs au monde, si ce n’est le plus sûr.
Il se mit alors à observer les employés chargés du ménage. « Celle-là passe plus de temps à regarder autour d’elle qu’à balayer », remarqua-t-il, avant de constater qu’elle n’était pas la seule dans ce cas.
Il se dit qu’Israël, qui a quelques raisons de se considérer en état de guerre, pouvait fort bien immerger des agents de ses services secrets parmi le personnel de nettoyage de l’aéroport. D’autant que ce pays affichait à la face du monde un art consommé en matière de sécurité, espionnage et autres services spéciaux.
Le passager, qui n’avait pas grand-chose à craindre d’une exploration de ses bagages, souhaitait juste extraire sa personne de ce pays au plus vite.
Région de Bourgoin-Jallieu – Isère – Trois semaines plus tard
Le lieutenant Quentin Spatha patientait depuis son poste d’observation. Installé au volant de sa voiture de gendarmerie banalisée, il attendait depuis de longues minutes la sortie de celui qu’il filait. Procédure habituelle pour ce personnage suspect de non-dénonciation de crime, remis en liberté par le juge à l’issue de sa garde à vue.
Le renseignement parvenu à la section de recherches faisait état d’un déplacement de l’individu dans une zone rurale. Quentin avait pris le relais d’un collègue de la brigade de recherche locale.
La SR avait identifié la propriétaire de la ferme, à la suite de l’envoi des coordonnées GPS de l’endroit. Apparemment elle vivait seule, et ne faisait pas partie des personnes repérées dans l’affaire dans laquelle son visiteur était impliqué. Il fallait aussi envisager que d’autres pourraient se joindre aux deux enfermés là.
Peu de circulation à cet endroit. Des enfants qui jouaient en anorak dans une propriété, un riverain qui passait la débroussailleuse, un tracteur qui labourait un champ. Un chien qui aboyait.
Le lieutenant Spatha réfléchissait, alors que la clarté du jour commençait à décliner en cette fin de journée automnale déjà fraîche. Dans ce contexte rural, il fallait bien calculer le temps passé sur place pour que le jeu en vaille la chandelle. Le moindre mouvement humain pouvait y être facilement détecté, tout comme une station trop longue sur place.
Il savait que son poste d’observation, bien que soigneusement choisi, n’était pas idéal, Les maisons et fermes clairsemées ne lui fournissaient pas un paravent très efficace. Il est souvent difficile de se fondre dans le paysage rural, même si en tant que militaire, il y avait été formé, selon le principe de repérage et dissimulation, baptisé « FOMEC » (Forme, Ombre, Mouvement, Éclat, Couleurs).
Mais Quentin n’était pas un néophyte en la matière. Il avait déjà eu à assurer des planques en zones urbanisées qui présentaient d’autres caractéristiques. Il y était plus simple de s’intégrer anonymement dans les allées et venues, mais il y fallait une bonne dose de doigté lorsqu’il s’agissait d’aller innocemment au renseignement auprès des personnes en contact avec la cible.
Le collègue nouveau venu avec lequel il était en liaison au PC lui avait conseillé de « croiser les doigts » pour que sa filature se passe bien.
Le lieutenant n’avait rien répondu. Il ne répondait jamais rien à ce conseil très populaire. Pourtant l’envie ne lui manquait pas de rétorquer qu’il n’avait pas besoin de pareilles superstitions pour espérer : il était un chrétien convaincu.
Même si sa foi n’était pas un mystère. Ou plutôt, si, parce qu’elle était un mystère pour beaucoup, il préférait limiter ses propos sur un sujet demandant autre chose qu’une simple répartie ou explication forcément réductrice. Sauf si ses interlocuteurs étaient en demande. Et encore, à manier avec précaution… En tout cas, pas question de foncer sur des occasions de prêcher là où elles se présentaient. Plutôt témoigner par ce que sa vie, ses paroles et ses actes pouvaient dire de lui. Même s’il se savait bien faillible et, comme le disait l’apôtre Paul lui-même, il ne faisait pas le bien qu’il voulait et faisait le mal qu’il ne voulait pas.
Spatha n’avait rien de bien particulier dans son physique si ce n’était une stature plus haute que la moyenne et un visage dont le bleu des yeux frappait de prime abord. Une mèche rebelle de ses cheveux châtains balayait son front, et même jusqu’à l’œil gauche. Une gestuelle machinale pour y remédier était chez lui signe d’une intense concentration.
À l’inverse de certains de ses collègues, il fonctionnait peu de façon réactive, mais bien plus facilement de façon analytique et synthétique. Ce qui ne l’empêchait pas d’avoir l’esprit vif. Il était précieux en cela à la section de recherches, composante de la gendarmerie, chargée des dossiers criminels les plus compliqués, l’équivalent de la fameuse PJ.
Doté par ses études d’un solide bagage en Droit, il était entré dans la gendarmerie, comme on rentre dans les ordres, à la suite d’une déception amoureuse. À 33 ans, il vivait en célibataire, même s’il n’aspirait pas à conserver ce statut. Il voyait bien qu’il n’était pas indifférent aux yeux de certaines femmes, au physique agréable. Son travail, ou la situation matrimoniale de deux ou trois, avait fait obstacle à une tentative de relation. Il menait une vie assez ascétique à bien des égards, à laquelle l’esprit militaire convenait bien.
Il s’apprêtait à sortir de son véhicule pour vérifier les éventuelles possibilités qui s’offraient aux habitants de la ferme pour sortir incognito. En plus de travailler en civil, comme les enquêteurs des brigades et sections de recherche, il trimballait toujours dans le coffre du véhicule un équipement de randonneur, sac à dos et chaussures, pour moins intriguer.
Il avait déjà un pied dehors lorsqu’un appel retentit sur son téléphone. À l’autre bout, un officier de permanence :
— Mon lieutenant, vous pouvez décrocher. On en sait assez pour le moment. On a besoin de vous ailleurs.
Le lieutenant prit note du lieu où on l’envoyait.
Collines de Chartreuse – Isère – 2 jours plus tard
Le capitaine Matthieu Durandal, que ses proches et collègues appelaient le plus souvent Matt, en avait vu pas mal dans sa carrière d’enquêteur. Mais là, instantanément, l’inédit de la situation, par les mystères des circuits de la pensée, l’immergeait dans des souvenirs d’enfance : quand il jouait avec ses copains aux cow-boys et aux Indiens.
Sauf que la flèche plantée dans le corps de l’homme mort à ses pieds était bien plus performante et high tech que celles qu’ils se fabriquaient avec des bouts de bois à peu près droits.
Le cadavre était couché sur le dos, les mains crispées au bord de la flèche, plantée dans son thorax. Visage crispé aussi, de douleur et d’incompréhension, semblait-il.
Il avait été découvert moins d’une heure auparavant par un homme que les gendarmes de la brigade locale, arrivés les premiers sur les lieux, avaient soigneusement mis de côté dans leur fourgonnette.
Le véhicule se trouvait à l’écart, après être venu à bout de la piste qui menait à ce qui n’était pas encore considéré comme zone de crime.
Ce coin de campagne isolé, perché sur un plateau, s’animait de minute en minute de l’affairement des enquêteurs et techniciens en investigation criminelle.
Matthieu Durandal entretenait avec le légiste un dialogue compliqué, car balayé par un vent bruyant soufflant par rafales, faisant frissonner et claquer les rubalises installées pour délimiter la zone du drame. L’expression forcée de leurs visages ne témoignait de rien d’autre que des efforts sporadiques pour échanger des propos compréhensibles dans ces conditions. Autour d’eux, des branches d’arbres omniprésents se balançaient en grinçant, rendant l’ambiance encore plus sinistre dans un fond de ciel sombre et menaçant, annonciateur de pluie en ce milieu d’après-midi.
Le Dr Aloïs Bourel était perplexe. C’était un légiste quinquagénaire, donc expérimenté. Barbu, deux mètres de haut d’une belle carrure. Il en imposait, d’autant qu’il était doté d’une voix caverneuse.
En face de lui, le capitaine paraissait forcément un peu court malgré son mètre quatre-vingt-deux. De cet ex-rugbyman, approchant la quarantaine, émanait une force tranquille. C’était ce que l’on appelle un calme, mais aussi un rusé et perspicace personnage, dont l’attitude équivoque, voire plurivoque, professionnellement travaillée, avait décontenancé bon nombre de ses suspects, et même certains collègues. L’efficacité de la méthode était souvent au rendez-vous.
Il réussissait malheureusement à cumuler sur le tard les handicaps de la claustrophobie et de la peur du vide (cette dernière revêtant d’ailleurs aussi un aspect métaphysique chez lui). Un homme sympathique, intello et jovial dans le privé. Solidement marié à Élise, ils étaient les heureux parents de deux petites filles.
L’arrivée du procureur de la République suspendit leur conversation. Durandal fit quelques pas pour accueillir et saluer le petit homme, à lunettes et barbiche, portrait craché de Landru. En quelques mots, il rendit compte.
— Donc on ne peut pas encore trancher ? en déduisit le magistrat.
— Non, il faut attendre l’autopsie. Mais le légiste trouve étrange que la flèche n’ait pas pénétré davantage, comme si elle l’avait touché avec peu de force.
— C’est quoi comme flèche ?
— De celles qu’on utilise dans les clubs d’archers. On est en bordure d’un terrain utilisé comme champ de tir en plein air par l’un de ceux de l’agglomération.
— Une flèche perdue ?
— Comme une balle perdue ? Possible, admit Durandal.
Le procureur s’approcha de la victime, se pencha et questionna, juste d’un mouvement de menton interrogatif en levant sa tête vers le capitaine.
Ce dernier, en habitué des codes économes de communication du procureur, répondit sans plus attendre. Et ne put s’empêcher par contagion mimétique, d’accompagner ses paroles d’un mouvement de tête pour indiquer l’endroit où se trouvait la fourgonnette :
— Le corps n’a pas été transporté. Celui qui l’a découvert est un membre du club…
Il s’interrompit pour consulter non sans difficulté son carnet dont les pages battaient au vent.
— … un dénommé Thomas Seray. Il dit qu’il a reconnu un des archers, un Parisien qui possède une propriété familiale dans le Vercors, qui ne vient que de temps en temps. Il ne connaît que son prénom : Enguerrand. Il n’avait pas de papiers sur lui, pas de portable non plus, mais on ne devrait pas tarder à en savoir davantage…
— Une idée de l’heure de la mort ? demanda le magistrat au légiste géant qui s’était approché, après l’avoir brièvement salué d’un signe de tête.
— Elle ne remonte pas à aujourd’hui, mais probablement à hier, pas davantage. Approximativement à la même heure que maintenant, à trois ou quatre heures près.
C’est à ce moment que le major de la brigade locale, sorte d’athlète en uniforme, s’extirpa de la fourgonnette avec un papier à la main :
— J’ai eu le président du club : le type c’est Enguerrand Rambaud-Després. Il dirige un quotidien à grand tirage, le Journal, basé en région parisienne. 35 ans. Domicilié principalement à Saint-Rémy-les-Chevreuse.
La nouvelle fut accueillie dans un silence perplexe, tous considérant qu’un patron de presse n’était pas le bienvenu au titre de victime pour le déroulement idéal d’une enquête.
Avec une des clés retrouvées dans une poche de la doudoune de la victime, les gendarmes eurent tôt fait de repérer la voiture de celle-ci et les experts se mirent à l’œuvre dans l’habitacle.
Les constatations terminées, chacun regagna sa base au milieu des rafales cinglantes, transportant de surcroît les premières gouttes pesantes de l’orage.
***
Durandal rendait compte dans le bureau du colonel Rémy Herbert, commandant la section de recherches de Grenoble, un homme très courtois d’apparence, la cinquantaine voûtée, fine moustache, petits yeux vifs et chevelure déjà presque intégralement blanche. La scène se déroulait en présence du major Antoine Larrivée et de Jéromine Puybaron, lieutenant spécialiste en psychologie, concentré de profileuse et de mentaliste. Le premier, dans la force de l’âge, présentait un physique assez quelconque, tandis que la seconde, plus jeune, en était dotée d’un bien peu banal, par la finesse de ses traits, et une silhouette élancée qui attirait les regards. Quentin Spatha était attendu instamment.
L’archer, Thomas Seray, qui avait découvert le corps, avait pu regagner ses pénates après une déposition qui n’avait pas appris grand-chose aux enquêteurs. L’autopsie était prévue pour le lendemain.
Le frère de la victime, Jérémy, avait été informé du drame par une visite des gendarmes de la compagnie de Briançon dans le secteur de laquelle il résidait.
— C’était son seul parent proche ? s’étonna le colonel, alors que le lieutenant Spatha entrait discrètement dans le bureau, saluant d’un signe de tête et s’asseyant sagement, tout attentif.
Jéromine, déjà bien documentée, sut que c’était à elle de répondre aux interrogations de son commandant. Elle s’en acquitta donc :
— On ne lui a pas trouvé d’autres frère ou sœur, ni d’épouse ou de compagne actuelle, pas d’enfant non plus…
Un blanc.
Jéromine, figée, était bloquée dans sa parole. Ses collègues ne s’en étonnèrent pas, sachant qu’elle devait faire face à un léger handicap causé par un bégaiement par inhibition. À la différence des plus classiques, celui-ci l’immobilisait physiquement et temporairement dans son élocution, et elle ne pouvait repartir normalement qu’après cette phase. C’était un peu gênant dans les conversations, car quand elle se trouvait interrompue par ce trouble, difficile de savoir si elle avait quelque chose à ajouter. Ou pas.
Elle soignait ce problème avec un orthophoniste. Ce qui lui avait permis de tenter des tirades plus longues sans interruption, mais de façon encore trop aléatoire. Même si elle n’était pas depuis longtemps à la SR, on parvenait à discerner là où elle en était en fonction de son attitude.
Donc, là, lui laisser quelques secondes…
Elle put heureusement reprendre rapidement :
— … et les parents sont décédés.
— De quoi ? Le colonel avait le chic pour poser des questions un peu à l’instinct, qui pouvaient paraître accessoires de prime abord.
— Accidentellement, d’après ce que j’ai pu savoir ; mais pas ensemble. Pour ça, je n’ai pas encore les éléments.
— Il est un peu jeune pour diriger un tel journal, fit remarquer le capitaine.
— À la base, c’est une affaire familiale. À la mort de son père, Arnaud, l’année dernière, il lui a succédé à la tête du quotidien où il avait déjà un poste de responsabilité.
— Il venait souvent dans le coin ? questionna à son tour le colonel.
— Régulièrement passer des séjours de détente, dont la randonnée et la pratique de tir à l’arc dans un club qui possède des locaux dans la vallée et cet espace de tir à l’air libre.
— Des empreintes sur la flèche ? s’enquit Spatha.
— Oui. On est en recherche pour correspondance…
Jéromine à nouveau en pause. Puis :
— … dans nos fichiers. Ce ne sont pas les empreintes de Seray. On vient d’en avoir confirmation. Mais ça ne veut rien dire.
Le colonel reprit la parole :
— Ce type, qu’est-ce qu’il faisait là ? Il y avait une séance de tir prévue à ce moment ?
— Non. Il venait avec sa débroussailleuse, défricher un peu le terrain, expliqua Durandal.
— On en est où de l’identification du corps ?
— Son frère, Jérémy, est en route. Il pourra la faire aujourd’hui.
Le briefing fut interrompu par une vibration du portable du colonel, qui y jeta un œil et, avant de prendre l’appel, signifia brièvement à ses quatre interlocuteurs, avant de les congédier :
— Bon, j’aimerais que vous fassiez équipe sous la direction d’enquête de Durandal pour m’éclaircir tout ça.
***
En fin d’après-midi, le capitaine et le lieutenant Spatha s’armaient de tonus, tasse à la main, auprès de la machine à café de la salle commune, s’interrogeant sur ce que l’autopsie du lendemain allait bien pouvoir révéler.
Ils furent rejoints par le major Larrivée, quinquagénaire aux cheveux poivre et sel, mâchoire et nez anguleux, légèrement en surpoids. Il parlait avec un bel accent chantant du sud-ouest et réfléchissait en faisant rouler ses yeux foncés de droite à gauche dans leurs orbites. Dans sa jeunesse, il aurait sans aucun doute pu suivre des études poussées, mais avait préféré s’engager sans attendre dans la gendarmerie, car il avait l’injustice en horreur. Assez rapidement, il était monté en grade en étonnant ses collègues par sa capacité de mémoire hors du commun. Un atout précieux pour la maréchaussée qui l’avait, sans trop tarder, installé dans des brigades de recherches, avant de lui proposer d’intégrer une des 41 sections de recherche présentes sur le territoire français. Moins estimable pour les enquêtes était sa propension à ne pas soupçonner que les suspects, mais aussi les maladies dont il craignait d’être atteint au moindre signe évocateur. Ce qui faisait du corps médical l’un de ses interlocuteurs privilégiés et lui l’un des plus fidèles clients de la pharmacie du coin…
Ils furent interrompus par l’arrivée de Jéromine, qui fit passer un vent frais, dynamique, « classe », esthétique. Qu’est-ce qu’une fille pareille faisait dans la gendarmerie ? s’étaient demandé les trois hommes en la découvrant dans la section. Jolie certes, mais un peu gênée pour se lancer dans de longues diatribes.
À force de volonté, elle parvenait à surmonter son handicap, elle qui se souvenait avoir toujours bégayé. Enfant, comme il était compliqué pour elle de parler, et étant souvent blessée par les moqueries et les mauvais tours dont elle faisait l’objet, elle s’abstenait tout simplement de s’exprimer. Ce qui avait fait d’elle une personne introvertie et timide.
Nonobstant ses capacités intellectuelles, pourtant avérées, l’Éducation Nationale n’avait rien trouvé de mieux que de lui conseiller un cycle court en fin de troisième, genre CAP de coiffure (ou éventuellement mannequinat…), plutôt que la voir viser le baccalauréat. Rien de pire pour entamer encore davantage sa confiance en elle, dont il ne restait déjà que des miettes. Elle ne s’était pourtant pas laissé abattre et avait pris la décision d’éradiquer ce poison de la diction erratique. Elle s’était ainsi mise à lire des livres à haute voix, et même en chantant, ayant agréablement constaté qu’elle pouvait le faire sans bégayer. Puis elle avait intégré un cours d’art dramatique, en l’assortissant d’un suivi par un orthophoniste. Elle s’était ainsi décomplexée, avait même pris de l’assurance. Après un master en psychologie et en criminologie, elle avait intégré la gendarmerie, intéressée par ses compétences, et y avait passé avec succès son examen d’officier de police judiciaire.
— Pour l’identification, le frangin valide, annonça-t-elle.
— Comment il est ?
— Plutôt beau gosse.
Les deux hommes étaient habitués à son style d’humour blagueur, venu des profondeurs de la cité phocéenne où elle avait grandi. Difficile de lui en vouloir lorsque c’était servi avec ce sourire malicieux.
Mais la gendarme en elle s’empressa d’ajouter, sérieuse :
— Secoué. C’était son seul frère.
Blocage. Attente. Reprise :
— Il semblait l’aimer beaucoup. Je l’ai convoqué pour demain matin, comme convenu. Au fait, Quentin, put-elle enchaîner, l’autre jour, tu étais dans l’équipage qui a pu retrouver la désespérée avant qu’elle ne se suicide ?
— In extremis. J’étais aux premières loges. Elle était au bord de l’Isère, prête à se jeter.
— C’est la femme de Dimitri. Elle voudrait bien qu’on lui mette la main dessus. Avec ce qu’il lui a fait subir… Sans parler des deux meurtres dont il est suspecté. C’est la Brigade Nationale des Fugitifs qui s’en occupe maintenant. Il peut être en France, comme à l’étranger, commenta Durandal, avant d’ajouter :
— Je n’aime pas trop le savoir dans la nature. On a cru un moment qu’il était en Suisse, où on avait géolocalisé son portable. Cet enfoiré est malin : il avait expédié son téléphone par la poste à une adresse là-bas pour nous amuser…
— Rien à voir avec notre affaire, bien sûr, lâcha Jéromine, mi-figue, mi-raisin.
— Manquerait plus que ça… soupira le capitaine, qui ne savait pas ce que l’avenir lui réservait.
Lorsqu’ils se présentèrent le lendemain au petit matin devant la résidence indiquée comme étant le domicile d’Enguerrand en région grenobloise, les gendarmes avaient en main le trousseau de clés trouvé dans une de ses poches. L’une d’entre elles s’avéra ouvrir la porte d’entrée.
C’était une grande bâtisse de trois niveaux avec un propriétaire différent à chaque étage. Le premier était un rez-de-jardin. Un escalier extérieur desservait le niveau supérieur où se trouvait la porte du domicile d’Enguerrand tandis qu’une autre donnait accès à un escalier intérieur reliant le dernier étage.
L’appartement était sobrement meublé avec le minimum de confort. L’équipe de spécialistes en investigation criminelle se mit au travail. Ses hommes s’emparèrent d’un ordinateur portable et de quelques papiers posés sur une table dans un salon attenant à la cuisine-salle à manger.
Pour le capitaine, une perquisition c’était une façon de pénétrer dans la vie des gens, pas seulement du point de vue matériel, mais aussi de flairer une atmosphère de vie, donner corps à quelqu’un qu’on n’avait jamais vu, comme c’était le cas dans cette affaire. Avec le major Antoine Larrivée, ils cherchèrent des indices révélateurs de la personnalité du jeune homme sans rien trouver de probant ni surtout de susceptible de les éclairer sur la fin dramatique du propriétaire.
Peut-être les voisins…
Ils sonnèrent au rez-de-chaussée d’où provenaient des cris d’enfants. Une jeune femme brune coiffée en queue de cheval apparut derrière une porte entrebâillée, l’air épuisé, un bébé geignard dans les bras. Derrière elle se tenait, debout et hésitant, un petit garçon.
Non, elle ne connaissait pas particulièrement son voisin du dessus avec lequel les échanges se limitaient aux salutations d’usage. La famille n’était installée que depuis peu, ce qui, ajouté au caractère très épisodique des apparitions de M. Rambaud-Després (elle ne se souvenait même pas si elle avait déjà su son prénom), ne permettait pas de se faire une idée du personnage, au demeurant discret. Elle ne souvenait pas qu’il soit venu accompagné, ou ait reçu des visites. Mais ce n’était pas impossible car elle n’était pas toujours là, ou attentive à ce genre de choses, et son mari encore moins. Elle leur indiqua qu’il était inutile de sonner au dernier étage, l’appartement étant en vente depuis une période antérieure à leur installation.
***
Jérémy était effectivement beau gosse, mais Jéromine n’était pas là pour le voir, puisqu’elle avait été envoyée à l’Institut Médico-Légal avec Quentin pour assister à l’autopsie.
C’était un garçon très brun d’une trentaine d’années au corps longiligne. Il avait un visage doux parsemé d’un système pileux, entre barbe et rasage savamment oublié. De taille moyenne, vêtu en style décontracté chic, son allure dénotait d’un curieux mélange, tenant de la nonchalance et de la distinction, que ses cheveux un peu en bataille ne parvenaient pas à perturber. Le genre sûr de lui.
Son audition mit d’abord le jeune homme en devoir, procédure oblige, d’expliquer où il se trouvait au moment de la mort de son frère : avec des clients en école d’escalade à Briançon. Facile à vérifier… Mais nécessaire.
La suite permit au capitaine et au major de mieux cerner le contexte familial, bourgeois et entreprenant, dans lequel son frère et lui avaient évolué avant de prendre des directions bien différentes : Enguerrand dans le milieu journalistique, lui dans le monde des professionnels de la montagne, en tant que guide. Il exerçait en indépendant et ne suivait que de très loin la sphère médiatique dans laquelle s’étaient investis ses parents et son frère, au travers de la direction de cette entreprise de presse florissante.
Non, personne ne semblait vouloir du mal au frangin qui s’en tirait plutôt bien. Mais bon, la presse c’est un écosystème concurrentiel avec des règles qui ne plaisent pas à tout le monde. Et allez savoir quelles inimitiés pouvaient être générées : il y a toujours des mécontents, messieurs les gendarmes, dès que certaines choses débarquent sur la place publique, pour peu qu’elles ne soient pas tout à fait exactes, ou trop…
Enguerrand ne se confiait pas non plus sur le monde des archers qu’il fréquentait, si ce n’était pour se réjouir de l’ambiance détendue entre gens qui ne se prenaient pas trop la tête avec ça.