Ne les laisse pas t’attraper - Mya Everthon - E-Book

Ne les laisse pas t’attraper E-Book

Mya Everthon

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Beschreibung

Fille de Julia Ravenar, la guerrière légendaire d’Acabane, Mélina maîtrise l’art du combat. Cependant, sa mère a subitement laissé son passé prestigieux derrière elle pour travailler au palais en tant que domestique, condamnant Mélina à une vie laborieuse. Lorsque la jeune fille se lie d’amitié avec Emeraude, sa vie prend un tournant inattendu. Elle découvre qu’elle est victime d’un sinistre complot. Pour sortir de cette situation, Mélina doit déjouer les plans de ceux qui pensaient pouvoir contrôler sa vie. Mais parfois, les secrets peuvent mener à une vérité impossible à accepter

À PROPOS DE L'AUTRICE

Mya Everthon a toujours été passionnée par les univers imaginaires. Depuis plus d’un an, elle s’est fixé comme objectif de créer le sien. Son but est simple : faire rêver ses lecteurs tout comme ses lectures l’ont émerveillée. Telle une amazone de l’écriture, elle brandit sa plume pour tisser des récits fascinants qui transporteront son public dans des mondes enchanteurs.


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Veröffentlichungsjahr: 2024

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Mya Everthon

Ne les laisse pas t’attraper

Roman

© Lys Bleu Éditions – Mya Everthon

ISBN : 979-10-422-3932-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À toutes celles et ceux qui ont,

un jour, eu envie d’abandonner.

N’oubliez pas qu’il faut mettre

les pieds dans l’obscurité

pour être capable de reconnaître la lumière.

Prologue, treize ans plus tôt

Julia Ravenar arpentait les couloirs sombres et sanglants du château de Bélarat. L’armure qu’elle portait étincelait dans l’obscurité du palais. Malgré l’état désastreux du château et l’ambiance très pesante, il était difficile de faire abstraction de la beauté de ce lieu. Le sol sur lequel elle trottinait était recouvert d’un épais tapis aux couleurs du royaume de Bélarat : un bleu semblable au ciel d’une chaude journée d’été. Elle tourna la tête pour observer les nombreux tableaux accrochés au mur et tomba nez à nez avec son reflet. Elle ne se reconnut pas, la femme qui la fixait était pâle comme la mort, malgré un regard resté flamboyant. Ses cheveux d’un brun doux, habituellement noués en chignon serré, tombaient sur ses épaules, ébouriffés par la bataille.

Le miroir devant lequel elle s’observait était fissuré et maculé de sang. Elle détourna le regard de son propre reflet et leva les yeux au plafond, où un magnifique lustre éclairait faiblement l’immense couloir où elle se trouvait.

Elle poursuivit sa route en admirant malgré elle l’étendue du talent de la reine qui dirigeait ce royaume, Suzanna Isabella Myreline. Malgré la grande dose de poison qu’elle avait ingurgité à son insu, elle était parvenue à tuer une vingtaine de gardes avant d’être capturée. Les Myreline étaient connus pour avoir des aptitudes aux combats hors du commun, mais le voir à l’œuvre de ses propres yeux était une expérience unique… Julia secoua la tête comme pour chasser cette pensée et poursuivit sa route dans les couloirs déserts.

La bataille faisait rage au-dehors, une diversion parfaite pour entrer dans le château sans se faire remarquer. Il lui suffit d’ôter son uniforme à un cadavre de l’armée de Bélarat pour être autorisée à entrer. Un sourire cruel apparut sur ses lèvres, « si crédules ! » pensa-t-elle. Elle arriva enfin devant la chambre de la princesse. Elle entra discrètement et regarda autour d’elle. La chambre semblait déserte : pas un garde ne veillait sur l’avenir de ce royaume ni sur la personne la plus puissante de ce continent, voire du monde entier. L’armée du roi et de la reine a été exterminée en un temps record.

Julia entendit une respiration saccadée, suivie d’un gémissement étouffé. Elle se précipita vers l’armoire et, l’ouvrant d’un geste brusque, fit tomber la princesse au sol. La femme avait entendu les reniflements de l’enfant, mais quand elle lui fit face, ses yeux étaient secs et la dévisageaient avec une rage évidente. L’enfant, âgée d’à peine cinq ans, se releva de toute sa hauteur, fixa Julia et lui demanda, d’une voix à la fois assurée et suppliante :

« Où sont mes parents ? »

La femme eut un mouvement de recul, ne pouvant s’empêcher de ressentir une vive compassion pour cette enfant. Pourtant, lorsqu’elle parla, sa voix était sèche et cruelle.

« En route pour le bûcher ! Ou peut-être y sont-ils déjà… Qu’en sais-je ? J’ai reçu l’ordre de m’occuper de toi, princesse ! »

La fillette baissa la tête et ferma les yeux pendant plusieurs secondes. Lorsqu’elle les rouvrit, une rage meurtrière brillait dans ses iris. Julia ne put s’empêcher d’admirer le courage dont elle faisait preuve.

« Je me vengerais, je vengerais ma famille, mon peuple et votre…

— N’as-tu donc pas compris que tu n’auras même pas l’occasion de les pleurer ? Coupa froidement Julia, c’est la fin pour toi, Adelia ! Prépare-toi à mourir ! »

Julia se délecta de la peur qu’affichait le visage de l’enfant à la mention de son prénom, mais la gamine se reprit rapidement, affichant un masque d’assurance presque nonchalant. Un masque travaillé depuis sa naissance dans ce château, un masque de cour. La princesse était née dans l’unique but de devenir la reine la plus puissante du monde, elle était une arme modelée depuis sa naissance…

« Je vous conseille de ne pas rater votre coup, soldate, parce que si jamais je ressors vivante de cette pièce, je vous détruirai vous et votre royaume ! »

C’en était assez, il était temps pour Julia Ravenar de terminer le travail ! Elle dégaina son épée avec une rapidité et une aisance acquise au cours des années, et frappa…

Chapitre 1

Mélina Ravenar se réveilla précipitamment, ruisselante de sueur. Depuis la minuscule ouverture qui lui servait de fenêtre, elle aperçut la lueur rosée qui précédait le lever du soleil, il ne devait pas être plus de sept heures du matin… L’heure de se lever pour les domestiques. Après s’être brièvement remémoré ce cauchemar dans lequel une femme sans visage pleurait dans ses bras, répétant la même phrase en boucle, elle sortit de son lit et se dirigea vers le salon attenant à sa chambre. À peine esquissa-t-elle un pas qu’un couteau de cuisine surgit dans sa direction, visant son œil droit. Elle attrapa le couteau en un éclair et le renvoya à sa propriétaire, qui l’intercepta avec aisance. Mélina fixait sa mère avec exaspération.

« Bonjour à toi aussi, maman, ironisa-t-elle.

— Tu t’améliores de jour en jour, la félicita sa mère avec un petit rire, tes réflexes sont impressionnants, dignes d’une vraie guerrière.

— Est-ce que je peux savoir pourquoi tu passes ton temps à m’entraîner comme si j’allais être poignardée par le premier inconnu qui passe ?

— On ne sait pas ce qui peut arriver, il faut toujours s’attendre au pire.

— Maman, on vit dans un château, entouré de gardes armés jusqu’aux dents, on plie le linge et on cuisine, je n’ai absolument rien à craindre, sauf peut-être de ne pas esquiver une de tes attaques au couteau matinal !

— Arrête de te plaindre, tu me remercieras le jour où tu seras attaquée et où tu pourras te défendre sans effort », assura sa mère.

Mélina leva les yeux au ciel et s’abstint de répondre. Elle alla s’asseoir à table et observa sa mère qui s’affairait aux fourneaux de cette minuscule pièce qu’elles appelaient « cuisine ».

Mélina n’était pas du genre difficile, mais elle se jura que le jour où elle aurait sa propre maison, celle-ci serait entièrement faite de bois et non de briques sombres. Toute la « suite » qu’elle et sa mère occupaient au sous-sol du château en était couverte, et elle détestait cela. Elle fixa sa mère, son corps musclé et ses beaux cheveux bruns noués en un chignon serré. On pouvait voir à des kilomètres qu’elle n’était pas faite pour cette vie, elle n’avait rien à faire dans la minuscule cuisine de cette minuscule suite.

Non, sa mère, Julia Ravenar, était faite pour combattre. Elle avait la carrure et l’expérience des soldats aguerris. Elle était expérimentée et pouvait désarmer n’importe quel assaillant à mains nues sans aucune difficulté. Il y a treize ans, elle faisait partie des meilleurs éléments de l’armée d’Harald Baringhton, roi du royaume d’Acabane.

Hélas, tout prit fin cette nuit où le roi attaqua le royaume de Bélarat… Mélina connaissait cette histoire par cœur. Elle l’avait entendu à maintes reprises de la bouche des domestiques.

Il y a treize ans environ, le royaume d’Acabane, où elle vivait avec sa mère, avait envahi le royaume de Bélarat, qui comptait parmi les plus puissants du continent. Le roi d’Acabane, Harald Baringhton, a renversé le royaume de Bélarat grâce à la méthode que toutes les personnes faibles et sans scrupules utilisent pour parvenir à leurs fins… Le poison.

Le meilleur conseiller du royaume conquis était au service du roi Harald. Il avait pour ordre d’empoisonner les membres de la famille royale dans le but de les affaiblir au maximum. Plusieurs raisons l’avaient poussé à agir ainsi, la plus évidente étant de désirer plus que tout étendre son territoire.

En réalité, la raison qui l’avait poussé à agir ainsi était tout autre. Susanna Isabella Myreline avait épousé par amour le frère du roi Harald, Ramien Baringhton. De cette union était née la princesse Adelia Madeleine Myreline, héritière du royaume de Bélarat. Le roi d’Acabane, considérant cette union comme une trahison, avait renié son frère, car il avait préféré vivre avec sa femme plutôt que de rester à ses côtés.

La guerre a duré un an et trois jours avant que Bélarat ne fut contraint de se replier. Le roi et la reine de Bélarat ont été tués sur le bûcher, devant leur peuple… La princesse, quant à elle, a été exécutée par nul autre que sa mère, Julia Ravenar. Cette dernière a apporté la fillette âgée de cinq ans et l’a décapité sous les yeux du peuple et de ses parents. On raconte que la princesse ne s’est pas débattue, semblant vouloir mourir avec honneur. Comme si cela n’était pas suffisamment cruel, Julia Ravenar avait ensuite jeté les restes de son corps sur le bûcher afin qu’ils soient brûlés à côté de ses parents… Mélina n’avait pas d’avis particulier sur ce qu’avait accompli sa mère par le passé.

« Et c’est là que Mary m’a dit que ma soupe était trop salée à son goût, quel toupet ! Dis, tu m’écoutes ? demanda sa mère en claquant ses doigts devant elle.

Mélina sursauta légèrement :

— Non désolée, dit-elle avec une moue contrite, j’étais dans mes pensées.

— Hmm, allez dépêche-toi de manger. Je dois apporter son petit-déjeuner à la reine, et elle ne supporte pas qu’on soit en retard. Et n’oublie pas de boire ta tisane ! »

Mélina se dépêcha d’engloutir ses œufs brouillés et de boire sa tisane. Lorsqu’elle avait cinq ans, elle était tombée d’un arbre, la tête la première. Depuis, elle souffrait de maux de tête récurrents et tenaces. Sa mère avait réussi à lui concocter une tisane permettant de rendre ses douleurs plus supportables.

Elle alla ensuite se préparer dans la salle de bains. Elle prit une douche rapide – l’eau froide l’y contraignit – et se vêtit de sa robe grise, qui lui arrivait aux genoux. Elle enfila son tablier blanc et alla devant le miroir pour se coiffer. Mélina avait un long visage ovale avec des pommettes saillantes. Ses yeux, d’un gris rare et perçant hérité de son père, lui donnaient l’allure de la fille froide et déterminée qu’elle était précisément. Elle avait un teint hâlé avec des joues rosées. Ses cheveux, bouclés, étaient d’un châtain clair et tombaient en cascade dans son dos. Après les avoir attachés en un chignon lâche, elle prit le poignard que sa mère lui avait offert pour son treizième anniversaire et le glissa dans le fourreau attaché à sa cuisse, de manière à ce qui ne soit pas vu. Cette arme lui apportait un sentiment confortable de sécurité. Le manche du poignard avait l’apparence d’un serpent argenté, prêt à frapper. La lame était fine et acérée. Elle regarda fixement une dernière fois son visage dans la glace. Aucun de ses traits ne correspondait à ceux de Julia Ravenar. Elle aurait hérité du physique de son père et du tempérament de sa mère, bien qu’il lui était impossible de vérifier la première hypothèse, son père étant parti quand elle avait trois ans. Ce départ ne l’attristait pas plus que cela. Après tout, elle ne l’avait jamais connu. Elle enfila ses chaussures et quitta la salle de bain. Sa mère, qui était prête à aller travailler, l’attendait. Alors qu’elles remontaient les escaliers depuis le sous-sol du palais, une phrase tournait en boucle dans la tête de Mélina, une phrase que la femme sans visage ne cessait de répéter dans tous ses rêves, qui ne semblait avoir aucun sens pour elle. Ne les laisse pas t’attraper…

***

Mélina et sa mère se quittèrent en bas de l’escalier principal du somptueux palais, celui-ci était tapissé de toutes parts de tapis rouge écarlate, les murs regorgeaient de tableaux à contempler. Elle constata que le sol avait déjà été nettoyé alors qu’il était à peine sept heures.

« Je pense que le roi va recevoir de la visite, constata sa mère.

Elles en étaient arrivées à la même conclusion.

— Oh non, Mary va nous hurler dessus toute la journée ! pesta Mélina.

— Je te souhaite bonne chance, je dois aller réveiller la reine et la préparer, à ce soir, ma fille.

— À ce soir, dit Mélina. »

Depuis que sa mère avait renoncé à son statut de soldate, elle travaillait comme servante personnelle de la reine d’Acabane, Nathalia Baringhton. Cette dernière était la princesse du royaume de Kamizar et avait épousé le roi afin d’apaiser les relations entre les deux royaumes.

Arrivée aux cuisines, où il régnait une chaleur étouffante, Mélina se hâta de préparer le petit-déjeuner de la famille royale, sans saluer personne sur son passage. Elle n’était pas le genre de fille à avoir des copines avec qui glousser toute la journée. Elle préférait de loin rester seule, avec ses pensées. Bien évidemment, elle n’eut que trente secondes de tranquillité avant que Mary, la domestique la plus âgée, la rejoigne.

« Tu as dix minutes de retard, Ravenar, c’est inacceptable, d’autant plus qu’aujourd’hui est un grand jour ! » la réprimanda-t-elle avec son horrible voix aiguë.

Mélina dut se contenir pour ne pas lever les yeux au ciel et la repousser sèchement. Elle afficha malgré tout une moue contrite assez convaincante :

— Cela ne se reproduira plus, madame Mary.

— Tu as tout intérêt ! riposta-t-elle, le fait d’être la fille de Julia Ravenar ne te donne pas plus de droits que les autres, tâche de t’en souvenir.

Et voilà, c’est reparti, pensa Mélina. Mary avait toujours été jalouse de sa mère et de la place qu’elle tenait auprès de la reine. Ne pouvant passer ses nerfs sur l’ancienne guerrière, elle harcelait Mélina depuis le premier jour où elle avait mis les pieds dans cette cuisine, à l’âge de douze ans. Mélina pouvait se montrer patiente, mais si cette vieille femme continuait de ne pas la respecter, ça risquait de mal se terminer – pour Mary, évidemment.

— Aujourd’hui, nous recevons la famille de la reine. Je veux que tout soit parfait ! Après t’être occupée du service pour le petit-déjeuner, tu iras nettoyer la grande salle pour leur arrivée.

— Bien sûr, Madame Mary, dit Mélina.

Mary la dévisagea une dernière fois avec une mine de dégoût, et s’en alla passer ses nerfs sur les autres domestiques. Vieille bique ! ragea Mélina. La grande salle était plus grande que cinq maisons réunies, il lui faudrait des heures pour tout préparer seule. Se jurant de se venger de cette affreuse femme le moment venu, elle finit de préparer le petit-déjeuner.

Mélina déambulait dans les couloirs, derrière les autres servantes également de service pour le petit-déjeuner. La tension était palpable, car elles savaient qu’elles avaient dix minutes de retard pour le service. Mélina elle-même nourrissait une pointe d’angoisse, malgré le fait qu’elle ne risquait pas grand-chose étant donné la position de sa mère. Le roi était tout de même connu pour sa cruauté et n’hésitait pas à flatter son ego en tourmentant de jeunes filles considérées comme faibles. Arrivées aux portes d’un des salons qui se comptaient par dizaines dans ce palais, les domestiques, ainsi que Mélina, se hâtèrent d’entrer servir le repas, après s’être brièvement incliné en signe de respect.

Tout en disposant les assiettes, Mélina jeta furtivement un coup d’œil à la famille royale. Le roi, dont elle reconnut les cheveux noir de jais et les yeux verts étincelants, affichait un regard furieux tout en observant les domestiques s’affairer. Il dégageait un charisme qui intimidait, et qui avait fait trembler de nombreux ennemis par le passé. À ses côtés se tenait la reine Natalia Baringhton, dont la silhouette fine, le teint encore plus pâle qu’à l’accoutumée, et les yeux noisette légèrement écarquillés étaient l’incarnation même de la faiblesse.

Mélina ne put s’empêcher d’être agacée par son comportement, et ne comprenait pas pourquoi la reine s’obstinait à rester impuissante devant son mari alors qu’elle pourrait briller à ses côtés. Elle détourna ensuite furtivement son regard pour apercevoir la princesse Falyne Baringhton, âgée de dix-huit ans. Elle était tout l’opposé de sa mère, aussi bien physiquement, que dans sa façon d’être. Ses cheveux noirs, hérités de son père, étaient relevés en un chignon très sophistiqué. Si sa mère était l’incarnation de la faiblesse, Falyne, quant à elle, incarnait la force. Ses grands yeux verts exprimaient une nonchalance mêlée à de la détermination. Elle avait une assurance que peu de personnes possédaient. Son visage long, son nez droit, ses lèvres fines et ses yeux perçants laissaient peu de doute quant à son statut. Elle était née pour monter sur le trône.

Après avoir fini de servir le petit-déjeuner, les servantes se dirigèrent vers la sortie lorsqu’une voix rauque les interpella :

« Un instant, femmes.

Mélina se raidit, s’attendant au pire. Elle ressentit une montée de détresse mêlée à de la colère face à la façon dont le roi venait de les interpeller.

— L’une de vous peut-elle me dire l’heure qu’il est ? » demanda le roi d’une voix nonchalante.

Mélina serra les dents lorsqu’elle constata que toutes les domestiques s’étaient tournées vers elle. C’était bien évidemment à Mélina de répondre au roi pour les protéger. Après tout, elle était la fille d’une ex-guerrière, elle ne risquait pas grand-chose. Et même si elle était renvoyée, elle ne manquerait à aucune des domestiques présentes dans la pièce. Elle fixa donc le sol, après avoir jeté un bref regard à la grande horloge de la salle, et répondit d’une petite voix :

« Il est huit heures quarante, votre Majesté.

— Je vois, et pouvez-vous me dire l’heure à laquelle le petit-déjeuner doit être servi ?

Mélina déglutit légèrement en entendant la voix furieuse du roi et répondit, sans lâcher le sol des yeux :

— À huit heures trente, votre Majesté.

— Bien, approchez. »

Mélina se figea face à la demande du roi, ne parvenant pas à bouger. Pourquoi le roi lui demandait-il de venir vers lui ? Elle n’avait rien fait, après tout, à part répondre à ses questions idiotes.

« Tout de suite ! rugit le roi.

Un garde l’empoigna violemment par le bras et la traîna jusqu’au roi, elle tomba par terre et se releva difficilement. Le roi lui attrapa le menton et la força à le regarder dans ses yeux verts :

— Vous avez choisi seule de répondre à mes questions, vous en assumerez donc les conséquences, Ravenar. La prochaine fois qu’un tel incident se produira, vous paierez à la place des autres domestiques. Ça vous apprendra à croire que vous êtes supérieure aux autres ! Compris ? »

Mélina essaya de se dégager de l’emprise du roi, mais celui-ci resserra sa poigne, refusant de la lâcher. Supérieure aux autres ? Elle avait simplement répondu à ses questions, car elle ne supportait pas de voir l’air de chaton apeuré des autres servantes. Elle aurait pu facilement se libérer, mais elle savait que ce n’était pas la bonne solution. Plus elle paraîtrait faible, plus vite le roi se lasserait d’elle et la lâcherait. Elle était folle de rage, car le roi l’humiliait devant tout le monde, dans le seul but de s’élever un peu plus, d’installer un climat de peur. Elle se sentait faible et utilisée, ce qu’elle détestait. Elle arrêta de s’acharner à se libérer et fixa le roi de ses yeux gris aussi froid et perçants que les siens, et déclara, d’une voix calme et posée :

« Oui, votre Majesté, vos désirs sont des ordres. »

Le roi parut satisfait de sa réponse et la jeta au sol avant d’entamer son petit-déjeuner. Mélina frotta sa mâchoire endolorie. Elle pouvait sentir le regard sur elle du reste de la famille royale, un regard dans lequel elle pensait lire à la fois de la curiosité et de compassion. Elle finit par se relever et sortit de la salle, sans demander son reste.

Chapitre 2

Mélina passa le reste de la journée à nettoyer la grande salle, sous les œillades indiscrètes des autres domestiques. Elle ne cessait de se remémorer les évènements de cette horrible journée. La réaction du roi avait été terriblement excessive, elle n’avait rien fait qui puisse justifier un tel comportement. C’était le moment le plus humiliant de sa vie, et elle n’était pas prête de l’oublier. Après avoir terminé de nettoyer la grande salle, elle retourna aux cuisines et alla trouver Mary, qui était en train de malmener une jeune servante. Elle inspira profondément, enfouit sa colère et sa rancœur au plus profond d’elle-même et lui demanda timidement :

« Madame Mary, j’ai terminé de nettoyer la grande salle. J’aimerais prendre congé pour la soirée, je souffre de maux de tête.

— Ah, ça te ressemble bien ça, de prendre ta soirée le jour où on reçoit ! Et qui va s’occuper du service si tu n’es pas présente ?

Mélina grimaça à l’idée de se retrouver face au roi si vite après leur altercation, Mary parut se rendre compte du malaise de la jeune fille et afficha un sourire cynique :

— Ah, je comprends maintenant, tu souhaites éviter de faire face au le roi après ce qui t’est arrivé ce matin. Tu crois que tu peux m’avoir comme ça, Ravenar ! Tu assisteras à ce service, que tu le veuilles ou non !

— Je vous assure que c’est vrai, je souffre d’horribles maux de tête, je risquerais de m’évanouir devant les invités, ce qui serait intolérable ! Le roi ne vous pardonnera pas de l’avoir humilié ainsi en refusant de m’accorder ma soirée, dit-elle, l’air faussement outré.

Elle savait qu’elle avait tapé juste, Mary tenait plus à sa réputation auprès des nobles qu’à ses propres enfants, elle n’allait pas courir le risque qu’un tel incident se produise. Elle retint un sourire triomphant face à la mine déconfite de Mary qui déclara d’une voix morne :

— Tu peux prendre ta soirée, mais sache que tu rattraperas ton absence demain, souffrante ou pas.

— Je vous remercie, madame Mary. »

Mélina s’éclipsa de la cuisine avant que la vieille femme ne change d’avis. Elle n’était évidemment pas souffrante, mais elle refusait de revoir le roi après ce qu’il s’était passé ce matin. Tandis qu’elle descendait dans les sous-sols du château, elle se jura que si un tel évènement devait se reproduire un jour, elle ne resterait pas docile comme elle l’avait été ce matin. Elle était bien décidée à faire comprendre à tout le monde qu’elle n’était pas une petite servante faible et sans défense, mais Mélina Ravenar, la fille de l’une des plus puissantes guerrières qui ait existé par le passé. Arrivée au salon, elle vit que sa mère l’attendait. Dès que leurs yeux se croisèrent, Mélina comprit qu’elle avait appris ce qui s’était passé. Sans un mot, Mélina enleva son tablier, remonta ses jupes, dégaina son poignard et se mit en position de combat. Sa mère se leva de son fauteuil et se plaça face à elle… Une longue nuit d’entraînement commençait…

***

Mélina se réveilla plusieurs fois pendant la nuit à cause de ses courbatures et de ses maux de tête. Elle grimaça en se redressant de son lit. Elle savait qu’elle allait payer cher son entraînement nocturne de la veille, mais elle avait eu besoin de se défouler. Sa courte nuit avait été hantée par des cauchemars, toujours les mêmes, avec cette femme qui ne cessait de répéter cette même phrase en boucle… Ne les laisse pas t’attraper… Ne les laisse pas t’attraper…

Elle se releva difficilement et alla se préparer dans la salle de bains. Lorsqu’elle entra dans le salon, elle constata que sa mère était déjà partie, sans doute la reine a-t-elle tenu à la recevoir plus tôt. Elle mangea donc seule, but sa tisane et se dirigea vers les cuisines du palais. Mary l’intercepta à son entrée et la condamna à laver la lessive toute l’après-midi à cause de son absence de la veille. Mélina n’eut même pas la force de lui répondre et alla préparer le petit-déjeuner pour la famille royale.

Le service du petit-déjeuner se passa sans encombre, malgré le regard insistant de la reine sur elle. Après avoir aidé à la plonge et préparé le déjeuner, Mélina se dirigea à l’extérieur du palais. Un soleil brûlant l’accueillit. Elle commença à défroisser les draps quand une femme la rejoignit. Elle était brune avec des yeux vert éclatant qui contrastaient avec sa peau mate. Son visage en forme de cœur et ses cheveux coupés court lui donnaient une allure quelque peu sauvage. Mélina ne se rappelait pas l’avoir déjà croisé auparavant, elle était sans doute nouvelle. La jeune femme lui adressa un sourire résigné.

« Cette vieille femme dont je ne connais même pas encore le nom m’a affecté à la lessive.

Malgré sa courte phrase et l’air détaché de la fille, Mélina remarqua immédiatement le léger accent qu’elle avait.

— Qu’as-tu fait pour mettre Mary en colère ? demanda Mélina, surprise par sa propre curiosité.

— J’ai simplement dit qu’entendre des cris suraigus de bon matin n’est pas très bon pour la santé auditive, déclara-t-elle avec un sourire espiègle.

Mélina ne put retenir un éclat de rire :

— Elle a dû très mal le prendre, dit-elle.

— C’est le moins qu’on puisse dire, oui, elle m’a crié dessus pendant au moins dix minutes !

Mélina leva les yeux au ciel et sourit tout en étendant un autre drap.

— Au fait, comment tu t’appelles ? demanda la jeune fille.

— Mélina, et toi ?

— Emeraude, mais tu peux m’appeler Em, c’est plus rapide », lui répondit-elle avec un clin d’œil.

Elle ignorait pourquoi, mais Mélina souhaitait vraiment qu’elles deviennent amies. Em n’avait pas l’air d’être comme ces autres filles idiotes qui passaient leur temps à se raconter les dernières rumeurs et à parler de leur vie sentimentale inintéressante. Elles continuèrent à bavarder pendant qu’elles étendaient le linge. Mélina avait presque oublié la corvée qu’elle était en train d’accomplir tellement ce moment paraissait léger. C’était la première fois qu’elle parlait avec une fille qui semblait l’apprécier.

Après avoir terminé leur besogne et attrapé un coup de soleil dans le cou, elles retournèrent aux cuisines, où Mary leur ordonna de préparer le dîner. Em leva les yeux au ciel et se dirigea vers le plan de travail, où Mélina la rejoignit immédiatement. Les autres filles des cuisines leur jetaient des coups d’œil furtifs, n’étant visiblement pas habituées à voir Mélina avec quelqu’un. Mélina les ignora et préféra se concentrer sur l’histoire qu’Em était en train de lui raconter. Après avoir préparé le dîner, Mélina alla servir la famille royale en compagnie de sa nouvelle camarade et de trois autres filles de cuisine. En servant le repas, elle ne put ignorer encore une fois les regards de la reine. Elle lui donnait l’impression qu’elle cherchait à lui communiquer quelque chose, mais elle ne savait pas quoi. Elle décida de lui jeter un bref regard inquisiteur auquel la reine ne répondit pas. Elle eut tout à coup un mal de tête lancinant qui la fit légèrement grimacer. Mélina détourna la tête et croisa le regard de la princesse qui était fixé sur elle, Falyne avait sans doute perçu l’échange silencieux entre Mélina et sa mère. Elle lança un regard interrogateur à Mélina qui lui répondit par un petit haussement d’épaules.

En sortant de la salle, Mélina se rendit compte qu’elle se faisait beaucoup trop remarquer par la famille royale, d’abord la dispute avec le roi et maintenant les échanges silencieux entre elle et la reine. Si elle continuait comme ça, elle n’allait pas tarder à avoir de sérieux problèmes.

Chapitre 3

L’été avait laissé place à l’automne, Em et Mélina étaient devenues inséparables. Elles effectuaient toutes leurs corvées côte à côte, et appréciaient de passer leurs temps de pause ensemble à discuter de tout et de rien. Malgré leur amitié naissante, Em restait plutôt secrète sur son passé, refusant d’en parler avec Mélina. La seule chose que cette dernière savait était que ses parents étaient morts quand elle était enfant et qu’elle avait dû subvenir à ses besoins pour garder ses deux petits frères en vie. Mélina, quant à elle, préféra se montrer réservée également, et de ne lui raconter que le strict minimum. Em avait pris une étrange expression quand elle avait révélé être la fille de Julia Ravenar, et lui avait posé tout un tas de questions la concernant.

Alors qu’elles essuyaient la vaisselle du dîner, Em se pencha vers Mélina et lui souffla discrètement à l’oreille :

« Ça te dit d’aller dans le jardin après ?

— Mais on n’a pas le droit de sortir la nuit ! s’exclama-t-elle.

Em arqua un sourcil et lui lança le sourire espiègle que Mélina aimait tant.

— Et alors ? On sera discrètes, personne ne le saura. »

Mélina réfléchit un instant avant d’acquiescer.

***

« Mais fait moins de bruit ! s’exclama Mélina, tu veux réveiller tout le château ou quoi ?

— Oh, mais c’est bon, tu crois vraiment que quelqu’un va entendre mes pas ? s’exaspéra Em.

— Tu marches comme un éléphant ! Je te rappelle que les gardes sont entraînés depuis leur plus tendre enfance à repérer tous les sons suspects.

Mélina en savait quelque chose. Sa mère lui avait bandé les yeux un nombre incalculable de fois pour qu’elle arrive à entendre ses pas les plus discrets lors de leurs entraînements.

— Tu n’es vraiment pas drôle, railla Em.

Ça faisait à peine vingt minutes qu’elles étaient dans le jardin et Mélina commençait déjà à le regretter. Em prenait tout à la légère, mais si jamais elles se faisaient surprendre, il y aurait de terribles conséquences.

— Je t’ai déjà raconté l’histoire de mon chat qui… »

Em s’était interrompue en plein milieu de sa phrase. Mélina comprit tout de suite pourquoi : elles venaient toutes deux d’entendre un bruit dans les buissons. Elles étaient au beau milieu du jardin. Il leur faudrait au moins quinze minutes pour retourner au château. Le jardin paraissait désert et les gardes ne circulaient pas dans cette partie de la cour. Mélina tourna la tête vers le château pour faire comprendre à Em qu’il fallait partir. À ce moment-là, sept personnes encapuchonnées sortirent de derrière les buissons, armées d’épées pour les attaquer.

Mélina sentit monter une bouffée d’adrénaline lorsque trois hommes se précipitèrent sur elle. Elle releva sa jupe, dégaina son poignard, et frappa. Elle bloqua le coup de poing d’un de ses assaillants et le frappa avec son poignard en plein dans son abdomen. Il se plia en deux et elle en profita pour attraper le couteau de l’homme et lui asséner le coup fatal. Il s’écroula au sol et elle se tourna vers les deux autres assaillants qui eurent un bref moment de stupéfaction… Grave erreur ! Elle leva son poignard et attaqua l’un d’eux. Leurs armes s’entrechoquèrent et elle profita de ce bref moment pour lui planter son couteau en plein cœur. Les yeux de l’homme s’écarquillèrent et il tomba par terre, raide mort.

Mélina récupéra son couteau et vit du coin de l’œil le troisième assaillant qui semblait être une femme, s’apprêter à l’attaquer par-derrière. La femme dos à elle choisit ce moment pour tenter de lui planter son couteau dans le dos, mais Mélina esquiva avec agilité. La femme perdit l’équilibre quelques secondes et Mélina en profita pour passer derrière elle en un éclair. Sans aucun remords, elle lui trancha la gorge. Elle reprit sa respiration et se rappela qu’elle n’était pas seule. Elle se tourna vivement et vit Em asséner un coup de poing à un homme qui s’évanouit sur le coup. Elle avait réussi à en neutraliser trois. Son souffle se bloqua, elle était pourtant sûre d’avoir compté sept assaillants. Et soudain, elle le vit, tandis qu’il courait dans la direction de son amie, arme à la main. Mélina fit la première chose qui lui passa par la tête, elle attrapa son couteau par la lame, prit de l’élan, et le lança agilement dans la direction de l’homme, visant son œil gauche. Elle ne manqua pas sa cible, l’homme hurla de douleur et s’écroula au sol. Em écarquilla les yeux quand elle vit l’homme s’effondrer à moins de deux mètres d’elle.

« Merci », souffla-t-elle.

Mélina acquiesça et rejoignit son amie, elles étaient toutes les deux dans un état second, finalement, Mélina prit la parole :

« Il faut les tuer.

— Quoi ? Pourquoi ? On a gagné, on les a neutralisés, pas la peine de les tuer, dit précipitamment Em. Ils sont quand… »

Elle s’interrompit quand elle vit la lueur qui brillait dans les yeux de Mélina, c’était une rage froide, contrôlée. Em sembla comprendre que rien de ce qu’elle dirait ne changerait quoi que ce soit à sa décision.

« Une guerre n’est gagnée que lorsque tous les ennemis sont morts, Em. Un seul survivant pourrait lever une armée pour se venger. Dans notre cas, un seul survivant pourrait se venger un jour et nous achever, je ne laisserai pas une telle chose se produire, déclara-t-elle froidement.

Alors, elle se rapprocha de ces agresseurs, et, un à un, les poignarda en plein cœur. Em observait avec sidération cette froideur qui lui semblait presque inhumaine. Lorsque Mélina en eut fini, elle attrapa son amie par la main et lui souffla simplement :

— Partons… »

Elles prirent leurs jambes à leur cou et se précipitèrent vers le château. Mélina remarqua qu’Em se déplaçait aussi discrètement qu’elle, et en déduit qu’elle avait sûrement dû s’entraîner par le passé elle aussi. Arrivées aux portes du château, elles se mirent d’accord pour ne parler de leur escapade à personne et se quittèrent silencieusement.

***

Le lendemain, Mélina se réveilla après une courte nuit de sommeil pleine de cauchemars au cours desquels elle tuait la femme sans visage qui apparaissait chaque nuit dans ses rêves. Lorsqu’elle sortit de son lit, sa tête se mit à lui faire affreusement mal. Elle se dépêcha d’aller se préparer pour aller prendre sa tisane. Arrivée au salon, elle vit que le petit-déjeuner était déjà prêt. Sa mère était assise et semblait l’attendre. Bizarrement, ce matin, elle ne lui jeta pas un couteau au visage pour tester ses réflexes, ce qui était très mauvais signe.

« Bonjour maman.

— Bonjour, Mélina, assieds-toi, on doit parler. »

Sa voix était indéchiffrable. Sa mère était très douée pour cacher ses émotions, un talent dont Mélina avait d’ailleurs hérité. Mélina n’avait qu’une envie, boire sa tisane et rester seule. Elle s’assit tout de même face à sa mère.

« Aujourd’hui, commença sa mère d’une voix lente, des gardes ont retrouvé sept cadavres dans l’enceinte du château. Les corps ont subi de nombreuses blessures au couteau.

— Mais c’est horrible ! s’exclama Mélina, faussement choquée. Qui a pu faire ça ?

— N’est-ce pas ? Il se trouve que ces hommes étaient des rebelles de royaume de Bélarat, poursuivit sa mère en lançant à Mélina un regard perçant. On soupçonne qu’il y ait un ou plusieurs espions dans le château, ce qui expliquerait leurs présences.

— Il faut absolument retrouver ces rebelles, déclara Mélina, qui ne jouait plus du tout la comédie à cet instant.

— Il se trouve, poursuivit sa mère comme si Mélina ne l’avait pas interrompu, qu’un des cadavres a reçu un coup de couteau à l’œil gauche… Exactement ta spécialité… »

Le cœur de Mélina cessa de battre un instant. Sa mère croyait – non savait – que c’était elle qui avait tué les rebelles. Elle prit une profonde inspiration et afficha un masque d’incrédulité convaincant.

« Est-ce que tu insinues par hasard que c’est moi qui ai tué ces rebelles ?

— Je pense que tu te trouvais sur les lieus à ce moment-là et que tu t’es défendu.

— C’est ridicule, rétorqua Mélina, je n’ai pas le droit de me promener dans les jardins le soir, ça ne peut pas être moi. »

Un bref silence traversa la pièce.

« Dis-moi ma fille, je ne me souviens pas avoir précisé que les corps ont été retrouvés dans le jardin. »

Le cœur de Mélina rata un battement, elle venait de se trahir bêtement. Quelle idiote ! pesta-t-elle. Sa mère avait volontairement détourné la conversation sur la nature des hommes pour que Mélina ait l’esprit ailleurs et ne réfléchisse pas avant de parler. C’était de la manipulation bête et méchante, mais elle avait été trop sur la défensive pour s’en rendre compte. Inutile de s’enfoncer davantage, pensa-t-elle, autant tout avouer. N’osant pas regarder sa mère, elle avoua d’une voix rauque :

« J’avoue, c’était moi, je me baladais dans les jardins avec Em quand ces hommes nous ont attaqués. Nous avons été obligées de nous défendre.

— Lorsque vous vous êtes défendues, vous ne les avez pas tout de suite tués, n’est-ce pas ?

— Non, seulement quelques-uns étaient morts. Je les ai ensuite achevés un par un, répondit Mélina, ne comprenant pas où sa mère voulait en venir.

— Et pourquoi as-tu fait ça ?

— C’est toi qui m’as appris qu’une bataille n’était terminée que lorsque tous les ennemis étaient morts. J’ai simplement fini le travail ! déclara Mélina avec une voix froide.

— Es-tu sûre que c’était la seule raison ?

— Où veux-tu en venir, maman ?

— Tu ne les aurais pas tués dans le but qu’ils ne puissent pas répondre aux questions du roi, n’est-ce pas ?

— Tu… Tu insinues que je complote avec les rebelles, maman ? balbutia Mélina, outrée, tu crois que je trahirai la couronne. C’est vraiment ce que tu penses de moi ?

— Avoue qu’on peut trouver louche le fait de tuer sept personnes de sang-froid. »

Mélina se releva d’un bond, folle de rage, elle avala sa tisane d’une traite et se dirigea vers la porte. Avant de partir, elle déclara d’une voix ferme :

« Je n’ai pas à me justifier devant toi. Si tu me penses réellement capable de trahir mon royaume, tu n’as qu’à me dénoncer. Mais sache que je m’attendais à plus de confiance de la part de ma propre mère. J’ai tué ces rebelles uniquement pour qu’ils ne se vengent pas par la suite et pour m’assurer qu’ils ne disent pas aux gardes que deux jeunes filles les avaient neutralisés. »

Puis, elle claqua la porte.

***

Durant toute la journée, Mélina était d’une humeur exécrable et refusait de parler avec Em. À cause de sa mauvaise humeur, elle était de corvée de lessive. En sortant dans le jardin, elle sentit un vent froid la parcourir. Les belles journées ensoleillées étaient terminées. Alors qu’elle commençait à défroisser le linge, Mélina entendit des pas derrière elle et vit Em venir vers elle.

« Il faut qu’on parle, déclara-t-elle.

— Il n’y a rien à dire, rétorqua Mélina d’une voix sèche.

— Comment peux-tu dire ça alors qu’on a tué sept personnes hier ? C’est comme ça que tu réagis après un meurtre, tu nies la réalité et continues à vivre comme si de rien n’était ? dit Em, contrariée.

Le sang de Mélina ne fit qu’un tour, elle fit un pas vers Em et déclara d’une voix froide :

— J’assume l’entière conséquence de mes actes, j’assume avoir pris la vie de sept rebelles hier, j’assume n’avoir rien ressenti à ce moment-là, j’assume avoir pris cette décision sans hésiter un instant et j’assume que si ça devait se reproduire, je réagirais pareil, sans éprouver le moindre remords ! »

Em cilla, sûrement choquée par ces paroles dépourvues d’émotion. Elle hésita un instant avant de déclarer :

« Alors toi aussi, tu as appris que c’étaient des rebelles de Bélarat ? Les domestiques n’arrêtent pas d’en parler. Ils disent qu’il y a un espion au château et que ceux qui les ont tués voulaient les protéger contre la torture.

— Je suis au courant, ma mère pense que je les ai tués. Oui, elle a appris que c’était nous, ajouta-t-elle quand elle vit la mine stupéfaite d’Emeraude. Ma mère est très douée pour obtenir ce qu’elle veut.

— Je… Est-elle capable de nous dénoncer ? demanda Em d’une petite voix.

— On ne peut pas écarter cette possibilité, ma mère aime encore plus le royaume que moi, je le sais. Elle n’hésiterait pas à nous dénoncer si elle pensait qu’on prépare un coup d’État, répondit Mélina d’une voix sans émotion.

— Tu ne lui en veux pas ? Je veux dire… Une mère est censée être prête à tout pour protéger son enfant, non ?

— J’ai d’autres soucis pour le moment, rétorqua précipitamment Mélina. Si elle nous dénonce, le roi n’aura que faire de savoir si nous sommes innocentes. Il nous accusera pour apaiser les tensions. Après tout, quoi de mieux qu’être domestique pour infiltrer le palais. »

Em la fixa quelques secondes avec une expression étrange sur le visage. Elle se reprit rapidement.

« Alors que fait-on ?

— Rien, on ne peut rien faire pour l’instant. On n’a plus qu’à bien se tenir et espérer que ma mère ne nous dénonce pas. »

Em hocha la tête, elles continuèrent à étendre le linge silencieusement. Au bout d’un moment, Em déclara d’une petite voix :

« Je suis désolée.

— Tu n’as pas à t’excuser, ce n’est pas de ta faute, Em, c’est moi qui m’excuse d’avoir été aussi froide avec toi. »

Em la fixa un moment avant de se jeter à son cou. Surprise, Mélina resta immobile, se raidissant instinctivement. Elle n’était pas du tout habituée à une telle démonstration affective : sa mère a toujours été plutôt froide avec elle, et Mélina ne savait donc pas trop comment réagir. Elle s’écarta automatiquement et constata qu’Em fronça légèrement les sourcils.

— Tu sais, déclara Em d’une voix soudainement sérieuse, je pense que tu ferais une meilleure guerrière que ta mère.

— Pourquoi dis-tu cela ? s’exclama Mélina.

— Parce qu’un véritable guerrier doit toujours avoir des priorités, et que ta mère ne les connaît pas.

Chapitre 4

Mélina marchait dans les couloirs du château en direction des appartements de la reine. Elle était chargée de lui remettre son linge. D’habitude, c’était à une autre servante de s’en charger, mais cette dernière venait de donner naissance à une fille et n’était pas en état de travailler : Mary l’avait donc désigné pour le faire. Tandis qu’elle se dirigeait vers la chambre de la reine, les paroles d’Em lui revinrent en tête : tu ferais une meilleure guerrière que ta mère. Le pensait-elle sincèrement ? Mélina avait toujours désiré devenir une soldate, mais sa mère le lui avait formellement interdit, prétextant que c’était trop dangereux pour elle. Comme si elle n’était pas capable de se défendre !