Mourir d'Afrique - Anne Londaitz - E-Book

Mourir d'Afrique E-Book

Anne Londaitz

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Beschreibung

Un accident au Cameroun en 2019 et un suicide au Sénégal en 1931…Ou comment ces deux évènements sur un même continent sont reliés par les fils invisibles d’une imprécation familiale. "Mourir d’Afrique" est un roman inspiré de faits réels. Réalité et fiction, passé et présent s’imbriquent et se chevauchent. De toute façon, la vérité n’est qu’une boule à facettes, elle est partout et nulle part à la fois. C’est juste une traduction des faits que nous nous approprions et qui nous conforte quand nous y croyons. A chaque réalité, correspondent plusieurs vérités : tout est une question d’interprétation. Inutile de chercher à démêler le vrai du faux. Abandonnons tous nos à priori et nos idées reçues. Voyageons d’un continent à un autre, à travers le temps et laissons-nous envoûter par ce récit empreint de magie.

À PROPOS DE L'AUTRICE 


Originaire du Sud-Ouest, passionnée de généalogie Anne Londaitz a pour habitude de retracer les destins oubliés. Elle rédige ponctuellement des articles pour la revue de l’association bayonnaise GHF , "Mourir d’Afrique" est son premier roman où fiction et réalité s’entremêlent. Outre cette curiosité pour les histoires du passé, elle œuvre bénévolement dans le milieu associatif local après une carrière paramédicale.

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Seitenzahl: 309

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Couverture

Page de titre

 

 

 

Mourir d’Afrique

 

 

D’Anne Londaitz

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le temps d’un roman

Editeur

Collection «Roman»

 

 

 

« Le hasard n’existe pas, tout est pré-établi, pré-conçu, minutieusement élaboré »

« Le hasard nous entraine vers un destin qui nous attend »

Mazouz Hacene

 

« Même les rencontres dues au hasard sont dues à des liens noués dans des vies antérieures »

Haruki Murakami

 

« Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous qu’on ne sait pas lire »

Jérôme Touzalin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

POUR THOMAS

 

 

PROLOGUE

 

2019

La vie devant soi

 

L’Afrique, mosaïque de paysages et de cultures, une terre qui attirait Thomas comme un aimant. Ses voyages l’avaient conduit sur tous les continents, Amérique, Canada, Nicaragua, Inde, Nouvelle Zélande, Polynésie …

Il y avait passé d’agréables moments en vacances ou pour ses études, en famille ou avec des amis, mais l’Afrique le fascinait depuis toujours.

Il aimait les couleurs des paysages, les ciels sans nuages, les vêtements des femmes, les odeurs des marchés de fruits et de légumes, la poussière des villes, le bruit des enfants qui jouent pieds nus dans la rue, la nonchalance des habitants. Pourquoi cette fascination ? Il ne pouvait pas l’expliquer…

Burkina Faso, Côte d’Ivoire, seront ses premières rencontres avec ce continent d’exception.

Pour valider le dernier stage de son école d’ingénieur agronome, c’est tout naturellement qu’il va choisir le Ghana. Il supervise une production de miel, domaine qu’il affectionne tout particulièrement. A l’issue de ces quelques mois de formation et son diplôme en poche, il continue l’aventure dans cette petite start up où on lui propose son premier job. Il va y rester quelques mois, commercialisant le miel et les arachides au miel.

Quand un ami lui parle d’une offre alléchante, un poste de V.I.E. (volontariat international en entreprise), il n’hésite pas une seconde. C’est le sésame de tous les jeunes diplômés voulant s’expatrier : une opportunité de travailler dans une entreprise française à l’étranger, en l’occurrence Bonduelle, avec un statut de privilégié. Bon salaire, voyages payés, logement et voiture de fonction…

Le poste en question se trouve sur les hauts plateaux du Cameroun, à Bafoussam, il s’agit de contrôler la production de haricots verts, fleuron de la marque Cassegrain Bonduelle. Et oui, tous les haricots verts de cette firme que l’on trouve dans nos supermarchés viennent du Cameroun ou du Kenya.

L’organisation de cette usine est bien particulière. Le principal client, Bonduelle, sous-traite avec une usine locale Proleg. Tout le personnel est local, les employés, les ouvriers, ainsi que le responsable, Brice, et sa secrétaire Solange.

Bonduelle chapeaute l’unité avec un directeur général, David, basé à Lille. Sur place, deux ingénieurs, Baptiste et en l’occurrence Thomas, sont en charge de la bonne marche de la production. David ne se rend au Cameroun que deux ou trois fois par an pour évaluer les besoins, Baptiste et Thomas lui rendant des comptes très régulièrement.

Il postule donc pour cette offre, et passe avec succès et brio tous les entretiens d’embauche au siège de Lille.

Adieu le Ghana, le miel et les abeilles…

Le premier mars 2019, il embarque pour le Cameroun où il rejoint son ami Baptiste qui y travaille depuis plus d’un an. Il sera logé dans une petite maison à Bandjoun avec du personnel local à côté de chez son ami : c’est un semblant de vie coloniale qui commence.

Bafoussam… Situé sur les hauts plateaux à près de 1000 mètres en pays Bamiléké, ce qui lui confère un climat très tempéré, à la fois ville et village. Encore dirigé par un chef comme autrefois, avec ses coutumes ancestrales : les jours de fêtes, les hommes dansent, traditionnellement revêtus de peaux de panthères, de façon mystique et symbolique. On y pratique toujours des sacrifices pour verser du sang animal sur les racines de l’arbre de pendaison qui est situé au centre de la cour où trois tortues vieilles de près d’un demi-siècle continuent de dire la justice traditionnelle au tribunal coutumier. La chefferie de Bafoussam, située au cœur de la ville, est composée d’un palais en bambou au milieu d’une petite forêt, où retentissent les tambours. Le chef ou le roi, comme on l’appelle, reçoit les requêtes du peuple, et les hommes politiques le sollicitent régulièrement.

Puis il y a les instances gouvernementales avec les infrastructures pseudo modernes, les écoles, l’hôpital…

La ville moderne et poussiéreuse…

L’économie est surtout agricole, c’est le fief des cultures maraîchères, les usines sont à vocation agro-alimentaire.

Le tout surplombé bizarrement par une cathédrale qui paraît anachronique dans ce décor.

C’est au milieu de rien et loin de toute distraction touristique. La plage et Douala, ville cosmopolite, sont à quatre heures de route mal carrossée où il faut montrer « patte blanche  »  et surtout « petit billet de francs CFA » aux policiers corrompus qui jalonnent la piste.

Mais Thomas vit « son Afrique », il a vingt-trois ans et l’avenir devant lui…

 

 

 

Cameroun 2019

et …

 

 

La vie en suspens

 

Lundi 13 mai 2019

Bafoussam

 

Le réveil sonne avec insistance depuis près de cinq minutes. J’ai mal à la tête, la soirée a été longue et la nuit trop courte. Mes draps sont chiffonnés et humides, l’air est déjà moite et mon ventilateur brasse une atmosphère lourde. Ma bouche est pâteuse, je pense que j’ai bu plus que de raison.

On a bringué et champicoté beaucoup trop tard. Mes souvenirs sont flous. Est-ce que je me tropicalise, en bon petit blanc que je suis ?

Ma nuit a été peuplée de cauchemars, hantée par le sourire carnassier de Larissa. Elle me fait penser à un vampire ou à une créature maléfique sortie d’un conte. Sa silhouette de liane pourrait être attirante si elle ne s’habillait pas comme la « bordelle » qu’elle doit être. Talons vertigineux, mini-robe moulante et décolletée, une rutilante cylindrée version décapotable, « les bobis » en guise de parechocs, avec toutes les options…

Je déteste ce genre de fille factice, vulgaire à souhait, maquillée comme une voiture volée.

Hier soir, elle était encore là dans ce circuit où nous avons fini la soirée. Son visage ressemble à un masque de cire, figé et inexpressif. Elle distribuait son sourire de façade, ourlé de rouge, aux rares blancs de l’assemblée, et me distillait des regards aguichants. Ce n’est pas la première fois que je la croise, on dirait qu’elle sait d’avance où je vais me trouver…

Plusieurs fois, elle s’est collée à moi, ses regards ne laissant aucun doute sur ses intentions.

« Petit Blanc, laisse-toi faire, je saurai donner de la couleur à ta nuit », disaient ses yeux de braise qui m’attirent et me fascinent à la fois, tout en me mettant mal à l’aise.

Il faut que je me méfie, si je baisse un tant soit peu la garde, elle va m’attaquer. Comme une panthère noire qui chasse dans la savane, elle traque ses proies dans les bars.

C’est évident, elle cherche un pigeon, ça sent la brouteuse professionnelle à plusieurs kilomètres. Championne du monde dans sa catégorie, cette « yoyette ».

Il me faut me lever, aujourd’hui nous recevons les premiers haricots verts des hauts plateaux et j’ai un travail de dingue qui m’attend à l’usine.

La douche tiède me fait du bien et me remet les idées en place. Le café préparé par Thérèse, ma cuisinière, fait le reste.

Je saute dans ma Susuki pour rejoindre l’usine Proleg, et ma mauvaise nuit est vite oubliée tant le quotidien m’assaille dès mon arrivée.

Il me faut contrôler la qualité des haricots prêts à être mis en boîte par les sertisseuses, vérifier que les ouvrières respectent les normes de qualité que nous avons mises en place suivant un protocole rigoureux.

J’envoie vers huit heures à mon père une photo de ces légumes fraîchement ramassés, via WhatsApp. Bizarrement cette photo mettra la journée à traverser les continents et il ne la recevra qu’en fin d’après-midi. Comme si ce message était resté suspendu par le destin…

Baptiste est parti depuis l’aube sur les lieux de production avec des spécialistes de l’irrigation et je suis le seul responsable de cette ruche qui bourdonne.

Alors que je vérifie les petits fagots verts dans les boîtes qui roulent sur les tapis roulants, mon contremaître vient m’avertir que le couvreur est arrivé. La toiture d’un des hangars de l’usine prend l’eau, il y a des microfissures et il est grand temps d’y remédier avant d’être exposé à des dégâts plus contraignants. C’est un grand Noir à l’allure nonchalante, il ressemble au peintre qui est venu la semaine dernière et qui a essayé de me rouler dans la farine.

C’est le plus fatigant sous les tropiques, se faire respecter et éviter le sport national qui consiste à arnaquer l’homme blanc. Tout est permis et leur créativité en la matière atteint parfois des sommets vertigineux.

Ce peintre avait poussé le vice à transvaser sa peinture de pacotille dans de magnifiques pots estampillés « La Seigneurie ».

– C’est de la bonne peinture française, m’avait-il dit, la meilleure.

Mauvaise pioche, mon père a été directeur commercial de cette entreprise de peinture, effectivement de grande qualité. Alors je n’allais pas me faire enfler par ce roublard, sa peinture n’était pas celle annoncée et le travail était bâclé de surcroît. J’avais dû lui faire recommencer son travail malgré son indignation et ses protestations.

En revanche, je n’ai aucune qualification pour vérifier si ce couvreur est du même acabit.

Quand il vient m’annoncer :

– J’ai fini le toit, il est réparé, comme neuf.

J’ai juste l’impression qu’il n’est pas resté bien longtemps sur ce toit. Vite fait mal fait, est la première chose qui me vient à l’esprit.

Je le suis dans la cour, longe le hangar blanc et vert de l’usine, et je grimpe à l’échelle encore adossée au mur pour vérifier son travail.

Je l’entends qui monte derrière moi en maugréant.

Le toit est composé de plaques de plexiglass qui brillent au soleil, m’éblouissant au passage, et de poutres métalliques. J’ai l’impression d’être sur un miroir translucide. Il me semble qu’il n’a pas fait grand-chose, je m’avance pour m’assurer que la toiture est réparée et étanche. Avec précaution, je place mes pieds sur la charpente en métal.

Est-ce que je glisse ? Est-ce que je trébuche ?

Le ciel se renverse, j’entends le bruit du plexiglass qui se brise sous mon poids, j’entends les cris d’effroi et les hurlements des ouvrières de l’usine…

Je n’entends plus rien, c’est un silence glacé qui m’envahit et m’enveloppe comme si j’étais tombé dans le fond d’une crevasse montagneuse.

A l’intérieur du hangar, c’est la panique, les hommes s’agitent, les femmes crient et s’affolent.

« Missié Thomas, il est tombé. Missié Thomas, il est die c’est sûr. Missié Thomas il a cassé son cou. »

Les hurlements font sortir de son bureau, Brice, le directeur. Il découvre son jeune ingénieur inerte sur le sol en béton de l’usine. Dix mètres plus haut, le toit laisse filtrer par une échancrure béante les rayons du soleil. Thomas gît sans connaissance entre les machines et les sertisseuses. Son visage est face au sol et une auréole de sang s’étire inexorablement.

Les minutes semblent interminables avant que Brice prenne la décision d’évacuer lui-même le blessé vers une unité de soins. Les cris ont fait place à un silence de plomb rythmé par les sanglots étouffés d’une vieille ouvrière.

Il a rapidement évalué la gravité de la situation. Inutile d’appeler des secours qui n’arriveront jamais, ou alors bien trop tard. Il est camerounais et il sait que, dans les cas d’extrême urgence, on n’est jamais mieux servi que par soi-même.

Il intime à Augustin, son chauffeur, d’avancer le gros Proace Toyota qui lui sert de voiture de fonction. Avec l’aide de quelques employés, il retourne maladroitement Thomas qui saigne abondamment du nez et d’une arcade. Il est pâle et livide.

Point de matelas coquille, point de collier cervical, on est en Afrique et on ramasse les blessés comme on peut. Advienne que pourra…

Ils le soulèvent et le portent vers l’extérieur du hangar.

L’infirmière de l’usine, habituellement habilitée à distribuer quelques cachets ou à faire un petit pansement par-ci par-là, est complètement dépassée par les événements. Sur les ordres de Brice, son directeur, elle a converti le siège passager en une couchette improvisée.

Les hommes chargent le jeune blessé dans cette ambulance de fortune sans plus de précaution.

Brice et l’infirmière s’installent à l’arrière. Direction l’hôpital de Bafoussam.

Augustin devient ambulancier et démarre, warnings allumés, la main bloquée sur le klaxon pour dégager la route. Les voitures se rangent, les mobylettes s’écartent devant l’utilitaire qui roule à vive allure. Beaucoup d’employés ont décidé de suivre cette évacuation, et c’est un véritable convoi qui se dirige vers le centre de soins.

Le directeur s’active sur son téléphone portable, jamais un tel accident ne lui est arrivé. Il tente de joindre Baptiste, qui est toujours à l’extérieur, et qui ne répond pas. Il laisse plusieurs messages, affolé.

Baptiste finit par décrocher devant l’insistance des appels de l’usine. Avec sa direction, c’est toujours urgent, même les détails les plus insignifiants, aussi n’a-t-il pas tenu compte des messages lui demandant de rentrer au siège. Il est sur les lieux de production, en ce début de matinée, sur les hauts plateaux où les plantations maraîchères s’étirent à l’infini en rangées verdoyantes. Les femmes, aux silhouettes enveloppées de wax coloré, sont éparpillées dans ces champs aux terres fertiles.

Machinalement Baptiste a pris l’appel, et écoute la voix de son directeur affolé qui hurle dans le combiné.

– Baptiste, il faut que tu rentres, Thomas a eu un accident, je suis en train de le conduire à l’hôpital régional de Bafoussam, c’est grave, très grave, il est tombé du toit et a perdu connaissance, je pars là-bas, rejoins moi.

Il ne réalise pas tout de suite l’urgence de cet appel. Brice a tendance à exagérer et à dramatiser les faits. Il décide tout de même de le rejoindre à l’hôpital après avoir déposé chez lui, sur le trajet, ses amis venus superviser l’irrigation des plantations.

Sur le chemin, il croise un pick-up où se sont entassés une petite dizaine d’employés de l’usine. Ils lui font des grands signes afin de lui demander de s’arrêter. Il se range sur le bas-côté et quatre d’entre eux grimpent dans sa voiture en lui disant :

– Baptiste, mets les warnings et fonce à l’hôpital, c’est grave. Ils répètent en boucle : « C’est grave, il est tombé ». Certains disent : « Il est tombé du toit, il a roulé », d’autres ont même d’autres versions. En fait, ils n’ont rien vu.

Au même moment, David, le directeur de Bonduelle appelle le jeune homme de Lille.

– Que s’est-il passé ? Je viens d’avoir Solange hystérique au téléphone qui pleurait en disant : il est mort, il est mort.

– Je ne sais pas ce qui s’est passé, j’étais à l’extérieur, je vais à l’hôpital et je vous tiens au courant dès que possible.

Le jeune homme avale la vingtaine de kilomètres qui le sépare de cet hôpital, pied au plancher. Il a pris conscience de la gravité des faits. C’est comme un électrochoc pour lui. Son copain Thomas qu’il a fait venir du Ghana pour poursuivre cette aventure au Cameroun… Son copain du rugby avec qui il partage une belle amitié depuis leurs études à l’ISTOM…

Sans plus réfléchir, dans un état second, il a lui aussi allumé les warnings. Il double tout ce qui roule, klaxonne la moindre moto, prenant des risques inconsidérés. Il manque même d’en renverser une à l’entrée de l’hôpital, et reçoit de plein fouet les insultes de son pilote.

L’hôpital de Bafoussam est un ensemble de bâtiments bas qui ressemblent plus à des hangars qu’à un centre de soins à vocation régionale. Les urgences sont dans le bloc C situé sur le côté. C’est un petit édifice peint en jaune et ocre, avec des fenêtres à barreaux. Devant l’entrée s’amoncellent des sacs poubelles. Sans la pancarte où est écrit « Service des urgences », on pourrait se croire devant les cuisines.

On est bien loin des images des séries américaines où les urgences sont des services aseptisés, à la pointe de la technologie, regorgeant de personnel affairé et efficace.

Ici cela ressemble à un dispensaire de fortune.

Devant la porte, l’ensemble du personnel de l’usine est présent, agglutiné, et attend des nouvelles. Ils ont fait le déplacement, à la fois inquiets pour leur jeune ingénieur, et profitant de l’occasion pour déserter leur poste.

Ce sont eux qui ont déchargé le blessé de la voiture de leur patron et qui l’ont transporté jusqu’au lit du service d’accueil.

Baptiste pousse tout le monde pour pénétrer dans la salle d’accueil. Un gardien tente de l’en dissuader :

– Qui tu es, toi ?

– C’est mon frère, réplique Baptiste pour couper court à ces questions.

Cette expression commune en Afrique semble lui suffire, il laisse entrer le jeune homme.

Le hall est meublé de fauteuils éventrés où quelques femmes sont avachies. Un homme sans âge tient son bras retourné et attend dans l’indifférence. Au fond de la pièce, un guichet vide complète l’ensemble.

Brice est assis, abasourdi, se tenant la tête entre les mains. Il est décomposé.

– Où est Thomas ? Que s’est-il passé ?

– Il est par là, répond-il en désignant de la tête un couloir.

Comme un fou, Baptiste s’engouffre dans ce couloir aux portes peintes en bleu : Thomas est allongé là, dans un lit, pâle et inconscient, entouré d’infirmières désorganisées qui s’affairent à lui prodiguer les premiers soins. Un énorme cocard sur son arcade, du sang glisse sur sa joue et macule son tee-shirt. De sa bouche sort un son rauque, c’est le bruit de son sang qui s’écoule dans sa gorge. Ce son horrible hantera longtemps Baptiste, il mettra des semaines à essayer de l’oublier.

Le jeune homme se sentant inutile et importun, rebrousse aussitôt chemin.

Voir Thomas allongé, sans connaissance, sur ce lit de fortune a réveillé chez lui de mauvais souvenirs qu’il s’efforce d’oublier. Le traumatisme crânien, il connaît. Un méchant placage au rugby l’a fait basculer dans ce mauvais trip il y a déjà trois ans. Trois jours « hors-jeu » et six mois pour retrouver ses esprits. Ses études interrompues et avortées pour un match amical… Lui aussi a payé un lourd tribut au destin.

Il a besoin de prendre l’air pour retrouver ses esprits. Il franchit la porte vers le parking. La foule des employés l’assaille de questions. Il a l’impression d’être devant une conférence de presse… Mais il n’a aucune réponse concrète à leur donner.

Très vite il retrouve sa lucidité : il faut agir. Il envoie un message à des amis pour obtenir le numéro des responsables des VIE au Cameroun. La chaîne de solidarité s’active et, très vite, il est en possession des numéros à contacter. Dans la foulée, l’ambassade est avertie et les assurances ouvrent un dossier.

Il rejoint Brice à l’intérieur pour essayer de comprendre le pourquoi et le comment de cet accident. Mais son directeur est encore tétanisé par ce qu’il vient de vivre.

– Je ne sais pas ce qui s’est passé, j’étais dans mon bureau. Il est tombé sur le béton la tête la première. J’ai cru qu’il était mort, répète-t-il comme un automate.

Ils ne comprennent pas pourquoi Thomas est monté sur ce fichu toit, mais maintenant de toute façon il est trop tard pour trouver une explication logique. Un accident, par principe, c’est toujours bête. « C’est une seconde d’inattention qui accélère le temps et fait basculer dans le futur », comme dit la chanson. « C’est un moment banal que la réalité a choisi pour changer le destin ».

La porte s’ouvre. Il faut transporter Thomas au scanner.

Baptiste retourne sur le parking, il désigne les quatre employés les plus costauds et les recrute comme brancardiers. Pas de lit à roulettes, juste un brancard en toile, digne de la guerre de 14/18, pour transporter le blessé à travers les allées extérieures jusqu’à la salle du scanner. Encore une chance que cet hôpital soit doté de cet équipement de pointe qui paraît presque anachronique vu le contexte. Un des employés s’est effondré en larmes à la vue de Thomas : « Il faut le sauver patron, il faut le sauver ».

Baptiste en a profité pour récupérer portefeuille et téléphone portable dans les poches de Thomas. Il faut joindre ses parents, pense-t-il, mais malheureusement il ne connaît pas le code qui bloque le combiné.

Il décide aussi de renvoyer tous les ouvriers à l’usine, car ils n’ont rien à faire là. Il ne garde que les brancardiers improvisés et Simplice, l’assistant de Thomas.

Puis il arpente les couloirs pour trouver un docteur, pour exiger que quelqu’un de qualifié prenne en compte l’urgence de la situation. Le seul médecin qu’il croise lui promet de venir dès qu’il pourra.

– Pas de docteur, lui avait dit plus tôt une infirmière, sont tous au bloc.

Baptiste avait insisté :

– Il faut le soigner, c’est un ingénieur, il vient de France, il a de l’argent, il pourra payer, il faut le soigner.

Il connaît la musique, il a entendu les rumeurs racontant que les familles des plus démunis se retournent contre les secours qui ont évacué certains blessés, car elles seront dans l’incapacité de faire face au racket de quelques soignants. Il sait qu’ici tout est payant, et que, dans certains hôpitaux, on demande même une caution avant de prendre en charge un patient en détresse.

Pas d’argent, pas de soins, le secteur de la santé publique est gangrené à tous les étages par la corruption, de l’aide-soignant au médecin…

Il va très vite se rendre compte de l’ampleur de ce système vénal et perverti.

Brice, son directeur, vient d’ailleurs de le rejoindre à ce sujet :

– Il faut que tu ailles à l’usine chercher de l’argent, je leur en ai déjà donné, mais il va en falloir plus.

Il n’a pas l’idée d’y aller lui-même, comme si l’accident avait court-circuité chez lui tout esprit de bon sens.

C’est donc Baptiste qui fait un aller-retour rapide pour chercher quelques liasses de billets de francs CFA.

Durant le trajet, il est assailli d’appels : David qui veut des nouvelles, les assurances qui voudraient un diagnostic… Le pauvre garçon ne peut que leur répondre de patienter. Thomas est au scanner, on devrait vite avoir des nouvelles.

Quand il revient vers 13 heures à l’hôpital, Thomas est maintenant en service de réanimation, toujours brancardé par les employés de l’usine.

Baptiste et Brice attendent donc dans ce nouveau service qu’on veuille bien leur donner le verdict des examens réalisés.

La porte s’ouvre et l’infirmière s’adresse avec flegme aux deux hommes :

– Faut la bétadine.

En fait, il s’agit d’aller à l’entrée de l’hôpital, dans le hall de l’accueil. Il y a un guichet où on peut et on doit acheter tout ce dont le patient aura besoin pour être soigné. C’est la supérette du médicament et du matériel médical. On y trouve de tout, de la bétadine, du fil de suture…

A peine revenu avec la bouteille du liquide coloré demandé, elle revient à la charge :

– L’a perdu beaucoup de sang, faut transfuser, faut payer poche de sang, c’est 50 000 francs.

– En faudra sûrement une autre poche, ajoute-t-elle de sa voix nasillarde.

L’état de Thomas nécessite-t-il vraiment une transfusion ? Ou est-ce juste pour justifier l’extorsion de quelques francs CFA ?

Ils n’en savent rien et sont impuissants. Pas le choix, il faut payer, c’est comme jouer à un jeu de hasard. Est-ce que l’argent qu’ils vont miser va permettre un miracle ?

Baptiste sort en trombe du bâtiment pour se rendre de nouveau au guichet acheter les poches de sang réclamées. Il ne fera pas moins de dix allers-retours à cette supérette du racket institutionnalisé. Il distribue ses billets colorés comme des jetons supplémentaires pour augmenter la mise et les chances de Thomas d’être bien soigné. Il a bien compris que sans ces fichus francs CFA, rien ne va bouger. Il faudra tout négocier, tout acheter. Près du guichet, un homme au bras cassé mendie. Pour lui aussi, pas d’argent, pas de soins…

Il pleurniche afin que Baptiste lui glisse quelque billet. Ce dernier est fébrile et à la limite de la rupture.

Comment une journée banale a-t-elle pu se transformer en un pareil cauchemar ?

Il est en colère après la terre entière : ces soignants nonchalants et corrompus sont-ils au moins efficaces ou juste vénaux ? Pourquoi Brice a-t-il laissé Thomas monter sur ce fichu toit ? Et maintenant cet imbécile qui lui demande agressivement lui aussi de l’argent… C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase.

– Toi payer que pour les Blancs, a-t-il eu le culot de lui dire quand il a refusé de lui donner les billets quémandés.

– Oui, je suis blanc, et je paie pour les Blancs, vous me faites tous chier, dans votre pays de merde, explose-t-il, passant sur ce pauvre homme au bras brisé sa colère, sa frustration et surtout son angoisse.

L’argent qu’il a glissé dans ses poches sera très vite englouti dans ces achats, comme il s’y attendait.

Vers 17h, Mondial Assistance exige de parler à un responsable. C’est leur huitième appel…

Baptiste frappe doucement à la porte :

– S’il vous plaît, c’est l’assurance. Est-ce que vous pouvez leur expliquer l’état du patient et leur répondre ?

– On l’a déjà pris, est la réponse laconique de l’infirmière.

– Oui, mais il leur manque des informations. 

– On veut plus leur parler. Il faut attendre le médecin.

En effet le médecin n’a toujours pas montré le bout de son nez malgré l’urgence de la réanimation en cours. Seules les infirmières s’occupent de Thomas.

– Où se trouve le médecin alors ? 

– Il vient pas aujourd’hui, seulement ce soir …

Baptiste s’excuse auprès de l’assurance, mais ces derniers insistent, il leur faut un avis médical pour prévoir le transfert du blessé.

Il frappe à nouveau et perd son calme devant la nonchalance de ces femmes :

– Pourquoi vous faites votre travail ? Pour sauver des vies non ? Avec ce coup de téléphone vous pouvez sauver une vie, alors prenez-le, hurle-t-il, en rajoutant même un petit « bordel de merde »…

L’infirmière se saisit du téléphone, raccroche et le jette au visage du jeune homme.

Baptiste est désemparé, bien seul, devant cette indifférence et cette désinvolture.

Il apprendra par la suite que les infirmières se sont plaintes de son comportement auprès de leur direction.

« Le petit français, il nous a crié dessus ». « Il crie beaucoup ce petit ».

Du coup Mondial Assistance, sans information médicale concrète, patauge et n’arrive pas à évaluer les risques et les conséquences d’un éventuel transfert.

Vers 19h, Baptiste arrive à entrer dans la salle de réanimation, une infirmière plus conciliante lui ayant permis de voir quelques instants son ami. Thomas est allongé sur la droite dans un petit lit étroit. Une perfusion est fichée dans son bras. Il est toujours aussi pâle, et maintenant un pansement recouvre son œil et s’entortille autour de son crâne. Il est très agité, il bouge ses jambes de façon mécanique. Le voir remuer ainsi ses membres rassure Baptiste, au moins sa colonne est intacte et il ne finira pas sur un fauteuil, pense-t-il, soulagé à moitié.

Son bras droit est immobilisé mais le gauche fait des allers-retours de son bassin à sa tête, à l’endroit exact où il est tombé. Il a l’air de souffrir.

– Est-ce que vous pouvez me dire quelque chose pour que je puisse rassurer ses parents en France ? essaie-t-il.

– Ça va aller pour lui.

Baptiste ne se contente pas de cet à peu près vague et flou.

Au même moment les machines sifflent de façon stridente, et Thomas s’agite de plus belle en essayant de se retourner sur le côté droit où se trouvent ses blessures.

Baptiste s’inquiète :

– Il ne faudrait pas le maintenir sur le dos ? Ou l’attacher ?

– On sait pas, est la réponse qu’il reçoit dans la plus grande indifférence.

Impuissant et démoralisé, il quitte cette pièce, se disant que le plus grand danger, c’est bien le personnel médical...

Il rappelle David pour lui livrer ses impressions, et lui demander de prévenir les parents de Thomas : même si on n’a pas encore un diagnostic, il faut les avertir.

David a préparé depuis quelques heures les numéros à composer en cas d’urgence, ces numéros qu’on est censé ne jamais appeler.

Il commence par celui du père, puis celui de la mère, dans les deux cas c’est la messagerie. Il est soulagé, c’est tellement plus facile de parler à une machine qui ne va pas réagir à la monstrueuse nouvelle qu’il doit formuler. Il n’y a pas de manière de prévenir des parents que leur fils a eu un terrible accident. Le message est laconique mais va bouleverser leurs vies.

A Bafoussam, la nuit est tombée, et le médecin de garde arrive enfin. Baptiste le voit remonter tranquillement l’allée vers la réanimation. Il n’ose pas aller à sa rencontre de peur de le braquer. C’est celui qu’il a croisé il y a quelques heures. Il tient sa promesse, il avait dit qu’il passerait…

Il est pourtant au courant de l’état de ce patient, et ce n’est pas tous les jours qu’un ingénieur français, d’une entreprise française, est entre la vie et la mort dans son établissement. Il sait que l’ambassade de France et les assurances suivent le dossier et attendent des nouvelles.

Il s’engouffre dans la salle de réanimation, sans un mot pour Brice et Baptiste qui sont devant la porte du service.

Il en ressort quelques instants plus tard. Baptiste lui tend son téléphone avec l’employé des assurances au bout du fil.

– C’est l’assurance, il faut leur parler du patient c’est important.

Le médecin va échanger longuement avec le service, puis accepte de donner enfin des nouvelles à Baptiste et à Brice.

Exténué, Baptiste ne réalise pas tout ce que ce médecin lui énonce. Il ne retient que l’essentiel. Pas de fractures de la colonne, ni des membres inférieurs. Une fracture du poignet, une côte cassée et un traumatisme crânien important. Il ne saigne plus. Il est stabilisé. Il faut attendre. Il n’y a rien d’autre à faire. Attendre et prier. Attendre et espérer.

Vers minuit, Thomas est emmené dans une chambre du service, une pièce à la peinture écaillée où trône un grand lavabo de porcelaine blanche. Un fauteuil en skaï déchiré complète le mobilier. Avant de partir, Baptiste exige qu’on équipe le lit de son ami de barrières, il redoute que les mouvements saccadés qui le secouent par instants le fassent basculer sur le sol en mosaïque décolorée. L’infirmier rechigne et rouspète, mais finit par trouver cet accessoire indispensable qui sécurise l’étroite couchette.

Simplice, l’assistant de Thomas, va dormir là, à ses côtés.

Baptiste et Brice regagnent enfin leurs villas respectives à Bandjoun. Le personnel de direction, y compris Thomas, est logé dans cinq coquettes villas identiques construites par le bienfaiteur de la région, Victor Fotso. C’est le propriétaire des usines et son nom règne partout. Dans la petite jungle de leurs jardins donnant sur un bois dense, cohabitent des poules, une chèvre, supervisées par Tita, la capricieuse et facétieuse guenon édentée.

La nuit sera courte pour les deux hommes. A peine quelques heures de sommeil.

 

Lundi 13 mai 2019

 

Cheval Blanc France

 

Nathalie sort de son cours de Pilates, petit moment privilégié qu’elle s’octroie dans un emploi du temps surchargé ces derniers temps. Machinalement, elle sort son portable pour désactiver le mode silencieux : quatre appels en absence clignotent sur le petit écran ! Le même numéro inconnu… Un insidieux pressentiment la submerge. Fébrilement, elle écoute sa messagerie et sa vie bascule.

« Votre fils a eu un accident », les mots que chaque parent redoute…

En plus, quand cela se passe sur un autre continent, c’est encore plus angoissant. Usine, chute, hospitalisation, état grave, les paroles du directeur se mélangent et se bousculent.

Comme une somnambule, elle prend le volant de sa voiture et compose le numéro de Louis, son mari. Le téléphone sonne dans le vide une fois, deux fois, c’est infernal, c’est un cauchemar. Au moment où elle arrive dans la cour de sa maison, il la rappelle enfin, anéanti lui aussi par la terrible nouvelle.

Le printemps est là, l’air est doux, la vie est calme, puis tout s’écroule. La réalité a choisi de frapper au hasard, de bousculer les destins, et d’arrêter le temps.

Alors commence une nuit d’angoisse, une nuit d’attente, une nuit interminable.

Reliés juste par leurs téléphones portables avec les témoins de ce stupide accident, merci la technologie…

Mais les informations sont partielles, peu détaillées, ils sont impuissants et ne comprennent pas grand-chose. Ils subissent et affrontent ensemble cette épreuve.

Ils décident de prévenir Emma, leur fille cadette. Elle est une étudiante brillante et studieuse à Science-Po-Strasbourg. C’est la période des examens de sa troisième année, et les résultats seront déterminants pour son affectation à l’étranger l’an prochain. Demain, elle a encore un écrit important. Ils ont hésité un instant avant de l’appeler, mais ils ne peuvent pas la laisser dans le secret, c’est trop grave.

Malgré les mots choisis et un ton qui se veut rassurant, la nouvelle la percute de plein fouet.

Les coups de fil avec l’Afrique s’enchaînent toute la soirée. Thomas est tombé d’un toit, une chute de près de dix mètres sur le béton, il est vivant, mais a perdu connaissance, il a été évacué sur l’hôpital de Bafoussam où il a été pris en charge. Pas plus de détails. Baptiste est avec lui dans le service des urgences et s’active comme il peut.

Impossible de trouver le sommeil, ni à Strasbourg ni à Cheval Blanc.

Nathalie envoie, à deux heures trente et une, un SMS à tous ses amis et aux membres de la famille :

« Une très dure nouvelle à vous annoncer, Thomas a eu un grave accident hier soir à l’usine. Il est à l’hôpital de Bafoussam, il a un gros traumatisme crânien et des fractures aux côtes et au coude. Nous attendons des nouvelles d’un médecin français parti sur place pour décider s’il est envoyé en France ou au Kenya. Nous en saurons plus demain. »

Ces quelques lignes seront lues le lendemain matin au réveil par tous les destinataires.

Louis, Nathalie et Emma ont vécu l’événement comme un tremblement de terre d’une force maximale sur l’échelle de leurs sentiments. Puis à la lecture de ce texto, le cercle familial et amical sera à son tour touché par les ondes telluriques de ce séisme. Et avec angoisse, chacun appréhende les répliques qu’il peut occasionner.

 

 

Mardi 14 mai 2019J+1

 

Dès le matin, Louis et Nathalie reçoivent les messages de soutien et d’amitié de leurs proches.

Si le temps s’est arrêté pour Thomas, pour son entourage il a décidé de s’égrener au ralenti, comme dilaté ou distordu. Les heures sont longues, remplies d’impuissance et d’inertie, les minutes gonflées d’angoisse et d’anxiété. Le temps est haché, morcelé, aucun projet ne peut être envisagé car il est aussitôt remis en question. Le futur est devenu d’un seul coup un concept abstrait et fuyant.

Dès qu’il a pu, Louis est entré en contact avec Business France, l’organisme qui recrute, salarie et suit les VIE, puis avec Mondial Assistance qui doit mettre en place le rapatriement ou le transfert du blessé. Conscients de la gravité de l’état de Thomas, les médecins de Bafoussam, ont vite constaté qu’ils n’étaient ni équipés ni qualifiés face à la réanimation d’un traumatisme crânien de cette envergure. La lecture du scanner leur a révélé un énorme et profond hématome cérébral. Ils n’ont pas sur place de service de neurochirurgie de pointe, d’ailleurs il n’en existe pas au Cameroun.

Baptiste a été réveillé à l’aube par l’assurance camerounaise déléguée sur place par Mondial Assistance. Il est passé chez Thomas, demander à sa ménagère de réunir dans un sac quelques affaires. Comme elle était en pleurs et très affectée, il lui a conseillé de rentrer chez elle : Thomas n’était pas près de revenir. Il a enchaîné avec un passage éclair à l’usine pour photocopier le passeport de Thomas en vue d’une évacuation, comme l’assurance le lui avait demandé. Encore une fois tous les employés voulaient des nouvelles, mais Baptiste n’avait pas une minute à perdre.

Si la première journée a consisté à évaluer la gravité de l’accident et à stabiliser le blessé, la seconde sera orientée essentiellement sur les modalités de son transfert vers une unité médicale qualifiée en rapport avec ses traumatismes.

C’est là que va commencer un grand n’importe quoi, une valse de décisions sitôt prises, sitôt contredites.

L’évacuation d’un patient devrait être une procédure simple qui suit un protocole bien rodé. Mais on est à Bafoussam et ce qui est routinier en métropole devient vite très compliqué là-bas.

On parle de Nairobi dans un premier temps, car il y a au Kenya une unité spécialisée en neurochirurgie. Il faudra peut-être intervenir si l’hématome comprime le cerveau dans les heures qui viennent. C’est là-bas que se trouvent les praticiens capables de réaliser cette intervention.

Puis on évoque l’Afrique du Sud et Johannesbourg…