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"Passeurs de rêve" est un recueil de nouvelles à la fois poignantes et délicates, qui explore avec finesse les multiples visages de l’enfance. Entre les rues animées des quartiers populaires et les horizons chimériques du conte, chaque récit esquisse le portrait d’un enfant universel – cette figure à la fois familière et insaisissable, « papillon pressé de brûler ses blanches ailes aux flammes de la jeunesse », selon les mots d’Aloysius Bertrand. À l’instar de ce « pont de douceur » que Léopold Sédar Senghor voyait relier l’enfance à l’Éden, ces fragments d’innocence et de trouble effleurent les frontières de la vie et de la mort. Et si, au détour de ces pages, se révélait le reflet troublant de notre propre enfance perdue ? Un voyage littéraire à la fois sensible et troublant, qui invite à redécouvrir ce qui, en nous, n’a jamais cessé d’être enfant.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Indissociable de la lecture, Claire Adélaïde Montiel conçoit l’écriture comme un dialogue intime : un acte solitaire tendu vers le lecteur, mêlant écoute de soi et attention à l’autre. Romancière, nouvelliste et dramaturge, elle invente des univers pour tous les âges, offrant à chacun la clé d’horizons insoupçonnés.
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Seitenzahl: 105
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Claire Adélaïde Montiel
Passeurs de rêve
Nouvelles
© Lys Bleu Éditions – Claire Adélaïde Montiel
ISBN : 979-10-422-7745-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Romans
– La porte de son passé, éditions du Bords du Lot ;
– Parole de Seigneurs, auto-édition ;
– L’ombre du volcan, Nombre7 Éditions.
Nouvelles
– L’espoir temps, Hello Éditions ;
– Chroniques en a parté, Éditions Maïa ;
– L’œil de K et autres nouvelles policières, auto-édition ;
– Éclats de vie, nouvelles de l’enfance ; auto-édition ;
– Des voix de papillon, auto-édition.
Œuvres pour la jeunesse
– La machin chose, Éditions Casterman ;
– Le paradis des Djines, Éditions Milan.
Ce qu’on a pu consulter comme médecins et spécialistes durant cette première année où Clara a progressivement perdu la vue ! Tout ça pour s’entendre répéter à la suite de stations prolongées dans des salles d’attente, d’examens pénibles et de traitements douloureux, que c’était la suite logique de sa maladie !
Tous les jours, maman s’installait face à elle et, les yeux dans ses yeux mourants, les mains sur ses genoux maigres, la suppliait d’une voix vibrante :
— Bats-toi, ma fille, ne te laisse pas faire ! Ta vue, tu peux la retrouver si tu le veux vraiment ! écoute-moi, chérie, il ne faut pas te laisser aller !
Qui croyait-elle tromper ? Comme si on ne la voyait pas inventer sans cesse de nouveaux tests pour mesurer les progrès de la cécité qui embrumait les yeux de notre Clara.
C’est comme ça qu’on s’est retrouvées toutes les trois dans la salle d’attente de Madame Monsterlas, la guérisseuse. Puisque la médecine ne pouvait plus rien pour nous ! La voisine qui avait donné, en grand secret, son adresse à maman nous avait recommandé de partir tôt. Passée une certaine heure, elle n’a plus le fluide, Madame Monsterlas. Alors, si on est dans les derniers, on a attendu pour rien.
Au petit matin, après cent kilomètres parcourus dans le noir, maman a arrêté la voiture devant la porte d’un pavillon mal tenu au fin fond d’une rue aux trottoirs constellés de papiers gras, aux caniveaux malpropres. Elle a vérifié le plan tracé par la voisine sur la page déchirée de l’un de mes carnets. C’était là.
La grille entrebâillée invitait à entrer, aussitôt démentie par la porte obstinément close. Quand celle-ci s’est ouverte, de l’intérieur, sans qu’on puisse voir qui l’avait tirée, on s’est dépêché de rentrer tandis que, des autres voitures garées le long du trottoir, commençait à émerger tout un échantillonnage de la misère humaine : un vieillard squelettique que des femmes se mettaient à deux pour tirer et pousser, un jeune anormal qui se laissait mener sans comprendre, un infirme dans son fauteuil roulant…
La salle étroite a l’allure d’un wagon de chemin de fer. Sur les murs irréguliers, le papier peint d’une horrible couleur grisâtre fait des cloques et se décolle par endroits. Des bruits menus montent des sièges hétéroclites : raclements de gorge, claquement sec des pages que des doigts nerveux tournent trop vite. Parfois, deux mains se rencontrent sur une revue aux bords cornés. Ballet de sourires et de hochements de têtes. Sans une parole. Clara se penche vers moi :
— Raconte-moi ce qui se passe. Il va falloir qu’elle ait un sacré fluide, Madame Monsterlas, je crois bien que je suis devenue sourde aussi.
Nos chuchotements, têtes rapprochées, résonnent de manière incongrue dans la lourde atmosphère, éveillant des sourires forcés sur les traits tendus.
Vers neuf heures, une vieillarde au visage raviné sur un corps de naine fait le tour de la salle, se plante devant chaque groupe, observant chacun de ses larges yeux d’un gris métallique. Debout, elle se trouve tout juste face au visage de ses vis-à-vis. Le regard tranche, un sourire étroit tire vers le haut la joue et l’un des coins de la bouche mince. Elle attend. Sous l’acier qui les fouaille, les yeux finissent par se détourner. Elle tire alors de sa poche un bout de carton dur où est inscrit un numéro d’ordre et passe au groupe suivant. Quand maman écope du huit, je proteste. C’est pas juste ! On est arrivées les premières, pourquoi on a la dernière place ? Mais le regard métallique se visse sur le mien et les mots me rentrent dans la gorge.
La salle est comble. Les derniers arrivés, restés debout, s’adossent au mur pour reposer leur dos. Les traits se tirent. Clara scrute le vide. Maman s’est fripée sur son siège.
— C’est long, gémit une brune aux cheveux ternes dont le visage irrégulier se creuse de cernes olivâtres.
Près d’elle, un vieillard pose sur ses genoux de longues mains presque sans chair. Le pli de son pantalon suit le tibia, mais le tissu se referme sur une absence de mollets. Dans le visage couturé de rides profondes, au milieu de poches et de replis, les yeux de batraciens fixent un point très éloigné de nous.
— C’est toujours long chez Madame Monsterlas, répond, sans la regarder, la mère de l’infirme. Il faut qu’elle se concentre, le fluide ne vient pas comme ça.
Sa main posée sur le fauteuil roulant de son malade, un immense gaillard au faciès brutal, paraît prête à le bercer au moindre cri.
Les gens échangent des remarques à voix basse. La voisine de maman chuchote quelques mots dans notre direction :
— On a de la chance. Les numéros, ça veut dire que Madame Monsterlas a le fluide. La consultation va commencer.
La porte intérieure s’ouvre enfin pour laisser place à la naine brandissant le numéro un. Un frémissement court d’un siège à l’autre. La porte n’est pas plus tôt refermée que les langues se délient. Certains ont parcouru des centaines de kilomètres pour être sûrs d’arriver au moment où le fluide sera au rendez-vous. Dans la pièce close, les haleines fétides épaississent l’air. Je vois les yeux de notre mère s’égarer vers le jardinet mal entretenu, errer de touffe d’herbe en rosier chlorotique.
La femme au fauteuil roulant pointe du menton vers son infirme que, seule, Madame Monsterlas parvient à soulager au moyen de rendez-vous télépathiques. À une heure convenue d’avance, cinq heures du matin, onze heures le soir ou même en pleine nuit, la guérisseuse se concentre sur les souffrances du malade. Il faut alors disposer des mouchoirs en papier imprégnés de son fluide sur les parties les plus douloureuses, et attendre. Je pense : attendre, encore attendre. Ils n’ont que ce mot à la bouche !
À onze heures et demie, la salle d’attente est tout aussi pleine, mais, de la première vague, il ne reste que nous. J’ai épuisé tous les magazines. Clara se balance, refermée sur elle-même. Des cernes bistre marquent le visage de maman.
Enfin, la naine brandit le numéro huit, nous ouvrant le passage vers un bureau mal éclairé. Les volets occultent l’extérieur. Tout au fond, au milieu d’un bric-à-brac, se tapit une énorme femme. Au sommet d’une montagne de chair, tout en haut du visage repoussé vers l’arrière par une série de mentons, les yeux tristes et soupçonneux s’aiguisent. Dans la gélatine des joues, le nez crochu plonge vers la bouche.
— Qu’on m’amène cette jeune personne ! gargouille un filet de voix coulant de lèvres aux commissures affaissées.
Tenant sa fille d’une main ferme, maman avance bravement vers une arène en miniature entourée de sièges désassortis. Deux mains boudinées émergent des larges manches, se projettent au bout des bras courts, virevoltent autour de ma sœur, se posant sur sa poitrine, sur son cou, prenant possession de son front. La respiration de Clara s’interrompt et repart par saccades. Immobile, muette, elle s’abandonne, mais ses doigts maigres, projetés vers l’arrière, se cramponnent aux miens.
Le silence pèse, interminable. Les mains de la guérisseuse demeurent rivées au front de Clara comme pour en extraire la substance. Enfin, les yeux s’ouvrent, démesurés, dans le visage sans expression. La voix atone édicte :
— Il faut, dès votre retour, changer de place le lit de votre enfant. Une faille de l’écorce terrestre qui traverse sa chambre du nord au sud est cause des troubles de la vision. Il y a urgence. Je sens, au bout de mes doigts, des désordres plus graves qui menacent sa vie.
Les yeux de maman s’élargissent, la main de ma sœur serre la mienne à la briser. Un spasme prend ma gorge dans un étau.
— Aucun fluide, aussi puissant soit-il, ne pourra la sauver tant que la menace ne sera pas physiquement écartée… D’ailleurs, continue la voix sentencieuse, toute vie dépérit sur cette faille. Même les plantes en subissent les effets négatifs comme vous avez pu vous-mêmes le constater.
La main de Clara retombe. Le regard de maman passe sur moi, oiseau touché à mort qui s’efforce malgré tout de continuer à voler, puis se visse sur le mien. Toutes les trois, nous savons ce que Mme Monsterlas ne peut qu’ignorer : en plein milieu de la faille, justement, un magnifique hibiscus rex en parfaite santé auquel Clara tient plus que tout, nous régale de fleurs sans cesse renaissantes que ma sœur ne voit plus depuis presque six mois.
Avec un soupir, La guérisseuse se rejette en arrière. L’énorme corps s’affaisse et, tout à coup, la naine est là qui nous chasse devant elle d’un geste brutal de ses mains courtes. Sa voix nous atteint de plein fouet, comme un reproche :
— Allez, allez, il faut partir. Madame Monsterlas est épuisée. Tant de gens ont besoin de son fluide ! Allez, allez.
— Combien est-ce que je dois ? demande maman.
— Madame Monsterlas ne prend pas d’argent pour guérir, mais si vous voulez laisser quelque chose, déposez votre offrande ici.
Du doigt, elle désigne sur le guéridon une soucoupe où deux billets de cinquante euros invitent à la générosité.
Une porte ouvrant sur l’arrière de la maison nous rend à l’air libre. On contourne le pâté de maisons. Tandis que maman s’affaisse sur le volant, livide, Clara prend place près d’elle, réduite à rien, mais la nuque très droite, avec ce port de tête nouveau qu’elle a pris depuis que la lumière ne lui vient plus de l’extérieur, puis :
— Je ne l’aime pas, elle a une voix dégoûtante. On dirait une limace.
Depuis qu’elle a perdu la vue, elle s’est éprise des voix aériennes, organes de papillons, de libellules, d’oiseaux-mouches. Les rampantes suscitent en elle des crises d’angoisse.
Tandis que le démarreur de notre vieille voiture produit un bruit de gorge enrouée, j’écoute Clara tracer pour nous les portraits de la naine dominatrice et de la guérisseuse tapie au fond de sa toile.
La voiture se décide enfin à rouler avec des hoquets et des soubresauts. La voix appliquée de ma sœur continue à décrire les occupants de la salle d’attente, les femmes hagardes, le vieillard momifié, le paralysé minuscule dans son fauteuil près de sa géante de mère au visage brutal. Pièce à pièce, comme un puzzle géant, elle reconstruit notre matinée, s’appropriant cette réalité si différente de la mienne et, si parfaitement semblable à ce que j’ai vécu.
Elle va droit devant elle. Dans la touffeur du soir, des passants qu’elle ne connaît pas vont et viennent, se rencontrent et se séparent, échangeant comme autrefois saluts et nouvelles. Le flot continu de la circulation coule le long de la chaussée. Tiédeur de l’atmosphère, bribes de conversation, rires, appels, tout est semblable et tout est différent. Que s’imaginait-elle en revenant si longtemps après ?