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Assis confortablement dans votre fauteuil, laissez-vous emporter dans le monde d’Emeline. Elle était là. Lui était à côté…s’ouvre alors une réflexion sur leurs attentes, leurs priorités et peut-être les vôtres.
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Seitenzahl: 116
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Nathalie HUMILIERE
NUAGES
Elle était là, dans cet endroit qu’elle affectionnait tout particulièrement. Elle était apaisée. Ici, tous les brouhahas de la vie quotidienne, toutes les turpitudes n’avaient pas de prise. Ici c’était son havre de paix. Elle aimait y aller depuis son enfance. Chaque saison avait son charme, ses parfums, ses couleurs. Elle était là, assise sur une souche, adossée contre un rocher et regardait ce qu’elle appelait le spectacle de la nature : le ciel certes, mais aussi les violettes des bois qui donnaient à la prairie verdoyante une luminosité particulière, des feuilles mortes, quoiqu’elle préférât parler de feuilles rousses, qui jonchaient encore le sol. Les arbres étaient encore nus : sans leur robe verte, ils laissaient deviner le ciel bleu et ses nuages. En ce début du printemps, chacun sortait timidement de chez soi : quelques rares moineaux lui avaient organisé un concert. Ne plus entendre les bruits des multiples véhicules, mais écouter la symphonie mélodieuse de la multitude d’oiseaux l’enchantait à chaque fois. Elle adorait humer les odeurs de cette toute petite clairière perdue dans les bois près de chez ses grands-parents. Elle fermait les yeux comme pour mieux respirer les odeurs : le parfum de la mousse sur le rocher et le tronc, celui de l’air pur si particulier au début du printemps. Elle fermait les yeux comme pour mieux écouter les bruits : les oiseaux, les branches qui craquent, le petit écureuil qu’elle a aperçu tout à l’heure marchant dans les feuilles mortes, la petite brise qui siffle au milieu des branches des arbres. Elle fermait les yeux. Tournée vers le ciel, les bras le long de son corps, les paumes de ses mains effleuraient quelque chose de doux, la mousse encore un peu humide de la rosée du matin. Tous ses sens étaient en éveil. Elle sentit alors un rayon de soleil lui caresser son visage. C’était un moment agréable, empli de chaleur. Elle aurait voulu que cet instant dure une éternité : n’était-ce pas cela le bonheur ? C’était simple, mais elle était bien. Elle ne pensait à rien. Elle voulait juste reposer son corps et son esprit, profiter de cette tranquillité qui s’offrait à elle. C’est alors qu’elle devina une ombre qui atténuait la chaleur du soleil, mais cela ne dura qu’un instant… et puis elle eut une étrange sensation, comme une présence. Elle eut la sensation qu’une main frôlait la sienne. Elle tourna la tête : elle le devina, assis à côté d’elle, le regard bienveillant.
–Que faites-vous ?
–J’observe les nuages. Ils sont fascinants. Ils m’ont toujours subjuguée.
–Ah ! Pourtant vous aviez les yeux fermés !
–Oui, là je profitais de la chaleur du rayon de soleil !
–Vous vous intéressez aux nuages parce que vous êtes météorologue ?
Elle éclata derire…
–Moi ? Absolument pas. Je n’y connais rien. À part cumulonimbus, strato-quelque chose, je sèche…
–Effectivement !
–Vous savez, on peut regarder les nuages autrement que scientifiquement. Leur nom ne m’intéresse pas et je crois qu’ils n’en ont pas grand-chose à faire non plus… Ils voguent ! J’aime les observer. Ils sont si différents : je ne parlerai pas des gros gris imposants… ceux-là ne m’emballent pas parce qu’ils m’évoquent la colère, la tristesse, mais peut-être qu’à vous ils vous parlent. Moi j’aime ce qui est petit. Voyez ceux là-bas : on dirait des morceaux de coton. Ils paraissent doux ! Je m’y installerais bien !!! Et les autres là-bas, ils forment un voile et à côté il y en a des tout petits : et voyez ils s’effacent, comme par magie. Rien de plus éphémère qu’un ensemble de nuages. On a l’impression qu’ils se déplacent lentement vers la droite et pourtant quelques instants après ce ne sont pas tout à fait les mêmes. Le temps ne semble pas défiler aussi vite que dans la vraie vie. On est tellement pressé ! Là, en les regardant, on a l’impression que le temps s’arrête, que tout est légèreté ! Faites le test : vous fermez les yeux 5 minutes, vous verrez autre chose ! Vous avez mémorisé le ciel ?
–Oui, je crois !
–Que voyez-vous ?
–Un nuage assez gros à gauche, fin au milieu et presque rectangulaire à droite.
–Ah bon ? Je me demande si on regarde la même chose !!!! Moi je vois le traîneau du père Noël. Bon, je sais, ce n’est pas la saison… mais vous voyez les rennes à droite avec leur bois et à gauche le traîneau ! Oh ! il vient de perdre un cadeau !!!
–Mais c’est vrai, ça ! Maintenant que vous le dites…
–Bon, prêt ?
–Oui !
–Alorsgo !
Ils étaient assis dans la clairière, adossés à un rocher, les yeux fermés, rivés vers leciel.
Elle respirait tranquillement, essayant de se détendre, de tenir tous ses sens en éveil…
Le temps était comme suspendu. Quelques minutes plus tard, elle ouvrit les yeux. Le spectacle était différent.
–Alors ?
–Impressionnant ! Je n’avais jamais regardé le ciel ainsi.
–Que voyez-vous maintenant ?
–Euh… un rond et à côté une accolade…
–Ouh là là ! Il y a du travail : c’est la petite sirène sur le rocher. Il va falloir apprendre à regarder : vous verrez, vous aurez l’impression de voyager ! Et puis, les nuages, c’est tellement reposant. Ils bougent, mais ne font pas de bruit,
–Euh… sauf quand il y a de l’orage !
–C’est vrai ! Mais avouez que la plupart du temps ils ne font pas de bruit : ils dansent avec grâce, dessinent : vous pouvez y voir des ours, des girafes… Ce sont de vrais artistes, mais insaisissables. Si vous ne les regardez pas scientifiquement, mais avec votre cœur, vous y verrez ce que vous voulez. Il faut juste prendre le temps, ouvrir grand les yeux et se laisser bercer. L’autre jour, ils formaient des ondulations. On aurait dit la mer et ses vaguelettes. Tout un spectacle… si on laisse aller son imagination, si on aime la nature. Mais au fait, cela fait longtemps que vous êteslà ?
–Un petit moment… mais vous aviez la tête dans les nuages !
Il esquissait un sourire en la regardant, content de son jeu de mots !
Elle lui sourit en retour. C’est vrai. Elle n’avait pas vu le temps passer.
Il avait tout laissé tomber. Il fallait qu’il la rejoigne. Il était souvent abattu, résigné, mais certains jours, comme aujourd’hui, il avait de l’énergie, des envies, de la bonne humeur à lui transmettre. Dans ces moments-là, il voulait absolument être auprès d’elle, même s’il savait qu’elle avait besoin de calme, de repos, de tranquillité. Alors il attendait. Il lui fallait trouver le bon moment et aller la chercher là où elle était, bien cachée. Il lui faudrait trouver les bons mots. Il lui faudrait l’apprivoiser, la réapprivoiser, elle qui aimait tant la nature sauvage. Il savait que ce serait long… est-ce que ce sera un parcours du combattant ou un pèlerinage ? Il ne savait pas trop encore ce qui l’attendait. Mais il lui faudrait de la patience, c’est sûr, de la douceur, c’est certain, mais surtout ouvrir les yeux sur ce qui était important. VRAIMENT important.
Il l’avait retrouvée. Elle était là, immobile, les yeux fermés, regardant vers le haut. Une petite brise s’était levée. Le soleil brillait. Il s’approcha d’elle. Il vit le mouvement de ses paupières… sans doute parce qu’il cachait le soleil. Il s’assit près d’elle et lui prit la main. Il devina un mouvement de la tête. Il lui souffla alors « Bonjour ma douce aimée ».
Puis il regarda dehors. En ce début du printemps, le soleil brillait. Quelques nuages animaient le ciel bleu. Son regard fut attiré par l’un d’eux. On aurait dit un arbre, à dire vrai il ressemblait étrangement au vieux chêne près de chez sa grand-mère. Il ne savait pas pourquoi ou comment il avait fait cette association.
« Tu te souviens du vieux chêne près de chez mamie ? » Il eut un petit sourire. « Tu sais, celui sous lequel on s’était réfugié quand on a été pris par surprise par la pluie ! Enfin, par surprise, pas vraiment ! On n’avait pas voulu écouter mamie qui nous l’avait prédit ! On était resté combien de temps là ? On ne voulait pas rentrer trempés… et lui donner raison !!!! Il était au milieu d’un champ. C’était vraiment beau à regarder : un petit point vert au milieu d’une zone d’un rouge éclatant. Le coquelicot est une de tes fleurs préférées : tu le trouves à la fois majestueux et si fragile avec sa longue tige frêle, ses pétales. ». Son visage s’éclaircissait à la pensée de cet instant. Son esprit vagabondait… « Ah… ! Mais pourquoi je te parle de ça ? Ah oui ! Figure-toi que je viens de voir un nuage qui lui ressemblait étrangement. Est-ce notre pensée qui guide notre imagination ou l’inverse ? Maintenant il a disparu ! Tu te souviens des mers de nuages qui recouvraient la vallée du Daim : c’était fabuleux ! On avait l’impression d’être dans le ciel au-dessus des nuages. Le paysage semblait alors si différent ! Tellement magique ! » Son regard semblait perdu dans les nuages… ses pensées ailleurs, comme si un film que l’on ne voyait pas se déroulait sans sa tête. Soudain il parut préoccupé. Le visage sombre, il ferma les paupières. Lorsqu’il les ouvrit, les larmes coulèrent sur ses joues. Il la regarda. Il voulait lui parler, mais sa gorge était serrée. « Cela fait combien de temps que j’ai arrêté de regarder ainsi ? Cela fait combien de temps que j’ai perdu mon âme d’enfant ? Cela fait combien de temps qu’on ne s’est pas posé tous les deux puis avec les enfants à admirer la nature, à lâcher notre imagination à raconter des histoires à dormir debout et qui finissaient toujours par des fous rires !!!!!! Apprendre à regarder… »
–Vous voyagez en train parfois ?
–Oui, ça m’arrive. Pourquoi ?
–Et que faites-vous dans un train ?
–Moi, je suis plutôt du genre à écrire mes mails !
–Ah, fit-elle un peu déçue. Quand je suis assise dans un train, j’aime regarder les gens, deviner leur histoire, leur parcours, deviner ce qu’ils écrivent sur leur ordinateur, où ils vont. Non pas par curiosité, mais pour mettre du lien… nous sommes tous dans le même wagon et pourtant, on ne se parle pas, on ne se regarde pas. Je me suis toujours demandé où allaient tous ces gens en train, en voiture… Vont-ils au travail, chez un proche ? Sont-ils en vacances, en déplacement professionnel ? Mais chacun est concentré sur son livre, son téléphone, son ordinateur. Personne ne regarde ailleurs que ses affaires. C’est pourtant si amusant de s’imaginer les vies des personnes autour de soi, leur personnalité, parfois leur métier en les regardant sourire, répondre au téléphone… On est ensemble dans ce wagon et pourtant chacun est seul, occupé. Les gens m’ont toujours fascinée. En regardant les voitures passer quand j’étais petite, je me demandais où ils allaient. Qui sont-ils ? Des collégiens, des amis, une famille ? J’aime aussi regarder les maisons, les façades des immeubles… imaginer l’agencement, les meubles, le quotidien des habitants. J’aimerais pouvoir sonner, leur parler, nouer un contact, connaître l’histoire de leur maison, pourquoi elle a été construite là, si c’est une maison de famille. Les maisons renferment aussi des histoires, parfois de belles histoires et parfois des plus tristes. J’aime aussi regarder le paysage : le gros chêne au milieu du pré : combien a-t-il vu de couples s’embrasser, adossés à leur tronc ? J’aime imaginer les chemins avant qu’ils ne deviennent route, les gens circulant sur ce chemin pour aller au village tout proche. Comment était la vie, dans ce village, avec sa petite église, son épicerie et son bar ? Les gens se parlaient, se connaissaient. Mais là, dans le wagon, tout le monde est occupé. Surtout ne pas lever les yeux, ne pas croiser un regard. Les gens sont focalisés le plus souvent sur leur téléphone, connectés aux réseaux sociaux : on peut avoir des milliers d’amis ou de relations et ne pas arriver à voir les gens qui nous entourent ! C’est fou, non ? On peut aimer des posts, regarder des tas de vidéos, mais on ne sait pas aimer le chant si particulier des rouges-queues noirs, le vol si délicat d’une libellule…
–Apprendre à regarder, c’estça ?
–Apprendre à regarder, mais surtout apprendre à aimer, aimer les choses simples, aimer la nature et être présent.
–Présent ?
–Oui… quand vous êtes sur votre téléphone, vous êtes avec la personne avec qui vous discutez, bref vous n’êtes pas vraiment là où vous êtes… donc pas attentif…
–Mais c’est la même chose quand vous lisez un bon roman,non ?
–Oui et non… oui parce que quand vous êtes plongé dedans, vous ne voyez pas ce qui se passe à côté. Et non parce que vous n’êtes pas connectés à quelqu’un ailleurs. Quand vous lisez une histoire, c’est votre imagination qui fait le travail ; vous êtes avec vous-même engros…