Petites nouvelles d'après demain - Évelyne Charasse - E-Book

Petites nouvelles d'après demain E-Book

Evelyne Charasse

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Beschreibung

Evelyne Charasse Petites nouvelles d'après demain Entre fantastique et science-fiction , entrez dans ces courtes histoires où l'imagination a tout pouvoir .

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Seitenzahl: 198

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Sommaire

Préface

ARME SILENCIEUSE

AUX FRITES DORÉES

CHALEURS

DÉLIVRANCE

DERNIÈRE RENCONTRE

EFFACEMENT

EXCLUSIVITÉ

GRAIN DE SABLE

GUERRIERES

INTRUSION

INVISIBLES

LA DÉRAISON DU CŒUR

LA FABRIQUE

LA MAISON

LA VITESSE D’UN ÉCLAIR

LE DOUDOU

NEW GAIA

NUEVO

PLANÈTE

RESET

SUBSTITUTION

VIRUS

Préface

Que se passe-t-il quand une poétesse est frappée par un rayon de lune ? Elle se met à écrire des nouvelles qui oscillent entre le fantastique et la science-fiction. Évelyne Charasse a trop regardé les étoiles, nourrissant je ne sais quel espoir secret et à chaque astre scruté, elle nous avait habitués depuis des années à rédiger des haïkus qui, à première vue, étaient parfaitement inoffensifs mais en vérité livraient des émotions profondes.

Cependant, à force de jongler avec les étoiles, Évelyne Charasse est tombée dans un gigantesque et mystérieux trou noir qui a dilaté son imagination et multiplié les mots de sa plume. Voilà ce qui arrive quand un écrivain est imprudent et se promène un peu trop dans l'univers.

Une autre dimension dans la forme, une autre dimension dans le fond, Évelyne Charasse continue à nous entraîner dans son monde sensible. C'est un régal, de l'humour et de l'imagination, toujours une transcendance délicate ; mais pour notre plus grand bonheur, cette fois-ci, Évelyne Charasse se livre à nous d'une façon différente et, peut-être, moins émotive et plus pensée. Encore qu'il ne soit pas vraiment possible et nécessaire de comparer ses poèmes et ses nouvelles. C'est une autre façon pour elle de nous parler ; à nous de la suivre dans ce chemin littéraire subtil et fidèle à un idéal fondé sur l'amour.

Pierre Léoutre

ARME SILENCIEUSE

Len poussa le portillon ouvrant sur son jardinet au gazon bien tondu et encore vert. Harassé par une semaine de travail plus qu’ardue au bureau, il retrouvait son domicile comme un havre de paix. Zia et les enfants étant en vacances chez ses beaux-parents, la maison respirait la tranquillité.

Quel bonheur d’ôter ses chaussures et de laisser ses pieds meurtris sur le parquet du salon. Une bière à la main, il se vautra dans son canapé et commença à zapper les chaînes de télévision, histoire de bien se vider la tête. C’était son petit rituel quand il occupait seul les lieux, s’acharner sur la télécommande, regarder toutes les chaînes une par une, sans exception aucune, ricaner bêtement devant certaines, s’énerver devant d’autres, tout ça pour décompresser et oublier son chef d’agence manipulateur.

– Les serviettes auto absorbantes Klair sèchent les fesses de bébé dans la douceur…

– Agrisson le meilleur buteur au monde a raté son match hier…

– Suivez sur TV45 la nouvelle série phénomène qui va vous scotcher au fauteuil…

Les informations diverses défilaient devant ses yeux, sa bière finie, il restait comme hypnotisé par les images colorées du téléviseur grand format. Surtout devant les nouvelles plus ou moins stressantes des journaux télévisés :

– Encore un attentat qui fait des centaines de morts…

– On ne l’apprend qu’aujourd’hui : le professeur Muller, spécialiste des interactions végétales, par dépit amoureux, aurait déversé dans les égouts il y a un an les produits de ses recherches polluant ainsi le réseau d’eau…

- Il tue sa famille et se suicide, le drame de la jalousie…

Soupirant, Len s’extirpa de son canapé pour aller commander des sushis au japonais du coin comme tous les soirs depuis le départ de sa famille.

Zia l’appela au même moment. Tout allait bien chez ses parents, les enfants allaient à la piscine avec leur grand-père et jardinaient, désherbaient surtout, avec leur grand-mère et elle-même se reposait en lisant quelques romans.

– Il ne fait pas trop chaud en ville, chéri ? Ici les arbres sont immenses et donnent une ombre fraîche. N’oublie pas d’arroser mes plantes, dit-elle.

Curieusement, il se trouvait devant les fameuses plantes à ce moment-là. Il se sentit vaguement confus de les avoir effectivement oubliées. Mais elles se portaient pas trop mal. Voire vigoureuses et denses pour des petites plantes d’intérieur laissées sans soin.

Le lendemain soir Len fut un peu surpris de constater que son gazon méritait déjà une nouvelle tonte, les herbes folles atteignant son seuil. Il remarqua aussi que certaines branches des arbres de sa rue touchaient les maisons. La chaleur estivale était étouffante, il prit une douche avant même de décapsuler une bière.

La télévision vomissait toujours ses informations et divertissements pèle mêle, les couleurs criardes et les jingles incessants mettant un semblant de vie dans la maison.

– Record de chaleur atteint cet été 2080…

– Affluence record aux urgences due aux crises d’asthme violentes, la recrudescence des pollens en cause…

– Les municipalités débordées par la croissance de la végétation… Les désherbants inefficaces…

Les gros titres s’enchaînaient les uns après les autres sans pour autant le faire réagir. Il avait monté la clim à fond et son ronronnement régulier le berçait suffisamment pour l’engourdir. Sa journée de travail l’ayant épuisé, il s’endormit la bière à la main devant sa télé.

– Le professeur Muller, éminent chercheur, avait découvert le moyen de faire communiquer les plantes entre elles.

Len s’éveilla d’un coup. Il était 1 heure du matin et la chaîne Infos diffusait encore des reportages. Vaseux, il se traîna jusqu’au frigo pour y attraper quelque chose à manger. Dans la cuisine baignée d’obscurité, il vit une ombre mystérieuse. Il alluma aussitôt : c’était une des plantes de Zia, devenue énorme et qui occupait un large espace de la pièce. La stupeur le cloua sur place. Comment une petite fougère d’intérieur pouvait en 24 heures tripler de volume ? Une petite fougère qu’il n’avait pas arrosée depuis le départ de sa femme. Instinctivement, il regarda l’autre plante de la maison, un pothos jusque-là gentiment accroché le long du plafond, ses tiges maintenant s’enroulaient en lianes dans tous les bibelots ou meubles à sa portée, ses feuilles rampaient sur le sol. Quel engrais Zia avait-elle pu mettre pour un tel résultat ? Agacé, il arracha des brassées de feuilles pour dégager les objets emprisonnés par cette végétation incongrue. Il jeta le tout dans sa poubelle. La fougère ne subit pas le même sort, elle avait pris de l’ampleur mais restait dans son pot minuscule. Il se contenta de la déplacer vers la porte d’entrée.

Accablé de chaleur il se rendormit comme une masse. Il rêva d’une jungle hostile où des animaux sauvages affamés le poursuivaient. Il se réveilla en nage.

La plante du salon avait encore grossi durant la nuit. Elle courait sur le sol, insinuait ses ramifications dans chaque interstice qu’elle trouvait. Partout ses belles feuilles d’un vert vif s’étalaient. Une rage gagna Len, il s’énerva à détruire une grande partie de la plante et voulu jeter les débris dehors. Déjà, il fut gêné par la dimension prise par la fougère juste devant sa porte. Mais quand il réussit à l’ouvrir, il fut saisi par le spectacle ahurissant d’herbes folles hautes et fournies partant à l’assaut de sa maison. Il se trouva face au chaos. La tête lui tourna. Tout autour de lui régnait une végétation luxuriante. Son pavillon de banlieue semblait avoir été transporté dans une jungle inconnue. Les arbres de la rue mêlaient leurs branches à celles de ceux des petits jardins, créant ainsi un toit de verdure quasi opaque. Partout des herbes, plantes, fleurs disséminés sur la route, crevant le goudron, perçant les trottoirs. Des sirènes hurlaient. Des camions de pompiers tentaient de se frayer un chemin au milieu de la végétation dense. Des militaires aidaient tant bien que mal les habitants à se défaire des végétaux envahissants. Des bruits de tondeuses, débroussailleuses et autres tronçonneuses résonnaient dans le quartier. On entendait aussi des cris, des hurlements.

Son voisin Ari, un solide gaillard tout en muscles, armé d’une cisaille l’interpella alors qu’il coupait des ronces prises dans son compteur d’eau.

– Len ! Cours chercher un sécateur !

– Il se passe quoi ?

– Les plantes sont devenues folles.

– Comment ?

– Tu es au courant qu’un savant dingue a balancé ses recherches à la flotte ?

– Oui… vaguement…

– Il cherchait à développer la communication entre les plantes… Une commande de l’armée… Il nous a foutu un beau boxon ! Et mondial en plus !

Incrédule, Len regardait ce monde végétal déchaîné auquel il était étranger.

- C’est à cause de ça qu’elles poussent sans cesse ?

- Exact ! Aux dernières infos, juste avant que tout le réseau ne soit interrompu à cause de ces saletés rentrées dans les boîtiers et postes de dérivation, ils disaient que le professeur avait mis au point un produit capable de réveiller l’hyper réactivité des végétaux.

– Il connaît l’antidote ?

- Même pas ! Rien ne les atteint : regarde, on les coupe elles repoussent de plus belle ! À vitesse grand V en plus ! Immunisées contre les désherbants qu’elles sont maintenant ! On essaye juste de limiter les dégâts !

Len restait les bras ballants. Plus d’électricité. Plus de télévision. Des conduites de gaz explosaient un peu partout. La guerre était déclarée. Fébrile, il appela sa femme sur son smartphone :

– Zia ? Tout va bien chez tes parents ?

– Len, c’est terrible ici : les herbes rentrent dans les maisons, partout, partout. Nous ne savons pas quoi faire.

– Trouvez un refuge.

– Elles sont partout je te dis Len. Elles…

La communication cessa brusquement, Len hurla :

– Zia ! Zia !

Il tenta plusieurs fois de la rappeler.

– Il faut que je sorte ma voiture, Ari. Je dois retrouver Zia et les enfants.

Mais il sut qu’il ne pourrait pas les rejoindre. Aussitôt détruites aussitôt remplacées. Inexorablement, elles conquéraient tout l’espace. Rien ne résistait aux assauts silencieux d’une armée verte et feuillue insensible et redoutable.

Len et Ari furent soudain soulevés et projetés violemment contre le mur par des racines jaillissant de terre. Ils disparurent, ensevelis sous des gravats et un enchevêtrement inextricable de branches vigoureuses.

Bientôt la ville entière se recouvrit d’une belle et chatoyante couleur verte.

AUX FRITES DORÉES

Jojo maniait l’écumoire avec dextérité et prudence. Il connaissait son travail depuis plus de vingt ans et le faisait avec patience et application. Il fallait laisser dorer les frites juste le temps nécessaire, les sortir de leur bain d’huile brûlante sans précipitation, les déposer dans le plat pour qu’elles s’égouttent un peu avant que l’apprenti ne les repartît dans les assiettes : voilà comment obtenir de bonnes frites. Jojo travaillait avec plaisir. Il disait souvent :

« Les frites, elles sont bonnes parce qu’on les aime. On les aime vraiment. C’est pour ça qu’ici pas de surgelés ! Que de la bonne patate épluchée du jour ! »

Il avait connu bien des galères avant de s’assagir et de se retrouver dans cette cuisine surchauffée. Sa femme Sophie n’était pas étrangère à tout ça. Il regardait souvent avec tendresse son alliance et le tatouage « S » qu’il avait sur son majeur.

– Comme ça, je penserai à toi en bossant, lui avait-il dit en riant.

À l’époque de leur mariage, Jojo n’était pas encore le patron de ce petit restaurant de la banlieue Lilloise. Il n’était qu’un simple gosse, pauvre gosse sorti des bas-fonds de misère de la capitale Picarde, encore maladroit et empoté sous les ordres du vieux cuisinier Dédé qui allait lui révéler tous les secrets d’une bonne cuisine traditionnelle du Nord. Issu du quartier Wazemmes où la vie peut parfois être plus difficile qu’ailleurs, il avait cumulé les causes de malchances : un père alcoolique et donc sans cesse au chômage, une mère handicapée physique et donc peu disponible, cinq frères et sœurs très rapprochés et donc turbulents. Jojo arrivait troisième dans cette fratrie agitée. La famille logeait dans un HLM vétuste, entourée de voisins guère mieux lotis. Chez Jojo les coups ne tombaient pas, ses parents étant la plupart du temps trop assommés par l’alcool ou les médicaments pour faire quoique ce soit. La famille de Jojo vivait d’allocations-chômage et familiales. Ces maigres ressources fondaient comme neige au soleil d’été dès qu’elles arrivaient sur leur compte en banque. Le père retirait un gros paquet de liquide et disparaissait dans les bars alentour laissant la mère désemparée avec ses enfants. Six gosses aux ventres vides à nourrir c’était trop pour elle. La grand-mère maternelle venait parfois donner un peu de temps pour le ménage que sa fille ne pouvait faire et en profitait pour cuisiner une grande gamelle de pâtes à la sauce tomate. Un régal. Il se souvenait encore du goût ce plat sur sa langue encore actuellement. Ils vivaient pauvrement dans le dénuement matériel et moral total. Dès qu’ils le purent, Ils chipèrent dans les magasins, fouillèrent à la nuit tombée dans les poubelles des petits restaurants, glanèrent sur les marchés. Deux enfants sur les six commencèrent des petits trafics pour finir en prison.

Dès qu’il sut marcher Jojo apprit à se méfier de l’alcool. Bien sûr qu’il y avait goûté, pour faire comme son père. Pour comprendre pourquoi il engloutissait tout l’argent du ménage. Un soir, il avait suivi ses frères aînés dans une fête. Ce dont il se souvenait, c’était qu’il avait bu tout ce qu’on lui présentait. Par défi. Inexplicablement cette beuverie mémorable qui l’avait laissé sur le carreau avait agi comme un antidote : il fut désormais immunisé contre l’alcool. Il avait huit ans. On devient vite mature quand les conditions de vie sont médiocres. Le lendemain, se réveillant difficilement auprès

de ses frères salis de vomi, puant la mauvaise bière, méconnaissables et repoussants, il choisit d’être désormais le plus raisonnable possible. Il respecta son choix tout au long des années qui suivirent.

« Je sortirai de cette misère. » pensait-il souvent. Et cette phrase devint même sa devise. Il s’y accrochait fermement. Malheureusement, dans le même temps, ses frères aînés se laissèrent glisser sur la mauvaise pente pour finir en prison. Leur père les abandonna à leur triste sort sans remords, poursuivant sa lente destruction alcoolique. Il mourut dans la rue, seul, un soir un peu plus arrosé qu’un autre. Leur mère quant à elle, complètement dépassée par ces malheurs, sombra dans une grave dépression et délaissa encore un peu plus sa progéniture. Ses sœurs, des jumelles et une petite dernière alourdies de tous ces tracas eurent la chance de plaire à leur grand-mère maternelle qui accepta de les prendre toutes les trois chez elle, le temps que leur mère reprenne ses esprits. Chose qui n’arriva jamais. Resté seul avec elle, Jojo mesura avec lucidité la distance existant entre eux. Il considéra qu’il était plus responsable que sa mère. Il prit en charge toutes les contraintes du foyer : s’occuper des papiers, gérer leur petit budget, maintenir le logement propre. Pour réussir il comptait sur l’école où il se montrait assidu.

Dans sa cité, il passait pour un extraterrestre, un enfant sage c’est plutôt rare. Jojo n’écoutait ni les critiques, ni les jalousies, ne s’en tenait qu’à son projet. Pour s’évader de cette pauvre vie.

Un soir, après l’école, il avait dix ans, alors qu’il rentrait chez lui d’un pas rapide, insensible aux appels rigolards des copains sur l’aire de jeux, il se sentit observé. Il se retourna mais ne vit rien d’autre que des enfants débraillés en train de taper dans un ballon dégonflé. Il reprit sa marche rapide, il devait faire ses devoirs, apprendre ses leçons et accompagner sa mère au parloir pour voir un de ses aînés. Il était pressé.

-Jojo, fit une petite voix.

– Quoi ? demanda l’enfant incrédule en cherchant partout la provenance de cet appel.

– Je suis là. Regarde bien.

À un mètre de lui se tenait un moineau qui le fixait :

- C’est bien moi qui te parle Jojo. Ne crains rien, je veux juste t’aider.

Ils se trouvaient alors dans une ruelle peu fréquentée. Plus que surpris l’enfant répéta en bredouillant :

– Quoi ?

– Tu le mérites cher enfant.

– Je comprends rien.

– Je suis la fée Mab et j’ai décidé de t’aider un peu.

– Comment ?

- J’ai des grands pouvoirs tu sais et parfois je m’en sers pour faire le bien chez les humains.

– Pourquoi ?

- Parce que tu es un garçon courageux qui affronte une vie difficile.

Le petit garçon hésita : devait-il s’enfuir ? Se pincer pour se réveiller ? Ou rester là à écouter parler un oiseau ?

– Tu vas faire quoi ?

L’oiseau sautillait autour de lui de façon frénétique.

– Tu verras demain.

N’y tenant plus Jojo s’enfuit sans se retourner.

Le lendemain, ayant très mal dormi, il arriva à l’école en retard alors que les grilles se refermaient. Il rentra dans sa classe précipitamment et bouscula une fille sur son passage. C’était une nouvelle élève, il la voyait pour la première fois. Son cœur bondit dans sa poitrine à lui en faire mal. Cette mince et timide fillette aux cheveux blonds, il sut que pour elle, il ferait tout pour avoir une vie qu’on dit « normale ». Du côté de Sophie, le coup de foudre fut identique, mais elle n’en laissa rien paraître et ce ne fut que deux semaines plus tard qu’elle consentit à lui parler. D’un amour innocent d’enfants naquit un amour solide d’adultes, sans qu’ils ne se rendissent compte du temps écoulé. Ils s’épaulèrent mutuellement durant leur cursus scolaire d’abord et ensuite professionnel. Ils choisirent tous deux de faire un CAP en restauration. Ce ne fut pas facile, étant un milieu assez dur et peu regardant à la fatigue. Mais avec patience et courage, au fil des années, ils mirent de côté des économies pour ouvrir leur petit restaurant bien à eux, et là, ils y étaient : « Aux frites dorées » leur appartenait. Le petit établissement accueillait 30 couverts mais c’était largement suffisant. Jojo ne voulait servir que de bons produits : des bonnes frites d’ici, dorées à souhait pour accompagner des bonnes moules ou un bon steak. Bien sûr, on pouvait déguster ici aussi du welsh rarebit maison, de la tarte au Maroilles, toutes les spécialités Lilloises. Et cela marchait, les clients ravis de leur repas le félicitaient chaque jour et cela suffisait à faire son bonheur. Le petit Jojo était loin, très loin maintenant. Quand le patron des « Aux frites dorées » sortait de sa cuisine pour prendre l’ambiance de la salle et qu’il voyait des clients satisfaits, il soupirait d’aise, d’autant qu’il se trouvait sous le regard aimant de sa Sophie. Ce qu’il ne dit à personne, c’est qu’il regardait toujours les moineaux piaillant devant le restaurant avec un peu d’anxiété et de tendresse mêlées. Il tenait à leur donner tous les jours de grosses poignées de miettes de pain.

Avait-il rêvé ou non ce soir-là ? Nul ne le saurait jamais

CHALEURS

Elle poussa un soupir d’aise en refermant la porte de son nouvel appartement. Elle était chez elle.

Comme il lui était étrange de se retrouver seule après sept ans de vie commune avec Nils…

Fort heureusement, ils restaient bons amis, c’est pourquoi il l’avait aidée à emménager ici. Pas de cris, pas de heurts entre eux, un jour, ils avaient constaté que leur amour avait disparu. Comme ça.

Il restait des cartons à défaire, mais le petit appartement serait vite meublé et décoré à son goût. Elle allait profiter de ses vacances pour tout installer. Seule, parce que ses amis étaient tous en congé. Mais cela ne la dérangeait pas, au contraire. Le seul hic, c’était la chaleur caniculaire qui régnait en ce mois d’août et elle n’avait même pas de ventilateur.

Elle avait trouvé à louer ce logement récent dans un quartier « bobo » de la ville. Un immeuble de cinq étages rutilant de verre et de bois, un délire d’architecte. Il se trouvait à côté de son travail et de toutes les commodités urbaines, commerces, arrêt de bus, tram et métro. Tout près du centre-ville. Nils avait gardé la voiture, elle, le chat Minouche. Ils avaient fait le partage de leurs affaires sereinement. En personnes raisonnables qu’ils étaient tous deux. Sans doute aussi parce qu’il n’y avait pas d’enfant à la clé.

– Tu vas être bien ici, lui avait-il dit. Au quatrième étage, la vue de la ville est vraiment belle.

- Oui.

- Les autres locataires semblent sympas…

– Tu penses à l’hypnothérapeute du premier ? Ou à l’avocate du second ? lui avait-elle répondu, ironique.

Il avait ri comme il le faisait toujours avant.

– Trop tard pour être jalouse Léa ! Par contre, je trouve qu’il y a des odeurs d’égout dans les escaliers. Pas toi ?

– Oui j’ai constaté aussi, admit-elle en faisant la moue. C’est sans doute dû à la canicule, non ?

Puis Nils était parti, la laissant déballer ses affaires et arranger sa nouvelle vie.

Minouche tournait dans la pièce en miaulant tristement.

– Ho ça va Minouche ! Tu vas t’y faire toi aussi ! Regarde : le balcon t’attend ! Tu pourras compter les voitures si tu veux !

Elle ouvrit légèrement la baie vitrée, de façon que le chat passe, pour ne pas faire rentrer trop d’air chaud.

Pour se donner du courage, elle alluma la radio, puis commença à ouvrir les cartons.

« Les titres : alerte enlèvement, un enfant de 6 ans a disparu alors qu’il jouait dans un parc. Nouveau scandale financier : des millions d’euros volatilisés. Attention aux températures caniculaires. »

Léa n’écoutait pas vraiment les nouvelles, concentrée sur ses rangements. En ne se relâchant pas, elle n’en aurait pas pour longtemps et elle pourrait donc s’occuper de la déco avant de reprendre son travail.

Son voisin, ou sa voisine du dessus devait certainement emménager aussi car elle entendait des bruits de meubles déplacés, grincements et coups portés sur les cloisons.

Elle rangea et tria ainsi pendant plusieurs heures, rythmées par les flashs d’infos et des chansons intercalées. Elle sourit en regardant Minouche dormir profondément à l’ombre de la petite table du balcon, assommé de chaleur. Quand elle fut complètement en nage et saturée de rangement, elle prit une douche rapide avant d’aller acheter un ventilateur.

Elle ouvrit sa porte et une odeur âcre saisit ses narines.

« Les égouts puent de plus en plus. Il faudra que je demande si quelqu’un s’en occupe à la concierge, pensa-telle »

Dans l’ascenseur cela sentait moins, c’était supportable.

Au rez-de-chaussée la concierge était là avec deux personnes qui l’assaillaient de questions concernant l’odeur pestilentielle.

– Bonjour. Vous êtes Mademoiselle Chapuis, lui demanda-telle aimable.

– Oui c’est moi. Bonjour Madame Martin.

– Votre installation se passe bien ?

– Oui. Merci. Je suis comme tous ici, répondit Léa, j’aimerais savoir quand cette odeur va disparaître. Avec la chaleur, c’est insupportable. Heureusement qu’elle se cantonne aux parties communes.

- Chère petite, comme je viens de le dire à Monsieur et Madame Lombard, nous sommes en août, et la société chargée de l’entretien tourne au minimum d’employés. Il nous faudra attendre un peu. Cela doit venir des évacuations. Avec la sécheresse…

- Heureusement, nous, nous partons en vacances, lança l’homme visiblement agacé en ouvrant la porte vitrée donnant sur la rue, ce qui fit rentrer une bouffée d’air chaud à l’intérieur.

– Vous avez noté que vous disposez d’un tableau pour mettre des annonces. Cela peut être bien utile, poursuivit la concierge à l’adresse de la jeune femme.

– Oui, je vois, répondit Léa poliment.

Et elle sortit aussi dans la fournaise estivale, non sans avoir jeté un coup d’œil audit tableau où informations, invitations et publicités s’entassaient en un pèle mêle hétéroclite. Il y avait même des avis de recherche.

Quand elle revint plus tard, encombrée d’un gros paquet, elle transpirait abondamment mais gardait le sourire car son appartement serait bientôt plus respirable grâce à ça.

La concierge était en pleine discussion avec une autre dame et lorsque Léa rentra dans l’ascenseur surchauffé, elle entendit clairement :

– Rendez-vous compte Madame Kurta, l’enfant a été enlevé à deux pas d’ici, au parc Richelieu ! C’est terrible. Pauvre enfant ! Pauvres parents !

– Quelle époque Madame Martin ! Quelle époque ! Tout va de travers Madame Martin ! Tout disparaît : la bonne éducation, le bon sens… Enlever un enfant ! Ces pervers n’ont plus peur de rien ! Et cette chaleur ! On n’a jamais eu aussi chaud ! Et cette puanteur ! Tout va de travers, je vous le dis Madame Martin. Tout va de travers !