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Recruté par le PDG Gabriel Jesayre pour dynamiser JE VIDEOS, Esteban se retrouve au cœur d’une histoire complètement folle. Avec son équipe, il crée un jeu fondé sur l’action des Monuments Men avec tous les avantages que la technologie et le numérique de dernière pointe peuvent apporter. Le jeu va progressivement faire parler de lui et interpeller le concepteur. Le PDG voit la chance de sa vie avec cette poule aux œufs d’or. Seulement… c’est sans compter sur des jeunes en mal de réponse aux questions que suscite le jeu. D’une intrusion dans JE VIDEOS à un voyage au Tibet, ils rapporteront des idées qui malmèneront la direction si contrôlée du PDG. Play and Pray : entre jeu et prière. Et si tout se jouait sur une dernière partie…
À PROPOS DE L'AUTEURE
Les histoires de
Virginie Amsé naissent au détour des échanges qu’elle a pu avoir avec de nombreux adolescents depuis une vingtaine d’années. Ces échanges, heureux ou plus tristes, tournent autour de la question du bonheur, de sa place en ce monde, de sa capacité à respecter l’autre, son corps et ses valeurs, de ses peurs à s’engager et à défendre ses idées… Riche de son bagage éducatif et pédagogique, riche de ses pratiques d’écriture littéraire avec les jeunes, elle puise dans la roue de la vie des scénarii lui permettant d’offrir des récits, traversant le temps, invitant chacun à relever la tête et à vivre pleinement.
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Seitenzahl: 193
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Virginie Amsé
Play and pray
Roman
© Lys Bleu Éditions – Virginie Amsé
ISBN : 979-10-377-8539-8
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
« Bien, Monsieur Engey. Reprenons.
— Bon sang, commissaire, je vous ai tout dit. Je vous ai raconté comment ce jeu vidéo s’est élaboré étape par étape.
— Oui. J’ai d’ailleurs le rapport du lieutenant Sy qui l’atteste. On est d’accord sur le contenu ? »
Il sortit d’un dossier une feuille qu’il tendit à Esteban. Ce dernier s’en empara, la parcourant très rapidement. Mais à la lecture, les traits de son visage se tendirent au point de marquer l’étonnement.
« Ben, la routine. On est obligé de consigner tous les faits.
— Oui, oui. Ça, pour sûr, il y a tous les faits, conclut Esteban. Le lieutenant Sy se lance dans l’écriture ?
— Pardon ? » articula le commissaire, son visage passant d’Esteban à la feuille sans trop comprendre.
L’homme se décida à jeter un coup d’œil au contenu et Esteban s’amusa à le voir se décomposer au fur et à mesure de sa lecture.
« Mais qu’est-ce que… »
Estaban se le demandait aussi.
« Écoutez commissaire, je ne me plains pas. Ça me donne un côté aventurier, voire, osons-le, fascinant. Qu’est-ce que je vais être comme personnage ? Un looser ? Un éternel insatisfait ? Ou non plutôt l’ambitieux qui gravit les marches sociales ! Ah, oui ! Un Rastignac. Faudrait presque me placer en haut d’un grand immeuble surplombant JE VIDEOS et je lancerai : “À nous JE VIDEOS !”
— Écoutez, Monsieur Engey, je ne comprends pas. Permettez, un instant s’il vous plaît. Je reviens. »
Esteban n’en revenait pas. Où était l’interrogatoire rondement mené avec ses règles strictes ? Que signifiait cette mise en scène ?
Car Esteban était persuadé qu’on lui jouait un tour, histoire de le faire craquer.
Il se rassit et profita des quelques minutes pour relire la feuille :
Esteban avançait d’un pas tranquille parmi la foule qui s’agitait et flairait les bonnes affaires dans cette braderie gigantesque. Les pancartes qui affichaient des 50 % alléchants au commun des mortels n’avaient aucune prise sur lui…
Un client du Farniente, attablé à sa terrasse ensoleillée, le voyait derrière la fumée de sa cigarette, esquiver les clients, amassés sur le trottoir. Il lui semblait qu’un nuage de pensées sages accompagnait le jeune homme… mais la réalité était tout autre : c’était nettement moins prestigieux, franchement plus prosaïque : pourquoi s’évertuer à acheter avec un compte en banque vide ? pourquoi ne pas attendre qu’il se remplisse ?
Comment donc ce jeune homme soumis aux désirs de consommer sans relâche parvenait-il ce jour-là à se maîtriser et à tracer son chemin, sans vaciller ? Ce fut sur cette grande question métaphysique que notre fumeur invétéré se leva, en prenant soin de fixer la silhouette d’Esteban qui s’éloignait.
Oui, Esteban pouvait surprendre, car en cette fin de journée, il ne marchait pas : il flottait littéralement au-dessus des gens, les mains enfoncées dans ses poches. L’une d’entre elles jouait avec un papier glacé plié en quatre, et en voyant le regard heureux du jeune homme, l’on comprenait que le contact lui en était plus qu’agréable.
Esteban bifurqua et s’engagea dans une ruelle étroite. En deux, trois enjambées, il avait déjà franchi les quelques marches qui menaient chez lui. En deux trois tours de clé, il était déjà installé sur sa banquette, à relire la feuille légèrement froissée. Hypnotisé par son contenu, il la parcourait avidement et puis repu, il s’avachit, lâcha son papier et ferma les yeux. Un proche du jeune homme aurait immédiatement compris qu’Esteban vivait quelque chose d’important, de grave ou de capital à cet instant-là. Il ne se serait pas trompé, surtout s’il avait pu lire le destinateur du courrier : JE VIDEOS, entreprise qui avait fait des jeux vidéo son salut au point de devenir LA référence pour tous les joueurs, comme Esteban, passionnés de jeux…
Progressivement, face à l’ampleur des bénéfices que l’entreprise réalisait, son fondateur, Gabriel Jesayre, avait réussi à ouvrir un pôle de recherches dans le domaine ; grâce à un recrutement de concepteurs de jeux, de haut niveau, il l’avait développé et parvenait à renouveler le parc vidéo tous les quatre ans.
C’était donc une lettre capitale que serraient et desserraient régulièrement les mains d’Esteban ; en fait, c’était son sésame pour pénétrer dans ce haut lieu mythique. Et il devait s’y rendre le lendemain pour 8 h 15 précises.
Esteban, se redressa, alla se préparer un expresso puis sortit voir Théo qui saurait lui prodiguer les meilleurs conseils pour réussir son entrée professionnelle dans le grand groupe JE VIDEOS.
Oui, on l’avait interrogé sur ses liens avec le président de JE VIDEOS et naturellement Esteban en était venu à raconter son arrivée dans l’entreprise, mais pas de cette manière-là. Un sourire commença à se dessiner… Finalement, c’était un début plutôt sympathique. Il relut la fin, mais étouffa un léger cri : il y avait une suite au verso : l’épisode de son premier jour d’embauche. Complètement irrationnel.
La réceptionniste lui tendit son badge et accessoires en tout genre, fort utiles au sein de l’entreprise. Esteban lut sur un petit écran, concepteur, niveau 4. Sur 5, plutôt pas mal… Il esquissa un léger sourire, heureux de cette première reconnaissance. C’est vrai qu’il avait l’habitude de dire qu’il ne se débrouillait pas trop mal, mais… au regard du badge, on lui indiquait clairement qu’ici, il « assurait » tout court.
Encouragé par cela, il appuya sur le bouton ÉTAGE 1 de l’ascenseur afin de rencontrer sa nouvelle équipe de travail.
En arrivant au premier niveau, il fut immédiatement accueilli par un Alex qui sut le mettre à l’aise et l’invita à s’installer dans son bureau. Esteban entra donc dans un espace plutôt privilégié puisque le reste de l’étage était en open space.
Alex prit le temps de lui présenter le trombinoscope de son équipe et de lui rappeler ses objectifs : il avait séduit le grand patron lors de son recrutement avec son prototype ; à lui maintenant de développer son jeu innovant. Pas d’angoisse pour les besoins, les ressources financières suivraient. « Il n’y avait plus qu’à »…
C’est sur ce grand défi qu’il s’esquiva et qu’Esteban décida d’aller saluer son équipe ; il serra donc la main d’Anthony, Sergio, Raphaël et Kader. Tous se réunirent dans son bureau et c’est muni des précieuses informations soigneusement compilées que le jeune calibra avec eux le projet. Leur chance, c’était de pouvoir faire ce qu’ils aimaient tout en étant rémunérés et ensemble. Et puis, ils avaient une bonne expérience du métier et du rythme à tenir pour un si long projet. Une fois qu’Esteban eut sondé leur motivation, il exposa le programme des premières semaines à venir et les prévint que l’on élargirait progressivement l’équipe à d’autres programmeurs, graphistes, ingénieurs du son sans compter l’équipe de communication en milieu de projet.
Les cinq hommes mirent à plat tout ce dont ils auraient besoin en temps, en énergie, en moyens pour parvenir à leurs fins. L’idée était de créer un jeu approchant au plus près la réalité humaine, psychique, cognitive. Il fallait améliorer les lunettes de réalité augmentée, et surtout les hologrammes pour se démarquer des autres concurrents tout en gardant l’aspect kinesthésique du jeu.
C’est pourquoi Esteban avait souhaité rester très simple dans le choix de la période historique : la seconde guerre mondiale, bien connue de tout joueur. Mais il fallait déstabiliser chaque gamer par la présence des hologrammes. C’était ça, son accroche. Oui, son jeu devait amener ses joueurs dans un univers totalement holographique et faire en sorte que leurs ressentis soient réels.
Il savait qu’il suerait sang et eau, et déjà, cela avait bien commencé, mais il réussirait… Et puis… et puis, plus tard, on en viendrait à l’autre jeu qu’il avait déjà en tête et qui, là, surprendrait par son univers nouveau, en rupture totale avec ce qui existait.
Pour l’heure, il fallait se concentrer sur le scénario lequel s’inspirait non pas d’une bataille ou du Débarquement, mais de l’action des monuments men.
Esteban souhaita prendre le temps pour détailler l’action du groupe américain créé en 1944 par le président Roosevelt. Les hommes en avaient entendu parler, mais il ne fallait pas se contenter de l’à-peu-près ; tous le savaient. La richesse du jeu provenait d’un réalisme construit sur la réalité historique.
« Mais qui s’est permis de transformer mes infos en un récit ? Mince ! J’suis avec des tarés ! »
Ce fut à ce moment-là que choisit de revenir le commissaire.
« Bien. Le lieutenant Sy m’a tout expliqué. Le rapport le voici. Désolé, Monsieur Engey. Nous allons quitter cet univers lissé pour revenir à la réalité.
— C’est parfait. Je ne demande que ça. Enfin, je souhaite juste que ce papier disparaisse et ne soit jamais publié. »
Le feuillet disparut en un éclair pour toute réponse, rapidement remplacé par une feuille blanche administrative couverte de mots recto verso.
« Donc à votre arrivée, vous n’avez rien remarqué ?
— Rien. Dès que je suis arrivé à JE VIDEOS, j’ai rencontré mes collègues, Kader, Sergio, Anthony et Raphaël…
— Dont vous ignoriez l’existence jusque-là.
— Complètement.
— Essayez de vous rappeler un détail durant votre échange avec eux. Je vous accorde un peu de temps ».
Esteban soupira. Il l’avait déjà dit, mais pour montrer sa bonne foi, il se concentra et ferma les yeux…
« Bon. Je rappelle que la mission de ce groupe était de suivre et de récupérer les œuvres d’art dérobées, en France, Belgique et Hollande par les nazis, pendant l’Occupation, sous l’administration du “personnel spécial dédié à l’art pictural” de l’Institut R.R, dans les musées et les collections privées. C’étaient surtout celles appartenant à des Juifs déportés ou ayant fui. Jusque-là, on est d’accord ? »
Un oui unanime l’invita à poursuivre.
« Entre 1941 et 1944, 29 convois ont quitté Paris pour le Reich, soit un total de 138 wagons remplis de 4 170 caisses.
— En gros, c’est un énorme pillage », murmura Kader.
« Oui. Tu peux même dire Kader, le plus grand pillage d’œuvres d’art de tous les temps. 38 000 appartements visités. Plus de 200 collections pillées. Surtout des œuvres classiques de l’art européen. Mais les nazis ont aussi volé des œuvres d’art moderne. Même si pour eux, il s’agissait, d’un art “dégénéré”, cela ne les a pas empêchés de se servir et d’encaisser de bons marks avec des commerçants véreux. »
Raphaël sembla bondir sur sa chaise, prêt à en découdre avec l’un de ces commerçants. Esteban reprit en le regardant :
« Oui, c’était à ça qu’étaient destinés les Picasso, Matisse et Van Gogh, entre autres…
— Mais qui avait intérêt à récupérer ces œuvres ? demanda Anthony.
— Réfléchis ! Hitler ! Il n’y a que lui pour autoriser un tel trafic !
— Hmm, Anthony n’a pas tort, reprit Esteban. Hitler, certes, nourrissait son grand projet de musée, mais il y en a un qui s’est bien servi et qui n’a pas lésiné sur les vols.
— Je sais ! C’est Goering, tonna Sergio spontanément. Je ne sais pas tout sur le conflit, mais sur lui, je peux peut-être vous aider.
— Vas-y.
— Goering avait reçu la mission de pourvoir en œuvres majeures le grand musée dont rêvait Hitler pour la ville de Linz, dans sa région d’origine, en Autriche. Mais Goering souhaitait aussi enrichir les collections de son “petit Versailles” de Karinhall, en gros à soixante kilomètres de Berlin. Donc il en a bien profité.
Il a même récupéré un fameux collier, propriété de Klimt qu’il a offert à sa femme.
— Eh bien, je crois que là, vous y êtes. Oui, le cadre global est bien tracé... conclut Esteban, l’air plutôt content.
— Mais le lien avec tes joueurs ? l’interrompit Raphaël. Je me doute qu’ils vont devoir récupérer ces œuvres pour le compte des monuments men ?
— Oui, oui ! Les joueurs devront tout faire pour qu’en cette dernière année du conflit, le “Führermuseum”, l’énorme projet artistique d’Hitler, temple à la gloire du Reich et de l’art germanique, ne soit pas alimenté. Ils devront parvenir, en commandos ou seul, à sauver des œuvres qu’on leur attribuera. Oui, et important, il va falloir qu’ils travaillent avec la Résistance afin d’éviter tout bombardement qui mettrait en jeu la survie de ces œuvres.
— Ouah ! Ça me plaît bien ! J’suis ton homme.
— C’est vrai que l’enjeu est de taille. Je te suis aussi Esteban, comme Rapha !
— Et Sergio, rajouta ce dernier. »
Les yeux se tournèrent vers Anthony qui tiquait depuis le début. Pas suffisamment porteur à son goût.
« Qu’est-ce qui te gêne ? lui demanda Kader.
— Rien. Mais j’n’ai pas envie d’un jeu plan-plan.
— Plan-plan ? J’sais pas ce qu’il te faut ! Les nazis, le conflit, des pillages, une injustice énorme !
— Moi, je trouve que l’enjeu est noble. Et puis, il y aura des gamins qui se lanceront. C’est plutôt pas mal pour les aider à réviser leur Histoire !
— D’accord, reprit Anthony. Mais tu sais très bien qu’il n’y a pas que des jeunes qui jouent. Et tu fais quoi de tous les majeurs, les adultes ?
— Eh bien, je ne les oublie pas, car eux, ils sauront pourquoi. Je suis certain que c’est un jeu qui ne peut marcher qu’avec eux. Et c’est d’ailleurs eux qui le lanceront. Tu verras !
— Anthony, l’interpella Esteban. Je vois bien que ce n’est pas l’enjeu qui te gêne, mais autre chose. Dis.
— En fait, en reprenant les données historiques et en étant ultra précis, je pense que ce jeu peut être une mine d’or, voire une vraie référence dans ce domaine. Mais il faut accorder un large champ d’action aux personnages. Quand on joue, c’est ça qui nous plaît, non ?
— Oui, c’est vrai, dit Kader. Et ce qui serait bien, c’est qu’on parvienne à intégrer aux opérations terrestres, l’aviation et la marine. »
Leurs réactions ravirent Esteban, car ils commençaient à s’approprier le projet…
« Mais n’oubliez pas une chose ! reprit Anthony, ce jeu avec tout ça, il existe déjà, décliné sous différents noms ! Nos concurrents en ont sorti de pas mal !
— C’est pour cela que moi Estaban, je veux y mettre de l’humain, du vivant. Oui avec un graphisme à la pointe, des détails frisant les images réelles, mais surtout avec des hologrammes. C’est ça mon champ d’action. Il faut que l’on travaille d’arrache-pied dessus. Le secteur tend vers ça, maintenant. Nos joueurs doivent être entourés du décor et de personnages grandeur nature.
— Euh, tu y vas un peu fort. Grandeur nature…
— Non. C’est là où il faut que l’on soit d’accord. Les hologrammes vont devoir se profiler à une bonne hauteur et donner la plus grande sensation du réel jamais vue et expérimentée !
— Alors là, d’accord ! Je vous suis ! dit Anthony en hochant de la tête. Mais ça promet des heures et des heures de boulot !
— Mais c’est pour ça que t’es là et c’est pour ça qu’on t’aime Anthony.
— Ouais, pas la peine de nous la faire ! Tu vas te donner à fond.
— On te connaît ! »
Un sourire apparut sur le visage d’Anthony. Ces gars-là lui plaisaient et promettaient de belles tranches de rigolade. Les autres le regardaient amusés. Ils se tapèrent alors tous dans l’épaule et la main, comme s’ils venaient de sceller leur premier contact, et chacun comprit en quittant JE VIDEOS qu’une grande aventure venait de commencer.
« Je vous l’ai dit commissaire, tous les cinq nous avons parlé de l’action des monuments men.
— Quelqu’un est-il rentré pendant votre discussion ? Un message vous est-il parvenu à ce moment-là ?
— Non. Chacun a vu ce qu’il pouvait faire et dès le lendemain, on s’est tous mis à plancher sur notre projet.
Commissaire, on perd notre temps. Il n’y a aucun détail, aucun indice qui vous ramènera à cette bande de jeunes. Ils sont rentrés par effraction dans JE VIDEOS. Ils assument, c’est tout. Le patron a porté plainte. Et voilà.
— Et voilà justement. L’adage parle de patience. Patience donc. Laissons chaque étape s’installer, car, voyez-vous, Monsieur Engey, une enquête, ça se cisèle. Pour l’instant, nous en sommes au gros œuvre… Continuons. Vous étiez donc responsable du projet.
— Oui. J’en référais à Alex, le chef de projet. Lui, il s’occupait plus de la logistique, du matériel et des finances nécessaires. Il était en contact direct avec monsieur Jesayre.
— Sur cette photo présentant vos quatre collaborateurs, il y a Raphaël Exa. »
Esteban acquiesça.
« Voici la vidéo de ses premiers jours de travail sur le jeu, à vos côtés.
— Parce que l’on était filmé ?
— Il semblerait que les contrats de travail manquent de clauses ou d’explicitations à JE VIDEOS. Oui, tout le monde est filmé. Votre ami Raphaël nous a bien aidés. »
Regard interrogateur d’Esteban. « Votre ami parle tout haut, exprimant la moindre de ses pensées. »
8 h 20. Installé depuis une bonne trentaine de minutes, Raphaël pianotait avec célérité sur son ordinateur. Il avait souhaité dresser l’inventaire des œuvres sauvées par les Alliés. Il était heureux de faire ça, car bien des années avant, une femme avait passé son temps, scrupuleusement, à écouter des conversations entre officiels nazis, à déchiffrer les papiers carbone allemands dans les poubelles du musée du Louvre. 45000. 45 000 œuvres d’art localisées. Merci Madame Valland… Il lui devait bien ça. Cette partie lui prit du temps, car il n’y avait pas que le célèbre Retable d’Issenheim, dit Autel de Gand et la Madone de Bruges qui avaient été volés.
Il éplucha les dossiers et s’empara de dossiers, portant sur le train 40044 dit « train d’Aulnay ». Là, il récupéra l’inventaire des caisses récupérées dans le train : trente-neuf collections retrouvées. Et puis, il retrouva le dernier convoi d’œuvres d’art en partance pour l’Allemagne, que les cheminots résistants avaient empêché de quitter la France, quelques semaines avant la Libération. Il chercha dans d’autres dossiers et inscrivit le nom de tableaux et de dessins, de tapisseries, de sculptures, de meubles signés, de glaces et objets divers ; il rajouta aussi le nom d’instruments de musique, d’orfèvrerie, de pendules, de luminaires, de céramiques, d’objets précieux sans oublier les collections de la maison de Ludwig van Beethoven à Bonn, dont le manuscrit original de la « 6e Symphonie ».
« Bon sang ! Même la 6e symphonie ! Il y en a un qui a dû s’ retourner dans sa tombe ! Aucun respect ! »
Raphaël s’arrêta un temps, les doigts suspendus en l’air au-dessus du clavier. Il pensa à son grand-père mélomane et à tout ce qu’il lui avait transmis au sujet de la musique. « Tudieu ! (il jurait ainsi quand il était touché) Mon garçon, un homme dilate son cœur et affine son esprit au contact de belles mélodies. Faire l’amour à son violon et à son piano n’est pas interdit… » Cela, il l’avait dit en baissant un peu la voix, car il savait que les oreilles et les lèvres de son épouse, Alice, auraient renvoyé un commentaire immédiat. Mais Raphaël se souvenait encore du clin d’œil amusé du vieil homme. Il sourit en y repensant. Ragaillardi par ce clin d’œil du passé, il établit une liste des tableaux emportés de France pour la collection d’Hitler et qui avaient été envoyés au musée de Dresde. Et puis vinrent des tableaux de Rembrandt, Rubens, Van Dyck, Delacroix, Lochner, Fragonard, Van Gogh, Gauguin, Cézanne, Cranach, Hals ou encore Renoir et Véronèse… Il consigna le trésor de la cathédrale d’Aix-la-Chapelle, l’un des principaux trésors ecclésiastiques du nord des Alpes, contenant les reliques de Charlemagne et de plusieurs saints et de nombreux objets d’art sacré provenant des cathédrales ou églises de Trêve, Essen, Cologne et Siegburg.
Un vrai tournis. Et dire qu’il n’en avait écrit qu’un dixième pour le jeu. Il y en avait eu tant d’autres… 650000. La liste était telle qu’il n’en dormirait pas pendant plusieurs nuits.
En parallèle, il répertoria toutes leurs destinations et cachettes qu’il faudrait retrouver en images puis transcrire en hologrammes. C’est pourquoi, de leur côté, Anthony et Esteban, en communication étroite avec lui, prenaient soin de bien détailler tous les lieux répertoriés en s’appuyant sur les moindres détails. Cela permettrait ensuite aux joueurs d’emprunter différents chemins de traverse, de varier leurs routes et plans d’action pour mener à bien leur mission.
Le commissaire cliqua sur « pause ». Esteban qui s’était revu avec Anthony et Raphaël sourit intérieurement. Il ressentit un bref instant toute l’adrénaline du moment… Quelle période… Naturellement, il repensa alors à Sergio et à toutes les précisions historiques qu’il avait apportées, à tout ce qu’il lui avait confié.
La mission… Lors de la présentation d’Esteban, Sergio avait fait un signe comme quoi il s’en chargerait. Le point de départ, il le savait, serait la galerie nationale du Jeu de Paume, l’annexe du Louvre : c’était devenu dès 1939 et surtout à l’automne 1940, le dépôt central des œuvres pillées par les nazis.
Le haut commandement militaire des monuments men fixerait l’œuvre à dérober et à ramener en lieu sûr. Les joueurs seraient munis de leur fiche indiquant la provenance de l’œuvre, sa destination, le nom des agents chargés des transferts, le nom des transporteurs, les marques des caisses, les numéros et les dates des convois, sans oublier le nom de l’artiste, de l’œuvre et ses dimensions.
Ils auraient trois destinations possibles : Allemagne, Autriche et Europe de l’Est avec une adresse précise de châteaux, de mines ou le nom d’un dépôt, d’un lieu-dit.
Sergio imagina toutes les récompenses que les joueurs pourraient obtenir à chaque fois qu’ils se rapprocheraient de leur victoire et passeraient au niveau supérieur. Pour lui, c’était impensable que les joueurs ne puissent accéder à des données officielles tels des documents d’époque. Alors, il créa un dossier dans lequel il inséra :
– des listes manuscrites telle la liste de l’Einsatstab Reichleiter Rosenberg du 2 août 1944 concernant les collections devant partir en Allemagne ;
– le rapport rédigé en 1940-1941 par le Dr Kümmel sur la demande de Goebbels, au sujet de la récupération des œuvres d’art d’origine allemande situées dans les pays occupés ;
– des lettres comme celles de M.Bizardchef du bureau central des restitutions à Rose Valland au sujet du rapport Kümmel, une correspondance au sujet des œuvres en dépôt au musée de Dresde et susceptibles de provenir de collections juives françaises ;
– des courriers et des notes émanant de personnalités comme Ribbentrop, Abetz, Keitel, le général Von Bockelberg, le colonel Speidel, Goering, Rosenberg, l’Amiral Darlan, le directeur des Musées nationaux Jaujard… entre juin 1940 et octobre 1943 ;
– des articles de presse ;
– des recueils de documents français et allemands concernant la saisie des œuvres d’art ou évoquant Bruno Lohse, clé de voûte du système de pillage.
Mais il fallait un complément aux données administratives : le vécu humain devait aussi s’exprimer et instruire. Alors Sergio se tourna vers des témoignages tel celui du lieutenant James Rorimer dans son livre Survival, en 1950. Là, l’officier américain chargé du sauvetage, expliquait le travail riche de Rose Valland évitant ainsi aux troupes alliées de bombarder les dépôts et d’assurer leur protection. Sergio n’oublia pas non plus tous les soldats qui avaient pu témoigner de retour au pays, les résistants ayant participé de près ou de loin à cette opération. Des extraits filmés présentèrent l’action de la résistance, ses enjeux, ses actions et resituèrent plus largement le conflit au niveau mondial.
En dernier lieu, dans ce domaine, il inséra la biographie des grands acteurs de cette opération, dont celle de Rose Valland, des extraits de livres ou films l’évoquant puis des photos du débarquement, car c’est à ce moment-là que l’action du groupe américain avait pu s’organiser plus facilement.