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Extrait : "Vrai Dieu ! la belle occasion de faire de la science ! comme, à l'aide d'un dictionnaire mythologique, il me serait facile d'entasser des noms divins ! quelle joie de pouvoir commencer ainsi : L'origine des Champs-Élysées se perd dans la nuit des temps. Le philosophe Karpenthras, qui vivait trois mille ans avant J.-C., en parle le premier, dans son immortel ouvrage sur le bonheur d'être heureux."
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Seitenzahl: 39
Veröffentlichungsjahr: 2015
Quelle singulière idée !
– Quoi donc ?
– Une physiologie des Champs-Élysées.
– Eh bien ?
– Eh bien, ça n’a pas le sens commun.
– Quoi ! la physiologie ?
– Non, l’idée d’en faire une.
– Pourquoi donc ?
– Eh ! parce que… parce que… voilà.
– Ah ! vous m’en direz tant ! Diable ! quelle logique serrée ! il n’y a pas moyen de répondre à un raisonnement pareil.
C’est ce que je fais, lecteur : je ne réponds pas à l’écrasante diatribe de mon interlocuteur, et j’entre en matière.
C’est à vous de me prouver que j’ai raison parce que… ou que j’ai tort par la même raison.
Vrai Dieu ! la belle occasion de faire de la science ! comme, à l’aide d’un dictionnaire mythologique, il me serait facile d’entasser des noms divins ! quelle joie de pouvoir commencer ainsi : L’origine des Champs-Élysées se perd dans la nuit des temps. Le philosophe Karpenthras, qui vivait trois mille ans avant J.-C., en parle le premier, dans son immortel ouvrage sur le bonheur d’être heureux.
Mais il ne s’agit rien moins que d’être savant. Laissons cela aux chiens, aux serins, aux singes, et à MM. de l’Académie des Sciences, ou des Inscriptions et Belles-Lettres, qui font nos délices au printemps de notre vie (je parle des animaux).
Prenons les Champs-Élysées tels qu’ils sont actuellement, et parcourons ce grand espace, qui s’étend depuis les chevaux de Marly jusqu’au Rond-Point, depuis la Seine jusqu’à l’Élysée-Bourbon.
Les Champs-Élysées ont leur physionomie particulière, une physionomie à eux. – Ils sont un type ; ils ne ressemblent ni au Luxembourg, ni à la place Royale, ni aux boulevards ; ils ont une individualité.
Ils sont aux autres promenades ce que l’obélisque est à toutes les bornes qui se trouvent au coin des rues.
Ils résument en eux seuls tous les plaisirs disséminés dans les autres quartiers de Paris.
On y trouve tout, et même autre chose.
Je défie le plus exigeant de ne pas y rencontrer ce qu’il désire.
Pour le gourmand, – voici des restaurants.
Pour l’homme altéré, – des cafés.
Pour l’homme plus qu’altéré, – des guinguettes.
Pour l’homme qui aime le bruit et la poussière, – voici des chevaux, des voitures, des charrettes.
Pour celui qui recherche le mystère, – il y a de sombres allées.
Pour l’homme qui veut être vu, – la grande avenue.
Pour celui qui veut se cacher, – il y a des endroits où personne ne va.
Pour celui qui aime la musique, – voilà des artistes qui répandent des torrents d’harmonie, qui sur sa flûte, qui sur sa basse, qui sur sa grosse caisse.
Pour le savant, – voici le grand escamoteur de sa majesté l’empereur de toutes les Amériques.
Pour le curieux, – tout.
Pour l’enfant et sa bonne, – Polichinelle.
Pour le badaud, – il y a des cochons – d’Inde savants, des enfants savants, des chats savants, des singes savants, de toutes sortes de choses excessivement savantes.
Pour le collégien en vacances, – les chevaux de bois.
Pour les amateurs d’exercices violents, – la paume.
Pour les petits rentiers et les invalides, – le jeu de boules.
Pour les gens qui ont eu de la fortune, – la voiture à quatre chèvres.
Pour ceux qui en ont, – la grande allée, où ils peuvent étaler le luxe de leurs équipages.
Pour les amateurs de chevaux, – les écuries de Crémieux et de Bénédict.
Aux gens qui aiment la mer, – le Navalorama.
À ceux qui ont été en Russie, – ou qui voudraient y avoir été, – ou qui désirent voir une chose réellement curieuse, – le panorama de la bataille de la Moscowa.
Pour les gens qui ne savent comment tuer leur soirée, – le Cirque.
Pour ceux qui aiment la danse, le bal du Rond-Point, Mabille… Mabille, le Musard des Champs-Élysées.
Pour ceux qui ont un voleur à faire arrêter, un ami à faire ramasser, un propriétaire inexorable, un portier stupide ;
À ceux-là enfin, les corps-de-garde, – un deux, trois, quatre corps-de-garde, sans compter les casernes.
À sept heures du matin, les Champs-Élysées appartiennent exclusivement aux marchands de chevaux, aux grooms, et à la garde nationale.