Mystère Edimbourg et Docteur Stevenson - Tome B - John-Erich Nielsen - E-Book

Mystère Edimbourg et Docteur Stevenson - Tome B E-Book

John-Erich Nielsen

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Beschreibung

Dans les pas du Docteur Stevenson...

Le meurtre commis à Edimbourg n'a toujours pas été résolu. Après le phare solitaire de Bell Rock, planté en pleine mer du Nord, et maintenant… la France !, l'enquête d'Archibald Sweeney commence à prendre les allures d'une aventure digne de "L'île au trésor" de Stevenson.
À moins... À moins qu'il ne s'agisse d'une tout autre œuvre du célèbre romancier, beaucoup plus redoutable celle-là : "Dr Jekyll et Mr Hyde" !

Découvrez la suite de l'enquête d'Archibald Sweeney, qui vous fera voyager d'Écosse jusqu'en France !

EXTRAIT

Le policier écossais et son homologue samoan suivaient un homme en civil à travers les couloirs d’un bâtiment sombre et froid. Aucune ouverture, les murs paraissent moisis, comme chargés d’humidité, tandis que le sol est couvert de céramiques jaunes crasseuses. Brrr… frissonna Sweeney. Les locaux de la PJ de Versailles sont encore plus lugubres que ceux d’Édimbourg !
Parvenu au premier étage, leur guide s’effaça, tout en désignant une porte blanche sur laquelle figurait l’écriteau « M. Gomez ».

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Enquête mouvementée, presque un road moavie sur les traces d'un insaisissable suspect et d'un non moins insaisissable manuscrit qui révélerait le secret de la création de l'un des deux plus célèbres romans de Robert-Louis Stevenson. - Sharon, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

John-Erich Nielsen est né le 21 juin 1966 en France. Professeur d'allemand dans un premier temps, il devient ensuite officier (capitaine) pendant douze ans, dans des unités de combat et de renseignement. Conseiller Principal d'Education de 2001 à 2012, il est désormais éditeur et auteur à Carnac, en Bretagne.
Les enquêtes de l'inspecteur Archibald Sweeney - jeune Ecossais dégingandé muni d'un club de golf improbable, mal rasé, pas toujours très motivé, mais ô combien attachant - s'inscrivent dans la tradition du polar britannique : sont privilégiés la qualité de l'intrigue, le rythme, l'humour et le suspense.
A la recherche du coupable, le lecteur évoluera dans les plus beaux paysages d'Ecosse (Highlands, île de Skye, Edimbourg, îles Hébrides) mais aussi, parfois, dans des cadres plus "exotiques" (Australie, Canaries, Nouvelle-Zélande, Irlande).

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Police judiciaire

Vendredi 13 octobre, dix heures

La voiture des policiers filait sur une autoroute de l’ouest parisien. Depuis le lever du jour, une brume tenace s’accrochait de part et d’autre du goudron, masquant le paysage alentour. Désorienté par cette absence de repère, ainsi que par cette ambiance figée, Sweeney sentait une étrange fatigue peser sur lui, comme un décalage horaire inattendu.

– Alors, vous êtes content ? l’interpella soudain Henry. Nous arrivons bientôt.

– Comment ? Content de quoi ? s’étonna son chauffeur. Avant de riposter :

– Non, pas vraiment. Hier soir, l’attente à Folkestone, coincé dans cette désespérante queue de véhicules, m’a paru interminable. En attendant l’embarquement, je n’ai pas réussi à dormir. Et pas beaucoup plus dans le wagon ! se plaignit l’inspecteur. Ce fichu Shuttle, cela fait un boucan du diable. Et puis pendant près d’une heure, il n’y a rien à voir.

– Évidemment, dans un tunnel sous la mer… ironisa son confrère.

– Depuis que nous sommes arrivés à Calais, enchaîna Sweeney, je n’en finis plus de stresser : la conduite à droite, quelle plaie ! Great Scott, j’ai l’impression de ne plus avoir de réflexes… Sans compter toutes ces pancartes auxquelles je ne comprends rien, leurs couleurs bizarres, et même les distances en kilomètres, se désola-t-il encore. Bref, je me sens crevé, et pour être honnête, un peu perdu.

Son voisin samoan le dévisagea de ses grands yeux blancs, un sourire au coin des lèvres. Puis ce dernier lui lança sur un ton moqueur :

– Pour ce qui est d’être perdu, ce matin, c’est vrai, je me suis demandé où vous alliez : lorsque vous avez pris par erreur cette sortie pour Amiens, et que nous nous sommes retrouvés devant l’église de ce tout petit village, je vous avoue que j’ai eu envie de prendre le volant !

– Moquez-vous ! protesta l’Écossais. Je suis certain que vous n’auriez pas fait mieux. Tous ces panneaux bleus, verts ou blancs, je n’y comprends rien !

Henry continua de plaisanter :

– Reconnaissez que vous avez été soulagé lorsque j’ai enfin réussi à faire fonctionner le GPS. Vous auriez dû me laisser essayer dès le départ. Ça nous aurait évité cette incursion au cœur de la « France sauvage » !

Sweeney répliqua :

– Notre détour nous aura au moins servi à comprendre comment programmer le GPS de Ian.

– Est-ce que vous ne m’aviez pas dit que votre ami McTirney devait vous expliquer son mode de fonctionnement avant de partir ?

– C’est vrai, admit l’inspecteur. Mais moi, vous savez, j’ai toujours un peu de mal avec ces appareils embarqués. C’est dans ces cas-là que je me rends compte que je ne fais déjà plus partie de la jeune génération, sourit-il… Toutefois, j’étais très flatté lorsque Ian m’a proposé d’emprunter sa Lexus.

– C’est sûr, c’était plus prudent que de partir avec votre vieille Escort. Avec elle, nous ne serions jamais arrivés jusqu’à Londres ! rigola Henry.

Plutôt que de lui renvoyer la balle, le jeune policier se contenta d’observer le profil de moaï de l’inspecteur-chef Mata’afa. Je crois qu’Henry m’aide vraiment à progresser dans cette enquête, estima-t-il. Grâce à lui, j’ai le sentiment que nous sommes dorénavant sur la bonne voie. Même ici, sur cette autoroute où les Parisiens roulent comme des fous !... C’est vrai, poursuivit-il, l’autorisation de nous rendre en France est arrivée très rapidement ; les papiers officiels ont tous été signés dans la journée. Enfin, les demandes de géolocalisation du portable de Bowles, pourtant sur un territoire étranger, ont tout de suite été acceptées. Sincèrement, je ne pensais pas que cela serait possible dans un laps de temps aussi court. Henry nous a porté chance… En outre, si j’avais été seul, je pense que jamais je n’aurais osé faire une proposition aussi déraisonnable à mon supérieur. Mon collègue polynésien me transmet un peu de son « mana »1, comme il a essayé de me l’expliquer hier. Lui ne semble jamais fatigué, c’est étonnant. Il parvient toujours à me remonter le moral par ses boutades ou par ses taquineries. Nous formons un bon duo, jugea-t-il encore. Avant de plaisanter : Henry fait même un excellent copilote ! C’est lui qui me signale si je peux doubler ou non. Avec le volant à droite, je ne vois rien ! Puis il songea : Décidément, je crois que je me suis pris d’affection pour mon colosse des îles. Lorsqu’il partira, probablement dans huit jours, je sais qu’il me manquera… Par ailleurs, je me suis également pris d’affection pour son combat : retrouver l’assassin de son frère – peut-être s’agit-il de ce Clyde Bowles –, je crois que ça en vaut vraiment la peine.

– Eh bien ? le fit sursauter son voisin. Est-ce que vous dormez au volant ?... Vous ne m’avez toujours pas répondu : est-ce que vous savez comment trouver ce commissaire français avec qui nous avons rendez-vous ?

– Oui et non. J’ai l’adresse du bâtiment de leur police judiciaire, mais je ne sais pas si son bureau sera facile à dénicher. Il faudrait nous renseigner en arrivant.

– Parce que vous parlez français, vous ? douta le Samoan.

– Au moins aussi bien que vous ! riposta Sweeney, amusé. Plus sérieusement, enchaîna-t-il, Sales m’a donné le numéro de portable de notre contact. Je l’appellerai en cas de besoin. On m’a dit qu’il parlait anglais.

– Il faut l’espérer… continua de sourire Henry. Quel est son nom déjà ? Vous l’avez mentionné avant notre départ, mais j’avoue que je ne m’en souviens plus. Ces noms européens… insinua l’inspecteur-chef tout en faisant la moue.

– Oui je sais, beaucoup plus compliqués que les vôtres en Polynésie ! le railla l’inspecteur. Avant de préciser :

– Il s’appelle Marc Gomez. Je l’avais mémorisé en lisant le dossier qui m’a été remis.

– Marc Gomez… répéta Henry Mata’afa.

Soudain, Sweeney désigna une pancarte sur la droite, puis l’écran du GPS :

– Vous avez vu ? Versailles… Satory, mille mètres, ça ne doit pas faire beaucoup… Oui, c’est là ! se réjouit-il. Nous n’allons plus tarder à arriver.

– Si vous ne vous trompez pas de sortie une fois encore ! le taquina son passager.

– Non. Je crois que nous sommes sur la bonne voie… murmura l’Écossais, songeur.

Manifestement épuisé par la traversée nocturne de la Manche, Sweeney repositionna ses deux mains sur les côtés du volant. Puis, d’un coup, il relâcha un bâillement digne d’un rugissement de Nessie2…

*

Le même jour, dix heures trente

Le policier écossais et son homologue samoan suivaient un homme en civil à travers les couloirs d’un bâtiment sombre et froid. Aucune ouverture, les murs paraissent moisis, comme chargés d’humidité, tandis que le sol est couvert de céramiques jaunes crasseuses. Brrr… frissonna Sweeney. Les locaux de la PJ de Versailles sont encore plus lugubres que ceux d’Édimbourg !

Parvenu au premier étage, leur guide s’effaça, tout en désignant une porte blanche sur laquelle figurait l’écriteau « M. Gomez ».

– C’est ici, dit l’homme qui, sans plus de formalités, reprit aussitôt la direction du rez-de-chaussée.

– Merci, lui lança l’inspecteur-chef Mata’afa, pendant que son jeune collègue frappait déjà contre le battant.

Quelques instants plus tard, des bruits de pas se firent entendre, puis l’occupant du bureau ouvrit énergiquement.

– Ah, bonjour messieurs ! salua-t-il ses visiteurs, avant de poursuivre en anglais :

– Est-ce que vous avez fait bon voyage ? Je vous attendais un peu plus tard… Marc Gomez, se présenta-t-il, et il leur serra la main.

– Inspecteur Archibald Sweeney. Police criminelle, répondit le barbu au club de golf.

– Henry Mata’afa. Inspecteur-chef aux Samoa, indiqua le géant polynésien.

– Entrez, je vous en prie, les invita le Français.

L’Écossais observa rapidement que l’espace de travail d’un policier d’outre-Manche était au moins aussi désordonné que celui d’un Britannique. Je ne sais pas si Henry pourrait se faire la même réflexion que moi, songea-t-il, car il y a probablement quelque chose d’« européen » dans ce goût généralisé pour le capharnaüm. Un problème culturel d’organisation de la pensée ? s’amusa-t-il à envisager.

Pendant ce temps, Marc Gomez les avait précédés. Lorsqu’il se laissa tomber sur son fauteuil, il répéta :

– Asseyez-vous, je vous en prie.

Alors que le duo prenait possession de chaises au design épuré, annonciatrices d’un confort spartiate, Sweeney jaugea rapidement son hôte : Petit, brun, moustachu, les yeux vifs dans un visage rond, pas de costume, ce « Gomez » possède une probable ascendance méditerranéenne. Ensuite, en le voyant se déplacer de façon aussi saccadée et mécanique, on peut craindre que la profondeur de sa pensée soit aussi courte que la taille de ses membres. Un énergique, pas un intellectuel ! exagéra l’insolent barbu. En outre, son geste rageur pour repousser un dossier qui le gênait sur sa table, témoigne d’un certain agacement. Je ne suis pas sûr que « monsieur Gomez » soit vraiment ravi de devoir s’occuper de deux collègues anglophones, sourit le jeune policier, alors qu’il déposait son sand wedge à ses pieds.

– Port d’arme prohibé ! plaisanta le Français en lorgnant vers le curieux objet. Est-ce que vous prendrez un café ? demanda-t-il encore.

– Oui volontiers, répondit Henry.

– Plutôt un thé pour moi, indiqua Sweeney.

– Évidemment, lui renvoya l’officier, un sourire entendu au coin des lèvres.

L’homme de la PJ décrocha son téléphone, donna quelques consignes en français, puis il enchaîna d’une voix rapide :

– Bien messieurs, heureux de vous recevoir et de vous aider. Désolé pour mon anglais, tint à s’excuser le moustachu. Je pratique rarement la langue de Shakespeare. J’ai pourtant fait un stage à Londres, mais c’était il y a longtemps déjà. Les langues, c’est comme le sport : dès qu’on ne s’entraîne plus… insinua-t-il.

– Non non, pas de souci, le rassura Sweeney. Votre anglais est même bien meilleur que celui de la plupart de mes compatriotes ! plaisanta l’Écossais en roulant exagérément les R.

– Je vois ! Merci, lui dit Gomez. Avant de reprendre :

– Bienvenue dans les locaux de la police judiciaire. J’espère que vos bureaux sont moins miteux que les nôtres ! ironisa le Français, et il jeta un regard désabusé sur les murs décrépits qui l’entouraient.

– À peine, le réconforta le jeune barbu.

– Chez moi, aux Samoa, intervint Henry, c’est surtout le soleil et la mer qui font la différence, et ce dernier détourna ses grands yeux mélancoliques vers une fenêtre blanche de brume.

– Sinon, vous travaillez à Édimbourg, c’est bien ça ? s’assura Gomez.

– Exactement, tout au nord de la Grande-Bretagne… Nous sommes partis tôt hier matin, le renseigna Sweeney. Puis l’inspecteur décida d’entrer dans le vif du sujet :

– Alors commissaire, est-ce que vous avez…

– Non, pas « commissaire », le coupa le Français. On dit « commandant », mais vous pouvez aussi m’appeler Marc, lui sourit-il.

– Pardon, s’excusa l’enquêteur.

– Il n’y a pas de mal, répliqua son homologue… Bon, poursuivit-il, pour répondre à la question que vous alliez probablement me poser : oui, nous avons déjà des résultats, annonça-t-il, l’œil gourmand. Nos gars ont travaillé jusqu’au milieu de la nuit. Je les ai appelés pour les féliciter.

– Oui, d’accord. Merci… Alors, de quels résultats s’agit-il ? s’impatienta Sweeney.

– Dès hier, enchaîna Gomez, nous avons obtenu deux géolocalisations plutôt intéressantes du portable de votre type.

– Ah ? Et où est-ce que… voulut demander Henry.

Mais ce dernier fut à son tour interrompu par le Français, qui lui précisa :

– Quand je dis « intéressantes », c’est parce que sur le trajet retracé par les opérateurs, depuis l’arrivée du suspect sur notre territoire, deux points coïncident avec… deux agressions !

Les visiteurs se dévisagèrent, surpris.

– Quoi ? finit par lâcher Sweeney. Qu’est-ce que vous voulez dire ?

– Je vous explique… sourit malicieusement Gomez, soucieux de ménager ses effets. Les infos sont remontées assez vite. Alors tout d’abord, avant-hier, le premier cas s’est produit à Grez-sur-Loing.

– Comment ? Je n’ai pas compris, le sollicita son interlocuteur écossais, peu habitué à ces noms exotiques.

– Grez-sur-Loing, répéta le commandant. C’est un joli petit village dans l’Est parisien, réputé pour ses peintres. D’ailleurs, enchaîna-t-il, c’est précisément un peintre, un Suédois, qui s’y est fait agresser par un individu qui s’exprimait en anglais. En outre, lorsqu’il est allé porter plainte auprès de la gendarmerie locale, la victime leur a fourni un signalement qui, à mon avis, semble coller parfaitement avec celui de votre Clyde Bowles.

– Incroyable… souffla Sweeney, étonné.

Henry Mata’afa se mit à rouler des yeux plus globuleux que jamais.

– Ensuite, hier après-midi, poursuivit Gomez, c’est cette fois dans un autre département, un peu plus au sud, que nous avons identifié des événements similaires. En effet, un jeune homme s’est rendu chez les gendarmes pour leur signaler qu’un « Anglais » l’avait menacé d’une arme, à la sortie de son domicile. Là aussi, la description de l’agresseur est très proche de celle de votre suspect. Et comme la géoloc’ confirme sa présence dans les parages, le même jour à la même heure, il est fort probable que c’est ce même individu qui a agi dans les deux cas. Enfin, avec les infractions qu’il a commises sur notre territoire, votre gars est aussi devenu le nôtre à présent.

Le policier samoan avala difficilement sa salive, puis il demanda :

– Et… Et la seconde fois, où était-ce ?

– Heu… hésita Gomez, qui fit alors mine de consulter un dossier : Châtillon, se souvint-il enfin. C’est une petite ville sur les bords de la Loire. Rien à voir avec Grez-sur-Loing, c’est à près de cent kilomètres.

– Une soixantaine de miles… murmura Sweeney, qui avait besoin de faire la conversion.

À cet instant, le regard d’Henry Mata’afa se figea. Son visage pâlit, puis ses grandes joues se mirent à trembler légèrement, comme s’il était pris d’un malaise.

Interloqué, son collègue écossais lui demanda :

– Henry ?... Henry, ça va ?

Puis, pour l’aider à se détendre, il ajouta :

– Vous savez, ce ne sont jamais que des noms de villages français. Pas de quoi s’affoler… Par ailleurs, c’est surprenant que cela vous fasse autant d’effet : les vôtres sont tout aussi « gratinés », n’est-ce pas ?

Le Polynésien peina à se dérider, incapable de lâcher un mot.

Qu’est-ce qu’il lui arrive ? s’inquiéta le jeune enquêteur. Lui qui est toujours si enjoué, cela ne lui ressemble guère. Bizarre… se dit-il. Alors, pour changer de perspective, Sweeney se retourna vers Marc Gomez :

– Eh bien commandant, est-ce que d’autres informations sont remontées du terrain ? Que voulait l’agresseur ? Est-ce qu’il leur a…

– Justement, le coupa le Français. Pour cette partie-là, je préférais vous attendre. Je me suis dit que vous aimeriez récolter vous-mêmes les éléments qui vous intéressent.

– Comment ça ? l’interrogea l’inspecteur-chef.

– En clair, continua le commandant, j’ai pensé que vous seriez satisfaits de pouvoir aller poser vous-mêmes vos questions. Mener votre enquête, quoi ! s’agita le petit moustachu. J’ai déjà prévenu les deux brigades concernées de notre passage.

– Parce qu’on va s’y rendre ? s’étonna Sweeney.

– Bien sûr, rétorqua Gomez. Nous allons prendre ma voiture, c’est moi qui vous emmène… Si tout va bien, nous pourrions être sur place dans un peu plus d’une heure. Aux alentours de midi, la circulation est moins dense en région parisienne.

Puis il expliqua :

– Dans le courant de la journée, nous continuerons à recevoir les informations qui pourraient provenir de l’équipe de géolocalisation. Pour les besoins de l’enquête, je leur ai demandé de nous renseigner en temps réel. Les rapports écrits suivront plus tard… Ensuite, en fonction de ce qu’ils obtiendront, nous entrerons en contact avec les responsables des secteurs concernés. L’immatriculation du suspect a également été diffusée. Dorénavant, ce sont toutes les polices et les gendarmeries de France qui sont aux trousses de votre gusse ! conclut Gomez en plaisantant.

Ce trait d’humour permit à Henry de retrouver le sourire. Enfin, rapidement, le commandant quitta son fauteuil. Dans un tiroir sur sa droite, il s’empara de son téléphone, des papiers et des clés d’un véhicule, d’un chargeur de pistolet, puis il extirpa l’arme de poing correspondante. Devant ses confrères médusés par cet équipement agressif, si différent du leur3, le Français engagea le chargeur dans la crosse, vérifia la sûreté, avant de glisser le tout dans un holster dissimulé sous son aisselle.

– Allez, je suis prêt ! clama le commandant, et il enfila une veste de survêtement sur son polo gris. Eh bien alors ? s’étonna-t-il du manque de réactivité de ses hôtes, toujours assis.

– Oui, on part ! finit par décider l’Écossais, qui ramassa son club de golf et redressa son mètre soixante-dix-huit.

Pendant ce temps, son homologue samoan ne bougea pas d’un pouce.

– Alors, Henry ? l’encouragea Sweeney. Il est temps. Nous partons, allons-y !

Le géant polynésien réagit enfin et il emboîta le pas de ses deux confrères qui, déjà, quittaient la pièce. En descendant l’escalier, le groupe croisa un jeune homme portant un plateau chargé de trois tasses fumantes.

– Trop tard pour le café, Dumoulin. On décolle… Désolé, merci ! puis Gomez continua de dévaler les marches.

Derrière le pas empressé du Français, l’enquêteur d’Édimbourg s’efforça toutefois de réfléchir : Tout à l’heure, la réaction d’Henry m’a paru étonnante, presque incompréhensible… Dispose-t-il d’informations qu’il m’aurait cachées ? Que sait-il vraiment ? L’annonce des noms des deux villages l’a mis dans un tel état ! À croire qu’il les connaissait déjà, envisagea-t-il. Avant de conclure : Cependant, les Polynésiens semblent avoir des modes d’expression différents des nôtres. Leur visage n’est pas toujours suffisamment lisible, regretta-t-il. À moins que ce ne soit moi qui ne sois pas en mesure de les comprendre ?

– Pff… ne put-il alors s’empêcher de souffler, tout en continuant de dévaler les dernières marches de l’escalier.

Quelques minutes plus tard, le trio de policiers s’engouffrait déjà dans la Peugeot 407 du commandant Gomez.

1Mana : concept polynésien qui fait référence à l’émanation de la puissance spirituelle d’un groupe.

2Nessie : surnom donné au célèbre monstre du Loch Ness.

3 Au Royaume-Uni, policiers et « bobbies » ne sont pas armés.

De Grez ou de force

Vendredi 13 octobre, début d’après-midi

Un agréable soleil automnal était enfin parvenu à percer la grisaille parisienne. À faible vitesse, la Peugeot du commandant Gomez se faufilait à travers les ruelles de Grez-sur-Loing, tressautant sur une chaussée faite de vieux pavés.

Légèrement secoué, et assis à la droite du chauffeur, Sweeney avait fini par émerger d’une douce torpeur. Tout comme Henry Mata’afa, installé sur la banquette arrière, qui n’était pas parvenu à résister au sommeil durant le trajet qui les menait des Yvelines jusqu’en Seine-et-Marne. Le déjeuner un peu trop lourd et trop gras, pris à Fontainebleau dans le restaurant d’une grande chaîne nationale, semblait avoir douché les ardeurs des deux visiteurs.

Soudain, le policier français annonça :

– Nous arrivons. Nous avons rendez-vous devant la mairie, près de l’église.

Son jeune voisin fit mine d’être parfaitement réveillé, et il répondit :

– Très bien. Avec qui ?

– On m’a dit que l’adjoint au maire nous attendrait. C’est lui qui nous guidera jusqu’au lieu de l’agression. En revanche, les gendarmes ne pourront pas être là. Leur commandant de brigade m’avait prévenu dès hier, précisa Gomez.

– Dommage, se contenta d’apprécier Henry.

Après un dernier virage sur la gauche, l’officier reprit :

– Mais nous pourrons quand même nous entretenir avec la personne agressée. Je vous indiquerai son nom plus tard, je l’ai inscrit quelque part dans mon carnet.

Tandis que la Peugeot filait à travers les rues étroites, bordées d’élégantes maisons aux façades colorées, Sweeney ne put s’empêcher de trouver un charme bucolique à Grez-sur-Loing. Derrière lui, il aperçut son confrère samoan, le nez collé contre la vitre, qui semblait manifestement très intrigué par la disposition – pour lui surprenante – d’un vieux village de région parisienne. Depuis le matin, c’était aussi la première fois que les deux anglophones voyaient autre chose de la France qu’une quatre-voies surchargée !

À cet instant, le colosse polynésien se détourna du spectacle pour demander à son chauffeur :

– Dites, commandant… Au retour, est-ce que nous pourrions aller voir la tour Eiffel ?

Amusé, Marc Gomez pivota légèrement pour répondre :

– S’il n’y a pas trop de bouchons ce soir, oui, pourquoi pas… Paris est sur notre route, je n’aurai pas un long détour à faire.

– Ah, merci ! se réjouit son passager.

– Merci, lui dit également le jeune Écossais, ravi de découvrir l’un des emblèmes du pays.

Puis soudain, apercevant l’église sur sa droite, le Français lâcha :

– La mairie, c’est ici !... Je vais me garer.

Le policier stationna son véhicule à proximité d’un édifice religieux massif, puis il invita ses passagers à descendre. Sweeney commençait à peine à étirer ses membres engourdis, lorsqu’il remarqua un homme de taille moyenne, vêtu d’un costume gris clair, qui s’avançait vers eux. Le commandant se dirigea vers lui, puis il se mit à prononcer une suite de phrases totalement incompréhensibles pour l’inspecteur et son collègue. Dès que ce premier échange parut achevé, les deux Français s’approchèrent du rouquin au club de golf, ainsi que du géant de type polynésien.

– Monsieur est l’adjoint au maire, leur annonça Gomez.

– Christophe Léger, se présenta l’homme d’une voix dynamique. Puis il leur serra la main, l’œil vif et la poigne ferme. Avant d’ajouter :

– Sorry, I don’t speak english.

– Nous ne parlons pas français non plus, lui répondit Sweeney dans sa propre langue, tout en souriant.

– Attendez, je vais faire le traducteur, intervint le commandant.

Ce dernier s’entretint alors quelques instants avec l’élu de la commune, puis il se retourna vers ses deux confrères :

– Bien. Monsieur va nous conduire jusqu’à notre témoin. Il m’a dit que c’était à moins de deux cents mètres. Nous allons nous y rendre à pied.

– Tant mieux, se réjouit l’Écossais, qui épaula aussitôt son club de golf.

– Allons-y, déclara Henry.

Les trois policiers se mirent en marche derrière Christophe Léger, puis ils dépassèrent l’imposant portail ombragé de l’église. Après quelques pas, le groupe franchit une ruelle perpendiculaire sur la droite, d’où s’ouvrait une perspective sur une tour en ruine.

– Qu’est-ce que c’est que ça ? s’étonna l’inspecteur-chef Mata’afa. On dirait un château fort.

Christophe Léger sembla deviner le sens du questionnement du Polynésien et il marmonna quelques mots. Gomez traduisit :

– Presque. Il dit que c’est la tour de Ganne, une fortification du XIIème siècle.

– Très joli, apprécia Sweeney, alors que le groupe se trouvait de nouveau cerné par les façades relativement élevées des maisons de la rue.

Progressant sur un trottoir pavé, le quatuor parvint rapidement jusqu’au prochain carrefour. Sur leur droite, les policiers découvrirent alors une rue en légère descente, prolongée par un pont de pierre très pittoresque qui enjambait la rivière. Celui-ci débouchait sur un paysage boisé, dans lequel des arbres au feuillage dense alternaient avec des prairies d’un vert tendre. Baignées de soleil, ces dernières invitaient au pique-nique ou au farniente. Puis, face à eux, se dressa soudain l’angle d’un grand bâtiment de couleur grise.

– L’ancien hôtel Chevillon. C’est là ! clama monsieur Léger, et il désigna l’édifice d’un coup de menton.

Les deux anglophones comprirent sans peine le sens de son intervention. L’adjoint au maire stoppa devant une porte précédée d’une plaque, avant de s’entretenir brièvement avec le policier français. Enfin, l’homme ouvrit le battant et il disparut à l’intérieur du bâtiment. Marc Gomez expliqua :

– Monsieur Léger est parti chercher notre témoin. Il va revenir… C’est un ancien hôtel, poursuivit-il, l’hôtel Chevillon. Regardez, là sur la droite, désigna-t-il la plaque, c’est ici qu’a vécu August Strindberg.

– Qui est-ce ? Je suis désolé, s’excusa Sweeney pour son ignorance.