Petits mots, somnifère et vieilles histoires. - Fradynn Lola - E-Book

Petits mots, somnifère et vieilles histoires. E-Book

Fradynn Lola

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Beschreibung

Lorsqu’Alice réapparait dans la vie de Sacha après quinze ans d’absence, leurs vies ont pris des chemins différents et il est hors de question pour lui de reproduire les mêmes erreurs faites par le passé. Sacha n’a en plus pas de temps à lui accorder ; son métier de flic l'accapare, et il doit en plus régler des problèmes au sein même de son immeuble. Mais quand ses soucis prennent une tournure plus grave, il se pourrait bien qu’Alice lui offre un soutien bien plus important qu’il ne l’aurait imaginé…

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Veröffentlichungsjahr: 2016

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Aux véritables Charlotte et Claire,

qui ont accepté de me prêter leur nom.

Et à tous ceux qui l’ont fait sans le savoir.

L'amour. Le vrai. Celui qui vous fait perdre la tête.

Je me souviens encore de notre première rencontre. Jamais je ne pourrais l'oublier. On a juste échangé quelques mots, qui pouvaient paraitre insignifiants, mais ils ont changés ma vie pour toujours. Depuis ce jour, il fait partie de ma vie.

Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vus, mais ce n’est pas grave. Il suffit que je ferme les yeux, et je me rappelle chaque ligne de son visage. Je me souviens de sa voix, de sa façon adorable de parler, avec ce si joli accent russe qu’il a un peu perdu, petit à petit.

Un jour, je sais que nous serons à nouveau réunis. J’en suis certaine. Ce n'est qu'une question de temps.

— Nom et prénom ?

C’est la troisième fois que je repose la question, et la jeune fille en face de moi refuse encore de me répondre.

Quand je songeais à mon futur boulot plus jeune, je me voyais toujours comme un super inspecteur, en train de faire des filatures ou de chercher des indices sur une scène de crime. Je n’avais pas imaginé que je passerais en fait la plus grosse partie de mon temps derrière un bureau à regarder des adolescents faire n’importe quoi de leur vie et à ensuite devoir consigner ça dans un rapport.

Ce qui est loin d'être la partie la plus palpitante et la plus motivante de mon métier.

Par exemple, cette fille que j'essaie d'interroger depuis une bonne heure vient de se faire surprendre dans un supermarché à voler un rouge à lèvres à trois euros. Trois euros. De la nourriture à la limite, pourquoi pas, mais là… Je crois que je ne comprendrais jamais ce qui passe par la tête de la plupart des personnes que je croise ici.

— Tu ne veux pas me dire ton nom ? repris-je.

Elle secoue lentement la tête de gauche à droite.

— Très bien. Carte d’identité, s’il te plaît.

Toujours sans dire un mot, elle fouille dans sa poche, et me tend le document plastifié.

— Alors… Zoé Adhémar, dis-je en tapant en même temps sur mon ordinateur. Ravi d'enfin savoir ton prénom. Je m'appelle Sacha. Ça t’arrive souvent de voler dans les magasins ?

Elle me regarde les bras croisés, affalée sur son siège, le visage fermé. Elle ne semble pas vraiment perturbée de se retrouver dans le bureau d'un flic. Un rapide coup d'œil à notre base de données m’indique que ce n’est pas la première fois qu’un magasin nous signale un vol de sa part, toujours pour des articles à bas prix. Heureusement pour elle, aucun magasin n’a porté plainte jusqu’ici. Elle n’a pas vraiment le profil d'une grande délinquante, elle me donne plutôt l’impression d’avoir fait ça pour se faire remarquer, peut-être auprès d’une copine ou d’une bande d’amis, comme c’est parfois le cas.

— Je peux savoir ton âge ?

Elle me fixe, sans ciller, pas vraiment intimidée.

Je ne sais pas ce que je préfère, quand ils ne répondent pas à mes questions ou quand ils m'insultent et qu’ils finissent par s’énerver.

— Treize ans, selon ta date de naissance. Ce n’est pas un peu jeune pour voler dans les magasins ? Tes parents t’ont privé d’argent de poche ?

Toujours pas de réponse. Vu le peu que j’obtiens de sa part, je crois que j’aime quand même mieux quand ils daignent au moins ouvrir la bouche.

— Tu ne veux pas parler ? Tu préfères que l'on reste là et que l'on se regarde sans rien dire ?

Elle n’affiche absolument aucune expression. C’est légèrement usant, en fait.

— Bon, très bien, dis-je en croisant les bras à mon tour.

Je me recule dans mon siège, et je commence également à la fixer. Elle soutient mon regard, impassible. Et juste au moment où je m’apprête à me dire que cette gosse est imperturbable, elle détourne son regard une demi-seconde.

— Perdu ! je lui lance en me redressant dans mon fauteuil.

Cette méthode n’est peut-être pas très conventionnelle, mais ça a le mérite de marcher avec elle. Elle affiche un début de sourire, qu’elle refrène aussitôt en voyant mon air triomphant.

— Tu ne parles pas, mais tu souris, c'est déjà ça.

Margaux, ma coéquipière, passe en coup de vent dans le bureau à cet instant.

— Sacha, j'ai eu sa tante au téléphone, dit-elle en m’indiquant l’adolescente, elle va arriver.

— Merci. De toute façon, j'imagine que j'ai obtenu le maximum de toi, dis-je à l'attention de Zoé. Ta tante nous en dira plus à ton sujet. On viendra te chercher quand elle sera là.

— Ça a donné quoi avec cette fille ? me demande Margaux en me voyant sortir du bureau.

— Rien. Elle refuse d'ouvrir la bouche. Elle a l'air paumée, mais ce n’est pas la première fois qu’elle se retrouve au commissariat.

— Ça ne m’étonne pas, sa tante n'a pas eu l'air surprise quand je l’ai appelée. Sûrement encore une famille démissionnaire, j’imagine… Bref, je voulais te dire, Laurent vient de recevoir un appel pour nuisances sonores à l’accueil, et je me suis dit que ça pourrait t'intéresser.

— Je finis mon service dans vingt minutes, personne d’autre ne peut s’en occuper ?

— C'est justement parce que tu rentres bientôt chez toi que ça va t'intéresser. Regarde le nom de la personne qui a appelé.

Je parcours le papier qu'elle me donne, et reconnaît immédiatement le nom qui y est noté. Il s’agit de Charlotte Paymal, la jeune femme qui habite en dessous de chez moi.

— Encore elle ? je m’exclame, agacé. Qu'est-ce qu'elle a trouvé cette fois-ci ? Qui ose à nouveau troubler la vie de la reine Charlotte ?

— Elle ne nous a pas faire l’honneur de nous l’expliquer, elle voulait te parler directement. C’est la quatrième fois en quinze jours qu’elle appelle.

Je soupire, déjà lassé de ce qui m’attend en rentrant.

Ça fait maintenant un an que ma nouvelle voisine a emménagé dans l’immeuble, en colocation avec une autre étudiante, Claire Spiteri. Je connaissais déjà cette dernière auparavant puisque sa mère, le docteur Béatrice Spiteri, est en effet la propriétaire de mon appartement et d’autres logements de l'immeuble. Bref, à leur arrivée, tout se passait bien. Puis il y a environ six mois, Charlotte Paymal a appris que je faisais partie de la police. À partir de là, son comportement a changé. Elle a commencé à se plaindre de nos voisins et plus particulièrement de son voisin direct, Aurélien Téron. Je m’entends bien avec lui et je sais qu’il n’est pas plus bruyant qu’un autre. Mais elle s’est mis en tête de me rapporter ses moindres faits et gestes et attend de moi que j’intervienne. Elle n’est pas mauvaise en soi, juste légèrement exaspérante avec sa façon de croire que tout lui est dû et cette manière qu’elle a de minauder systématiquement quand elle me voit. Je reçois d’ailleurs très régulièrement des mots de sa part dans ma boite aux lettres où elle me remercie d’être là pour elle. Une fois, un de ces mots était carrément accompagné d’une boite de chocolat. Même si l’intention était bonne, j’ai trouvé ça un peu exagéré.

— Ça serait bien que tu lui expliques qu’on a autre chose à faire de nos journées ici, non ? propose Margaux.

— Je veux bien essayer, mais je crois qu’elle aime simplement bien se plaindre de tout et n’importe quoi.

— De ce que tu m’en as dit, c’est surtout à toi qu’elle aime se plaindre ! Elle a l’air de t’apprécier… Elle t’a encore laissé des petits mots doux pour te remercier ?

— Oui, j’en ai même reçu un ce matin, dis-je en le sortant de ma poche. Tiens, regarde.

Je lui tends la feuille pliée en deux, et elle la parcourt des yeux. Il s’agit d’un papier à lettres rose, où une phrase de remerciement est imprimée.

— Waouh, lâche Margaux après avoir fini de lire, elle ne fait pas les choses à moitié quand elle t’écrit. C’est limite si elle n’a pas aspergé le tout de parfum avant de te le donner. C’est plutôt mignon de sa part, non ?

— Mignon ? Ce n’est pas forcément le mot que j’aurais utilisé. Je trouve que c’est un poil trop, je ne fais que mon travail.

— Quand je te dis qu’elle t’aime bien !

— Ouais, super. Pile ce qu’il me fallait.

— Ça n’a pas l’air de te faire plaisir.

— Pas vraiment, je t’avoue.

— Suggère-lui subtilement de déménager dans ce cas, dit Margaux après réflexion.

— Je vais y penser ! Merci pour l'info, en tout cas, je vais m’en occuper tout de suite. Je peux te laisser terminer avec la jeune fille dans mon bureau ?

Arrivé dans mon immeuble, je décide d’aller voir immédiatement mes deux voisines. J’inspire un grand coup, et j’appuie sur la sonnette marquée « SPITERI/PAYMAL ». La porte s'ouvre un instant plus tard sur Charlotte Paymal, une jeune femme d’une vingtaine d’années, des lunettes noires au bout du nez et un livre de psychologie à la main. Lorsqu’elle me voit, elle affiche d’emblée un grand sourire.

— Commissaire Maslo ! lance-t-elle aussitôt. Je ne vous attendais plus !

— Lieutenant, je rectifie. Excusez-moi pour le retard, Mademoiselle Paymal, mais je rentre à l’instant. En quoi puis-je vous aider ?

— J’ai à nouveau un problème avec Monsieur Téron, mon voisin de droite. Il a ses enfants en ce moment. Je suppose qu’il ne sait pas comment les occuper, j’entends des cris toute la journée ! Et ça m'empêche de me concentrer.

Je tente de l’écouter en essayant de ne rien laisser paraître de mon exaspération, mais ses histoires de voisinages commencent légèrement à avoir raison de ma patience.

— Je sais, Mademoiselle Paymal, dis-je en levant la main pour la couper, vous me l’avez déjà dit. Avez-vous simplement essayé de lui en toucher deux mots ?

— Je lui ai demandé plusieurs fois de tenir ses gosses, mais il me répète qu’ils sont sages et silencieux. En même temps, quel parent ne défendrait pas ses enfants ?

— C’est juste, je remarque à contrecœur.

— Alors ? Qu’est-ce que vous allez faire pour régler ce problème ?

— Vous permettez que j’entre pour constater le dérangement ?

— Bien sûr.

Elle s’écarte pour me laisser passer, puis m’indique le salon. Je ne connais pas leur appartement, c’est la première fois que j’y entre réellement. La disposition des pièces est sensiblement la même que mon appartement, et il n’est pas particulièrement bien rangé. Des vêtements et de la vaisselle trainent un peu partout. Je remarque tout de suite que de grandes photographies sont accrochées au mur. Je me souviens avoir croisé une fois Claire Spiteri en train d’utiliser son appareil photo, j’imagine donc qu’elle est l’auteur des clichés qui sont exposés. Claire, justement, se trouve sur le canapé, plongée dans son ordinateur. Elle tourne la tête vers moi en m’entendant entrer.

— Monsieur Maslo ? Bonjour ! dit-elle en se levant pour me saluer.

À la différence de Charlotte, je suis toujours plutôt content de croiser Claire. J’ai cru comprendre que les deux colocataires étaient cousines, et je me demande souvent comment elles peuvent être de la même famille tant elles sont différentes. Physiquement, d’abord, Charlotte est une grande fille brune, assez sophistiquée, qu’on remarque facilement ; alors que sa cousine, qui est pourtant loin d’avoir un physique ingrat, passe plutôt inaperçue à ses côtés, avec sa petite taille, ses cheveux coiffés en bataille et son style vestimentaire simple. Et leurs caractères sont tout autant opposés. Claire est moins extravertie et exubérante que Charlotte, et donc beaucoup plus agréable à supporter.

— Bonjour Claire. Je suis navré de vous déranger, je ne resterais pas longtemps.

— Vous ne me dérangez pas, mais notre appartement est loin d’être très bien rangé pour accueillir quelqu’un, remarque-telle, un peu gênée.

— Ne vous inquiétez pas pour moi. Chouettes photos, dis-je en indiquant les cadres au mur.

— Oh, c’est gentil… Elles sont de moi.

— C'est justement ce que j’étais en train de me demander. Vous êtes plutôt douée, dis-je en m’approchant de l’une d’elles. Elles sont vraiment sympas.

Elle rougit légèrement à mes propos, je n’insiste donc pas.

— Oui, oui, Claire se débrouille très bien, mais on peut revenir à moi ? s’exaspère Charlotte.

— Bien sûr, Mademoiselle Paymal, dis-je sans ciller. Alors, indiquez-moi d’où viennent les bruits qui vous dérangent.

Contente que je me soucie à nouveau d’elle, son sourire s’élargit un peu plus. Elle s’apprête à me répondre quand Claire l’interrompt.

— Charlotte, tu as encore dérangé la police avec tes histoires ? Je t’ai dit mille fois qu’on n’entendait absolument rien !

— Ce n’est pas parce que le bruit ne te dérange pas qu’il n’y en a pas, souligne-t-elle. Je n’arrive pas à bosser et à me concentrer.

— Même le bruit de l’horloge t’empêche de travailler… Tu vas déposer une plainte contre elle ?

Sa remarque me fait sourire. Charlotte s’en aperçoit et l’air jovial qu’elle affichait quand je suis arrivé s’estompe un peu.

— Très drôle, Claire, vraiment. Tu peux laisser le commissaire Maslo faire son travail s’il te plaît ?

— Je ne suis pas commissaire, juste lieutenant, je rectifie une nouvelle fois.

— Ah bon ? fait-elle visiblement déçue. Vous avez pourtant tout d’un grand commissaire quand on vous voit comme ça.

Elle appuie sa remarque en me regardant avec insistance. Je détourne la tête.

— Un grand commissaire ne se déplacerait sûrement pas pour des problèmes de voisinage, mais merci. Maintenant, si vous me le permettez, je vais essayer d’entendre si des bruits proviennent effectivement de l’appartement voisin du votre.

Nous nous taisons tous un instant. Manque de pot pour Charlotte – et coup de chance pour moi –, il ne se passe rien.

— Mademoiselle Paymal, vous constatez comme moi que les bruits semblent s’être arrêtés. Dans le cas présent, je n’ai pas la possibilité de faire grand-chose. Je peux toujours en toucher deux mots à votre voisin, bien que ça ne relève pas vraiment de mes attributions. Et pour la suite, je vous conseille d’utiliser des boules Quiès pendant vos heures de travail.

— Vous êtes sûr que vous ne pouvez rien faire d’autre ? Il est vraiment très compliqué pour moi de travailler dans ses conditions, et je dois absolument réussir mes examens cette année, vous comprenez sûrement…

Et voilà qu’elle recommence à minauder.

— Je suis désolé, dis-je calmement, mais habiter en ville nécessite de vivre avec les bruits extérieurs, et que je ne peux pas lutter contre absolument tout ce qui vous gêne. Et dans le cas présent, en plus, il n’y a rien.

— Peut-être que si vous restiez encore un peu, vous finiriez par…

— Alors rappelez-moi quand ça recommence, je la coupe aussitôt, et je reviendrais s’il le faut. Sur ce, je vous laisse. Bonne soirée à vous deux.

Je me dirige vers la porte d’entrée, sans lui laisser le temps de répliquer autre chose. Je l’entends me suivre, et j’accélère le pas. Au moment où j’arrive sur le palier, la porte de l’appartement voisin s’ouvre, et je me retrouve nez à nez avec Aurélien.

— Aurélien, je m’exclame en lui serrant la main, justement, nous parlions de toi ! Mademoiselle Paymal m’informe entendre parfois du bruit provenant de chez toi. Est-il possible de faire attention quand tes enfants sont là ? Tu sais comme les murs de cet immeuble sont fins et…

— Je suis désolé, Sacha, on en a déjà discuté elle et moi, explique-t-il en désignant Charlotte Paymal, et je ne peux pas obliger mes enfants à rester assis toute la journée sans rien faire… Ils ne sont en plus là que très rarement et…

— Et ils sont très bruyants, la plupart du temps, rétorque-t-elle.

— Je suis sûr qu’ils ne vous dérangent pas tant que ça, lui répond-t-il sèchement.

— Inutile de s’énerver, dis-je pour tenter de calmer le jeu. Aurélien, est-ce que tu me permets de parler un instant avec tes enfants ? Peut-être que si je leur explique que…

— Ils ne sont pas là aujourd’hui, me coupe-t-il. Ils sont chez leur mère pour la fin des vacances et ne reviennent que la semaine prochaine.

— Ils ne sont pas là en ce moment ? je répète interloqué, en me tournant vers Charlotte Paymal.

En comprenant son erreur, l’air sûr d’elle qu’elle affichait depuis mon arrivée s’estompe enfin.

— Dans ce cas, je pense que j’ai assez perdu mon temps, conclus-je en lui jetant un regard noir. Excuse-moi pour le dérangement.

Charlotte rentre chez elle sans dire un mot et Aurélien me regarde en soupirant.

— Je sais que tu n’es pas responsable de ses problèmes, je m’empresse de lui dire, mais je suis obligé de me montrer un minimum coopératif avec elle.

— T’inquiètes pas, j’avais saisi. Ça te dirait de prendre un verre pour décompresser un peu ?

— Qu’est-ce que tu prendras ? me demande Aurélien pendant que je m’affale sur son canapé.

— N’importe quoi, tant que c’est fort et que ça me fera oublier la reine Charlotte.

— Elle te rend dingue toi aussi ? poursuit-il en posant deux verres sur la table basse et en y versant du vin. Je ne sais pas ce qu’elle cherche, mais ça a l’air d’être le genre de fille qui aime emmerder son monde...

— Et malheureusement pour nous, il faut qu’elle soit notre voisine.

— Ouais… Je suis sûr qu’elle serait même capable de me trainer en justice parce qu’elle a entendu mes enfants tousser.

— Je sais qu’elle exagère, mais je ne pense quand même pas qu’on en arrivera là…

— Qu’est-ce que tu en sais ? Elle m’a répété plusieurs fois que son père travaillait dans une administration publique et qu’il avait un poste assez important... Elle a l’air de penser que tout lui est dû, qui sait ce qu’elle pourrait faire ! Mais ne t’inquiètes pas, je suis certain qu’elle ne te ferait rien à toi… Elle t’aime bien !

— Qu’est-ce que vous avez tous avec ça ? C’est une gamine !

— Et alors ? Tu diras ce que tu veux, Sacha, mais je crois que la reine Charlotte t’apprécie beaucoup !

— Génial, vraiment...

Mon téléphone se met à vibrer dans ma poche. Je le regarde rapidement. C’est Lydia, la fille que je vois en ce moment. Je fais basculer l’appel sur le répondeur avant de ranger mon portable.

— Tu peux répondre si tu veux, dit Aurélien, ne te gènes pas pour moi.

— Oh, ce n’est pas un appel très important…. Une amie de ma coéquipière avec qui je suis sorti quelques fois qui m’appelle de temps en temps pour qu’on remette ça…

— Et tu ne décroches pas ? Elle ne te plaît pas ?

— Si, si… Je devrais prendre le temps de la rappeler... Elle ne me déplaît pas forcement… Enfin, je crois…

— Tu crois ? Ce n’est pas le genre de choses que l’on sait généralement ?

Je soupire.

J’apprécie de passer du temps avec elle, je doute juste que ça nous mène quelque part.

— C’est gênant ? Tu cherches à te caser ?

— Non, mais ma coéquipière si ! Et si je décide de couper court, elle va me faire une scène. Au final, je ne sais pas si je ne préfère pas juste éviter ça.

— C’est ta mère ou ta coéquipière ?

— Bonne question… Il est prévu qu’elle organise mon anniversaire dans trois semaines, et je suis sûr qu’elle projette de faire venir son amie. Alors que de mon côté, je voudrais juste laisser passer cette date, sans rien programmer. C’est bien gentil d’avoir des amis qui essaient de vous caser à tout bout de champ, mais c’est loin d’être évident à gérer.

— Je connais ça, oui… dit-il en me remplissant à nouveau mon verre. Donc c’est bientôt ton anniversaire ? Quel âge tu vas avoir ?

— Trente-quatre.

Ça sera le premier depuis le décès de ma grand-mère. D’habitude, elle cuisinait pour moi de l’okrochka, une soupe traditionnelle russe, et parfois, mes parents faisaient l’effort de venir. La dernière fois qu’ils étaient là, il y avait même… Non, inutile de penser à elle et de ressasser le passé. Ce temps est révolu. Cette année, je fêterais ça avec Margaux et sa famille, et donc probablement Lydia, et je sais que Margaux s’est entrainée pour me faire de l’okrochka. Il ne vaudra sûrement pas celui de ma grand-mère, mais je suis sûr que ça ne sera pas si mal.

— Sacha ?

Je relève la tête et vois Aurélien me fixer en fronçant les sourcils. Penser à certains détails de mon passé a pour résultat de me déprimer en un temps record, si bien que je n'avais pas réalisé qu'il était en train de me parler.

— Excuse-moi, j'étais ailleurs.

Je crois que je ferais mieux de rentrer.

Je suis de retour chez moi depuis vingt minutes quand on tape à ma porte.

Je ne m’attends pas à tomber sur Charlotte Paymal, un sourire désolé collé sur son visage.

— Encore vous ? je m’exclame. Vous venez m’informer que les enfants de Monsieur Téron sont rentrés ? Parce que si c’est le cas, Mademoiselle Paymal, laissez-moi juste vous rappeler ce que vous risquez en cas de dénonciation calomnieuse.

— Je comprends que vous m’en vouliez, mais laissez-moi parler ! dit-elle en levant les mains en signe d’excuse. Je suis venue me faire pardonner.

— Vous faire pardonner ? Qu’est-ce qui me vaut ce revirement de situation ?

— Je peux entrer un instant ? demande-t-elle en me jetant un drôle de regard.

— Euh… Si vous voulez.

Je m’écarte pour la laisser passer. Une fois dans mon salon, elle jette rapidement un coup d’œil sur ce qui l’entoure, avant de se rapprocher de moi.

— Je suis vraiment désolée de ce qui s’est passé tout à l’heure, commence-t-elle d’une voix douce. Je me suis laissée emportée, et je sais que je peux être assez intransigeante. Mais je commence bientôt mon master de psychologie à la fac, et j’ai déjà beaucoup de travail… Je ne peux pas me permettre d’être trop distraite, même si… même si certaines personnes attirent plus mon attention que d’autres... dans cet immeuble, par exemple.

Elle est maintenant à quelques centimètres de mon visage et me parle en me caressant doucement le bras.

Je rêve ou cette fille est en train de me draguer ?

Soyons clair, Charlotte Paymal est plutôt jolie ; elle n’a pas besoin de faire grand-chose pour plaire, et elle le sait. Mais elle semble aussi jouer de ça pour obtenir tout ce qu’elle veut, et est probablement toujours parvenue à ses fins. En d’autres termes, elle représente tout ce que je déteste. Et puis soyons sérieux, elle est beaucoup trop jeune pour moi.

— Qu’est-ce que vous essayez de faire ?

— Rien, je voulais juste m’assurer que vous comprenez mes intentions, qui ne sont pas si mauvaises au fond… Je ne pouvais pas être plus claire tout à l’heure quand ma cousine était là, mais ce n’est pas pour rien que je vous appelle dès que j’ai un problème…

— C’est-à-dire ?

— Vous ne comprenez pas ?

— Disons que je veux être sûr de ne pas me méprendre.

— Je suis sûre que votre idée est plutôt bonne, chuchote-t-elle en se rapprochant encore un peu.

— Mademoiselle Paymal, dis-je en la repoussant doucement, j’accepte vos excuses, c’est très charitable de votre part. Mais maintenant, j’aimerais que vous partiez.

Elle recule, et fronce les sourcils, soudainement énervée.

— Vous n’allez rien tenter avec moi ?

— Non.

— Pourquoi ?

— Je n’en ai pas envie.

— Vous plaisantez, j’espère ?

— Pas du tout. Inutile de minauder avec moi, ça ne marche pas. En ce qui concerne vos problèmes de voisinage, apprenez déjà à vivre avec les autres et à ne pas toujours avoir ce que vous voulez, et vous verrez que tout sera plus simple.

— Vous n’êtes pas sérieux ?

Elle est maintenant franchement en colère. Tant pis, ce soir, je n’ai pas vraiment envie d’être diplomate.

— Je ne saurais l’être plus, Mademoiselle Paymal. Au revoir.

Je la pousse dehors et referme la porte sur elle.

Vu sa tête à cet instant, j’ai la vague impression que je n’en ai pas fini avec elle.

— Un café ?

La voix de Margaux me fait sortir de ma léthargie. Je lève la tête et je la vois me tendre un gobelet.

— Merci, dis-je en me massant la nuque, ça va me faire du bien.

— La nuit a été difficile ?

— Non, pas vraiment… Disons juste qu’en ce moment, je dors peu.

— Lydia a quelque chose à voir là-dedans ? demande-t-elle innocemment en s’installant au bord de mon bureau, un sourire en coin.

— Qui ? Euh non, je rectifie en vitesse en la voyant froncer les sourcils. Non, rien à voir. C’est à cause de ma voisine du dessous. Je veux éviter un maximum de la croiser dans l’immeuble, et j’ai donc accepté pas mal de gardes de nuit en plus ces derniers temps. Du coup, je travaille beaucoup, et je commence à avoir du mal à tenir le rythme.

— Tu restes ici pour éviter ta voisine ? La reine Charlotte ? Je ne pensais pas qu’elle était si horrible que ça !

— Elle joue un jeu bizarre avec moi... Je crois qu’elle a essayé de me séduire la semaine dernière, et de façon plutôt insistante… Et entre ça et les petits mots qu'elle m’envoie, elle me met assez mal à l’aise. Je n’ai pas trop envie de tomber sur elle.

— Drôle de façon de réagir.

— Tu sais bien que je n’ai jamais été doué pour affronter ce genre de situation…

— Je sais, je sais, j’ai d’ailleurs toujours trouvé ça étonnant, on est quand même amené à gérer des choses bien plus compliquées dans notre travail… Bref, si tu veux faire quelque chose de stimulant, la gamine de l’autre fois, celle qui refusait de parler, est de retour chez nous, dit-elle en me tendant un dossier.

— Elle est revenue ? Elle s’appelait… Zoé Adhémar, c’est ça ? Qu’est-ce qu’elle a fait cette fois ?

— Toujours pareil. Un vol de maquillage, dans le même magasin qu’il y a une semaine. Elle doit vraiment avoir envie de se faire attraper, sinon elle prendrait au moins la peine de changer d'endroit.

— Tu as appelé quelqu’un pour venir la chercher ?

— Sa tante. Je lui ai déjà parlé la dernière fois, et en fait, elle ne s’occupe de la gosse que depuis peu. Ça m’a l’air assez compliqué entre elles. Je peux te laisser gérer ? Je l’aurais bien fait mais j’ai promis d’aller chercher ma fille à l’école aujourd’hui, et il est déjà 16 heures.

— Pas de problème.

— Super, merci.

Elle commence à partir, puis hésitante, revient finalement vers moi.

— Dis-moi, rien à voir, mais je voulais te demander…

— Oui ? dis-je en baillant à nouveau.

— Puisqu’on parlait de Lydia… Je l’ai eu au téléphone hier et elle m’a dit qu’elle n’arrivait pas à te joindre… Tu ne m’avais pas dit que tu devais la rappeler ?

Elle affiche son air innocent, mais je sais parfaitement ce qu’elle cherche à savoir.

— Tu me surveilles ?

— Non, pas du tout ! se défend-elle aussitôt. C’est juste que… Cette fille est parfaite pour toi ! Et je ne dis pas ça parce que c’est mon amie ! Bon, peut-être un peu, s’empresse-t-elle de rajouter en me voyant lever les yeux au ciel. Mais elle est gentille non ? Tu ne l’aimes pas ?

— Si, bien sûr, c’est une fille sympa… Mais ça s’arrête là. On n’a pas grand-chose en commun, tu sais.

— Comment peux-tu le savoir, tu ne l’as vue que deux fois !

— On est effectivement allés au restaurant ensemble que deux fois, mais si je compte aussi les innombrables fois où tu m’as invité à manger chez toi, et qu’elle était là, comme par hasard, ça fait beaucoup plus !

— Simple coïncidence, répond-elle du tac au tac, en riant à moitié. Bon, allez, sans plaisanter, tu as quelqu’un d’autre de mieux en vue ?

— Non, mais je ne suis pas désespéré non plus. Si entre elle et moi, le courant ne passe pas, je ne vois pas pourquoi je devrais me forcer…

— Je te demande juste de lui laisser sa chance. C’est tout.

Je soupire.

— Tu sais que tu es agaçante quand tu t’y mets ? Tu as gagné, je la rappellerai.

— Promis ?

— Promis.

Je m’affale dans mon siège, sous le regard triomphant de Margaux. Le mal de tête qui me poursuit ces dernières semaines est étonnamment en train de s’accentuer.

— J’aurais besoin d’une aspirine… Tu n’en aurais pas une, par hasard ?

— J'ai dû utiliser la dernière, dit-elle en fouillant dans son sac. Je crois qu’il y en a à l’accueil. Tu devrais aller voir.

En sortant de la pièce, je jette un coup d’œil dans son bureau et j'aperçois la jeune Zoé. Elle a le même air que la dernière fois, son regard triste perdu dans le vide. En arrivant à l’entrée du commissariat, Laurent Saidacar, l’officier de police en charge de l’accueil n’est pas là. Quelques personnes attendent. Je m'accroupis derrière le comptoir et me mets en quête du flacon d’aspirine. Un bref instant plus tard, j’entends qu'une personne est arrivée derrière le comptoir, mais dans ma position, je ne peux pas voir son visage. Absorbé par ma recherche, je ne lève pas tout de suite la tête.

— Excusez-moi.... commence une voix féminine, je suis...

— Patientez un instant, l'interromps-je d’un geste de la main, la personne qui s’occupe de l'accueil va revenir dans une minute... Ah ça y est, je l'ai, dis-je en me relevant tout en brandissant le médicament.

— Sacha ? s’étonne la personne en face de moi.

Je la regarde enfin, étonné d'entendre mon prénom.

Alice.

Ici.

J'ai aimé quelques femmes dans ma vie. Peu ont compté. Pour dire la vérité, une seule a vraiment eu de l'importance à mes yeux. Et elle se tient là, devant moi.

— Alice ? je m'exclame, décontenancé. C'est bien toi ?

— Je crois bien, fait-elle en souriant. J'ai changé à ce point ?

— Tu plaisantes, tu es toujours la même ! Viens par ici que je te regarde de plus près ! dis-je en lui attrapant la main.

Je fais le tour du comptoir d'accueil et, dans un élan qui ne me ressemble pas, je l’attire vers moi et la serre dans mes bras. De plus près, son visage semble marqué par une fatigue qui n'a rien à voir avec celle que je me trimballe aujourd'hui. Mais je ne peux pas m'empêcher de la trouver toujours aussi... elle. Ses longs cheveux blond foncé lui tombent toujours en cascade sur les épaules, et ses yeux marron sont toujours aussi rieurs. La dernière fois que nous nous sommes vus, nous avions presque quinze ans de moins, mais j’ai l’impression que nous nous sommes quittés hier.

— C’est gentil de me flatter, rajouta-t-elle en riant, mais j’ai pris quelques années ! Mais t’es pas mal non plus !

— C’est fou de se retrouver comme ça ! Qu’est-ce que tu fais là ?

— Oh, c'est une très longue histoire… Tu travailles ici ? s’étonne-t-elle en regardant autour d’elle.

— Et oui, faut croire… Tu as devant toi le lieutenant Maslo !

— Tu plaisantes ? Tu es vraiment entré dans la police ? Dire que ce n’était qu’un projet quand…

Elle s’interrompt brusquement, et je devine très bien pourquoi. Je n’ai jamais oublié la façon dont elle est sortie de ma vie, et visiblement, elle non plus. Je décide de recentrer la conversation sur elle.

— Et toi ? Tu es devenue journaliste, comme tu le souhaitais ?

— Oui, dit-elle en hochant la tête, mais c’est plus compliqué que je le pensais, ce n’est pas toujours simple de trouver du travail... Justement, dit-elle en regardant sa montre, je devrais être en train de bosser en ce moment, mais on m’a appelé pour venir chercher ma nièce et je n’ai que très peu de temps…

— Ta nièce ? Elle ne s’appellerait pas Zoé Adhémar par hasard ?

— C’est toi qui t’es occupé d'elle ?

— Plus ou moins, oui. D’ailleurs, j’ai une petite question à son sujet ; il lui arrive parfois d’ouvrir la bouche ?

— Ça c'est une autre longue histoire, beaucoup trop pour que je te la raconte tout de suite... Tiens, attends une minute, lance-telle en fouillant dans son sac. Prends ma carte, tu m'appelles quand tu es libre et je te raconte tout ça, d'accord ? Ça serait trop bête qu'on ne se revoie pas. N’hésite pas.

Je parcours la carte rapidement. « Alice Aubert, journaliste » est inscrit en caractère gras et juste en dessous figure son numéro de portable et son adresse.

— Je m'en souviendrais, dis-je en la fourrant dans ma poche. Attends-moi là, je vais chercher ta nièce.

Dans le bureau de Margaux, Zoé n’a pas bougé. Elle n’affiche aucune expression particulière quand je lui dis que sa tante l’attend, et ne bronche pas plus quand elle la voit dans le hall d’entrée du commissariat.

— Zoé, j’aimerais bien ne pas avoir à venir te chercher ici toutes les semaines, la sermonne Alice. Mon boss va commencer à me faire des reproches si je ne peux pas lui rendre mes articles à temps.

Sa nièce ne semble absolument pas contrariée par sa remarque. Elle s’affale sur une chaise, toujours avec le même air triste et buté.

— Merci de t'en être occupé, Sacha, dit Alice à voix basse. J'ai un peu de mal avec elle.

— Pas de problème, c'est mon job.

Elle fait signe à Zoé de se lever et lui demande d'attendre dehors, avant de revenir vers moi.

— Bon, eh bien... C'était surprenant de se retrouver ici, commence-t-elle, mais... j’ai été ravie de te revoir.

— Moi aussi.

Elle me regarde, avec un indescriptible sourire. Puis plante un baiser sur ma joue, avant de rajouter :

— Appelle-moi, d'accord ?

Je hoche vaguement la tête et la regarde s’éloigner.

En un quart de seconde, à son contact, je comprends que je ne l’ai jamais oublié.

Je suis assis sur un banc, seul, sur la place du village. Il est bientôt 8 heures 30, la cloche de l'école ne va pas tarder à sonner. Ma grand-mère vient de partir, après m'avoir embrassé et murmuré à l'oreille quelques mots d'encouragements en russe. J’ai une boule au ventre. Je voudrais rentrer chez moi, à Saint-Pétersbourg, mais je sais que c'est impossible. Autour de moi, des enfants commencent à arriver. Ils jouent et courent un peu partout. J'ai envie de les rejoindre, mais j’hésite. Je sais parler français, mais j'ai surtout l'habitude de discuter en russe ou en anglais avec ma famille, et j’ai peur de faire des fautes. Alors je me contente de les écouter. Il y a une petite fille, en particulier, qui a attiré mon attention quand je suis arrivé. Elle court, crie, chante entourée d'un groupe d'enfants qu'elle semble mener au pas. Elle fait à peu près ma taille, porte des nattes dont quelques mèches dépassent, et qui entourent son visage plein de taches de rousseur. Je crois qu'elle est dans ma classe, mais je n'ai pas encore réussi à entendre son nom. Je la fixe, sans même m'en rendre compte. Tout à coup, elle s'arrête de courir, pivote sur elle-même, semblant chercher quelque chose, ou plutôt quelqu’un. Elle me voit, s’avance dans ma direction, et me prend la main, en m'obligeant à me décoller de mon banc. Je résiste en disant non de la tête. Elle me regarde et je découvre son air décidé.

— Tu ne vas pas rester là toute la journée ! Viens !

Je continue de résister, mais ça n'a pas l'air de la contrarier. Elle pointe un doigt dans sa direction et se présente.

— Je m'appelle Alice, et toi ?

Je suis étonné que quelqu’un s’intéresse à moi, et je ne parle pas tout de suite. La voyant attendre, je m'empresse de répondre, en tentant de cacher mon accent le mieux possible.

— Sacha.

— Tu veux jouer avec nous ou pas ?

— Ya… euh, je veux dire oui.

— Alors, viens !

J’ai bientôt dix ans, et je viens de faire la rencontre la plus importante de ma vie.