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Depuis des semaines, les rêves d'Amara sont hantés par un inconnu. Le faire sortir de son inconscient semble impossible, pourtant, il le faut, au moins durant quelques heures. Cet entretien, ce poste, c'est sa chance et elle ne compte pas la laisser passer. Elle s'est préparée, longuement, mais le jour J, rien ne se passe comme prévu... La poisse l'accompagne à tel point qu'elle se retrouve face à son inconnu, tout droit sorti de ses songes.
Contre toute attente, elle est engagée. Entre la défense des clients, les rencontres avec les adversaires et les voyages à l'étranger, Amara en voit de toutes les couleurs. Et avec son inconnu, ce n'est pas mieux. Leur attirance est animale, irrésistible. Ils luttent, en vain. C'est un cauchemar. Elle ne doit pas craquer, elle ne le peut pas.
Elle n'a pas le droit de LE trahir.
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Veröffentlichungsjahr: 2025
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Ne me lâche pas
de Alaya Jourdan
Le temps d’un roman
Editeur
Collection «Romance»
Il est des mots si durs à prononcer qu’il vaut parfois mieux les écrire.
C’est avec cette pensée, cette certitude, que j’ai commencé à taper avec frénésie l’histoire d’Amara. Elle qui a survécu au pire, qui a réussi à arrêter de survivre pour commencer à vivre. Qui m’a donné la force de faire de même.
Dix-neuf jours. C’est le temps qu’il m’a fallu pour faire naître le premier jet. Dix-neuf jours durant lesquels j’oubliais parfois de dormir ou de manger. Après cela, il m’a fallu deux ans avant de m’y replonger pour le corriger. Toutes les fois précédentes s’étaient soldées par des échecs pour une simple raison : je n’étais pas prête. Pas prête à suivre son exemple et à débuter ma propre thérapie, pas prête à mettre des mots sur ce que j’avais vécu, pas prête à vivre enfin pour moi-même au lieu de survivre pour d’autres.
Trop de femmes subissent de la violence, des agressions, des humiliations, du harcèlement et d’autres atrocités. Trop d’enfants également. Je n’oublie pas non plus les hommes victimes. Chacun.e de nous a un rôle à jouer pour protéger les victimes, soutenir les survivant.e.s. Ce roman est l’une de mes contributions.
À travers lui, je souhaite transmettre un message simple : avec du temps, de l’aide, on peut surmonter nos traumatismes et aller vers un avenir heureux. Pas forcément de la même façon qu’Amara. Le bonheur, la réalisation de soi, la guérison peuvent se trouver partout.
Ne me lâche pas a été ma plus belle réussite. Le publier en auto-édition a été le plus grand défi de ma vie. Malheureusement, la communication sur les réseaux sociaux n’a jamais été mon fort. Pour autant, je ne regretterai jamais cette aventure. Aujourd’hui, par cette réédition en maison d’édition, une nouvelle débute.
Je souhaite remercier ceux et celles qui m’ont inspiré le caractère de mes personnages, les relations qu’ils entretiennent, leurs aspirations, etc.
Mes premiers remerciements vont à Arnaud qui a accepté de donner une chance à Ne me lâche pas et d’ouvrir ainsi la porte à la New Romance dans sa maison d’édition le Temps d’un Roman. Merci d’avoir respecté mes idées et mon besoin de donner à ce livre une couverture avec une symbolique aussi forte que celle-ci qui permettra, à qui la comprendra, de saisir l’âme de l’histoire d’Amara et d’Aaron.
Le kitsugi est un art japonais consistant à réparer les objets cassés en insérant de l’or dans les fissures. Ainsi les brisures, les blessures ne sont pas dissimulées, mais portées avec fierté et sublimées.
Merci donc à Tiphaine pour cette magnifique couverture, pour sa rapidité et le magnifique travail effectué qui donne toute sa puissance à leur amour et à la résilience d’Amara.
J’adresse un merci particulier à Philippe, sans qui ce roman ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui. Dès le premier jet, il a su en percevoir le potentiel et s’est porté volontaire pour m’aider à le corriger, à l’améliorer. Philippe, tes suggestions, ton humour et ton œil acéré m’ont permis d’affiner ma plume, d’apporter plus de profondeur à mes personnages, de mieux coller avec la réalité.
Merci également à Alcina, qui s’est prêtée de façon très sérieuse et investie au jeu de la bêta-lectrice. Ta rapidité et ta précision m’ont été d’un grand secours. À Stéphanie qui m’a fait part de son ressenti sur l’histoire, les personnages, l’intrigue et qui m’a aidé à comprendre ce que mes lecteurs pourraient ressentir. Merci aussi à toutes les personnes qui en ont lu une partie, m’ont fait des retours, m’ont donné des conseils.
Enfin, merci à ceux qui m’ont soutenu dans ce projet et qui continueront de le faire pour les suivants.
N’oubliez pas qu’il y a toujours une lueur d’espoir au bout du tunnel et qu’il faut vivre pour la trouver.
À bientôt, Alaya.
Avertissements :Ce roman aborde des sujets difficiles tels que le viol, le stress post-traumatique, le deuil et le syndrome du survivant. Il contient également des scènes érotiques explicites et est de ce fait destiné à un public averti et adulte. Je décline toute responsabilité dans le cas où cette histoire serait lue par un public trop jeune, sans autorisation parentale préalable. Ayant moi-même été victime, je suis particulièrement sensible à cette problématique. Certaines scènes ont été très dures à écrire et encore plus à corriger. J’ai écrit ce livre en 2020. Il m’a fallu deux ans pour faire les corrections en raison de la dureté de certaines scènes. Si vous êtes ou avez été victime, il n’est jamais trop tard pour parler, écrire, accepter ce que vous êtes : un.e survivant.e. Prenez soin de vous.
Vert : aucun trigger warning.
Jaune : certains éléments annoncent l’arrivée des sujets difficiles abordés.
Orange : les sujets sont abordés, certaines scènes peuvent être compliquées à lire.
Rouge : Trigger warning ! Les scènes sont décrites avec précisions.
Vert
Il était là, assit devant la grande fenêtre qui bordait la baie. Son regard tourné vers l’extérieur me permit de l’observer à loisir sans risquer d’être surprise. Les jambes croisées, le dos enfoncé dans un fauteuil en velours rouge, un sourire sur ses lèvres parfaites, il était plus beau que jamais.
Un mélange de désir, d’excitation et d’appréhension m’envahit. Alors qu’il n’était qu’à une dizaine de mètres de moi, je luttais contre l’envie de le rejoindre. Je le savais, je ne devais pas y aller maintenant. Quelques instants de plus à le regarder, à admirer les reflets du soleil sur sa peau, à me délecter de la vision de ses muscles au travers de ses vêtements, de l’attraction animale que je ressentais.
À mesure que l’excitation montait, je sentais mes mains trembler et mon cœur s’emballer. Une moiteur se répandit dans mon dos, mes seins pointèrent en avant, une chaleur se propagea entre mes cuisses. Il ne m’avait pas encore touchée, même pas vue, pourtant je fondais déjà.
Comme s’il avait perçu ma présence, il se retourna. J’arrêtai de respirer face à son sourire. Séducteur et énigmatique, il me fit signe d’approcher. Mes pieds se mirent en mouvement. Quelques secondes plus tard, j’étais debout devant lui. Il se pencha en avant, posa les mains sur mes hanches pour m’attirer. Sans savoir comment, je fus soudainement assise à califourchon sur lui au milieu de ce restaurant bondé du bord du lac.
Prise de panique face à notre conduite inconvenante, je relevai la tête et regardai autour de nous. Les tables, les chaises, les clients, le personnel, tout avait disparu, il ne restait que nous.
— Détends-toi, mon amour, dit-il.
Sa voix douce et grave résonna en moi. Je frissonnai de plus belle. Ses doigts frôlèrent mes bras jusqu’à mon cou. Il passa une main sur ma nuque en s’emparant de mes cheveux. La deuxième se posa sur ma joue. Je sentis ses muscles se tendre et vibrer sous sa chemise. Son toucher brûlait délicatement ma peau, me donnait la chair de poule, son souffle me rendait folle de désir.
Il s’approcha un peu plus, colla son torse contre ma poitrine. Nos lèvres se rencontrèrent. Sa douceur laissa rapidement place à la sauvagerie que j’attendais. Il écrasa sa bouche sur la mienne, s’éloigna pour mieux revenir… Très vite, je perdis toute retenue. J'entrouvris les lèvres, m’emparai de sa langue et frémis quand un gémissement rauque lui échappa en écho au mien.
Il recula brusquement, ce qui coupa court à mon élan, mais ne s’arrêta pas. Il parsema ma mâchoire et mon cou de baisers brûlants, descendit sur mes épaules, embrassa le haut de mes seins…
Je me réveillai en sursaut, trempée de sueur et de désir. Il me fallut quelques minutes pour revenir de mon rêve. Je me pris la tête dans les mains. Ce rêve, je le faisais chaque nuit depuis deux semaines. Chaque fois, les choses allaient un peu plus loin avec ce bel inconnu. Mes réveils me laissaient pantelante et frustrée.
Comme tous les matins, je tendis le bras et attrapai mon téléphone : 05h28. Mon alarme sonnait dans deux minutes. Je l’arrêtai, m’assis doucement encore étourdie par l’envie et la chaleur. Je glissai une main entre mes cuisses et gémis. J'étais trempée. Je réfléchis un instant avant de lâcher à voix haute :
— Et puis merde !
Je fouillai le tiroir de ma commode, en sortis mon vibromasseur puis me débarrassai ma culotte. Je ruisselais littéralement. Je me rallongeai, écartai les jambes et mon jouet trouva le chemin de mon intimité. Mes doigts se joignirent à lui pour venir titiller mon clitoris. Je me tordis de plaisir.
Une minute me suffit pour exploser en contenant mon cri dans l’oreiller, mais je n’étais pas satisfaite, pas encore. Ce rêve m’avait beaucoup trop excitée pour que je me contente d’une jouissance rapide. J'eus besoin de trois orgasmes pour me sentir enfin calmée.
Je faisais normalement les choses dans l’autre sens, mais aujourd’hui une douche froide avant mon jogging matinal me semblait nécessaire. L'eau finit de chasser les relents de mon plaisir. Quand j’eus terminé, j’enfilai un legging, une brassière, un tee-shirt, vissai des écouteurs à mes oreilles et laçai mes baskets.
D’une main encore fébrile, je verrouillai la porte puis descendis en trottinant dans les escaliers. Je maintins ce rythme jusqu’au petit parc à deux rues de mon appartement puis accélérai.
Cela faisait peu de temps que j’avais commencé à courir, depuis le début de mes rêves en fait. Le sport, plus que toute autre activité, me permettait d’évacuer ce que je vivais la nuit avec mon inconnu. Je courus à m’en faire mal aux jambes. Peu à peu, mon esprit s’éclaira et redevint vif.
À mon retour, je pris une nouvelle douche, chaude cette fois, puis me préparai pour mon entretien d’embauche. J’avais rendez-vous à neuf heures au cabinet d’avocats Tessier, Moreaux et Associés (TMA) qui brassait chaque année des millions d’euros et était un des quatre gros cabinets de Paris.
Jusqu’à présent, j’avais travaillé pour des entreprises plus petites, représentant des dossiers moins importants. Si TMA s’occupait principalement de droit des affaires, il y avait chez eux un côté humain que j’appréciais énormément : pour chaque gros procès gagné, ils prenaient des dossiers d’aide juridictionnelle dans n’importe quel domaine du droit.
Et ce point précis faisait toute la différence pour moi. J’avais trop souvent vu des personnes perdre leurs procès parce qu’elles n’avaient pas les moyens d’engager de bons avocats. Non que ceux de plus petits cabinets étaient mauvais, mais il fallait bien reconnaître que les ressources de TMA étaient un atout non négligeable. Chez eux, j’aurais les moyens de plaider mes affaires et les causes qui me tenaient à cœur.
J’appréciais également leur éthique. Si, bien entendu, ils travaillaient en premier lieu pour l’argent, j’avais l’impression qu’ils choisissaient d’abord leurs clients en fonction de leur moralité. Jamais je n’avais entendu parler d’eux en mauvais termes, bien au contraire. Leur réputation faisait trembler leurs adversaires et j’aimais cela.
J’avais de l’ambition, beaucoup, trop peut-être pour certains, mais c’était ainsi : je voulais devenir une avocate crainte et respectée par ses pairs. Je savais ce que je valais. Ma dernière, et seule expérience professionnelle, mes différents stages et mes études montraient bien mes capacités. J’espérais juste que mon âge ne serait pas un frein à mon embauche.
C’était un risque de refuser la place d’associée que me proposait mon ancien cabinet, mais j’avais trop d’aspirations pour y rester plus longtemps. J’étais prête à repartir du bas de l’échelle plutôt que de me reposer sur mes lauriers.
La dernière chose qui m’attirait chez TMA était leur jeunesse. Le cabinet était assez récent et ses dirigeants n’avaient pas plus de quarante ans. Ils avaient très vite su se faire une place dans la jungle parisienne, dans le droit international et des affaires. Aujourd’hui, ils couvraient tous les domaines juridiques, avaient des succursales aux États-Unis et se développaient également de plus en plus là-bas, ce qui pourrait potentiellement m’amener à voyager. J’avais d’autres entretiens dans la semaine, pour des postes intéressants, mais qui ne me donnaient pas autant envie de m’investir que celui-ci.
Mes réflexions m’accompagnèrent durant toute ma préparation. Sac et café en main, je quittai mon appartement pour m’embarquer dans la folie matinale du métro. Dès que j’en sortis, je fus saisie par la taille de l’immeuble devant moi. Il s’élevait vers le ciel à une telle hauteur que je devais me tordre le cou pour en voir le sommet.
Il m’était déjà arrivé plusieurs fois de pénétrer dans de tels bâtiments, mais j’étais toujours stupéfaite de voir à quel point je me sentais petite et insignifiante à côté.
À la réception, un agent d’accueil m’indiqua le chemin dans le dédale d’étages et de bureaux d’entreprises après avoir contrôlé mes papiers. Tessier, Moreaux et Associés se situait au trente-cinquième. Je m’y rendis d’un pas décidé malgré l’appréhension. Sur place, je m’approchai d’un bureau circulaire qui faisait face aux ascenseurs.
— Bonjour, je suis Amara Garcia, me présentai-je à une jeune femme magnifiquement coiffée de tresses, j’ai rendez-vous avec Maître Jones.
— Bonjour, un instant, je vous prie.
Elle se tourna vers son ordinateur et saisit quelques mots sur le clavier avant de revenir vers moi.
— Vous n’êtes pas au bon endroit, m’expliqua-t-elle. Vous avez dû recevoir un mail vous indiquant que le lieu de votre entretien a été changé. Vous êtes attendue dans nos nouveaux locaux.
— Je n’ai rien reçu, dis-je alors que la panique s’installait.
Elle ne me regardait déjà plus et répondit à un appel tout en me tendant une carte sur laquelle figurait l’adresse. Je fis demi-tour et regagnai l’ascenseur le plus vite possible en rageant sur la taille de mes escarpins et le manque de considération du cabinet. Je m’étais réveillée très tôt afin d’atténuer mon stress en vue de cet entretien crucial pour la suite de ma carrière. À cause de leur erreur, il revenait en force.
J’avais encore vérifié mes mails dans le métro et je n’avais rien… Maintenant, je n’avais plus que vingt minutes pour m’y rendre et ce n’était pas à côté. Mais pourquoi avais-je mis des saloperies de talons hauts ce matin !? Ah, oui… Parce qu’ils me faisaient des jambes fantastiques.
Vert
J’appuyai plusieurs fois sur le bouton du rez-de-chaussée, comme si cela pouvait faire descendre l’ascenseur plus vite. Je scrutai avec impatience le cadrant lumineux des étages en tapant du pied. Un filet de transpiration se frayait un chemin sur mon front et dans mon dos, mes doigts étaient pris de tremblements. Cette machine était beaucoup trop lente à mon goût.
Je sentais sur moi le regard de l’homme situé au fond de la cabine. Il était monté en même temps que moi et m’observait avec un petit sourire, comme si mon stress était amusant. Il devait avoir une trentaine d’années. Grand, brun, plutôt charmant si on enlevait son air arrogant qui le rendait... antipathique.
— Vous paraissez assez nerveuse, remarqua-t-il sans cesser de sourire. Il faut vous détendre, jeune fille.
« Mais pour qui se prend-il ? » pensai-je.
— Merci du conseil, lâchai-je avec mépris.
— Avec plaisir, mais si vous me confiez ce qui vous met dans cet état je pourrais peut-être vous aider. Surtout que j’aime secourir les demoiselles en détresse.
La moquerie à peine voilée de sa voix me mit dans une rage folle et je lui jetai un regard noir.
— Le lieu de mon entretien d’embauche a été déplacé sans que j’en sois informée, alors que j’avais fait en sorte d’être là en avance pour éviter de trop stresser. Me voilà maintenant à attendre qu’un ascenseur trop lent se décide à descendre de cet immeuble géant pour que je coure attraper un taxi, que je n’ai pas les moyens de payer, afin d'espérer ne pas arriver trop tard devant mon futur patron qui va me prendre pour une godiche écervelée, même si c’est lui qui ne m’a pas prévenu de ce changement.
Je repris mon souffle et m’aperçus que j’avais lâché cela d’une traite, à voix haute et à un inconnu, qui, pour le peu que j’en savais, semblait être un con, arrogant et imbu de lui-même. Un vrai avocat des affaires quoi... Tant pis, au moins j’avais déchargé une partie de ma colère et de ma frustration. Mais elles vibraient toujours sur la surface et ce maudit ascenseur paraissait ralentir après chaque étage.
— En effet, vous êtes dans une situation délicate, en convint-il. Quel dommage que vous ne connaissiez pas quelqu’un qui possède une voiture avec chauffeur, cela vous aurait fait gagner du temps.
Il baissa les yeux sur une montre hors de prix et secoua la tête avant d’ajouter :
— Un taxi à cette heure-ci… Vous avez raison, ça va vous coûter cher.
Un petit rire ponctua la fin de sa phrase et je le foudroyai du regard.
— Ahah, très amusant, merci pour cette fine analyse. Votre connerie n’a d’égale que votre arrogance !
Je décidai d’ignorer cet abruti, mais ne pus retenir un soupir d’agacement. Mon impatience se manifestait de plus en plus. Je ne cessai de guetter le compteur des étages en soufflant devant la lenteur de l’ascenseur. Je n’avais qu’une hâte : en sortir pour m’éloigner de cet individu et me précipiter à mon entretien. Comble de la malchance, la cabine marqua un arrêt. Ceci arracha un rire sadique au crétin qui le partageait avec moi. Trois hommes entrèrent et eurent le bon goût de me séparer de Monsieur Arrogant.
Dès que les portes s’ouvrirent, je fonçai vers la sortie pour héler un taxi. Je n’avais plus le choix, je venais de perdre cinq minutes dans cet immeuble infernal. Derrière moi, quelqu’un m’appela. Au son de cette voix, je me raidis et poursuivis ma route en accélérant. Je n’avais ni la force ni le temps pour un deuxième round.
— Hé ! attendez !
— Je n’ai pas le temps à accorder à un con arrogant dont l’égo n’a pas de limite, au revoir, criai-je.
— Comme vous voulez, mais j’allais vous proposer de partager ma voiture.
La surprise me cloua sur place et je me tournai lentement vers lui. Du doigt, il montra une berline noire garée à quelques mètres. J’hésitai un instant. Il n’y avait aucun taxi dans la rue, appeler un Uber prendrait trop de temps, le métro serait encore bondé et si j’y allais à pied j’étais certaine d’arriver en retard. Mais il pouvait tout aussi bien se moquer de moi…
— Est-ce une proposition sérieuse ou une autre blague de mauvais goût ? demandai-je.
— Je suis on ne peut plus sérieux, clama-t-il en posant une main sur sa poitrine, mais si cela ne vous convient pas, je pars sans vous. J’ai des rendez-vous à honorer.
— Je… Si, merci.
Malgré ma réticence à monter en voiture avec un inconnu, j’acceptai. Toute autre option me ferait arriver en retard. Je le suivis donc jusqu’à la berline et m’installai à ses côtés, à l’arrière.
— Vous ne vous attendiez pas à mon offre, n’est-ce pas ? me questionna Monsieur Arrogant.
— Non, en effet, votre prévenance et votre gentillesse m’étonnent.
— Pourquoi cela ?
— Vous m’avez plutôt donné l’impression de vous amuser de ma détresse et vous paraissez assez arrogant également.
— Cela vient certainement du fait que je suis suffisamment sûr de moi pour ne pas céder à la panique à la moindre contrariété comme vous le faites, sourit-il. Franck, ajouta-t-il à l’adresse du chauffeur, nous allons déposer Mademoiselle.
— Bien, Monsieur. Mademoiselle, pouvez-vous me donner l’adresse s’il vous plaît ?
Je lui tendis la carte remise par la secrétaire et regardai de nouveau l’heure sur mon téléphone.
— Combien de temps pour y aller, Franck ? interrogea Monsieur Arrogant.
— Un peu moins de dix minutes, Monsieur.
— Voilà, vous serez à l’heure, sourit-il.
— Comment le savez-vous ?
— Je travaille chez Tessier, Moreaux et Associés depuis quelque temps maintenant, je connais les habitudes pour les entretiens d’embauches.
— Comment savez-vous que… Attendez, vous n’êtes pas Maître Jones quand même ?
Un frisson de panique se répandit sur ma nuque quand je réalisai que j’avais peut-être insulté mon futur employeur.
— Non, je ne suis pas Maître Jones. Ça aurait été mauvais pour vous si ça avait été le cas, n’est-ce pas ?
— Effectivement.
— Heureusement que je ne suis pas lui alors.
Il arborait toujours le même sourire teinté d’ironie, mais j’y voyais à présent plus d’humour que d’arrogance. D’ailleurs, ses yeux pétillaient de malice.
— Je m’excuse pour mon attitude, je ne suis pas aussi... désagréable en temps normal. Ni à ce point stressée. Mais je tiens vraiment à avoir ce travail.
— Ne vous en faites pas, les mauvais jours, c'est humain.
Il ne me paraissait plus si condescendant que cela finalement et j’en vins à regretter mon comportement. Je l’avais sûrement mal jugé.
Cet interlude m’avait permis de contrôler mon angoisse et je me sentais un peu plus détendue. Cependant, quand le chauffeur annonça notre arrivée, la boule de mon ventre revint et mes mains tremblèrent. J’ouvris la portière et posai un pied au sol avant de me retourner à demi.
— Je ne connais même pas votre nom, dis-je.
— Pas le temps pour ça, aller décrocher ce job, fit-il en me chassant d’un geste de la main.
— Merci.
Vert
Je sortis du véhicule et me dirigeai droit vers un nouvel immeuble trop haut pour ne pas être oppressant. Après avoir demandé mon chemin, je m’avançai vers l’ascenseur le plus proche pour monter au quarantième étage cette fois. Il me restait moins de cinq minutes avant d’être retard…
J’étais seule et j’en profitai pour me regarder dans la glace et arranger ma coiffure, puis m’aspergeai de déodorant. Enfin, les portes s’ouvrirent. Je fonçai vers la première secrétaire que je vis.
— Bonjour, je suis Amara Garcia, j’ai rendez-vous avec Monsieur Jones.
Je croisai les doigts pour ne pas avoir été induite en erreur et tentai de contrôler les battements affolés de mon cœur. Les quelques secondes pendant lesquels elle me regarda avant de répondre me semblèrent durer des heures.
— Ah, Mademoiselle Garcia, nous n’attendions plus que vous.
J’étais donc la dernière… À tous les coups, les autres avaient été prévenus, eux. Je secouai la tête pour me ressaisir et chasser ces pensées. Ce n’était plus le moment de m’appesantir, j’étais à l’heure. C’était le plus important. La secrétaire, une très belle femme blonde, bien portante, me montra un espace « lounge » du doigt où trois personnes étaient déjà installées.
Le premier, un jeune homme à la peau mate qui devait tout juste avoir terminé ses études, ne serait pas une menace. La seconde était une femme âgée de trente-cinq/quarante ans, plutôt belle. Elle portait un débardeur à décolleté plongeant, arborait un maquillage extravagant et ne me parut pas être une vraie concurrence non plus.
La dernière, en revanche, devait avoir une cinquantaine d’années et semblait avoir un lourd bagage professionnel derrière elle. Elle se tenait droite dans un tailleur impeccable et avait l’air confiante. D’elle, je devais me méfier. Son expérience et son attitude pourraient jouer contre moi.
Nous attendions depuis une dizaine de minutes et je commençais à me dire que j’avais été ridicule de me soucier d’un potentiel retard, quand la secrétaire s’approcha. Elle me tendit une feuille de renseignement à remplir et à lui rendre, puis appela la première candidate. Mademoiselle Pot-De-Peinture la suivit jusqu’à une double porte située plus loin sur la droite. Au moment où elle se refermait, un homme s’engouffra. Avant de disparaître, il posa les yeux sur moi. Quelque chose dans son regard me ramena directement à un fauteuil en velours rouge et à des baisers torrides. Non ! Je ne devais pas penser à ce rêve maintenant !
Je sortis un stylo de mon sac et me penchai sur la feuille. Je la remplis en quelques minutes et ce temps me permit de laisser mes pensées inappropriées de côté. J’avais à peine terminé, que la première candidate ressortait. La secrétaire appela le jeune homme qui entra à son tour.
Il ne restait que ma rivale et moi dans la salle d’attente. Elle m’adressa un sourire que je lui rendis. Elle semblait gentille, douce, mais avait une lueur déterminée dans le regard. L’entretien du jeune homme fut encore plus court que celui d’avant. C'était à se demander ce qu’ils avaient bien pu se dire et pourquoi ils l’avaient fait venir. Quand la secrétaire revint pour appeler ma concurrente, je lui tendis la fiche de renseignements.
— Bonne chance, soufflai-je.
— Merci, à vous aussi.
Je me retrouvai assise seule, perdue dans mes pensées. Les minutes défilaient avec lenteur, laissant trop de temps à mon esprit pour vagabonder. Je repensai d'abord à l’homme qui m’avait conduite ici et me fustigeai de plus belle. Il m’avait tendu la main alors que je m’étais montrée plus que désagréable. Certes, il avait été très con dans l’ascenseur, mais cela ne me ressemblait pas.
Je dérivai ensuite vers le flash que j’avais eu quand cet homme était entré dans la salle de réunion. L’intensité de ce regard et ce petit sourire en coin m’étaient vraiment familiers. C’était troublant. D’autant plus que j’étais persuadé de ne pas le connaître.
J’observai les locaux. Le style était sobre, épuré à l’exception de cet espace. La zone d’attente dénotait avec le reste : accueillante, confortable, bien moins austère. Les fauteuils et les canapés en cuir orange étaient disposés en arc de cercle autour d’une table basse où trônaient des magazines. Deux sièges donnaient sur de grandes fenêtres qui laissaient entrer la lumière du jour et des plantes vertes bordaient les assises. Le tout était élégamment décoré par un petit guéridon d’ébène.
Je me levai et me dirigeai vers les immenses fenêtres. Elle remplaçait la totalité du mur ce qui donnait l’impression qu’il n’y avait rien d’autre que le vide. La ville s’étalait sous mes yeux. Je me sentis grande et insignifiante à la fois.
— Le stress a disparu ? Vous semblez plus calme, m’interrogea une voix dans mon dos.
Je répondis sans me retourner puisque je l’identifiai grâce à son reflet.
— Je vais mieux, merci.
— Parfait, il ne vous reste plus qu’à faire sensation.
— Attendez, le hélai-je quand il s’éloigna, je voulais m'excuser de nouveau, j’ai été odieuse. Cela ne me ressemble vraiment pas, j’en suis désolée.
— Je vous l’ai dit, vous êtes déjà pardonnée.
La porte de la salle de réunion s’ouvrit et ma rivale en sortit. Une jeune femme, en tailleur-pantalon, lui serra chaleureusement la main. Son rendez-vous semblait s’être bien déroulé et j’étais contente pour elle, mais j’espérais faire mieux. Je devais faire mieux.
— Thomas, enfin tu es là, s'exclama la femme en tailleur à l'homme qui se tenait à côté de moi. Tu as raté tous les entretiens.
— Désolé, soupira-t-il. Tu me feras un récapitulatif.
Il se passa une main dans les cheveux et m’adressa un sourire en ajoutant à voix basse :
— Au moins, je n’ai pas loupé le vôtre. Vous venez ? C’est à votre tour, je crois.
J’acquiesçai, mal à l’aise. Le rendez-vous le plus important de ma carrière allait donc se dérouler devant un homme qui s’était moqué de moi avant de m’aider et que j’avais insulté ouvertement. C’était vraiment parfait…
Je franchis la porte, plus angoissée que jamais, et m’installai sur la première chaise que je vis.
Vert
Dans la salle de réunion, les tables formaient un cercle. Face à moi, six individus étaient assis. Thomas, dont je venais d’apprendre le nom, alla les rejoindre sous les railleries et les reproches de ses collègues.
La plus proche était la femme au tailleur. Elle portait un chignon élégant, des perles ornaient ses oreilles. Son visage lisse était déformé par un rictus et, au regard qu’elle adressait à Thomas, je compris qu’elle était énervée.
À côté d’elle, un homme blond, aux yeux bleus, observait le groupe avec bienveillance et un sourire se dessinait sous une courte barbe. Le suivant était plus petit que les autres. Il avait le teint mat, les cheveux bruns, les yeux noirs. Il raillait le retardataire.
Après vint une femme dont les longues boucles rousses tombaient sur ses épaules. Elle sourit et des fossettes marquèrent ses joues couvertes de taches de rousseur. Elle posa une main sur le bras de Thomas quand il s’assit à ses côtés.
Il restait deux hommes. Le premier pianotait sur la table en regardant chacune des personnes présentes. Je pouvais sentir son agacement. Il paraissait impatient d’en finir. Il était grand, large d’épaules, bien bâti. Brun, les yeux marrons, il semblait légèrement plus âgé que les autres.
Je me tournai enfin vers le dernier et reconnus l’homme entré juste avant le début des entretiens. Je l’observai avec attention. D’un coup, mon cœur eut un raté. C’était impossible ! Ça ne pouvait pas être…
Il portait une chemise blanche qui laissait entrevoir des muscles bien dessinés et puissants. Sa peau foncée luisait au soleil. Son visage, carré, encadré d’une barbe très courte et bien taillée, incarnait ma vision de la perfection. Et ses yeux… Ils posaient sur moi un regard bleu pâle que je ne connaissais que trop bien. Un regard que j’avais vu cent fois dans mes rêves, qui s’illumina quand son sourire s’élargit.
Il ne détournait pas les yeux de moi et j’en vins à me demander s’il ne me reconnaissait pas lui aussi. J’en avais le souffle coupé. J’étais incapable d’esquisser le moindre geste, de fuir ses pupilles ou de calmer les battements affolés de mon cœur. Comment était-ce possible ? Comment un homme dont je rêvais pouvait se retrouver ainsi en face de moi, dans de telles circonstances ? Heureusement pour moi, une voix s’éleva et me tira de mes réflexions.
— Bon, s’impatienta le pianoteur, on commence ?
Je parvins à me détacher des yeux perçants de mon inconnu et m’intéressai enfin à ce qu’il se passait.
— J’aimerais préciser quelque chose, maintenant que je peux en placer une, intervint Thomas. Vous avez décidé de changer le lieu des entretiens au dernier moment sans me le dire, et, comme j’ai dû faire un détour pour récupérer le dossier oublié par Fab, je suis en retard. Ce n’est donc pas de ma faute, merci !
Il s’exprimait avec un sourire franc et une ironie mêlée d’arrogance, mais ce qui me choqua fut la familiarité avec laquelle il s’adressait à ses collègues.
— Arrête, mec, on t’a laissé un message pour te dire qu’on venait ici il y a deux jours. Tu te cherches des excuses, c’est tout, répondit l’homme plus petit.
« Arrête, mec ? Mais où suis-je tombée ? » pensai-je.
— Un message ? Vocal ? Tu plaisantes, j’espère ! Vous savez tous que je ne les écoute jamais. En plus, je ne suis pas le seul à ne pas avoir été informé, n’est-ce pas ?
Il se tourna vers moi pour me prendre à partie. Le rouge envahit mes joues et je ne sus plus où me mettre.
— Euh… oui…, bégayai-je, en effet, je ne le savais pas.
Pourquoi s’amusait-il à faire cela ? J’étais déjà sur les nerfs et il faisait de moi une cible pour tous. Quel besoin avait-il de me mêler à cette histoire ? Était-ce une façon de se venger de ma grossièreté ?
— Vous commencez bien l’entretien, Mademoiselle Garcia, s’exclama Madame tailleur/chignon.
Voilà, c’en était fini de moi. En une seule phrase, il venait de ruiner toutes mes chances.
— Arrête Vanessa, tu vois bien qu’il cherche à torturer cette pauvre fille, intervint la belle rousse. Cela dit, comment étais-tu au courant Thomas ?
— Oh, tout simplement parce que j’ai emmené la demoiselle ici après qu’elle m’a eu traité de con. Elle me trouve arrogant aussi. Je me suis senti un peu responsable vu que personne ne l’avait prévenue du changement, elle non plus.
Le feu de mes joues s’intensifia, une pointe de colère remonta. L’avantage, c’est que j’en oubliais totalement mon inconnu. Enfin… jusqu’à ce qu’il éclate de rire.
Alors que je m’attendais à être congédiée avant le début de l’entretien, son hilarité gagna les autres. J’entendis même quelqu’un dire « elle t’a bien cernée, mec ! ». Les visages sérieux se déridèrent, tout le monde sembla plus détendu. Tout le monde, sauf moi…
J’étais abasourdie. Ils étaient loin de l’image des avocats d’affaires. Ils paraissaient désinvoltes, amicaux, loin de l’idée que l’on pouvait se faire de ses futurs employeurs. J’esquissai un sourire tout en me demandant ce que me réservait la suite.
— Vous marquez des points, Mademoiselle Garcia, me complimenta la rousse. Rares sont les personnes qui osent le remettre à sa place en dehors de nous. Je me présente, Johanna Roche. Je suis l’une des associées principales du cabinet, de même que Vanessa Roussin, Fabien Guivre, Sofiane Belkacem, Thomas Moreaux et Aaron Tessier.
Elle désigna un à un les avocats autour d’elle. Il ne restait plus que le pianoteur. J’avais donc insulté Thomas MOREAUX… Non seulement un potentiel futur employeur, mais également un des six associés principaux dont le nom était inscrit en lettre d’or sur la porte !
Et celui qui hantait mes rêves était Aaron TESSIER !
Je ne savais plus où me mettre. Je les regardai tour à tour et rougis de plus belle. J’inspirai profondément, me contraignis au calme avant de me redresser.
— Et voici Patrick Jones, associé et responsable des collaborateurs, ajouta Johanna Roche.
J’apaisai les tremblements de ma voix et adoptai un ton professionnel quand je pris la parole à mon tour :
— Enchantée de vous rencontrer. Comme vous le savez déjà, je m’appelle Amara Garcia.
— Mademoiselle Garcia, qu’est-ce qui vous a amené à postuler chez nous ? me questionna Vanessa Roussin.
— Et bien, comme vous avez pu le voir dans mon CV, j’ai récemment quitté le cabinet dans lequel je travaillais depuis quatre ans. Une place d’associée m’a été proposée, mais j’ai senti le besoin d’aller explorer d’autres domaines du droit. J’ai pris mon temps avant de postuler. Je voulais être sûre de trouver un cabinet dans lequel je pourrais m’épanouir. J’ai encore peu d’expérience, je le reconnais volontiers, mais je suis ambitieuse. Je souhaite pouvoir avancer et évoluer en même temps que le lieu dans lequel je travaillerai. J’ai choisi le vôtre parce que vous êtes jeune, en plein essor. Je veux en faire partie.
« D’après les différents articles que j’ai lus, je partage les valeurs que vous défendez. J’aime l’idée de soutenir de grands dossiers ainsi qu’aider, sans rien attendre en retour, des personnes qui en ont besoin. J’aime l’adrénaline qui se dégage quand on fait notre plaidoirie, le frisson que l’on ressent quand on entend le verdict de notre victoire, le sourire et le soulagement sur le visage de mes clients. Votre cabinet serait parfait pour cela. Et je suis persuadée que mon ambition et ma combativité pourraient vous apporter un plus.
— Votre CV est intéressant même si, comme vous le dites, vous n’avez que peu d’expérience. La question que je me pose c’est, pourquoi avoir travaillé dans un petit cabinet auparavant si vous êtes si ambitieuse ? Il n’y a pas beaucoup de possibilités d’évolutions dans un tel milieu, m’interrogea Sofiane Belkacem.
— Après l’obtention de mon CAPA1, j’ai effectué un stage d’un an dans ce cabinet. Ils auraient pu le reconduire sur une année de plus, mais ils ont préféré m’engager réellement. J’ai accepté, c’était une bonne opportunité. Je voulais prendre le temps de me découvrir dans l’exercice du droit avant de me lancer dans un nouveau défi comme celui d'aujourd’hui. Je n’apprécie pas l’échec, même s’il est parfois inévitable, qu’il permet d’avancer et de se remettre en question. J’aime mettre toutes les chances de mon côté. Je savais qu’en sortant de mes études je ne pourrais pas entrer dans un plus grand cabinet sans réelle expérience professionnelle. J’ai donc préféré en acquérir avant de démarcher des cabinets plus importants.
— Vous avez quand même pris un risque en abandonnant votre poste. Après tout, rien ne vous garantissait de trouver du travail par la suite, souleva Johanna Roche.
— En effet, surtout qu’ils me proposaient une place d’associée. Mais sans risque, pas de récompense, il me semble, vous n’êtes pas d’accord ? spéculai-je, un léger sourire sur les lèvres.
J’aimais cette question, le déroulement de l’entretien. Je commençais à me sentir à l’aise, confiante. Mes épaules se détendirent et je me concentrai de plus belle. Mais le regard de Patrick Jones me perturbait. Moins que celui du magnifique Aaron Tessier que je m’efforçais d’ignorer tant il me faisait de l’effet.
— Je le suis et je pense que mes collègues le sont aussi, répondit Johanna Roche tandis qu’ils acquiesçaient en souriant. Pourquoi avez-vous choisi de devenir avocate ? Vous avez dit vouloir apporter votre aide à ceux qui en ont besoin et aimer ressentir l’adrénaline des procès, mais y a-t-il une autre raison dans tout cela ?
— Oui, en effet, mais celles-ci me sont très personnelles. Je ne souhaite donc pas entrer dans les détails. Je dirais simplement que l’exercice du droit n’est pas seulement un travail à mes yeux : être avocate a toujours été un rêve. Je l’ai réalisé. Maintenant, je vise plus haut.
Ce sujet-là me déstabilisait chaque fois qu’on l'abordait. Je m’y étais préparée et avais décidé que la meilleure réponse à apporter était celle-ci.
— Je comprends. Patrick, as-tu des questions ?
— Pas spécialement, tout ce qu’elle a dit jusqu’ici est plutôt clair, son CV et sa lettre de motivation le sont également. Je vais juste lui parler un peu de ce que j’attends de mes collaborateurs.
Il s’adressait à ses collègues comme si je n’étais pas devant lui. Je trouvais cela d’une impolitesse monstre. Il se tourna finalement vers moi pour ajouter :
— J’attends des personnes avec qui je travaille une dévotion sans failles. Vous vous devrez de ne pas compter vos heures. Vous serez rémunérée en conséquence. J’ai besoin de quelqu’un de disponible à 100 % alors votre petit copain ou vos amis devront toujours passer après ce cabinet. Être collaborateur chez Tessier, Moreaux et Associés implique d’être au travail quand je le suis, mais également quand je ne le suis pas. Vous aurez, à la fois, la charge de vos propres affaires et celle de préparer les miennes. Vous devrez pouvoir vous rendre disponible les week-ends, pouvoir partir en voyage n’importe quand. Est-ce que cela vous semble faisable ?
Il insista lourdement sur le dernier mot. Je décelai dans son regard le souvenir de déceptions précédentes, comme s’il avait déjà eu à faire à des personnes peu fiables.
— Tout à fait, je m’attendais à ce type de planning. Je n’ai personne à retrouver chez moi et ma famille n’est pas ici. Je suis donc prête à travailler 24h/24 si cela s’avère nécessaire.
Alors qu’il était resté silencieux et immobile jusqu’à présent, Aaron Tessier s’agita légèrement. Je crus remarquer une lueur dans son regard quand j’évoquai l’absence d’une vie sentimentale.
— Tout me semble parfait alors, répondit Patrick Jones.
— Une dernière chose pour moi, intervint Thomas Moreaux avec un clin d’œil. Je sais que je ne suis qu’un con arrogant à vos yeux, mais j’aime la simplicité. Autour de cette table, nous sommes tous ainsi. Donc, dans l’enceinte de ce cabinet, nous vous demanderons d’abandonner les titres de civilité. Vous les emploierez bien sûr en présence de clients ou d’adversaires et au tribunal, mais entre nous, privilégions la sobriété. Ici, nous nous appelons par nos prénoms, sauf si vous faites une erreur. Là, attendez-vous à entendre votre nom de famille crié haut et fort dans les couloirs. C’est beaucoup plus facile ainsi. Cela enlève une certaine distance qui peut nuire au travail d’équipe. Et c’est le travail d’équipe qui prime chez nous. Nous partageons les réussites comme les échecs, même si nous ne les aimons pas non plus. Dans le même ordre d’idée, nous ne vous demanderons pas d’adopter une tenue particulière au bureau. Tâchez simplement d’avoir l’air professionnelle et de l’être bien sûr.
Après chaque trait d’humour, il m’adressait un clin d’œil et les rires de ses collègues s’élevaient.
— Sachez également, poursuivit-il, que nous avons délocalisé une partie de nos activités à New York, puisque nous y avons certains gros clients. Les voyages dont parlait Patrick seront surtout ceux-ci. Enfin, Patrick est le responsable des collaborateurs. Vous travaillerez essentiellement avec lui. Il vous assignera vos dossiers et vous évaluera tout au long de cette première année, mais à tout moment, un associé, principal ou non, pourra faire appel à vous.
— Cela me convient très bien, répondis-je.
J’étais à nouveau très à l’aise et avais même l’impression d’être déjà engagée. Je savais pourtant que je n’aurais pas de certitude avant leur retour officiel, d’autant plus que j’avais une sérieuse concurrente.
— Voilà qui conclut notre entretien, je pense, si tout le monde est d’accord ? fit Vanessa Roussin à l’intention de ses collègues qui acquiescèrent. Je vous raccompagne dans ce cas, ajouta-elle pour moi en se levant. Nous vous tiendrons au courant dans l’après-midi. Si vous êtes retenue, vous commencerez dès demain.
— Très bien, merci beaucoup de m’avoir reçue. J’ai été ravie de vous rencontrer.
Je m’adressai à tous et les regardai à tour de rôle. Je m’attardai un peu plus sur Aaron Tessier. Le simple fait de poser les yeux sur lui me fit vibrer et mit mes sens en ébullition. Alors que l’excitation montait en moi, il me gratifia d'un sourire ravageur ainsi que d’un clin d’œil. Puis il se leva, se dirigea vers une porte latérale et disparu. Je serrai la main de Vanessa, comme ma concurrente, avant de m’éloigner.
Sur le chemin, un arrêt aux toilettes me permit de me rafraîchir et de reprendre mes esprits. J’avais le sourire aux lèvres en pensant à ma réussite à cet entretien, mais je m’interrogeais sur Aaron Tessier.
Comment avais-je pu le voir dans mes rêves alors que je venais de le rencontrer ? Pourquoi me hantait-il chaque nuit depuis deux semaines ? Comment pourrais-je travailler pour ou avec lui quand il me faisait un tel effet ? Je bus longuement puis me dirigeai vers la sortie tout en ressassant ces questions.
« En même temps, tu ne travailleras pas vraiment pour lui puisqu’il est le patron de ton patron. »
« C’est encore pire ! Je pourrais me retrouver à travailler avec lui à certains moments. Et si j’avais des flash-backs en plein procès… ? Je ne pourrais jamais me concentrer… Il faut que je me calme, je sors juste de l’entretien, rien ne dit que je vais obtenir ce poste. »
« Bien sûr que si ! Tu as tout déchiré, tes réponses étaient parfaites. »
« C’est vrai que j’ai fait plutôt fort sur ce coup-là. »
« Tu peux être fière de toi ! »
Prise par ma conversation interne, je montai dans l’ascenseur sans m’en apercevoir. Je sortis du brouillard laissé par mon échange silencieux avec moi-même et m’avançai vers les boutons. Celui du rez-de-chaussée était déjà allumé. Ma première pensée fut que j’avais appuyé dessus machinalement, mais un mouvement au fond de la cabine attira mon attention. Mes yeux tombèrent sur un homme qui me regardait fixement.
Il était nonchalamment adossé contre le mur, la tête penchée sur le côté, un sourire discret sur les lèvres. Un homme grand, incroyablement beau, portant une chemise blanche dont les coutures menaçaient de céder sous la pression de ses muscles…
Je ne pouvais plus respirer… Je réalisais peu à peu sa présence, le fait que nous étions seuls, dans un espace clos… Je me remis à avaler de l’air, mais, rapidement, mon désir refit surface.
Vert
Le feu se répandit dans mon corps. Je ne pouvais détacher mes yeux de lui. Tout à coup, des flashs de mes rêves m’assaillirent.
Étage 39 :Il était assis dans un fauteuil en velours rouge. Sa beauté me coupait le souffle.
— Est-ce que nous nous sommes déjà rencontrés, Amara ? me demanda Aaron.
Étage 37 :Il perçut ma présence, se tourna vers moi, me fit signe de le rejoindre.
— Euh... Non, je ne crois pas.
Je bafouillai. Son parfum, un mélange musqué et enivrant, emplissait tout, occultait mes sens. Il m’empêchait de réfléchir, de former une phrase cohérente que je puisse prononcer sans bégayer. C’était sauvage de Dior, j’en mettrais la main au feu.
Étage 35 :Il se pencha en avant, posa les mains sur mes hanches pour m’attirer.
— Il me semble pourtant vous connaître, insista-t-il.
Aaron Tessier se décolla du mur et se rapprocha. Je commençai à sentir sa chaleur.
Étage 34 :Sans savoir comment, j’étais à présent à califourchon sur lui. Son corps se pressait contre le mien.
Je formulai une prière pour que l’ascenseur s’arrête, que quelqu’un entre… Qu’on vienne mettre fin à mon supplice… Mais la cabine continuait sa lente descente.
— Je ne vous ai jamais vu avant, soufflai-je.
Je tentai de me reprendre, de chasser ces flashs, mais plus il approchait, plus sa chaleur se répandait.
Étage 29 :Il passa une main sur ma nuque en saisissant mes cheveux.
— J’aurais pourtant juré, murmura-t-il, si doucement que je doutai de l’avoir entendu. D’accord, dans ce cas, j’espère vous revoir très vite.
Son sourire déclencha le tremblement de mes jambes.
Étage 28 :Ses mains brûlaient délicatement ma peau, me donnaient la chair de poule, son souffle me rendait folle de désir.
Je dus prendre appui contre le mur pour ne pas tomber. Un filet de sueur coula le long de ma nuque et de ma colonne tandis que je tentais de reprendre le contrôle.
Étage 27 :Il s’approcha un peu plus, colla son torse contre ma poitrine, nos lèvres se rencontrèrent.
Je baissai les yeux et m’évertuai à calmer ma respiration saccadée. J’avais besoin d’air, d’espace…
Étage 23 :J’ouvris la bouche, m’emparai de sa langue, frémis quand un gémissement rauque lui échappa en écho au mien.
— Vous vous sentez mal ? s’enquit-il en faisant un pas de plus.
Incapable de parler, je hochai la tête.
Étage 17 :Il parsema ma mâchoire et mon cou de baisers brûlants. Il descendit sur mes épaules, embrassa le haut de mes seins…
Il s’approcha encore, main tendue. J’étais à deux doigts de craquer, de lui sauter dessus. L’excitation me consumait. Je voulais sentir la chaleur de sa peau, goûter sa bouche, déchirer cette chemise bien trop serrée pour découvrir son torse… Je luttai, mais il ne me facilitait pas la tâche.
Étage 11 :Il arracha mon chemisier et glissa une main sous mes fesses.
Étage 7 :Il m’allongea sur la table pour explorer mon corps de ses lèvres pendant que ses mains avides me caressaient.
Étage 2 :Sa bouche entoura d’abord la pointe d’un de mes seins, le lécha, le mordilla à m’en arracher des larmes de plaisir. Mon Dieu, il aurait pu me faire jouir ainsi !
À l’instant où les portes s’ouvrirent, il me frôla le dos, ce qui m’électrisa. C’en était trop, je ne pouvais plus tenir. Je bondis à l’extérieur, courus vers la sortie en manquant de me rompre le cou.
Dehors, je me pliai en deux et pris une grande bouffée d’air frais. Il était toujours autour de moi, son odeur m’avait suivi et lui aussi. Je devais rapidement trouver une explication à mon comportement ou il risquait de me prendre pour une folle. Je ne pouvais pas avouer à mon futur employeur que je fantasmais sur lui toutes les nuits ni que je m’étais enfuie pour ne pas lui sauter dessus.
— Amara ? Vous allez bien ?
— Mieux merci. Je suis parfois claustrophobe, ce n’est rien.
Il posa la main sur mon bras, créant une décharge électrique qui se propagea jusqu’entre mes cuisses. Ce geste se voulait bienveillant, mais était dur à supporter et, si le désir s’estompait sous la brise, un trop long contact me remettrait certainement dans le même état. Je m’écartai donc, en douceur, et me dirigeai vers un banc, le souffle court. Je sortis une cigarette et l’allumai en m’asseyant. Il fit de même.
— C’est très mauvais pour la santé, ironisa-t-il.
— Je sais... vous pouvez parler… dis-je en montrant la sienne.
— Tout le monde à ses vices... Votre entretien était très intéressant. Je ne devrais pas le dire, mais je voterais pour vous. Et je ne serais pas le seul. Thomas a eu l’air de vous apprécier. C’est un con arrogant, mais il sait bien juger les gens.
Il rit en me regardant et je soupirai légèrement.
— J’imagine que si je suis engagée, je vais en entendre parler souvent n’est-ce pas ? souris-je, partagée entre honte et amusement.
— Oh oui, très souvent même. Il ne manquera pas de vous le rappeler et nous non plus.
Notre échange laissa place à un silence amusé. Sa présence à mes côtés était toujours à la limite du supportable, mais je parvenais à me contrôler. Une fois ma cigarette terminée, je me levai.
— Je dois rentrer, j’attends un appel très important.
— J’espère que les autres voteront comme moi, dit Aaron. C’est moi qui vous contacterai. J’ose espérer que mon appel vous fera plaisir, même si la réponse est négative.
La fin de sa phrase flotta dans l’air soudain chargé d’ambiguïté. Il s’éloigna de quelques pas puis se retourna et me détailla de haut en bas.
— Le café, Chez Sarah, déclara-t-il. Vous vous asseyez toujours près de la fenêtre avec un cahier en regardant dehors et en griffonnant. Je me trompe ?
Je restai bouche bée un instant. Je ne croyais pas l’y avoir déjà vu, alors comment savait-il… ?
— Je suppose que non, répondis-je.
— Un jour, je viendrai à votre table, affirma Aaron en me fixant droit dans les yeux. Ce jour-là, vous me direz peut-être ce qu’il s’est vraiment passé dans cet ascenseur.
Il recula, me fit un clin d’œil puis disparut dans la foule. Je restai debout, sans bouger, totalement abasourdie. Un klaxon retentit derrière moi et me ramena dans le présent. L’horloge numérique de l’immeuble annonçait 11h30. Déjà ? Je me pressai en direction du métro sans pouvoir me défaire de mon désir, de l’odeur d’Aaron Tessier ou de son image.
Vert
À mon retour, je me précipitai vers mon carnet de croquis, l’ouvris et parcourus les pages. Chaque jour, depuis deux ans, je me rendais Chez Sarah, commandais un moka, m’installais près de la fenêtre à la troisième table en partant de l’entrée. Je dessinais les clients, les passants, toutes les personnes qui m’inspiraient. Je n’avais aucun souvenir d’y avoir croisé Aaron Tessier, mais lui m’y avait vu. Alors peut-être le trouverais-je dans ces pages, dans mes croquis.
Il était là, s’étalant dans des nuances de gris sur le papier, dans toute sa splendeur, le regard était voilé de lassitude. Mon esquisse datait du six mai, soit deux semaines avant le début des rêves et un mois avant l’entretien.
Il avait dit vrai, nous nous étions déjà croisés et je l’avais remarqué au point de le coucher dans mon carnet. Je n’arrivais pas à y croire… Absorbée par mes pensées, les yeux rivés sur le dessin, j’entendis à peine mon téléphone sonner et décrochai au dernier moment, sans regarder l’appelant.
— Allo ?
— Coucou, ma chérie, c’est grand-mère. Ton entretien s’est bien passé ?
— Bonjour, grand-mère, je pense que oui. Ils doivent me donner la réponse dans quelques heures.
— Est-ce que tu vas bien ? s’inquiéta-t-elle. Tu as une petite voix.
— Ça va, je suis juste un peu stressée, mentis-je.
— Tu vas avoir ce travail, mon cœur, je le sais !
— Merci, je te rappelle dès que j’ai la réponse.
— Oui, on fait comme ça. À tout à l’heure.
À aucun moment, je n’avais quitté le croquis des yeux. Assise dans le canapé, je l’observai encore longtemps pour tenter de percer les mystères de ce regard fatigué, si différent de celui d'aujourd’hui, puis m’en détachai.
Je me levai et préparai rapidement une salade composée que j'avalai devant une série sans intérêt. Je n’accordai aucune attention à l’intrigue, aux personnages ou à ce qu’ils disaient. Mes pensées étaient entièrement tournées vers Tessier, Moreaux et Associés, mon avenir chez eux, la complexité de la situation avec Aaron Tessier.
Puisque je n’arrivais pas à m’en défaire, je décidai de me libérer en dessinant. J’attrapai donc une grande feuille et commençai à la noircir. Ce ne fut qu’à la toute fin que je réalisai que j’avais immortalisé l’éclat de rire général qui avait suivi les explications de Thomas Moreaux.
Je rangeai mon matériel, me lavai les mains, devenues presque aussi grises que mon dessin. Plusieurs heures venaient de s’écouler et je n’avais toujours aucune nouvelle du cabinet. Il ne servait à rien d’attendre, cloitrée dans mon appartement, autant aller Chez Sarah.
Mon sac sur l’épaule, je me mis en route. J’allais sûrement devoir arrêter d'y aller si j’avais ce travail. Les horaires ne me permettront pas de le faire comme avant. Je me demandais ce qu’Il en penserait.
« Même si tu ne peux pas y aller tous les jours, ou à la bonne heure, tu iras le plus souvent possible. Et Il serait fier de toi, » me souffla ma voix intérieure.
Sur le chemin, mon téléphone resta terriblement silencieux. L’heure tournait. Je tentai de me convaincre d’être patiente, mais rien n’y fit. J’étais à présent sûre d’avoir échoué. Ma déception était grande, même si cela rendait les choses plus simples. Je n’aurais plus à revoir le parfait Aaron Tessier et, surtout, je ne travaillerais pas pour lui. Mais bon sang, je le voulais ce poste !
Une maigre lueur d’espoir persistait en moi et, avec elle, l’angoisse d’avoir la réponse définitive. J’arrivai enfin, il était presque 17h30, mon heure habituelle. Je passai ma commande puis rejoignis ma table de prédilection. À quelques mètres, je me figeai.
Quelqu’un y était déjà installé et dégustait un café dans un gobelet en carton. Cela arrivait parfois. En général, je cherchais un autre endroit où m’asseoir et j’attendais que l’occupant s’en aille. Mais pas aujourd’hui. Au contraire, je le rejoignis.
— Re-bonjour, Monsieur Tessier, lançai-je au voleur de place d’un ton moqueur.
— Aaron, grogna-t-il, Monsieur Tessier c’est mon père.
Cette voix, ce timbre… Ils résonnaient en moi, faisaient ressurgir des pensées inavouables. Et son odeur…
— Vous deviez m’appeler, rétorquai-je, pas me suivre jusqu’ici.
— Est-ce vous suivre quand j’arrive une demi-heure avant vous ?
— Quand vous vous asseyez à ma table et m’attendez, oui. Et si vous vous installiez dans le café d’habitude, je l’aurais remarqué.
— Les habitudes changent, Amara. Vous devriez laisser tomber ce sarcasme, je suis votre patron après tout.
J’avais donc réussi finalement… Je retins un cri de joie, adoptai un visage neutre, malgré mon envie de lui sauter au cou. Je devais vraiment me calmer. Je ne le connaissais même pas et il s’agissait désormais, comme il venait de le dire, de mon employeur. Enfin presque…
— Faux ! m’exclamai-je, un brin joueuse. Vous ne le serez que demain, si je saisis bien le sens de votre phrase et de votre présence ici.
— Vous êtes engagée, confirma-t-il. Vous marquez un point. Donc, avant que je ne devienne votre patron, et que tout ceci ne soit inapproprié, voulez-vous vous joindre à moi ?
J’hésitai un instant, puis me décidai. C'était sans doute une erreur, mais j’étais incapable de refuser son invitation. Je lui adressai un sourire qui, malgré moi, fut charmeur, m’assis et répondis :
— Avec grand plaisir.
« Idiote ! » souffla ma voix intérieure.
Je l’ignorai. C'était un soulagement de voir que, malgré l’effet qu’il me faisait, je me contrôlais bien mieux que dans l’ascenseur. Le désir était toujours présent, mais bien plus gérable que le matin même. Peut-être y arriverais-je finalement, peut-être qu’il ne serait pas si dur de résister à mes envies.
Vert
Ses mains, dans mon dos, me maintenaient serrée contre lui. Je me laissai porter par l’envie et agrippai le fauteuil en répondant à son étreinte. Son souffle se fit plus pressé, un grognement jaillit de sa gorge. Je gémis, ce qui le rendit fou.
Il arracha mon chemisier, glissa une main sous mes fesses et me souleva. Je m’accrochai à son dos pour ne pas tomber tandis qu’il m’emmenait vers la table de la salle à manger. Nous n’étions plus dans un restaurant, mais dans un magnifique appartement. Il m’y allongea pour explorer mon corps de ses lèvres tout en me caressant avec avidité.
Je ployai sous ses doigts, désireuse de le sentir, mais il prenait son temps, me torturant délicieusement. Sa bouche entoura d’abord la pointe d’un de mes seins, le lécha, le mordilla à m’en arracher des larmes de plaisir. Mon Dieu, il aurait pu me faire jouir ainsi ! Il le savait, son sourire le montrait !
Je tentai de me redresser, mais il me plaqua sur la table tandis qu’il parsemait mon ventre de baisers, de coup de langue, de morsures. L’excitation me consumait. Je n’avais qu’un besoin, qu’une envie : sentir sa peau contre la mienne pendant qu’il me pénétrait avec passion.
Lui semblait vouloir faire monter encore plus le désir. Il s’appliquait à déposer des baisers brûlants sur chaque parcelle de mon corps tout en déboutonnant mon pantalon. Ses mains firent descendre le vêtement, embrasèrent ma peau dans leur sillage. Sa bouche traça une ligne humide sur ma jambe droite jusqu’à ma cheville. Il s’interrompit pour frôler du doigt la cambrure de mes pieds puis susurra :
— Je veux que tu ne gardes que ça quand je te ferai crier.
Il remonta entre mes cuisses. Chaque baiser me soutirait des soupirs, des gémissements de plus en plus intenses tandis qu’il approchait de l’antre de mon plaisir. Le feu me consumait. Je tentai de nouveau de me redresser pour mettre fin à ce supplice et accueillir son membre en moi.
— Tss… du calme, je n’ai même pas encore commencé à jouer.
Ses mots vinrent se loger au plus profond de mon être. Je ne pus que me laisser retomber sur la table. J’avais une mince idée de ce qu’il préparait et cela me fit couler de plus belle. Je ruisselais de plaisir le long de mes cuisses. Alors que le premier coup de langue me faisait me cambrer, je l’entendis gémir.
Nouveau réveil en sursaut au plus mauvais moment. Nouvelle frustration de ne pas connaître la suite de ce rêve même si je pouvais la deviner. D’autant plus que, maintenant que je savais de qui je rêvais, j’étais encore plus excitée. Comme la veille, j’attrapai mon jouet et me soulageai tout en repensant à notre rencontre Chez Sarah.
Nous avions passé plusieurs heures à discuter, échangé de nombreux sous-entendus au milieu de taquineries. L’attirance que j’avais déjà pour lui n’avait fait que s’amplifier. Il n’était pas seulement beau, mais aussi intelligent, bourré d’humour, d’autodérision. Il était attentif et passionné quand il parlait de droit.
Il m’avait d’abord interrogée sur mes ressentis lors de l’entretien et je les lui avais exprimés : la fluidité de l’échange, mon aisance à répondre à leurs questions, les liens qui les unissaient les uns aux autres.
Aaron avait confirmé qu’une profonde et vieille amitié les rassemblait. Il connaissait Thomas depuis le collège. Ils avaient fait la faculté de droit ensemble. Après avoir travaillé dans des cabinets différents pendant deux ans, ils s’étaient retrouvés pour monter le leur avec Vanessa. Les autres les avaient rejoints plus tard. Il m’avait raconté en riant le débat sur le changement de nom du cabinet qui revenait sur la table chaque année depuis sa création.
— Vanessa rappelle à tout le monde qu’il y aurait trop de noms à mettre sur la porte si tous les associés principaux devaient y figurer, avait-il confié en souriant. Quand j’avais quinze ans, je n’aurais jamais cru pouvoir être là où j’en suis et pourtant… Parfois, quand on se donne les moyens de réussir, la chance est avec nous.