Namaor - Thomas Marino Vleminckx - E-Book

Namaor E-Book

Thomas Marino Vleminckx

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Beschreibung

Sarah et June font une découverte extraordinaire lorsqu’elles rencontrent les jumeaux Éric et Ivar, de puissants guerriers maîtrisant la magie des runes. Ensemble, ils explorent un univers où les créatures des légendes et les dieux antiques sont bien réels. Pourtant, cette nouvelle réalité est également remplie de dangers mortels. Les deux jeunes femmes devront faire face à des challenges terrifiants pour survivre dans cette nature mystérieuse et pleine de féérie. Parviendront-elles au bout de leurs efforts ?




À PROPOS DE L'AUTEUR

Surmontant les défis de sa jeunesse pour devenir un écrivain passionné, Thomas Marino Vleminckx a puisé dans son imagination pour créer des mondes captivants. Son amour pour l’écriture, soutenu par sa merveilleuse épouse, lui a permis de transformer ses difficultés en sources d’inspiration, offrant ainsi des récits envoûtants à ses lecteurs.




À PROPOS DE L'AUTEUR 

Surmontant les défis de sa jeunesse pour devenir un écrivain passionné, Thomas Marino Vleminckx a puisé dans son imagination pour créer des mondes captivants. Son amour pour l’écriture, soutenu par sa merveilleuse épouse, lui a permis de transformer ses difficultés en sources d’inspiration, offrant ainsi des récits envoûtants à ses lecteurs.

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Thomas Marino Vleminckx

Namaor

Derrière le voile

Roman

© Lys Bleu Éditions – Thomas Marino Vleminckx

ISBN : 979-10-422-2288-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Chapitre 1

Le Fomorien

Aux premières lueurs du jour, alors que le soleil est à peine levé, ils courent déjà tous après leur vie, pensa Éric. Comment peut-on d’ailleurs appeler ça une vie ? s’interrogea-t-il. Le jeune homme interrompit sa marche et balaya l’endroit du regard. La gare routière qu’ils traversaient lui et son frère était encore plongée dans une pénombre qui, à cette heure si matinale, donnait un aspect bleuté aux bâtiments et au mobilier urbain. Malgré cela, l’endroit était déjà très fréquenté, il y avait les petites dames en tailleur, l’air pincées, les hommes en tenue d’ouvrier, encore fatigués de leur journée de la veille, ou bien ceux en costumes, dont l’allure pressée faisait paraître maussade et antipathique. Il y avait aussi les plus jeunes, qui attendaient, blasés, que commence une nouvelle journée de cours. Tous avaient l’air las et ressemblaient plus à de tristes épouvantails qu’à des êtres humains. Cette fourmilière, car c’est à cela qu’Éric pensait en voyant toute cette activité, une fourmilière grouillante, était remplie de personnes qui répétaient chaque jour, sans même plus y réfléchir, les mêmes gestes, telles des machines bien programmées : se lever, aller travailler, rentrer pour s’occuper de leurs enfants, faire le repas, pour finir par ne pas profiter des quelques instants de liberté qu’ils ont et aller ensuite se coucher pour recommencer le lendemain. Comme leur vie doit être triste à mourir ! conclut-il, perdu dans ses pensées.

— Hey, tout va bien ? lui demanda une voix claire et moqueuse.

Dans le même temps, une main s’était posée sur son épaule, comme pour attirer son attention et le sortir de ses pensées. Cette voix, ainsi que la main qui l’accompagnait, était celle d’Ivar, son frère jumeau. En se tournant vers lui, il vit qu’il affichait un sourire goguenard, ce même sourire qu’Éric avait vu des milliers de fois sur le visage de son frère, laissant deviner que celui-ci pensait la même chose que lui à propos des gens présents dans la gare routière, mais en des termes moins élogieux.

— Tout va bien ? relança-t-il à nouveau, n’ayant pas eu de réponse à sa première demande.

— Ouais, ça va, finit par dire Éric d’un air pensif et d’une voix bien plus rauque que celle de son frère. C’est juste… tous ces gens… je me dis que je suis content de ne pas avoir leur vie.

Il balaya l’endroit des yeux une dernière fois, d’un air toujours aussi pensif, avant de tourner définitivement son regard vers son frère et de lui rendre son sourire.

— Comme je te comprends, lui répondit Ivar dans un rire. Cela dit, si tu veux qu’on puisse continuer la nôtre de vie, tu ferais mieux d’être un peu plus concentré sur notre problème actuel, plutôt que sur la vie de ces Faeràns.

Le jeune homme, comme à son habitude, avait accompagné ses mots de gestes grandiloquents, pointant d’abord son frère du doigt, avant de montrer d’une manière faussement élégante les gens qui erraient dans la gare.

— Qu’est-ce qu’il y a Ivar, tu as peur ? Si tu le veux, tu peux rentrer, j’irais m’occuper de ça tout seul, rétorqua Éric d’un ton moqueur.

Son sourire s’agrandit au fur et à mesure qu’il prononçait ces mots. Depuis l’enfance, c’était leur jeu préféré, piquer l’autre au vif, lui lancer de cinglantes remarques, et ce, à longueur de temps.

Un jeu qui avait d’ailleurs tendance à rendre fou leur entourage, ce qui les amusait d’autant plus.

— Tu ne peux pas pisser sans en mettre partout sur tes bottes et tu vas t’occuper de ça tout seul ? Qu’est-ce qui t’arrive, Éric, tu en as marre de vivre ? Tu veux qu’on en parle ?

Les deux jeunes hommes s’observèrent quelques secondes, se toisant du regard. Tous les deux étaient grands, plus grands que la plupart des gens d’ailleurs, Éric atteignant pratiquement les deux mètres, Ivar le suivant de peu. Cependant, la taille des deux frères était loin d’être le seul point qui faisait d’eux des gens facilement remarquables au milieu de cette masse fantomatique qui hantait l’endroit.

Éric, plus grand que son frère, était également plus large d’épaules et portait une hache à la ceinture, solidement maintenue par des liens de cuir qui la faisait pendre jusqu’à la moitié de son mollet. De longs cheveux blonds comme les blés, tirés en une tresse, lui descendaient jusqu’au milieu du dos et il arborait également une épaisse barbe broussailleuse, d’une couleur plus sombre que celle de ses cheveux et dans laquelle on pouvait là aussi voir plusieurs tresses retenues par des perles. Son visage carré et son nez droit, bien qu’enfoncé par endroits, signe qu’il avait été cassé, ainsi que ses yeux bleu intense, lui donnaient un air froid et dur qui était à peine chassé par le sourire léger qui lui arrivait parfois d’afficher.

Ivar, le plus fin des deux frères, donc, était pourtant encore plus remarquable, notamment à cause de la lance qu’il tenait dans sa main droite et du grand bouclier rond qu’il portait sur l’épaule gauche. Ses cheveux noirs coupés court, tirés en arrière et légèrement gominés, son regard perçant aux iris vert émeraude et son nez fin en pointe lui donnaient l’aspect d’un corbeau à l’air prétentieux et fier. Quant à son visage, rasé de près, il était tout aussi carré que celui d’Éric et affichait sans cesse un sourire moqueur, celui-là même qui le caractérisait tant. En vérité, rien ne laissait présumer que ces deux-là étaient jumeaux, si ce n’est qu’ils avaient le même éclat dans le regard, celui que peuvent avoir certains animaux sauvages et qui faisait comprendre à quiconque le croisait, qu’aucun des deux ne pourrait être dompté.

Les vêtements qu’ils portaient, comme si leur physique et les armes qu’ils transportaient n’étaient pas suffisamment remarquables, étaient eux aussi très atypiques.

Les deux avaient aux pieds une paire de bottes de cuir marron, leur remontant jusqu’aux genoux et dont le laçage très serré était maintenu par de petites pièces ovales taillées dans de l’os. Chacun portait également un jean, clair et délavé pour Éric, noir pour Ivar, qui avait connu des jours meilleurs. Sur leurs épaules reposait une cape en laine marron, dont le dessus était recouvert de fourrure et qui cachait des tee-shirts à motifs aux couleurs criardes.

— T’es qu’un bel enfoiré, finit par répondre Éric en riant, s’avouant vaincu. Allez en route, c’est par là, lui dit-il ensuite en montrant une rue de l’autre côté de la gare.

Cette fois, Ivar avait gagné, ce qui n’était pas du tout au goût d’Éric, mais ce n’était que partie remise, il ne perdait rien pour attendre, pensa-t-il.

Les deux frères reprirent donc leur marche, avançant comme ils le pouvaient vers la sortie de la gare, zigzaguant entre les personnes présentes sans que celles-ci les remarquent, prenant grand soin de ne bousculer personne. Ce chemin, ils l’avaient déjà fait la nuit précédente, alors qu’ils suivaient des traces de bouillasse odorante au milieu desquelles on pouvait apercevoir des empreintes de pas énormes et constellées par instant de gouttes de sang. Ils les avaient repérées en accourant vers la gare routière alors qu’ils patrouillaient dans la zone, quand un cri strident qui s’était soudain fait entendre au loin, déchirant la nuit malgré le bruit ambiant d’une grande ville tel que Chambéry, les y avait attirés.

Hélas, malgré une réaction rapide et une course effrénée, ils étaient arrivés trop tard, quelqu’un était mort et ils ne pourraient plus rien y faire. D’ailleurs, ce n’était pas la seule mort que la ville avait eu à déplorer depuis plusieurs semaines, même si les autorités locales n’avaient encore retrouvé aucun corps. Pour l’instant, à leurs yeux, ce n’étaient que des disparitions, certes étranges et inquiétantes au vu du nombre, mais de simples disparitions, pour lesquelles ils se refusaient à toutes conclusions hâtives.

Cependant, Éric et Ivar savaient très bien ce qui était arrivé à ces malheureux, ils le comprirent cette nuit-là en découvrant les traces. Elles les avaient menés jusqu’à une plaque d’égout, dans l’une des petites rues adjacentes à la gare. Les traces, ainsi que la fréquence des disparitions et l’absence de corps, n’avaient laissé aucun doute aux deux frères quant à ce qui sévissait dans les environs et qu’ils allaient devoir affronter. Quelque chose s’était installé dans les égouts, une créature brutale et malveillante qui avait fait de la gare routière et des rues adjacentes sa zone de chasse. Les deux frères le savaient, tout comme ils savaient qu’ils étaient les seuls en ville à pouvoir y mettre un terme.

C’est cela qu’ils décidèrent, après avoir fait ces découvertes et en avoir tiré des conclusions, de prendre du repos et de se préparer en conséquence. Ce ne fut qu’au petit matin, alors que le soleil était à peine levé, qu’ils revinrent à la gare routière, bien décidés à traquer et à éliminer ce qui se terrait sous les pieds des dizaines de milliers d’habitants que compte la ville.

Marchant d’un bon pas, ils venaient de sortir de la gare, qui ne cessait de se remplir de voyageur venant attendre les différents bus qui devaient les mener partout dans la région. Ils avaient eu à se faufiler dans cette foule dense et compacte de badauds, qui de surcroît ne pouvait pas les voir, mais heureusement, c’était un exercice auquel ils étaient rompus depuis des années.

— Fais gaffe, hurla Éric, en agrippant le bouclier d’Ivar, qui était sorti en premier.

Il le tira en arrière de justesse, avant qu’un camion de livraison ne manque de peu de lui passer dessus.

— Merde, mais t’es aveugle ? pesta le jeune homme envers son frère.

— Désolé, répondit Ivar penaud, je pensais qu’il m’avait vu.

À ces mots, Éric leva les yeux au ciel et souffla d’agacement.

— Je te rappelle, ô mon frère, qu’ils ne peuvent pas nous voir, dit-il avant de reprendre sa marche. Alors sois mignon et fais attention, je n’ai pas envie de dire à notre clan à quel point ta mort a été ridicule et stupide.

Son sang n’avait fait qu’un tour et sa colère avait explosé aussi subitement qu’était arrivé ce camion. Comment son frère avait-il pu oublier que leurs amulettes étaient actives, s’il n’avait pas été là, pensa-t-il, il serait mort à l’heure qu’il est. Ivar quant à lui ne dit rien, se contentant de jeter un regard noir vers son frère et de se dégager de sa prise. Il savait qu’il avait raison, qu’il aurait dû faire attention, après tout, ce n’était pas la première chasse qu’ils faisaient. Il se sentait idiot, mais malgré cela, on pouvait deviner sur son visage que la manière dont lui avait parlé son frère ne lui avait pas plu. Les deux frères reprirent ensuite leur route, Éric attendant que plus aucune voiture ne passe pour traverser la route d’un pas rapide, Ivar sur ses talons. Sans se dire un mot, sans se jeter un regard, ils arrivèrent de l’autre côté de la rue, sautèrent sur le trottoir et s’engouffrèrent dans une petite rue piétonne, marchant en direction de la plaque d’égout qu’ils avaient repérée la veille.

— Merci, finis par dire Ivar d’une voix beaucoup moins enjouée, brisant enfin le lourd silence qui pesait.

Tous les deux venaient d’arriver au-dessus de la plaque.

— C’est rien, répondit sincèrement Éric, mais fait attention et soit avec moi, parce que le Fomorien ne nous laissera aucune chance lui.

— Je suis avec toi et je suis concentré… je voulais juste être sûre que tu suivais et je me suis retourné au mauvais moment, plaisanta Ivar pour détendre l’atmosphère.

Les deux frères échangèrent un sourire et instantanément, toute tension avait disparu.

Entre eux, les disputes ne duraient jamais bien longtemps.

— Allez, dit finalement Éric sur un ton décidé, on y va, on fait la peau à cet enfoiré et si on se débrouille bien, on devrait être rentré à Ungor-Rinn pour le repas du soir.

— Ouaip, rétorqua Ivar qui imitait son frère et passait un crochet de métal dans l’un des trous de la plaque. D’ailleurs, quand on y sera, tu me feras penser de dire à oncle Urmrick ce que je pense de son travail facile.

Ce fut dans un souffle qu’il dit ces quelques mots, car les deux jeunes hommes venaient de soulever la lourde plaque qui bloquait l’entrée des égouts. Une fois dégagée, elle laissait apparaître une échelle d’acier qui s’enfonçait dans le sol.

— Arrête un peu de te plaindre, dit Éric en esquissant un sourire.

Il venait de poser le pied sur le premier échelon de l’échelle.

— Tu me couvres OK ?

— Ça marche, lui répondit son frère en brandissant sa lance et en faisant basculer son bouclier pour l’empoigner.

Éric entreprit alors de descendre le long de cette échelle rouillée, qui descendait dans les profondeurs obscures de la ville. De l’extérieur l’odeur dégagée par cet égout était forte, pestilentielle même, mais plus il s’enfonçait vers les sous-sols, plus ça empirait.

— Que rien n’attrape mes pieds, que rien n’attrape mes pieds, que rien n’attrape mes pieds, répéta-t-il sans cesse à voix basse pendant qu’il descendait.

Après quelques instants, ses pieds touchèrent enfin le sol, sans que rien ne les ait agrippés. Il poussa intérieurement un soupir de soulagement, sortit sa hache et en dirigea la tête vers la paume de sa main, qu’il entailla. Le fil de l’arme trancha ses chairs comme l’aurait fait un couteau avec du beurre laissé au soleil, ce qui ne fit pas pour autant tressaillir le jeune homme. Plus encore, dès qu’il sentit que son sang, plus chaud que sa peau, coulait le long de son poignet, il passa sa main sous sa cape et son tee-shirt.

— Syn, prononça-t-il à voix basse, en frottant sa main contre son torse.

Il y eut alors une légère lueur blanche, masquée en grande partie par le tissu épais de ses vêtements. Instantanément, les yeux d’Éric, d’un bleu intense, devinrent d’une pâleur surnaturelle et lui permirent de voir comme en plein jour dans un lieu pourtant plongé dans le noir. Rien ne semblait bouger, il n’y avait pas de danger à l’horizon pour l’instant.

— C’est bon, tu peux descendre, chuchota-t-il à son frère après un rapide coup d’œil autour de lui.

Ivar s’exécuta, descendant à son tour après avoir fait glisser l’épaisse plaque de métal pour refermer à nouveau l’entrée des égouts. Plus aucune lumière n’éclairait l’endroit, les deux frères étaient maintenant au cœur de ténèbres épaisses et obscures. Arrivé en bas de l’échelle, Ivar imita son frère, cherchant à tâtons le tranchant de son fer de lance.

Dès qu’il eut terminé, ses yeux vert émeraude devinrent eux aussi très pâles. Ils jetèrent à nouveau des regards dans toutes les directions, pouvant tous deux voir clairement maintenant, mais rien n’avait changé.

Leur arrivée dans les égouts n’avait, semble-t-il, alerté personne. Le sas vertical dans lequel ils se trouvaient était assez grand pour qu’ils tiennent debout tous les deux, en revanche n’était pas assez large pour qu’ils ne soient pas à l’étroit. L’endroit était lugubre, sale et inquiétant, pourtant les deux frères ne se laissaient pas prendre par l’aspect horrifique de leur environnement, ils avaient déjà affronté bien pire. Sans attendre, ils se mirent à observer en détail les lieux et instantanément, ils comprirent que quelque chose n’allait pas. À leur gauche comme à leur droite s’étendaient de longs boyaux horizontaux aux parois de pierres taillées grossièrement, bien plus bas de plafond que le sas, ce qui les forcerait à avancer courbés, presque pliés en deux au vu de leur taille. Progresser dans ces galeries allait être compliqué.

— Comment ce foutu Fomorien peut bien faire pour se déplacer ? chuchota Ivar d’une voix à peine audible. On peut à peine y passer et ces enfoirés font au bas mot quatre mètres de haut.

Il était vraiment dubitatif, il lui semblait impossible qu’une créature de cette taille puisse se mouvoir ici. Peut-être s’étaient-ils trompés sur le monstre qui rôdait dans les environs. Il scruta alors le visage de son frère, espérant y déceler une quelconque trace de certitude sur ce qu’ils allaient avoir à affronter, mais Éric observait les environs, le visage fermer.

— Éric ? répéta-t-il en parlant d’une voix un peu plus forte, t’as une idée, parce que là je…

Il n’eut pas le temps de terminer sa phrase, son frère venait de l’agripper par le fermoir de sa cape et pointait quelque chose du doigt.

— Regarde, là, lui dit Éric en s’avançant vers la droite.

Il s’accroupit, lâchant son frère et pénétrant dans le boyau de quelques pas. Rapidement, tout le bas de son corps fut trempé par une eau croupie, dans laquelle macéraient des déchets de toute sorte. Faisant abstraction, préférant ne pas y penser afin d’éviter de se mettre à identifier certaines formes flottant à la surface de l’eau, il fit encore quelques pas avant de se retourner et de faire signe à Ivar de le rejoindre. Ce dernier, réprimant un haut-le-cœur, acquiesça et se mit en route.

— Regarde ça, dit frénétiquement Éric quand son frère l’eut atteint. Il passait sa main sur de longues et profondes entailles marquant les parois du boyau.

Ces traces ressemblaient, à s’y méprendre, à celles que laisseraient des griffes, de longues griffes, assez puissantes et acérées pour marquer la roche.

— Ce merdeux doit ramper dans les galeries, jusqu’aux bouches qui permettent de sortir. Pour le reste, tout colle, les traces, la fréquence des attaques et la manière de chasser, continua-t-il précipitamment.

Ivar prit quelques secondes pour analyser et réfléchir à ce que lui disait son frère, qui en soi n’avait pas tort, tout collait parfaitement.

— OK, admettons qu’on soit tombé sur un Fomorien un peu moins stupide que les autres et qu’il a le coup pour se faufiler, finit-il par répondre calmement, dans ce cas-là, on a plutôt intérêt à se bouger parce que s’il nous tombe dessus dans ces galeries, on ne va pas être à la fête.

Éric approuva d’un signe de tête avant et se mit à suivre les empreintes de griffes laissées par le monstre, Ivar lui emboîtant le pas. Ils passèrent donc de galerie en galerie et n’ayant aucun repère temporel, ils n’auraient pas su dire combien de temps s’était écoulé depuis leur entrée dans les égouts, mais à leur dos endolori, ils marchaient courbés depuis un long moment. Leur progression se faisait d’ailleurs au prix de lourds efforts, dû à la taille des boyaux d’une part, mais surtout à cause de l’eau stagnante qui leur arrivait au-dessus des mollets et alourdissait leurs vêtements. Cette eau et le clapotis que leurs pas provoquaient, rendaient également vain tout espoir de discrétion. Plus le temps passait, plus la tension montait et les deux frères n’avaient pas besoin d’échanger le moindre mot pour le sentir. À chaque bruit suspect, ils s’arrêtaient, scrutant les alentours, priant leurs ancêtres pour ne pas voir débouler, tout croc et griffe dehors, cette monstruosité qu’était le Fomorien. Par chance, à chaque fois, un lourd silence était tout ce qu’ils pouvaient entendre et des galeries emplies de déchets étaient tout ce qu’ils pouvaient voir. Ils marchèrent ainsi pendant ce qui leur semblait être une éternité, les boyaux s’enchaînant les uns après les autres, se ressemblant tous et présentant, à chaque fois, les mêmes marques de griffes dans la roche. Le temps passant, le sentiment de tourner en rond apparu et la crainte de tomber nez à nez avec le Fomorien se firent encore plus grands dans l’esprit des jumeaux, tout comme l’oppression que représentaient ces boyaux étriqués, enfuis sous la surface. Néanmoins, l’un et l’autre étaient expérimentés, ils savaient très bien comment gérer et supporter ce genre de situation plus qu’angoissante. Ainsi donc, bien que lente, leur progression était constante. À chaque détour, à chaque croisement, ils s’assuraient d’être toujours sur la piste, suivant les traces de griffes et observant méticuleusement chaque boyau qu’ils traversaient pour ne pas les manquer. Ils prenaient également soin de se laisser des marques pour se repérer, l’un assurant les arrières de l’autre, se protégeant mutuellement. C’est de cette manière que, boyau après boyau, les deux frères remontaient patiemment la piste de leur proie, avançant irrémédiablement vers un affrontement ou il n’y aurait que deux issues possibles : la victoire et l’élimination de la créature ou une mort sanglante et brutale. Cette idée, présente dans l’esprit des deux jeunes hommes, ne les inquiétait pas pour autant, pour ces deux guerriers intrépides, la mort faisait partie de la vie.

Finalement, après de longues pérégrinations, ils virent enfin le boyau qu’ils suivaient s’agrandir, devenant une longue et large salle à l’odeur quasi insoutenable. Dans cette salle, le long des murs qui la bordaient, de nombreux autres boyaux débouchaient également.

Chacun d’eux recrachait en un flot régulier un liquide puant rempli de déchets, dans ce qui semblait être une véritable rivière souterraine d’eau souillée. Cette rivière, témoignage vivace de la crasse des villes et de ceux qui y vivent, était ensuite évacuée par une large galerie menant vers l’extérieur. Les murs de ce déversoir, car c’était là le rôle de cette salle, étaient faits des mêmes pierres que le reste des égouts et étaient soutenus, à intervalle régulier, par des poutres d’acier présentes pour supporter la pression des centaines de tonnes de roches et de terres qui pesaient sur la structure. C’est de ces poutres qu’émanait l’odeur abjecte qui flottait dans l’air lourd et humide de cet endroit. Une dizaine de corps déchiquetés, pendant lamentablement, y étaient accrochés.

Éric et Ivar n’eurent pas le temps d’admirer ce funeste spectacle, pas plus qu’ils ne purent soulager leurs courbatures, car du fond de la salle un rugissement bestial se fit entendre, traduisant la colère d’un monstre qui voyait des étrangers entrés dans sa tanière. Les deux frères se tournèrent immédiatement vers l’origine de ce bruit, qui annonçait déjà l’horreur du combat sans pitié qui allait arriver. C’est à cet instant qu’ils le virent, se redressant d’un lit de crasse et d’ossements, la gueule encore sanguinolente du festin de la veille : un Fomorien haut de plus de quatre mètres, dont la silhouette malingre ne laissait pas supposer la force pourtant extraordinaire qu’avait ce gigantesque monstre. Sa peau, violacée et boursouflée comme celle d’un noyé, pendait au niveau de son abdomen et du dessous de ses bras, ce qui créait des clapotis répugnants à chaque mouvement qu’il faisait. Tout son corps, surtout au niveau des articulations, était atrophié par des excroissances similaires à d’énormes verrues crevassées et sa tête, dépourvue de cheveux, était percée de deux petits yeux porcins, pâles comme la mort, d’un nez presque plat ainsi que d’une bouche garnie de dents brunes entre lesquelles pourrissent des morceaux de chair. Lourdement, le Fomorien finit de se relever, sortant des immondices ses mains larges sur lesquelles il s’était appuyé, dévoilant de longues et terribles griffes au bout de ses doigts fins.

Les deux frères, loin d’être impressionnés par l’aspect repoussant de la créature, n’attendirent pas qu’elle soit prête au combat pour entrer complètement dans le déversoir. Se dépêchant, ils rouvrirent les plaies qu’ils s’étaient infligées à l’entrée. Ils ôtèrent également capes et tee-shirts, qui allaient les gêner, dévoilant leur torse couturé de nombreuses cicatrices et couvert de tatouages représentant des runes aux formes complexes.

De sa main gauche ensanglantée, tenant sa hache dans la main droite, Éric se mit à faire de larges gestes dans l’air, chacun de ses mouvements donnant l’impression que son sang s’étalait sur une toile invisible. Rapidement un motif apparu, une rune, qui luisait d’une lueur rouge orangé.

— Varnar ! prononça-t-il d’une voix forte en terminant de dessiner les contours de cette rune.

Dès qu’il eut prononcé ce mot, elle se mit à luire bien plus fort et se fixa sur sa main, se déplaçant avec elle comme un bouclier.

Ivar avait quant à lui empoigné son bouclier et sa lance dans sa main gauche et plaça l’autre, couverte de sang, sur l’un des tatouages de son torse, se préparant à intervenir dès que le combat s’engagerait. Les deux frères étaient prêts et l’assaut ne se fit pas attendre très longtemps. Il n’eut pas de longues secondes passées à s’observer, à guetter une faille chez l’adversaire. À peine était-il debout sur ses grandes jambes décharnées, que le monstre s’élançait vers Éric, ses bras fendant l’air, prêt à asséner un terrible coup de griffe au jeune homme.

— Biskka ! hurla Ivar qui était prêt, profitant de l’occasion que lui offrait le Fomorien en fonçant sur son frère.

Le tatouage sur lequel il avait posé sa main se mit immédiatement à dégager une lueur bleu très intense, qui s’intensifia encore lorsqu’il tendit le bras. Au creux de sa main venait d’apparaître une petite boule d’énergie, qu’il projeta vers le Fomorien dans un geste vif. Ce dernier ne s’en aperçut que trop tard et pris par son élan, il ne put l’esquiver. À l’impact, cette boule d’énergie se transforma en une myriade d’arcs électriques, qui frappèrent le monstre, stoppant net sa charge et le faisant hurler de douleur.

Éric en profita et chargea à son tour, profitant de la stupéfaction de la créature, il courut jusqu’à elle et dans un mouvement ample, du bas vers le haut, il écrasa le tranchant de sa hache sur le menton du Fomorien. Hélas, la peau de la bête était extrêmement résistante et la hache du jeune homme ne fit que blesser la créature qui, dans un nouveau râle de douleur, n’eut d’autres choix que de reculer. S’étant ressaisi et loin d’être vaincu, il tendit le bras dans un mouvement aussi rapide que brutal, fendant l’air de ses griffes en hurlant de plus belle, alléché par l’idée de déchiqueter le corps d’Éric comme il l’avait fait pour ses autres victimes. Fort heureusement, le jeune homme vit le coup venir et leva la main gauche, celle sur laquelle c’était attaché la rune. L’attaque du Fomorien s’écrasa dessus et ses griffes, qui essayaient de transpercer le bouclier d’énergie, provoquèrent des gerbes d’étincelles rouge et orange qui éclairèrent le déversoir. Le choc fut tel que le jeune guerrier sentit ses jambes ployées sous la force du monstre et il dut mettre un genou en terre. Le Fomorien en profita alors pour tendre son autre bras et lacérer le flan d’Éric, qui hurla de douleur quand les griffes de la créature créèrent de profondes entailles dans ses chairs.

— Tiens bon, s’écria Ivar en empoignant sa lance avant de courir au secours de son frère.

Arrivant sur son côté, il profita du fait que le Fomorien soit exposé pour faire une fente en avant avec son arme, la plantant avec force dans le flan de la créature.

Hurlant une fois de plus, le monstre recula, relâchant la pression sur la rune d’Éric, qui put se redresser. Là encore, le coup qu’il avait reçu ne fit que blesser le Fomorien, qui se ressaisit rapidement après quelques pas en arrière, se préparant à repartir à l’assaut.

— Merci, haleta Éric, mais fais gaffe, là il est vraiment en colère.

Effectivement, le visage du monstre, déjà peu gracieux en temps normal, était déformé par la fureur. Il ne laissa d’ailleurs pas l’opportunité aux deux frères de souffler plus longtemps et fonça une fois de plus vers eux. Cette fois, mû par la rage, ses gestes furent bien plus rapides encore et d’un revers de main puissant, il impacta le torse d’Ivar, qui n’eut pas le temps de réagir. Il décolla du sol et dans un bruit sourd, alla impacter le mur qui se trouvait à plusieurs mètres derrière lui, retombant lourdement dans l’eau crasseuse. Voyant cela, Éric avait tenté de passer dans le dos de son adversaire pour lui planter sa hache à l’arrière du genou. Hélas, la créature avait pressenti la manœuvre et se retourna rapidement, chassant l’attaque d’un revers en arrachant au passage sa hache des mains d’Éric.

— Merde, s’exclama-t-il en voyant son arme se perdre sous l’eau.

Ce Fomorien était bien plus agile que ceux qu’ils avaient déjà affrontés et Éric commençait à se demander comment ils allaient bien pouvoir faire pour l’abattre. Habituellement, ces créatures sont connues pour être d’un naturel pataud et non pour leur intelligence ou leur dextérité. Celui-là en revanche était rapide, perspicace et précis. De plus, il avait été assez malin pour se faufiler jusqu’ici, trouver des sorties et chasser des proies en pleine ville sans se faire repérer. À cet instant, et sans être spécialement pessimiste, Éric commençait à avoir des doutes sur leurs chances de survie. C’est ce moment que le Fomorien choisit pour armer un nouveau coup de griffe, continuant le mouvement de pivot qu’il avait entamé au coup précédent. Cette fois encore, le jeune homme eut le temps de placer la rune attachée à sa main sur la trajectoire de l’attaque et elle fut parée.

Là encore, la force phénoménale de ce monstrueux colosse joua en sa faveur et Éric fut projeté à plus de deux mètres. Se relevant rapidement, le choc de la projection ayant été amorti par l’eau, il se prépara au prochain assaut du monstre. C’est à cet instant qu’Ivar, qui venait de se relever et de se remettre de sa rencontre percutante avec les murs de pierre du déversoir, choisit d’intervenir. Renforçant sa prise sur sa lance, il fonça droit dans le dos du Fomorien, qui s’apprêtait à charger son frère sans se soucier de lui.

Bouclier en avant, armant sa lance, il la planta de toutes ses forces dans les reins du monstre, qui stoppa net son assaut. Cette fois, la lance avait percé la peau épaisse du colosse qui saignait maintenant abondamment en se tordant de douleur. Le jeune homme en profita pour retirer l’arme du corps de la bête et se prépara à une nouvelle attaque.

Voyant cela et ne voulant pas rater une si belle occasion, Éric passa sa main sur l’une de ses plaies et la dirigea vers son torse, la frottant sur l’un de ses tatouages. Ce n’est qu’à cet instant que les deux frères comprirent la grossière erreur qu’ils venaient de faire. Le coup porté par Ivar avait certes blessé le Fomorien, mais il n’était pas en mauvaise posture pour autant, contrairement à ce que tous les deux pensaient.

Éric n’eut pas le temps de terminer son geste et ne put utiliser sa rune, le Fomorien venait, dans un instant de rage suprême, de tendre son bras vers lui. Le coup de poing que lui asséna le monstre le projeta cette fois de l’autre côté de la salle. Ivar, pour sa part, eut à peine le temps de lever son bouclier, car après s’être occupé d’Éric, le monstre se tourna dans sa direction en levant la jambe, abattant son pied sur lui la seconde d’après. L’impact fit instantanément ployer le jeune homme qui en lâcha sa lance avant d’être envoyé au sol, plonger sous l’eau, immergé sans qu’il ne puisse réagir. Il avait beau se débattre, il était écrasé par le poids, mais surtout la force du Fomorien et il ne parvenait pas à se dégager, ses deux bras étaient à peine assez forts pour maintenir son bouclier entre le pied de la bête et son corps. Ce morceau de bois était d’ailleurs tout ce qui empêchait désormais le monstre de le broyer, mais c’était également ce qui le poussait doucement vers la mort, car il ne pouvait plus porter de coups à la créature pour le faire reculer et ne réussissait pas à écarter son pied pour remonter à l’air libre. Il ne savait pas non plus si son frère était encore en état de se battre. Insidieusement, la panique commençait à l’envahir. Ce sentiment prit de l’ampleur quand le Fomorien releva légèrement son pied avant de l’abattre à nouveau, plus violemment encore, laissant à Ivar la sensation qu’il essayait de l’enfoncer dans le sol tel un clou. Cette fois, ses bras n’avaient pas résisté, le choc lui avait fait lâcher un râle de douleur qui avait vidé ses poumons. Rapidement, sa tête se mit à tourner, sa poitrine était en feu à cause du manque d’oxygène et tout son corps commençait à s’engourdir. Ivar le sentait, il le savait, la mort était proche, elle était venue pour l’étreindre. Le manque d’air se faisait de plus en plus prenant, il n’arrivait plus à relever son bouclier et le poids du monstre pesait maintenant tout entier sur sa poitrine. Au moins, il n’aurait pas le temps de mourir noyé, se dit-il, il serait broyé avant. Mieux encore, il mourrait au combat et pas écrasé par un camion de livraison. Cette pensée le fit sourire, il revoyait la tête renfrognée de son frère après qu’il l’ait tiré vers l’arrière. Ses pensées vagabondaient et il sentait la pression de plus en plus forte sur sa cage thoracique.

Bientôt, ses os allaient se rompre et il serait en morceaux. Il n’avait pas le choix, il devait accepter l’inévitable, la mort fait partie de la vie, pensa-t-il.

Doucement, il sombrait dans un abîme d’obscurité et s’abandonnait à la mort.

Mais alors que ses côtes craquaient dangereusement, la pression sur sa poitrine disparut soudainement, le Fomorien venait d’enlever son pied, il ne l’écrasait plus. Dans un sursaut, son instinct de survie prenant le dessus, il s’était redressé et avait sorti la tête de l’eau.

— Ne meurs pas, mon frère, hurla la voix d’Éric alors qu’Ivar recrachait toute l’eau qu’il avait dans les poumons.

Rouvrant les yeux, il vit plus loin le Fomorien, qui se débattait avec une lance plantée dans l’œil. Il saignait abondamment et faisait des mouvements erratiques en tous sens.

Le combat avait dû être extrêmement compliqué pour Éric, car il était lui aussi en mauvais état. Son torse présentait de profondes entailles, du sang semblait lui couler de l’arrière du crâne et l’hématome sur son flanc en disait long sur l’état de ses côtes. Le bouclier magique qu’il avait créé plus tôt avait quant à lui disparu.

— Ça va ? demanda-t-il d’une voix inquiète.

Ivar crachait encore de l’eau et tentait de reprendre son souffle, lutter pour se redresser avait été toute une épreuve. Son torse tout entier le faisait atrocement souffrir. Après une autre quinte de toux, il fit un signe de tête affirmatif avant de pouvoir enfin articuler quelques mots.

— Merde… cette fois… j’ai bien cru que j’allais y passer, dit-il entre plusieurs râles.

— Apparemment, ce n’est pas pour aujourd’hui, répondit Éric, une grimace de douleur sur le visage. Allez, viens, faut achever cet enfoiré.

Les deux frères regardèrent alors vers le Fomorien qui peinait toujours à enlever la lance qu’il avait d’enfoncé dans l’œil. Le sang qui coulait de ses plaies, un sang noir et épais comme de l’encre de seiche, avait fini par former une mare qui se mélangeait à l’eau du déversoir. Les deux jeunes guerriers se mirent alors à marcher vers le monstre d’un pas claudicant. À bout de force, le monstre les regardait approcher, sachant que pour lui, la lutte s’achevait là, il ne pourrait rien faire de plus que de pousser un dernier rugissement de colère, en guise d’ultime baroud d’honneur. S’arrêtant à quelques pas de lui, Éric et Ivar passèrent leur main ensanglantée sur l’un de leurs tatouages et d’une même voix, ils prononcèrent : Biskka.

Chapitre 2

Sarah Belmond

Bien loin d’imaginer le combat sanglant qui se déroulait en ce moment même dans les égouts de Chambéry, Sarah regardait défiler le paysage sous ses yeux. La voiture dans laquelle elle se trouvait roulait à bonne allure, le long d’une petite route serpentant entre deux massifs montagneux des Alpes. Cette route qui reliait Saint-Sulpice, le petit village où elle habitait, à Chambéry, elle la connaissait bien, elle l’empruntait plusieurs fois par semaine pour se rendre en ville. Perdue dans ses pensées, ses longs cheveux bruns masquaient en partie son visage triangulaire et les cernes sous ses yeux en amande couleur noisette témoignaient d’un manque de sommeil flagrant. La mine basse et le regard résigné, elle donnait l’impression d’être une condamnée à mort traînée de force vers l’échafaud. Ce dernier point, cette fatalité funeste, avait totalement envahi son esprit depuis plusieurs jours, balayant tout le reste telle une gigantesque vague. Elle était une condamnée à mort, se disait-elle. Pas à une mort physique, non, mais plutôt à une mort mentale, intellectuelle, son esprit étant voué à sombrer peu à peu dans la folie sans que rien ne puisse le sauver, ni les médicaments, ni sa psychologue. C’est elle d’ailleurs qui attirait Sarah hors de chez elle ce mercredi, elle avait rendez-vous pour sa séance hebdomadaire, censée lui permettre de faire face à sa maladie.

Or, depuis plusieurs mois, cette maladie n’avait fait qu’empirer, atteignant un pic encore jamais atteint la semaine précédente lors d’un entretien d’embauche et ni ces séances ni la médication du psychiatre n’avaient pu y faire quoi que ce soit. Elle tombait inexorablement dans les affres de la folie. C’est donc désemparée qu’elle était montée dans la voiture de sa mère en ce tout début d’après-midi, l’esprit empli de questions et de doutes, regardant au-dehors pour espérer y trouver des réponses. Hélas, des réponses, cela faisait bien longtemps que la majesté des montagnes et la beauté des forêts qui les bordent ne lui en apportaient plus. Les regardant sans les voir, ces magnifiques décors naturels n’étaient plus, à ses yeux, qu’une vulgaire toile de fond abstraite et sans attrait, sur laquelle dansaient ses angoisses.

— Ma chérie ? dit sa mère de son fort accent anglais.

Sarah se tourna vers elle, l’interrogeant du regard.

On pouvait lire sans difficulté l’inquiétude sur le visage de cette femme en fin de quarantaine, pourtant naturellement rieuse en temps normal. Depuis des jours, elle le savait, sa fille ne dormait presque plus, elle la voyait se renfermer sur elle-même, plus encore que d’habitude, n’adressant plus la parole à personne.

— Je me demandais comment va June, ça fait longtemps qu’on ne l’a plus vue à la maison.

Sa voix était pleine de douceur et chacun de ses mots était semblable à une délicate caresse.

— Elle va bien, elle travaille beaucoup ces temps-ci, mentit la jeune femme d’une voix à peine audible.

Elle vit tout de suite que sa mère n’était pas dupe, elle se doutait que June avait essayé de la joindre elle aussi. Depuis une semaine ou presque, elle appelait sur son mobile, à de nombreuses reprises, mais Sarah se refusait de répondre. Elle ne voulait pas lui parler, en réalité, elle ne voulait parler à personne, elle ne voulait pas que quiconque assiste au désolant spectacle qu’était sa chute vers la démence. Pourtant, June était sa meilleure amie et était l’une des rares personnes en qui elle avait pleinement confiance. Elle l’avait toujours soutenue et aidée, l’épaulant même dans les moments les plus difficiles de sa vie.

Seulement cette fois, Sarah le sentait, elle perdait peu à peu le contrôle et ne voulait pas infliger ça à June, qui avait déjà bien assez souffert par le passer. Elle ne voulait d’ailleurs infliger ça à personne, encore moins à ses parents, eux qui ont toujours tout fait pour elle, sans jamais qu’elle ne puisse leur montrer à quel point elle leur en était reconnaissante.

— Qu’est-ce qui ne va pas ma chérie ? insista sa mère en prenant sa main dans la sienne. Tu sais, je suis là, ton père aussi, tu peux nous parler, on sera toujours là pour t’écouter. Elle ne put cacher les trémolos dans sa voix, voir sa fille dans cet état était trop pour elle.

Voyant que sa mère était sur le point de fondre en larmes, Sarah se tourna encore un peu plus vers elle, serrant sa main aussi forte qu’elle le pouvait et rassemblant le peu de force qui lui restait pour tenter de la rassurer.

— Je sais maman, ne t’en fais pas, je sais que vous êtes là, dit-elle en tentant d’être le plus crédible possible. Je vais bien ne t’en fais pas, je suis juste très fatiguée, ça va passer, il ne faut pas t’inquiéter.

Là encore, elle sut tout de suite que le mensonge n’était pas passé. En réalité, aucun mensonge ne passait jamais avec sa mère, elle devait trop bien la connaître ou avait un sixième sens trop aiguisé, car elle savait toujours quand elle lui mentait. Finalement, après que leurs regards se soient plongés l’un dans l’autre pendant quelques secondes, Sarah se pencha et appuya sa tête sur l’épaule de sa mère, qui déposa un délicat baiser sur son front.

La jeune femme ferma les yeux et pleura intérieurement. Auparavant, elle n’avait jamais caché ce qu’elle ressentait à ses parents, encore moins à sa mère, dont elle était très proche. Le faire lui arrachait le cœur, elle avait la sensation de la trahir, mais c’était plus fort qu’elle, avouer qu’elle perdait pied était au-dessus de ses forces. Cette volonté de ne rien lui dire ne venait pas d’une fierté mal placée, ou d’un ego démesuré, elle n’avait jamais été ainsi.

Ce n’était pas non plus la peur d’être jugée ou moquée, bien que ce soit l’une de ses plus grandes angoisses, ses parents étaient bien les dernières personnes qui auraient pu faire une telle chose. Elle n’y arrivait simplement pas, car rien qu’à l’idée de leur dire qu’elle perdait peu à peu l’esprit, à imaginer l’instant où ces mots franchiraient sa bouche, elle voyait sans difficulté la peine, la tristesse et l’inquiétude qu’elle verrait se dessiner dans leurs yeux. Cette vision, insupportable, la bloquait complètement, elle ne pouvait pas se résoudre à faire autant de mal à des personnes qu’elle aimait tant et qui avaient fait tant de sacrifices pour elle.

Le reste du trajet se passa sans un mot, les deux femmes, le cœur lourd, regardait le paysage défiler, faisant tout pour ne pas montrer à l’autre leur chagrin et Sarah ne rouvrit les yeux que lorsqu’elle sentit la voiture s’arrêter. Regardant aux alentours, elle reconnut sans difficulté la grande avenue toujours bondée, ainsi que le bâtiment, où était installé le cabinet de sa psychologue, une petite demeure à l’architecture du 18e siècle entièrement rénovée.

— Je passe te chercher dans deux heures, lui dit sa mère avec la voix enrouée et toujours encombrée de trémolos.

Ses yeux étaient rougis par les larmes qu’elle avait retenues durant tout le trajet, une vision qui fendit encore un peu plus le cœur de Sarah.

— Non, ça ira, je rentrerai en bus, ça me fera du bien de prendre l’air, lui répondit la jeune femme sans conviction.

— Tu es sure ma chérie ? Parce que je m’étais dit qu’on pourrait aller faire un tour une fois ta séance terminée, profiter d’un moment toutes les deux, dit sa mère, le regard suppliant.

— Une autre fois, d’accord, là, j’ai besoin d’être seule. À ce soir, je t’aime.

Arrivant à peine à réprimer ses sanglots, elle sortit de la voiture en claquant la portière et s’éloigna d’un pas rapide, faisant tout pour masquer son visage dans sa longue chevelure. Voir sa mère ainsi, lui briser le cœur une fois de plus, c’était plus qu’elle ne pouvait en supporter. Elle ne put retenir ses larmes qui lui brûlèrent les joues quand elles se mirent à couler.

Sans un regard en arrière, elle marcha d’un pas rapide vers le cabinet de sa psychologue, prenant bien soin de ne pas relever la tête, regardant à peine où elle marchait. C’était devenu une habitude pour elle lorsqu’elle était en rue ou dans un endroit public quel qu’il soit, elle faisait en sorte de ne jamais regarder les gens directement, trop effrayée par ce qu’elle pourrait voir. Toujours en pleurs, elle arriva enfin devant la porte de bois noir du cabinet, dont une plaque dorée fixée juste à côté indiquait le nom de la praticienne :

« Docteur Melissa Peyrrain, psychologue »

Elle poussa la porte pour entrer et instantanément, l’odeur camphrée de l’endroit, si familière, lui arriva dans les narines alors qu’elle pénétrait dans la salle d’accueil.

Cette pièce, plutôt étriquée, était décorée avec goût. Des cadres laissant apparaître des paysages somptueux et baignés de lumière ainsi qu’un grand tableau peint de visages souriant, imbriqués les uns dans les autres, pendaient sur des murs aux couleurs chaudes. Au bout de la pièce se trouvait un petit bureau, derrière lequel était assise une secrétaire joliment potelée, aux cheveux grisonnant et coupé en carrés, ses lunettes délicatement posées sur son nez rond. Il n’y avait que gentillesse et bienveillance qui émanaient d’elle.

— Bonjour Sarah, lui dit-elle d’une voix chaleureuse, un grand sourire sur le visage, s’effaçant rapidement quand elle la vit en pleurs. Tout va bien ? demanda-t-elle pleine de compassion.

— Ça va, Béatrice, lui répondit Sarah en tentant de se reprendre, et vous ?

— Ho tu sais, moi ça va toujours, mais toi, qu’est-ce qui ne va pas ?

— Rien de grave, rassure-toi, conclut-elle d’un ton plus ferme, qui laissait entendre qu’elle ne tenait pas à en parler.

— D’accord se résigna la secrétaire, tu viens pour ta séance de treize heures, c’est ça ? Le docteur Peyrrain a un peu de retard, va t’installer dans la salle d’attente, tu veux un café, un verre d’eau, quelque chose ?

— Merci, ça ira, dit la jeune femme en reniflant discrètement. Je vais aller m’installer à côté.

Béatrice était toujours ainsi, aussi loin qu’elle pouvait s’en souvenir, elle était la gentillesse incarnée, ne sachant jamais quoi faire pour mettre les gens à l’aise et faire en sorte que l’attente soit la plus plaisante possible.

— Très bien, abandonna Béatrice, arborant un sourire contrit.

Sarah se dirigea donc en direction de la porte vitrée, fichée dans le mur de droite, qui laissait entrevoir une pièce garnie de chaises à l’assise en cuir rembourré, décorée de cadres similaires à ceux de l’accueil, mais dont les murs étaient peints dans des tons bleu pastel. Au milieu de la pièce inoccupée trônait une table chargée de vieux magazines traitant de psychologie que personne n’avait dû lire depuis des années.

Sarah eut à peine le temps de s’asseoir, qu’immédiatement elle dut se relever, son portable venait de se mettre à vibrer dans la poche arrière de son jean. Se rasseyant après l’avoir sorti, elle le déverrouilla et vit le nom de June apparaître à l’écran, elle lui avait de nouveau envoyé un texto. Elle hésita un moment en regardant l’écran lumineux de son smartphone, son amie lui manquait, ça faisait plus d’une semaine qu’elle ne lui avait pas parlé, ce qui n’était jamais arrivé jusqu’à présent.

Elle et June s’étaient rencontrées quand elles avaient quatre ans et étaient immédiatement devenues amies, étant inséparables l’une de l’autre. June habita même un temps chez elle, quand les horreurs que son père lui faisait subir furent découvertes par la police. Se pensant stupide, Sarah ouvrit le texto qu’elle avait reçu en secouant la tête et se mit à le lire :

« Salut ma belle, je ne sais pas ce qu’il y a, mais ça fait plus d’une semaine que je n’ai pas de nouvelles et ça commence à me gonfler. Je sais que tu es toujours vivante puisque j’ai appelé ta mère hier qui m’a dit que tu allais bien et que tu végétais dans ta chambre. Je suis sûre que tu as passé tout ce temps à geeker et à mater des séries en déprimant.

Cette aprèm tu as ta séance de psy qui se termine à quatorze heures, c’est l’heure à laquelle je termine mon service à l’hôpital, on se retrouve donc à quinze heures à notre pizzeria habituelle. T’as intérêt à y être si tu ne veux pas que je te traque, que je te trouve et que je te botte ton sale cul de folledingue rachitique tellement fort que quand tu tireras la langue, on pourra voir la semelle des SUPERBES bottes que j’ai trouvées avant-hier et que peut-être j’accepterais de te prêter malgré tes vieux pieds moisis.

N’oublie pas, QUINZE HEURES, à notre pizzeria.

Je t’aime ».