P’tit Claude - Michèle-Aimée Fouquier - E-Book

P’tit Claude E-Book

Michèle-Aimée Fouquier

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Beschreibung

Ce livre relate l’histoire d’un garçon traversant la Seconde Guerre mondiale. Après une jeunesse insouciante à Paris, il doit contracter un mariage hâtif avant sa captivité en Allemagne. Il devra survivre dans différents stalags avant de retrouver sa liberté et une vie normale. Saura-t-il s’adapter à tous ces événements ?


À PROPOS DE L'AUTRICE 


Inspirée par l’histoire de son père, Michèle-Aimée Fouquier écrit son troisième roman, avec pour protagoniste P’tit Claude. Un personnage auquel elle s’est de plus en plus attachée au cours de l’évolution de son histoire.

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Veröffentlichungsjahr: 2023

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Michèle-Aimée Fouquier

P’tit Claude

Roman

© Lys Bleu Éditions – Michèle-Aimée Fouquier

ISBN : 979-10-377-9803-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À François M. de Vendée

1933

P’tit Claude avait son certif !

Il allait enfin pouvoir travailler, gagner son argent pour participer à la maison. Être un homme enfin, à presque 13 ans !

C’était la deuxième fois qu’il le passait. Il avait un gros problème avec l’orthographe, et les dix fautes éliminatoires à la dictée lui avaient semblé un obstacle infranchissable. Franchement, c’était vraiment de la maltraitance d’enfants ! Quel intérêt d’écrire flaque au lieu de flac ? Pourquoi mettre des o dans les e (il lui fallait penser à de l’eau dans les œufs…) ? Quant aux accents, ils lui semblaient totalement superflus, surtout les chapeaux ! L’important, c’était d’être compris et que ça sonne pareil, non ?

Il se demandait comment il avait pu y arriver cette fois ; un miracle ! Lui qui n’avait jamais eu de chance, il avait dû dépenser tout son crédit sur ce coup. Pour la rédac, il avait bien été inspiré. Le sujet « L’alcool nourrit, que pensez-vous de cette affirmation ? » provoquait bien des échos en lui ; à la maison, il y avait plus souvent du vin que de la viande… Les autres épreuves, en particulier le calcul, lui semblaient trop faciles.

Pour progresser en français, son maître lui disait de lire et il lisait beaucoup, et sans se forcer, sans avoir l’impression de travailler ; mais les mots imprimés sur le papier et parfaitement compris ne s’imprimaient pas dans son cerveau réticent. Il adorait la lecture qui le faisait s’évader loin, loin. Il admirait ces héros auxquels il aurait aimé ressembler. Les justiciers en particulier. Il détestait tellement l’injustice ! Plus tard il voudrait être redresseur de torts. Son préféré : Robin des bois ; il avait récupéré ce livre de son frère qui avait cinq ans de plus que lui et ne s’y intéressait plus. Il aimait aussi se plonger dans l’encyclopédie de son père à laquelle il n’avait pas le droit de toucher. Mais comme son père était rarement à la maison, c’était facile. Sa mère ne voyait rien ou faisait semblant ; elle préférait tourner la tête ailleurs, bien souvent.

P’tit Claude était fasciné par les machines et le progrès. Dernièrement, il avait lu qu’un Anglais avait inventé un système qui ressemblait à la radio mais avec des images. Un peu comme du cinéma à la maison.

Le cinéma de son quartier l’attirait irrésistiblement. À chaque fois qu’il passait devant, il restait hypnotisé devant l’affiche qui présentait le film. Peut-être aurait-il un jour les moyens de se le payer ?

En attendant, il écoutait la TSF quand il y avait de la musique ou l’émission de Jean Nohain « Jaboune », le jeu « Avec quoi faisons-nous ce bruit ? ». Avec son frère, ils aimaient beaucoup essayer de deviner.

— Je dirais un volet qui bat dans le vent, proposait P’tit Claude.

— Non, plutôt quelqu’un qui saute sur le trottoir, tentait Marcel.

Et c’était quelqu’un qui tapait sur une table avec une cuiller en bois. Mais ils s’amusaient bien tous les deux. Des fois, ils disaient n’importe quoi pour faire rigoler l’autre : la vieille du 4e qui pète en rafale. Fou rire assuré.

La radio, c’était leur frère aîné Robert qui avait fait ce cadeau à leur mère quand il avait quitté la maison. Il y avait 5 ans déjà qu’il avait décidé de prendre sa liberté, de s’enfuir. Le poste de TSF était rudimentaire, fabriqué par un de ses copains électricien qui s’y connaissait. On n’entendait pas toujours très bien et ça ne marchait pas tout le temps, mais P’tit Claude était vraiment ébahi que ça puisse fonctionner avec des ondes qui traversaient l’air.

Mais tout cela ne l’aidait pas beaucoup à progresser en français, et, quand il fallait écrire une lettre importante, c’était son père qui le faisait.

Son père, c’était quelqu’un, il faut dire ! Chef de rayon aux Magasins Réunis à la République, il avait du monde sous ses ordres. Il jouissait d’une grande prestance et détenait une autorité incontestable. P’tit Claude n’osait pas s’adresser à lui sans y avoir été autorisé. La façon dont il corrigeait son grand frère Robert le rendait malade, il n’avait pas envie d’y passer. Robert était parti de la maison dès qu’il avait pu, à 18 ans. P’tit Claude avait alors 8 ans et il n’oublierait jamais les terribles scènes de punitions de Robert : leur père le faisait mettre à genoux, les mains tendues, le bout des doigts meurtris par une règle en fer, Robert hurlait, on l’entendait dans tout l’immeuble et jusque dans la rue. En plus de souffrir avec lui, P’tit Claude avait honte pour sa famille.

Un jour, on n’avait plus revu Robert. P’tit Claude avait entendu des mots comme « bateau, Amérique… ».

À la maison, il n’y avait plus que Marcel et lui. Micheline et Gisèle, ses grandes sœurs, étaient mariées ; Micheline vivait dans le pays de son mari, en Bourgogne, dans sa ferme, et Gisèle habitait tout près : rue Dupetit-Thouars. Il s’était d’ailleurs toujours demandé ce qu’était un « petit ouar », et le vrai nom de cette rue le surprenait. Compliqué, éblouissant, ça racontait toute une histoire, alors qu’en vrai il paraissait que c’était le nom d’un homme célèbre.

Sa grande sœur Gisèle était plutôt une mère pour lui, elle s’en était bien plus occupée durant sa petite enfance que leur mère débordée. Elle lui avait même sauvé la vie, paraît-il ! À deux ans, il avait été très malade, il étouffait, elle restait debout toute la nuit pour le surveiller et le redresser sur ses oreillers pour qu’il puisse respirer. Sa température était montée jusqu’à 42 °C et il avait des convulsions, elle l’avait plongé dans un bain tiède et ainsi contribué à baisser la température, mais pas à guérir la pneumonie. Il fut malade assez longtemps et perdit définitivement un quart de sa capacité respiratoire.

Gisèle était l’aînée, elle avait 15 ans quand P’tit Claude est né. Il allait souvent se réfugier chez elle, elle vivait à quatre minutes à pied et sa porte lui était toujours ouverte. Il s’entendait vraiment bien avec son beau-frère Paulo. Gisèle et Paulo n’avaient pas d’enfant ; Paulo voyait en lui le petit frère qu’il n’avait pas eu, il n’avait pas aimé sa condition de fils unique.

Gisèle était couturière, elle travaillait la plupart du temps à la maison, comme ça P’tit Claude pouvait se réfugier auprès d’elle quand il voulait. Paulo, de son vrai nom Léopold, était employé à l’Union d’Électricité, la compagnie qui fournissait la plus grande partie de l’électricité aux Français. P’tit Claude l’interrogeait souvent sur son boulot : comment fabriquait-on de l’électricité et comment l’amenait-on dans les maisons ? Paulo lui parlait de grands barrages et de fils conducteurs, mais il n’arrivait pas bien à imaginer.

P’tit Claude hésitait entre rentrer chez lui directement, en remontant juste la rue Béranger ou passer d’abord chez eux pour leur annoncer la nouvelle de son succès.

Il sifflotait et faisait parfois un petit pas chassé, emporté par la joie de sa réussite inespérée. Les marronniers en fleurs faisaient comme une pluie de papillons autour de lui, comme si la neige tombait au mois de juin, les flocons voletaient, décorés de petites pointes rosées, il essayait de les attraper au vol en sautant, le ciel était bleu, agrémenté de quelques cumulus qui s’effilochaient en stratus, la vie était belle.

Il arriva très vite au 20, où le grand portail en verre armé de fer forgé était surmonté de sa marquise assortie. De l’école à la maison, c’était tout droit, depuis tout petit il faisait le chemin sans même y penser.

Parfois, il faisait un détour par le square du Temple où il rencontrait souvent les copains et s’amusait, seul ou avec eux, à viser la tête de la statue du bonhomme avec des cailloux, ou à l’escalader.

Mais cette fois ce trajet avait un goût de victoire, il fallait rentrer, vite. Il pénétra dans l’immeuble et, immédiatement à droite, dans la loge de la concierge, sa mère.

— Je l’ai !

— Quoi ?

— Maman ! Mon certif, bien sûr !

— Ah bon ? Et alors ?

— Mais ça y est, adieu l’école !

— Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ?

— C’est les vacances !

— Jusqu’à quand ?

— Je commencerai à chercher du travail à la fin de l’été.

— Pourquoi pas tout de suite ?

— Je suis en vacances ! Je suis inscrit au camp d’été du curé, on va partir dans un monastère à côté de Versailles, près d’une forêt, et on fera beaucoup de randonnées et des feux de camp. On va bien rigoler avec Robert et les autres.

— Ça va nous coûter cher, ça !

— Mais non, Maman, c’est pratiquement payé avec les allocations familiales, j’ai le droit comme sixième enfant.

— Ah bon. Et ton père est d’accord ?

— Mais oui, t’en fais pas.

Sa mère avait toujours du mal à suivre, même quand elle était sobre, elle ne comprenait pas tout. Elle ne se forçait pas beaucoup d’ailleurs, elle n’avait pas voix au chapitre. Le chef, évidemment, c’était le père. Il savait tout, il décidait de tout, il gagnait l’argent pour la famille, même s’il en dépensait beaucoup au jeu, et peut-être même avec des femmes, d’après ce qu’avait entendu P’tit Claude. Sa mère était concierge, ce qui rapportait quand même aussi, et surtout leur permettait d’être logés gratuitement.

— En attendant, va faire les commissions. Je vais faire un potage aux vermicelles et il faut du pain et du fromage. Tu prendras aussi un kilo de pommes.

Ça, les courses, il aimait beaucoup. Sa corvée préférée. Les commerçants le connaissaient bien et la crémière lui coupait parfois un petit bout de gruyère dont il raffolait.

À peine sorti, le voilà qui tombe sur Robert. Son meilleur copain s’appelait comme son frère, c’était un drôle de hasard, ça ! Avait-il été attiré par ce prénom pour lequel il ressentait admiration et respect ? Mais le petit Robert n’avait vraiment rien de commun avec le grand. Physiquement, il était aussi blond que son frère était brun, comme lui. Et puis son grand frère était vraiment costaud alors qu’eux, ils étaient plutôt malingres, avec leurs genoux cagneux dépassant de leur short.

Avec son ami, il jouait tout le temps à Robin des bois. C’était leur héros préféré et ils aimaient s’inventer des histoires autour de sa légende.

Au début, c’est lui qui l’avait suggéré :

— Et si on jouait à Robin des bois ?

— Ben, comment ça ?

— On serait Robin et Petit Jean et on inventerait de nouvelles aventures tous les deux.

— Ah bon ?

— Moi, je suis Robin et toi, Petit Jean.

— Ah non alors ! Je veux bien que si c’est moi Robin ! Et puis d’abord Robin, c’est presque Robert.

— Ah, c’est ça ! Et Jean c’est comme Claude ? Non pas d’accord, c’est moi qui ai eu l’idée, c’est moi Robin.

La première fois, cette chamaillerie en était restée là. Chacun campait sur sa position jusqu’à ce que P’tit Claude décide un jour qu’après tout Robin n’était pas forcément le meilleur rôle. Avant l’arrivée de Robin, Petit Jean était le chef des voleurs de Sherwood, et s’il s’était incliné c’est parce que Robin était noble, seigneur de Locksley. Il connaissait donc plus de choses et était sûrement plus malin que lui. Mais Petit Jean était très grand, très fort, très courageux, très généreux et pas si bête quand même.

Il accepta donc le rôle de Petit Jean. De plus, P’tit Claude savait bien que c’était lui qui déciderait des histoires ; Robert manquait trop d’imagination et c’est en cédant qu’il se montrerait le plus malin.

Ils entamèrent donc une nouvelle aventure.

Ils n’étaient plus dans Paris, France, mais dans la forêt de Sherwood, Angleterre. Chacun se cacha derrière un gros marronnier en attendant l’attelage du shérif. Ils étaient armés de petites branches ramassées par terre faisant office d’arcs et flèches.

Soudain passa une vieille dame avec son filet à provisions. Ils en auraient bien fait Dame Gertrude, mais elle était franchement trop usée ; ça lui aurait sûrement provoqué une crise cardiaque. D’autres personnes se montrèrent, mais ne firent vraiment pas l’affaire, alors ils jetèrent les armes et rentrèrent chez eux, un peu dépités.

— C’était pas formidable aujourd’hui, hein ? dit Robert.

— C’est pas grave, t’en fais pas, tu vas voir la prochaine fois on va tomber sur un carrosse plein d’or pour renflouer nos caisses, ou alors on va libérer des prisonniers du shérif de Nottingham pour rétablir la justice.

Robert vivait vraiment dans l’instant présent, il appréciait ou non ce qui lui arrivait et se laissait flotter au gré des événements, pas vraiment maître de son destin, alors que P’tit Claude ne cessait de se projeter dans son avenir, plein de projets, plus tard il serait quelqu’un ; ils verraient tous !

Quand il arriva à la maison, son père était là. Il se demanda s’il aurait encore une raison de le disputer. Il en trouvait toujours.

— Alors, y paraît que tu as fini par y arriver ?

— Oui, Papa, je l’ai.

— Bon, quand même, c’est pas trop tôt. Alors en attendant ton camp avec les curés, tu vas me faire le plaisir d’aider davantage ta mère, hein !

— Oui, Papa.

— Je veux pas te voir traîner dans la rue, il y a toujours quelque chose à faire dans la maison.

— Oui, Papa.

Ils se mirent à table en silence. Il ne fallait pas parler en mangeant. Et puis de toute façon, ils n’avaient rien à dire. Même Marcel se taisait par peur des représailles. Ils n’avaient pas intérêt à chahuter en présence du paternel.

Juillet arriva à petits pas. P’tit Claude avait vraiment hâte, mais le temps ne passait jamais à la vitesse souhaitée. Son quotidien était… quotidien. À la maison, il faisait sa part de ménage : balai, éponge, vaisselle, lessive. Mais ça lui laissait du temps libre pour aller se baguenauder dans les rues autour de la place de la République, jouer avec les copains, rendre visite à sa sœur Gisèle. Chez elle, il pouvait parler, elle le comprenait et l’encourageait toujours dans ses projets. C’est auprès d’elle qu’il trouvait du réconfort quand il en avait besoin.

Enfin le 3 juillet, il fit son sac et se rendit au patronage pour le départ en autocar à 8 h. Quelle excitation ! Il ne tenait plus en place depuis deux jours et il saoulait sa mère et son frère. Marcel était évidemment jaloux, car lui, il n’y avait jamais eu droit. P’tit Claude était quand même le chouchou de la famille ! Le petit dernier avait tout, tout, tout.

Arrivé au patronage, P’tit Claude chercha immédiatement Robert, mais il n’était pas là. Évidemment, lui était en avance, mais tout de même. Il commença à se faire son cinéma dans sa tête. Robert avait eu un accident, il ne viendrait pas. P’tit Claude serait seul au milieu des autres garçons avec lesquels il n’avait pas beaucoup de points communs. Ou alors, Robert avait simplement renoncé et l’avait laissé tomber. Ou peut-être que c’était son père qui était mort subitement et il était obligé de rester pour l’enterrement. Ou, si ça se trouve… Ah ! Le voilà ! Ouf !

Robert arrivait tranquillement, il était à peine moins cinq, on allait monter dans le car. Ils réussirent à s’asseoir côte à côte, c’était chouette, ils allaient pouvoir rigoler ensemble pendant plus d’une heure.

— Ça va ? Pourquoi t’arrives si tard ? demanda P’tit Claude.

— Oh, tu sais, les recommandations et embrassades de dernière minute… « Et n’oublie pas ton cache-nez (en plein juillet !), et as-tu bien pris ton casse-croûte ? » Ma mère a toujours peur pour son poussin, elle ne me voit pas grandir, ça va faire du bien de s’échapper un peu.

— Moi, j’aimerais bien… dit P’tit Claude, songeur.

Le voyage passa en un éclair, les paysages défilaient, nouveaux pour eux qui n’avaient jamais quitté leur quartier. Ils s’en mettaient plein les mirettes, enivrés de toute cette nouveauté.

À l’arrivée, ils furent impressionnés par le grand portail qui marquait l’entrée du domaine. Il s’agissait d’une abbaye cistercienne, en bordure de la forêt de Meudon et au bord de la Bièvre. Le parc était immense. Ils allaient en faire des parties de cache-cache !

Le car les déposa au milieu d’une grande cour et ils furent conduits dans un vaste préau équipé de planches en bois sur lesquelles s’étalaient des paillasses ; ce serait leur dortoir. Que de chahuts en perspective ! Le réfectoire était celui des moines, pas question de bataille de boulettes de pain.

Quand ils eurent choisi leur place et posé leur sac, ils purent s’égailler dans le parc. Les deux amis partirent en exploration de leur côté. Ils n’avaient jamais vu un si beau et si vaste domaine, avec de si grands arbres autres que leurs marronniers du 11e. L’un d’entre eux, immense, se perdait dans les nuages et ils ne parvenaient pas à en faire le tour avec leurs bras reliés. Il devait avoir au moins mille ans. Pour des gosses du trottoir, ce parc était un domaine enchanté. Des arbres partout, de toutes sortes, de toutes tailles, alors que les marronniers de leur rue étaient quasiment tous semblables ! Les odeurs aussi les enivraient, les bruits éveillaient leur curiosité : un lapin ? Un oiseau ? Un serpent peut-être ? Le vent dans les ramures, l’agitation des feuilles, quel concert auditif et olfactif !

Le dîner eut lieu à six heures et demie, avec prière au début et à la fin bien sûr, on n’y échappait pas, mais c’était un tribut léger pour les vacances qui les attendaient.

Le soir, au lit à 9 h, après quelques jeux tous ensemble, puis extinction des feux à 9 h 30. Ils n’avaient pas vraiment envie de dormir, la journée qui venait de s’écouler avait été tellement riche qu’ils en étaient encore tout excités. Ils essayaient de ne pas parler trop fort, mais l’abbé avait l’oreille fine et il avait déjà obligé deux garçons à se lever, les avait fait mettre au garde-à-vous face à leur paillasse et réciter dix actes de contrition. « Mon Dieu j’ai un très grand regret de vous avoir offensé… »

P’tit Claude ne comprenait pas en quoi les garçons avaient offensé Dieu en rigolant sous leur couverture.

Ils étaient dix, de 10 à 14 ans, ils se connaissaient grâce au patronage où certains venaient tous les jeudis depuis des années. Ils avaient l’habitude de jouer ensemble au béret, à la balle au prisonnier, au foot évidemment, et d’autres jeux encore. Mais P’tit Claude ne cherchait pas beaucoup à se faire des amis, il les fréquentait, c’est tout.

Le lendemain, il était prévu une grande chasse au trésor dans le parc. Levés à 7 h, prière du matin, petit déjeuner avec grâces et bénédicité. Puis réunion au dortoir pour expliquer les règles du jeu. L’abbé, levé encore plus tôt, avait caché des indices un peu partout. Par équipe de deux (ça tombait bien), les garçons devaient en récolter le plus possible pour arriver au bout de la chasse, après avoir résolu des énigmes. L’équipe gagnante serait la première arrivée.

Premier papier, facile : que lance-t-on en l’air blanc et qui retombe jaune ? Un œuf.

Deuxième, un peu plus difficile : « Je marche à 4 pattes le matin, à 2 le midi et à 3 le soir ». P’tit Claude la connaissait celle-là : c’est l’homme, mais il dut l’expliquer à Robert ; au matin de sa vie, l’homme marche à 4 pattes car c’est un bébé, au milieu c’est un bipède, et à la fin il utilise une canne. C’est le Sphinx qui l’avait posée à Œdipe, paraît-il.

La journée passa ainsi très vite, avec beaucoup de rires et d’échanges d’une équipe à l’autre. Échanges de lazzis, de moqueries, mais aussi trocs d’indices. Les gagnants furent Dédé et Maurice, mais ils étaient les plus âgés aussi… Robert et P’tit Claude furent deuxièmes. Pas si mal.

D’autres activités leur plurent aussi : un soir, un feu de camp au milieu d’une grande clairière, ils apprirent des chansons tous rassemblés autour ; l’abbé jouait de la guitare. Ça faisait drôle de le voir jouer et chanter :

« Je suis né dans l’faubourg Saint-D’ni

Et j’suis resté un vrai gosse de Paris

Vos promesses et tous vos serments

Je n’y crois pas car c’est du boniment… »

Un curé ! P’tit Claude pensait qu’il ne connaissait que des chansons d’église. Les gens sont étonnants, tout de même.

Une autre soirée fut inoubliable, et c’est certainement ce qui lui fit connaître les plaisirs du théâtre : ils durent construire une saynète par deux ou plus, et la jouer le soir devant les autres. Évidemment, P’tit Claude et Robert se mirent ensemble et y travaillèrent jusqu’au soir. Il était question d’un malade imaginaire, un peu comme dans Molière, qui harcelait son médecin pour des bêtises. P’tit Claude, le malade, se plaignait d’un tas de bobos, comme dans la chanson « Je n’suis pas bien portant » d’Ouvrard, la rate qui s’dilate, le foie qu’est pas droit, l’estomac qu’est patraque… et Robert, le docteur, lui prescrivait toujours la même chose : un p’ti coup d’rouge, ça peut pas faire de mal. Ils rirent vraiment toute la journée en écrivant le texte, mais le soir, quel trac avant de le jouer ! Et ça fit rire tout le monde ! Quel succès ! P’tit Claude adora se mettre dans la peau d’un personnage qui n’était pas du tout lui. Le goût du théâtre lui tomba dessus.

P’tit Claude passa là les plus belles vacances de sa vie, il ne les oublierait jamais.

Mais il fallut bien rentrer à Paris.

Heureusement, le 14 juillet était bientôt là. Le 14 juillet avec ses feux d’artifice et ses bals populaires. P’tit Claude attendait toujours cette fête avec impatience, un feu d’artifice à Paris, c’était quelque chose ! Lui, il allait sur le Pont-Neuf avec les copains, à une demi-heure de chez lui ; il ne raterait ça pour rien au monde.

Le jour du 14 juillet, il demanda l’autorisation d’aller également assister au bal place de la République, au lieu de rentrer directement comme les années précédentes. Maintenant qu’il avait obtenu son certif et qu’il allait bientôt entrer dans le monde du travail, son père la lui accorda. Robert était de la partie, bien sûr, et ils avaient le droit de rentrer à minuit.

La place était entièrement décorée de guirlandes et de lampions, la musique résonnait allègrement dans tout le quartier, les gens endimanchés affluaient de toutes parts. Ça criait, ça rigolait, ça s’interpelait de loin, on retrouvait tous les voisins, petits et grands. Beaucoup de parents y emmenaient leurs enfants, même très jeunes, et tout le monde dansait. Quelle explosion de joie submergeant Paris ! P’tit Claude aurait pu rester des heures à regarder danser les couples. Il se laissait bercer par le rythme des valses en observant les pieds, pas toujours bien synchronisés, ni avec la musique ni avec le partenaire, mais ce n’était que du bonheur qui virevoltait.

Là, un très beau couple : lui ressemblait à un hidalgo et elle à une gitane, ils tournoyaient en rythme à une cadence folle, enivrante, ils avaient l’air de s’aimer au point de se fondre en une toupie. Il aurait voulu être eux. Il se promettait d’apprendre à danser, il demanderait à Gisèle et s’entraînerait beaucoup et l’an prochain, il oserait inviter une jeune fille ou même une dame.

Cet autre couple, formé d’un petit garçon et sa maman l’attendrissait. Le petit garçon d’environ 6 ans enlaçait le bassin de sa mère dont il ne faisait pas le tour, et levait les yeux vers elle, extatique. P’tit Claude rêvait d’aimer un jour aussi fort que ça, tout ce qu’il pouvait enlacer jusqu’à présent, c’était son oreiller.

Ce troisième duo, tellement mal assorti au contraire, l’étonnait fortement : un petit gros faisait valser un grand cheval, sans aucune peur du ridicule, et ils s’amusaient vraiment beaucoup.

La France entière était en joie.

Personne ne savait encore qu’une loi abominable avait été votée ce même jour par les nazis. Une loi ordonnant la stérilisation immédiate de tous les sourds, aveugles, alcooliques, schizophrènes… Et, si la stérilisation des hommes serait chirurgicale, celle des femmes serait inhumaine : on leur injecterait de l’acide dans l’utérus ; la douleur serait tellement insupportable que certaines en mourraient.

Le 15 août suivit le 14 juillet de très près, dans la mesure où il ne se passa rien de particulier entre les deux. L’été était chaud, P’tit Claude se rafraîchissait dans les fontaines parisiennes.

Et il eut 13 ans.

Ses parents lui offrirent le vélo de son grand frère qui trouvait désormais ses performances insuffisantes pour de grands déplacements dans Paris. P’tit Claude le guignait depuis déjà un an, il rêvait d’aller un peu plus loin qu’à pied, il était curieux de visiter d’autres endroits, d’aller voir la tour Eiffel et l’Arc de Triomphe qu’il n’avait jamais vus. Et puis il allait bientôt travailler et il en aurait besoin. À part ça, il aurait bien aimé avoir un gâteau d’anniversaire, mais sa mère n’en faisait plus depuis longtemps, ce n’était pas une grande pâtissière. Il faut dire aussi qu’il y en avait eu trop dans sa vie, des anniversaires, et que le souvenir de ceux qui manquaient dorénavant était trop douloureux.

Puis la fin de l’été approcha et son père le pressa de chercher du travail. Il se mit en quête, en parla aux voisins, aux copains et aux commerçants du quartier. Pas grand-chose pour un adulte, donc rien pour un adolescent à peine au sortir de l’enfance. Il vantait son courage, il était prêt à n’importe quoi. La crémière, qui l’avait toujours eu à la bonne, finit par lui parler d’un beau-frère qui tenait un magasin de radio rue Vieille du Temple, et qui cherchait une arpette ; il n’avait qu’à y aller de sa part.

Il s’y rendit. C’était vraiment un petit magasin, avec une vitrine aussi étroite qu’une fenêtre où s’entassaient quelques postes de TSF poussiéreux disposés de guingois. On devait monter trois marches pour y accéder, on poussait la porte et une cloche tintait qui faisait sortir le patron de son antre, tout au fond, dans lequel il faisait des miracles avec l’électricité. P’tit Claude entra. La cloche sonna. Mais personne n’apparut. Il ressortit, entra à nouveau, pensant que la cloche n’avait pas été entendue la première fois. Mais toujours rien. Il n’osait pas appeler, faire du bruit pour attirer l’attention. Il ne bougeait pas, se tenant bien droit pour faire bonne impression le cas échéant. Au bout d’un certain temps, 5 ? 10 minutes ? Un homme, la quarantaine bien tapée, avec une blouse grise, des cheveux plaqués à la brillantine et des petites lunettes rondes plantées au bout du nez, se décida à apparaître, et lui demanda ce qu’il faisait là, le regardant par-dessus ses lunettes, tout en continuant à frotter un objet qu’il tenait à la main.

— Pardonnez-moi de vous déranger, je cherche du travail et c’est madame Dubois, ma crémière, qui m’envoie vers vous.

Un silence, monsieur Roussel le détailla des pieds à la tête, en semblant réfléchir.

— C’est exact, je cherche un jeune homme pour toutes les petites corvées que je n’ai pas le temps de faire : ménage, rangement, tri… Ce ne sera pas beaucoup payé, je te préviens.

— Je ne demande pas grand-chose, je veux juste pouvoir commencer à travailler, je viens seulement d’obtenir mon certificat d’études.

— Naturellement, il me faudra l’autorisation de tes parents, quel âge as-tu ?

— 13 ans, répondit fièrement P’tit Claude en redressant le menton, et chez moi je m’occupe toujours du ménage et du rangement car ma mère est très fatiguée.

— Alors ça marche, je t’attends lundi à 8 h avec une lettre signée de tes parents s’ils ne peuvent pas venir me rencontrer en personne.

C’est ainsi que P’tit Claude devint grand.

Il gagnait 7F par jour, en travaillant de 8 h à 16 h. Il n’en avait pas espéré autant, sachant que Marcel à 18 ans, en usine, travaillait 12 h par jour pour seulement 15 F. Et le travail ne lui semblait pas trop difficile. Ses parents convinrent de lui octroyer 10 % de son salaire en argent de poche ; il pourrait enfin s’acheter des choses à lui, sans avoir à demander la permission.

Arriva brutalement décembre, puis Noël, quasiment sans prévenir. Il avait fait quelques économies, et, pour la première fois de sa vie, il avait acheté des cadeaux pour ses parents, son frère et sa sœur. Oh, pas grand-chose, mais il en était très fier. Son père eut une poche de tabac pour sa pipe ; sa mère, des chocolats dont elle raffolait ; Marcel, un illustré et Gisèle, un assortiment de fils à coudre colorés.

1934

Lundi 1er janvier. Quand P’tit Claude ouvrit sa fenêtre en se levant le matin, Paris était dans du coton. Les formes n’avaient plus d’arêtes, les bruits étaient ouatés, tout était blanc. Le soleil piquetait le paysage de petites étoiles. Sur le rebord de la fenêtre, il y avait bien 8 cm de neige. Quelle bataille il allait faire avec les copains !

Ses parents dormaient encore, personne ne travaillait aujourd’hui. Et hier soir ils avaient fait la fête avec des voisins et avaient sans doute abusé de l’alcool. Tant mieux, il aurait la paix ce matin. Pas de ménage, on était comme un dimanche, il ne fallait pas faire de bruit. Il déjeuna rapidement de pain beurré trempé dans du café au lait, s’habilla après s’être débarbouillé d’eau froide au robinet, ça réveillait bien et inutile de faire trop de zèle, il avait fait la grande toilette hier, dimanche. Et zou, dehors !

Ah, le bonheur de marcher dans la neige avec ses gros godillots ! Il y avait encore très peu d’empreintes ce matin, la neige était pratiquement vierge. Il marqua son territoire en faisant des zigzags, des cercles, en revenant en marche arrière ou en marchant de côté. Il adorait ce crissement que lui renvoyaient les cristaux de neige. Il arriva devant chez Robert, dont la mère était également concierge un peu plus loin. La fenêtre de sa chambre donnait sur la rue, comme chez lui. Il cogna légèrement au volet vert et n’attendit pas longtemps pour le voir s’ouvrir sur une tête ébouriffée en meule de foin, aux yeux clignotant d’éblouissement. Il chuchota pour ne réveiller personne :

— On va prévenir tous les potes et organiser une énorme bataille de boules de neige au square, t’en es ?

— Tu parles ! Je m’habille et j’arrive.

Ils mirent quasiment la matinée à en trouver six autres et s’organisèrent en deux armées : la première, commandée par P’tit Claude et son fidèle lieutenant Robert, incluait également Albert et Alfred, des jumeaux dits les deux Al, et la deuxième, dirigée par Dédé et Maurice les deux caïds du quartier et deux amis à eux. Ils se retrouveraient au square à trois heures de l’après-midi.

À l’heure dite, les deux équipes se saluèrent de part et d’autre de la statue et s’écartèrent pour préparer leurs munitions. P’tit Claude proposa une stratégie pendant qu’ils roulaient entre leurs mains gelées de parfaites sphères, bien calibrées et les entassaient. Al inséra un caillou dans une boule, ce qui mit P’tit Claude en colère.

— Vraiment, Al ? Tu veux qu’on éborgne quelqu’un ? C’est pas du jeu, j’suis pas d’accord.

Al grommela et obtempéra. P’tit Claude ne savait jamais auquel il avait affaire, car ils étaient vraiment copies conformes. C’était sûrement pour ça que leurs parents les avaient appelés tous les deux Al, et en plus ils étaient habillés à l’identique. De toute façon, leur blague préférée consistait à se faire constamment passer l’un pour l’autre.

La bataille commença ; sans signal, Robert reçut une première boule dans le dos ; il en renvoya aussitôt une dans une direction approximative. Mais P’tit Claude avait décidé de ne pas laisser faire de façon désordonnée.

— Les deux Al, vous allez passer derrière l’ennemi en faisant le tour du kiosque à musique pendant que Robert et moi nous allons les mitrailler.

En face, ils bombardaient très fort également, mais sans trop viser et sans réaliser qu’ils n’avaient plus que deux ennemis. Quand ils furent pris en tenaille entre les deux groupes, ils ne surent plus où donner de la tête et après une heure de course dans tous les sens, trempés jusqu’aux os, épuisés, ils conclurent l’armistice.

P’tit Claude considéra que ses troupes avaient écrasé l’adversaire.

De retour à la maison, le goûter réconfortant fut parfaitement bienvenu.

En soirée, il mit la radio en route. Un journaliste du nom de Pierre Brossolette parlait du danger hitlérien. Bien sûr, P’tit Claude avait déjà entendu parler du chancelier allemand et de son parti nazi qui faisait un peu peur, mais il n’y croyait pas trop. Il n’aimait pas tous ces alarmistes, ils ne cherchaient qu’à effrayer le monde.

Le lendemain il avait gelé par-dessus la neige et il décida d’aller à pied au boulot, le vélo étant trop risqué. De toute façon ce n’était pas très loin. Il lui faudrait juste 20 min au lieu de 10. Mais ça glissait bien. Il allait soit marcher à petits pas comme sur des œufs, soit carrément patiner.

Monsieur Roussel l’accueillit avec un bonjour jovial ; il semblait toujours heureux cet homme.

— Bon, mon P’tit Claude, aujourd’hui l’essentiel c’est de passer la serpillière après chaque client, sinon le magasin va ressembler à une étable. Et il faut trier la boîte des pièces à ranger.

En effet, quand monsieur Roussel réparait les postes de TSF, les pièces qu’il changeait, il les jetait négligemment dans une grande boîte où tout était mélangé : vis, écrous, clous, lampes, morceaux de galène, bouts de fils de cuivre, vieux condensateurs, bobines… Il avait appris à P’tit Claude à reconnaître ce qui était récupérable et ce qu’il fallait jeter, puis à ranger tous les composants encore bons dans des casiers conçus à cet effet. Ça, c’était le boulot préféré de P’tit Claude, il apprenait beaucoup sur l’architecture des postes de radio. De temps en temps, il demandait à monsieur Roussel ce qu’était ceci, à quoi servait cela, et la plupart du temps le patron prenait le temps de le lui expliquer. Il était d’une grande patience et P’tit Claude le vénérait. Ses journées passaient très vite, il ne s’ennuyait jamais, car, même quand il avait fini ses corvées du jour et qu’il n’y avait pas de client, monsieur Roussel l’encourageait à lire des ouvrages qu’il lui prêtait, concernant la radio et l’électricité. Il en avait fait son apprenti, appréciant au plus haut point la curiosité et l’ingéniosité de ce gamin.

Le soir du lundi 9 février, à l’heure du dîner, il y eut un grand tintamarre dans les rues du quartier. P’tit Claude sortit pour voir ce qui se passait. Les gens affluaient de toutes parts vers la place de la République en scandant des slogans et en portant des pancartes : « Stop au fascisme ! », « Vive les soviets », « Chiappe en prison ». Curieux, il suivit le mouvement. La place était bondée. La police essayait de disperser la foule, ça criait de partout. Soudain, une femme entonna l’internationale et la foule reprit en chœur. P’tit Claude fut soulevé par ces voix à l’unisson, impressionné, son cœur battait fort. Un policier bouscula une vieille femme qui tomba sous les pieds des manifestants, puis il l’aida à se relever. Un coup de feu partit, on ne sait d’où. Et un deuxième. Les policiers tiraient sur la foule. P’tit Claude prit ses jambes à son cou jusque chez lui, sans souffler.

Le lendemain les journaux annonçaient 9 morts. C’était déjà moins que le vendredi précédent, le 6 février, où les fascistes qui manifestaient place de la Concorde avaient essuyé bien plus de pertes : les cavaliers de la garde républicaine avaient tué entre 15 et 30 personnes, et blessé près de 1500.

P’tit Claude ne s’intéressait pas beaucoup à la politique, surtout quand il voyait de telles brutalités en son nom ; il était seulement curieux de ce qui se passait et se tenait un peu au courant des nouvelles. Il lisait le journal de son père quand ce dernier l’avait terminé, mais il était bien plus attiré par les résultats sportifs. Un nouveau record cycliste avait été établi à la Cipale, la « Squadra Azzura » préparait sa coupe du monde de foot en Italie, mais il attendait par-dessus tout les 24 h du Mans étant passionné de course automobile et, évidemment, le tour de France.