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En panne d’inspiration, un romancier parisien entame un parcours étrange, après sa consultation chez une cartomancienne. Guidé par d’étranges prédictions, il plonge dans les dérives du monde moderne, aussi fascinant qu’inquiétant, peuplé de personnages singuliers, perturbateurs du quotidien. Entre amitiés improbables, dangers bien réels et quête de sens, il devra choisir ses appuis et contrôler sa trajectoire. L’amour croisera-t-il la route ? Les nobles influences des arts et de la sagesse sauront-elles faire face aux mirages toxiques des fausses idoles ?
À PROPOS DE L’AUTEUR
Jacques Fraysse est un auteur français dont le parcours professionnel fut marqué par une transition notable de la recherche scientifique vers le secteur financier. Il s’est distingué en tant qu’expert en informatique et dans l’organisation de projets technologiques d’envergure. Il a embrassé la littérature et l’art de la fiction pour explorer de nouvelles émotions et expériences à travers des récits confrontant des hommes et des femmes aux dérives du monde moderne.
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Seitenzahl: 357
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Jacques Fraysse
Nobles influences
Roman
Lys Bleu Éditions – Jacques Fraysse
ISBN :979-10-422-7839-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Lundi 11 mars
En quittant le métro parisien, à la station Porte d’Orléans, Amaury de Sainte-Anne consulta sa montre. Elle indiquait 8 h 50. Son rendez-vous était prévu pour 9 heures, et le cabinet de la consultante étant tout proche, il ne serait pas en retard. La consultation, qu’il avait sollicitée, ne correspondait guère à ses pratiques habituelles. Amaury n’était pas un disciple des rituels du monde des extra-lucides. Il ne portait pas un grand espoir de se voir révéler des événements exceptionnels par la dame qu’il devait rencontrer, pratiquant sous le nom d’Irina. C’était une amie qui l’avait dirigé vers cette praticienne de la divination éclairée, en garantissant des résultats encourageants.
Amaury, aujourd’hui âgé de 40 ans, était devenu romancier, avec un réel succès auprès d’un large public, après une carrière contrariée. Le nom d’Amaury de Sainte-Anne était un nom d’emprunt qui lui servait de signature pour ses ouvrages, mais qu’il avait plus largement adopté dans son monde relationnel. Ce nom résultait d’une expérience douloureuse, ayant marqué sa vie professionnelle et réorienté ses activités. Amaury, portant le nom patrimonial de Lebarret, exerçait avec talent le métier de consultant dans un grand cabinet de conseil en stratégie. Maîtrisant habilement ses interventions, il avait abusé de ses capacités et dépassé les limites du rapport raisonnable entre activité professionnelle et repos réparateur. Les heures de suractivité s’étaient accumulées lentement jusqu’à devenir insoutenables, menant inévitablement à ce dérangement contemporain qu’est l’épuisement professionnel. De cette maladie et de ses conséquences, personne n’en sort sans séquelles. Son entourage s’était mobilisé pour le convaincre de mettre en œuvre le meilleur traitement, ce qui l’avait conduit vers l’hôpital Sainte-Anne. Madame la professeure Dutertre avait pris en charge efficacement le traitement de son état fortement dégradé. Elle avait ajusté avec attention ses prescriptions et avait fait preuve de prévenance à l’égard d’Amaury. Très touché par cet apport, à la fois compétent et empathique, Amaury lui avait témoigné de belle manière sa reconnaissance par écrit. Cette longue lettre avait touché madame la professeure. Elle lui avait répondu d’un texte simple et court : « Merci, monsieur Lebarret, votre courrier est plein de généreux sentiments et témoigne d’une guérison toute proche. Vous écrivez de manière remarquable, vous devriez exercer vos talents comme romancier, l’écriture est une excellente thérapie ». Deux semaines plus tard, Amaury avait revu sa praticienne de l’Hôpital Sainte-Anne. Au cours de la consultation, cette dernière lui avait conseillé de faire une pause dans son activité initiale, trop envahissante. Elle lui avait conseillé une activité plus modulable et moins anxiogène. Amaury avait pris la décision de se mettre à écrire. Très rapidement, l’exercice lui avait paru excitant et enrichissant. À ce jour, cinq romans avaient été publiés et le succès était là, presque miraculeux. Son éditeur lui avait proposé de signer ses ouvrages sous un pseudonyme. Aussitôt, il avait choisi de conserver son prénom et de l’associer au nom « de Sainte-Anne », nom de l’hôpital qui avait inspiré son changement d’activité. L’éditeur avait trouvé l’idée originale et encouragé cette signature « Amaury de Sainte-Anne » comme imaginative et intrigante.
Mais voilà, depuis trois mois, la panne était survenue, sans raison apparente. L’inspiration qui accompagnait de manière prolifique ses pensées avait disparu, éteinte comme la flamme d’un cierge sous le vent. Il ne parvenait plus à s’accrocher à une seule idée consistante, capable de raviver son inspiration. Cet état de fait devenant inquiétant, il avait décidé de bousculer son ordinaire pour sortir du marasme. Sa compagne avait pris ses distances et s’impliquait ardemment dans de nouvelles activités commerciales. Elle s’était éloignée d’Amaury, sans fâcherie, mais, progressivement l’éloignement grandissant s’apparentait à une rupture. Cette situation générait un vide important et avait, sans doute, largement contribué à l’épuisement de son inspiration naturelle. Une amie d’enfance, à qui il avait confié son désarroi, lui conseilla vivement de consulter Irina, cette voyante, qui, disait-elle, allait éclairer son parcours à venir, ainsi que la nouvelle route que devait prendre sa vie. C’était pour cette raison qu’Amaury de Sainte-Anne arpentait les rues environnantes de la Porte d’Orléans.
Amaury trouva sans difficulté la porte d’entrée de sa consultante, rue Beaumier. Celle-ci l’attendait et lui ouvrit la porte sans élément de protocole particulier. Irina devait avoir la soixantaine et se drapait dans des vêtements qu’Amaury considéra d’un autre âge. Elle jaugea longuement son visiteur avant de lui demander de s’asseoir. Dans cette pièce de consultation, tout paraissait archaïque. Un revêtement délavé tapissait les murs et une bibliothèque hébergeait une quantité impressionnante de statuettes représentant des oiseaux de nuit, élaborées dans des matériaux les plus divers. Le bureau en bois d’acajou ancien était recouvert d’un tapis de carte vert élimé. L’éclairage de la pièce manquait de puissance et la pénombre qui régnait donnait l’étrange sentiment que la lumière avait définitivement déserté cet endroit. Sur le bureau, une grosse boule de cristal trônait, laissant échapper de drôles de reflets. Des jeux de cartes, usés au-delà du raisonnable, attendaient on ne sait quelle utilisation et un bloc de papier recyclé devait servir de support mémoriel à la consultante. Irina regarda attentivement Amaury et commença l’entretien en disant, avec beaucoup de clairvoyance :
« Je pense que vous avez des problèmes ! »
Elle poursuivit sa consultation par une longue série de questions sur des éléments d’état civil concernant Amaury et son entourage. Sur son bloc de papier, elle notait des informations, sans structure apparente, réalisait des calculs incompréhensibles, puis s’arrêtait, contemplant des résultats, tout en s’enfermant dans une profonde réflexion, peut-être prolifique. Puis vint la séance des cartes. Avec ses jeux éculés, elle sollicitait Amaury pour réaliser des tirages aveugles, retournait les cartes, les contemplait et poursuivait ce manège déroutant, notant des résultats énigmatiques. Enfin, elle se lança dans une interprétation, qu’elle annonça comme non ambiguë.
Amaury se sentait quelque peu dépité par ce discours à la fois vague et surprenant. Cette dame lui annonçait des bouleversements dans sa vie, informations qu’elle allait pêcher dans les mystérieuses figurines de ses cartes à bout de souffle. Cela n’avait pas de sens ! Il fixait cette drôle de boule de cristal que délaissait Irina. Trop intrigué par cette énigme, il se crut en droit de poser la question.
Amaury trouva l’addition un peu salée, persuadé que ce tarif conséquent devrait permettre à la consultante de renouveler ses cartes et son tapis de consultation. Au lieu de cela, il était convaincu qu’Irina allait s’offrir une breloque représentant une chouette effraie ou un grand-duc, et qu’elle ajouterait cette pièce à sa vaste collection. Il se dit aussi que cette panoplie d’oiseaux de nuit, observatrice des élucubrations prédictives d’Irina, justifiait la pénombre du lieu et les économies d’énergie associées. Toujours intrigué par cette vaste exposition de volatiles nocturnes, Amaury s’autorisa une dernière question :
Quelque peu perplexe et légèrement déstabilisé, Amaury paya la somme convenue, puis quitta, soulagé, cette étrange salle de divination. Une impérieuse envie de retrouver le monde rationnel qu’il avait, pour un long moment quitté, le propulsa dans un bar du quartier. Supportées par un double café, ses pensées l’immergèrent dans une étrange rétrospective de sa vie. Amaury laissa défiler les événements passés sans prendre position sur leur valeur ni sur leur importance. Il les regardait comme de simples constats. Le temps s’écoula ainsi durant le cours de cette longue rétrospective. Après la séance surréaliste des étranges rites d’exploration de l’avenir, ce retour sur le passé le rassura, mettant en exergue les belles réalisations qui avaient marqué sa vie. Puis son regard s’attarda sur les consommateurs de ce bar de quartier où un étrange silence régnait. Les inconditionnels de l’expresso matinal ou de la bière de transition, avant le repas de midi, avaient tous le regard plongé dans leur téléphone mobile, bouée de secours incontournable pour ce monde à la dérive. Les traditionnelles discussions de comptoir, souvent engagées et effervescentes, s’étaient inexorablement évanouies, décimées par ces drôles de prédateurs à écran tactile. Le monde basculait de manière paradoxale : la téléphonie mobile, qui devait améliorer la communication entre les personnes en apportant cette extraordinaire facilité d’échange en tout lieu, en avait supprimé tous les aspects fondamentaux. Plus les individus étaient en proximité et exposé à des capacités d’échange, plus ils cloisonnaient leur environnement intime pour se concentrer sur le médiocre espace de leur écran tactile.
Amaury ressentait son entrevue du matin comme perturbante. Irina lui avait mis en avant trop de présages dérangeants devant les yeux. Il décida de déjeuner de manière économique et opta pour la restauration rapide, importée des États-Unis.
Au restaurant du quartier, connu pour sa restauration express, Amaury s’installa à une table après avoir passé sa commande et récupéré son plateau. Il commença son repas les yeux dans le vague et l’esprit en sommeil. À peine venait-il d’étaler les ingrédients typiques du menu conventionnel de l’établissement, rapidement choisi, qu’une jeune dame s’installa à sa table, sans autre protocole qu’un sourire convenu. Amaury la salua d’un « bonjour Madame » courtois, mais sans emphase. Cette dame, encore jeune, présentait toutes les caractéristiques d’une personne adhérente à la dégradation de la beauté corporelle par les artifices barbares que sont le piercing et le tatouage provocant. Le nez, les oreilles et la lèvre inférieure de la dame arboraient des intrus métalliques, tandis que son cou et ses bras exposaient de drôles de figures colorées. Elle regarda longuement Amaury et percevant sa désapprobation communicative, elle l’interpella.
Amaury avait sorti un bloc-notes, son stylo, et notait des informations qui semblaient intriguer son éphémère partenaire de table. Cette curieuse attitude posait question à la dame entreprenante. Elle s’inquiéta ouvertement de ce comportement insolite.
Amaury quitta l’établissement après avoir donné sa carte de visite et serré chaleureusement la main de sa partenaire de table occasionnelle. Il se dirigea vers l’entrée du métro, car il devait rentrer chez lui et préparer son départ pour le lendemain. Sa décision était prise, il irait dans sa maison de campagne aveyronnaise dès le lendemain, en voiture. En ce mois de mars, le temps n’était pas encore très clément pour une vie campagnarde en solitaire, mais l’environnement parisien ne lui semblait pas propice à la reprise de l’écriture et à la réactivation de sa créativité. Cette matinée et les trois épisodes qu’il avait vécus avaient désorganisé ses pensées, tant les dérives lui étaient apparues criantes.
Pensée
L’écran tactile permet, avec la même facilité, de prendre connaissance de l’information fondamentale, de diffuser les pensées les plus futiles, de nourrir des ressentiments imaginaires et de perdre tout contact avec la réalité.
Amaury de Sainte-Anne
Mardi 12 mars
Ce matin de mars, Amaury avait pris la route du sud-ouest aux premières lueurs de l’aube. Six heures et demie de trajet s’étendaient devant lui, tandis qu’une pluie fine s’abattait sur le pare-brise, troublant par moments la visibilité. Les giboulées ne s’étaient pas encore déclarées, mais la chaussée détrempée obligeait les conducteurs à ralentir. Jusqu’à Orléans, tout s’était bien passé ; la circulation était fluide, sans encombre. Amaury n’avait pas pris le temps de consulter les actualités du jour, inconscient de la réalité qui allait bientôt se dresser sur sa route. Les agriculteurs, pris par une colère bien française, avaient lancé un mouvement d’ampleur nationale, avec pour tactique principale le blocage des autoroutes en des points stratégiques. Évidemment, l’itinéraire choisi par Amaury se trouvait parmi les axes visés. À quelques kilomètres de Vierzon, au nord, les syndicats agricoles avaient positionné leurs premières lignes de tracteurs, transformant la route en un véritable mur. La société gestionnaire de l’autoroute avait mis en place une signalisation de contournement, en proposant de quitter l’axe bloqué, bien en amont du point de blocage, afin d’éviter une saturation du trafic. Amaury pesta contre ces entraves à la circulation avec véhémence. Il mit en route son dispositif de guidage GPS amélioré qui l’incita à quitter l’autoroute dès la prochaine sortie, ce qu’il fit.
Aux yeux d’Amaury, les méthodes de manifestation choisies par les syndicats agricoles relevaient de l’irresponsabilité et de l’incivilité. Quel rapport, après tout, entre la libre circulation sur les autoroutes et les règlements encadrant les pratiques agricoles ou la fixation des prix ? Aucun ! Pourquoi ces producteurs, dans leur colère, ne s’en prennent-ils pas aux fabricants de parapluies lorsque le printemps se montre trop pluvieux, ou aux laboratoires de crème solaire lorsque l’été devient caniculaire ? Ces entreprises, après tout, tirent profit de conditions climatiques qui mettent en difficulté les exploitations agricoles. Pour Amaury, ces manifestations ne faisaient que confirmer un comportement qu’il qualifiait d’absurde et contre-productif. Mais la mécanique était bien huilée. Les agriculteurs se devaient d’initier une communication forte autour de leurs difficultés. En cela, le blocage des grands axes permettait d’accéder à une couverture médiatique d’ampleur. Ces actions, non violentes, généraient un grand émoi dans la population qui ne percevait qu’un aspect de la situation. Si l’impact des manifestations était fortement perturbateur, c’est que la colère était grande. Si la colère était grande, c’est que les causes devaient être en rapport. Personne n’étant en mesure d’analyser les motivations de ces mouvements d’humeur spectaculaires, tant celles-ci étaient techniques et complexes, le grand public faisait mine de les comprendre et apportait un soutien inconscient aux agriculteurs. Amaury avait pleinement conscience que les dérèglements de la société s’infiltraient dans presque tous les aspects de la vie, mais les solutions réparatrices tardaient à poindre. Il pressentait que le cadre campagnard qui l’attendait offrirait un répit bienvenu, l’isolant des tracas propres aux grandes concentrations humaines et au tumulte incessant des activités citadines. Les prédictions d’Irina, la voyante, allaient sans doute prendre forme dans cet univers rural, où tout semblait plus paisible, plus maîtrisable.
Ayant quitté l’autoroute, il décida de faire halte dans le seul bistrot du village qu’il traversait. Les places de stationnement, juste à côté, étaient étonnamment gratuites, et le café portait le nom évocateur de Café de la Poste. Une petite agence postale se trouvait d’ailleurs non loin, et un panneau indiquait des horaires d’ouverture restreints : lundi, mardi et jeudi de 10 h à 12 h. Heureusement, le café, bien plus accueillant, proposait des horaires largement plus généreux. Ici, en Sologne, le bistrot comblait largement les services limités de la poste, devenant un lieu de vie et d’échange.
Amaury poussa la porte et alla s’installer à une table proche du comptoir. La tenancière, vive et chaleureuse, accourut pour prendre sa commande. Il opta pour un grand café. À une table voisine, un homme au crâne dégarni sirotait une bière en feuilletant un journal local. Amaury nota les tatouages qui envahissaient ses bras, illustrant un goût appuyé pour l’encre indélébile. Un détail, cependant, retint son attention : un tatouage discret, mais étrange, ornait le front de l’homme. Deux lettres, IA, s’affichaient ainsi, comme une marque qui ne laissait pas de doute sur l’intention.
Cette vision dérangeante déclencha en lui un flot de pensées désordonnées. Comment en arrive-t-on là ? se demanda-t-il, tentant de contourner cette triste évidence. Il lui semblait inconcevable qu’un individu puisse se laisser ainsi marquer de manière si visible, si intrusive. Poussant plus loin sa pensée, il s’insurgea du manque de scrupules d’un tatoueur dépassant, aussi outrageusement, les limites. Infliger une telle inscription à un homme relevait d’une étrange cruauté. Amaury se permit d’interpeller le tatoué.
Amaury paya l’addition et sortit du café. Arrivé dans sa voiture, il prit le temps de noter cette rencontre d’exception sur son calepin en laissant en suspens la qualification à donner. Il démarra le moteur, mit en service son GPS haut de gamme et reprit la route. Le GPS lui indiqua une arrivée prévisionnelle à 15 h de l’après-midi, ce qui, bon gré mal gré, lui convint. Il se lança dans une longue réflexion afin d’organiser son séjour et de le rendre constructif.
Tout d’abord, Amaury se devait de ne pas rester cloisonné dans sa maison pour y vivre en ermite. Rencontrer des personnes, se rendre dans des sites, assister à des manifestations ou à des rendez-vous devait permettre de créer des situations interactives, indispensables à l’amorce créative. Ensuite, comme s’y astreignaient les sportifs, le romancier avait besoin d’entraînement. Pour cela, Amaury décida de s’imposer un exercice d’écriture de cinq pages par jour, exercice essentiel au maintien des aptitudes fondamentales. Pour le reste, il laisserait le hasard piloter ses autres activités.
Avant d’arriver dans sa maison, située sur la commune de Najac, Amaury décida de s’arrêter dans un supermarché de Villefranche-de-Rouergue pour effectuer divers achats, indispensables à sa survie dans la maison campagnarde. Ayant repris son trajet, alors qu’il parvenait à la sortie de la ville, il aperçut une dame porteuse d’un sac à dos, qui amorça timidement le signe indicatif de l’autostoppeuse à son approche. Machinalement, Amaury stoppa sa voiture, baissa la vitre de la portière du passager, et interrogea la voyageuse sur sa destination ou sur ses intentions.
L’autostoppeuse posa son sac sur la banquette arrière et s’installa sur la place du passager avant. Après un soupir, elle garda un moment le silence. Comment expliquer à un parfait inconnu la complexité de sa vie ? Ce n’était pas décent. Mais ce soir, dans sa situation sans issue, la pudeur et le risque de se confier à un prédateur étaient devenus dérisoires. Alors elle se lança, avec force détails et sans retenue, dans la description de sa situation qui était pour le moins délicate.
Portant le nom de Marie Escourbié, elle était arrivée en Aveyron sept ans plutôt, avec un ami qui partageait sa vie. Habitante de la région parisienne où elle avait reçu une formation universitaire complète en sociologie, Marie avait commencé sa carrière à la mairie de Paris et y avait œuvré pendant trois ans. Succombant à une mode écologiste, elle avait, avec son ami, élaboré un projet de reconversion à l’agriculture, mais une agriculture respectueuse de la terre. La production mise en œuvre sur une petite propriété consistait en une culture maraîchère BIO. Formant un couple uni et enthousiaste, les deux amis avaient déployé de gros efforts pour mettre en œuvre leur projet, ne ménageant ni leur temps ni leur peine. Petit à petit, la dureté du labeur avait entamé leur élan généreux et des dissensions étaient apparues. La modicité des revenus générés par l’activité, la faible productivité des champs en culture, la difficulté de mise en place d’une irrigation performante et l’exigence des travaux faiblement mécanisés avaient créé une situation tendue dans leur relation de couple. Au fil du temps et progressivement, l’ami de Marie avait adopté une attitude autoritaire à son égard, ne lui laissant aucune initiative et lui imposant une forme d’asservissement insupportable. Marie avait décidé de quitter son compagnon, qui la maltraitait de plus en plus verbalement et qui ne lui accordait plus de relations externes ni de loisirs. Elle se remémorait cette période, insouciante, où elle arpentait les rues de la capitale, abusait avec passion des spectacles parisiens et interagissait sans modération avec ses amis. Ce jour-là, elle était sur une route aveyronnaise, à la dérive, en quête d’un point d’accroche. Elle pensait le trouver dans la mégapole de Toulouse, où, croyait-elle, une solution transitoire se profilerait. Amaury écoutait le récit de cette dame avec compassion. Il se demandait d’où venait le pouvoir séducteur de la culture agricole, que la grande rêverie écologiste alimentait bien mal à propos. La cruelle histoire de Marie illustrait, sans ambiguïté, les travers dangereux de ces illusions, entretenues par les mauvais prêtres de l’agriculture prétendue respectueuse de la nature. Si le respect de la nature, apporté par ces apprentis paysans, restait à démontrer, les dégâts générés dans la santé des adeptes de ces transplantations idéalistes d’individus apparaissaient évidents. Mais le temps n’était pas aux discussions philosophiques, les soucis de Marie étaient là, bien réels, et Marie n’avait pas le moindre début de solution. Sans le vouloir, Amaury avait épousé une partie du problème. Il ne pouvait s’imaginer déposant cette femme en perdition au bord de la route, la laissant à la merci d’aventures dangereuses. Il fallait trouver une solution d’urgence et, en cette fin de journée, il n’entrevoyait pas d’autre solution que d’héberger cette dame pour la nuit, afin de s’accorder du temps pour construire le plan qui allait la sortir de l’ornière. Mais Amaury n’était pas un assistant social, ni dans ses savoirs ni dans son relationnel. Il se voyait incapable de nouer un contact de type « conseiller social », tout en conservant la distance indispensable.
La discussion s’interrompit, la voiture et son équipage ayant atteint ce hameau isolé qui avait pour nom Lestrade, lieu où s’érigeait la maison d’Amaury. Il en avait fait l’acquisition durant ses années de forte activité, dans le domaine du conseil en stratégie d’entreprise. Son aménagement était simple, mais confortable. Amaury conduisit Marie dans cette maison et fit avec elle le tour du propriétaire. La demeure comportait quatre chambres et deux salles de bains. S’arrêtant dans une des chambres, Amaury lança cette suggestion :
Marie acquiesça.
Tout en arpentant sa maison, Amaury vérifiait l’état du chauffage et la bonne mise en température de l’eau chaude. Tout semblait fonctionner parfaitement. Le hameau de Lestrade comportait deux maisons, dont celle d’Amaury. Comme convenu, les deux arrivants allèrent à la rencontre des voisins et Amaury leur présenta Marie, en expliquant sommairement les raisons de sa présence à ses côtés. Ce couple de retraités vouait une réelle admiration à Amaury. Ils se côtoyaient en toute simplicité et partageaient parfois quelques légumes du jardin ou un apéritif amical. En cette soirée d’arrivée improvisée, il manquait de temps pour de longues discussions et il convenait de mettre en service rapidement les équipements de la maison, puis de se pencher sur la suite des événements, que personne n’appréhendait clairement. Les visiteurs prirent rapidement congé de leurs voisins. Une fois de retour dans la demeure d’Amaury, ce dernier proposa de s’installer dans le salon pour y élaborer un plan d’action, afin d’apaiser les appréhensions et les doutes qui devaient assaillir Marie de manière insoutenable. Amaury prit la parole après un moment de réflexion.
Amaury commença son tour d’horizon par un appel du premier adjoint à la mairie du village, responsable notamment des relations sociales. Ce dernier se dit enchanté d’entendre Amaury et, spontanément, lui conseilla de prendre contact avec la comtesse Éloïse du Pradel, qui possédait la solide réputation de porter efficacement assistance aux femmes en difficulté. La comtesse était devenue un recours réputé dans la région. Ensuite, Amaury appela un ancien prêtre qui lui conseilla les services sociaux de la ville voisine, services qui devaient être débordés en raison de la présence dans la cité, de nombreuses personnes en difficulté. En dernier recours, il proposa de s’adresser à la comtesse Éloïse du Pradel qu’accompagnait une belle réputation en matière d’assistance aux femmes. Poursuivant sa tournée de collecte d’information, Amaury appela un ami, chef d’entreprise dans la ville d’Albi, qui confirma la comtesse du Pradel comme la personne la plus compétente pour apporter une aide dans la quête de solution pour Marie. De ces consultations téléphoniques, il ressortait, de manière unanime, que la comtesse Éloïse du Pradel serait la meilleure apporteuse d’assistance dans la résolution des problèmes qui affectait Marie, naufragée d’une aventureuse utopie écologiste. Amaury se dirigea vers sa chambre, où il avait déposé son ordinateur, le mit en marche et rechercha la localisation du fameux château du Pradel, espérant découvrir une image. Le lieu était parfaitement connu des outils de recherche de l’espace internet et les images donnaient du site un aspect attirant. Prévoyant, il consulta les outils d’aide à la recherche d’emploi, un formulaire qui serait fort utile pour élaborer un CV. Il en sélectionna un exemplaire et le conditionna pour préparer avec Marie le document qui servirait de support à son résumé de carrière. Puis il revint dans le salon, emportant son ordinateur qu’il posa sur la table de séjour.
Étonnante surprise, théâtralement, Marie entra en peignoir de bain dans le salon et sans complexes, offrant à Amaury une image familière inattendue dans cette pièce mal préparée pour cette apparition. Le mobilier savamment chiné dans les brocantes conservatrices du passé paraissait inadapté face à cette présence, trop décontractée et trop familière. Ce salon de maison de campagne, à l’authentique passé traditionaliste, aimait accueillir ses invités parés de vêtements conventionnels. Amaury resta un moment étonné, tentant d’interpréter à la hâte la motivation de cette apparition incongrue. Irina, dans ses prédictions parisiennes, avait annoncé au romancier en recherche d’inspiration des rencontres surprenantes. La préparation culinaire qu’elle avait dû mijoter après son départ devait être très épicée, tant les sujets d’étonnement issus de ses prédictions devenaient déraisonnables.
Amaury proposa à Marie de s’asseoir pour prendre connaissance des dernières informations. Il s’installa en face d’elle et aborda directement le résultat des entretiens qui avaient précédé la séance d’exhibition.
Marie blêmissait à l’écoute de la proposition, Amaury sentait le malaise et la contrariété s’installer dans le regard de celle qui le regardait avec incompréhension.
Marie avait marqué le coup. Elle hésitait maintenant et trouvait sa réaction épidermique mal venue. Elle tenta de récupérer sa bévue.
Après une courte hésitation, Amaury se leva, s’assit devant son ordinateur et invita Marie à le rejoindre et à s’asseoir à ses côtés. Esquissant un sourire, il dit :
Marie observait celui qui l’assistait avec un certain étonnement. Elle réalisait qu’elle avait créé un malaise, voire une situation embarrassante. Pourquoi avait-elle improvisé cette tenue trop décontractée après son passage à la salle de bain ? Amaury s’était mis dans l’inconfort en lui proposant son aide. Il n’avait ni les compétences pour le faire ni les moyens d’action pour la prise en charge d’une femme en difficulté. Sa réponse de partager sa maison avec une inconnue n’était pas raisonnable. Marie n’avait rien à offrir en retour. Son comportement et la scène qu’elle avait jouée ressemblaient plus à celles d’un enfant gâté en plein caprice qu’à un témoignage de reconnaissance émanant d’une personne sauvée de la noyade. Amaury ne s’était pas laissé prendre dans ce mauvais piège, il avait réagi avec élégance et sagesse, et le sourire dont il avait gratifié Marie montrait que son pardon était acquis. Elle devrait s’excuser.
Amaury amorça le remplissage du formulaire devant résumer la carrière de Marie tout en tentant de la valoriser. La tâche semblait assez complexe, mais les talents du romancier permettaient de contourner habilement la description d’activités, a priori peu alléchantes. Marie se penchait sur l’épaule de celui qui opérait en ses lieu et place. Insensiblement, mais avec insistance, son sein droit caressait le haut du dos d’Amaury. Puis, à la suite d’un mouvement du bras mal maîtrisé, le sein gauche se libéra, quittant le peignoir qui lui servait de refuge. Cette situation donnait à la séance de travail, initiée par le romancier, un caractère impudique qu’il jugea inapproprié. Cette appréciation devait se lire dans son regard, ce qui incita Marie à corriger promptement la situation en réajustant le haut du peignoir. Comprenant que son bienfaiteur souhaitait plus de retenue, elle resserra son vêtement afin de mieux en contrôler les dérives. En remplissant le formulaire, Amaury apprit que son invitée avait 33 ans. Le dur travail de la terre avait abîmé ses mains et l’implacable soleil des années de labeur estivales avait martyrisé son visage, bien au-delà du raisonnable. Marie devrait réapprendre à se maquiller pour affronter de futurs employeurs.
Amaury poursuivit la tâche qu’il avait entreprise, avec la minutie qui lui semblait indispensable, sans manifester ouvertement l’agacement que lui inspirait l’insouciance de Marie.
Quand il estima que le document, qu’il venait d’élaborer, portait avec suffisamment d’attrait la drôle de carrière de Marie, le romancier, se transformant en cuisinier, prépara un repas simple, mais plaisant.