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Océane, maman et biographe au don intuitif qu’elle peine à assumer, accepte d’aider une de ses clientes à retrouver son fils aîné disparu inexplicablement. Entre la France et la Malaisie, d’espoirs en vérités, la jeune femme, toujours à la recherche de son passé familial, ira de découverte en découverte, aussi surprenantes qu’insolites.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Catherine Saint-Cast entretient une relation intime avec les mots, qu’elle considère comme des passerelles vers l’émotion et la mémoire. Dans le premier tome publié aux éditions Le Lys Bleu en 2024, elle révélait les blessures familiales d’Océane. Ce deuxième tome approfondit le parcours de cette héroïne confrontée à un passé inattendu. L’auteure poursuit ainsi son exploration des silences et des secrets qui façonnent l’existence.
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Seitenzahl: 218
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Catherine Saint-Cast
Pans de vies
Tome II
Roman
© Lys Bleu Éditions – Catherine Saint-Cast
ISBN : 979-10-422-6753-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Assise à son bureau, Océane fixait l’écran de son ordinateur. Cette page blanche semblait la narguer depuis plus d’un quart d’heure. La panne !
Elle ne parvenait pas à se concentrer sur ce prochain recueil qu’attendait cette nouvelle cliente, envoyée par Henri.
Une débauche d’images perturbait sa réflexion ce matin-là, à commencer par la plus importante à ses yeux et son cœur de mère. Amaury s’était accroché à son cou devant le portail de son école comme s’il ne devait plus la revoir. Elle l’avait suivi du regard jusqu’à ce qu’il disparût, happé par le flot d’élèves qui l’avait entraîné dans le hall. Plusieurs fois, il s’était retourné pour vérifier sa présence et sa petite mine attristée poursuivait Océane, tel un reproche de l’avoir abandonné.
Elle ne comprenait pas ce chagrin, voire ce désespoir qu’il affichait en s’acheminant péniblement vers sa classe. Il ne lui avait rien confié de sa souffrance. C’était un petit garçon sociable, rieur, intelligent, avide de connaissances. Que s’était-il passé après seulement deux mois de classe préparatoire ? Tout allait si bien, il se montrait si heureux jusqu’ici. Et ces maux de ventre qui étaient soudainement survenus depuis deux jours au moment du petit déjeuner… ! Le bonheur lui échappait-il sans qu’elle, sa mère, pût l’aider à le rattraper ? N’avait-il plus confiance en elle ?
Peut-être devrait-elle rencontrer son institutrice… Océane repoussa son fauteuil. Un café et un coup de fil à sa mère s’imposaient en cet instant.
Océane raccrocha rapidement, consciente qu’elle méritait sûrement cette algarade de sa mère, professeure à la retraite qui, dans son activité, avait davantage souffert de l’attitude des parents que de celle des enfants. Jamais sa mère n’était intervenue dans ses conflits à l’école, donnant quasi systématiquement raison à ses professeurs. Une bonne scolarité ne pouvait s’effectuer sans le respect dû aux enseignants. Océane lui en avait souvent fait grief, persuadée que sa mère ne l’aimait pas suffisamment pour la défendre. Tout comme son jeune frère Tristan, elle avait dû apprendre à gérer ses émotions, ses différends, sans intervention parentale. Ils avaient tous deux gagné en autonomie, en responsabilité. Océane en avait pris conscience bien plus tard.
Mais, six ans, c’était un peu jeune pour gérer ce nouveau monde qui s’imposait à Amaury… ! Elle résolut de suivre le conseil de sa mère et d’attendre de discuter avec son fils au moment opportun.
Elle reposa sa tasse vide dans l’évier et revint s’asseoir devant son écran. Elle devait absolument terminer ce livret et le remettre au plus vite à Emeline Frégnac, à laquelle l’avait recommandée Henri Martineau.
Cet avocat, devenu l’un de ses amis par le biais de son activité, l’entraînait dans une aventure qui dépassait ses capacités. Elle ignorait comment elle pouvait aider cette femme, veuve depuis deux ans, dont le fils avait disparu une décennie plus tôt.
Touché par l’intense chagrin de cette femme, dont il avait bien connu le mari, Henri lui avait conseillé de faire appel aux services d’Océane, laquelle saurait certainement la renseigner sur le drame qu’elle vivait.
Pourquoi donc avait-il fallu qu’il confie à Madame Frégnac qu’Océane possédait des dons qui permettraient de résoudre le mystère de la disparition de son fils ? Elle n’avait cure de ce genre de publicité, surtout dans l’état de méconnaissance de ses soi-disant dons. Elle ne maîtrisait rien dans ce domaine, mieux encore, elle refusait de s’engager dans cette voie.
Elle ne voulait pas se sentir différente de ce qu’elle avait toujours été, « normale ». Le paranormal ne la tentait nullement, tout comme la voyance, l’occultisme que pratiquaient sa mère et sa grand-mère, deux femmes qu’elle n’avait jamais connues. Le peu qu’elle en avait appris, elle le tenait de ses parents adoptifs et ces derniers avaient tous deux les pieds bien sur terre, un modèle dont ne souhaitait pas dévier Océane.
Courageusement, la jeune femme tente de résumer ce pan de vie de la famille Frégnac dans laquelle Emeline s’est enlisée.
Elle écoute les enregistrements, relit ses notes, vérifie son plan et se lance à l’assaut de son clavier.
Michel Frégnac, un homme d’affaires avisé, est parvenu à se constituer un patrimoine relativement important à force de travail, sans épargner ni sa peine, ni son temps… ni sa famille.
Dès la naissance de leur premier enfant, Philippe, sa femme, Emeline, abandonne des études de lettres prometteuses.
Océane bloque sur cette phrase en constatant que sont souvent et étonnamment qualifiées de prometteuses des études non menées à leur terme.
Deux et trois ans plus tard, Louis et Sophie rejoignent cet univers ouaté et confortable édifié par leur père.
Les trois enfants deviennent l’orgueil de leurs parents, surtout de leur père qui n’a que trop peu de temps à leur consacrer. Ils sont intelligents, bien élevés, il est évident qu’ils se construiront une situation enviable dans la société. Les études seront longues et coûteuses, mais leur réussite n’a pas de prix.
Rien n’est trop beau pour eux. Vacances, week-ends, sports, loisirs, habillement, Michel s’en remet complètement à sa femme pour utiliser au mieux l’argent destiné au confort des siens. Certes, il dispose de peu de temps libre mais, le temps d’un week-end, il parvient à s’échapper dans leur maison de campagne, ordinateur et téléphone portables à proximité de main et d’oreille.
Les années passent. Philippe a obtenu son bac et se dirige vers des études de droit, convaincu par son père, depuis son entrée au lycée, qu’il est doué pour la magistrature.
Philippe doute. Il n’a pas seulement su plaider sa cause pour infléchir la décision de son père, en dépit du soutien de sa mère. Il se projetait aux Beaux-Arts plutôt que dans un amphi grouillant de futurs avocats, juges ou commissaires. Le dessin l’avait toujours attiré. Il pouvait passer des heures à faire éclore des personnages qui jaillissaient du papier en étincelles de vies colorées. La fiction l’intéressait plus que la réalité, surtout celle de la Justice. Il espérait avoir un jour l’occasion de bifurquer pour rejoindre ce monde merveilleux qu’il sentait sien.
Il lui fallait seulement attendre que son père se rende à ses raisons, qu’il comprenne enfin à quel point le dessin représentait une passion pour son fils aîné. Défendre les intérêts de la société paternelle, ce projet mûri par son père, ne le captivait nullement.
Le monde des affaires n’était pas fait pour lui et il n’avait jamais caché son aversion pour cette entreprise qui dévorait son père. Il n’avait aucune intention de la diriger à son tour. Il lui fallait le ciel, la nature, la lumière, les couleurs de la vie pour se sentir vivre. Pas question de rester enfermé dix à douze heures par jour dans un bureau. Passer d’un avion à un autre, d’une ville à l’autre, pour ne rien voir des décors qu’il traversait. Et, s’il se mariait un jour, il voulait voir ses enfants, ne pas partager seulement quelques repas tardifs et un week-end de temps à autre, comme son père qui préférait se reposer plutôt que de jouer avec lui. « Les week-ends sont faits pour se reposer », disait-il alors que Philippe pensait, bien au contraire, qu’ils étaient faits pour la détente, l’amusement, apprendre à se mieux connaître.
Le peu de fois où il avait tenté de convaincre son père que sa voie n’était pas le droit, c’est la voix de celui-ci qui prenait le dessus sur ses arguments.
Philippe n’ignorait rien du difficile chemin suivi par son père pour en arriver là où il était. Fils de garagiste, il s’était élevé dans l’échelle sociale par sa seule volonté et un travail acharné. Les arts ne représentaient pas pour lui une carrière, simplement un passe-temps.
Philippe lui reprochait son obstination, son ignorance et son égoïsme. Il avait proposé de travailler pendant ses vacances pour participer aux frais de son école, supérieurs à ceux de l’Université Paris II. Son père s’était moqué de lui alors qu’il tentait seulement de lui prouver sa détermination à intégrer l’École des Beaux-Arts.
Moins de six mois après la rentrée, il se sentait largué. Les cours l’ennuyaient, ses camarades également. Il avait totalement échoué aux partiels du premier semestre et savait que ce serait pire pour le second. Certes, son père avait été contrarié, mais il acceptait toutefois l’idée que son fils recommence son année.
L’entêtement de ce dernier à ne pas reconnaître son erreur finit par affliger Philippe dont les rêves s’effritaient peu à peu. Il dessinait pour s’évader de l’amphi et prit bientôt goût à des évasions plus authentiques au jardin du Luxembourg. Ses parents lui faisaient suffisamment confiance pour ne pas s’inquiéter de la réalité de ses journées et, majeur, Philippe estimait n’avoir aucun compte à rendre.
Il avait bien songé à revendre le cabriolet reçu pour ses dix-huit ans, lequel paierait largement ses cours aux Beaux-Arts, mais les explications qui s’ensuivraient l’éprouvaient déjà. Contrairement à ce que pensait son père, il détestait les joutes oratoires, d’autant plus lorsqu’il s’agissait de se mesurer à lui, Michel Frégnac, un homme dont l’autorité et les colères étaient reconnues et craintes par tous, employés comme enfants.
Philippe, au fil des mois, se referma sur lui-même, grignotant à peine lors des repas pour fuir aussitôt dans sa chambre. Michel Frégnac attribuait ce changement de caractère à la difficulté de ses études de droit. Emeline, à son habitude, se rangeait à l’avis de son mari. Il valait mieux le laisser et attendre les vacances pendant lesquelles il pourrait se reposer de cette première année universitaire. La seconde année serait plus facile s’agissant d’un redoublement.
Louis et Sophie, lycéens, s’étonnaient de cette réclusion soudaine de leur frère, convaincus que l’origine de ce changement n’avait rien à voir avec ses études de droit. Il ne riait plus avec eux, ne confiait rien de ses préoccupations, ne parlait plus de ses rêves de devenir dessinateur. Quelque chose n’allait pas avec Philippe, mais leurs parents ne s’apercevaient de rien, ne voyaient que ce qu’ils voulaient voir : un jeune homme fatigué par ses études, mais qui se retrouverait lors des vacances.
En attendant ces vacances, Philippe ne profitait plus même des week-ends à la campagne, préférant, disait-il, rester à Paris où il lui serait plus facile de travailler en étant seul. Les parents comprenaient tout à fait, les enfants persistaient à s’interroger.
Le dernier week-end d’avril, tous insistèrent pour que Philippe se joignît à eux pour ce jour différent des autres. Leur père allait avoir soixante ans et chacun se devait d’être présent.
Pour tous, la disparition du jeune homme était due à un tragique accident. En cause, très certainement, cette fatigue qu’il traînait depuis plusieurs mois. L’enquête révéla qu’il avait dû perdre le contrôle de son cabriolet alors que roulant à vive allure.
Seulement, la voiture avait été retrouvée, portière béante, sans conducteur au volant. Les recherches pour expliquer ce mystère n’aboutirent à aucun résultat concluant. Les alentours avaient été fouillés, sondés, les regards des policiers s’étaient même perdus dans les arbres… Philippe s’était volatilisé !
Des mois d’enquête et le dossier fut refermé, faute de nouvel élément.
Pour Michel Frégnac, Philippe avait délibérément foncé sur cet arbre. Une route droite, aucun autre véhicule incriminé, une météo clémente, une vitesse anormalement élevée, Philippe s’était suicidé. Mais, dans ce cas, où était son corps ? Et n’était-il pas responsable de cet accident, lui qui n’avait jamais voulu l’entendre ?
Après la disparition de Philippe, Louis aurait pu devenir clown et sa sœur chanteuse de cabaret. Leur père n’aurait plus contesté leur choix. Louis choisit des études commerciales pour reprendre la direction de l’entreprise paternelle et Sophie embrassa le barreau, par vocation.
Michel Frégnac dut encore supporter huit anniversaires par lesquels il ne se sentait plus concerné.
Huit années durant lesquelles il lança une cohorte de détectives privés sur les traces de son fils. Huit années d’avis de recherches dans les journaux, assisté de sa femme et de ses enfants.
Louis et Sophie conclurent que leur frère avait préféré fuir loin de leur père, farouchement opposé à l’avenir dont il rêvait. Emeline, quant à elle, ne se résignait pas. Déçue par les détectives, après le décès de son mari, elle hanta les cabinets de voyants, de médiums, au grand désespoir de ses enfants qui ne parvenaient pas à lui faire entendre raison.
Fidèle ami du couple, Henri les avait soutenus autant qu’il le pouvait, mais se sentait tout aussi impuissant. Jusqu’à ce jour où Océane avait surgi dans son cabinet et dans sa vie. Il avait longuement hésité avant de l’entraîner dans cette histoire mais, s’il y avait un moyen de la résoudre, elle seule pouvait y parvenir. Du moins avait-il besoin de le croire. Sinon, tant pis, il aurait essayé.
Océane s’était alors rendue plusieurs fois dans l’hôtel particulier du cinquième arrondissement de la famille Frégnac. Elle voyait Philippe, petit garçon en salopette de jeans, la tête emplie de rêves et de couleurs, se promenant dans la roseraie, contemplant les fleurs, les oiseaux, le ciel, délaissant l’épée du chevalier, tendue par son frère, pour son crayon, son carnet de dessin…
Emeline lui avait confirmé que Philippe avait été un enfant calme, rêveur, nullement attiré par les jeux turbulents des garçons de son âge.
Elle n’admettait pas que son fils se fut suicidé, il aimait trop la vie, la nature. Cette idée lui était insupportable, mais elle avait besoin de vérité et comptait sur Océane pour la découvrir.
Une aberration pour la jeune femme. Elle en voulait à Henri de l’avoir plongée dans une situation qui dépassait ses aptitudes.
Elle avait parcouru la propriété en compagnie d’Emeline, sauf la chambre de Philippe, irrémédiablement close depuis sa disparition. Océane s’enhardit à en réclamer l’inspection lors de sa dernière visite.
Dix années plus tard, elle n’espérait pas grand-chose de cette démarche, mais elle sentait que la clef des interrogations d’Emeline se dissimulait dans cette pièce.
Cette dernière patienta sur le palier et Océane eut tout loisir d’étudier l’univers du jeune homme. Des centaines de bandes dessinées encombraient les bibliothèques. Le bureau foisonnait de couleurs par une multitude de crayons disséminés en travers de feuilles griffonnées, dans des pots de céramique, en attente de s’épancher en ébauches et débauches de coloris.
Elle se saisit d’un crayon rouge qu’elle tourna et retourna entre ses doigts. Rouge comme son cabriolet encastré dans un tronc d’arbre alors qu’il allait retrouver les siens.
Son regard se dirigea instinctivement vers une bibliothèque au-dessus de laquelle des boîtes de jeux s’empilaient. Des boîtes neuves, vestiges d’anniversaires et Noëls, des jeux hors d’atteinte, qui n’avaient, apparemment, pas trouvé grâce à ses yeux : chimie 2000, physique 2000, Électricité 2000, des jeux de stratégie, des Meccano…
Comment des parents pouvaient-ils méconnaître à ce point les goûts de leur enfant ?
Océane rapprocha la chaise du bureau pour grimper jusqu’à hauteur de ces cadeaux délaissés. Elle souleva les boîtes les unes après les autres, toutes empilées par deux. Elle ignorait ce qu’elle cherchait, mais elle savait que la réponse se trouvait là où personne n’aurait eu l’idée de fouiner.
Difficilement, elle parvint à extraire une chemise en carton coincée sous un Trivial Pursuit et La vie est une jungle. Enregistrant les deux jeux dans un coin de sa mémoire, elle s’interrogea sur le second qu’elle ne connaissait pas, mais qui pourrait peut-être intéresser Amaury.
Elle redescendit de sa chaise, la glissa sous le bureau et enfouit la pochette dans le sac dont elle ne se séparait jamais.
Il n’était pas dans ses intentions d’informer Emeline Frégnac de sa découverte, dans l’ignorance de ce que celle-ci impliquait.
En quittant son hôtesse, elle lui promit de revenir la semaine suivante pour lui remettre le recueil de ce qu’elle avait cru déceler de l’histoire de son fils.
Elle avait attendu qu’Amaury fût couché pour ouvrir la chemise cartonnée sur son bureau et examiner les feuilles qu’elle contenait.
Peu amatrice de bandes dessinées, Océane devait cependant convenir que le jeune homme était particulièrement doué. En une cinquantaine de pages, il avait résumé son existence à travers des dessins dont le détail trahissait une parfaite maîtrise de son art.
Il se représentait dans ces pages tel qu’elle l’avait vu et décrit. Elle s’étonna de le retrouver dans la roseraie, le regard levé vers le ciel, conforme à l’enfant entrevu l’après-midi même, vêtu à l’identique.
Elle n’avait pas grand-chose à changer à son recueil. Philippe confirmait ce qu’elle avait appris par elle-même, uniquement en écoutant sa mère parler de lui, photographies à l’appui, et en visitant la propriété.
La dernière page n’aidait pas à la résolution du mystère de sa fin. Le doute n’était cependant plus permis. Il avait bien choisi de mettre un terme à sa vie.
Aucun détail ne manquait, lui, en train de dessiner sur son bureau, la dernière phrase adressée à sa famille avant leur départ, et ces « deux, trois trucs à finir ».
Océane les identifia sans peine : enfermer sa bande dessinée dans une chemise cartonnée, monter sur la chaise de son bureau, dissimuler la pochette sous les deux jeux.
Il avait ensuite pris sa voiture et filé à travers la campagne en quittant Paris pour cibler un gros platane à quelques kilomètres de la maison familiale. La dernière image de son ultime création. Seulement, dans celle-ci, il se trouvait dans sa voiture, couché sur son volant. Désarticulé, ensanglanté, mais présent.
Il avait terminé sa bande dessinée avant de partir, et s’était laissé emporter par sa passion. Ses dernières paroles resteraient à jamais dans la bulle de cette ultime page, non sans intention.
Océane s’interrogeait. Philippe avait-il, à dessein, choisi le jour anniversaire de son père pour s’encastrer dans un arbre à quelques pas de leur maison de campagne ? Pour que chacun de ses anniversaires lui rappelle ce fils incompris ?
Michel Frégnac avait négligé la fragilité de son fils. Ce dernier, de par sa dépendance envers son père, n’avait pu s’opposer à lui. Aurait-il dû vendre son cabriolet et s’affirmer par lui-même pour la réalisation de ses rêves, au risque de se couper d’une famille qu’il aimait ? La vie sans obstacle que lui avaient offerte ses parents ne l’avait pas préparé à naviguer en solitaire.
Restait à romancer l’histoire du jeune homme et présenter un livret acceptable au cœur d’une mère qui souffrait toujours de son absence et exigeait une réponse. Cette vérité ne lui ferait-elle pas plus de mal que de bien ?
Et quelle vérité ? Océane ne se sentait pas satisfaite. Elle était seulement parvenue à démontrer que Philippe avait effectivement songé au suicide comme en était persuadé son père. Seulement, où était-il à présent ? Il était vivant, elle en était convaincue. Quant à informer sa mère qu’il avait renoncé à son projet, sûrement dans les dernières secondes de son funeste dessein, cette nouvelle ne l’aiderait pas à atténuer sa peine. Elle, elle voulait revoir son fils et Océane s’avouait incapable de lui fournir le moindre indice en ce sens. Il lui était impossible de prouver ce qu’elle ressentait.
Elle décida de finir cet ouvrage le soir même et de l’envoyer à Henri pour qu’il lui donnât son avis, en tant qu’ami du couple.
Emeline allait apprendre que Philippe avait prémédité son suicide. Elle, Océane, devrait s’expliquer pour avoir subtilisé cette bande dessinée.
Elle éteignit son ordinateur, perplexe. Elle demanderait à Henri de l’accompagner lors de la remise du recueil à son amie.
Elle peina à trouver le sommeil cette nuit-là alors que, depuis quelques mois, elle avait su s’adapter aux évènements, à se détacher plus ou moins de la vie de ses clientes.
Toute vérité n’est pas bonne à dire, lui avait maintes fois seriné sa mère alors qu’elle la réprimandait pourtant au moindre petit mensonge. En fait, entre mentir et ne rien dire, un gouffre d’interrogations subsistait.
Sa dernière pensée fut pour Amaury qu’elle avait préféré ne pas questionner lorsqu’elle l’avait récupéré chez leur voisine. Tout souci semblait oublié. Elle se dit qu’il serait toujours temps de discuter durant le week-end quand ils iraient se balader dans Paris.
Elle ne devait pas négliger les problèmes de son fils, aussi infimes soient-ils pour elle mais, peut-être, gravissimes pour lui. Si Philippe avait été écouté, il serait sûrement devenu un dessinateur reconnu. Quel sera le destin d’Amaury ? Quelle voie sera sienne vers laquelle elle devra l’accompagner ? Le sommeil s’empara de son esprit avant toute autre question, ou réponse d’ailleurs.
Amaury avait opté pour une promenade à Montmartre, un quartier qu’il chérissait entre tous. Les boutiques pour touristes ne l’intéressaient pas plus que de raison, la Place du Tertre demeurait son objectif premier. Il pouvait s’immobiliser interminablement devant un tableau qui prenait forme sous le pinceau d’un artiste. Il adorait suivre le crayon d’un dessinateur sur une grande feuille de dessin posée sur ses genoux ou sur un chevalet, lequel tentait de reproduire les traits de touristes désireux de se voir croqués pour l’éternité.
Océane se demanda s’il n’était pas attiré par la peinture, le dessin et ses pensées vagabondèrent jusqu’au souvenir de Philippe Frégnac, contrarié dans sa vocation.
Henri et sa femme Laurence avaient accepté de l’accompagner la semaine suivante chez Emeline pour la remise du recueil relatif à Philippe. Ils avaient insisté auprès de leur amie pour qu’elle convie également Louis et Sophie, le frère et la sœur de Philippe. Cette réunion inquiétait Océane mais Henri, l’avocat, avait estimé que la vérité devait être révélée, dans la mesure où le doute existait, instillé par Michel Frégnac, leur mari et père disparu. Sans cette vérité affirmée, l’incompréhension demeurerait. Les regrets ou remords qui pourraient naître ensuite ne concernaient que la famille. Océane n’avait rien à se reprocher dans ce travail réalisé professionnellement. Et dix ans avaient passé, il était temps pour Emeline de faire enfin son deuil, quand bien même ce mot n’était sans doute pas approprié.
Océane sourit à son fils. Sa galerie ! À chacune de leurs visites à Montmartre, il l’entraînait dans cette petite rue entre la Place du Tertre et le Sacré-Cœur et s’engouffrait dans sa boutique de prédilection.
Il commençait à connaître par cœur la basilique sous toutes ses formes, les reproductions du Chat Noir, d’Aristide Bruant, de Poulbot, d’Utrillo, de sa mère Suzanne Valadon…, tous ces artistes qui avaient hanté Montmartre et offert une renommée internationale à ce lieu.
L’enfant, à son habitude, glissa d’un mur à l’autre en espérant découvrir de nouveaux tableaux. Cette galerie s’assimilait pour lui à un vaste Memory dont il recherchait des nouveautés depuis sa dernière visite.
Pour la énième fois, Océane s’extasiait devant des reproductions d’impressionnistes et s’interrogeait sur la dernière exposition visitée avec Amaury.
Amaury avait crié à travers la galerie, au grand dam de sa mère qui lui recommandait la discrétion. Intriguée, elle rejoignit cependant son fils qui, la mine épanouie, un sourire qui révélait l’absence d’une incisive sur chaque mâchoire, accourait vers elle en état d’excitation inhabituel. Il lui attrapa la main pour qu’elle avançât plus rapidement.
Un bref regard au portrait accroché en face d’elle et Océane crut voir son reflet dans un miroir, enfin presque. Jamais, elle n’aurait posé en exposant un sein à la vue de tous.
L’enfant sautillait sur place en clamant à la cantonade que c’était sa maman.
Les joues empourprées par la honte tandis que plusieurs personnes se pressaient autour d’eux en commentant la scène, Océane ne savait plus quelle contenance adopter. Et Amaury qui insistait sans baisser le ton.
En total désarroi, Océane devait convenir que son fils avait raison. Le médaillon était identique au sien, tout comme le portrait lui ressemblait. Mais ce n’était pas elle, de cela, elle était certaine.