Outback - Pascal Parrone - E-Book

Outback E-Book

Pascal Parrone

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  • Herausgeber: Isca
  • Kategorie: Krimi
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2021
Beschreibung

La découverte d'un corps mutilé va faire revenir les démons du passé de Greenfield, une petit ville en Australie.

– J’étais déjà venue camper à la belle étoile ici avec mon père. Je voulais un endroit loin de tout, le plus désert et le plus accessible possible.
– Ça pour être loin, on est loin !
– Il vaut mieux, il risque de faire du bruit le joli bébé. Les cris ne trouvent pas d’oreilles dans l’Outback !

Greenfield, petite ville perdue au nord de l’Etat du Queensland en Australie. Après la mort tragique de ses parents, Mary Randwick, jeune mère célibataire, vient s’y installer avec son fils Matthew. Devenu un adolescent amoureux et farceur, Matt est contraint d’accompagner plusieurs fois les Orwell à l’église après avoir été surpris dans le lit de leur fille Lisa. C’est là que germe l’idée d’une très mauvaise blague. La découverte du corps affreusement mutilé d’un riche promoteur immobilier portant des messages énigmatiques vient chambouler la paisible petite ville et réveiller les démons du passé. Comme après le meurtre atroce d’Alison Lane trente ans auparavant, Greenfield sombre à nouveau dans la terreur. Tout semble indiquer que ce n’est peut-être pas fini… Quand la police piétine, il existe parfois d’autres voies pour découvrir la vérité.

Découvrez le tout premier thriller de Pascal Parrone !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1975 à Échallens, Pascal Parrone travaille dans une institution spécialisée dans le traitement des dépendances. Il est également musicien et dessinateur de presse pour divers médias. Outback est son premier roman.

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Pascal Parrone

Outback

roman

© 2021, Pascal Parrone.

Reproduction et traduction, même partielles, interdites.Tous droits réservés pour tous les pays.

ISBN 978-2-940444-76-2

À Leni, Eliah et Isabelle.

Chapitre 1

–Matt ! hurla-t-elle. Matt ! Sors de ce putain de bain ! Tu vas encore arriver en retard.

Le ton de sa voix ne laissait planer aucun doute sur son humeur, la faute à cet affreux cauchemar qui lui avait gâché la nuit.

Cernée par deux valises grises logées sous ses yeux, une cigarette à la bouche, elle qui tentait vainement d’arrêter de fumer, Mary Randwick n’était pas très belle à voir ce matin. Rien ne pouvait transparaître de la beauté naturelle de cette femme dans sa trente-quatrième année. Elle mesurait un mètre soixante-cinq et une partie de son charme venait de son regard. Un regard étonnant qui pouvait aussi bien dégager une douceur infinie que des éclairs de colère terrifiants. En temps normal, les traits fins de son visage, ses yeux verts et ses cheveux châtains ondulés jusqu’aux épaules faisaient se retourner la plupart des hommes sur son passage, mais aujourd’hui, ce n’était pas gagné.

Elle versa de l’eau dans une casserole et alluma le gaz d’un geste machinal. Elle tremblait comme une alcoolique en manque. Mary ne pouvait se défaire de ce rêve qui la hantait depuis le réveil. Les images tournaient en boucle dans sa tête, surtout la scène finale. Soudain, une vague de larmes incontrôlable remonta des profondeurs et submergea son visage fatigué. Elle se mit à sangloter de plus en plus fort. Sa respiration devint saccadée, la machine s’emballait dangereusement…

Elle s’appuya brusquement sur le plan de travail de la cuisine, renversant au passage un verre sale qui alla se briser en mille morceaux sur le sol, puis porta sa main à la poitrine comme pour l’aider à reprendre cet air qui refusait d’entrer.

La simple crise de larmes de Mary virait doucement à la crise d’angoisse, puis à la crise de panique. À bout de souffle, elle se mit à gesticuler. La terreur déformait son visage, elle était au bord de l’asphyxie. Dans une ultime tentative, elle parvint enfin à reprendre un peu d’air. Une petite inspiration, une autre, encore une autre…

Elle retrouva enfin un peu de lucidité et s’assit à la table, la tête entre les mains en se concentrant sur sa respiration. Les sanglots se calmèrent un peu, elle se recentra alors sur le présent et le présent c’était Matt.

– Calme-toi Mary, calme-toi, respire. Tout va bien, il va bien, ce n’était qu’un foutu rêve, calme-toi…

Elle essuya ses larmes en tremblant et en reniflant.

– Allez ! Tout va bien Mary, il est vivant, tout va bien…

Au bout de quelques minutes, elle avait totalement repris ses esprits. Elle ramassa les débris de verre puis regarda sa montre.

– Matt ! Mais qu’est-ce que tu fous, dépêche-toi ! hurla-t-elle une nouvelle fois en direction de l’étage supérieur.

Encore un peu tremblante, elle retira de la plaque sa casserole d’eau en ébullition et prépara deux tasses de café au lait.

Mary porta ses lèvres sur le bol fumant et avala une gorgée, les yeux dans le vague. À nouveau, les images du cauchemar assiégèrent son esprit. Elle se précipita dans sa chambre d’un air décidé et tira son cahier du tiroir de la table de nuit. Depuis l’adolescence, elle avait pris pour habitude de noter dans un journal ses réflexions sur la vie. Mary y retranscrivait également les rêves qu’elle ne voulait pas oublier. Elle voulait cracher celui-ci sur le papier pour le faire sortir de sa tête et libérer son esprit.

Elle regarda sa montre.

– Et merde ! jura-t-elle.

Elle se remit à hurler plus énervée que jamais :

– Matt, je te préviens une dernière fois, sors de ce bain ou je monte te chercher !

Mary était une femme forte et mieux valait ne pas trop la contrarier aujourd’hui. Cette force de caractère puisait sa source dans les terribles épreuves de sa jeunesse…

Chapitre 2

Elle venait de terminer l’école et commençait tout juste la phase de transition de trois ans qui devait la mener à l’université pour des études de droit. Elle voulait devenir avocate. Mais toute sa vie allait être marquée par cette terrible soirée d’avril 1982 où le téléphone avait sonné tard dans la soirée. Ses parents étaient partis au cinéma voir un film dont elle n’avait jamais entendu parler et l’avaient laissée seule à la maison comme ils le faisaient souvent.

– Êtes-vous Mary Randwick ? demanda la voix anonyme à l’autre bout du combiné.

– Oui c’est moi.

– Mademoiselle Randwick, ici l’hôpital Saint-Vincent de Melbourne, je suis le docteur Ian Adams. Quelque chose de grave s’est produit !

– Que se passe-t-il ? demanda-t-elle en sentant immédiatement la panique monter. C’est au sujet de mes parents ?

– Oui mademoiselle. Ils ont été victimes d’un très grave accident de voiture. Ils roulaient en direction de votre domicile sur Victoria Street. Un chauffard ivre arrivait à grande vitesse sur la voie d’en face, il s’est déporté sur leur voie et les a heurtés de plein fouet…

– Oh non ! Comment vont-ils ? Est-ce qu’ils sont blessés ?

Le docteur à l’autre bout du fil resta silencieux.

– Allô ? Allô ? Docteur vous êtes là ?

– Oui mademoiselle Randwick, je suis là…

– Alors dites-moi ! Est-ce qu’ils sont… Ils sont… Oh non ! Dites-le-moi !

Les larmes coulaient déjà à grands flots sur son joli visage.

– Je suis désolé mademoiselle, votre mère est malheureusement décédée sur le coup, et votre père était dans un état très critique à son arrivée aux urgences. Il a subi de très graves blessures, mais il est vivant et vient d’entrer en salle d’opération, finit-il sur un ton compatissant, le ton d’une personne à qui l’on venait de confier la pire corvée du monde médical.

– Oh non ! Non !

– Il faut venir dès que possible mademoiselle, une voiture de police est en route pour vous amener à l’hôpital.

– Non ! Pourquoi ? Pourquoi eux ? hurlait-elle en pleurant toutes les larmes de son corps, c’est pas possible, c’est pas vrai, vous mentez…

Elle décolla le combiné de son oreille et se laissa glisser contre le mur, se retrouvant assise par terre, anéantie.

– Je… Je suis sincèrement désolé pour votre maman, disait le téléphone dans le vide, plus personne n’écoutait.

Elle était restée assise sans bouger, à pleurer son désespoir jusqu’à l’arrivée de la police.

La tête appuyée contre la vitre, elle regardait la pluie et les lumières de Melbourne défiler devant ses yeux noyés de larmes en pensant à sa maman. Les deux policiers avaient eu la décence de rester silencieux durant tout le trajet. Ils arrivèrent rapidement à l’hôpital et l’accompagnèrent jusqu’à la réception. La réceptionniste prit un air triste et demanda à Mary de patienter sur les fauteuils devant la réception. Mary s’exécuta comme dans un rêve avec la drôle d’impression de flotter au-dessus de son corps. La réceptionniste appela le docteur Adams puis raccrocha :

– Le docteur va arriver dans un petit moment mademoiselle Randwick.

Mary ne répondit rien. Les policiers demandèrent si elle avait encore besoin de quelque chose, puis prirent congé d’elle.

Durant de longues minutes, Mary resta enfoncée dans le fauteuil, encore abasourdie par la nouvelle. Dans sa tête repassaient le film de sa vie et les souvenirs de ses parents. Heureusement, son père était encore vivant et c’était un battant. Elle ne doutait pas qu’il allait s’en sortir. Une infirmière arriva du couloir en poussant un chariot de soin et salua Mary avec un grand sourire, sans se douter du drame que la jeune fille était en train de vivre. Elle s’arrêta à la réception et y ramassa la fiche de son prochain patient. Au même moment, deux ambulanciers entrèrent brusquement par la porte principale en poussant un brancard sur lequel gesticulait et vociférait un jeune homme visiblement bien éméché. Le brancard était encerclé par deux policiers en uniforme.

– Détachez-moi ! hurlait le patient, la chemise couverte de sang. Je n’ai rien fait ! Détachez-moi !

– Restez tranquille ! se plaignit l’un des ambulanciers en lui retenant le bras.

– Lâchez-moi ! Putain ! Foutez-moi la paix !

– Tu te calmes tout de suite ! ordonna fermement le policier en lui serrant violemment la clavicule, ce qui eut pour effet de pétrifier instantanément le soûlard.

Mary regarda la scène sans réaliser ce qui était en train de se passer.

– C’est la troisième victime de l’accident de Victoria Street, il a fallu le désincarcérer, blessures superficielles, annonça l’autre ambulancier à la réceptionniste.

Mary comprit aussitôt que ce type était le chauffard qui avait tué sa mère ! Son sang ne fit qu’un tour. Elle se leva et se précipita sur le chariot de soin de l’infirmière, d’un geste rapide, elle y saisit un ciseau avant que l’infirmière ne puisse réagir, puis elle se rua sur le jeune homme avec toute la rage qui s’imposait :

– Crève salopard ! hurla-t-elle en lui sautant dessus.

Elle arma son bras pour lui planter le ciseau dans le visage, mais l’un des policiers parvint in extremis à écarter Mary de sa cible. S’en suivit une confusion indescriptible dans le hall de réception où se mélangeaient les cris, les pleurs et les hurlements. Les ambulanciers et le second policier parvinrent à mettre le chauffard à l’abri alors que l’autre policier retenait Mary.

– Calmez-vous mademoiselle ! ordonna-t-il fermement. Calmez-vous s’il vous plaît !

– Il a tué ma mère… il a tué ma mère… pleurait Mary.

Elle devint toute molle, comme si ses forces l’avaient quittée. Elle s’abîma dans les bras du policier qui venait de comprendre qui était cette jeune fille.

– Calmez-vous… Voilà c’est bien.

Il demanda un verre d’eau pour elle, l’accompagna vers les fauteuils, puis la laissa s’apaiser.

Au bout d’une éternité, un médecin d’une quarantaine d’années arriva vers la réceptionniste et lui demanda presque en chuchotant :

– Est-ce que mademoiselle Randwick est arrivée ?

La réceptionniste désigna Mary sur son fauteuil d’un regard plein de pitié. Le médecin s’approcha d’elle et se présenta :

– Bonjour mademoiselle je suis le docteur Ian Adams, c’est avec moi que vous avez parlé au téléphone.

– Bonjour docteur, comment va-t-il ? fit-elle en se levant.

– Je suis sincèrement désolé pour votre maman mademoiselle Randwick, commença-t-il d’un air triste.

– Merci. Comment va mon père docteur ?

– Il avait de multiples traumatismes en arrivant ici dont de sérieuses blessures à la tête. Nous avons tout tenté…

– Comment s’est passée l’opération ? Est-ce que je peux le voir ? Quand va-t-il se réveiller ?

– Mademoiselle Randwick… Je suis désolé ! Nous avons fait tout ce qui était possible mais…

– Mais quoi ?

– Il n’a pas survécu mademoiselle ! Je suis sincèrement désolé.

Mary avait lâché un cri qui n’avait rien d’humain puis s’était effondrée dans les bras du docteur qui ne pouvait que répéter :

– Je suis désolé, je suis désolé…

Chapitre 3

L’épreuve imposée par Eric Robertson, le père de Matt, n’avait pas été facile à vivre non plus. Elle croyait avoir trouvé l’homme de sa vie, mais elle s’était dramatiquement trompée.

Mary venait alors de fêter ses dix-sept ans et se remettait lentement de la grande déprime qui avait suivi la mort de ses parents.

Sa copine Tania l’avait soutenue dès le début. Elle avait été d’un grand réconfort durant la période juste après le drame.

Un soir, pour lui changer les idées, elle l’avait emmenée dans un pub où un groupe irlandais animait la soirée. Le pub était aussi bondé qu’enfumé et l’atmosphère était à la fête. Les deux jeunes filles encore mineures faisaient plus que leur âge et étaient plutôt mignonnes, personne ne leur avait demandé une pièce d’identité.

Après quelques verres, Tania s’était levée de son siège, décidée mais titubante :

– Mary Randwick ! Ce soir nous allons te trouver un copain, c’est exactement ce dont tu as besoin en ce moment et je vais t’aider ! articula-t-elle péniblement.

– Arrête Tania ! Je suis assez grande pour le trouver moi-même. De toute façon j’ai pas envie ce soir.

– Allez Mary, amuse-toi, allez viens.

Elle essaya de la tirer par la manche, mais Mary résista en souriant.

– Non je t’assure Tania, merci.

Finalement cette dernière était partie seule à travers le pub dans une joyeuse chasse à l’homme.

À l’autre bout du bar, Eric observait Mary depuis son arrivée tout en buvant son gin tonic. Leurs regards s’étaient croisés furtivement au cours de la soirée. Il avait souri et elle lui avait rendu son sourire distraitement, sans vraiment le remarquer. Au bout d’un moment, Eric décida de traverser la foule compacte pour parler à cette belle inconnue.

– Je peux vous offrir un verre mademoiselle ? demanda-t-il en souriant.

– Mary. Appelez-moi Mary s’il vous plaît. Vous pouvez vous asseoir vous savez ? Je ne mords pas.

Eric et Mary parlèrent ensemble tout le reste de la soirée, plus rien ne vint les déranger.

La semaine suivante, Mary le retrouva dans un autre bar plus calme que le pub irlandais. Eric était un beau jeune homme de vingt-quatre ans et avait un charme très latin hérité de sa mère chilienne. Mary quant à elle, dégageait quelque chose de mystérieux, quelque chose que les autres filles n’avaient pas, il ignorait quoi exactement mais avait très envie de le découvrir.

Il travaillait comme mécanicien dans une grande multinationale. Au gré des demandes des clients, il voyageait à travers le monde pour monter, démonter ou réparer des énormes machines d’imprimerie. Il était très souvent en déplacement et pouvait être appelé à n’importe quel moment pour partir à l’autre bout du monde. Eric adorait son boulot qui était très bien rémunéré.

Au troisième rendez-vous, elle lui parla de ses parents. Eric fut bouleversé et comprit aussitôt d’où venait cette tristesse dans son regard. Au fil des rencontres, leur complicité grandissait et leur relation devenait plus sérieuse.

Sans s’en rendre compte, elle était tombée amoureuse et pour la première fois depuis le drame, se croyait capable de surmonter la mort de ses parents et vivre enfin sa vie de femme. La suite allait être moins rose…

On sonnait de façon frénétique à la porte de son petit studio d’étudiante qu’elle louait une misère.

– Voilà ! Voilà ! J’arrive !

Tania alla répondre et découvrit Mary le visage trempé de larmes et sanglotant son désespoir sur le palier.

– Ben alors ! Que se passe-t-il Mary ? Allez entre.

– Merci Tania, fit-elle en reniflant.

Les deux filles marchèrent jusqu’au matelas posé à même le sol qui servait aussi bien de canapé que de lit.

– Je te sers à boire ?

– Donne-moi plutôt une cigarette, ça me calmera.

– Parce que tu fumes toi maintenant ?

– Aujourd’hui, oui.

Mary Randwick ne cessa jamais de fumer à partir de ce jour-là…

– Dis-moi ce qui ne va pas, raconte-moi tout.

Tania usait d’un ton rassurant, mais elle savait que c’était grave, elle la connaissait trop bien.

– Je suis enceinte… lança Mary observant du coin de l’œil la réaction de sa meilleure amie.

Tania stoppa net son geste et reposa la bouteille d’eau qu’elle venait d’attraper sur la table.

– Quoi ? Tu délires là ?

– Non ! Je te jure que c’est vrai.

– Comment est-ce arrivé ?

– Tu veux un dessin ?

– Non, je veux dire vous n’avez pris aucune précaution ?

– Tania, s’il te plaît je suis perdue. Je ne sais pas quoi faire ni comment l’annoncer à Eric. Il croit que j’ai vingt et un ans mais j’ai dix-sept ans à peine et je suis enceinte, qu’est-ce que je vais faire ? Aide-moi s’il te plaît.

Elle enfouit son visage entre ses mains. Tania l’entoura de ses bras et lui chuchotait des paroles réconfortantes.

Mary n’était pas femme à laisser traîner les choses. Le lendemain, elle annonça « l’heureux événement » à Eric. Aujourd’hui encore, elle ignorait ce qu’il avait vraiment ressenti à cet instant précis. Elle s’attendait tellement à une réaction démonstrative de joie ou de colère, que l’indifférence d’Eric l’avait profondément déçue. Pour la première fois depuis le début de leur histoire, elle pensait qu’Eric Robertson pouvait être un lâche. Ce jour-là, elle avait découvert que les belles médailles avaient toujours un revers.

Eric n’avait aucune intention de pouponner, il se trouvait bien trop jeune pour ça. Il l’avait encouragée à avorter et même proposé de payer la totalité des frais. Il était prêt à l’aider dans toutes les démarches, un véritable chemin de croix car l’avortement était illégal. Mais malgré son jeune âge, Mary s’y refusait catégoriquement.

Deux semaines plus tard, Mary avait trouvé dans son courrier une enveloppe en provenance de l’étranger. Elle l’ouvrit, à la fois intriguée et inquiète. Ce n’était pas tous les jours qu’elle recevait du courrier aussi lointain. La lettre venait d’Eric… Il lui expliquait que sa boîte lui avait offert un poste en or au Brésil et qu’il comptait bien saisir sa chance. Il disait aussi qu’élever un enfant ne faisait pas partie de ses priorités pour le moment alors il lui proposait deux solutions : soit il payait tous les frais de l’avortement, soit elle décidait de le garder et dans ce cas elle se débrouillait toute seule et n’entendrait plus jamais parler de lui. À la fin, il lui demandait de l’excuser et lui conseillait même de ne pas gâcher sa jeunesse avec cette histoire…

– T’excuser ? T’excuser ? Mon cul, oui ! Tes conseils je m’en fous ! criait Mary avant de pulvériser la lettre en mille morceaux. Espèce de lâche ! Mauviette ! Je me débrouillerai sans toi !

Des larmes coulaient à nouveau sur ce joli visage, des larmes de colère cette fois. À partir de ce jour, elle n’eut plus qu’un seul objectif dans sa vie : élever cet enfant et en faire quelqu’un de bien. Quelqu’un de mieux que son père… Aucun médecin ne lui arracherait ce bébé de son ventre, il vivait déjà en elle…

Mary accoucha en décembre 1983 d’un petit garçon prénommé Matthew, il ne connut jamais son père. Ce dernier ne donna plus aucun signe de vie depuis sa dernière lettre postée du Brésil… Il pouvait aller au diable !

Chapitre 4

Elle reprit une gorgée de café, saisit le stylo sur la table et se mit à noircir frénétiquement les pages de son journal.

« Au début je me trouve à l’entrée d’une forêt d’eucalyptus. Le jour tombe, il commence à faire assez sombre. Une légère brume flotte au-dessus du sol et rend l’ambiance aussi glaciale qu’inquiétante. Mon regard est attiré par un étroit chemin qui s’enfonce dans la forêt. Une petite voix intérieure me dit de ne pas approcher et me conseille la prudence mais une force invisible me pousse sur ce chemin qui n’inspire pas confiance.

Les arbres me murmurent à l’oreille : « Viens ici, viens Mary, n’aie pas peur ! » Alors je marche. D’un pas prudent, mes jambes me transportent sur un petit sentier et malgré la sueur qui sort de mon corps, j’éprouve une étrange sensation de fraîcheur. Mon anxiété me fait transpirer, les taches assombrissent ma chemise rouge. Pourquoi une chemise rouge ? Je déteste le rouge !

Soudain, j’entends des cris au loin. Je reconnais parfaitement cette voix, c’est celle de Matt.

J’entends la panique et la terreur dans ses cris, ça me rend folle ! Je distingue des bribes de mots, ce n’est pas clair. Une chose est sûre, il se trouve dans une très mauvaise situation, je le sais, je le sens. Je dois le retrouver à tout prix. Je me mets alors à courir en direction des cris. Plus j’approche, plus les appels deviennent distincts. Au bout d’un moment je comprends enfin ce que Matt hurle, il a l’air affolé :

– Maman ! Ne me laisse pas ! Aide-moi s’il te plaît !

Je n’ai jamais entendu des mots aussi déchirants. Submergée par les émotions, J’essaie de lui répondre :

– Matt ! Où es-tu ? Où es-tu ?

– Ne me laisse pas, viens me chercher s’il te plaît ! »

Elle posa son stylo et prit sa tête entre les mains. Elle but une autre gorgée de café fumant. Les mots résonnaient encore dans sa tête, il fallait vite les évacuer sur le papier.

« – Matt où es-tu ?

Je crie sans relâche. Je suis à bout de souffle et totalement paniquée.

– Je suis là mon chéri, je viens te chercher. Réponds-moi ! Par pitié !

Je cours dans tous les sens sans le trouver. J’ai l’impression que sa voix vient de partout et de nulle part à la fois. Je suis comme une mouche dans un bocal, je tourne en rond, prise au piège et impuissante.

Soudain la voix de Matt se tait.

– Matt ? Matt ! Réponds ! Je t’en supplie !

Plus aucun signe de vie, le silence est ma seule réponse…

Je suis anéantie, je m’assieds par terre et je me mets à pleurer toutes les larmes de mon corps. Tout a l’air si réel…

Après avoir repris mes esprits, je poursuis ma route à travers la forêt en errant sans but et en sanglotant. Soudain, je m’arrête net. Devant moi, à quelques pas du chemin, une vieille chaise en bois semble abandonnée ici depuis des siècles. Aussitôt, je sais que Matt m’a appelé de cet endroit. Alors je me remets à crier son nom de toutes mes forces. Ma voix pleine de désespoir résonne dans la forêt mais sans succès, il a disparu !

Je remarque après coup une corde usée au pied de la chaise. Je sais qu’elle a servi à ligoter Matt… Puis j’aperçois une lueur à quelques dizaines de mètres. C’est un feu en train de mourir à côté d’un arbre. Je cours aussitôt dans sa direction avec un mauvais pressentiment. Une fois tout près, je distingue quelque chose dans le brasier. Je m’approche encore et là, je ressens un haut-le-cœur en voyant ce qui ressemble à un corps carbonisé au milieu du foyer. Cette vision me traumatise. Est-ce Matt ? Quelqu’un d’autre ? Impossible de le savoir, c’est à ce moment que je me réveille. »

Chapitre 5

Mary posa son stylo et ralluma une cigarette malgré l’heure matinale. Il était rare pour elle d’en avoir déjà fumé deux à ce moment de la journée, mais après avoir relu son récit et replongé dans son rêve macabre, elle en avait besoin. Elle prit deux gorgées de café tiède, tira frénétiquement sur sa clope noyant la cuisine de fumée bleutée, lorsque ses yeux tombèrent inconsciemment sur l’horloge du four qui indiquait sept heures quarante-cinq.

– Oh merde ! jura-t-elle.

Elle avait presque oublié.

– Matt ! Dépêche-toi bon Dieu !

Ça faisait plus de vingt minutes qu’elle l’appelait et toujours pas de réponse… Et s’il s’était noyé dans son bain. Et s’il s’était cogné la tête en glissant. Et s’il s’était électrocuté avec le sèche-cheveux… Fragilisée par son cauchemar, une angoisse irrationnelle s’empara d’elle. Elle écrasa aussitôt sa cigarette, traversa la cuisine à la hâte et grimpa la quinzaine d’escaliers quatre à quatre. Au deuxième étage se trouvaient la chambre de Matt et la salle de bains. Elle fit irruption dans cette pièce comme une furie. À son grand soulagement, il était là, bien vivant :

– Matt mais qu’est-ce que tu fous c’est pas vrai ? Tu as vu l’heure ?

Les yeux fermés et enfoncé jusqu’au nez dans un bain fumant, le jeune homme ne broncha pas. Il portait sur les oreilles un énorme casque laissant échapper les basses d’une musique très rythmée. Sa mère aurait bien pu l’appeler toute la journée ça n’aurait rien changé… Elle lui ôta son casque ce qui lui fit aussitôt ouvrir les yeux, comme si les deux étaient reliés. D’un air interrogateur il la dévisagea :

– Mais qu’est-ce que tu fais ?

– Premièrement on dit bonjour. Deuxièmement tu te dépêches de sortir du bain, il est déjà moins le quart. Troisièmement tu n’écoutes pas la musique aussi fort, tu vas finir sourd mon chéri. Ça fait au moins vingt minutes que je t’appelle.

Elle lui tendit une serviette l’incitant à sortir rapidement de la baignoire.

– Sept heures quarante-cinq, déjà ? s’étonna-t-il.

– Tu as exactement un quart d’heure pour te sécher, t’habiller, déjeuner, te brosser les dents, me dire au revoir et arriver à l’école avant la sonnerie, bouge-toi un peu les fesses, jeune homme !

Il avait presque dix-sept ans, l’âge de sa mère à l’époque où elle avait accouché de lui. Avec un peu de recul, la vie n’avait pas si mal tourné pour eux. Rien n’avait été facile, surtout au début, mais malgré les galères et son très jeune âge, Mary avait assumé son rôle de mère avec courage et dignité. Matt était maintenant un grand garçon un peu rebelle mais bien élevé, qui n’ignorait rien de son père et de sa glorieuse attitude. Sa mère avait tenu à ce qu’il sache la vérité très tôt car elle savait que les mensonges et les non-dits pouvaient gâcher toute une vie. Elle vivait en paix avec sa conscience.

Matt était presque un homme… Déjà ! Il avait poussé à une vitesse hallucinante et faisait maintenant bien dix centimètres de plus qu’elle. Son visage de plus en plus carré avait gardé de l’enfance encore proche une moue boudeuse dessinée par des lèvres assez épaisses. Ses yeux bleus surmontés de sourcils foncés se prolongeaient vers un nez sans particularité. Ses cheveux raides à la blondeur délavée par le soleil, le sel et l’océan lui tombaient presque sur les épaules et lui donnaient l’air du parfait surfeur qu’il était. Certains à l’école lui disaient qu’il ressemblait un peu à Kurt Cobain, ce qui n’était pas entièrement faux. En plus, il adorait le rock, Nirvana en particulier, mais aussi les Rolling Stones, Led Zeppelin, Jimi Hendrix et tant d’autres. Des guitares saturées suffisaient à son bonheur ! Les guitares et le surf !

Il saisit la serviette que lui tendait sa mère et s’essuya en un éclair. Le corps encore trempé, il enfila à toute vitesse ses habits. Elle était redescendue lui préparer un bol de céréales qu’il aurait tout juste le temps d’avaler. Lorsqu’il arriva à la cuisine deux minutes plus tard, Mary éprouva un sentiment de fierté assez inhabituel : malgré le style « grunge » de son fils avec son T-shirt délavé et son vieux jean au bord de la ruine, elle le trouvait particulièrement beau aujourd’hui ! Encore plus beau que d’habitude ! Son cauchemar et la peur de le perdre avaient certainement réveillé ce sentiment, elle qui connaissait si bien la fragilité de la vie. Non, Matt n’était pas immortel ! La mort frappait tout le monde ! Sans exception !

Il sortit du garage en poussant son vélo se rendant à peine compte de la chaleur et de l’humidité qui régnait déjà. Son T-shirt se colla presque instantanément à sa peau. Cette humidité tropicale n’avait rien d’exceptionnel à Greenfield comme dans la majeure partie de l’état du Queensland. Les étés y étaient chauds et humides tandis que les hivers étaient généralement secs et frais. Les touristes de passage pouvaient parfois ressentir péniblement ce climat tropical mais les habitants du coin s’y étaient adaptés de génération en génération.

Greenfield était une petite ville tranquille et sans histoire comptant environ trois mille habitants. Située sur la côte est, tout au nord de l’Australie, la mer de Corail baignait ses larges plages où les surfeurs venaient se régaler de ses magnifiques vagues depuis des décennies. Les maisons construites autour du centre-ville regroupaient les plus anciens bâtiments de la localité dont faisaient partie les deux pubs, l’église ainsi que la bibliothèque, tous bâtis par les colons britanniques dans le plus pur style victorien de la fin du dix-neuvième siècle. Les constructions les plus récentes comme la station-service « Caltex », le supermarché et la nouvelle école avaient déjà plus de dix ans, signe que le développement de Greenfield avait subi un sérieux coup de frein durant les dernières années.

La principale source de revenu de la région provenait encore de la culture de la canne à sucre, même si cette dernière ne cessait de décliner. Malgré cela, il ne manquait quasiment rien à Greenfield ; du vidéoclub au magasin de surf en passant par la bibliothèque ou les cours de poteries, on y trouvait de tout, il y avait même un petit hôpital… Dès le début du siècle, la communauté composée principalement d’Irlandais à majorité catholique s’était développée lentement et avait prospéré au fil des ans. Le village s’était agrandi. La vie y était paisible, loin de tout.

Une tache sombre souillait malgré tout son histoire ! Une cicatrice qui avait mis du temps à guérir. Un meurtre sordide… Trente ans auparavant, le corps de la jeune Alison Lane avait été retrouvé calciné dans la forêt. Elle avait été poignardée, violée, avait reçu des coups terribles et subi de nombreux sévices, elle avait à peine quinze ans ! À l’époque, la psychose avait été si grande dans la région que certaines familles avaient même quitté la ville pour s’installer ailleurs. Le coupable ne fut jamais démasqué et « l’affaire Alison Lane » était ainsi venue grossir les « dossiers non-classés » de la police criminelle de Brisbane. Plus rien depuis ce drame n’avait troublé la quiétude de Greenfield et avec le temps, cette triste histoire avait lentement sombré dans l’oubli.

Mary n’avait pas choisi Greenfield, c’était plutôt Greenfield qui l’avait choisie. Cinq années avant son accident fatal, son père avait hérité de la demeure de son frère aîné, l’oncle Bradley. Ce dernier avait traîné un cancer des poumons de longs mois durant avant de s’éteindre paisiblement dans son lit. Richard Randwick avait fait plusieurs fois le long voyage de Melbourne au Queensland pour soutenir son frère dans sa terrible épreuve. En signe de reconnaissance, celui-ci lui avait légué la totalité de ses biens, à vrai dire pas grand-chose, excepté sa petite maison de Greenfield bâtie de ses propres mains. Richard était son petit frère, sa seule famille et après tout ce qu’il avait fait, personne ne méritait plus cette maison que lui. Mary en avait hérité à son tour à la mort de son père.

Après son accouchement, Mary avait fait une croix sur sa carrière d’avocate, abrégé ses études et accumulé les petits boulots. Serveuse, secrétaire, femme de ménage ou réceptionniste, rien ne l’effrayait. Elle confiait Matt à une crèche qui lui coûtait une petite fortune. Elle n’avait d’autre choix que de travailler, il fallait bien faire manger son bout de chou… Avec ces petits boulots, Mary était parvenue à mettre assez d’argent de côté pour se payer le voyage à travers l’Australie sans toucher à l’héritage de ses parents. Au bout de trois années, elle avait définitivement quitté Melbourne où trop de souvenirs douloureux la hantaient, pour Greenfield et la maison de son oncle où l’attendait une nouvelle vie. Elle avait retiré tout l’héritage avant son départ et pris grand soin à ne pas le dilapider bêtement. La situation professionnelle qu’occupait son père avant sa mort avait permis d’accumuler une petite somme, rien d’extraordinaire, mais suffisante pour mettre Mary et Matt à l’abri du besoin pendant au moins une année et demie, peut-être même deux si cet argent était géré habilement. Pour ça on pouvait lui faire confiance, Mary était assez douée.

Elle avait traversé le pays en bus, son fils de trois ans sous le bras, avec pour seul bagage un énorme sac de voyage. Quelques travaux de rénovation sur la maison entamèrent un peu l’héritage à leur arrivée mais rien de dramatique. Une fois la petite famille installée, ne restait plus qu’à s’intégrer et s’adapter à la communauté de cette petite ville perdue au nord du Queensland, ce qui s’était passé bien plus rapidement qu’elle ne l’avait imaginé. Trouver un travail faisait partie de ses priorités. À peine deux jours après son arrivée, Mary fut engagée par Charly O’Hara, propriétaire du « Charly’s Pub » le plus populaire des deux pubs de la ville. Le charme et la sympathie de cette jeune femme ne pouvaient qu’attirer davantage de clients, la prédiction de Charly s’avéra vite exacte.

Quatorze années avaient passé depuis ce temps, les Randwick faisaient désormais partie intégrante de la vie de Greenfield. Mary travaillait toujours au « Charly’s », son ambiance familiale et la joie de vivre de Charly O’Hara en étaient responsables. Ce petit Irlandais de soixante-cinq ans pesait cent dix kilos de bonté. En plus de cela, le salaire était correct, ce pub était une mine d’or. C’était l’une des seules attractions loin à la ronde et l’affaire roulait depuis presque vingt ans. Pour arrondir ses fins de mois, Mary effectuait régulièrement des travaux de secrétariat à domicile ce qui leur assurait un train de vie convenable, il était plutôt agréable de vivre à Greenfield.

Chapitre 6

Matt prit la direction de l’école en pédalant à toute vitesse sur son vélo, mais sitôt hors du champ de vision de sa mère, il freina l’allure… Il n’allait tout de même pas se presser pour aller en cours ! Il était déjà en retard alors un peu plus ou un peu moins…

Pour Matt Randwick il n’y avait rien de plus barbant que l’école. Depuis toujours, ses loisirs l’occupaient plus que ses devoirs et sa mère lui rappelait sans cesse qu’en faisant un peu moins de surf, de skateboard et de guitare l’année précédente, il aurait sans doute passé son année… Le résultat logique était qu’il doublait son année terminale et devenait par la même occasion le doyen des élèves.

Colin Johnson, le principal du collège, avait déjà rencontré Mary tant de fois qu’ils s’appelaient par leurs prénoms, et très peu de parents appelaient le principal « Colin ». Lorsque Mary n’était pas convoquée pour les notes de son fils, elle l’était pour ses farces. Il adorait mettre la pagaille au collège et se faire remarquer. La seule chose à attendre de lui cette année était qu’il obtienne la moyenne et puisse ainsi chercher du travail sans avoir à suivre cette même classe une troisième fois !

– Matt Randwick as-tu vu l’heure ? Je présume que tu as une bonne excuse ?

– Je suis désolé Madame Parkinson. Mon vélo a crevé, répondit-il de son air le plus innocent.

– C’est la troisième fois ce mois que ton vélo crève en chemin ! Tu crois franchement que je vais avaler ça jeune homme ?

– Mon vélo ne doit pas aimer l’école M’dame !

Cette remarque déclencha un éclat de rire général dans la classe ce qui eut le don d’agacer encore plus Madame Parkinson. Bourrée de principes, cette antique Anglaise avait largement dépassé l’âge de la retraite mais enseignerait certainement jusqu’à son dernier souffle.

– Tu te fiches de moi par hasard ?

– Non madame, je n’oserais pas !

– Très bien ! Tu iras exposer ta théorie de la crevaison auprès de Monsieur Johnson après les cours, il se fera certainement un plaisir de te rappeler l’importance de la ponctualité dans la vie, jeune homme !

La popularité de Matt au sein des autres élèves n’avait pas d’égal. Il avait bâti sa légende grâce à quelques farces mémorables à jamais gravées dans l’histoire du collège. Le nombre inégalé de ses visites chez le principal en avait fait une sorte de martyr scolaire, lui assurant au passage une certaine renommée auprès de ses camarades et des filles en particulier. La boule puante lâchée durant l’examen de mathématique de l’année précédente avait été un moment inoubliable. Il y avait aussi eu le concierge enfermé plus de trois heures dans le placard à balais avant d’être libéré par le principal Johnson en personne. Celle-ci avait fait beaucoup de bruit… Paradoxalement, son plus beau « coup » avait été involontaire. Une maladresse qui lui avait valu une semaine d’expulsion et autant de sermons interminables de la part de sa mère et du principal. Sa réputation de cancre venait en grande partie de ce jour mémorable où il avait mis le feu au laboratoire de chimie en jouant avec un brûleur… Le collège entier aurait pu partir en fumée sans la vigilance du professeur et un extincteur bien placé. Cette grosse bêtise restait le seul sujet tabou entre Matt et sa mère.

Après les cours, Matt se rendit chez Monsieur Johnson afin d’expliquer son retard du matin. Il frappa à la porte derrière laquelle siégeait le maître des lieux. Un sec : « Entrez ! » parvint à ses oreilles. Il avança sans la moindre hésitation dans la pièce remplie de classeurs et de livres. Le patron des patrons leva la tête :

– Matt Randwick ! Encore toi ! Dis-moi pourquoi je ne suis jamais surpris de te voir ici ! Quelle invention diabolique t’amène encore dans ce bureau cette fois ?

Il avait pris le ton sévère mais juste que Matt connaissait si bien. Même s’il ne l’aurait jamais avoué, le principal éprouvait au fond de lui une certaine affection pour ce garçon. Grâce à lui il y avait un peu de vie dans ce collège de campagne éloigné de tout. Sans attendre, Matt s’assit en vieil habitué qu’il était avant de répondre :

– Bonjour monsieur Johnson, madame Parkinson m’envoie à cause de mon retard de ce matin.

– Matt ! Veux-tu te lever et attendre ma permission avant de t’asseoir !

Matt s’exécuta en soupirant mentalement.

– Merci ! Assieds-toi ! Si je sais compter c’est la quatrième fois que tu arrives en retard ce mois.

– C’est-à-dire que…

– … Stop ! coupa Johnson. Je ne veux même pas connaître tes raisons, quatre retards engendrent deux heures de retenue, à toi de choisir quand.

– Deux heures ?

Matt jouait la surprise espérant la clémence du jury ou au moins une remise de peine.

– C’est le règlement Matt, ne fais pas l’innocent, tu le connais bientôt mieux que moi, répondit Johnson insensible et sûr de lui.

– Okay ! okay ! ben… mercredi.

– Parfait, je te note mercredi et sois à l’heure !

– J’y serai, dit Matt en se relevant.

– Attends, reste assis, j’aimerais discuter un peu avec toi.

– Discuter avec moi ? De… de quoi ?

Ça ne lui disait rien de bon…

– Discuter de ton avenir.

– Mon avenir ?

– Oui ton avenir. Que veux-tu faire après l’école, tu le sais ?

– Pas vraiment non, mais je sais ce que je ne veux pas faire.

– C’est déjà pas mal. Qu’est-ce que tu ne veux pas faire alors ? questionna-t-il visiblement intéressé.

– Des études et finir dans un bureau, répondit Matt sans hésiter.

– Bien. Matt, écoute-moi c’est important. J’ai eu l’occasion de discuter avec ta charmante mère de nombreuses fois et nous avons justement évoqué ton avenir. Je ne te cache pas qu’elle est très inquiète à ton sujet. Elle m’a dit que tu n’étais pas encore fixé, or tu es en dernière année, année que tu as déjà doublée une fois. Je ne te cache pas que la plupart de tes camarades ont déjà choisi une voie, mais toi… Je n’aimerais pas que tu restes sur le carreau tu comprends ? Tu es un garçon intelligent, n’est-ce pas ? demanda le principal voulant capter son attention au maximum.

– Je crois…

– Bien. J’ai un cousin à Greenfield qui possède sa propre entreprise de peinture en bâtiment, tu le connais peut-être. Il est seul et le travail ne manque pas. Il m’a demandé si je connaissais un jeune motivé et capable à qui il pourrait apprendre le métier et lui apporter la formation nécessaire. Il a besoin d’un sérieux coup de main et qui sait, plus tard peut-être d’un associé ? J’ai tout de suite pensé à toi.

– À moi ? C’est gentil Monsieur Johnson. Mais pourquoi moi ? Après toutes les crasses que j’ai faites dans ce collège…

Matt n’en croyait pas ses oreilles.

– Je te l’ai dit, la plupart des autres élèves savent ce qu’ils feront l’année prochaine, mais pas toi et entre nous je me doutais bien que tu ne voulais pas finir dans un bureau…

– Je suis surpris, commenta Matt.

– Tu as tout le temps de réfléchir mais avant de me rendre ta réponse, sache que quelques conditions s’imposent.

– Évidemment, c’était trop beau… quelles conditions ? s’inquiéta aussitôt Matt.

– La première c’est de ne plus te voir une seule fois dans ce bureau jusqu’à la fin de l’année scolaire, la seconde c’est ta ponctualité. Un employeur ne peut se permettre de voir son ouvrier arriver en retard tous les matins. Aujourd’hui c’était ton dernier retard de l’année, je me fais bien comprendre ?

– Très bien monsieur.

– Nous en reparlerons en temps voulu, d’abord réfléchis bien à cette offre, il n’y en aura peut-être qu’une. Il faut que tu sois sûr de toi car c’est ton avenir que tu prépares ! Voilà, j’en ai fini, tu peux disposer maintenant.

– Merci monsieur, je… je vous suis reconnaissant et je vais sérieusement y réfléchir.

Matt se dirigea vers la porte encore stupéfait. Dire qu’il se rendait chez le principal pour une punition et en ressortait avec une offre d’emploi. La vie était bizarre parfois !

Mary fut ravie de voir son fils prendre enfin son destin en main et s’intéresser à autre chose qu’au surf. Si au fond de lui il sentait vraiment l’envie d’apprendre ce métier, il fallait foncer, mais cette décision ne se prenait pas à la légère.

Une fois couché dans son lit, Matt imagina son avenir, inventant les images et le scénario, voyant toutes les tournures possibles que pouvait prendre sa vie. Avant même de s’endormir il avait arrêté sa décision. Il allait demander à Monsieur Johnson un entretien avec son cousin dès le lendemain. C’était finalement une bonne journée pour un lundi, malgré les deux heures de retenues récoltées. Et pour ne rien gâcher, Lisa Orwell lui avait même fait un sourire très prometteur pendant le cours d’histoire. Depuis le temps qu’il attendait un signe de sa part, il n’allait pas laisser passer une si belle occasion…

Chapitre 7

Matt se réveilla d’excellente humeur. Il était à l’heure et sa mère lui avait déjà préparé son bol de céréales. Ils auraient le temps de discuter un peu ce matin. Il descendit les marches d’un pas lourd, bâilla à se décrocher la mâchoire tout en se grattant les parties, comme si elles devaient aussi se réveiller, et entra dans la cuisine :

– Bonjour M’man !

– Salut mon chéri, bien dormi ? demanda Mary qui n’avait fait aucun cauchemar cette nuit.

– Très bien dormi. Tu sais hier soir j’ai bien réfléchi à la proposition de Johnson, son offre m’intéresse beaucoup !

Il but une gorgée de jus d’orange.

– Je vais demander un entretien avec son cousin, qu’en penses-tu ?

– Je trouve ça très bien Matt. Il faut vraiment que tu sois sûr de ce que tu veux. Tu n’es pas obligé de lui répondre aujourd’hui tu sais ?

La voix de la sagesse avait parlé.

– Ouais… je suis presque sûr que ça va me plaire mais tu as raison, je vais encore y réfléchir.

Bien décidé à respecter la seconde condition imposée par Monsieur Johnson, il arriva pile à l’heure. Les élèves attendaient dehors l’arrivée du professeur d’anglais en profitant des premiers rayons du soleil. Il faisait déjà très lourd malgré l’heure matinale. Matt repéra Lisa en pleine discussion dans un groupe de filles face à lui, elle lança un regard furtif dans sa direction… Elle avait la classe naturelle. Sa façon de marcher, ses longs cheveux bruns lissés jusqu’à la moitié du dos, ses superbes yeux en amande d’un bleu incroyablement clair, son petit nez retroussé, le tout saupoudré d’une intelligence hors du commun en faisaient la fille la plus convoitée du collège. Mais personne n’osait la courtiser ! Les garçons étaient trop impressionnés et la voyaient inaccessible.

Issue d’une riche famille catholique et très pratiquante, Lisa Orwell était pourtant une fille simple, ouverte et naturelle, avec un petit côté bourgeois qui n’était pas sans charme. Pour Matt, elle incarnait la haute société, un monde si différent du sien !

Après avoir raté son année, il avait atterri dans sa classe et avait tout de suite remarqué cette fille. Ils ne s’étaient encore jamais vraiment parlé. Elle lui paraissait trop intelligente pour s’intéresser au petit rigolo de la classe.

Mais l’école organisait un bal pour la Saint-Valentin et son intention était de l’inviter, elle allait sûrement dire : « Désolé mon cher Matt mais je suis déjà prise et puis d’abord, pourquoi je viendrais avec un type comme toi ? » Mais que risquait-il ? Prendre une veste ? Lisa valait bien une veste ! Même un manteau ! Il attendit donc patiemment la pause. Au bout d’une éternité, la sonnerie retentit enfin. Il rassembla son courage, ce n’était pas le moment de flancher. Lisa sortit de la salle et prit la direction des toilettes. Il s’assit sur le banc et attendit patiemment son retour pendant que son cerveau échafaudait mille et une façons de l’aborder en répétant sa prière : « Ne dis pas non, je t’en supplie Lisa, ne dis pas non… » comme si cette pensée pouvait influencer sa réponse. Après deux minutes qui en parurent cinq, la porte des toilettes s’ouvrit enfin. Matt ressentit une drôle d’impression dans son ventre, il ne devait pas reculer, pas maintenant… il rassembla son courage et s’approcha d’elle :

– Excuse-moi Lisa… demanda-t-il hésitant.

– Oui ?

Elle tourna la tête vers lui avec un sourire plein de douceur. Le temps se suspendit l’espace de quelques secondes avant qu’il ne reprenne ses esprits.

Lisa, intriguée, sentait ses jambes trembler. Elle tentait de garder son sang-froid. Avait-il remarqué ? Elle avait le béguin pour lui ! Elle adorait son petit côté rebelle et puis Matt était plutôt beau gosse… Son corps et son cœur étaient en ébullition.

– Lisa écoute je… euh… je sais pas trop comment te demander mais… euh… est-ce que… enfin… est-ce que ça te dirait de venir au bal avec moi ? balbutia-t-il maladroitement.

– Bien sûr avec plaisir, répondit-elle sans hésiter en le gratifiant d’un immense sourire.

Matt sentit un gigantesque feu d’artifice intérieur, et voilà comment deux êtres se croyant inaccessibles l’un pour l’autre s’étaient finalement trouvés. Le destin faisait parfois bien les choses…

Il fallait encore à Lisa la permission de ses parents pour le bal, ce n’était pas gagné d’avance, mais elle avait la ferme intention d’y aller avec ou sans leur accord. Elle ne pouvait manquer cette soirée sous aucun prétexte, quitte à s’enfuir par la fenêtre !

Peter Orwell était quelqu’un de sérieux. Il dirigeait la succursale de la première banque du pays implantée en plein cœur de Greenfield. Cet homme rigide portait en permanence un complet-cravate, Lisa se demandait même parfois si son père l’enlevait pour dormir. Son visage n’avait rien de comique, un regard dur, des lèvres fines et d’épais cheveux courts et grisonnants divisés par une impeccable raie de côté. Chez lui rien n’était laissé au hasard, tout comme chez sa chère épouse Adelaïde. Madame Orwell n’avait rien non plus d’un boute-en-train. Son caractère pouvait se lire sur son visage : strict, sévère et rigide. Elle s’habillait exclusivement en tailleurs importés directement de France qu’elle payait une fortune. Ses cheveux en éternel chignon, ses immenses yeux noirs et les traits secs de son visage la rendaient antipathique à bon nombre de voisins et ce n’était pas entièrement faux. Naturellement, Lisa aimait ses parents. Ils étaient intelligents, cultivés et lui avaient offert les meilleures armes pour réussir sa vie : une très bonne éducation, l’esprit d’indépendance et une stabilité de couple à toute épreuve. Mais elle les trouvait malgré tout terriblement sérieux et ennuyeux ! Les occasions de rire étaient plutôt rares à la maison.

Les Orwell possédaient la plus belle résidence de Greenfield. Peter gagnait confortablement sa vie mais leur fortune venait surtout de sa belle-famille. Adelaïde était née quarante-cinq ans plus tôt dans les draps de soie d’une famille bourgeoise et catholique qui avait bâti sa richesse dans l’immobilier. Elle avait hérité d’une petite fortune qui en faisait sans doute la famille la plus aisée loin à la ronde. Les Orwell étaient très croyants. Chaque repas commençait par une prière et ils se rendaient à l’église tous les dimanches sans exception. Lisa n’avait pas la même ferveur chrétienne que ses parents mais la messe du dimanche ne la dérangeait plus autant qu’avant, elle s’y était habituée. Et puis les sermons du père Lane pouvaient parfois être vraiment passionnants.

Lisa avait flâné dans la rue un sourire béat sur les lèvres jusqu’à la maison. Elle introduisit la clé dans la serrure mais la porte n’était pas verrouillée :

– Bizarre ! Maman ? Tu es déjà là ?

– Je suis au salon Lisa, répondit une voix fatiguée.

Lisa pénétra dans l’immense salon. Couchée sur le sofa, sa mère se massait délicatement les tempes. Elle comprit aussitôt ce qui se passait. Si elle voulait sa permission pour le bal c’était maintenant ou jamais ! Le moment était idéal ! Lorsque sa mère souffrait de ses migraines plus rien ne comptait. La douleur l’obnubilait tellement qu’elle n’avait plus aucune énergie pour tout le reste.

– Que se passe-t-il maman ? Tu as encore tes migraines ? s’inquiéta Lisa.

– Oui… et aujourd’hui c’est particulièrement violent.

– Tu as besoin de quelque chose ?

– De l’eau ma chérie, amène-moi un verre d’eau s’il te plaît.

Lisa se dirigea vers l’immense cuisine et tout en remplissant le verre, tenta sa chance :

– Tu sais l’école organise un bal pour la Saint-Valentin le quatorze, Matt m’y a invité et je me demandais si…

– Qui est ce Matt ? interrogea-t-elle sans cesser ses massages.

– Oh ! C’est un garçon de ma classe, il est très sympa.

– Mais vous vous connaissez à peine ! protesta faiblement Adelaïde.

Une terrible douleur lui déchira le crâne au même moment, Lisa s’empressa de lui apporter son verre d’eau ainsi qu’une aspirine.

– Merci Lisa, mon dieu ! Ces maux sont de plus en plus insoutenables.

Elle prit le comprimé et avala l’eau d’un trait. Sa tête était au bord de l’implosion.

– Tu es sûr que ça va maman ? Tu veux que j’appelle le docteur ? demanda Lisa de sa douce voix.

– Non ça va, ça va, répondit sa mère peu convaincante. C’est d’accord pour ton bal. Maintenant monte dans ta chambre et laisse-moi tranquille, j’ai besoin de me reposer.

Lisa s’exécuta sans en croire ses oreilles, sa pauvre mère devait vraiment souffrir le martyre pour accepter si facilement. Ne restait plus que la permission de son père, simple formalité puisque la plupart du temps il se pliait aux décisions de son épouse.

Absorbé par ses soucis de travail, Peter Orwell donna son accord sans même avoir écouté la question de sa fille. Presque trop facile… Ce bal s’annonçait déjà comme la plus grande soirée de l’année et le temps allait paraître long jusqu’à la Saint-Valentin !

Elle eut beaucoup de peine à trouver le sommeil et attaqua un bouquin qui après deux heures ne parvenait toujours pas à l’endormir, ses yeux fatigués l’obligèrent néanmoins à éteindre la lumière et ses pensées s’orientèrent aussitôt vers Matt. Ce garçon lui plaisait depuis le début, elle espérait ne pas être déçue en le connaissant mieux… Tout en s’imaginant avec lui, sa main passa sous le duvet et déboutonna lentement le premier bouton de sa chemise de nuit, puis le second… Elle effleurait sa peau si douce du bout des doigts, frémissant sous la caresse lente et régulière. La pointe de ses jeunes seins durcissait alors que sa main parcourait les alentours de sa poitrine tendue, indécise sur les chemins à emprunter. Elle jouait un moment avec l’un, puis l’autre, sa respiration se faisait plus saccadée et la chaleur envahissait sa petite culotte. Ses mains étaient devenues celles de Matt, il l’embrassait passionnément, couvrait son corps entier de baisers. Au bout d’un moment, sa main avait atteint son bas-ventre alors qu’avec une extrême douceur l’autre s’attardait encore sur ses seins. Elle ne s’autorisait pas encore le point sensible faisant languir son plaisir au maximum. Matt lui embrassait le cou, les épaules, la poitrine… Ne tenant plus elle décida de mettre fin à son supplice et s’aventura dans la zone. Il ne fallut guère longtemps avant le feu d’artifice final et son oreiller eut toutes les peines du monde à contenir ses gémissements. Matt venait de lui faire l’amour mentalement et il ne le savait même pas, le pauvre ! Quelques minutes plus tard, elle sombra dans un profond sommeil, totalement détendue.

La semaine suivante fut interminable, mais le grand jour était enfin arrivé : la Saint-Valentin, la fête des amoureux. Dès le réveil, une sensation de trac s’empara de Matt aussi bien que de Lisa et ne les lâcha plus de la journée ! C’était peut-être ça l’amour !

Ils avaient passé de plus en plus de temps ensemble durant la semaine et il se demandait comment il avait pu attendre si longtemps avant de lui parler. Une complicité naturelle s’était installée entre eux. Il devait se rendre à l’évidence ; il était tombé raide dingue de Lisa ! Elle ne semblait pas indifférente à lui non plus ! Une belle histoire d’amour pouvait commencer, et cette histoire commençait ce soir…

La sonnerie de la porte retentit chez les Orwell à dix-neuf heures précises. Bien sûr, Lisa était encore à la salle de bains en train de se préparer, elle n’était pas femme pour rien. Elle jeta un coup d’œil à sa montre posée sur la tablette.

– Merde, déjà sept heures ! Quelqu’un peut répondre ? cria-t-elle.

Elle mit un dernier et discret coup de crayon sur ses yeux et enleva les deux serviettes qui enveloppaient son corps et sa tête, puis enfila sa robe estivale à la hâte. Quelques coups de brosses sur ses longs cheveux suffirent à la rendre irrésistible.

Adelaïde ouvrit la porte sur un jeune homme tout à fait charmant. Il avait remplacé son vieux T-shirt par une chemise blanche et son vieux jean en ruine par un autre jean plus présentable. Ses cheveux avaient, en revanche, gardé leur aspect négligé. La grande dame sèche au regard glacial qui se tenait devant lui ne pouvait tout de même pas être la mère de Lisa ! Après un bref effroi, il balbutia ses présentations :

– Bon… Bonsoir madame, dit-il en souriant. Je suis Matt, est-ce que Lisa est là s’il vous plaît ?

– Oui, elle ne va pas tarder. Ne restez donc pas là jeune homme, entrez je vous en prie…

Il nota une esquisse de sourire sur son visage et remercia le ciel de n’avoir pas doté Lisa du même regard que sa mère. Ses beaux yeux clairs venaient certainement de son père, mais ses pensées furent balayées d’un seul coup en pénétrant dans la maison tant la vue du majestueux hall d’entrée le subjugua ! L’espace et le luxe des pièces lui coupèrent le souffle, il n’avait jamais rien vu d’aussi grandiose !

– Voulez-vous boire quelque chose, Matt ? demanda-t-elle gentiment.

« On dirait un palace, un putain de palace ! » pensa-t-il. Il se demandait si les Orwell avaient encore conscience du luxe qui les entourait ou s’ils étaient blasés lorsqu’il entendit la question.

– Euh… Juste un verre d’eau s’il vous plaît, répondit-il timidement.

Il avait l’air bien élevé malgré ses cheveux longs…

– Lisa ton ami est là, dépêche-toi ! lança-t-elle en direction de la salle de bains.

Elle posa son regard de glace sur lui.

– Alors comme ça vous êtes dans la même classe que ma fille ? Elle ne m’a jamais parlé de vous.

Matt fut un peu déçu mais nullement surpris.

– Oui… En fait on n’avait jamais vraiment parlé ensemble avant. L’année dernière j’ai doublé et c’est comme ça que je me suis retrouvé dans sa classe.

Une femme comme Adelaïde n’accepterait jamais que sa propre fille double une année, mais il n’y avait aucun risque avec Lisa.

– Comme ça vous refaites votre dernière année ? C’est bien dommage ! Ça doit être très embêtant, non ? Au moins vous connaissez déjà le programme.

– Oui… enfin pas vraiment, l’année dernière je n’ai fait que surfer pour vous dire la vérité. Je déteste l’école, confia-t-il.

– Je vois.

La porte de la salle de bains s’ouvrit enfin à l’étage.

– Ah ! Ma chérie ! Tu ne devrais pas faire patienter un si charmant garçon, lança Adelaïde.

Lisa descendit les escaliers sans forcer son élégance naturelle. Les cheveux humides, légèrement maquillée, elle portait une petite robe d’été qui lui donnait l’air d’un ange tombé du ciel. Il la trouva encore plus belle que d’habitude.

– Je vois que vous avez déjà fait connaissance tous les deux ! Excusez-moi pour le retard, déclara-t-elle.

Matt lui aurait tout pardonné ce soir…

– C’est pas grave, ça m’a permis de rencontrer ta charmante maman, répondit-il.

Il avait déjà compris qu’avec une femme comme Adelaïde, la flatterie était une arme redoutable et en une seule phrase il venait de se la mettre dans la poche…

– Le plaisir est pour moi Matt, fit-elle en riant. Revenez quand vous le voulez, vous êtes le bienvenu !

Matt avait marqué de précieux points.

– On va y aller, la soirée commence bientôt, dit Lisa.

– Tu as raison. Il se remit debout en tendant sa main vers Adelaïde. Madame Orwell je suis ravi d’avoir fait votre connaissance et à très bientôt j’espère.

– Moi de même Matt. Passez une bonne soirée, soyez sages et ne rentrez pas trop tard !

– Promis.

Ils sortirent de la splendide demeure et marchèrent en direction du village. Sitôt la porte refermée, elle le dévisagea d’un air étonné :

– Alors là je n’en reviens pas ! Tu as emballé ma mère !

– Suffit d’être poli et souriant. Elle est impressionnante ta mère.

– Je sais. Bien joué Matt !

L’école avait réservé le temps d’une soirée le deuxième étage de la « Pumphouse », l’autre pub de Greenfield qui louait également quelques chambres. Ils entrèrent dans la vaste salle éclairée à la manière d’une discothèque. Une centaine d’élèves sur les cent cinquante que comptait le collège étaient déjà présents. Derrière le bar, sévissait un serveur qui ne vendait que des boissons sans alcool évidemment. Beaucoup n’auraient raté cette soirée pour rien au monde, la soirée la plus attendue de l’année !

Ils dansaient, riaient, se regardaient et parlaient beaucoup mais le temps passait trop vite…

– Et si on allait prendre l’air ? demanda Matt après le troisième slow.

– Bonne idée.

Elle prit sa main et emmena Matt pour une petite balade. Il y avait un petit parc à trois pâtés de maison de là, ils y seraient tranquilles.

– Tu sais Lisa, j’aimerais que cette soirée ne finisse jamais, lui avoua-t-il.

– Moi aussi, je passe une très bonne soirée Matt, grâce à toi.

Ils firent quelques pas dans le parc avant de s’asseoir sur un banc au pied d’un énorme arbre. Le silence s’installa un court instant dans l’obscurité. Il la distinguait à peine mais devinait son joli visage grâce au reflet de la lune. Il décida de briser le silence :

– Lisa… Je crois bien que toi et moi… enfin… Ça marche plutôt bien entre nous et… je me disais…

– Embrasse-moi !

– Quoi ?

– Embrasse-moi Matt ! Moi aussi je t’aime !

Ils approchèrent lentement leurs deux visages. Matt frôla de ses doigts le menton de Lisa et leurs lèvres se rejoignirent délicatement électrisant aussitôt les deux corps adolescents d’un incroyable frisson de bonheur. Elle caressait sa nuque comme un encouragement ou un remerciement et tout se bousculait dans leurs têtes. Ils étaient seuls au monde. Le baiser dura de longues minutes…