Poèmes assassins - Vincent Guillard - E-Book

Poèmes assassins E-Book

Vincent Guillard

0,0
0,99 €

oder
-100%
Sammeln Sie Punkte in unserem Gutscheinprogramm und kaufen Sie E-Books und Hörbücher mit bis zu 100% Rabatt.
Mehr erfahren.
Beschreibung

Marc est un homme qui, toute sa vie, a été enfermé dans un carcan de "normes". Par sa mère en tout premier lieu. Puis sa femme, qu'il a épousé plus par conformisme que par amour. Il s'est laissé dirigé toute sa vie et se sent mourir s'il ne reprend rapidement sa vie en main. Mais comment faire quand on a atteint un tel degré de soumission et d'effacement face aux autres? Aura-t-il la force de se transformer, afin de reprendre le cours de son existence? Pourra-t-il accepter l'aide d'un inconnu pour le "coacher" dans ce changement? Et ce changement ne va-t-il pas finir par l'anéantir?

Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:

EPUB

Veröffentlichungsjahr: 2023

Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Déroulé de l’affaire

Dimanche 12 novembre

Lundi 13 novembre

Mardi 14 novembre

Mercredi 15 novembre

Jeudi 16 novembre

Vendredi 17 novembre

Samedi 18 novembre

Chapitre 1Dimanche 12 novembre

06h30 du matin, le soleil n’est pas encore tout à fait levé, il marche seul, dans la forêt de Rougeau en seine et marne, éclairé par la seule lueur de la lune.

Il quitte le chemin de terre, tant de fois emprunté depuis son enfance, à faire des cabanes, à jouer avec les copains. Puis plus tard, pour des balades solitaires, à marcher ou ramasser des champignons. Une passion que sa femme ne partage pas et que, par la force des choses, il a laissé tomber, et s’enfonce à travers les arbres.

Il lève les pieds pour éviter le désordre que la nature se laisse aller à déployer largement, profitant d’un répit que l’homme lui laisse, en prenant possession des lieux à sa façon.

En temps normal, le chant des oiseaux, le calme inhabituel, face à une vie par trop mouvementée, les senteurs boisées et le craquement lent et puissant des branches, l’auraient apaisé en lui donnant un sentiment de sérénité. Mais aujourd’hui, ils passaient totalement inaperçus.

Marc, 42 ans, 1,85m, le crane un peu dégarni, quelques kilos en trop, est, ce qu’on pourrait appeler un homme fantôme.

Vous en connaissez certainement dans votre entourage. Ces personnes que nous croisons tous les jours sans jamais pouvoir se rappeler leur nom ou ce qu’ils font réellement au sein de l’entreprise.

Brillant dans son boulot, comptable dans une boite d’import export dans une zone industrielle de Sénart en seine et marne.

Il sait se rendre indispensable professionnellement sans qu’on s’intéresse à lui autrement.

Malgré sa présence physique qui ne pouvait passer inaperçue, il se fondait littéralement dans le décor. Quel qu’il soit, transparent pour tout le monde, on le voyait et l’oubliait aussitôt.

Marc a passé sa vie à l’écoute des autres. Sans jamais se mettre en avant. Une timidité maladive l’a laissé en retrait d’une confiance en soi absente, qui faisait de lui ce qu’il est aujourd’hui.

Marié depuis 20 ans à Nathalie, qui, habituée à le voir effacer en permanence, s’est évertuée à mener une vie sans s’occuper de ce qu’il pouvait penser ou ressentir.

Un «marie objet» gagnant bien sa vie, gentil et très réservé.

Ce n’était certes, pas un mariage forcé, mais sans amour véritable.

On se met ensemble parce que cela paraît naturel aux yeux des parents, de la famille, surtout sa mère :

-Elle est très bien cette Nathalie. Tu devrais penser à te marier Marc, tu ne vas pas rester à la maison toute ta vie. Il faut que tu voles de tes propres ailes, et puis ses parents sont sympathiques.

Il n’en fallait pas plus pour organiser rapidement ce changement de vie.

Quitter sa mère, qui a consacré son temps à s’occuper de lui pour se marier à une femme qui va prendre le relais et s’occuper du reste de sa vie. Son destin était écrit, presque sans qu’on lui demande son avis. Et quand bien même, aurait-il exprimé un avis ?

2 enfants, Stéphane 18 ans, et Caroline 15 ans, pour qui il n’avait aucune autorité. Un père présent physiquement mais absent de tout rapport affectif ou éducatif. Il ne leur disait jamais rien, et de leur côté, eux non plus. Quelques mots échangés au cours de la journée mais sans plus.

Une normalité existentielle d’apparence. Une petite maison avec jardin en banlieue parisienne, marié, père de famille, et hop, on est normal aux yeux de tous. En tout cas , c’est ce que pense Marc dans cette société où tout doit être aux normes. «Je suis et vis comme tout le monde, donc je suis normal»… Il en avait assez de cette vie, mais comment s’en sortir sans casser cette «normalité» ? Pouvait-il effectuer une renaissance à son âge ? Serait-il possible d’être un autre ? Mais qui d’autre ? En fait il voulait juste être quelqu’un.

Mais aujourd’hui, dans cette forêt, il n’y croit plus. De toute façon, sa disparition n’inquiéterait personne, alors autant en finir rapidement. Qui peut s’apercevoir et s’émouvoir de la disparition de quelqu’un qu’on ne voit jamais ? Quelqu’un qui n’apporte rien, à qui on ne demande jamais rien ? Personne.

Il s’arrête près d’un gros chêne, aux branches robustes et saines.

Ce chêne sur lequel, à l’époque, il avait gravé ses initiales avec celle d’une fille de 13 ans. Il en était amoureux depuis la maternelle. La fille n’en a jamais rien su bien sûr.

Trop timide pour l’aborder. La peur du ridicule en cas de refus. Et aussi, peut-être, la peur qu’elle dise oui. Je sais, c’est un peu glauque se dit-il, mais bon, ça reste mon souvenir. Enfant, il est souvent venu au pied de cet arbre. S’asseoir. Et parfois même, lui parler. Lui raconter ses malheurs. Quand on a personne à qui parler, on se parle à soi-même. Où bien comme lui, à un arbre. Il y en a bien qui écrivent dans un journal intime. Lui il parlait à son arbre. C’était son refuge à lui. Et avec lui, il n’avait pas peur de recevoir des remarques, des critiques ou des moqueries. Alors, c’est tout naturellement, au moment d »’en finir avec sa vie, qu’il retrouve son « vieil ami ».

Il sort une corde de son sac à dos et l’installe, en prenant soin de prendre la plus belle branche. Bien solide. Il ne s’agit pas qu’elle casse au moment voulu.

Alors qu’il termine le nœud coulant, prêt à faire de lui un souvenir dans la vie des autres, une voix lui parvint et le fait sursauter. Une voix ni agressive, ni trop gentille. Presque une voix amie.

-Holà l’ami, tu vas faire une connerie.

Marc, se croyant seul, sursaute et se retourne. Il se trouve face à un homme, la quarantaine, un chapeau mou sur la tête, un panier à la main (la saison des champignons se terminait, mais on voyait encore quelques courageux arpenter les sous-bois à la recherche d’espèces tardives).

La brume matinale ainsi que la lueur lunaire lui donne un aspect fantomatique. Vision surréaliste pour un homme s’apprêtant à visiter l’au-delà.

L’impression d’être à l’entrée du paradis et devoir en payer l’entrée à un ange.

Il reste planté devant cet homme sans pouvoir dire un mot. Même dans ces moments-là. Lorsque je décide de faire quelque chose par moi-même je ne peux pas pense-t-il.

-J’ai un thermos de café, on s’en boit une tasse ? Lui dit l’homme au chapeau.

Marc, comme à son habitude, fait oui de la tête sans toujours prononcer un mot. Il se dit juste qu’il ne peut même pas quitter cette vie comme il l’entendait. Même sa propre mort lui était refusée. Il paraît qu’on a tous un ange gardien. Le mien à du s’octroyer de longues vacances pense-t-il.

Il prend une tasse en plastique remplie de café chaud que lui tend l’homme face à lui, et le regarde hébéter et surpris. L’homme lui tend la main.

-Moi c’est André.

-Bonjour. Marc.

-Hé bien Marc, je crois qu’on va causer un peu. Les champignons attendront.

-Je n’ai rien à dire.

-Oh que si. Pour faire ce que tu es en train de faire, on a forcément quelque chose sur le cœur.

Et puis, maintenant que je suis là, il est hors de question de te laisser partir au bout d’une branche. Tu vas me gâcher ma journée avec tes conneries. Un si bel arbre n’a pas besoin de ton corps en guise de fruit. A lui aussi tu vas lui pourrir sa journée.

C’est la première fois qu’on lui parle comme ça, d’une façon dure, franche, mais pleine d’intérêt. Habituellement on lui donne des ordres. Ou bien des reproches. Mais jamais personne ne s’est vraiment intéressé à lui. A ce qu’il pense, ce qu’il aime ou aimerait. Tout simplement lui demander son avis.

Alors, un peu timide, et certainement parce qu’il pense être au terme de sa vie, Marc se livre à cet homme et se met à parler en racontant son existence dans les moindres détails. Sans gêne, sans crainte, comme s’il se parlait à lui-même, ou à son arbre. Ce qu’il fait très souvent, mais cette fois à voix haute. Et à quelqu’un. C’est tellement inhabituel pur lui, qu’il se lâche et se confie à cet inconnu. Cet inconnu qui l’écoute. Sans lui faire de reproche. Juste l’écouter. Ça lui fait du bien. Ça le rassure. Ça l’encourage.

Une sensation qu’il n’a quasiment jamais connue.

Il ne s’en rend pas compte sciemment, mais cette thérapie improvisée le libère petit à petit de tout un sac trop lourd à porter. Sac qu’il porte depuis beaucoup trop longtemps d’ailleurs.

Comme s’il parlait pour la première fois de lui, de sa vie, de ce qu’il aurait aimé être, faire ou entendre.

Je pense, très sincèrement que, si on nous posait la question : «qu’aimeriez-vous entendre» ? Personne ne saurait vraiment répondre.

Et pourtant, n’est-ce pas important ce qu’on aime ou aimerait entendre ? Posez-vous la question, elle n’est pas si bête ni dénuée de bon sens. On a tous cette envie d’entendre certains mots. Et même si, contrairement à Marc, on donne notre avis sur beaucoup de choses, On ne dit pas toujours ce qu’on aimerait entendre de ceux qu’on aime, ou juste de ceux qu’on apprécie.

Deux heures se sont écoulées.

-Voilà, et maintenant, je ne suis même pas capable de partir comme j’en ai envie.

-Ce n’est pas la question.

-C’est la mienne en tout cas.

-Je t’ai écouté tout ce temps, maintenant c’est à toi de m’écouter.

Il te faut un guide, d’après ce que je vois, tu es incapable de changer sans une aide. Alors je vais te proposer un truc. À partir de maintenant, je serai ton mentor dans ta vie.

J’ai beaucoup de temps libre et n’ai pas grand-chose à faire, par contre, j’ai l’expérience et le savoir pour te guider dans cette jungle de vie.

-Mon mentor ?

-Tu n’aimes pas ta femme hein ?

-Je ne sais pas.

-Alors tu l’aimes pas. Elle est la femme qui partage ta vie, mais rien de plus. Même si elle reste la mère de tes enfants, pour vivre avec quelqu’un, il faut de l’amour.

-Et je fais quoi ? Je ne vais pas divorcer quand même !

-Bien sûr que si tu vas la quitter, c’est même la première chose que tu vas faire. Tu vas te trouver un logement à toi, lui expliquer que tu ne l’aimes plus et partir. C’est pas plus compliqué que ça.

-Je ne pourrai jamais faire ça.

-C’est pour ça que je suis là. Ton mentor. Je resterai à tes côtés aussi longtemps qu’il le faudra, mais tu devras m’écouter et appliquer à la lettre ce que je te dirai. Je serai ta conscience, ton « jiminy cricket ».

OK, on est dimanche, tu fais quoi d’habitude le dimanche ?

-On va manger chez mes beaux-parents.

-Hé bien tu ne vas pas y aller.

-Alors ça, ça ne va pas être simple.

-Tu lui dis non, simplement et calmement.

Vas-y doucement au début, mais sois ferme.

-Elle ne va pas m’écouter.

-Un mec qui a fermé sa gueule toute sa vie, le jour où il l’ouvre un peu, la terre entière s’arrête presque de tourner pour l’écouter.

Prends juste une bonne inspiration et dis-lui calmement, que tu ne veux pas y aller. Ne t’inquiète pas, les premiers mots sont les plus durs, après ça vient tout seul. La seule chose est de rester calme en toutes circonstances. Tu vas réapprendre à vivre mec.

-Vous me demandez de changer, d’être quelqu’un d’autre !

-Déjà, tu vas commencer par me tutoyer. Tu ne seras pas quelqu’un d’autre, je vais t’aider à faire sortir l’homme qui est en toi. Ce que tu veux vraiment être. Arrêter d’être un mort au pays des vivants et faire semblant d’avancer et de vivre par procuration au travers des autres.

Il est temps que Marc vive pour lui et par lui.

Attends. André griffonne son numéro de téléphone sur un bout de papier et le lui tend.

-Appelle-moi quand ils seront partis.

-Tu crois qu’ils vont y aller si je n’y vais pas ?

-Appelle-moi quand ils seront partis. Rentre chez toi. À tout à l’heure.

Marc le regarde partir. Avec cette brume, il a l’impression qu’il ne part pas vraiment mais qu’il disparaît doucement. Comme par magie.

Et ça lui rappelle quelques moments de son enfance. Lorsqu’il s’imaginait des amis virtuels. Des personnages qui ne vivaient que dans son imagination.

Je viens de raconter ma vie à un homme que je ne connais pas… Mais il m’a écouté…Il s’est intéressé à moi.

Sans s’en rendre compte, il venait de prendre la décision de lui faire confiance. Après tout je n’ai rien à perdre, ou peut-être tout… Qu’importe, j’avais décidé d’en finir de toute façon, alors…et quoi qu’il arrive ma vie ne peut pas être pire que maintenant.

Il reste un moment à regarder ce chêne à qui il allait confier sa vie quelques heures plus tôt.

Les mains posées sur ce tronc solide et puissant, il le regarde. Sereinement, comme s’il le remerciait de lui avoir évité de commettre l’irréparable.

Je reviendrai te voir mon ami. Je reviendrai.

Marc prend la direction du petit chemin de terre, et écoute, cette fois, les bruits forestiers et animaliers avec cette senteur boisée de verdure et de moisissure qui font le charme et la beauté de cette forêt. Sa forêt.

Parc naturel de réserve préservée dans laquelle il s’est souvent aventuré pour se retrouver seul sans ce monde qui l’entoure sans jamais le regarder.

Cette forêt qui l’a vue grandir. Jouer, souvent seul, à se raconter et vivre des aventures burlesques. A s’inventer des personnages, dont l’assurance virtuelle lui donnait des ailes, lui donnait la force.

Puis vient le temps des promenades en famille, mais cela n’a plus le même parfum.

On a souvent besoin d’un endroit, qu’il soit réel ou imaginaire pour s’évader. Prendre du recul par rapport aux aléas de la vie. Un endroit qui nous appartient, qui nous aide à évacuer ce trop-plein quotidien.

Cet endroit, c’était son refuge. Presque comme un enfant, il s’imaginait, lors de ses nombreuses promenades, être quelqu’un d’autre. Un homme imaginaire. Pas un héros de film fantastique, juste un homme avec du caractère. Un simple être humain qui dirige sa vie, qui sait dire non quand il ne veut pas. Un homme quoi.

Une brume recouvre la mousse et le tapis de ronces et buissons qui bordent le chemin.

Les rayons timides du soleil de novembre percent çà et là le paysage un peu sauvage. Donnant une couleur céleste et mystérieuse. Le reliant presque au nuage sur lequel il se trouvait.

Porté par une énergie, mêlant la peur, l’envie, l’espoir et le mystère de l’inconnu, il se sent flotter, comme hypnotisé. Un état second qu’il ne connaissait pas. Une découverte totale l’attendait. Marc avance sur le chemin de la maison. Sans stress, il marche, calme. Se demandant comment sa femme allait réagir face à ce refus.

Le premier de sa vie.

C’est bizarre, comme une rencontre toute simple peut changer toute une vie. Suis-je capable de changer ? Suis-je capable, comme il dit, de faire sortir cet homme qui est en moi ?

Y a-t-il quelqu’un en moi ?

Je ne sais même pas ce que j’aimerais être vraiment.

Je suis juste fatigué d’être ce que je suis, un homme transparent qu’on ne regarde pas, qu’on n’écoute pas.

Cette impression d’être accessoire pour une famille, les collègues de boulot et toutes les relations qui bordent ma vie sans jamais entendre une question sur mes souhaits, mes désirs.

André a raison, je ne sais pas comment ça va se passer ni comment je vais le faire, mais il faut que ça change.

Il faut que je change.

Putain, ça fout la trouille quand même.

Dès son arrivée, Nathalie le regarde à peine :

-Tu as une demi-heure pour te préparer, maman aimerait qu’on soit là de bonne heure, papa est un peu fatigué et voudrait faire sa sieste après.

Prenant une grande inspiration :

-Non, aujourd’hui je reste là, je n’y vais pas.

Nathalie s’arrête un moment, le regarde en haussant les sourcils.

-Et pour quelle raison je te prie ?

-Je n’y vais pas c’est tout.

-Tu es malade ?

Ne voulant pas rentrer dans le vif du sujet dès aujourd’hui, Marc préfère acquiescer.

Comme d’habitude. Avancer doucement, c’est avancer quand même.

-On n’a pas idée de faire une balade en forêt de ce temps-là, mais tu n’écoutes jamais.

Marc ne dit rien et part s’enfermer dans son bureau.

Il entend au travers de la porte son fils protester.

-Et pourquoi je devrais y aller s’il reste là ?

-Ne discute pas Stéphane, on va chez tes grands-parents point final. Tu auras tout le temps de sortir en revenant si tu le veux.

-Fais chier.

-Et reste poli je te prie.

Nathalie entre dans le bureau et d’un air de mépris lui lance :

-Si tu te sens un peu mieux, ce serait pas mal de faire un peu de ménage, ça m’avancerait un peu.

Marc ne répond rien. De toute façon, elle n’attend pas de réponse. Déjà la porte se referme et il se retrouve seul à la maison pour la première fois depuis des années.

Un sourire aux lèvres, il se laisse aller un instant dans son fauteuil. Goûtant cette nouvelle sensation.

Il repense à cette rencontre peu commune.

Et si c’était un ange. Il sourit à l’absurdité de sa pensée.

Il passe rapidement l’aspirateur, se disant qu’on allait y aller tranquillement sur ce changement de vie. Et puis on ne peut changer en un jour. Des années de soumission ne s’évaporent pas comme par enchantement. Le chemin va être long. Il le sait. Il le sent. Il s’installe à son bureau.

Le chat de Nathalie, un chat angora, ronronne sur un coussin à côté de lui.

Marc écrit des poèmes. Il aime écrire. Une sorte de défouloir à tout ce qu’il ne pouvait dire. Une réponse aux questions pour lesquelles il ne savait répondre ouvertement. Sur la vie, sa femme, les autres. Jamais personne ne les avait lus. C’était sa réserve à lui. Ses pensées à lui. Son exutoire. Sa façon de faire sortir sa colère, quand il subit des remarques, des brimades, des critiques. Ce serait plus simple d’y répondre directement. Mais ça il n’a jamais su faire. Alors il écrit. Ça l’aide à tenir dans cette drôle de vie.

C’est rare qu’il écrive en plein après-midi. Sa femme lui aurait trouvé quelque chose à faire. Ou simplement demandé ce qu’il faisait. Et ça, il n’était pas prêt à lui montrer.

C’est fou ce que ça fait du bien. Seul. Faire ce que je veux, sans personne pour me dicter ma conduite ou m’imposer quoi que ce soit.

Sa volonté de suicide du matin s’est totalement évaporée. Même s’il sait qu’il lui faudra du temps, il se sent galvanisé par cette volonté de changer de vie. Galvanisé mais avec un stress malgré tout très présent.

Posé sereinement dans son fauteuil, il compose le numéro d’André.

-Allô, c’est Marc.

-alors, comment ça s’est passé ?

-Je n’y suis pas allé.

-Bien, ça été ?

-On va dire que oui, elle pense que je suis malade.

-Maintenant que tu as fait le premier pas, il faut continuer. Dès ce soir tu lui dis que tu veux partir.

-Je vais essayer.

-Ais confiance en moi. Ça va être un peu dur au début mais c’est la meilleure chose que tu feras.

-Je ne sais pas… Mais je le ferai.

-OK rappelle-moi demain.

-Au revoir, merci.

-Ne me dis pas encore merci, attend un peu. Tu vas tout de même en baver un peu, mais au final ça vaut le coup.

La journée passe rapidement Quand on est bien, tranquille, sans aucune remarque ni regard méprisant, ça passe toujours trop vite pense Marc. Le retour de Nathalie et des enfants le ramène à la réalité. Il sait qu’il doit lui parler. Prendre son courage pour lui annoncer son désir de la quitter et de partir. Ce n’était pas si simple que ça en avait l’air. C’est déjà pas simple pour la plupart des gens, mais pour Marc, cela relève du domaine du surréel, d’un challenge inaccessible. Mais s’il voulait vraiment changer il le devait. Et puis il a promis à André de l’écouter et de faire ce qu’il lui disait. C’était leur contrat. Il va tout faire pour le respecter. Qu’est-ce que je risque pense-t-il.

-Alors tu vas mieux ?

-Oui ça va.

-je ne te cache pas que papa et maman ont été très surpris par ton absence. Je leur ai dit que tu étais malade, que tu étais déçu et que tu viendras dimanche prochain.

Marc prend une grande inspiration, puis se lance.

-Non.

-Qu’est ce qui te prend ?

-Il me prend que j’en ai marre. Tous les dimanches chez tes parents, les miens, on les voit une fois de temps en temps.

Nathalie lui coupe la parole :

-Tu sais très bien qu’avec ta mère ça passe difficilement.

-Eh bien moi, maintenant j’en ai marre, vas-y tous les dimanches, tous les jours si tu le veux, mais moi c’est terminé… Et pas que ça… Il se rend compte que sans le vouloir, le ton de sa voix monte. Ça le perturbe d’un coup. Jamais il ne s’est énervé. Il ne maîtrise pas du tout ce nouvel état d’esprit. Ce n’est pas lui, mais il doit le faire. Alors il redescend. Se force à se calmer un peu. Il reste au niveau qu’il connaît. Ça le rassure pour continuer. Comme s’il apprenait à faire du vélo sans roulettes, la peur de flancher est là.

-Explique!

-Écoutes Nathalie, tu ne crois pas que notre couple va mal?

-Mal? Tu veux dire plus qu’au début?

Là, elle marque un point se dit-il. Ça n’a jamais vraiment marché quand on y regarde bien.

-Oui tu as raison, ça n’a jamais vraiment évolué, moi j’en ai marre.

-Tu vas bientôt me dire que tu veux me quitter ? Lui dit-elle en rigolant presque.

-Oui

Marc se lève, passe devant sa femme qui reste muette, et s’en va dans son bureau. André à raison, ça fait drôle à tout le monde quand on parle pour la première fois. Et là c’est sa femme qui en fait les frais. Il se lève parce qu’il sait que s’il reste, s’il lui laisse le choix de la conversation, il est perdu. Il sait qu’il ne pourra pas lui tenir tête comme ça du jour au lendemain. Alors il part.

Premier round gagné pense-t-il, le cœur battant à mille pulsations, mais il va y en avoir d’autres. Beaucoup d’autres. Et il sait que c’est une toute petite victoire. Il sait qu’elle va vite reprendre son souffle. Qu’elle va tout faire pour reprendre l’ascendant sur lui.

Au bout d’un petit moment, effectivement, Nathalie ouvre la porte du bureau. Presque à la volée.

-Tu as rencontré quelqu’un?

Il faut reconnaître qu’elle récupère vite se dit-il.

-Non, non ça n’a rien à voir.

Marc n’avait jamais contesté sa femme. Le faire aujourd’hui lui donne des palpitations. Le fait transpirer. Il faut couper court à tout ça. Si je la laisse discuter je suis perdu. Je vais pas pouvoir tenir. Il essaye de se reprendre. De garder le contrôle. Mais c’est une grande première pour lui. Et il ne sait pas gérer ça. Il se sent comme pris dans un piège qu’il n’a pas voulu installer.

-Tu comptes partir quand?

-Je ne sais pas. Dès que j’aurai trouvé un logement, mais je te laisse la maison, ce sera mieux avec les enfants.

-Encore heureux que je garde la maison, tu ne veux quand même pas me mettre dehors. Je te laisse le soin de l’annoncer aux enfants. Tu manges quand même avec nous ce soir?