Nul ne sait ce que nous réserve le passé - Rémy Jedynak - E-Book

Nul ne sait ce que nous réserve le passé E-Book

Rémy Jedynak

0,0

Beschreibung

La mort sublime tout, l’amour comme la haine.
Nul ne sait ce que nous réserve le passé est une histoire d’amour pleine de rose tendre et repeinte en rouge vif, un chassé-croisé amoureux, sentimental et mortel.
Dans le chaos de la guerre, ils sont copains, presque frères et tous deux la veulent. Entre ses deux amis, lequel choisira-t-elle ? La disparition de l’un suffira-t-elle à combler l’autre ? Pourtant, il faut bien qu’un jour les comptes se règlent, même si la paix est rétablie. Pour démêler cet écheveau, l’inspecteur Rabbit, qui n’a peur ni des mots ni des hommes, ne sortira, pas plus que les autres, indemne de cette aventure.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Avec cet ouvrage, Rémy Jedynak nous plonge au cœur des années 40 et de l’occupation allemande lorsqu’héroïsme et lâcheté se côtoyaient. Il emmène le lecteur dans les travers psychologiques de la nature humaine pendant cette période révélatrice de la complexité des comportements où amour, haine et vengeance sont à l’origine d’une intrigue policière surprenante. Cette saga se prolonge dans les années 50, tant il est vrai que le passé marque toujours le futur de son empreinte.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 322

Veröffentlichungsjahr: 2023

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.


Ähnliche


Rémy Jedynak

Nul ne sait

ce que nous réserve le passé

Roman

© Lys Bleu Éditions – Rémy Jedynak

ISBN : 979-10-377-7737-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À l’adolescent qu’on a été, à ses exigences,

ses intransigeances et son besoin d’absolu.

Le combat est une nécessité en toute chose contre soi comme contre les autres.

Résurrection

Il hésitait à traverser l’avenue. Non pas parce qu’il avait peur ! À 30 ans, on lui avait appris depuis longtemps à le faire sans angoisse particulière.

Il était indécis à cause du type sur le trottoir d’en face qui attendait lui aussi pour traverser et qu’il connaissait bien pour l’avoir fréquenté pendant longtemps et même avoir été presque comme son frère.

Il recula dans l’ombre d’un tilleul pour qu’il ne puisse être vu, parce que leur passé commun avait quand même laissé de sacrées traces, de celles dont on dit qu’elles ne s’effacent jamais. Ils s’étaient connus dès l’enfance, mais ce qui s’était passé entre eux, l’un ne le savait pas et l’autre n’était pas près de l’oublier.

Ce n’était pas possible que ce soit lui. Il ne pouvait imaginer son retour incognito après tout ce temps passé, dans leur ville natale, pour déambuler les mains dans les poches, comme si de rien n’était, après ce qui était arrivé. On aurait forcément parlé de ce héros local dans les journaux et lui, Julien, le maire, en aurait été un des premiers informés. L’autre aurait même eu droit aux honneurs organisés par la municipalité. Après tout, les années de guerre n’étaient pas si éloignées que ça et encore présentes dans toutes les mémoires.

C’est vrai que la ressemblance était frappante : même belle gueule avec des sourcils fins sous une chevelure brune ondulée, même carrure athlétique, même silhouette mince et souple, même assurance dans un regard d’aigle qui, malgré la distance, en imposait. Mais il y avait un hic, car il y a toujours un hic puisque rien n’est parfait : c’était que l’autre se ressemblait trop, c’est-à-dire qu’il ressemblait trop au jeune homme qu’il avait connu il y a longtemps, comme s’il n’avait pas changé et que le temps n’avait laissé aucune trace sur son visage ni son corps. C’était une véritable copie conforme, un parfait copier-coller. Trop c’est trop. On vieillit tous, mais personne ne vieillit sans changer, ne serait-ce qu’un peu. C’était juste impossible.

Il paraît que nous avons tous un sosie dans le monde, même toi et moi. Voilà, ça devait être ça, un simple sosie que le hasard malicieux s’était ingénié à amener dans la ville, une ressemblance singulière. Il ne croyait pas aux fantômes ressurgis du passé et toute cette histoire lui paraissait complètement invraisemblable.

Alors, devait-il le dévisager droit dans les yeux pour se rassurer ? Lorsqu’ils traversèrent, leurs regards se croisèrent, se fixèrent, se pénétrèrent, s’affrontèrent jusqu’à ce que l’un prenne possession de l’autre. Un simple incident de domination entre deux hommes comme cela arrive chaque jour à pied ou dans le métro. À ce jeu parfois dangereux, Julien se soumit le premier en baissant les yeux.

L’autre n’avait-il pas voulu lui parler pour le laisser dans l’incertitude ou ne se connaissaient-ils réellement pas ? Il eut envie de le suivre discrètement pour savoir qui il était exactement et en avoir le cœur net. Son inquiétude augmentait avec son incertitude croissante. Cet homme, il l’avait aimé, mais il l’avait haï de tout son cœur aussi. L’amour et la haine sont les deux fruits d’un même arbre.

Il n’était plus sûr de rien. Il le regarda s’éloigner d’un pas assuré vers le centre-ville sans voir le sourire ironique et satisfait que l’autre affichait sur son visage. Au fur et à mesure que sa silhouette diminuait, sa raison et son assurance reprenaient le dessus, comme si sa disparition à l’horizon effaçait cette rencontre. Chacun se rassure comme il peut !

D’ailleurs, ce ne pouvait pas être lui puisqu’il était mort depuis quatre ans.

Une histoire polonaise

Daniel était le fils d’un immigré polonais né en 1894 près de Cracovie dans une vallée tout aussi verte qu’elle était pauvre. Devancé par d’illustres prédécesseurs comme Chopin ou Marie Curie, son père n’était arrivé qu’en 1920 pour aider au redressement de la France et surtout pour mieux nourrir sa famille, à une époque où le pays avait besoin de bras pour travailler dans les mines de charbon. Il s’installa dans le nord, vers Lille, avant de venir travailler dans les houillères plus au sud où il fonda une famille après la rencontre d’une jeune fille, une Française bon teint de Haute-Loire, qui fit de Daniel un excellent français.

Stanislas, ce père qu’il adorait, partait blanc le matin et rentrait noir le soir. Pas noir d’alcool, mais de poussières de charbon. Autour de son regard brillant de fatigue, ses cils et sourcils étaient noirs aussi, comme ceux d’une putain trop maquillée, même si ses ongles restaient parfois en deuil. Il ne donnait sa tendresse de père poule à ses enfants qu’une fois sa toilette faite et les étreignait alors dans ses bras puissants, lui et son jeune frère Alban, jusqu’à leur couper le souffle tant il les aimait, même si par pudeur il ne le leur disait pas. Les jours de paie, il posait avec lassitude les quelques billets dont on lui avait fait l’aumône sur la nappe cirée de la table, comme une offrande insuffisante à sa famille. Il savait que sa pauvreté serait sans fin et se sacrifiait pour que ses enfants suivent des études et aient une vie meilleure. Le dimanche matin, il jouait avec ses deux fils dans la fanfare de l’amicale laïque de leur quartier : Daniel soufflait dans un saxophone et les deux autres dans des clarinettes. De rares après-midi, il emmenait sa petite famille dans une petite auberge pas chère manger le saucisson, l’omelette et la friture.

Après avoir obtenu son brevet élémentaire, ce qui était déjà méritoire, compte tenu de son milieu social modeste, Daniel changea de lycée en septembre 1939, juste avant le début de la Deuxième Guerre mondiale, avec l’invasion de la Pologne, alliée de la France et de l’Angleterre, quand Chamberlain disparaissait dans les brumes de Munich. C’était peu avant que les horloges françaises soient mises à l’heure allemande, que les drapeaux à croix gammée flottent sur tous les édifices publics et qu’Hitler pose pour la photo au pied de la tour Eiffel.

Drôle de guerre en vérité, mais aussi drôle d’armistice en juin 1940 et drôle de semblant de paix où deux parties de la population s’affrontaient. Au lycée comme ailleurs, il y avait les pour, ceux qui défendaient la signature de l’armistice et la collaboration, et les contre, ceux qui voulaient poursuivre le combat contre l’Allemagne nazie, d’où une ambiance exécrable dans les salles de classe, mais pas seulement. Entre deux cours, la pause était souvent l’occasion de discussions véhémentes qui dégénéraient en bousculades voire en bagarres de coqs. L’adolescence ne connaît pas de compromis entre les extrêmes.

Plus les jours et les mois passaient, plus les idéologies s’exacerbaient, moins les mots suffisaient et plus Daniel ressentait le besoin d’action. D’ailleurs, ceux de l’autre camp ne manquaient pas de lui dire que, s’il avait tellement envie d’en découdre avec les Allemands, rien ne l’empêchait de prendre les armes contre eux. Impulsif, Daniel n’était pas homme à courber l’échine et avait la fierté chatouilleuse. Surtout, il pensait lui aussi que le temps des parlottes était révolu et qu’un autre était venu : les mots peuvent mentir, pas les actes. Il faut assumer ses convictions. Toujours. Même si on est tout seul à avoir raison.

La première réunion eut lieu dans une cabane isolée, au printemps 1941, où ils se retrouvèrent à sept et pas un de plus, six garçons et une fille, tous âgés de 17 à 19 ans. C’était leur premier véritable acte de résistance.

Assis autour de la table, ils écoutaient le silence. Qui parlerait le premier ? Pour dire quoi ? Car enfin il ne s’agissait plus d’élaborer des théories fumeuses ou de disserter sur des idéologies. Des mots aux actes, il y a un précipice. Il fallait du concret avec des choses faisables, c’est-à-dire pas trop compliquées et qu’ils auraient le courage d’exécuter sans faire marche arrière au dernier moment.

Le silence s’éternisait et ils lisaient leur peur dans le regard des autres, chacun étant conscient de la gravité du moment. Daniel fut le premier à le rompre.

— Voilà, dit-il, puisque nous avons tous décidé de passer à l’action, il va falloir redoubler de prudence. Plus question de faire état de nos idées politiques ni de nos opinions sur les Allemands, de nos rencontres et encore moins de ce qui se dit ici. Plus question d’échanger entre nous autre chose que des banalités et encore plus avec les copains de classe. Plus d’invectives ni de bagarres, mais une prudence permanente sur ce que nous disons ou faisons. D’accord ?

Fort de l’assentiment de chacun, il poursuivit :

— Nous nous connaissons tous et nous ne pouvons donc cloisonner notre réseau de façon étanche, comme la prudence le recommanderait pour que la police ne puisse remonter de l’un à l’autre. C’est trop tard. Cela veut dire que si l’un d’entre nous se fait prendre, nous serons tous en danger et s’il parle, sous la contrainte ou pas, nous serons tous capturés et certainement torturés. Je demande donc à chacun d’en être conscient et de réfléchir à ce qu’il pense être ses propres limites. Pas question de s’engager sur un coup de tête ou une envie de jouer les héros. Tout ça pour vous dire que si l’un d’entre nous veut faire marche arrière et renoncer, c’est maintenant ou jamais. Personne n’aura le droit de le lui reprocher, car je préfère quelqu’un qui nous abandonne maintenant à quelqu’un qui nous trahira plus tard. Par contre, une fois que nous nous serons décidés, il n’y aura plus d’hésitations possibles. J’espère que nous serons tous là la prochaine fois.

Ils parlèrent ensuite de leur avenir parce qu’ils pensaient en avoir un.

À la réunion suivante, ils n’étaient plus que six dont cinq garçons.

Outre Daniel, il y avait là Joseph, un brun jovial, élancé et costaud, soucieux de son élégance. Grande gueule, il ne faisait jamais dans la demi-mesure, assumant avec force ses convictions. Il ne craignait pas les discussions véhémentes et n’hésitait pas à faire le coup de poing si nécessaire. Une belle cicatrice sur son front en témoignait. Un garçon au demeurant sympathique et enjoué, amoureux de la vie et de Mado qui adorait faire la fête et s’enthousiasmait facilement.

Jacques, un garçon un peu gauche au visage blême, réservé et plus suiveur que suivi, malgré tout assez content de sa personne. Ses rapports fusionnels avec sa mère, connus de tous, faisaient souvent l’objet de petites railleries qui l’agaçaient au plus haut point, surtout vis-à-vis de Mado à qui, comme Jo, il faisait les yeux doux. Il était reconnu pour son humour décapant et grinçant qui mettait parfois mal à l’aise son auditoire qui ne savait pas toujours si ses réflexions étaient à prendre au premier ou au deuxième degré. Tout ceci accentué par un tic nerveux qui lui faisait parfois froncer les sourcils comme s’il réfléchissait intensément.

Madeleine, dite Mado, une brune sensuelle dont la gentillesse n’avait d’égal que le charme indéniable. À 18 ans, féministe avant l’heure, elle se voulait libre et conquérante, vivant un conflit permanent avec ses parents, membres influents de la bourgeoisie locale bien-pensante. Elle prenait un malin plaisir à développer ses idées avant-gardistes et progressistes à la table familiale. Très proche de Daniel malgré leur différence de milieu social, elle était la seule fille du groupe, ce qu’elle vivait avec une certaine volupté. L’argent de poche dont elle bénéficiait lui permettait d’approvisionner le groupe en tabac et en alcools divers. Jo et Jacques étaient amoureux d’elle, mais elle l’était de Daniel, de tout son être et depuis longtemps. Ainsi va la vie faite de non-réciprocité.

Robert, un blond aux lèvres sensuelles, aux yeux bleu clair et au visage encore juvénile. Discret, réfléchi et courtois, il ne manquait pas de personnalité, mais semblait habiter par un vague à l’âme empreint de romantisme. Excellent élève, il se destinait à la médecine et aimait aussi s’essayer à la poésie, non sans talent d’ailleurs. N’empêche qu’il savait se faire écouter par son entourage et son avis au sein du groupe était souvent déterminant.

Gilbert, le manuel de la bande, grand amateur de sports mécaniques et de football. Toujours en tenue négligée, son côté casse-cou lui valait l’admiration des filles et la jalousie des garçons. Élevé par ses grands-parents, pêcheur dans l’âme, il jouissait d’une grande liberté et rêvait déjà de voyages au bout du monde et d’exploration de terres inconnues.

Tous avaient en commun la rage de chasser de France l’occupant allemand.

Au premier tour de table, chacun donna son avis sur ce qu’il convenait de faire. Ils étaient d’accord sur la finalité de leur présence, mais leurs stratégies divergeaient sur les actions à entreprendre. D’aucuns voulaient frapper fort dès le départ et parlaient de descendre du boche parce qu’il n’y a pas de mal à tuer des tueurs. D’autres s’orientaient plutôt vers des sabotages. À partir de deux, il est difficile de faire l’unanimité. Daniel avait quant à lui sa petite idée qui consistait à se rapprocher d’un réseau naissant, mais déjà existant. Il leur exposa son projet qui avait pour avantage à la fois de pallier leur inexpérience et de leur fournir une organisation structurée ainsi que des armes, chose indispensable. Tous se rallièrent à cette proposition et c’est ainsi que Daniel se positionna naturellement comme chef de leur petit groupe sans vraiment mesurer l’immensité de sa responsabilité ni même vraiment la gravité de son engagement.

Restait à établir le contact avec la résistance qui se profilait peu à peu. Bien sûr, Daniel ne prononça aucun nom, mais il pensait fortement à son ami Julien dont le discours anti-collaborationniste était connu, même s’il ne s’affichait pas comme résistant.

Quelques heures plus tard, il se pointa chez lui et commença par échanger des banalités du quotidien avant d’amener la conversation sur le sujet qui l’intéressait, ce qui n’était pas très difficile à une époque où les gens ne parlaient que de l’occupation et du marché noir, de l’Angleterre et des débuts balbutiants de la résistance, des camps de prisonniers et de la politique de Pétain. Il parla ainsi avec enthousiasme et la fougue de ses 18 ans des partisans qui s’organisaient peu à peu et de son admiration pour ces types qui n’hésitaient pas à risquer leur vie ainsi que de son adhésion totale à leurs convictions. Il dit combien il était prêt à les aider dans la mesure de ses moyens et à quel point, avec quelques amis, ils aimeraient en être.

Julien se contenta de lâcher : « Tu parles trop, beaucoup trop », qui déconcerta Daniel, puis lui demanda des nouvelles de sa famille.

Lorsqu’il sortit, Daniel se dit que, s’il voulait entrer dans l’action, il allait devoir chercher ailleurs…

Il n’empêche qu’une semaine plus tard, sans doute après avoir réfléchi et s’être renseigné, Julien revint voir Daniel chez lui et lui confia qu’il pouvait l’intégrer à un réseau de résistance. Bien sûr, il s’agirait de missions simples, mais, quelles qu’elles soient, toutes avaient leur importance et étaient dangereuses. Daniel ne serait en relation qu’avec Julien et inversement, de manière à ce que tous ignorent les noms des autres camarades qu’ils ne pourraient ainsi divulguer même sous la contrainte. On ne peut dire ce qu’on ignore.

Daniel et les siens s’adaptèrent sans problèmes, car, entre eux et les résistants, il y avait le même idéal. Ils poursuivaient le même but et partageaient les mêmes valeurs. Ils s’adaptèrent à leurs nouvelles vies et apprirent à se connaître, à être prudents, à simuler en se méfiant de tout et de tous, à ne pas parler à tort et à travers et à se protéger les uns les autres lorsqu’ils étaient en opération.

La première mission que leur confia Julien ne présentait pas de difficulté a priori sauf à ne pas se faire prendre. Elle consistait à réveiller les consciences contre les occupants où le régime de vichy et c’est ce qu’ils firent en crevant de trouille, l’un guettant les importuns ou les chleus et les autres collant, à la tombée de la nuit, avant le couvre-feu de 22 heures. À la moindre alerte, ils s’égaillaient comme des piafs s’envolant dans toutes les directions comme ils en étaient convenus. L’imprudence n’est pas du courage. Vaincre l’appréhension et la peur n’est pas chose évidente et pourtant, ils finirent tous par mieux les maîtriser, ce qui ne signifie pas qu’elles avaient disparu. Au fil des semaines, leurs appels à la résistance se multipliaient souvent sous forme d’affiches qui fleurissaient sur les murs de la ville, de tracts jetés à la volée de leur bicyclette ou de papillons collés sur les réverbères sans qu’ils soient autrement inquiétés. Ces succès des premiers mois ne firent que les encourager dans cette voie, avec toujours plus d’assurance. C’est pourtant quand la confiance gagne que le danger s’accroît.

Ils redoutaient surtout la Feldgendarmerie où les hirondelles, policiers français ainsi nommés parce qu’ils patrouillaient toujours par deux sur leurs bicyclettes. Ce sont eux qui surgirent de la grande rue principale ce soir-là, d’abord ombres silencieuses que Daniel ne vit que lorsqu’il était trop tard pour permettre aux autres de se cacher, même si les deux coups de sifflet qu’il donna suffirent pour faire s’enfuir ses troupes qui abandonnèrent pots de colle et pinceaux. Juchés sur leurs vélos, les deux policiers pédalaient en danseuse, debout sur leurs machines pour aller plus vite et les rattraper. Pourquoi concentrèrent-ils leurs efforts sur Madeleine ? Peut-être parce qu’ils jugèrent qu’une fille serait plus facile à rattraper et à maîtriser que les garçons ou simple hasard. Les sentant se rapprocher, Mado eut l’inspiration de s’engouffrer dans une traboule qui, elle le savait, se terminait par des escaliers qui forceraient bien ses poursuivants à descendre de leurs engins.

Arrivée en haut des marches, elle se retourna, comme ça, pour voir où ils en étaient. Leurs bicyclettes gisaient à terre et les deux flics étaient debout, les gueules noires de leurs armes pointées sur elle. Elle ne sut pas laquelle l’avait touchée, mais elle s’entendit crier. Elle s’effondra, tombée sous une balle française, un comble.

***

Mado leur manquait plus que jamais, même si elle n’avait jamais été aussi présente, du moins par la pensée. Daniel l’avait vue s’effondrer et avait assisté de loin aux constatations de la police en même temps qu’elle était prise en charge par une ambulance. Ce que nul ne savait, c’est si elle se dirigeait vers l’hôpital ou vers la morgue.

Réunis dans leur chambre, leurs pensées convergeaient vers celle devenue en quelque sorte leur égérie, avec ses yeux en amande hérités d’un ancêtre japonais et son sourire énigmatique de Joconde asiatique.

Joseph pensait à Mado en se disant qu’il n’avait même pas eu le temps de lui dire combien il était amoureux d’elle, qu’il voulait l’épouser et lui faire plein d’enfants. Pourquoi autant ? Il ne le savait pas lui-même à moins que la grandeur de son amour soit proportionnelle à leur nombre. Ça faisait partie d’un tout. Toujours est-il qu’il se voyait vieillir avec elle, entourés d’une nuée de gosses braillards et mal élevés. Dire qu’elle ne le saurait sans doute jamais. Comme tout un chacun dans ce cas, il était persuadé que si elle était morte, il ne pourrait plus aimer personne.

Robert était homosexuel, juif et communiste, mélange détonnant dont il ignorait les proportions et l’ordre d’importance dans lequel il devait les citer. Ce cumul constituait en tout cas une triple culpabilité pour les Allemands qui l’auraient volontiers fusillé trois fois sans aucune hésitation. Il était aussi courageux, très, et pensait à Mado et aux moyens de la libérer… enfin si elle était encore vivante. C’était peut-être réalisable si elle se trouvait encore aux mains de la police française, car après, chez les boches, ce serait trop tard. Quitte à commettre un attentat, autant le perpétrer contre un commissariat. Pour cela, il faudrait obtenir des renseignements, mais ils n’avaient aucun contact dans la police, pas plus qu’ils n’en avaient avec leur propre réseau, la filière s’arrêtant à Daniel qui se refusait obstinément à parler de Julien. Ce simple constat lui fit prendre conscience de leur isolement et de l’étendue de leur solitude.

Jacques pensait à la belle Mado et à son amour platonique. Il avait eu la frousse ce soir-là, mais rétrospectivement, c’est pour lui qu’il avait peur. Cette sueur qui perlait, ces mains qui tremblaient, c’était sa trouille à lui de se trouver un jour à la place de la jeune fille, arrêté et interrogé. Être confronté à la réalité, c’était une tout autre affaire. La seule idée qu’il puisse être pris l’épouvantait. Déjà, tout enfant, la moindre menace le terrorisait et il abandonnait toute fierté pour éviter les coups et être épargné : c’est dire s’il savait qu’il ne résisterait pas aux ongles arrachés, à l’eau dans la baignoire et autres espiègleries qui amusaient tant la gestapo.

Il avait peur d’avoir peur. Davantage que la mort, il redoutait plus que tout la souffrance physique imposée par les tortionnaires. La seule idée de supplice le terrorisait et il s’angoissait sur son comportement et sa résistance à la douleur s’il était capturé. Il vivait cette contradiction de savoir qu’il pourrait mourir pour défendre son idéal, ce qui ne signifiait pas qu’il était prêt à supporter des sévices sans parler et dire ce qu’il savait.

Il avait trop envie de vivre et de renoncer à coller des affiches le soir avec tous les risques que ça comportait. Mais était-il encore libre de faire son choix maintenant qu’il s’était engagé ? Il décida d’en parler à Daniel pour savoir ce qu’il lui conseillerait de faire. Après tout, c’est lui qui avait abordé la question lors de la première réunion.

Gilbert l’aventurier, résolument insouciant, essayait d’insuffler son optimisme naturel à ses camarades en assurant que Mado, si elle n’était pas morte, ne parlerait pas, même sous les sévices. Tout autant que les autres, il s’en voulait de ne pas avoir su la protéger et aurait volontiers donné sa vie dans la plus pure tradition des héros romantiques. Il ignorait que son destin était déjà scellé et que son avenir était à court terme.

Daniel pensait à Mado. Dire qu’il y a encore quelques heures, ils discutaient ensemble, elle si présente, enjouée et riante, tellement vivante. Ils s’étaient connus à l’école primaire et leur amitié ne s’était jamais démentie, tournant même en une solide complicité pour lui et en un amour infini de sa part à elle. De plus, ils avaient à peu près les mêmes sensibilités politiques ce qui ne gâchait rien.

Son arrestation avait eu une conséquence inattendue sur Jacques qui était venu le trouver pour lui parler de sa crainte de la douleur et lui demander de les quitter, une sorte de permis de ne pas souffrir. Quelle idée ! Comme s’ils n’avaient pas tous une frousse terrible de la torture s’ils étaient pris, lui le premier. La peur n’est pas une ignominie en soi, mais la vaincre est le signe du courage. De toute façon, on ne décide pas d’être courageux ou lâche et ce n’est qu’après avoir vécu le pire que l’on connaît ses limites à la souffrance. Héros ou traître, c’est selon, mais de toute façon il faut être un homme et avoir des couilles pour risquer l’enfer de la gestapo. À Jacques de voir s’il en avait ou pas.

Daniel revoyait sans cesse l’image de Mado s’effondrant sous les balles françaises sans qu’il puisse intervenir en aucune manière. Aurait-il dû être armé comme il l’avait envisagé un moment avant d’aller poser les affiches ? S’il l’avait été, son tir aurait à coup sûr empêché les hirondelles de poursuivre et d’abattre sa camarade.

Il songeait avec amertume au revolver que son père détenait dans sa chambre, un luger semblable à ceux qui équipaient l’armée allemande et qu’il n’avait jamais osé prendre. Il ne connaissait pas sa provenance, mais se doutait bien qu’il ne s’agissait pas d’un cadeau d’un soldat de la Wehrmacht. Hélas Stanislas, son père, n’était plus là pour lui raconter, lui qui avait été l’un des meneurs des débrayages et des grèves perlées pour ralentir la production avant la mobilisation massive des mineurs. En temps de guerre, cela ne pardonne pas et la réaction de la police française n’avait pas tardé, suppléée ensuite par la Feldgendarmerie qui avait procédé à des dizaines d’arrestations et de déportations. France, terre de liberté. Déporté à Drancy, Stanislas s’en était allé dans un monde, paraît-il, meilleur, emportant avec lui les secrets de sa jeunesse polonaise et ses rêves d’immigré.

Daniel décida que plus jamais il ne sortirait sans arme.

Une autre idée le tourmentait, celle du sort de Madeleine. Qu’était-elle devenue ? Avait-elle été tuée ? Était-elle encore vivante ? Indemne ou blessée ? Gravement ou pas ? Ces questions le hantaient et faisaient de ses nuits un cauchemar, car il s’interrogeait sur leur devenir.

Loin de souhaiter la mort de Mado, il savait que, si elle était vivante, elle pourrait, sous la contrainte, livrer leurs noms à ses tortionnaires.

Vint le temps des réponses.

De la peur de tous naît, sous la tyrannie,

la lâcheté du plus grand nombre

Trois coups frappés à une porte, en pleine nuit c’est inquiétant.

Trois coups frappés à ta porte, la nuit en temps de guerre, c’est angoissant.

Trois coups frappés avec le poing à ma porte, la nuit, en temps de guerre et une voix qui hurle « Police allemande ouvrez ! Schnell » c’est complètement terrorisant.

À l’intérieur, Daniel Griatzy s’apprêtait à se mettre torse nu pour faire sa toilette dans une bassine d’eau fumante posée dans l’évier. Il se figea sous les yeux de sa mère qui, une main posée à plat sur sa poitrine, retenait son souffle en lui faisant signe de passer par la fenêtre du rez-de-chaussée.

C’est ce qu’il commença à faire en enfilant son blouson avant de revenir sur ses pas pour l’embrasser en la serrant très fort contre lui. Il ne vit pas les larmes qui coulaient de ses yeux, car s’il ne lui avait rien dit de ses activités clandestines contre l’occupant, il y a longtemps qu’elle avait tout compris. Les mères sentent ces choses-là, mais seuls les enfants savent ce qu’ils cherchent. Ensuite, devenus adolescents, ils cessent de demander d’où ils viennent, mais ne disent plus où ils vont.

À peine la fenêtre enjambée, Daniel tomba dans les bras de l’autre, posté là, dans son uniforme vert de gris, pour empêcher sa fuite éventuelle. Deux corps qui s’agrippent et roulent au sol pour que l’un des deux survive. Il y a des moments où l’instinct animal l’emporte et Daniel sortit le couteau qui ne le quittait plus désormais, étonné lui-même de la facilité avec laquelle la lame s’enfonçait dans la gorge du boche. Juste une lutte acharnée, mais sourde, sans un cri, pour le premier homme qu’il tuait.

Daniel se releva et observa le corps de son ennemi, inerte et égorgé à ses pieds avec du sang qui continuait à gicler par saccades. Un premier meurtre est comme un premier amour, c’est pour la vie. Une image qui ne le quitterait plus. Des premières fois, il n’y en a qu’une. Tournant les talons, il se mit à courir dans la fraîcheur de la nuit, laissant derrière lui les voix gutturales des policiers allemands gueuler dans la maison. Plusieurs rafales de mitraillette furent tirées au loin dans sa direction. Mentalement, il ne put s’empêcher de demander pardon à sa mère pour ce qu’elle supportait par sa faute, mais il savait depuis le début que ce qui venait de se passer arriverait forcément. Il songea aussi à son père qui, il en était certain, devait être fier de lui d’où il était. Lorsque, essoufflé, il s’accorda une halte, il regarda, hébété, ses mains ensanglantées, des mains de tueur. Il allait être recherché pour meurtre d’un soldat allemand et s’il était pris, il savait déjà que la sentence de mort serait prononcée. Non seulement la Feldgendarmerie et la Gestapo seraient à ses trousses, mais aussi la police française et il trouvait cela encore plus dégueulasse d’être poursuivi par les siens pour la mort d’un ennemi qu’il avait tué en temps de guerre. Tout ça chez lui, en France, dans son pays, dans sa patrie. Dire qu’il y a peu de temps encore, sur le front, on l’aurait félicité pour cet acte de courage, décoré même peut-être. Certains poteaux d’exécution sont honorifiques, d’autres infamants et pourtant ce sont les mêmes. Comme quoi, entre un héros ou un traître, il n’y a parfois que quelques opinions de différence.

Il n’y a pas de résistance collective

sans solidarité

Bon, sauter par la fenêtre, d’accord. Tuer un occupant allemand, il ne pouvait faire autrement. S’enfuir à toutes jambes jusqu’à perdre haleine, bien sûr. Il n’avait pas le choix. L’obscurité était sa complice, les ruelles son refuge. Il ralentit pour ne pas se faire remarquer par les patrouilles, puis marcha jusqu’à un cinéma où il pénétra avant de s’effondrer dans un fauteuil de velours rouge en milieu de la rangée pour ne pas être vu, au cas où. Des gens s’agitaient en noir et blanc sur l’écran. Il adorait ce cinoche de quartier qui appartenait à la paroisse, pour son atmosphère vieillotte si particulière avec ses fauteuils de velours grenat et son odeur indéfinissable. Petit à petit, il reprenait ses esprits en même temps que son souffle. Du coup, ses cellules grises se remettaient à fonctionner dans les bonnes cases.

L’arrivée intempestive des boches chez lui semblait un signe évident que Mado était bien vivante, car il avait beau chercher, personne d’autre qu’elle n’aurait pu le dénoncer aux Allemands. La Mado qu’il connaissait et qu’il chérissait, l’amie des jours heureux, venait de devenir Mado la traîtresse.

Et la lumière fut… et avec elle trois soldats schleus qui envahirent la salle en gueulant sortie verboten, un à l’entrée avec sa mitraillette et un de chaque côté qui scrutaient les visages de chaque rangée et demandaient leurs papiers à certains, toujours des hommes seuls. Daniel sut ce qu’éprouvait un animal pris dans une souricière, l’envie de se lever et de prendre ses jambes à son cou vers une issue de secours, tel un cerf poursuivi par une meute. Taïaut, taïaut, taïaut ! Autant dire sa mort assurée. Il se força à rester scotché à son siège. Les toilettes ? Peut-être y avait-il une fenêtre pour s’échapper ? Peut-être n’y en avait-il pas ? Même en supposant que ses jambes acceptent de le porter sans courir jusqu’aux w.c., ce qui n’était pas gagné, le simple fait de se lever attirerait leur attention. Paniqué, fébrile, il se tourna vers ses voisins à la recherche d’une aide hypothétique. À sa gauche un homme, à sa droite une femme. Il regardait les soldats, elle le dévisageait, lui. Il la fixa dans les yeux et son regard devait exprimer toute la peur et la détresse du monde. Elle l’embrassa sur les lèvres au moment où la lampe torche du Feldgendarme remontait sa rangée avant de s’attarder, quelques secondes, sur leur couple. Elle releva la tête et regarda en direction de l’Allemand, avec ses grands yeux étonnés, puis referma ses bras autour du cou de Daniel qui posa sa tête au creux de son épaule, son ultime recours. Le faisceau de la lampe poursuivit son chemin vers d’autres visages, d’autres inquiétudes. Il n’osait bouger, bien à l’abri de cette épaule protectrice, de ce havre de paix dans ce monde de guerre. Les frisés sortirent enfin, emmenant un homme, Dieu sait pourquoi, mais l’important était que ce ne soit pas lui. La lâcheté prend parfois des formes inattendues. Il redressa la tête à la découverte de ce visage salvateur. Elle devait être un peu plus âgée que lui et le fixait en souriant. En cet instant précis, il aimait ce visage, il aimait cette bouche protectrice et il aurait voulu lui exprimer toute sa gratitude, tout ce débordement d’amour et de reconnaissance qui le submergeait. Il lui dit merci. Tout bêtement merci, parce qu’il ne trouva rien d’autre de plus expressif ou de plus intelligent à lui dire. Il lui dit ça du bout des lèvres en espérant qu’elle l’entendrait du bout du cœur. Elle était son repos du guerrier et murmura :

— File avant qu’ils ne reviennent.

Ils ne se reverraient pas. Il ne l’oublierait jamais, cette inconnue qui avait pris des risques inouïs et à qui il ne devait rien moins que la vie.

En sortant de la salle, il en était encore tout tremblant, tout plein d’envie de retourner la voir pour mieux lui expliquer ce qu’il ressentait au fond de lui qui ne pourrait jamais lui rendre ce qu’elle lui avait donné. Il reprit sa route avec mille précautions, pensant tout à coup aux autres qui étaient autant en danger que lui si Mado avait lâché prise. Pas de doute, il fallait qu’il les prévienne, mais était-il encore temps ?

Il lui vint une pensée incongrue. C’étaitla première fois qu’il allait au ciné sans regarder le titre du film, mais, de toute façon, cela n’avait aucune importance puisqu’il n’en avait rien vu et se trouvait incapable d’en raconter ni l’histoire ni la fin. En tout cas, jamais plus il n’entrerait dans un cinéma sans penser à cette fille dont il ne connaissait même pas le prénom, ce dont il se sentait inexplicablement frustré.

L’idée lui revint, obsédante, que s’il avait été dénoncé, les autres étaient tout aussi en danger que lui. Il se remit à courir, conscient de l’urgence qu’il y avait à prévenir ses camarades. Une nuit d’encre protégeait temporairement son destin.

Il les trouva chez eux un par un, Jacques, Robert et Joseph, tous bien présents. Tous, sauf Gilbert qui venait d’être arrêté. Mado la traîtresse ! Ils n’y pouvaient croire, mais l’évidence est l’évidence et les Allemands n’étaient pas venus par hasard. Daniel ne savait plus Mado parce qu’elle était autre et il avait horreur de ça. Dans l’incertitude où ils étaient sur ce qu’avait pu avouer ou pas leur copine, ils n’avaient plus droit de cité dans leur ville et il leur fallut bien convenir que, pour leur sécurité, ils devaient s’évanouir dans la nature. Direction le maquis.

En permanence sur le qui-vive, se déplaçant de nuit, après bien des alertes, se cachant dans les fourrés à la moindre menace, ils rejoignirent sur les hauts plateaux un noyau de résistants qui s’étaient regroupés dans quelques fermes abandonnées juchées à plus de mille mètres d’altitude. Daniel arriva en tête suivi des trois autres, dont Jacques, le volontaire, un peu par la force des choses.

C’est là qu’il eut la surprise de retrouver Julien. Mais d’où sortait-il celui-là ? Oui de la ferme bien sûr, mais que foutait-il là ?

— C’est gentil d’être passé nous voir, dit Julien. Puis pivotant vers les trois autres : vous ne me connaissez pas, mais moi si… enfin je sais ce que vous avez fait.

— C’est mon ami Julien, expliqua Daniel, et mon contact avec le réseau, celui dont je n’ai jamais voulu vous livrer le nom.

— Je suis aussi le chef des partisans.

— Partisans de quoi et de qui ?

— Partisans de la vie contre les partisans de la mort. Partisans d’une France libérée du nazisme et du joug fasciste, du bruit des bottes allemandes, de l’ordre en kaki et de la gestapo, partisans de l’égalité des citoyens, riches ou pauvres, intellectuels ou manuels, juifs ou arabes. Des groupes identiques ont été mis en place sur presque tout le territoire. On m’a demandé de prendre la tête de celui d’ici. Les volontaires ne se bousculent pas encore pour nous rejoindre, mais on est quand même vingt-deux et certains nous sont précieux. Par exemple, l’un parle allemand couramment et sans accent. On a aussi un chimiste et un ancien militaire qui nous sont bien utiles pour le maniement des armes et des explosifs. Nous nous structurons peu à peu.

Plusieurs d’entre eux ont combattu pendant la guerre d’Espagne dans les brigades internationales contre Franco et sont des experts rompus aux techniques de guérilla. Ce sont de vrais chiens de guerre.

— Comment le sais-tu ?

— Parce qu’ils sont toujours vivants. Ils sont revenus sur leurs deux jambes et ce n’était pas donné à tout le monde. Depuis que nous sommes ici, j’ai eu l’occasion de les voir à l’œuvre et ce n’est pas rien ! On peut compter sur eux.

Daniel avait terriblement faim. Ses trois camarades aussi n’avaient rien mangé depuis deux jours. Mais comment dire son appétit quand on vous parle de liberté et d’égalité ?

— Et vous arrivez à vous faire ravitailler ? tenta-t-il.

— Surtout par les paysans du cru avec lesquels nous avons noué des liens d’amitié et qui nous fournissent lard, œufs, volailles et même du fromage. L’un d’entre eux fait partie de notre groupe ce qui facilite bien les choses. Un peu aussi par Michèle, une jeune fille chargée en plus de la transmission des messages et qui vient une fois par mois à vélo avec du ravitaillement et des directives du QG. Mais vous, comment êtes-vous arrivés jusqu’ici ? Au fait, je constate que Mado et Gilbert ne sont pas avec vous, hein ?

— Non. Mado a été capturée depuis plus d’une semaine par les frisés et on a même cru qu’elle avait été abattue, mais elle est toujours vivante puisque c’est elle qui nous a dénoncés. C’est même pour ça que nous sommes venus nous réfugier ici.

— Es-tu certain que c’est elle ?

— Qui alors ?

— Les autres ont-ils été inquiétés eux aussi ?

— Ils n’ont pas attendu que les boches viennent les cueillir pour s’enfuir dès que je les ai prévenus. Il n’y a que pour Gilbert que je suis arrivé trop tard. Il a été arrêté.

— La police m’en dira plus.

— La police ?