On dit… ou démolition - Guy Aymard - E-Book

On dit… ou démolition E-Book

Guy Aymard

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Beschreibung

Dans une bourgade inconnue, une jeune femme est retrouvée sans vie dans un parc latéral de la ville. La police enquête et se laisse abuser par la haine des habitants envers un mauvais garçon du cru. De fragiles preuves sont réunies et l’inculpé écope de 10 ans d’enfermement. Pourtant, un jour, à l’article de la mort, quelqu’un d’autre avoue être le vrai coupable…

À PROPOS DE L'AUTEUR

C’est à la naissance de ses petits enfants que Guy Aymard s’est mis à l’écriture. Il compte à son actif seize romans et s’est également essayé à la poésie (mille vers). Ses récits sont inspirés de ses expériences d'ancien militaire, de ses jugements. Ils sont également le fruit de ses nombreuses lectures, sans cesse à la recherche des plus beaux textes.

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Guy Aymard

On dit… ou démolition

Roman

© Lys Bleu Éditions – Guy Aymard

ISBN : 979-10-377-1690-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À la justice

Du même auteur

- La splendeur assassinée Tome 1, Ed. Sekhmet, 1999
- Napoléonidas / Bicentenaire de l’empire, Ed. Sekhmet, 2002
- L’arc d’alliance/roman des âges oubliés, 7écrit, 2007
- Le secret/roman du terroir, Éd. Persée, 2009
- Le cygne de la foi/roman biblique, 7écrit,, 2013
- Ank le marcheur/roman des origines, 7écrit, 2013
- Comitissa/Roman Historique, 7écrit, 2013
- Lettre ouverte d’un naïf à Mr le Président de la République, Edilivre, 2013
- Sel fin sur la loi salique, 7écrit, 2013.

Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé ne serait que pure coïncidence.

« Ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force. »

Pascal

Avant-propos

ON: pronom indéfini, très proche cependant du pronom personnel auquel il se substitue dans l’idée tacite de laisser la porte ouverte à un doute sur l’acteur, à une accusation non formulée, à une calomnie, à l’assouvissement d’une vengeance ou la marque d’une incompatibilité d’humeur, en bref, à des dires, à des menées pas très glorieuses. Si l’on veut signaler qu’une personne est belle, est bonne, le « on » est rarement utilisé. Cela peut se dire sans languir en évitant le risque d’être assigné au tribunal ou défiguré par un coup de poing mérité ou non.

Le « on » est l’instrument des lâches, des bavards, des commères. Même si parfois on s’en sert honorablement pour écourter une phrase, parler de quelque chose dont on ne connaît pas les spécificités, il demeure l’outil préféré de la rumeur, du téléphone arabe, ainsi que cela se disait autrefois. Bien souvent, il se précise : « on dit », « on prétend », « on suppose », « on croit » ; j’ai donné ces exemples par ordre de fréquence et d’impact ou de nuisance !

Le « on » utilisé à bon escient, à l’instant requis, peut se transformer en pilori, en menottes aux poignets, en réquisitoire virulent, en mise au ban de la société, sinon à la peine de partition comme au label d’ostracisme imprimé au front de la victime cueillie à froid. Lancé sous forme de jeu par des personnages ne jouant que rarement, sinon avec la tête des autres, il peut atteindre, ce ON intempestif, des prétentions assorties d’une puissance de compromission inexorable, et dont nul justicier ne pourra plus amoindrir la force d’impact.

Le pronom, ON, tant qu’il est indéfini, reste, dirais-je, au stade d’incubation, phonème de la conversation courante. Sa nocivité, à ce stade, est peu perceptible. D’ailleurs, sa nocivité procède habituellement avec un air de ne pas y toucher. « Un puéril qui grogne, apostrophe, insinue ». Veillez bien, cependant, à ce qu’il se cantonne à la voisine de palier, de marché, ou plus prosaïquement encore, aux membres de votre propre famille ! Ne le faites pas exploser aux oreilles d’un policier en mal de prévenus ou peinant à la résolution d’une enquête. Aussitôt défini, il ne mettra pas longtemps à se personnifier et à s’incarner sur l’idiot du village ou la tête de Turc propriétaires d’un faciès peu apprécié et d’un alibi boiteux, fantaisiste, emberlificoté, facile à récuser. La plupart des argousins ne vont pas se triturer les méninges à la mise en conformité d’une affaire leur gâchant leurs jours et même leurs nuits s’ils ont à leur portée, offert, le « suspect idéal » pas trop rétif ni redoutable. Ces bonnes poires de coupables dûment incapables de remous toujours préjudiciables à l’avancement et, un jour, à la jouissance d’une retraite bien gagnée dans son carré de laitues, si ce n’est à l’obtention du ruban bleu de l’Ordre national du mérite. Un statut de notabilité communale riche de virtualités !

Tu vois que tout se tient et qu’il est périlleux de déroger, de venir d’ailleurs ; mieux vaut arborer une bonne bouille de bon Français de souche qui sait ce qu’il dit sans s’emmêler les pinceaux. Alors, insinuer, prétendre, faire celui à qui justement on ne la fait pas, semer des « ON » comme blés en novembre, mais négligemment, sans en avoir l’air… Quelle volupté ! ON DIT !

L’affaire

Le bourg, gros matou couché d’Hondizet-en-Rhues, s’étale paresseusement dans ses préalpes bosselées de protubérances calcaires mais verdoyantes. Un cirque de collines ferme le paysage à l’est, de moyenne altitude et de végétation épineuse. L’agglomération n’est pas une île bien que la Rhue haute et la Rhue basse l’entourent avant de se rejoindre à l’extrémité ouest du bourg ; elle aurait plutôt pu prétendre au statut de presqu’île, encore que nul ne s’en souciât.

Ville tranquille s’il en est, elle s’éveillait dans le calme et s’endormait dans la sérénité, à moins que quelques jeunes ne descendent dans la rue agiter des banderoles contre la guerre d’Algérie, opérant, bon an mal an, une ou deux ponctions dans leurs rangs. Cette conjoncture mise à part, les habitants vivaient en paix chez eux et tranquillisés dans leurs déplacements. Peu d’usines, seuls quelques ateliers fournissaient l’emploi que requéraient les besoins des ressortissants en âge heureux de travailler. Chacun pouvait dire ce qu’il voulait, la ville évoluait dans une onde de bonheur et le journal local n’avait pas grand-chose à nous mettre sous la dent, hormis les manifestations sportives et les accidents d’automobile, au reste, pas très nombreux. Un vrai coin de restauration des santés compromises sous d’autres cieux pour les représentants de l’ordre public ! Tous se battaient pour s’y faire muter et pour y rester.

Ce matin-là, comme il en avait pris l’habitude, Hubert Jouvant, le commissaire de police, avait laissé de l’ouvrage à ses hommes pour aller boire son blanc invariable au café de l’esplanade, chez Raymond, le bistroquet sympa, et où se retrouvaient, à onze heures juste, les notables de quelque importance. Prétexte à commenter les événements en même temps qu’on les apprenait ! Le patron avait le mot pour rire et ne chassait jamais les imprudents ayant eu le tort d’abuser de cette liqueur si cordiale que produisent les coteaux de Die, sorte de clairette sans le titre. La patronne, Georgette, lorsque Raymond s’absentait pour ses convenances personnelles, toujours confidentielles, prenait les guides avec une identique bonne humeur. Je vous l’ai dit : un coin pour attendre la retraite avec une confiance inébranlable.

— Alors, commissaire ! Combien de gangsters arrêtés ? s’enquit Raymond en le voyant entrer de son pas nonchalant plus fait pour rejoindre en catimini le bar de l’esplanade que pour piquer un cent mètres derrière un malfrat en forme.

— Nos concitoyens sont des gens raisonnables et sensés. Pourquoi s’exposer à la prison en s’appropriant difficultueusement les économies de son voisin ? Bien mal acquis ne profite jamais.

C’était son mot : « difficultueusement », une manière à lui de surenchérir sur « difficilement », adverbe qu’il prononçait d’ailleurs avec componction.

— En effet ! Et ceux de l’extérieur, les vrais de vrais, les durs à cuire du soufflant, ne trouveraient guère la fortune, en déduisant leurs frais de déplacement, à vider les coffres villageois de nos deux banques.

Les deux, le policier négligemment engabardiné de beige sur un vieux complet délavé et sommé d’un chapeau passé, et le patron aux manches retroussées et le gilet autrefois vert, avaient entre eux des atomes crochus. Il est toujours utile de se ménager des ouvertures parmi les policiers et de vivre en bons termes avec un tenancier rempli d’urbanité à cent cinquante mètres du commissariat. Leur apparence présentait pourtant des différences profondes. Hubert était du genre échalas ou du chou monté en graine, un sempiternel cigare, les trois quarts du temps éteint, pendu aux lèvres ou coincé droit entre ses incisives, l’obligeant à un rictus inquiétant pour ceux qui le voyaient pour la première fois. Raymond exhibait un physique de tonnelier et un faciès fleuri de bon vivant. Il ne fumait jamais, car « cela donne le cancer », disait-il, réservant sa vitalité pour les bons coups retirés au chiffre d’affaires, sinon offerts par la clientèle reconnaissante. « Cela se fait », précisait-il.

— Par moments, l’envie me vient de souhaiter qu’il se passe quelque chose de gratiné à Hondizet-en-Rhues. Oh, pas un crime, non ! mais une affaire de fesses qui tournerait au vinaigre ! sortit d’un coup le commissaire au terme de cinq minutes pensives dans le silence d’un tête-à-tête avec son blanc, recueillement qu’avait respecté le tenancier. ce n’est pas tant pour moi, mais nous nous encroûtons au bureau et mes adjoints auraient besoin d’autre chose que de remplir des papiers à longueur de journée et d’aller houspiller les contrevenants à l’Algérie française.

Une rumeur de désaveu naquit spontanément dans la salle et Raymond crut licite d’objecter :

— Ne nous portez pas malheur, commissaire ! Les histoires de fesses peuvent se passer chez n’importe qui.

— Pas chez moi, je suis seul ! et les rencontres que je peux me permettre, par principe sacré, ne durent jamais bien longtemps ; j’y mets le mot fin avant qu’elles deviennent difficultueuses à gérer. C’est un mode de vie qui me va, Raymond. Un satisfecit aux us et coutumes de mon être.

La clientèle était tout ouïe à ces paroles prônant de facto la disharmonie des couples et la liberté de se payer une rincette quand l’envie vous prend à la gorge. Une sorte d’existentialisme ! Ou de molinisme ! En fait, elle n’en savait rien, mais applaudit le philosophe qui aplanissait les difficultés pour ne point avoir à les affronter. Beaucoup parmi ceux qui se trouvaient là devaient inventer des trucs pas possibles pour siroter leur larmichette chez Raymond.

— Georgette ne me gêne guère. Elle a sa liberté, j’ai la mienne et mon lit est chaud le soir en me couchant, se mit à expliquer l’hôte sur le mode immanent d’une autre forme de philosophie non moins respectable : un rendu pour un prêté. Ou un donnant-donnant délicat !

Hubert baissa le nez et se tut un instant, l’œil plongé dans la citrine de son verre.

— Un équilibre est à découvrir pour chacun et, une fois cet équilibre arrêté, nous devons nous y tenir, statua-t-il sans qu’il soit flagrant qu’il n’enviait pas un tantinet la fortune et les compromissions flexueuses de Raymond et Georgette.

Cet échange coup pour coup avait eu comme résultat d’amuïr momentanément les caquets habituels et les brèves de comptoir de ce petit cercle dopé quoi qu’il en dise et songeur quoiqu’il n’en dise rien. Le commissaire ralluma le cigare, sur lequel il avait oublié de tirer, pour se donner une contenance et la flatteuse impression qu’il avait eu le dernier mot et maîtrisait la situation.

Puis, chacun parla du temps qu’il faisait, un temps doux d’automne doré, d’octobre finissant, une journée de retour sur soi, de reprises en main avant les désagréments attendus de la bourrasque et du gel. Là, chacun avait sa phrase prête ou son dicton hérité d’un de cujus avisé qui lui servait d’ancêtre. L’ambiance redevint coutumière dans ce genre de lieu : un face à face morne avec son verre que l’on fait durer pour rester au chaud (les radins) ou écluse prestement en en commandant un second (les goujats). Rien de bien extraordinaire en cette confrontation élaborée en rite ! L’oraison fervente durait généralement jusqu’à midi moins le quart, l’heure sacrée où la moitié laborieuse du couple allait sonner le signal des agapes, ou des grimaces. À ne pas manquer sous peine de représailles savantes !

Quelqu’un entra en coup de vent : Jules Leteux, le sous-fifre d’Hubert, qui le repéra à sa table solitaire et vers qui il se précipita après un « bonjour » furtif à l’honorable compagnie. Il avait le poil hérissé, la mine importante sur une cravate et un blouson ajustés à la va-vite. Néanmoins, y ayant de la confidentialité dans l’air, il se pencha vers son chef pour assener la nouvelle, sotto voce :

— Commissaire, un cadavre vient d’être découvert près du confluent : une femme !

Hubert, des yeux, fit le tour de la salle. Ils étaient tous à l’écoute s’ils n’avaient pas tout compris et en inféraient des événements d’inhabituelle conséquence. D’un geste décidé, il se coiffa de son bitos passablement cabossé, déplia non sans mal ses jambes longilignes et se mit en demeure de courir où le devoir l’appelait.

— Je crois que j’ai prononcé des mots dépassant ma pensée, marmonna-t-il à Raymond et aux autres spectres statufiés par cette sortie impromptue.

Les grands platanes du cours, ainsi que des âmes en peine, laissaient pleuvoir leurs feuilles roussies sur les pavés où les pieds s’enfonçaient avec un crépitement mélancolique et disgracieux.

— Un trop beau jour pour mourir ! soliloqua Hubert, l’œil arpentant le soleil encore tiède.

***

Le deuxième adjoint étant déjà sur place, Hubert prit le volant de la 203 du service en lançant à Jules :

— Préviens le légiste et qu’il me retrouve là-bas.

— Je l’ai fait avant de vous appeler, le prévint celui-ci. En revanche, pour aviser le procureur, il vaut mieux attendre les premières constatations du médecin. S’il s’agissait d’un suicide ?

— Bien pensé, Jules, le félicita son chef.

Les deux rivières se rejoignaient à l’ouest du bourg en un lieu agréablement arboré de saules et de peupliers. La mairie y avait fait installer une demi-douzaine de bancs afin de ménager aux habitants un espace de promenade et de repos à la fraîcheur des eaux et des arbres. Ce n’était pas rare d’y rencontrer des amoureux occupés surtout d’eux-mêmes et des retraités tuant le temps à coups de souvenirs. On venait d’y tuer, mais ce n’était pas le but : on y avait serré, mais ce n’était pas par amour. Il fallait le confirmer, promptement. À l’arrivée du commissaire Jouvant, plusieurs personnes occupaient les lieux. D’abord, le médecin légiste de l’hôpital, penché sur le cadavre, le second adjoint d’Hubert maniant un appareil photo, un certain Sosthène Fabregas, plus quelques stagiaires interdisant l’approche aux personnes non habilitées. Ils fouillèrent les alentours du drame en écartant la végétation. En priorité, divers véhicules de service étaient garés sur les bords de la voie d’accès. Peu de monde encore !

Ayant distribué quelques salutations, Hubert se pencha sur le corps en partie caché dans la verdure. Il avait vraisemblablement été traîné au but évident de le dérober à la vue des promeneurs encore nombreux à cette époque. Pourtant, point de traces de ce déplacement. Le sol était jonché de feuilles mortes où le sillage eût été visible à moins que le vent et de nouvelles feuilles ne les eussent recouvertes. De plus, un homme de robustesse normale avait pu porter le corps. Il gisait sur le côté, le visage sur le bras droit étendu et le gauche naturellement plié à hauteur de ceinture. Les vêtements, du reste assez légers, avaient souffert et montraient des traces de lutte et des déchirures. La poitrine était découverte ainsi que jambes et cuisses, le slip se trouvait à la hauteur des genoux. Rien, a priori, n’accréditait la présomption d’un suicide.

— Docteur, qu’en pensez-vous ? demanda le commissaire Jouvant au prestataire requis par l’hôpital, le docteur Émile guérini.

— À première vue, le crime ne fait aucun doute. Elle porte des marques de strangulation très nettes. La mort remonte à plus de vingt-quatre heures. Le viol n’est pas avéré, mais j’en saurai davantage après l’examen légal. Si les photos sont terminées, nous allons pouvoir l’emporter, commissaire.

Pas d’égratignures visibles sur les bras, les jambes, les seins, le visage ! S’il y en avait eu, ce devait être sur le corps de l’agresseur pendant les soubresauts consécutifs à l’étouffement, lequel impliquait une attaque soudaine avec le désir bien tranché d’en finir. La jeune femme était belle, même décolorée par sa lividité cadavérique. Elle était dans tout le rayonnement de sa jeunesse, dévoilait environ vingt-cinq ans, brune, les yeux noirs ouverts sur leur éternité de cauchemar. Quel gâchis ! pensa Jouvant, révulsé.

— Sosthène, le ratissage n’a rien apporté ?

— Pas encore ! nous continuons en nous élargissant selon des cercles concentriques, puis nous recommencerons. Un bouton, un bijou, un briquet ne sont pas facilement repérables dans les feuilles. Des débris de tissus non plus !

— Prenez le temps qu’il vous faut, mais que rien ne soit oublié.

— D’accord ! nous reviendrons demain si nécessaire.

— Encore une question, s’il te plaît ! N’avez-vous découvert aucun papier sur elle ? Sinon, cela rendra l’identification plus difficultueuse.

— Là, commissaire, je vous rassure. La jeune fille est connue. Je l’ai rencontrée plusieurs fois avec Jules. Elle fréquente assidûment les bals, les soirées, arpente le cours et visite les boutiques du centre-ville. Elle a des moyens. Son nom est Laurence Martini. Elle est employée à l’agence immobilière Lazard, rue des Ferblantiers. Je la considérais comme une fille gentille, pas snob pour deux ronds. On me l’a également décrite comme sans bégueulerie, aimant les hommes jeunes privilégiés par un physique attrayant et dotés d’arguments avantageux. Il se peut que ce soit cette propension au plaisir libre qui l’a perdue.

La description était sans failles. L’enquête pouvait donc commencer par les membres de son bureau. Jules ajouterait peut-être des éléments que Sosthène ne savait pas, ou avait oubliés. Jouvant alla prendre Jules Leteux au commissariat et ils se retrouvèrent peu après devant la vitrine Lazard. Une personne se trouvait derrière, étudiant des fiches et des photos.

— La patronne est partie faire visiter une maison. Que désirez-vous, commissaire ? s’enquit l’employé sur la présentation de la carte de police.

— Nous recherchons Laurence Martini. Travaille-t-elle bien ici ? rusa Hubert.

L’employé avait pâli, légèrement, certes ! mais pâli incontestablement. Sa réponse tarda un peu à cette question des plus anodine.

— C’est vrai qu’elle travaille ici ; je ne l’ai pas vue depuis deux jours ; toutefois, hier était notre mercredi de fermeture. Revenez lorsque la directrice sera de retour. Nous pouvons vous prévenir.

— Au préalable, dites-nous ce que vous savez d’elle ! s’enquit Jouvant.

— Elle est une sympathique collègue de travail avec qui, parfois, il m’est arrivé de sortir en boîte ou en promenade, avoua l’employé en écartant ses dossiers.

— Êtes-vous allé chez elle ? reprit l’inspecteur Leteux, s’acharnant, tel un cocker, sur ce premier os.

— Non ! Mais à quoi consistent toutes ces questions, je ne suis point son ange gardien. Au reste, elle n’en a nul besoin et sait fort bien se défendre seule.

Ce garçon est manifestement sur la défensive, pensa Hubert, et laisse deviner des rapports tendus avec cette Laurence, voire des espérances écroulées, bafouées.

— Prévenez-nous dès que Madame Lazard sera revenue. Sans faute ! j’y compte.

Ils s’éclipsèrent. À ce stade, ils n’avaient pas voulu brusquer le garçon sans raison et naviguaient dans un brouillard complet. Mais au fait, comment s’appelait-il ? Sosthène Fabregas était de retour au commissariat. Sa recherche d’indices s’était soldée par un bouton de veste auquel adhérait encore un lambeau de tissu de laine assez fruste. Hubert téléphona au docteur Guérini pour s’enquérir de ses premières conclusions.

— Le crime est avéré et peut-être le mobile. La victime a subi un coït, mais sans doute post mortem, ce qui constituerait une raison suffisante à son étranglement. Vu la clarté des causes du décès, je ne juge pas nécessaire de la mutiler davantage, commissaire. L’étranglement a eu lieu de face par un probable droitier. Il est temps pour vous de prévenir le procureur.

— Situez-vous le jour et l’heure du crime ?

— Il me reste des tests à terminer. Je crois qu’ils devraient me confirmer mardi dans la soirée.

— Rien sous les ongles ? questionna-t-il encore.

— Quelques pollens de la région ! pas de cellules épithéliales ni de sang.

L’ayant remercié, Hubert avisa le procureur, lequel désigna peu après le juge d’instruction Maillard, seul magistrat de la ville, et qui, pareillement à lui, n’avait eu que peu de meurtres à se mettre sous le glaive. N’ayant personne à faire comparaître ni d’ordres de perquisitions à signer, il demanda à être tenu au courant des avancées de l’enquête.

Le téléphone résonna ; c’était la directrice de l’agence immobilière qui lui donnait rendez-vous chez elle à la fin du travail, lieu dont il nota l’adresse. Il était presque dix-huit heures et Hubert se prépara, désignant son adjoint Leteux pour l’assister.

Dès le portail franchi, ils furent dans un trésor de mas, artistement restauré, avec puits, voûtes, murets et toits à décrochements à la mode du Sud. La maîtresse de maison témoignait d’un goût exquis chevillé au corps. Son métier lui allait comme un gant. D’une ruine dix-neuvième, elle avait fait l’un des sujets d’orgueil de sa ville. Ils sonnèrent. L’arrangement intérieur n’amoindrissait pas l’impression apportée de l’extérieur ; bien au contraire, elle lui ajoutait une touche de préciosité, d’intimité et de chaleur.

— Que me vaut votre visite ? Urgente, paraît-il ?

Elle attaquait tout de suite en mode majeur pour éviter que la visite ne s’enlisât sous des mondanités hors de propos. Ils n’étaient pas des invités, mais des importuns.

— Voici ! C’est au sujet de votre employée Laurence Martini. Nous avons besoin de mieux connaître sa manière de vivre, son assiduité au travail, quelques traits de son caractère éventuellement, et cela nous aiderait aussi, ses fréquentations, déroula le commissaire Hubert Jouvant d’un trait tout en préservant le mystère pour un temps.

La dame, d’un abord rayonnant, quadragénaire fine et portant beau, la chevelure foisonnante et soignée. « Une très belle femme », se dit Hubert. Une classe folle ! Certes ! Sa réponse fut sans ambiguïté.

— Tout d’abord, elle est mieux qu’une employée ; elle est dans le capital de l’agence à hauteur de 30 %. Au reste, sa vie est celle de toute jeune femme au printemps de son âge, et financièrement libre. Elle a le bénéfice de mordre à la vie et d’assumer son destin d’une façon heureuse. Mais votre enquête m’inquiète. Que lui est-il arrivé ?

L’éloge dithyrambique sonnait juste en accréditant une impression d’harmonie existant entre les deux associées.

— Ces trois derniers jours se sont-ils déroulés comme d’habitude ? Aucune absence extraprofessionnelle ? Nulle visite à l’agence pouvant prêter à interrogation ? Je veux dire, qui déborderait du cadre de son emploi.

— Hier, mercredi était le jour de notre fermeture hebdomadaire. Quant à mardi, je ne vois pas d’incident particulier à citer. Aujourd’hui pourtant, oui aujourd’hui, elle n’est pas apparue à son bureau. Tous mes appels téléphoniques se sont avérés vains ; il a dû se passer quelque chose, effectivement, expliqua la dame.

— Vous dites vrai pour la raison péremptoire qu’elle a été assassinée, se décida d’assener Jouvant.

Les deux policiers ne la quittaient pas des yeux quand elle laissa s’inscrire sur son visage toutes les expressions de l’atterrement et de la tristesse. Si elle feignait, elle s’affichait d’emblée comme une comédienne de haut vol. Viviane Lazard s’appuya sur le rebord d’un bahut, cherchant à reprendre son souffle et l’assise qui lui fallait.

— Comment… comment la chose est-elle arrivée ? parvint-elle à demander.

— Nous l’avons découverte en bords des Rhues sur la promenade du confluent. L’assassinat ne fait aucun doute. Premièrement, nous voudrions savoir l’adresse de son domicile dans l’espoir d’y découvrir des renseignements utiles à l’enquête.

— Elle s’était portée acquéreuse d’un F2 dans la cité Bachelard dont nous avons assuré la dispersion des lots, au troisième étage, entrée C. Mais comment est-elle morte ?

— Étranglée !

— Misère ! Elle était comme une sœur.

— Justement, en tant que presque sœur, il a pu vous être donné de connaître des éléments de son train de vie, de ses habitudes, de ses sorties, ses fréquentations, tous détails utiles à l’orientation de l’enquête que le juge a diligentée. Nous en sommes à ses débuts.

Hubert pensait avec justesse que Viviane Lazard était à même de favoriser l’émergence de témoins et de suspects.

— Certes ! Je la voyais souvent en dehors du bureau, chez elle, chez moi, en voyage. Mon mari étant un itinérant, du temps libre me restait pour nous rencontrer. Elle n’a jamais manqué de chevaliers servants. Toutefois, quoique fréquemment environnée par le sexe viril, je dirais à son corps défendant – elle plaisait, qu’y faire ? – que je ne l’ai jamais vu se conduire comme une croqueuse d’hommes habile à les jeter après usage. Je sais que Denis Perron, mon employé, d’apparence agréable lui aussi, se mit à son service, un temps. Quant à d’autres, il y en a que j’ai peu vus et je ne suis pas une inquisitrice. Je respectais sa liberté. J’y repenserai tout de même.

— Ce morceau de tissu vous rappelle-t-il quelqu’un, dit Hubert Jouvant en exhibant le bouton ramassé sur les lieux du crime ?

— vous exigez de moi une puissance d’introspection qui me prend de court. Non ! a priori ! Je repenserai à cela aussi. Si un souvenir me revient…

Son sourire attristé était enjôleur. Bien que policier et ne se fiant guère aux apparences, Hubert était conquis par la fluidité et la justesse de ses réactions.

— Comptez sur ma collaboration, commissaire, lui réaffirma-t-elle en serrant chaleureusement sa main.

Ils prirent congé. Le commissaire remit au lendemain la visite du domicile de la victime et la divulgation à la presse du crime d’Hondizet-en-Rhues. Il savait que la sérénité de l’enquête allait lui échapper bientôt, que le pigiste local en aviserait son journal. Un crime, cela attire du monde, autant ceux pour qui la justice doit passer à tout prix que ceux qui n’ont de cesse de l’entraver, de remplir leurs colonnes de polémiques jusqu’à la nausée.

Les premiers éléments