Nous serons tous invités au bal - Colette Sanchez - E-Book

Nous serons tous invités au bal E-Book

Colette Sanchez

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Beschreibung

"Nous serons tous invités au bal" retrace le parcours de Carole, qui, après un divorce éprouvant, choisit de s’exiler à Barcelone pour se réinventer. Là, elle croise le chemin d’Arno, un poète à l’âme mystique, qui n’a pour seul bagage que sa guitare et ses rêves d’absolu. Ensemble, ils imaginent une vie libérée des carcans d’une société en perdition. Ce récit, empreint de poésie et de délicatesse, éclaire les douleurs de la séparation par des instants d’une beauté inoubliable.

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Amoureuse d’évasion et riche d’une vie marquée par la diversité, Colette Sanchez a exploré le monde, de la Crète à l’Espagne, en passant par le Maroc et l’Italie. Après douze ans passés dans le Poitou et une carrière éclectique, mêlant la psychiatrie et les arts divinatoires, elle s’est tournée vers l’écriture pour donner vie à son roman "Nous serons tous invités au bal".

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Seitenzahl: 152

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Colette Sanchez

Nous serons tous invités au bal

Roman

© Lys Bleu Éditions – Colette Sanchez

ISBN : 979-10-422-6087-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Nul n’est prophète en son pays.

Sur le chemin des roses

Préface

Cette histoire contient une valeur intemporelle si nous la considérons sous l’angle d’un amour désintéressé, libéré de tout plan matérialiste unissant deux êtres, Arno et Carole. Il nous est facile cependant de la situer dans le temps. Le grand-père de Carole est un exilé de la révolution espagnole de 1936 qui échoua. Nous sommes à l’ère des réseaux sociaux, des portables, des ordinateurs dans chaque foyer. Il n’est plus souhaitable de voyager sur les routes en tendant le pouce. Les hippies aux cheveux longs avec des symboles de la paix brodés sur leurs tuniques aux couleurs chatoyantes sont révolus, parfois ridiculisés, caricaturés dans les séries télévisées. Arno et Carole sont donc décalés dans le monde d’aujourd’hui, démodés, méprisés par certains.

Nous sommes à une époque charnière où les authentiques écologistes sont persécutés. Toute personne née dans un milieu ouvrier comme Carole, le personnage central de ce roman, aurait du mal à poursuivre aujourd’hui de longues études. Le monde appartient à ceux qui depuis longtemps ont conservé un patrimoine conséquent.

Ce n’est donc pas par hasard si notre narratrice illustre ses préoccupations sociales en insérant dans son histoire sentimentale, un extrait de « Dominique » d’Eugène Fromentin. Cette œuvre d’apparence romantique fut écrite juste après le massacre en France des insurgés de 1848. Elle contient, subtilement, un état des lieux de son époque.

Aujourd’hui notre génération a du mal à sortir des sentiers battus sans couler à pic. Il faut tenir son rang, s’adapter.

Or Carole, comme Arno, ne se plient pas à cette fatalité. Leur rencontre est déterminante. Ils sont les héros occultes d’un monde en perdition. Bien sûr ils n’ont pour tout bagage que la guitare d’Arno. Ils n’ont pas assez de structure, de diplômes, de talent pour devenir des acteurs positifs de la lutte écologique ou sociale.

Malgré l’aspect insolite de ces troubadours lancés sur les routes, ces deux-là ne perdront pas espoir. De son côté, la passion salvatrice de Carole, pour les sciences ésotériques sorties tout droit du Moyen Âge, l’aidera à progresser. Les drames qui l’attendent ne la feront pas sombrer. Elle poursuivra son but, celui de participer à un monde plus juste, grâce aussi au tendre appui des siens qui la respecteront à nouveau grâce à sa résilience.

Les évènements, les souvenirs et les impressions sont décrits dans un style avéré.

En effet, dans ce roman, ce que l’on retiendra, c’est la plume, la forme. En quelques lignes, Colette Sanchez nous offre une vision évocatrice d’un paysage, d’une situation. Il n’y a rien à ajouter. En quelques mots les sensations affluent. On ressent aussi la solitude, l’état désemparé de la narratrice, c’est très visuel, pictural… même photographique. C’est une caractéristique de son écriture. L’arbre de sa mère Nelly, la boucle blonde de son amie dans la Mercedes qui file vers Paris, la lumière qui joue dans les yeux d’Arno… Ces touches de peinture éclairent, expliquent ce qui nous émeut. Sa description de la nature dévoile les sentiments du personnage.

Comme dirait le poète Paul Eluard, Colette Sanchez, dans ce roman nous « donne à voir », nous suggère, fait ressentir, révèle.

Alexis Moreau

Première partie

En équilibre sur son vélo, le facteur vérifia une nouvelle fois le contenu de sa sacoche. L’air à demi contrit, il secoua la tête :

— Rien pour vous. Et votre père, comment ça va ?

— Il va bien, il est un peu fatigué sans plus.

Avec le temps notre messager de la ville était devenu son ami, comme les éboueurs qui chaque soir lui adressaient au passage de joyeux coups de klaxon. Tous les ans, la veille du premier janvier, devant notre porte, un lot de bouteilles de bon vin choisies par mon père leur était destiné.

Tôt ce matin-là j’avais appris le naufrage au large de nos côtes d’un cargo chargé de produits toxiques. J’appelai Kiki la chienne de mon père. Nous sommes sorties avant la pluie. Surpris de voir l’animal sans laisse à mes côtés, des passants se retournèrent sur notre passage. Entraînée par une envie de liberté, je m’engageai hors de la ville.

Une odeur bizarre flottait sur la route qui traversait les champs détrempés de la zone industrielle. À l’extrémité d’un terrain vague, de hautes vagues déferlaient. La mer avait un peu de gris perlé, de vert et de bleu dans le regard.

Soudain le ciel sombre illumina brièvement ce bout du monde.

— Kiki pas si vite !

Joyeuse, la petite chienne s’engagea sur le chemin crayeux parfumé de genêt sauvage, en ignorant superbement le bourdonnement des abeilles qui s’affairaient autour des buissons fleuris. De larges gouttes se rapprochèrent, empoisonnées peut-être. Je rappelai l’animal une dernière fois en longeant, intacte au milieu des galets, la langue de sable affinée par les marées, ancien lieu de baignade de Mylène et Frédérique, mes amies de l’adolescence.

Ce petit bout de plage désertique environné de falaises et de pierres appartenait à notre insouciant passé. Un jour peut-être une rencontre aurait lieu avec les deux absentes de ce trio exceptionnel. Tel un clin d’œil d’espérance au milieu de cette immensité grise, un rayon de lumière traversa les nuages et vint se poser sur les flots qui s’entrechoquaient au large.

Frédérique vivait désormais loin de moi. Des rebondissements au cours de ces dernières années dans le cours de notre existence d’adultes ont secoué notre amitié qui me semble pourtant mériter encore le célèbre constat de Montaigne au sujet de La Boétie en version féminine :

— Parce que c’était elle parce que c’était moi.

J’aime tout autant Mylène, ma romantique compagne de l’adolescence. Ses messages chaleureux ont ponctué mon parcours de petits bonheurs éphémères qui se renouvellent et s’améliorent encore aujourd’hui. Ses trois enfants, sa vie de couple et la distance kilométrique n’ont pas troublé notre entente. Ce matin-là devant la plage déserte, je regrettai surtout la force de notre audacieuse jeunesse.

En amont, la maisonnette en bois, une ancienne propriété des grands-parents de Mylène, résistait seule face aux usines. Masquée autrefois par des arbres fruitiers l’allée montait jusqu’à l’Eden de nos quinze ans. J’aperçus des machines et quelques bulldozers qui occupaient le terrain en friche.

Bientôt l’humble demeure ne serait plus qu’un monticule au milieu de nulle part. Un large panneau annonçait la mise en vente et la construction d’un futur lotissement. Je pris Kiki dans mes bras et quittai les lieux avant la pluie.

Le lendemain le soleil brilla de nouveau. Au détour de la rue, j’entrevis la mer. Elle se mouvait bleu pâle derrière les arbres et les immeubles du quartier. Je revenais le cœur léger, les bras chargés de provisions. Une lettre de la banque posée sur la table éteignit mon insouciance.

— Il n’y a rien d’autre ?

Assis sur le divan, mon père hocha la tête. Je descendis les marches pour rejoindre mon repaire au fond du jardin.

Seule dans la pièce aménagée en bureau, je lus rapidement le relevé bancaire. À la gare de Charing, Cross, Arno m’avait dit :

— On se retrouve dans une semaine.

Un mois venait de passer sans aucun courrier de sa part. Mon ami n’avait ni portable ni ordinateur.

La nuit précédente j’avais retrouvé la vidéo d’une musique que nous écoutions souvent au numéro 119, Balfe Street en compagnie de Shoan, David, Karin. J’allumai l’ordinateur pour m’imprégner des notes aimées. Puis le silence s’installa à peine troublé par le passage d’un train au-dessus de la maisonnette.

Le séjour londonien avait consolidé les liens qui m’unissaient à Arno. Au début de notre arrivée en Angleterre, il y eut tout d’abord les difficultés partagées avec courage puis l’ouverture de notre squat en accord avec Shoan, un Irlandais et deux jeunes Français venus à Londres pour enregistrer leur premier disque. Chaque couple avait sa chambre. À l’étage un compteur de gaz fonctionnait avec des pièces de monnaie. La maison était assez confortable. Le matin j’accompagnais Arno qui jouait de la guitare et chantait devant le flot ininterrompu des travailleurs qui défilaient robotiquement dans les couloirs du métro. Le soir devant la cheminée, Arno récitait des poèmes. Ouvrant le Yi-King, le livre de divination chinoise, j’interprétais volontiers les réponses obtenues par nos nouveaux amis et quelquefois je leur tirais les cartes du tarot de Marseille.

Au cœur de mon quotidien familial, ce vieux quartier londonien qui fut le témoin de notre expérience de vie en communauté, se teintait dans mon souvenir d’une aura précieuse. Il appartenait désormais à un épisode de mon existence à jamais révolu.

Il était midi. Je rangeai la lettre de la banque dans un tiroir jonché de poèmes et de chansons d’Arno. Un train de marchandises grondait. Parvenu au-dessus de ma tête, il fit trembler les vitres de la maison vide.

Avec l’été, les étrangers affluaient dans le camping situé à quelques mètres de chez mon père. Autrefois, ce même endroit était un marais qui s’étendait jusqu’à la mer située à quelques centaines de mètres. Était-ce la proximité de ce lieu inhabité qui exerça sur mes nuits d’enfant une angoisse indéfinissable, je ne saurais l’affirmer.

Adolescente j’ai traqué avec joie les têtards dans l’eau bleue de ses mares, fascinée par les aspics qui se prélassaient sur la vase. Certains soirs dans le ciel encore clair une chouette surgissait de la voie ferrée et partait dans sa direction.

— Qui se souviendrait de son vol lent et rythmé ?

Pensai-je en regardant les automobiles défiler en rang serré sur l’avenue. Une touriste, suivie de deux jeunes hommes vêtus de shorts, s’arrêta devant la grille. Elle cherchait un autobus.

L’un des campeurs avait de grands yeux clairs. Je lui adressai un sourire auquel il ne répondit pas. Le petit groupe s’éloigna. J’entendis leurs éclats de rire. Ils résonnèrent comme une gifle. Je m’ennuyais trop dans cette ville natale. Il me fallait fuir, vivre en pleine nature, peut-être… Arno de son côté avait dû quitter Londres. Le seul moyen de le joindre était d’appeler sa mère à Dinant en Belgique.

— Carole ! Comment vas-tu ? Je voulais justement te parler d’Arno.

Elle m’expliqua que son fils séjournait depuis quelques jours dans une petite ville des Ardennes chez une amie, une certaine Justine, « une fille très bien », ajouta-t-elle. Je notai les coordonnées de l’inconnue.

Déboussolée par cette nouvelle j’appelai ma mère dans l’île de Ré. Divorcée de mon père depuis plusieurs années, elle vivait avec son compagnon au Bois-Plage-en Ré. Elle tenta de me rassurer.

— Ce serait tellement mieux pour toi de te libérer enfin de cette relation ma chérie. En attendant n’aie aucune crainte, Arno t’aime toujours.

Ma mère n’était pas souvent d’accord avec moi. Le temps finissait toujours par lui donner raison en tout. Un an et demi auparavant, à mon retour de Barcelone, je lui avais caché ma relation avec Arno. À l’époque tout juste divorcée j’avais cru naïvement pouvoir m’installer là-bas et faire venir Ulysse mon fils âgé de 11 ans auprès de moi. J’étais revenue de cette expérience ratée accompagnée de mon nouvel ami nommé Arno. Pour éviter un traumatisme dans ma famille, celui-ci logea quelques jours à Niort chez Véronique, une amie.

Qui était-il ? Un vagabond, un bon musicien, un poète, un troubadour du 21e siècle, un mystique peut-être, étrangement plongé dans ses lectures du Nouveau Testament qu’il ne quittait jamais et dont certains passages étaient soulignés par ses marqueurs de couleurs rose, rouge, bleu, jaune ? Je ne le savais pas trop moi-même.

Notre rencontre eut lieu sur les Ramblas alors que je passais par-là accompagnée d’un copain niortais infirmier en psychiatrie. Serge était en vacances et m’avait rejoint depuis peu pour me soutenir dans mes premiers pas au cœur de cette cité énorme. Je domine la langue espagnole. J’avais surtout choisi Barcelone sur un coup de tête, influencée par une connaissance de mon ex-mari qui vantait toujours la ville la plus étrange au monde, celle qui permit à un architecte fou la construction d’une cathédrale inachevée.

J’avais aussi gardé le souvenir d’une lecture quelques années auparavant d’un ouvrage de Georges Orwell : « Hommage à la Catalogne » (1936. 1937). La description de l’atmosphère de liberté qui s’empara de Barcelone au moment où la révolution battait son plein m’avait agréablement impactée.

Je n’avais jamais vécu dans une capitale. Chaque jour qui passait dans la ville mythique m’indiquait que je n’y serais pas professeur de français. Mon regard était attiré par les saltimbanques et les personnages bizarres, excentriques qui depuis les Ramblas et tout au long de la promenade menant jusqu’au port, arboraient leur différence.

Trois mois s’étaient écoulés depuis mon départ de Niort. Le portable de mon ex-mari se bloquait mystérieusement quand j’essayais d’appeler Ulysse. L’absence de mon fils m’était devenue intolérable. Elle me clouait sur place en larmes à n’importe quel moment du jour. Le charme de cette vie nouvelle s’évanouissait et je voyais Barcelone implacable, tentaculaire. J’aurais aimé remonter le temps et fuir six mois en arrière vers mon hameau et la maison claire où Pierre fut mon mari.

Un matin je laissai dormir mon ami Serge. J’avais un rendez-vous au sujet d’un poste dans une école de langues. Mon ami m’avait inquiétée la veille par cette petite phrase :

— Carole, tu devrais soigner tes cheveux et tes ongles.

Je portais des cheveux longs en bonne santé et me douchais tous les jours pourtant. Serge avait peut-être raison. Mon apparence trop décontractée inspirerait-elle une directrice d’école à m’engager sur le champ ? Sur les boulevards où affluaient les automobiles, prise de peur, je n’ai pas osé entrer dans les bureaux. Je suis alors revenue sur mes pas en direction du « barrio gotico » pour retrouver mon lieu préféré de la cité, le parc de la « Ciudadela. »

À cette heure matinale, hormis des sans-abris qui dormaient dans les bosquets, les lieux étaient peu fréquentés. Je gravis rapidement un escalier majestueux pour m’installer sur un balcon de pierre au milieu des arbres.

Le son continu d’une cascade couvrait la rumeur de la ville. De la fontaine jaillissaient des sculptures d’hommes et de chevaux mêlés. Assise sur les marches j’ignorais ce que j’appris plus tard en lisant une biographie de Picasso. Ce dernier était resté de longs moments à dessiner le monument de ce parc.

Les heures s’écoulèrent ce matin-là m’éloignant définitivement de mon passé. Dans le ciel lumineux, des avions traçaient des sillons d’argent. Je m’inquiétais à juste titre et fumais pas mal à cette époque. Ulysse me manquait. C’était évident : il ne viendrait pas vivre avec moi à Barcelone, une mégapole qui n’était pas non plus faite pour moi. Il fallait que je rentre à Niort au plus vite. Tandis que la fontaine étincelait d’une myriade de gouttes transparentes et que les statues qui restaient de marbre se nimbaient de reflets irisés, ma décision fut prise.

Notre rencontre dans les jours qui suivirent avec Arno fut déterminante. Avant même qu’il nous adresse la parole sur les Ramblas, je remarquai l’intensité de son regard d’un vert pâle absolument exceptionnel. Il demanda une cigarette à Serge, un prétexte pour entamer une conversation en français, puis nous invita dans une maison que des personnes bienveillantes lui avaient prêtée pour quelques jours. Son originalité, sa fantaisie, son audace, celle d’un étranger qui ne connaissait pas la langue espagnole et encore moins le catalan forcèrent mon admiration.

Agité, dynamique, gracieux comme un natif des lieux qu’il connaissait comme sa poche, il nous entraîna Plaza Real. Il adressa la parole à un vieil arabe en train de jouer aux échecs avec ses compatriotes assis en cercle sur le macadam. Ce dernier lui rendit sa guitare qu’il avait gardée durant son absence et lui glissa un morceau de hasch dans sa poche en échange d’un petit billet de banque.

Je fus impressionnée. La vie pouvait donc être un jeu aussi. Arno était arrivé à Barcelone en même temps que moi, mais il avait déjà trouvé le moyen de se faire héberger par de nouveaux amis et de nouer une amitié avec un habitué de la Plaza Real, lieu que nous affectionnions aussi Serge et moi.

Devant la maison située aux abords de la capitale, au centre d’un petit village de montagne nommé « La Planas », nous avons garé l’automobile et rangé nos bagages avec soulagement. Nos nuits passées dans les hôtels bon marché du « Barrio Gotico » venaient de prendre fin.

Arno évoquait beaucoup sa mère, une personne modeste qui venait de lui envoyer un virement pour le dépanner momentanément. Il en parlait comme d’un être fantastique et déjà je construisais au sujet de cet inconnu, un personnage attirant par le simple fait qu’un homme puisse employer des termes aussi élogieux envers sa mère. J’étais lasse et je laissais Arno et Serge discuter en visionnant des vidéos de chanteurs.

Depuis mon lit je les entendis converser. La voix d’Arno, son rire, ses réflexions profondes sur les textes de certains chanteurs français, tout m’enchanta. Le lendemain matin je me trouvai seule en face de notre hôte. Il s’approcha et me baisa la main à la manière du personnage de Barry Lindon qui, dans le film de Stanley Kubrik, séduit Marisa Berenson. Il n’y avait pas les notes de Schubert pour immortaliser cet instant. Ma main était glacée. J’étais angoissée. Je songeais surtout à mon retour en France, penaude, sans avoir réussi mon plan de professeur de français à l’étranger. Serge s’était absenté avec la voiture.

Nous avons donc décidé de faire un tour tous les deux, à pied dans le village. En quelques heures, au bout d’un jour et une nuit et à la grande déception de Serge, je décidai qu’Arno serait mon partenaire. Nous avions compris lui comme moi que notre recherche d’une vie différente concordait totalement.